Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 juillet et 8 novembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la CAISSE INTERFEDERALE DE CREDIT MUTUEL, dont le siège est 32 rue Mirabeau à Le Relecq Kerhuon (29480) ; la CAISSE INTERFEDERALE DE CREDIT MUTUEL demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 2 mai 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer à concurrence de 30 737,73 euros sur ses conclusions en ce qui concerne les suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels la Compagnie Financière du Crédit Mutuel de Bretagne a été assujettie au titre des exercices clos en 1991 et 1992, a rejeté le surplus des conclusions de sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes du 21 novembre 2002 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la réduction des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquelles la Compagnie Financière du Crédit Mutuel de Bretagne a été assujettie au titre des exercices clos en 1990, 1991 et 1992 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Egerszegi, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la CAISSE INTERFEDERALE DE CREDIT MUTUEL,
- les conclusions de M. Emmanuel Glaser, Rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la CAISSE INTERFEDERALE DE CREDIT MUTUEL ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la CAISSE INTERFEDERALE DE CREDIT MUTUEL, anciennement dénommée Compagnie Financière du Crédit Mutuel de Bretagne, a acquis en 1989 respectivement 6,66 % (soit 155 millions de francs) et 12,98 % (soit 204,6 millions de francs) du capital de deux holdings de droit luxembourgeois Europarticipations et Europartiaire ayant pour activité le placement d'actifs financiers ; que, en 1990, 1991 et 1992, la Compagnie a perçu des dividendes de ces holdings qu'elle a retranchés de son bénéfice net imposable, déduction faite d'une quote-part de frais et charges, en se prévalant du régime de faveur prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts en faveur des sociétés mères ; qu'à l'issue de la vérification de comptabilité de la Compagnie portant sur les exercices clos en 1990, 1991 et 1992, l'administration fiscale a réintégré, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans la base imposable à l'impôt sur les sociétés des exercices vérifiés, le montant des dividendes en cause, au motif que la société avait participé à un montage délibéré ayant pour seul but la défiscalisation de ces dividendes ; que la CAISSE INTERFEDERALE DE CREDIT MUTUEL se pourvoit en cassation contre l'article 2 de l'arrêt du 2 mai 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, confirmant sur ce point le jugement du tribunal administratif de Rennes du 21 novembre 2002, a rejeté sa requête tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés restant en litige qui ont été assignés à la Compagnie Financière du Crédit Mutuel de Bretagne, au titre des exercices vérifiés, du fait de ce redressement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige: Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (...) / b. (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus (...) / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus font l'objet d'un rapport annuel. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use de la faculté qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, auraient normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ;
Considérant qu'en omettant de répondre au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que l'administration ne pouvait faire usage des pouvoirs qu'elle tient des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales dès lors que l'application du régime des sociétés mères aux dividendes litigieux ne permettait pas à la société requérante d'éluder l'impôt dans la mesure où elle restait passible du précompte en cas de redistribution des dividendes et qu'ainsi l'opération en cause ne pouvait être regardée comme ayant pour seul motif celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales, la cour a entaché sa décision d'une insuffisance de motivation ; que, par suite, l'article 2 de l'arrêt du 2 mai 2006 doit être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de statuer sur les conclusions principales de la CAISSE INTERFEDERALE DE CREDIT MUTUEL ;
Sur l'abus de droit :
Considérant que le ministre soutient, sans être sérieusement contredit, que les deux holdings de droit luxembourgeois Europarticipations et Europartiaire sont restées, au cours de leur période d'existence, sous l'entière dépendance de la Banque Internationale du Luxembourg, à l'origine de leur création en ce qui concerne tant leur gestion que leurs investissements, que la totalité de leurs actifs était constituée de valeurs mobilières, qu'elles n'avaient aucune compétence technique en matière de placements financiers, que leurs actionnaires ne prenaient aucune part aux assemblées statutaires et qu'ainsi ces sociétés étaient dépourvues de toute substance ; qu'en outre, la recherche d'un levier fiscal maximal est révélé d'une part, par l'absence quasi-totale de toute imposition au Luxembourg des bénéfices des holdings relevant de la loi du 31 juillet 1929 et d'autre part, par un taux de participation au capital de ces sociétés permettant de bénéficier du régime d'exonération des dividendes prévu en faveur des sociétés mères aux articles 145 et 216 du code général des impôts, tout en évitant l'imposition prévue à l'article 209 B de ce code sur les bénéfices des filiales détenues dans la proportion d'au moins 25 % et établies dans un Etat à fiscalité privilégiée ;
Considérant que la société soutient, pour écarter la qualification de l'abus de droit, que l'application du régime des sociétés mères aux dividendes litigieux ne permettait pas à la société d'éluder l'impôt dans la mesure où elle restait passible du précompte en cas de redistribution de ces dividendes et qu'ainsi l'opération en cause ne pouvait être regardée comme ayant pour seul motif d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales ;
