Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 1er juillet et 31 octobre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean-Yves X, demeurant ... ; M. Philippe Y, demeurant ... et l'association SOS TOUT-PETITS, dont le siège social est 11, rue Tronchet à Paris (75008), représentée par son président en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ; les requérants demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 23 avril 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur requête tendant à l'annulation du jugement du 30 avril 1999 du tribunal administratif de Paris rejetant leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de police du 20 novembre 1997 interdisant la manifestation prévue le 22 novembre 1997 à 13h45 sur le parvis de l'église Notre-Dame-de-Paris ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code pénal ;
Vu la loi du 8 juin 1935 ;
Vu le décret du 23 octobre 1935 ;
Vu le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Lambron, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Le Griel, avocat de M. X, de M. Y et de l'association SOS TOUT-PETITS,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'association SOS TOUT-PETITS a déclaré le 18 novembre 1997 à la préfecture de police son intention d'organiser le samedi 22 novembre 1997 à 13h15 un rassemblement sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris ; que, par un arrêté en date du 20 novembre 1997, le préfet de police a interdit cette manifestation ;
Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 1er du décret du 23 octobre 1935 portant réglementation des mesures relatives au renforcement du maintien de l'ordre, pris sur le fondement de la loi du 8 juin 1935 : Sont soumis à l'obligation d'une déclaration préalable, tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et d'une façon générale toutes manifestations sur la voie publique ; qu'aux termes de l'article 8 du décret du 28 novembre 1983 alors en vigueur : Sauf urgence ou circonstances exceptionnelles, sous réserve des nécessités de l'ordre public et de la conduite des relations internationales, et exception faite du cas où il est statué sur une demande présentée par l'intéressé lui-même, les décisions qui doivent être motivées en vertu de la loi du 11 juillet 1979 susvisée ne peuvent légalement intervenir qu'après que l'intéressé a été mis à même de présenter des observations écrites ;
Considérant que la cour a jugé que l'autorité de police, lorsqu'elle interdit une manifestation soumise à déclaration préalable, statue sur une demande présentée par les intéressés eux-mêmes au sens des dispositions de l'article 8 du décret du 28 novembre 1983, et n'est par suite pas tenue de mettre ceux-ci à même de présenter des observations écrites ; qu'en regardant ainsi la déclaration préalable prévue par l'article 1er du décret du 23 octobre 1935 comme une demande au sens des dispositions de l'article 8 du décret du 28 novembre 1983, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que les requérants sont, par suite, fondés à en demander l'annulation ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant que le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait omis de répondre à un moyen tiré du détournement de pouvoir manque en fait ; que si les requérants soutiennent également que le tribunal administratif a omis de répondre au moyen tiré de ce que la perspective de contre-manifestation évoquée dans la décision attaquée pour justifier le risque de trouble à l'ordre public ne s'était pas matérialisée, ce moyen, relatif à une circonstance postérieure à la date de la décision attaquée, était inopérant ; qu'il s'ensuit que le tribunal administratif n'a pas commis d'irrégularité en n'y répondant pas ;
Considérant que, eu égard à l'urgence résultant du bref délai dont il disposait pour prendre les mesures qu'imposaient la préservation de la tranquillité et de l'ordre publics, alors que la déclaration effectuée le 18 novembre 1997 à la préfecture de police par l'association SOS TOUT-PETITS faisait état d'une intention de manifester le 22 novembre 1997 sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris, le préfet de police a légalement pu, sur le fondement des dispositions de l'article 8 du décret du 28 novembre 1983 relatives à l'urgence, ne pas mettre l'association à même de présenter des observations écrites préalablement à la décision du 20 novembre 1997 par laquelle il a interdit la manifestation ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 3 du décret du 23 octobre 1935 : Si l'autorité investie du pouvoir de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public, elle l'interdit par un arrêté qu'elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu ; qu'il ressort des pièces du dossier que de précédentes manifestations contre l'interruption volontaire de grossesse organisées par l'association SOS TOUT-PETITS se sont traduites par l'envahissement de cliniques ou d'hôpitaux, accompagné de menaces et d'intimidation sur des médecins et des patientes ; que la circonstance que l'arrêté attaqué ne faisait pas état des condamnations prononcées à raison de tels faits à l'encontre d'adhérents de cette association par l'arrêt de la cour d'appel de Versailles statuant en matière correctionnelle daté du 8 mars 1996 ne faisait pas obstacle à ce que les premiers juges se fondent notamment sur les motifs de cet arrêt, produit au dossier de première instance par le préfet de police, pour estimer que l'établissement hospitalier de l'Hôtel-Dieu, situé à proximité immédiate du lieu du rassemblement projeté, était susceptible de servir de cible aux agissements de l'association ; que, dans ces circonstances, eu égard à la proximité de cet établissement et à la fréquentation touristique particulièrement importante du parvis de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris, et compte tenu de la difficulté d'emploi des forces de l'ordre dans ce lieu, la manifestation projetée était de nature à troubler l'ordre public ; qu'ainsi, en interdisant par l'arrêté attaqué, lequel n'est pas le résultat d'une politique d'interdiction générale et absolue des manifestations de l'association SOS TOUT-PETITS, le rassemblement prévu par cette association, le préfet de police de Paris n'a commis, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ni d'erreur de fait ni d'erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article 3 du décret du 23 octobre 1935 ;
Considérant que, dès lors que la restriction qu'il apporte à la liberté de manifester était justifiée, dans les circonstances de l'espèce, par les risques pour l'ordre public et la sécurité publique, l'arrêté en litige n'a pas méconnu les stipulations des articles 9, 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lesquels autorisent les restrictions aux libertés de pensée, de conscience, d'expression et de réunion, prévues par la loi, fondées sur les impératifs de sécurité nationale, de sûreté publique et d'ordre public ;
Considérant que les moyens tirés de ce que l'arrêté attaqué porterait atteinte au droit à l'exercice d'un recours effectif devant une instance nationale garanti par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou ferait obstacle à la jouissance de ces droits et libertés, qui doit être assurée sans distinction aucune selon l'article 14 de cette convention, sont dépourvus de toute précision permettant d'en apprécier la portée ;
Considérant que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X, M. Y et l'association SOS TOUT-PETITS ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de police de Paris du 20 novembre 1997 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer aux requérants les sommes qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 23 avril 2002 est annulé.
Article 2 : Les requêtes d'appel de M. X, de M. Y et de l'association SOS TOUT-PETITS et le surplus des conclusions de leur pourvoi en cassation sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Yves X, à M. Philippe Y, à l'association SOS TOUT-PETITS et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.