Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 août et 5 décembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD DE FRANCE, venant aux droits de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU NORD, et dont le siège est 10, avenue Foch BP 369 à Lille (59020) ; la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD DE FRANCE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 31 mai 2005 par lequel le tribunal administratif de Lille, saisi par la commune de Condé-sur-Escaut de la question préjudicielle soulevée par l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 17 octobre 2002 concernant la délibération du 8 novembre 1988 du conseil municipal de Condé-sur-Escaut, a déclaré que ladite délibération n'autorisait pas le maire de cette commune à cautionner l'ouverture de crédit consentie par la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU NORD à la SARL Cap-Condé-sur-Escaut ;
2°) à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Condé-sur-Escaut le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 modifiée, notamment son article 6-I ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Laurent Touvet, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Spinosi, avocat de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD DE FRANCE et de Me Jacoupy, avocat de la commune de Condé-sur-Escaut,
- les conclusions de M. François Séners, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que le maire de Condé-sur-Escaut a signé le 30 juin 1989 un contrat notarié dans lequel était notamment inclus l'octroi d'une caution de la commune aux dettes que la SARL Cap-Condé-sur-Escaut pourrait contracter par l'ouverture d'une ligne de crédit prévue pour 18 ans vis-à-vis de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL (CRCAM) DU NORD dans la limite de 8 millions de francs ; qu'appelée en garantie à la suite de la liquidation judiciaire de la société, la commune de Condé-sur-Escaut a fait valoir devant le juge judiciaire l'invalidité de l'engagement pris par son maire ; que la CRCAM NORD DE FRANCE, venant aux droits de la CRCAM DU NORD, fait appel du jugement du 31 mai 2005 par lequel le tribunal administratif de Lille, saisi par la commune de Condé-sur-Escaut de la question préjudicielle soulevée par l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 17 octobre 2002 concernant la portée de la délibération du 8 novembre 1988 du conseil municipal de Condé-sur-Escaut, a déclaré d'une part que la caution incluse dans le contrat du 30 juin 1989 portait sur l'ensemble des dettes que la SARL pourrait contracter dans le cadre d'une ouverture globale de crédit à elle consentie par la CRCAM et d'autre part que cette délibération n'autorisait pas le maire de cette commune à cautionner cette ouverture de crédit ;
Considérant qu'aux termes des trois premiers alinéas du I de l'article 6 de la loi du 2 mars 1982 dans sa rédaction alors en vigueur : Une commune ne peut accorder à une personne de droit privé une garantie d'emprunt ou son cautionnement que dans les conditions fixées au présent paragraphe. / Le montant total des annuités d'emprunts déjà garanties ou cautionnées à échoir au cours de l'exercice, majoré du montant de la première annuité entière du nouveau concours garanti, et du montant des annuités de la dette communale, ne peut excéder un pourcentage, défini par décret, des recettes réelles de la section de fonctionnement du budget communal ; le montant des provisions spécifiques constituées par la commune pour couvrir les garanties et cautions accordées, affecté d'un coefficient multiplicateur fixé par décret, vient en déduction du montant total défini au présent alinéa. / Le montant des annuités garanties ou cautionnées au profit d'un même débiteur, exigible au titre d'un exercice, ne doit pas dépasser un pourcentage, défini par décret, du montant total des annuités susceptibles d'être garanties ou cautionnées en application de l'alinéa précédent ;
Considérant qu'aux termes de la délibération du conseil municipal de Condé-sur-Escaut du 8 novembre 1988 : le conseil municipal accorde sa garantie communale à hauteur de 8 millions de francs à la société Captain/Condé pour le remboursement en principal, intérêts et accessoires de l'emprunt en écus d'un montant équivalent en francs français de 16 millions de francs moyennant le taux du marché pour une durée de 15 ans... / Monsieur le maire est : / autorisé à intervenir, au nom de la commune, à la souscription du contrat relatif à l'emprunt garanti, à hauteur de 8 millions de francs ; / chargé d'établir et signer la convention fixant, dans les relations entre la commune et l'emprunteur, les conditions d'exercice de la garantie et de mise en oeuvre des sûretés offertes, les modalités du contrôle exercé par la commune sur l'utilisation de l'emprunt et des mesures prises pour son remboursement, les modalités de paiement des avances éventuelles consenties en exécution de la garantie ;
Considérant que la cour d'appel de Douai a sursis à statuer dans l'attente de l'interprétation par le juge administratif de la portée de la délibération du 8 novembre 1988 ; qu'en analysant et en précisant, pour les interpréter, les notions employées par la délibération, le tribunal administratif n'est pas sorti du champ de la question posée par le juge judiciaire ;
Considérant qu'eu égard aux différences entre un prêt et une ouverture de crédit, le choix du conseil municipal de décider la garantie par la commune d'un emprunt au taux du marché pour une durée de quinze ans ne peut pas être regardé comme autorisant, ce qu'il n'aurait pas pu légalement faire, la garantie d'une ouverture d'une ligne de crédit bancaire, laquelle donne lieu à une succession de prêts, de durée variable et non programmée, qui entrent en application au fur et à mesure de l'utilisation de cette ligne ; qu'au surplus la durée pour laquelle la délibération du 8 novembre 1988 habilitait le maire à cautionner un emprunt était de quinze ans et non de dix-huit ans ; que par ailleurs le tribunal a exactement analysé la portée de l'acte du 30 juin 1989 en jugeant que le maire s'y était porté caution de l'ensemble des prêts susceptibles d'être octroyés par la CRCAM pour la réalisation de l'ouverture de crédit de 16 millions de francs consentie par cette banque à la SARL Cap-Condé-sur-Escaut ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la CRCAM NORD DE FRANCE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille, saisi par la commune de Condé-sur-Escaut de la question préjudicielle soulevée par l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 17 octobre 2002 concernant la délibération du 8 novembre 1988 du conseil municipal de Condé-sur-Escaut, a déclaré que cette délibération n'autorisait pas le maire de cette commune à cautionner l'ouverture de crédit consentie par la CRCAM DU NORD à la SARL Cap-Condé-sur-Escaut ; qu'en conséquence les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Condé-sur-Escaut une quelconque somme à ce titre ; qu'en revanche il y a lieu de mettre à la charge de la CRCAM NORD DE FRANCE le versement de la somme de 3 000 euros que la commune de Condé-sur-Escaut demande au même titre ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD DE FRANCE est rejetée.
Article 2 : La CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD DE FRANCE versera à la commune de Condé-sur-Escaut la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD DE FRANCE, à la commune de Condé-sur-Escaut et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.