Vu la requête, enregistrée le 14 juin 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SA ETABLISSEMENTS LOUIS X..., dont le siège est B.P. 202 Parc d'Activités de Fonteneau à Montélimar (26205), la SOCIETE TRANSPORTS LOHEAC DE L'OUEST PARISIEN, dont le siège est B.P. 1114 chemin départemental à Saint-Marcel (27950), la SOCIETE TRANSPORTS FAYOLLE-LECUE S.A.S., dont le siège est B.P. 445 ..., la SOCIETE GROUPE NASSE DEMECO, dont le siège est B.P. 65 ..., la SOCIETE GROUPE MULTI TRANSPORTS, dont le siège est ..., la SOCIETE TRANSPORTS BREGER, dont le siège est B.P. 4229 ..., et la SOCIETE TRANSPORTS AMBROISE BOUVIER, dont le siège est R.N. 12 Mégaudais à Saint-Pierre-des-Landes (53500) ; la SA ETABLISSEMENTS LOUIS X... ET AUTRES demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'instruction du 27 février 2001 (3 A-4-01) du secrétaire d'Etat au budget en tant qu'elle précise, en conséquence de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 12 septembre 2000, les règles applicables, avant le 1er janvier 2001, aux usagers des ouvrages de circulation routière ;
2°) d'annuler la lettre du 27 février 2001 par laquelle le secrétaire d'Etat au budget a informé le délégué général de la fédération nationale des transports routiers de ce que les usagers redevables de la taxe sur la valeur ajoutée ne pourront prétendre au remboursement de la taxe afférente aux péages qu'ils ont acquittés avant le 1er janvier 2001 ;
3°) d'annuler la lettre du 15 janvier 2003 par laquelle le directeur de la législation fiscale a informé le président du comité des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes de ce que les sociétés concessionnaires d'autoroutes ne sont pas fondées à délivrer des factures rectificatives faisant apparaître la taxe sur la valeur ajoutée acquittée par les usagers avant le 1er janvier 2001 ;
4°) d'enjoindre au ministre chargé du budget de prendre, dans le délai de trois mois à compter de la notification de la décision à intervenir, une instruction selon laquelle les usagers réalisant des opérations ouvrant droit à déduction peuvent récupérer la taxe sur la valeur ajoutée qui leur a été facturée à raison des péages autoroutiers qu'ils ont acquittés entre le 1er janvier 1996 et le 31 décembre 2000, pour les montants qu'ils auront eux-mêmes calculés à partir des factures en leur possession ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et son premier protocole additionnel ;
Vu la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, et la décision C-276/97 du 12 septembre 2000 de la Cour de justice des Communautés européennes ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi de finances rectificative n° 2000-1353 du 30 décembre 2000, notamment le I et le VII de son article 2 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Yohann Bénard, Auditeur,
- les observations de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la SA ETABLISSEMENTS LOUIS X... ET AUTRES,
- les conclusions de M. Laurent Olléon, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par une décision du 12 septembre 2000 rendue sur un recours en manquement, la Cour de justice des Communautés européennes a jugé contraires aux dispositions des articles 2 et 4 de la sixième directive du 17 mai 1977 les dispositions du code général des impôts desquelles il résultait que n'étaient pas imposables à la taxe sur la valeur ajoutée les péages perçus en contrepartie de l'utilisation d'ouvrages de circulation routière, dans la mesure où ce service n'était pas fourni par un organisme de droit public agissant en qualité d'autorité publique ; que le I de l'article 2 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2000 a abrogé, à compter du 1er janvier 2001, les dispositions du 1-h de l'article 266 du code général des impôts et de l'article 273 ter du même code instaurant un régime spécifique de taxe sur la valeur ajoutée consistant à imposer les concessionnaires d'autoroutes sur la seule fraction des péages conservée en rémunération des prestations de construction et de gestion des autoroutes rendues à l'Etat et à interdire la déduction par ces concessionnaires de la taxe afférente aux travaux de construction et aux grosses réparations des ouvrages concédés ; que le VII du même article dispose : Les exploitants d'ouvrages de circulation routière dont les péages sont soumis à la taxe sur la valeur ajoutée peuvent formuler des réclamations contentieuses tendant à l'exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant, le cas échéant, grevé à titre définitif les travaux de construction et de grosses réparations qu'ils ont réalisés à compter du 1er janvier 1996 au titre d'ouvrages mis en service avant le 12 septembre 2000./ Le montant restitué est égal à l'excédent de la taxe sur la valeur ajoutée qui a ainsi grevé les travaux sur la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux péages qui n'a pas été acquittée du 1er janvier 1996 au 11 septembre 2000 ; que, par une instruction du 27 février 2001, publiée au bulletin officiel des impôts 3 A-4-01 du 16 mars 2001, le secrétaire d'Etat au budget a précisé les modalités de mise en oeuvre de ces dispositions applicables aux exploitants d'ouvrages de circulation routière à péage, ainsi que les conditions dans lesquelles les usagers peuvent déduire la taxe supportée ; que, par un courrier adressé le 27 février 2001 au délégué général de la fédération nationale des transports routiers, le secrétaire d'Etat au budget a précisé que les entreprises de transport routier sont autorisées à déduire dans les conditions de droit commun la taxe qu'elles supportent depuis le 1er