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15/03/2006 | FRANCE | N°262231

France | France, Conseil d'État, 10eme et 9eme sous-sections reunies, 15 mars 2006, 262231


Vu la requête, enregistrée le 28 novembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Mohamed A, demeurant ... à Villeurbanne (69100) ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 septembre 2003 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 13 novembre 2002 par laquelle le consul général de France à Annaba (Algérie) a refusé de lui délivrer un visa d'entrée et de court séjour en France ;



2°) d'enjoindre sous astreinte au consul général de France à Annaba de dé...

Vu la requête, enregistrée le 28 novembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Mohamed A, demeurant ... à Villeurbanne (69100) ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 septembre 2003 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 13 novembre 2002 par laquelle le consul général de France à Annaba (Algérie) a refusé de lui délivrer un visa d'entrée et de court séjour en France ;

2°) d'enjoindre sous astreinte au consul général de France à Annaba de délivrer le visa demandé ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leur famille ;

Vu l'ordonnance n° 45 ;2658 du 2 novembre 1945, modifiée ;

Vu le décret n° 2000-1093 du 10 novembre 2000 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Edouard Geffray, Auditeur,

- les conclusions de Mlle Célia Verot, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. A demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 18 septembre 2003 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé la décision du consul général de France à Annaba lui refusant un visa d'entrée et de court séjour sur le territoire français ;

Considérant que M.A, de nationalité algérienne, est né en France en 1961 et a été condamné en 1979 alors qu'il était mineur, pour des infractions ayant entraîné son expulsion du territoire français ; que revenu irrégulièrement en France, il a été condamné le 19 janvier 1982 par la cour d'assises du Rhône à six ans de réclusion criminelle pour viol ; que renvoyé en Algérie le 26 mai 1987, il est revenu clandestinement en France où il a été de nouveau condamné à six mois d'emprisonnement pour des actes de violences avec arme ; que le tribunal administratif de Lyon a relevé que M.A a toujours vécu en France où demeurent ses parents et ses frères et soeurs, à l'exception de deux brefs séjours en Algérie, pays dont il ne parle pas la langue, qu'il vit maritalement avec une ressortissante française et n'a pas depuis 1988 fait l'objet de condamnations de nature à porter atteinte à l'ordre public pour en déduire, dans un jugement en date du 2 avril 2002, devenu définitif, que le refus du préfet du Rhône d'abroger la mesure d'expulsion, compte tenu des circonstances de l'espèce et eu égard à l'ancienneté des faits qui lui sont reprochés, portait au droit au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; qu'en exécution de ce jugement, le ministre de l'intérieur a abrogé le 5 juillet 2002 l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre de l'intéressé ; que celui-ci a sollicité, à la suite de cette abrogation, un visa d'entrée et de court séjour en France ; que le consul général de France à Annaba lui a refusé ce visa ; que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a confirmé ce refus pour un motif tiré de la protection de l'ordre public ;

Considérant que si, à la suite de l'abrogation d'un arrêté d'expulsion décidée après l'annulation d'un refus d'abroger cet arrêté, les autorités consulaires ne sont pas nécessairement tenues de délivrer un visa d'entrée et de séjour en France, il leur appartient toutefois, saisies d'une demande en ce sens, d'apprécier la situation du demandeur en tenant compte tant de la situation de droit et de fait existant à la date de leur décision que du motif qui a fondé l'annulation de refus d'abroger l'arrêté d'expulsion ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France a refusé à M. A le visa sollicité sans relever depuis 2002 de changement dans la situation de droit et de fait de l'intéressé, qui a d'ailleurs épousé en 2004 la personne avec laquelle il vivait maritalement, et sans tenir compte du motif de la décision juridictionnelle annulant le refus d'abrogation de la mesure d'expulsion ; que, dans ces conditions, elle a commis une erreur de droit qui, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, l'a conduit à méconnaître les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que M. A est par suite fondé à demander l'annulation de la décision attaquée ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

Considérant que, eu égard aux motifs de la présente décision, l'exécution de celle-ci implique normalement la délivrance d'un visa à M. A ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que sa situation ait été modifiée, en fait ou en droit, depuis l'intervention de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France dans des conditions telles que la demande de visa serait devenue sans objet ou que des circonstances postérieures à la date de cette décision permettraient désormais de fonder légalement une nouvelle décision de rejet ; que dès lors, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de prescrire à l'autorité compétente de délivrer à M. A dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, un visa d'entrée et de court séjour en France ; que dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A d'une somme de 1500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : La décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa en date du 18 septembre 2003 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au ministre des affaires étrangères de délivrer à M. A dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, un visa d'entrée et de court séjour en France.

Article 3 : L'Etat versera à M. A une somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Mohamed A et au ministre des affaires étrangères.


Synthèse
Formation : 10eme et 9eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 262231
Date de la décision : 15/03/2006
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-02-06 ÉTRANGERS. - EXPULSION. - ABROGATION. - ABROGATION D'UN ARRÊTÉ D'EXPULSION DÉCIDÉE APRÈS ANNULATION DU REFUS DE L'ABROGER - CONSÉQUENCES SUR L'APPRÉCIATION DE LA DEMANDE DE VISA - CRITÈRES D'APPRÉCIATION DEVANT ÊTRE PRIS EN COMPTE PAR LES AUTORITÉS CONSULAIRES - SITUATION DE DROIT ET DE FAIT EXISTANT À LA DATE DE LA DÉCISION ET MOTIF AYANT FONDÉ L'ANNULATION DU REFUS D'ABROGER L'ARRÊTÉ D'EXPULSION.

335-02-06 Si, à la suite de l'abrogation d'un arrêté d'expulsion décidée après l'annulation d'un refus d'abroger cet arrêté, les autorités consulaires ne sont pas nécessairement tenues de délivrer un visa d'entrée et de séjour en France, il leur appartient toutefois, saisies d'une demande en ce sens, d'apprécier la situation du demandeur en tenant compte tant de la situation de droit et de fait existant à la date de leur décision que du motif qui a fondé l'annulation du refus d'abroger l'arrêté d'expulsion.


Publications
Proposition de citation : CE, 15 mar. 2006, n° 262231
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: M. Edouard Geffray
Rapporteur public ?: Mlle Verot

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:262231.20060315
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