Vu le pourvoi, enregistré le 24 novembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présenté pour Mme Muriel B, demeurant ... ; Mme B demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1100484 du 16 novembre 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a rejeté la demande de suspension de l'arrêté du 11 octobre 2011 du préfet de Mayotte par lequel il a mis fin aux fonctions d'huissier de justice de Mme B et supprimé sa charge à compter du 14 octobre 2011 ;
2°) statuant en référé, de suspendre l'exécution de l'arrêté du préfet de Mayotte ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
Vu la loi organique n° 2010-1486 du 7 décembre 2010 ;
Vu la loi n° 2010-1487 du 7 décembre 2010 ;
Vu l'acte n° 29 du 31 décembre 1970 de la chambre des députés des Comores relatif aux huissiers et aux agents d'exécution ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Didier Ribes, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Gatineau, Fattacccini, avocat de Mme B,
- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Gatineau, Fattacccini, avocat de Mme B ;
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État (...) ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
Considérant, en premier lieu, que si Mme B soutient que l'article 5 de l'acte n° 29 de la chambre des députés des Comores du 31 décembre 1970 relatif aux huissiers et aux agents d'exécution méconnaît les droits et libertés garantis par la Constitution, la disposition invoquée est de valeur réglementaire et n'est donc pas au nombre des dispositions législatives visées par l'article 61-1 de la Constitution et l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ;
Considérant, en deuxième lieu, que, conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article 46 de la Constitution, du premier alinéa de l'article 61, ainsi qu'à celles de l'article 17 de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958 sur le Conseil constitutionnel, ce dernier a examiné, par sa décision n° 2010-619 DC du 2 décembre 2010, avant sa promulgation par le Président de la République, la conformité à la Constitution de l'intégralité de la loi organique relative au département de Mayotte ; que pour ce qui concerne le contrôle qu'il exerce sur les lois organiques, le Conseil constitutionnel doit être regardé comme s'étant prononcé sur la conformité à la Constitution de chacune des dispositions de la loi organique qui lui est soumise ; que dès lors, sauf changement dans les circonstances, les lois organiques promulguées doivent être regardées, dans leur intégralité, comme conformes à la Constitution, alors même que la décision du Conseil Constitutionnel qui les a examinées ne mentionne pas expressément les dispositions critiquées dans ses motifs ; que le Conseil constitutionnel doit être regardé comme ayant déclaré conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de sa décision du 2 décembre 2010 l'ensemble des dispositions de la loi organique du 7 décembre 2010 ; qu'aucun changement dans les circonstances n'est de nature à justifier que la conformité de ces dispositions à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel ;
Considérant, en troisième lieu, que les dispositions de la loi ordinaire du 7 décembre 2010 précisent, dans le cadre de l'article 73 de la Constitution, les modalités d'application à Mayotte de la législation nationale antérieure au changement de statut de cette collectivité ; qu'en particulier, son article 30 habilite le Gouvernement, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, à modifier par ordonnance la législation relative à la profession d'huissier de justice ; qu'il est autorisé, dans un délai de dix-huit mois suivant la publication de la loi, soit à étendre cette législation dans une mesure et selon une progressivité adaptées aux caractéristiques et contraintes particulières à Mayotte, soit à adapter le contenu de cette législation à ces caractéristiques et contraintes particulières ; que Mme B soutient que serait contraire à la Constitution l'interprétation de ces dispositions selon laquelle l'adoption du régime de l'identité législative consécutif à la départementalisation de Mayotte exclurait l'application immédiate des dispositions nationales aux situations en cours même dans l'hypothèse où il serait soutenu que le maintien en vigueur des dispositions antérieures du droit local priverait les administrés de l'exercice des droits et libertés garantis par la Constitution ; que, toutefois, les dispositions de la loi du 7 décembre 2010, en se bornant à habiliter le Gouvernement à modifier la législation nationale sur la profession d'huissier de justice pour la rendre applicable à Mayotte, ne sont pas de nature, par elles-mêmes, à porter atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que par suite, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente en tout état de cause pas un caractère sérieux ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées ne seraient pas conformes à la Constitution doit être écarté ;
Sur les autres moyens :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ;
Considérant que pour demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque, Mme B soutient que la minute de l'ordonnance ne comporte pas la signature du magistrat qui l'a rendue et méconnaît ainsi les dispositions de l'article R. 742-5 du code de justice administrative ; qu'en se bornant à juger qu'aucun des moyens invoqués n'était de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté préfectoral dont la suspension était demandée, le juge des référés a insuffisamment motivé son ordonnance ; qu'en jugeant que le moyen tiré de l'applicabilité à Mayotte du droit national régissant la profession d'huissier de justice n'était pas propre, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, le juge des référés a commis une erreur de droit et méconnu son office ; qu'en jugeant que le moyen tiré du défaut de motivation de la décision contestée n'était pas propre à faire naître un doute sérieux quant à sa légalité, il a commis, à nouveau, une erreur de droit ; qu'en jugeant que le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté est entaché d'incompétence n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cet arrêté, il a commis une nouvelle erreur de droit ; qu'en appliquant l'article 5 de l'acte n° 29 du 31 décembre 1970 de la chambre des députés des Comores, alors que cette disposition méconnaît le droit à l'emploi, la liberté d'entreprendre et le principe d'égalité constitutionnellement garantis, le juge des référés a commis une erreur de droit ;
Considérant qu'aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B.
Article 2 : Le pourvoi de Mme B n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Muriel B.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.