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15/07/2004 | FRANCE | N°256216

France | France, Conseil d'État, 8eme et 3eme sous-sections reunies, 15 juillet 2004, 256216


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 avril et 22 août 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES VOSGES (CPAM), dont le siège est ... ; la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES VOSGES demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 1er de l'ordonnance du 18 février 2003 par laquelle le président de la première chambre de la cour administrative d'appel de Nancy, en application des dispositions du 3° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, a rejeté

sa demande tendant à l'annulation du jugement du 9 mai 2000 du tribu...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 avril et 22 août 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES VOSGES (CPAM), dont le siège est ... ; la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES VOSGES demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 1er de l'ordonnance du 18 février 2003 par laquelle le président de la première chambre de la cour administrative d'appel de Nancy, en application des dispositions du 3° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à l'annulation du jugement du 9 mai 2000 du tribunal administratif de Nancy qui a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 24 septembre 1999, par laquelle l'inspecteur du travail lui a refusé l'autorisation de licencier M. A ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 9 mai 2000 ainsi que la décision du 24 septembre 1999 de l'inspecteur du travail ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros, au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc El Nouchi, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES VOSGES et de Me Luc-Thaler, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Gilles Bachelier, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les conclusions du pourvoi en cassation de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES VOSGES tendent à l'annulation de l'article 1er de l'ordonnance du 18 février 2003 par laquelle le président de la première chambre de la cour administrative d'appel de Nancy a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur son appel en tant qu'il était dirigé contre l'article 1er du jugement du 9 mai 2000 du tribunal administratif de Nancy ayant rejeté sa demande d'annulation de la décision du 24 septembre 1999, par laquelle l'inspecteur du travail lui a refusé l'autorisation de licencier M. A, salarié protégé ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 12 de la loi du 6 août 2002 portant amnistie : Sont amnistiés, dans les conditions prévues à l'article 11, les faits retenus ou susceptibles d'être retenus comme motifs de sanctions prononcées par un employeur (...) ; que l'article 11 de la même loi dispose que Sont amnistiés les faits commis avant le 17 mai 2002 en tant qu'ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles (...) Sauf mesure individuelle accordée par décret du Président de la République, sont exceptés du bénéfice de l'amnistie prévue par le présent article les faits constituant des manquements à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs (...) ; que le règlement intérieur de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES VOSGES en date du 26 juillet 1983 dispose que L'obligation du respect du secret professionnel s'impose à tout le personnel (...) ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. A, agent de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES VOSGES et délégué syndical, a révélé en 1997, au cours de sa procédure de divorce, des informations à caractère médical concernant son épouse, à l'insu de cette dernière, à savoir huit feuilles de soins qu'il avait photocopiées en 1995 dans l'enceinte de la caisse primaire d'assurance maladie qui en était destinataire ; qu'en divulguant ainsi, à des fins personnelles, des informations concernant l'état de santé d'un assuré social, dont la caisse primaire d'assurance maladie est garante du caractère confidentiel, informations auxquelles il a eu accès par fraude dans le cadre de ses fonctions, M. A a méconnu l'obligation du secret professionnel à laquelle il était astreint et porté atteinte à la confiance que les assurés sociaux sont en droit d'attendre de cet organisme ; que, par suite, en jugeant que les faits reprochés à l'intéressé ne présentaient pas le caractère d'un manquement à l'honneur exclu du bénéfice de l'amnistie, le président de la première chambre de la cour administrative d'appel de Nancy a donné à ces faits une qualification juridique erronée ; qu'il y a lieu, dès lors, d'annuler l'ordonnance attaquée ;

Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

Considérant que le règlement intérieur précité de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES VOSGES dispose que : (...) toute divulgation par un agent à un tiers de renseignements dont il aurait connaissance serait considérée comme une faute grave, voire lourde, sans préjudice des dispositions du code pénal (...) ; qu'ainsi qu'il vient d'être dit, les faits retenus comme motif de licenciement de M. A sont exclus du bénéfice de l'amnistie ; que cette méconnaissance intentionnelle, à des fins privées, d'une obligation professionnelle essentielle revêt le caractère d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ; qu'enfin, c'est à tort que l'inspecteur du travail a également fondé le refus d'autorisation sur le fait qu'une première sanction aurait déjà été prononcée à raison des mêmes faits ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES VOSGES est fondée à demander l'annulation de l'article 1er du jugement du 9 mai 2000 du tribunal administratif de Nancy et de la décision en date du 24 septembre 1999 de l'inspecteur du travail refusant d'autoriser le licenciement de M. A ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative devant le Conseil d'Etat et devant la cour administrative d'appel :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES VOSGES, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu de faire application des mêmes dispositions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros que demande la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES VOSGES au même titre ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 1er de l'ordonnance du 18 février 2003 du président de la première chambre de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.

Article 2 : L'article 1er du jugement en date du 9 mai 2000 du tribunal administratif de Nancy et la décision en date du 24 septembre 1999 de l'inspecteur du travail d'Epinal sont annulés.

Article 3 : L'Etat versera à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES VOSGES la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées devant la cour administrative d'appel de Nancy et devant le tribunal administratif de Nancy par M. A au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES VOSGES, à M. X... A et au ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.


Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02-01 TRAVAIL ET EMPLOI - LICENCIEMENTS - AUTORISATION ADMINISTRATIVE - SALARIÉS PROTÉGÉS - CONDITIONS DE FOND DE L'AUTORISATION OU DU REFUS D'AUTORISATION - LICENCIEMENT POUR FAUTE - EXISTENCE D'UNE FAUTE D'UNE GRAVITÉ SUFFISANTE - AGENT D'UNE CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DIVULGANT À DES FINS PERSONNELLES DES INFORMATIONS MÉDICALES CONCERNANT UN ASSURÉ SOCIAL [RJ1].

66-07-01-04-02-01 En divulguant, à des fins personnelles, des informations concernant l'état de santé d'un assuré social, dont la caisse primaire d'assurance maladie est garante du caractère confidentiel, informations auxquelles il a eu accès par fraude dans le cadre de ses fonctions, un agent de la caisse, par ailleurs délégué syndical, méconnaît l'obligation de secret professionnel à laquelle il est astreint et porte atteinte à la confiance que les assurés sociaux sont en droit d'attendre de cet organisme. Ce comportement revêt le caractère d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.


Références :

[RJ1]

Rappr. Cass. soc., 9 juillet 1984, Salères c/ Ets Gauthier Vilot ;

Cass. soc., 3 octobre 1990, Mme Sardella c/ Laboratoire Berry.


Publications
Proposition de citation: CE, 15 jui. 2004, n° 256216
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Robineau
Rapporteur ?: M. Marc El Nouchi
Rapporteur public ?: M. Bachelier
Avocat(s) : SCP PEIGNOT, GARREAU ; LUC-THALER

Origine de la décision
Formation : 8eme et 3eme sous-sections reunies
Date de la décision : 15/07/2004
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 256216
Numéro NOR : CETATEXT000008190916 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2004-07-15;256216 ?
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