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09/06/2006 | FRANCE | N°280411

France | France, Conseil d'État, 6eme et 1ere sous-sections reunies, 09 juin 2006, 280411


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 mai 2005 et 12 septembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le COMITÉ D'HYGIENE, DE SÉCURITÉ ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL DU PERSONNEL NAVIGANT D'AIR FRANCE, dont le siège est ... ; le COMITÉ D'HYGIENE, DE SÉCURITÉ ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL DU PERSONNEL NAVIGANT D'AIR FRANCE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2005 relatif à l'aptitude physique et mentale du personnel navigant technique de l'aéronautique civile ;

2°) de mett

re à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 mai 2005 et 12 septembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le COMITÉ D'HYGIENE, DE SÉCURITÉ ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL DU PERSONNEL NAVIGANT D'AIR FRANCE, dont le siège est ... ; le COMITÉ D'HYGIENE, DE SÉCURITÉ ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL DU PERSONNEL NAVIGANT D'AIR FRANCE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2005 relatif à l'aptitude physique et mentale du personnel navigant technique de l'aéronautique civile ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention du 7 décembre 1944 relative à l'aviation civile internationale ;

Vu la directive 92/85/CEE, du Conseil, du 19 octobre 1992 ;

Vu le code de l'aviation civile ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Richard Senghor, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat du COMITÉ D'HYGIENE, DE SÉCURITÉ ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL DU PERSONNEL NAVIGANT D'AIR FRANCE,

- les conclusions de M. Yann Aguila, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que LE COMITÉ D'HYGIENE, DE SÉCURITÉ ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL DU PERSONNEL NAVIGANT D'AIR FRANCE demande l'annulation de l'arrêté du 27 janvier 2005 qui établit les conditions d'aptitude physiques et mentales requises pour exercer les fonctions de personnel navigant technique de l'aéronautique civile ;

Sur le moyen tiré de l'incompétence des auteurs de l'arrêté du 27 janvier 2005 :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 410-1 du code de l'aviation civile : « Le commandant, les pilotes, les mécaniciens et toute personne faisant partie du personnel chargé de la conduite d'un aéronef doivent être pourvus de titres aéronautiques et de qualifications dans des conditions déterminées par arrêté du ministre chargé de l'aviation civile et, le cas échéant, du ministre de la défense » ; qu'il appartenait aux autorités ainsi désignées de prendre par arrêté les dispositions relatives aux conditions d'aptitude physique et mentale du personnel navigant technique de l'aéronautique civile ; que l'arrêté attaqué a pour auteurs le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer et le ministre de la défense ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence des auteurs de l'arrêté attaqué doit être écarté ;

Sur le moyen tiré du défaut de consultation du conseil médical de l'aéronautique civile et du conseil du personnel navigant professionnel :

Considérant qu'il n'est pas contesté que le conseil médical de l'aéronautique civile et le conseil du personnel navigant professionnel ont été régulièrement saisis ; que le premier a fait connaître son avis successivement les 5 juin et 27 novembre 2002 ; que le second, dont la consultation n'était pas obligatoire, a également fait connaître son avis lors de séances qui se sont tenues le 28 juin 2002 et le 16 juin 2004 ;

Considérant que, si le requérant soutient que le délai écoulé entre le recueil de l'avis de ces deux conseils et l'intervention de l'arrêté attaqué est excessif, il n'allègue aucun changement de situation de nature à rendre nécessaire une nouvelle consultation de ces instances ; que, dès lors, le moyen tiré de l'irrégularité des consultations du conseil médical de l'aéronautique civile et du conseil du personnel navigant professionnel, doit être écarté ;

Sur le moyen tiré du défaut de consultation du conseil supérieur de la prévention des risques professionnels :

Considérant que l'article R. 231 ;14 du code du travail prévoit que le conseil supérieur de la prévention des risques professionnels participe à l'élaboration de la politique nationale de prévention des risques professionnels et qu'il est consulté notamment sur les projets de règlements pris en application des dispositions législatives des titres III et IV du livre II du code du travail, à l'exception de ceux qui concernent exclusivement les professions agricoles ; que la circonstance que certaines des mesures prévues par l'arrêté du 27 janvier 2005 seraient susceptibles d'avoir une incidence sur l'activité des médecins appartenant aux services de santé au travail, dont l'organisation et les compétences sont définies au titre IV du livre II du code du travail, n'est pas de nature à faire regarder l'arrêté du 27 janvier 2005 comme ayant été pris en application des dispositions législatives des titres III et IV du livre II du code du travail, au sens de l'article R. 231 ;14 du même code ; qu'ainsi, les questions traitées par l'arrêté du 27 janvier 2005 ne sont pas au nombre de celles sur lesquelles le ministre était tenu de recueillir l'avis du conseil supérieur de la prévention des risques professionnels en vertu de l'article R. 231 ;14 du code du travail ; que, dès lors, le moyen tiré de l'absence de consultation de ce conseil doit être écarté ;

