La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/11/2003 | FRANCE | N°234150

France | France, Conseil d'État, 5eme et 7eme sous-sections reunies, 21 novembre 2003, 234150


Vu 1°, sous le n° 234150, la requête, enregistrée le 28 mai 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES, dont le siège est 14 avenue G. Corneau à Charleville-Mézières (08101), prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège ; la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt en date du 20 mars 2001 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête, ensemble celle de M. Yann Y ,

tendant, à titre principal, à l'annulation du jugement en date du 24 févr...

Vu 1°, sous le n° 234150, la requête, enregistrée le 28 mai 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES, dont le siège est 14 avenue G. Corneau à Charleville-Mézières (08101), prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège ; la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt en date du 20 mars 2001 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête, ensemble celle de M. Yann Y , tendant, à titre principal, à l'annulation du jugement en date du 24 février 1998 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande, ensemble celle de M. Yann Y , tendant à ce que l'Etat soit condamné à leur verser respectivement les sommes de 1 118 022,64 F et 1 270 000 F, assorties des intérêts légaux, en réparation des conséquences dommageables de la contamination de M. Dominique Y par le virus de l'immunodéficience humaine, et à titre subsidiaire, à ce que soit ordonnée une expertise aux fins de déterminer les dates auxquelles M. Dominique Y aurait reçu des produits sanguins, la nature de ces produits et la date de révélation de la séropositivité ;

2°) statuant après cassation, à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 173 981,72 F au titre des prestations en nature servies à M. Dominique Y avec les intérêts de droit à compter du 16 janvier 1998 et les intérêts des intérêts à compter du 13 décembre 2000, du 27 février 2001 et du 28 mai 2001, et à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise aux fins de déterminer les dates auxquelles M. Dominique Y a reçu des produits sanguins et la nature de ces produits ;

3°) de réserver ses droits en ce qui concerne les autres prestations ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 30 000 F pour les frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Vu 2°, sous le n° 241143, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 décembre 2001 et 18 avril 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Yann CAQUELOTY, demeurant 2 bis boulevard Gambetta à Charleville (08000) ; M. Yann CAQUELOTY Caquelot demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt susmentionné de la cour administrative d'appel de Paris du 20 mars 2001 ;

2°) statuant après cassation, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 270 000 F avec les intérêts de droit à compter de sa première demande en ce sens ;

3°) de condamner l'Etat à verser à son conseil, la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative une somme de 2 800 euros, en donnant acte à son conseil qu'il renonce en cas de condamnation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Campeaux, Auditeur,

- les observations de la SCP Gatineau, avocat de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. Yann CAQUELOT,

- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES, sous le n° 234150, et M. Yann CAQUELOTY, sous le n° 241143, se pourvoient en cassation contre l'arrêt, en date du 20 mars 2001, par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leurs requêtes tendant, à titre principal, à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris, en date du 24 février 1998, écartant la responsabilité de l'Etat dans la contamination par le virus de l'immunodéficience humaine de M. Dominique Y, et à titre subsidiaire, à ce que soit ordonnée une expertise aux fins de déterminer les dates auxquelles ce dernier aurait reçu des produits sanguins, la nature de ces produits et la date de révélation de sa séropositivité ; qu'il y a lieu de joindre ces requêtes pour qu'il soit statué par une seule décision ;