janvier 2001, mais ne peuvent se voir rembourser la taxe à laquelle les services qu'elles ont utilisés n'ont pas été soumis ; que, par un courrier du 15 janvier 2003, adressé au nom du ministre au président du comité des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes, le directeur de la législation fiscale a indiqué qu'à l'exception de celles qui ont sollicité et obtenu une restitution de taxe conformément aux dispositions du VII de l'article 2 de la loi du 30 décembre 2000, les sociétés concessionnaires ne sont pas fondées à délivrer des factures rectificatives faisant apparaître la taxe sur la valeur ajoutée au titre des péages acquittés avant le 1er janvier 2001 ; que la SA ETABLISSEMENTS LOUIS X... ET AUTRES demandent l'annulation de cette instruction et de ces deux courriers, en tant qu'ils précisent le régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable par les concessionnaires aux usagers des ouvrages de circulation routière à péage au titre de la période antérieure au 1er janvier 2001 ;
Sur les conclusions relatives à l'instruction 3 A-4-01 du 27 février 2001 :
Considérant que l'instruction attaquée précise notamment les conditions dans lesquelles les usagers des ouvrages de circulation routière pourront exercer leur droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les péages acquittés à compter du 1er janvier 2001, mais ne comporte, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, aucune prescription relative à l'exercice de ce droit au titre de la période antérieure ; que, par suite, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie est fondé à opposer, pour ce motif, une fin de non-recevoir aux conclusions de la requête tendant à l'annulation de l'instruction du 27 février 2001 en tant qu'elle concernerait l'exercice du droit à déduction par les usagers des ouvrages de circulation routière à péage au titre de la période antérieure au 1er janvier 2001 ;
Sur les conclusions relatives à la lettre du secrétaire d'Etat au budget en date du 27 février 2001 :
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie :
Considérant que les prescriptions indivisibles du courrier adressé le 27 février 2001 au délégué général de la fédération nationale des transports routiers, selon lesquelles les transporteurs routiers ne peuvent obtenir le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée au titre des péages acquittés avant le 1er janvier 2001, présentent le caractère d'une décision faisant grief ; que, par suite, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie n'est pas fondé à opposer une fin de non-recevoir aux conclusions de la SA ETABLISSEMENTS LOUIS X... ET AUTRES tendant à l'annulation de cette lettre ;
Sur la légalité de la décision attaquée :
Considérant, en premier lieu, que les dispositions des articles 266-1-h et 273 ter du code général des impôts, en vigueur jusqu'à leur abrogation par la loi de finances rectificative du 30 décembre 2000, prévoient un régime spécifique de taxe sur la valeur ajoutée consistant à imposer les concessionnaires d'autoroutes sur la seule fraction des péages conservée en rémunération des prestations de construction et de gestion des autoroutes rendues à l'Etat et, corrélativement, à interdire la déduction par ces concessionnaires de la taxe afférente aux travaux de construction et aux grosses réparations des ouvrages concédés ; que ces dispositions ne sont pas conformes aux objectifs des articles 2 et 4 de la sixième directive du 17 mai 1977, desquels il résulte que les péages perçus par les sociétés concessionnaires d'autoroutes constituent la contrepartie directe des prestations fournies par ces sociétés aux usagers de ces ouvrages et doivent être regardés non pas comme des recettes fiscales, mais comme le prix d'une prestation de services soumise à la taxe sur la valeur ajoutée ; qu'il y a lieu, dès lors, d'écarter l'application des dispositions des articles 266-1-h et 273 ter du code général des impôts pendant la période antérieure au 1er janvier 2001 ; qu'il suit de là que les péages perçus durant cette période par les sociétés concessionnaires d'autoroutes sont soumis à la taxe sur la valeur ajoutée, en application des dispositions du I de l'article 256 du code général des impôts ; que, contrairement à ce que soutient le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, les dispositions du VII de l'article 2 de la loi du 30 décembre 2000, qui doivent être interprétées d'une manière compatible avec les dispositions des articles 2 et 4 de la sixième directive, ne sauraient faire obstacle à l'assujettissement des péages à la taxe du seul fait que les sociétés concessionnaires d'autoroutes n'avaient pas obtenu, à leur demande, un remboursement de taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement des dispositions de la loi du 30 décembre 2000 ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 271 du code général des impôts : 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable ; qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, les péages versés aux sociétés concessionnaires d'autoroutes avant le 1er janvier 2001 doivent être regardés comme ayant été soumis à la taxe sur la valeur ajoutée ; que, dans ces conditions, les dispositions précitées de l'article 271 du code général des impôts ouvrent aux transporteurs routiers assujettis à cette taxe le droit de déduire, sous réserve des conditions relatives à l'exercice du droit à déduction et tenant notamment à la détention de factures, la taxe exigible au titre de ces péages, dont le montant doit être déterminé dans les conditions prévues aux articles 266 et