Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif, enregistrés les 9 novembre 2001 et 11 mars 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SA MEUBLES ORTELLI, dont le siège social est ... ; la société demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 5 juillet 2001 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a annulé le jugement du tribunal administratif de Besançon en date du 27 février 1997 qui lui avait accordé la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle avait été assujettie au titre des années 1987 à 1990, et a rejeté les conclusions présentées par la société en appel et en première instance ;
2°) de prononcer la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés en litige ;
3°) de condamner l'Etat à lui payer une somme de 3 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Loloum, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Blondel, avocat de la SA MEUBLES ORTELLI,
- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel a annulé le jugement du tribunal administratif accordant à la SA MEUBLES ORTELLI la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1987, 1988, 1989 et 1990 et a remis ces impositions à la charge de la société ;
Sur la régularité de l'arrêt :
Considérant que, d'une part, la société soutient qu'en se bornant à mentionner dans les visas de sa décision les autres pièces du dossier sans en préciser ni la nature ni l'objet, la cour ne justifierait pas que toutes ces pièces auraient été communiquées aux parties ; que, toutefois, la requérante n'établit pas que la cour aurait en l'espèce méconnu le principe du contradictoire et les droits de la défense dans la conduite de la procédure ou, en tout état de cause, violé l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, d'autre part, contrairement à ce que prétend la société, l'arrêt attaqué est suffisamment motivé sur l'ensemble des points en litige ;
Considérant que le moyen tiré de l'insuffisante motivation d'un avis de mise en recouvrement du 13 décembre 1990 relatif à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée était étranger à l'objet du litige dont la cour était saisie et qui portait exclusivement sur des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ; que, par suite, les motifs par lesquels la cour a écarté ce moyen sont surabondants et restent sans incidence sur la régularité de l'arrêt attaqué ;
Sur le bien-fondé de l'arrêt :
Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SA MEUBLES ORTELLI a fait l'objet d'une vérification de comptabilité annoncée par un avis du 8 novembre 1990 ; que ce contrôle a été précédé d'une visite domiciliaire effectuée dans les locaux de l'entreprise le 10 octobre 1990 sur le fondement d'une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Dôle prise en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales ; que la société, qui n'a d'ailleurs pas formé le pourvoi en cassation prévu au II du même article L. 16 B, a soutenu devant le juge de l'impôt que, du fait que le dirigeant avait fait l'objet d'un interrogatoire de la part des agents des services fiscaux au cours de cette visite domiciliaire, cette visite devait être regardée comme constituant le début occulte d'une vérification de comptabilité ; que, pour écarter ce moyen, la cour administrative d'appel a estimé, par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, que les agents des services fiscaux ne s'étaient pas livrés lors de cette visite domiciliaire à un examen critique de la comptabilité en la comparant aux déclarations souscrites par la société ; qu'elle a pu en déduire, sans commettre d'erreur de droit, que les opérations de cette visite domiciliaire ne constituaient pas le début occulte d'une vérification de comptabilité de nature à entacher d'irrégularité la procédure d'imposition ; que la cour a relevé que la vérification de comptabilité avait comporté plusieurs entrevues entre le vérificateur et le représentant de la société et que la requérante n'apportait pas la preuve qu'elle n'avait pu bénéficier d'un débat oral et contradictoire ; qu'en écartant ainsi les moyens tirés de l'irrégularité de la procédure de vérification, la cour n'a pas fait une inexacte application des articles L. 16 B et L. 47 du livre des procédures fiscales ;
Considérant, en deuxième lieu, que la cour s'est fondée sur les affirmations non contestées de l'administration pour considérer que la société avait accepté les redressements notifiés au titre de l'exercice clos en 1987 et a jugé que, pour les redressements envisagés au titre des autres exercices, la société avait pu, dans le respect du principe du contradictoire, prendre connaissance de l'ensemble des pièces du dossier soumis à la commission départementale des impôts directs et du chiffre d'affaires et présenter ses observations devant cette instance ; qu'elle a ainsi porté sur les pièces du dossier, sans les dénaturer et sans méconnaître les règles de dévolution de la charge de la preuve, une appréciation souveraine qui ne peut être discutée en cassation ;
Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : Lorsqu'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'un redressement, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité présente de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou le redressement est soumis au juge ; que la cour a constaté, en se livrant à une appréciation souveraine des pièces du dossier, que l'administration avait fait ressortir, par la confrontation des documents comptables et des déclarations de la société, l'existence notamment de dissimulations de recettes et que ces défauts affectaient les trois exercices clos en 1988, 1989 et 1990 ; qu'elle a fait une exacte application de l'article L. 192 précité en jugeant que l'administration apportait la preuve qui lui incombait que la comptabilité de ces trois exercices était entachée, en raison de ces dissimulations, de graves irrégularités et qu'il incombait à la société de démontrer l'exagération des bases de l'impôt arrêtées conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et du chiffre d'affaires ;
Considérant, en quatrième lieu, que la cour a relevé que la reconstitution des recettes était fondée sur l'examen de la quasi-totalité des factures, par rapprochement des achats et des ventes, et, pour les travaux non comptabilisés, à partir de l'exploitation des indications portées dans les cahiers des poseurs et que, compte tenu des lacunes de la comptabilité, un taux de marge bénéficiaire calculé à partir des données disponibles et suffisamment fiables de l'entreprise avait été appliqué sur les trois exercices ; qu'en jugeant que la méthode retenue par l'administration n'était pas radicalement viciée, la cour n'a pas commis d'erreur de qualification juridique ; qu'en rejetant les critiques de la société selon lesquelles cette méthode était excessivement sommaire et en estimant que la société ne proposait pas une méthode plus précise de nature à établir l'exagération des redressements contestés, la cour s'est livrée, sans les dénaturer, à une appréciation souveraine des faits insusceptible d'être discutée en cassation ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SA MEUBLES ORTELLI n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à payer à la SA MEUBLES ORTELLI la somme qu'elle sollicite au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de la SA MEUBLES ORTELLI est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SA MEUBLES ORTELLI et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.