Considérant toutefois qu'une opération dont l'intérêt fiscal est de différer une imposition a nécessairement pour effet de minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles de la société assujettie ;que, par ailleurs, le paiement du précompte, prévu jusqu'à sa suppression au 1er janvier 2005 par l'article 223 sexies du code général des impôts, n'était dû que lorsqu'il était procédé à la redistribution de dividendes qui n'avaient pas été assujettis au taux normal de l'impôt sur les sociétés et pouvait, en tout état de cause, être évité, en tout ou partie, en fonction de l'ordre d'imputation, défini au II bis de l'article 46 quater-0 D de l'annexe III au même code alors en vigueur, des dividendes distribués ; que, d'ailleurs, la société requérante ne conteste pas ne pas avoir opéré de redistribution des dividendes versés par les sociétés luxembourgeoises, au cours des exercices vérifiés ; qu'il résulte ainsi de l'absence d'imposition immédiate et de la maîtrise, par la société distributrice, de la gestion de son imposition les années ultérieures que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'application du régime mère-fille à ces dividendes ne lui permettait pas d'éluder l'impôt dû, au titre des exercices clos en 1990, 1991 et 1992, dans la mesure où elle restait passible du précompte en cas de redistribution de ces dividendes ; que, dans ces conditions, l'administration fiscale doit être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe de ce que la société, en acquérant une participation dans ces deux holdings luxembourgeoises, ne pouvait valablement justifier d'aucun intérêt autre que l'avantage fiscal qu'elle en retirait ;
Sur l'application des pénalités pour abus de droit :
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue du 1° du I de l'article 35 de la loi de finances rectificative pour 2008 : Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ; que pour les raisons indiquées ci-dessus, l'opération de défiscalisation des dividendes en cause doit être qualifiée d'abus de droit au regard des nouvelles dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; que par suite, la société est passible des pénalités prévues par l'article 1729 du code général des impôts ;
Considérant que le VI de l'article 35 de la loi de finances rectificative pour 2008 a substitué aux dispositions de l'article 1729 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige, qui prévoyaient une majoration de 80 p. 100 si le contribuable s'était rendu coupable d'abus de droit, les dispositions suivantes : Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : (...) / b. 80 % en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; elle est ramenée à 40 % lorsqu'il n'est pas établi que le contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire (...) ; ; que si le IX de l'article 35 de la loi de finances rectificative pour 2008 précise que cette réduction du taux des pénalités lorsqu'il n'est pas établi que le contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire, ne s'applique qu'aux propositions de rectification notifiées à compter du 1er janvier 2009, cette disposition ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à l'office du juge de l'impôt à qui il appartient, lorsqu'il détermine la loi applicable à la pénalité contestée devant lui, d'appliquer, en vertu du principe de nécessité des peines issu de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, aux agissements commis avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à des décisions passées en force de chose jugée, les dispositions les plus douces ;
Considérant, en premier lieu, que les dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts proportionnent la majoration qu'elles instituent au montant des sommes sur lesquelles portait l'infraction que la majoration vise à réprimer et au comportement du contribuable ; que la loi elle-même a ainsi assuré, dans une certaine mesure, la modulation des peines en fonction de la gravité des comportements réprimés ; que, d'autre part, il appartient au juge de l'impôt, saisi d'une contestation portant sur une sanction que l'administration fiscale inflige à un contribuable, de prendre une décision qui se substitue à celle de l'administration et, le cas échéant, de faire application d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle il statue ; que, par suite, compte tenu des pouvoirs dont il dispose ainsi pour contrôler une sanction de cette nature, le juge, qui se prononce sur la contestation dont il est saisi comme juge de plein contentieux, exerce un plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration pour appliquer la majoration et décide, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir la majoration, soit d'en prononcer la décharge ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts n'étaient pas compatibles avec les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales alors même qu'elles ne confèrent pas au juge un pouvoir de modulation des taux de l'amende qu'elles prévoient, doit être écarté ;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que, en souscrivant au capital des sociétés luxembourgeoises selon des modalités permettant à la fois de bénéficier du régime d'exonération des dividendes prévu en faveur des sociétés mères aux articles 145 et 216 du code général des impôts, tout en évitant l'imposition prévue à l'article 209 B de ce code sur les bénéfices des filiales détenues dans la proportion d'au moins 25 % et établies dans un Etat à fiscalité privilégiée, la Compagnie Financière du Crédit Mutuel de Bretagne doit être regardée comme ayant bénéficié, à titre principal, au sens du b) de l'article 1729 du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi de finances rectificative pour 2008, comme tous les autres associés français de ces holdings, de l'opération de défiscalisation des dividendes ; que par suite, le taux de 80 % a pu être légalement appliqué, au titre des pénalités pour abus de droit, à la société requérante ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la CAISSE INTERFEDERALE DE CREDIT MUTUEL n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignés, au titre des exercices clos en 1990, 1991 et 1992, du fait de la réintégration, dans les résultats imposables de la Compagnie Financière du Crédit Mutuel de Bretagne, des dividendes litigieux ;
Considérant qu'il convient de renvoyer l'affaire en ce qui concerne les conclusions présentées, à titre subsidiaire, par la CAISSE INTERFEDERALE DE CREDIT MUTUEL tendant à bénéficier de l'avoir fiscal au titre des dividendes distribués par les sociétés luxembourgeoises Europartiaire et Europarticipations ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à la CAISSE INTERFEDERALE DE CREDIT MUTUEL la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 de l'arrêt du 2 mai 2006 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nantes en tant qu'elle porte sur les conclusions présentées par la CAISSE INTERFEDERALE DE CREDIT MUTUEL tendant à bénéficier de l'avoir fiscal au titre des dividendes distribués par les sociétés luxembourgeoises Europartiaire et Europarticipations.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête présentée devant la cour administrative d'appel de Nantes et du pourvoi présenté devant le Conseil d'Etat par la CAISSE INTERFERALE DE CREDIT MUTUEL est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la CAISSE INTERFEDERALE DE CREDIT MUTUEL et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.