Vu la requête sommaire, le mémoire et les observations complémentaires, enregistrés les 24 avril 2003, 18 juillet 2003 et 5 avril 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE, représentée par son représentant légal en exercice, qui a élu domicile en cette qualité au cabinet de Me Hervé X..., ... ; la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 14 février 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, faisant partiellement droit à l'appel formé par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie à l'encontre du jugement du 9 novembre 1998 du tribunal administratif de Versailles accordant à la société requérante la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos entre 1987 et 1989, a, d'une part, réformé ce jugement, et d'autre part, remis à la charge de la société les impositions et pénalités afférant aux exercices clos en 1987 et 1988 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu les pièces desquelles il résulte qu'en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées de ce que la décision du Conseil d'Etat était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 83-1179 du 29 décembre 1983 portant loi de finances pour 1984, notamment son article 7 ;
Vu le décret n° 81-76 du 29 janvier 1981 portant publication du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Yohann Bénard, Auditeur,
- les observations de Me Odent, avocat de la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE,
- les conclusions de M. Pierre Collin, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE, qui a pour objet social l'élaboration, la location et la vente de programmes informatiques, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 1987, 1988 et 1989, à l'issue de laquelle l'administration a, d'une part, remis en cause l'exonération prévue par l'article 44 quater du code général des impôts en faveur des entreprises nouvelles, dont la société avait entendu bénéficier, et d'autre part, refusé la déduction des rémunérations versées à l'un des salariés de la société ; que la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 février 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, faisant partiellement droit à l'appel formé par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie contre le jugement du 9 novembre 1998 du tribunal administratif de Versailles, a remis à sa charge les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et les pénalités afférant aux exercices clos en 1987 et 1988 ;
Sur la recevabilité du recours présenté en appel par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie :
Considérant que la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE soutient que, dès lors que les dispositions de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales sont incompatibles avec les stipulations de l'article 14 du pacte international des droits civils et politiques du 16 décembre 1966, publié par un décret du 29 janvier 1981, la cour administrative d'appel de Paris n'a pu, sans erreur de droit, se fonder sur ces dispositions pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du recours du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; que, toutefois, ce moyen, qui est nouveau en cassation et n'est pas d'ordre public, est par suite irrecevable ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales : Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contrôle porte sur l'ensemble des informations, données et traitements informatiques qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux (...) ; qu'aux termes de l'article L. 47 A du même livre : Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, les agents de l'administration fiscale peuvent effectuer la vérification sur le matériel utilisé par le contribuable ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel de Paris, et n'est pas contesté, qu'en l'espèce l'administration fiscale a fait usage de la possibilité que lui donnent ces dispositions d'adjoindre au vérificateur un agent pouvant l'assister pour le contrôle du matériel informatisé utilisé par le contribuable pour la tenue de sa comptabilité ; que s'il n'est pas davantage contesté que la contribution de cet agent aux opérations de contrôle se soit révélée substantielle, il ne résulte ni des dispositions précitées ni d'aucun autre texte que cet agent, dont il n'est pas soutenu qu'il serait mentionné en qualité de vérificateur par l'avis de vérification, soit tenu à un débat contradictoire avec le contribuable, quelle qu'ait été sa contribution à l'établissement des redressements notifiés ; que par suite, contrairement à ce que soutient la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE, c'est sans commettre d'erreur de droit que la cour a jugé la procédure d'imposition régulière ;
Sur le bien ;fondé des impositions :
Considérant, en premier lieu, que si les bénéfices des entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés sont, quelle que soit la nature de leur activité, imposés, en vertu de l'article 209 ;I du code général des impôts, en tant que bénéfices industriels et commerciaux, il résulte néanmoins des travaux préparatoires de l'article 7 de la loi de finances pour 1984, dont sont issues les dispositions de l'article 44 quater du même code, que le législateur a entendu réserver le régime prévu à cet article aux entreprises dont l'activité est de nature industrielle ou commerciale, et en exclure, quelle que soit leur forme juridique, les entreprises exerçant des professions ou activités d'une autre nature ; que si la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE soutient que le savoir-faire en matière de gestion boursière de son principal associé lui a permis de facturer, à hauteur de montants significatifs, des commissions de gestion imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, il ressort des pièces du dossier que les bénéfices de la société durant la période contrôlée provenaient, pour l'essentiel, d'activités dont la nature n'était pas industrielle et commerciale et qui ne constituaient pas davantage le complément indissociable d'une activité de cette nature ; que, par suite, contrairement à ce que soutient la société requérante, c'est sans dénaturer les pièces du dossier que la cour administrative d'appel de Paris a estimé, pour ce motif, qu'elle ne pouvait bénéficier du régime prévu en faveur des entreprises nouvelles par l'article 44 quater du code général des impôts ;
Considérant, en second lieu, que pour juger que la déduction des charges correspondant au salaire de M. Y... avait été à bon droit refusée par l'administration, la cour a, d'une part, écarté comme insuffisamment probants les éléments, produits par la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE, tendant à établir que cette personne assurait des tâches de secrétariat, d'archivage, de rangement et de traduction pour le compte du principal associé de la société, et d'autre part, estimé au contraire que l'administration établissait l'absence de prestations effectives de la part de M. Y... et d'intérêt à le recruter pour l'entreprise ; qu'en statuant ainsi, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve et a porté sur les faits de la cause une appréciation souveraine, exempte de dénaturation ;
Sur les pénalités :