Considérant que si le ministre de la santé soutient que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES n'était pas partie à l'instance devant le tribunal administratif de Paris, qu'elle ne pouvait donc interjeter appel contre le jugement que ce tribunal a rendu et qu'elle est, ainsi, irrecevable à se pourvoir en cassation contre l'arrêt attaqué, il ressort des pièces du dossier que ladite caisse a été mise en cause par le tribunal administratif de Paris en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, qu'elle est intervenue à l'instance et qu'elle a relevé appel du jugement de première instance comme elle avait qualité pour le faire ; qu'ainsi la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES est, contrairement à ce que soutient le ministre, recevable à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, et notamment d'une attestation de l'établissement de transfusion sanguine de Champagne-Ardenne dont l'exactitude n'a pas été contestée, que des produits sanguins cryoprécipités ont été facturés à M. Dominique Y, patient hémophile, pour les mois de novembre et décembre 1984, par le centre hospitalier public où il était suivi ; qu'il a été révélé, en septembre 1985, que M. Dominique Y avait été contaminé par le virus de l'immunodéficience humaine ; qu'en défense, l'administration s'est bornée à soutenir, sans apporter aucun élément en ce sens, que les produits en cause n'avaient finalement pas été administrés à l'intéressé ; que dans ces conditions, la cour a dénaturé les pièces du dossier en estimant qu'il n'était pas établi que des produits sanguins non chauffés avaient été administrés à M. Dominique Y au cours de la période allant du 22 novembre 1984 au 20 octobre 1985 ; qu'ainsi, M. Yann CAQUELOTY et la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'il appartenait à l'autorité administrative, informée à la date du 22 novembre 1984, de façon non équivoque, de l'existence d'un risque sérieux de contamination des transfusés et de la possibilité d'y parer par l'utilisation des produits chauffés qui étaient alors disponibles sur le marché international, d'interdire, sans attendre d'avoir la certitude que tous les lots de produits dérivés du sang étaient contaminés, la délivrance des produits dangereux, comme elle pouvait le faire par arrêté ministériel pris sur le fondement de l'article L. 669 du code de la santé publique ; qu'une telle mesure n'a été prise que par une circulaire dont il n'est pas établi qu'elle ait été diffusée avant le 20 octobre 1985 ; que cette carence fautive de l'administration est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des contaminations provoquées par des transfusions de produits sanguins pratiquées entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des factures de produits sanguins cryoprécipités de novembre et décembre 1984 établies à son nom, que M. Dominique Y a subi entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 des transfusions de produits sanguins non chauffés ; que sa contamination par le virus de l'immunodéficience humaine, qui a été révélée en septembre 1985, doit, dans les circonstances de l'espèce, être regardée comme imputable auxdites transfusions ; que, dès lors, la responsabilité de l'Etat est engagée en raison des conséquences dommageables de cette contamination ;

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des divers préjudices subis par M. Dominique Y, décédé à 35 ans des suites du virus de l'immunodéficience humaine, et par son fils unique Yann, en fixant l'indemnité qui leur est respectivement due aux sommes de 305 000 euros et 15 000 euros ; qu'il résulte, en outre, de l'instruction que les frais médicaux et pharmaceutiques résultant directement des conséquences dommageables de la contamination s'élèvent à un montant de 26 520 euros ;

Sur les droits de M. Yann CAQUELOTY :

Considérant que M. Yann CAQUELOTY, agissant en son nom propre et au nom de son père décédé, en tant qu'unique héritier, a droit, déduction étant faite d'office des sommes de 22 837 euros et 126 533 euros qui ont déjà été versées par le fonds de solidarité des hémophiles et par le fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles, à la somme de 170 630 euros assortie des intérêts légaux à compter du 27 mars 1996, date à laquelle il a présenté sa demande d'indemnisation préalable à l'administration ;

Sur les droits de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES :

Considérant qu'aux termes du troisième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : Si la responsabilité d'un tiers est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d'agrément ;

Considérant que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES a droit au remboursement par l'Etat des frais médicaux et pharmaceutiques qu'elle justifie avoir déboursés à la suite de la contamination de M. Dominique Y par le virus de l'immunodéficience humaine, soit une somme de 26 520 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 16 janvier 1998, date à laquelle elle a demandé le remboursement desdits frais ; qu'en outre les intérêts qui étaient échus le 9 juin 1999 seront capitalisés, à cette date comme la caisse l'a alors demandé, ainsi que lors de chaque échéance annuelle ultérieure ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Yann CAQUELOTY et la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 24 février 1998, le tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation de l'Etat ;

Sur les conclusions présentées par M. Yann CAQUELOTY Y et par la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES au titre des frais exposés et non compris dans les dépens :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'Etat à verser une somme de 4 000 euros à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES au titre des frais exposés par elle tant en appel que devant le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens ;

Considérant que M. Yann CAQUELOTY a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. Yann CAQUELOTY, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de condamner l'Etat à payer à ladite société la somme de 2 800 euros ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 20 mars 2001 et le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 24 février 1998 sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à M. Yann CAQUELOTY, au titre des préjudices subis par son père et de son propre préjudice, une somme de 170 630 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 27 mars 1996.

Article 3 : L'Etat versera à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES, une somme de 26 520 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 16 janvier 1998. Les intérêts échus à la date du 9 juin 1999, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : L'Etat versera à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES une somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par elle, en appel et en cassation, et non compris dans les dépens. Il versera également une somme de 2 800 euros à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. Yann CAQUELOTY est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Yann CAQUELOTY, à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.


Synthèse
Formation : 5eme et 7eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 234150
Date de la décision : 21/11/2003
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 21 nov. 2003, n° 234150
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Robineau
Rapporteur ?: M. Thomas Campeaux
Rapporteur public ?: M. Chauvaux
Avocat(s) : SCP GATINEAU ; SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2003:234150.20031121
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award