Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 août et 24 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE OVERSEAS THOROUGHBRED RACING STUD FARMS LIMITED, dont le siège est 62, Wilson Street à Londres, Royaume-Uni ; la SOCIETE OVERSEAS THOROUGHBRED RACING STUD FARMS LIMITED demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 11 avril 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Douai, confirmant le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 18 décembre 2001, a rejeté sa requête tendant à la décharge de la cotisation d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 1992 et de l'imposition forfaitaire annuelle à laquelle elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1992 et 1993 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention franco-britannique du 22 mai 1968 en matière d'impôts sur les revenus ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 59-1472 du 28 décembre 1959, notamment son article 3 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Egerszegi, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Odent, avocat de la SOCIETE OVERSEAS THOROUGHBRED RACING STUD FARMS LIMITED,
- les conclusions de M. Emmanuel Glaser, Rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Odent, avocat de la SOCIETE OVERSEAS THOROUGHBRED RACING STUD FARMS LIMITED ;
Considérant que la SOCIETE OVERSEAS THOROUGHBRED RACING STUD FARMS LTD, société de capitaux de droit britannique dont le siège social est situé à Londres, et qui est propriétaire en France, à Chantilly, d'un ensemble immobilier utilisé pour l'entraînement de chevaux de course, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 avril 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Douai, confirmant le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 18 décembre 2001, a rejeté sa requête tendant à la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et d'imposition forfaitaire annuelle mises à sa charge au titre des exercices clos en 1992 et 1993 ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa du I de l'article 209 du code général des impôts : " (...) les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions " et qu'en vertu des dispositions de l'article 223 septies du même code, les personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés sont assujetties à une imposition forfaitaire annuelle ; qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention franco-britannique du 22 mai 1968 en matière d'impôts sur le revenu : " Les bénéfices industriels et commerciaux d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices industriels et commerciaux de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat, mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement stable. " ; que le paragraphe 1 de l'article 4 de la même convention stipule : " Au sens de la présente convention, l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité " ;
Considérant qu'en jugeant que le centre d'entraînement de Chantilly mis à la disposition de professionnels qui y préparent, pour la course, des chevaux appartenant à des personnes résidant à l'étranger, devait être regardé comme un établissement stable au sens de l'article 4 de la convention fiscale franco-britannique, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que la SOCIETE OVERSEAS THOROUGHBRED RACING STUD FARMS LTD ne disposait d'aucun personnel sur le site, à l'exception d'un gardien, et que les locaux du centre étaient dépourvus des équipements nécessaires à l'entraînement des chevaux, ce qui ne permettait pas de caractériser l'exercice d'une activité autre que celle de simple mise à disposition d'un bien immobilier, la cour a inexactement qualifié les faits ; que par suite, l'arrêt du 11 avril 2006 doit être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que la SOCIETE OVERSEAS THOROUGHBRED RACING STUD FARMS LIMITED n'exploite aucune entreprise en France au sens du I de l'article 209 du code général des impôts ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la seule mise à disposition de locaux, au profit de propriétaires de chevaux de course et de professionnels à leur service, ne permet pas de qualifier le centre d'entraînement de Chantilly d'établissement stable au sens de l'article 4 de la convention fiscale franco-britannique ; que, dès lors, aucune cotisation d'impôt sur les sociétés ne pouvait, sur le fondement des dispositions combinées du I de l'article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 3 de la loi du 28 décembre 1959, et des stipulations de l'article 6 de la convention fiscale franco-britannique, être mise à la charge de la SOCIETE OVERSEAS THOROUGHBRED RACING STUD FARMS LIMITED, à raison des bénéfices qu'elle tire du centre d'entraînement de Chantilly ; que par suite, c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que, sur le fondement de ces dispositions, la société requérante devait être assujettie à l'impôt sur les sociétés et à l'imposition forfaitaire annuelle au titre des exercices clos en 1992 et en 1993 ;
Considérant que le ministre, qui est en droit à tout moment de la procédure contentieuse, y compris lorsque la demande de substitution est présentée pour la première fois devant le Conseil d'Etat faisant application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de demander, pour justifier le bien-fondé d'une imposition, que soit substituée une base légale à celle qui a été primitivement invoquée, dès lors que cette substitution peut être faite sans priver le contribuable des garanties qui lui sont reconnues en matière de procédure d'imposition, entend se prévaloir de l'article 5 de la convention fiscale franco-britannique qui stipule: " 1. Les revenus qu'un résident d'un Etat contractant tire de biens immobiliers (y compris les revenus des exploitations agricoles ou forestières) situés dans l'autre Etat contractant, ainsi que les revenus tirés des droits attachés à ces biens sont imposables dans cet autre Etat (...) / 4. Les dispositions des paragraphes précédents s'appliquent également aux revenus provenant des biens immobiliers d'une entreprise ainsi qu'aux revenus des biens immobiliers servant à l'exercice d'une profession indépendante " ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la substitution de base légale demandée ne prive la société requérante d'aucune des garanties prévues par la loi en matière de procédure d'imposition ;
Considérant que si le ministre invoque l'article 5 de la convention fiscale franco-britannique en combinaison avec les dispositions du I de l'article 209 du code général des impôts dans sa rédaction issue de l'article 3 de la loi du 28 décembre 1959 et si la société requérante, société de capitaux de droit britannique, est imposable à l'impôt sur les sociétés en vertu du 1 de l'article 206 du même code, il résulte de l'instruction que les revenus nets immobiliers directement rattachables à l'exploitation du centre d'entraînement, au titre des exercices clos en 1992 et 1993, sont négatifs, sans que les variations des comptes de capitaux retracées dans les liasses fiscales déposées par la société au titre des exercices clos de 1987 à 1992 et regardées par l'administration fiscale comme un passif injustifié, aient une incidence sur la détermination du résultat de l'exploitation de cet immeuble ; que dès lors, en l'absence de revenus nets tirés du bien immobilier dont elle était propriétaire en France, aucune cotisation d'impot sur les sociétés et d'imposition forfaitaire annuelle ne pouvait être mise à la charge de la SOCIETE OVERSEAS THOROUGHBRED RACING STUD FARMS LIMITED au titre des exercices clos en 1992 et en 1993 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE OVERSEAS THOROUGHBRED RACING STUD FARMS LIMITED est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 18 décembre 2001, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et d'imposition forfaitaire annuelle qui lui ont été assignées au titre des exercices clos en 1992 et 1993 ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre des frais exposés par la SOCIETE OVERSEAS THOROUGHBRED RACING STUD FARMS LIMITED devant le Conseil d'Etat et les juges du fond et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 11 avril 2006 et le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 18 décembre 2001 sont annulés.
Article 2 : La SOCIETE OVERSEAS THOROUGHBRED RACING STUD FARMS LIMITED est déchargée de la cotisation d'impôt sur les sociétés qui lui a été assignée au titre de l'exercice clos en 1992 et de l'imposition forfaitaire annuelle mise à sa charge au titre des exercices clos en 1992 et 1993.
Article 3 : L'Etat versera à la SOCIETE OVERSEAS THOROUGHBRED RACING STUD FARMS LIMITED la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE OVERSEAS THOROUGHBRED RACING STUD FARMS LIMITED et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.