Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 novembre 1997 et 9 mars 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean-Luc X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 11 juillet 1997 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé le jugement du 21 février 1996 du tribunal administratif de Paris, en tant qu'il avait rejeté pour incompétence de la juridiction administrative sa demande d'annulation de la décision du 7 juin 1993 du garde des sceaux, ministre de la justice, refusant d'intervenir auprès des autorités du Canada en application de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 pour assurer le retour de son fils Godefroy, emmené par sa mère dans ce pays le 13 mai 1992, a rejeté cette demande ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 ;
Vu le code civil ;
Vu la convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants signée à La Haye le 25 octobre 1980, ensemble la loi n° 82-486 du 10 juin 1982 qui en a autorisé la ratification et le décret n° 83-1021 du 29 novembre 1983 qui en a prescrit la publication ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Eoche-Duval, Auditeur,
- les observations de Me Copper-Royer, avocat de M. Jean-Luc X...,
- les conclusions de M. Bonichot, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, publiée au Journal officiel de la République française du 1er décembre 1983 et entrée en vigueur, le même jour, à l'égard de la France : "Le déplacement ou le non-retour d'un enfant est considéré comme illicite : a) Lorsqu'il a lieu en violation d'un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l'Etat dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ; et b) que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement et du non-retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus. Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d'une attribution de plein droit, d'une décision judiciaire ou administrative, ou d'un accord en vigueur selon le droit de cet Etat" ; que l'article 5 de la même convention précise qu'au sens de celle-ci, "a) le "droit de garde" comprend le droit portant sur les soins de la personne de l'enfant, et en particulier, celui de décider de son lieu de résidence ; b) le "droit de visite" comprend le droit d'emmener l'enfant pour une période déterminée dans un lieu autre que celui de sa résidence habituelle" ; que, selon l'article 8 de la convention, "la personne, l'institution ou l'organisme qui prétend qu'un enfant a été déplacé ou retenu en violation d'un droit de garde peut saisir, soit l'autorité centrale de la résidence habituelle de l'enfant, soit celle de tout autre Etat contractant, pour que celles-ci prêtent leur assistance en vue d'assurer le retour de l'enfant" ; que l'article 27 de la convention dispose, toutefois, que, "lorsqu'il est manifeste que les conditions requises par la convention ne sont pas remplies ou que la demande n'est pas fondée, une autorité centrale n'est pas tenue d'accepter une telle demande. En ce cas, elle informe immédiatement de ses motifs le demandeur ou, le cas échéant, l'autorité centrale qui lui a transmis le demande" ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par lettres des 5 mars et 21 avril 1993, M. X... a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, désigné par la France comme étant l'autorité centrale chargée de satisfaire aux obligations qui lui sont imposées par la convention de La Haye, de lui prêter l'assistance prévue par l'article 8 de cette dernière, en vue d'assurer le retour de son fils Godefroy, né le 29 novembre 1990 à Châteauroux, que sa mère, de nationalité canadienne, aurait illicitement déplacé, au sens de l'article 3 de la convention, en l'emmenant, le 13 mai 1992, au Canada, pour vivre avec elle à Montréal ; que le garde des sceaux, ministre de la justice, a, par lettre du 7 juin 1993, refusé d'accéder à la demande de M. X... au motif qu'au vu des éléments en sa possession, "la mère seule disposait de l'autorité parentale au moment du déplacement" et que celui-ci ne pouvait, dès lors, être qualifié d'"illicite", au sens de la convention de La Haye ;
Considérant qu'en énonçant dans les motifs de l'arrêt contre lequel M. X... se pourvoit en cassation qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier, à supposer même, ainsi qu'il était soutenu, que l'article 374 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 87-570 du 22 juillet 1987, alors applicable, soit contraire aux stipulations des articles 1er, 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à celles de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990, que M. X... ait disposé, à la date du 13 mai 1992, de l'autorité parentale sur son fils Godefroy et qu'ainsi, il ne justifiait pas, à cette date, d'un droit de garde sur cet enfant, de sorte qu'il était manifeste que les conditions requises par la convention de La Haye n'étaient pas, en l'espèce, remplies, sans préciser sur quelles dispositions elle entendait se fonder, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas mis le Conseil d'Etat à même d'exercer le contrôle qui lui appartient comme juge de cassation ; que M. X... est, par suite, fondé à demander l'annulation de la partie du dispositif de l'arrêt attaqué de la cour administrative d'appel de Paris, qui, après avoir annulé le jugement rendu en première instance par le tribunal administratif de Paris, a rejeté les conclusions aux fins d'annulation de la décision du garde des sceaux, ministre de la justice du 7 juin 1993, dont il avait saisi ce tribunal ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article 11, deuxième alinéa, de la loi du 31 décembre 1987, de régler l'affaire au fond ;