Sur le moyen tiré de la violation des articles 5 et 6 de la directive 92/85/CEE, du Conseil, du 19 octobre 1992 et des articles L. 122-25-1-1 et 2 du code du travail :

Considérant qu'en vertu des article L. 122-25-1-1 et 2 du code du travail qui ont transposé les articles 5 et 6 de la directive 92/85/CEE, du Conseil, du 19 octobre 1992, l'employeur doit faire bénéficier la salariée en état de grossesse médicalement constaté d'un ensemble de protections, notamment en matière d'aménagement de poste de travail, voire de changement de poste, si celui qu'elle occupe, est incompatible avec son état ;

Considérant que l'arrêté attaqué, qui établit une réglementation spécifique relative à l'aptitude physique et mentale de certains personnels navigants, prévoit que toute femme enceinte doit s'abstenir d'exercer ses fonctions de personnel navigant et que la survenue d'une grossesse entraîne automatiquement une inaptitude temporaire ; qu'aux termes de l'annexe de l'arrêté attaqué, paragraphe FCL 3.040 : « (d) Tout(e) détentrice d'un certificat médical délivré conformément au présent arrêté, qui se sait (…) enceinte, doit s'abstenir d'exercer ses fonctions. (…) - en cas de grossesse, la suspension peut être levée par le centre d'expertise de médecine aéronautique pour la période et sous les conditions qui paraîtront appropriées » ; qu'aux termes du paragraphe 1, appendice 8, de la sous-partie B : « 1. Après avoir pris connaissance du bilan obstétrical, le centre d'expertise de médecine aéronautique peut accorder un certificat d'aptitude aux femmes enceintes pour les 26 premières semaines de leur grossesse. Le centre d'expertise de médecine aéronautique remettra à la candidate et au médecin traitant une information écrite sur les particularités liées au vol, leur incidence possible sur la grossesse, et les complications significatives potentielles (…) » ; que cette décision peut faire l'objet d'un recours devant le conseil médical de l'aéronautique civile ;

Considérant que ces dispositions établissent que la suspension d'activité demeure la règle de principe pour toute femme enceinte ; qu'il peut toutefois y être dérogé sous le contrôle du centre d'expertise de médecine aéronautique et que celui-ci est tenu de délivrer une information spécifique tant auprès de l'intéressée que de son médecin traitant ; que ces dispositions élaborées pour tenir compte des spécificités et des risques propres à la navigation aérienne n'ont pas pour objet et ne pouvaient avoir légalement pour effet de déroger aux règles fixées par le code du travail, et, en particulier, de contraindre une salariée enceinte à exercer son activité professionnelle dans des conditions incompatibles avec son état de grossesse ; que, dès lors, le moyen tiré de la violation des articles 5 et 6 de la directive du 19 octobre 1992 et des articles L. 122-25-1-1 et 2 du code du travail doit être écarté ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article R. 231-77 du code du travail :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 231-77 du code du travail relatif à la protection contre l'exposition aux risques dûs aux rayonnements ionisants : « I. - En cas de grossesse, les dispositions sont prises pour que l'exposition, dans son emploi, de la femme enceinte soit telle que l'exposition de l'enfant à naître, pendant le temps qui s'écoule entre la déclaration de la grossesse et le moment de l'accouchement, soit aussi faible que raisonnablement possible, et en tout état de cause en dessous de 1 mSv. » ;

Considérant que l'arrêté du 8 décembre 2003, fixant les modalités de mise en oeuvre de la protection contre les rayonnements ionisants des travailleurs affectés à l'exécution de tâches à bord des aéronefs en vol, renvoie expressément aux dispositions du code du travail s'agissant de la protection des femmes enceintes ; que, dès lors, le requérant ne peut soutenir utilement que l'arrêté attaqué serait contraire au code du travail ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique : « Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tout professionnel de santé, ainsi qu'à tous les professionnels intervenant dans le système de santé (…) » ;

