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18/10/2006 | FRANCE | N°286736

France | France, Conseil d'État, 6eme et 1ere sous-sections reunies, 18 octobre 2006, 286736


Vu la requête, enregistrée le 8 novembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. et Mme X... A, demeurant ... ; M. et Mme A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet opposée par le ministre de la justice à leur demande du 31 décembre 2004 tendant au versement d'indemnités en réparation, d'une part, du préjudice matériel résultant du retard pris par l'Etat dans la nomination et l'installation de M. A en qualité de magistrat, d'autre part, des préjudices moraux subis par les deux époux du fait des condition

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Vu la requête, enregistrée le 8 novembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. et Mme X... A, demeurant ... ; M. et Mme A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet opposée par le ministre de la justice à leur demande du 31 décembre 2004 tendant au versement d'indemnités en réparation, d'une part, du préjudice matériel résultant du retard pris par l'Etat dans la nomination et l'installation de M. A en qualité de magistrat, d'autre part, des préjudices moraux subis par les deux époux du fait des conditions anormales de déroulement de la scolarité de M. A à l'Ecole nationale de la magistrature et notamment de son stage en juridiction ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser, à titre de dommages et intérêts, les sommes respectives de 152 918 euros pour M. A et de 10 000 euros pour Mme A, assorties des intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2004 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu enregistré le 26 septembre 2006, la note en délibérée présentée pour M. et Mme A ;

Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu la loi organique n°98-105 du 24 février 1998 portant recrutement exceptionnel de magistrats de l'ordre judiciaire et modifiant les conditions de recrutement des conseillers de cour d'appel en service extraordinaire ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Henrard, Maître des requêtes,

- les observations de la SCP Bachellier, Potier de la Varde, avocat de M. et Mme A,

- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. et Mme A demandent à l'État réparation, d'une part, des préjudices moraux résultant des conditions dans lesquelles a été organisée la formation de magistrat de M. A, d'autre part, du préjudice matériel résultant de la décision par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a différé son installation en qualité de magistrat d'une période de neuf mois et seize jours suivant sa sortie de l'Ecole nationale de la magistrature ;

Sur la responsabilité de l'État :

Considérant que M. A, admis au concours exceptionnel pour le recrutement de magistrats de tribunal de grande instance du second grade ouvert en 1999 en application de l'article 1er de la loi organique du 24 février 1998, a fait l'objet, au cours de sa scolarité à l'Ecole nationale de la magistrature, de trois affectations successives pour effectuer son stage en juridiction, les deux premières, à Nice et à Besançon, ayant été interrompues au bout de quelques jours en raison de l'opposition, respectivement, d'un des chefs de juridiction et de l'assemblée générale des magistrats du siège ; que le Conseil supérieur de la magistrature a émis, le 3 juin 2000, un avis défavorable en ce qui concerne le projet de nomination du requérant, à l'issue de sa scolarité, comme substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Tarbes ; que, par lettre du 15 septembre 2000, le garde des sceaux, ministre de la justice, l'a informé que, compte tenu de sa volonté de ne pas passer outre les avis du Conseil supérieur, il avait décidé de ne pas proposer sa nomination au Président de la République ; que, toutefois, à la suite du non-lieu prononcé le 24 octobre 2000, mettant fin à l'information judiciaire ouverte contre le requérant qui avait motivé le premier avis du Conseil supérieur de la magistrature, celui-ci a émis, le 14 mars 2001, un nouvel avis, favorable à la nomination de M. A en qualité de substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Metz ; que le requérant a été nommé magistrat par décret du 29 mars 2001 et installé dans ses fonctions le 19 avril 2001 ;

Considérant que le garde des sceaux, ministre de la justice, qui connaissait la situation de M. A dès le moment où il s'était porté candidat au concours, était tenu, dès lors qu'il l'avait admis à concourir, d'une part, de lui offrir un déroulement normal pour sa formation à l'Ecole nationale de la magistrature, s'agissant notamment de son stage en juridiction, d'autre part, de le placer, à l'issue de sa scolarité, dans une position statutaire régulière ou de le licencier ; qu'ainsi, en mettant le requérant dans l'impossibilité de poursuivre une formation initiale satisfaisante, puis en s'abstenant de proposer la nomination en qualité de magistrat de l'intéressé, dont la scolarité s'était achevée le 3 juillet 2000, au motif, au surplus entaché d'erreur de droit, qu'il avait renoncé à exercer son pouvoir d'appréciation et entendait suivre le sens de l'avis défavorable du Conseil supérieur de la magistrature, le garde des sceaux, ministre de la justice, a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'État ;

Sur les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral, au titre des conditions dans lesquelles s'est déroulée le stage en juridiction :

Considérant que l'impossibilité dans laquelle a été placé M. A de poursuivre sa formation dans des conditions normales, ainsi que les difficultés tant matérielles que psychologiques résultant pour lui-même et son épouse des trois changements d'affectation intervenus à l'occasion de son stage en juridiction, conduisent à retenir une indemnisation pour troubles dans les conditions d'existence et préjudice moral ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant l'Etat à verser une indemnité de 5 000 euros à M. A et de 2 000 euros à son épouse, y compris tous intérêts échus au jour de la présente décision ;

Sur le préjudice matériel, au titre du retard apporté à la nomination et à l'installation en qualité de magistrat :

Considérant qu'il n'est pas contesté que M. A s'est trouvé sans affectation pendant une durée de neuf mois et seize jours durant laquelle il avait vocation à occuper un emploi de magistrat ou, à tout le moins, à être placé dans une position régulière ; qu'il peut prétendre, à ce titre, à une indemnité correspondant à la rémunération qui eût été la sienne durant la même période, tenant compte de ses droits à pension ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, dans les circonstances de l'affaire, il sera fait une exacte appréciation du préjudice subi par M. A en condamnant l'État à lui verser une indemnité de 20 000 euros ; que le requérant a droit aux intérêts de cette somme à compter du jour de sa demande ;

Considérant en outre qu'il y a lieu, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'État le paiement à M. et Mme A de la somme de 3 000 euros au titre des frais que ceux-ci ont exposés et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision implicite de rejet opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice, à la demande du 31 décembre 2004 de M. et Mme A, tendant au versement d'indemnités, est annulée.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. A la somme de 25 000 euros qui, a concurrence de 20 000 euros, portera intérêt au taux légal à compter du 31 décembre 2004, ainsi qu'à Mme A la somme de 2 000 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à M. et Mme A une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme X... A et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 18 oct. 2006, n° 286736
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : Mme Hagelsteen
Rapporteur ?: M. Olivier Henrard
Rapporteur public ?: M. Guyomar
Avocat(s) : SCP BACHELLIER, POTIER DE LA VARDE

Origine de la décision
Formation : 6eme et 1ere sous-sections reunies
Date de la décision : 18/10/2006
Date de l'import : 04/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 286736
Numéro NOR : CETATEXT000008221916 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2006-10-18;286736 ?
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