suivants du même code, desquels il résulte que l'assiette imposable est constituée du prix de ces péages, diminué de la taxe exigible ; que, contrairement à ce que soutient le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la circonstance que la taxe sur la valeur ajoutée n'aurait pas été acquittée par les sociétés concessionnaires d'autoroutes au titre des péages perçus avant le 1er janvier 2001 ne saurait faire obstacle à l'exercice du droit à déduction, qui est subordonné par les dispositions précitées du 2 de l'article 271 du code général des impôts à l'exigibilité de la taxe, et non à son versement effectif par le redevable ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autre moyens dirigés contre cette décision, que la lettre du 27 février 2001 du secrétaire d'Etat au budget, en refusant par principe la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux péages acquittés avant le 1er janvier 2001, méconnaît la portée des dispositions des articles 256 et 271 du code général des impôts et doit être annulée ;
Sur les conclusions relatives au courrier du directeur de la législation fiscale en date du 15 janvier 2003 :
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie :
Considérant qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 271 du code général des impôts et de l'article 223-1 de l'annexe II au même code que la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'opérations imposables est déductible, dans le cas de services facturés à l'entreprise, de la taxe à laquelle celle-ci est assujettie à raison des opérations en cours, à condition que les factures mentionnent cette taxe ; que, par suite, les dispositions du courrier du directeur de la législation fiscale en date du 15 janvier 2003, selon lesquelles les sociétés concessionnaires d'autoroutes ne sont pas fondées à délivrer des factures rectificatives mentionnant la taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier 1996 au 31 décembre 2000, doivent être regardées, bien qu'elles soient destinées à ces sociétés, comme pénalisant directement les entreprises de transport routier susceptibles de demander la production de telles factures en vue d'obtenir la déduction de la taxe supportée au titre de cette période ; que les sociétés requérantes justifient, par suite, d'un intérêt leur donnant qualité pour agir contre cette lettre, qui constitue une décision faisant grief ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la SA ETABLISSEMENTS LOUIS X... ET AUTRES sont recevables à demander l'annulation de la décision du 15 janvier 2003 du directeur de la législation fiscale ;
Sur la légalité de la décision attaquée :
Considérant qu'aux termes du I de l'article 289 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : Tout assujetti doit délivrer une facture ou un document en tenant lieu pour les biens livrés ou les services rendus à un autre assujetti ou à une personne morale non assujettie, ainsi que pour les acomptes perçus au titre de ces opérations lorsqu'ils donnent lieu à exigibilité de la taxe ; qu'aux termes du II du même article : La facture ou le document en tenant lieu doit faire apparaître : / 1°) par taux d'imposition, le total hors taxe et la taxe correspondante mentionnés distinctement (…) ; qu'il résulte de ces dispositions, combinées avec les dispositions précitées du VII de l'article 2 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2000, que les sociétés concessionnaires d'autoroutes, dès lors que la taxe sur la valeur ajoutée est exigible au titre des péages acquittés par les transporteurs routiers assujettis à cette imposition, doivent délivrer à ces derniers, à leur demande, une facture mentionnant la taxe exigible ; que par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre cette décision, la lettre du 15 janvier 2003 du directeur de la législation fiscale, selon laquelle ces sociétés ne sont pas fondées à délivrer des factures rectificatives comportant cette mention aux transporteurs routiers au titre de la période antérieure au 1er janvier 2001, est contraire aux dispositions précitées du code général des impôts, et doit être annulée ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
Considérant que la présente décision, qui prononce l'annulation de la décision du 27 février 2001 du secrétaire d'Etat au budget et de la décision du 15 janvier 2003 du directeur de la législation fiscale, n'implique pas que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie prenne une instruction ; que, par suite, les conclusions aux fins d'injonction, présentées par la SA ETABLISSEMENTS LOUIS X... ET AUTRES sur le fondement des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de ces dispositions, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 4 000 euros que demandent la SA ETABLISSEMENTS LOUIS X... ET AUTRES au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La décision en date du 27 février 2001 du secrétaire d'Etat au budget est annulée.
Article 2 : La décision du 15 janvier 2003 du directeur de la législation fiscale est annulée.
Article 3 : L'Etat versera à la SA ETABLISSEMENTS LOUIS X... ET AUTRES la somme globale de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SA ETABLISSEMENTS LOUIS X... ET AUTRES est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SA ETABLISSEMENTS LOUIS X..., à la SOCIETE TRANSPORTS LOHEAC DE L'OUEST PARISIEN, à la SOCIETE TRANSPORTS FAYOLLE-LECUE S.A.S., à la SOCIETE GROUPE NASSE DEMECO, à la SOCIETE GROUPE MULTI TRANSPORTS, à la SOCIETE TRANSPORTS BREGER, à la SOCIETE TRANSPORTS AMBROISE BOUVIER et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.