Considérant que l'arrêté attaqué prévoit la transmission du dossier médical des personnels navigants par le centre d'expertise de médecine aéronautique au bureau médical du personnel navigant dont l'ensemble des personnels sont astreints au secret médical ; qu'en cas d'examen d'aptitude, notamment mentale, le centre d'expertise de médecine aéronautique se borne à délivrer ou à refuser le certificat médical, lequel ne comporte aucune information de nature à trahir le secret médical ; que ces dispositions, qui protègent le secret des informations médicales relatives au personnel navigant, sont conformes à l'article L. 1110-4 du code de la santé publique ;

Sur le moyen tiré de ce que la délivrance d'un certificat d'aptitude à une femme enceinte compromet la sécurité des autres membres de l'équipage et des passagers :

Considérant que l'objectif de sécurité constitue le fondement de la réglementation attaquée, laquelle résulte d'une harmonisation des réglementations internationales en matière d'aptitude médicale ; qu'ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, la règle générale est que toute femme appartenant au personnel navigant technique qui se sait enceinte, est tenue de cesser ses fonctions ; que c'est sur avis et sous contrôle médical du centre d'expertise de médecine aéronautique et du bureau médical du personnel navigant que peut être levée par dérogation cette suspension d'activité ; que ce contrôle d'aptitude prend nécessairement en compte la capacité du personnel concerné à respecter et faire respecter l'ensemble des règles de sécurité applicables aux aéronefs en vol, condition inhérente à l'exercice même de ses fonctions professionnelles ; que, dès lors, le requérant ne saurait se prévaloir de ce que les auteurs de l'arrêté attaqué ont prévu cette possibilité de dérogation, pour en déduire que sa mise en oeuvre compromettrait la sécurité des autres membres de l'équipage et des passagers ;

Sur le moyen tiré de ce que le principe de la responsabilité personnelle des personnels navigants en matière d'appréciation de leur propre aptitude physique et mentale à exercer leur activité professionnelle est disproportionné au regard de la réglementation en vigueur :

Considérant que l'annexe 1 à la convention de Chicago du 7 décembre 1944 relative à l'aviation civile internationale prévoit que les personnels navigants doivent cesser leurs fonctions dès lors qu'ils ressentent une diminution quelconque de leur aptitude qui les mettent dans l'incapacité d'exercer leur activité correctement et en sécurité, et qu'il en va de même s'ils font usage de substances psychoactives ou de toute substance de nature à créer un problème ;

Considérant que les dispositions figurant au paragraphe FCL 3.040 et 3.115 de l'arrêté attaqué prévoient que tout personnel navigant détenteur d'un certificat médical, dès lors qu'il est conscient de son inaptitude à remplir son activité professionnelle en toute sécurité, doit l'interrompre ; qu'il lui appartient, en outre, de vérifier que la prise de tout médicament ou le suivi de tout traitement médical n'est pas incompatible avec son activité ; qu'en cas de doute il peut demander l'avis du centre d'expertise de médecine aéronautique ; que dans leurs principes, ces dispositions ne font que reprendre les stipulations de l'annexe 1 à la convention de Chicago du 7 décembre 1944 relative à l'aviation civile internationale ; que les modalités de mise en oeuvre retenues par l'arrêté attaqué ne font que tirer les conséquences de ces stipulations ; que, dès lors, le moyen soulevé est inopérant ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le COMITÉ D'HYGIENE, DE SÉCURITÉ ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL DU PERSONNEL NAVIGANT D'AIR FRANCE n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 27 janvier 2005 ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande le COMITÉ D'HYGIENE, DE SÉCURITÉ ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL DU PERSONNEL NAVIGANT D'AIR FRANCE au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : La requête du COMITÉ D'HYGIENE, DE SÉCURITÉ ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL DU PERSONNEL NAVIGANT D'AIR FRANCE est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au COMITÉ D'HYGIENE, DE SÉCURITÉ ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL DU PERSONNEL NAVIGANT D'AIR FRANCE, au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer et au ministre de la défense.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 09 jui. 2006, n° 280411
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : Mme Hagelsteen
Rapporteur ?: M. Richard Senghor
Rapporteur public ?: M. Aguila
Avocat(s) : SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN

Origine de la décision
Formation : 6eme et 1ere sous-sections reunies
Date de la décision : 09/06/2006
Date de l'import : 04/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 280411
Numéro NOR : CETATEXT000008224067 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2006-06-09;280411 ?
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