Considérant que les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts prévoient que les insuffisances, omissions ou inexactitudes relevées dans les déclarations souscrites ou dans les actes présentés sont sanctionnées par l'intérêt de retard mentionné à l'article 1727 du même code, assorti d'une majoration de 40 % si la mauvaise foi du contribuable est établie et de 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le vérificateur a assorti les redressements relatifs aux rémunérations versées à M. Y... de la majoration de 40 % prévue par les dispositions précitées du code général des impôts, au motif que la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE ne pouvait ignorer que ce salarié ne travaillait pas pour son compte ; qu'en estimant que la notification de redressements du 6 août 1990 était ainsi suffisamment motivée sur ce point, la cour administrative d'appel de Paris a porté sur les faits de la cause une appréciation souveraine, qui échappe au contrôle du juge de cassation, et n'a pas commis d'erreur de droit ; qu'en jugeant, après avoir relevé que les faits invoqués par l'administration étaient établis, que celle-ci devait être regardée comme apportant la preuve de la mauvaise foi de la société requérante, la cour a fait une exacte application de l'article 1729 du code général des impôts ;
Considérant, en revanche, qu'en estimant que la société requérante ne pouvait, de bonne foi, prétendre au bénéfice du régime prévu en faveur des entreprises nouvelles par l'article 44 quater du code général des impôts, au seul motif qu'elle avait déclaré une activité ne correspondant pas à celle à l'origine de la majorité de ses revenus et présenté des contrats comportant des mentions erronées sur la nature des prestations fournies, sans rechercher si ces agissements avaient procédé, de la part du contribuable, d'une intention délibérée d'éluder l'impôt, la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'erreur de droit ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant seulement qu'il statue sur les majorations de 40 % pour mauvaise foi correspondant aux cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, mises à sa charge, au titre des exercices clos en 1987 et 1988 à raison de la remise en cause du régime de faveur prévu à l'article 44 quater du code général des impôts ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l'article L. 821 ;2 du code de justice administrative, de régler, sur ce point, l'affaire au fond ;
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le recours du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a été enregistré dans le délai d'appel de deux mois dont il dispose, à compter de l'expiration du délai de deux mois imparti au service local pour lui transmettre le jugement attaqué et le dossier de l'affaire, en vertu des dispositions de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales ; que si la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE soutient que ces dispositions sont incompatibles avec les termes de l'article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, publié par un décret du 29 janvier 1981, selon lequel tous sont égaux devant les tribunaux et cours de justice, les situations différentes dans lesquelles se trouvent le ministre et l'administration d'une part, les contribuables d'autre part, justifient le délai complémentaire de deux mois accordé au ministre, délai dont les contribuables peuvent d'ailleurs, en provoquant eux-mêmes la signification du jugement au ministre, réduire la durée ;
En ce qui concerne les conclusions relatives aux pénalités en litige :
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, l'absence de débat oral avec l'agent de la brigade de vérification des comptabilités informatisées n'a pu avoir pour effet de vicier la procédure d'imposition ; que, par suite, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 9 novembre 1998, le tribunal administratif de Versailles a, pour ce motif, accordé à la société la décharge des pénalités en litige, au titre des exercices clos en 1987 et 1988 ;
Considérant toutefois qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE devant le tribunal administratif de Versailles ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment de la notification de redressement en date du 6 août 1990, que l'administration a suffisamment précisé les éléments de droit et de fait sur lesquels elle se fondait pour faire application des dispositions du 1 de l'article 1729 du code général des impôts ; que ces dispositions, qui proportionnent les pénalités aux agissements commis par le contribuable et prévoient des taux de majoration variant selon la qualification qui peut être donnée au comportement de l'intéressé, sont compatibles avec les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors même qu'elles ne confèrent pas au juge un pouvoir de modulation du taux de ces pénalités ;
Considérant que l'administration établit que la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE s'est sciemment présentée, dans le but de bénéficier de l'exonération et de la réduction d'impôt sur les sociétés prévues par les dispositions de l'article 44 quater du code général des impôts et d'éluder ainsi une partie des impositions auxquelles elle devait être assujettie, comme ayant un objet social de nature commerciale, alors qu'elle exerçait en réalité une activité non commerciale, et a tenté de justifier sa position par la production de contrats et de factures portant des mentions erronées quant à la nature réelle des prestations rendues ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient la société requérante, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve qu'elle ne pouvait de bonne foi ignorer qu'elle ne remplissait pas les conditions du bénéfice du régime de faveur prévu par ces dispositions ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler le jugement du 9 novembre 1998 du tribunal administratif de Versailles en tant qu'il a accordé à la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE la décharge des majorations pour mauvaise foi correspondant aux cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge, au titre des exercices clos en 1987 et 1988, à raison de la remise en cause du régime prévu par les dispositions de l'article 44 quater du code général des impôts, de rejeter les conclusions présentées en ce sens par la société et de remettre ces pénalités à sa charge ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui dans la présente instance n'est pas la partie perdante, la somme que demande la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 14 février 2003 de la cour administrative d'appel de Paris et le jugement du 9 novembre 1998 du tribunal administratif de Versailles sont annulés en tant qu'ils statuent sur les majorations pour mauvaise foi correspondant aux cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à la charge de la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE, au titre des exercices clos en 1987 et 1988, à raison de la remise en cause du bénéfice des dispositions de l'article 44 quater du code général des impôts.
Article 2 : Les majorations mentionnées à l'article 1er sont remises à la charge de la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE INFORMATIQUE DE GESTION FINANCIERE et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.