Considérant que la décision contestée du garde des sceaux, ministre de la justice du 7 juin 1993 n'est pas, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Paris, au nombre des actes se rattachant aux relations internationales de la France, qui, en raison de leur nature, échapperaient à tout contrôle juridictionnel ; que, contrairement à ce que soutient le garde des sceaux, ministre de la justice, cette décison n'est liée à aucune procédure judiciaire relative à l'exercice de l'autorité parentale sur le fils de M. X... ; que, par suite, il appartient au juge administratif de se prononcer sur les conclusions de M. X... qui tendent à son annulation ; qu'ainsi, c'est à tort que le tribunal administratif les a rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ; que son jugement du 21 février 1996 doit, sur ce point, être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Paris et d'y statuer immédiatement ;
Considérant que l'article 371-2 du code civil énonce, en son second alinéa, que l'autorité parentale comporte, à l'égard de l'enfant, "droit et devoir de garde, de surveillance et d'éducation" ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 374 du même code, dans sa rédaction issue de la loi déjà mentionnée du 22 juillet 1987, applicable à la date du 13 mai 1992 : "L'autorité parentale est exercée sur l'enfant naturel par celui des père et mère qui l'a volontairement reconnu, s'il n'a été reconnu par l'un d'eux. Si l'un et l'autre l'ont reconnu, l'autorité parentale est exercée par la mère" ; qu'aux termes des deuxième et troisième alinéas du même article, dans la même rédaction : "L'autorité parentale peut être exercée en commun par les deux parents s'ils en font la déclaration conjointe devant le juge des tutelles.A la demande du père ou de la mère ou du ministère public, le juge aux affaires matrimoniales peut modifier les conditions d'exercice de l'autorité parentale et décider qu'elle sera exercée, soit par l'un des deux parents, soit en commun par le père et la mère ; il indique, dans ce cas, le parent chez lequel l'enfant a sa résidence habituelle" ; que ces dispositions qui, dans le cas où, comme en l'espèce, l'enfant a été reconnu par ses deux parents, prévoient que l'autorité parentale est exercée par la mère, mais donnent la possibilité pour le père, sur décision du juge aux affaires matrimoniales, d'exercer lui-même, seul ou conjointement avec la mère, cette autorité et d'obtenir, le cas échéant, que l'enfant ait chez lui sa résidence habituelle, ne sont pas incompatibles avec les stipulations combinées des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en vertu desquelles le droit au respect de la vie familiale doit être assuré sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe ;
Considérant que les articles 2-1 et 2-2 de la convention internationale du 26 janvier 1990, relative aux droits de l'enfant, ne produisent pas d'effet direct à l'égard des particuliers, et ne peuvent donc être utilement invoquées à l'appui de conclusions dirigées contre un acte administratif, individuel ou réglementaire ; que les dispositions, précitées, de l'article 374 du code civil qui déterminent, dans le seul intérêt de l'enfant, lequel de ses parents exercera à son égard l'autorité parentale, ne sont pas incompatibles avec les stipulations des articles 3-1 et 16 de la même convention, qui proclament l'intérêt supérieur de l'enfant et son droit à la protection de la loi ;
Considérant qu'il ressort clairement des pièces du dossier que M. X..., qui n'allègue pas qu'il aurait été fait application à son profit des dispositions précitées, des deuxième ou troisième alinéas de l'article 374 du code civil, n'avait pas l'exercice de l'autorité parentale envers son fils Godefroy, lorsque celui-ci a été emmené par sa mère au Canada, le 13 mai 1992 ; qu'ainsi, il ne justifiait pas à cette date et au sens de l'article 5 de la convention de La Haye, d'un droit de garde sur cet enfant, et, en particulier, du droit de décider du lieu de sa résidence habituelle ; que, dès lors, le garde des sceaux, ministre de la justice, n'a entaché sa décision du 7 juin 1993 d'aucune d'erreur de droit en estimant que le déplacement du jeune Godefroy ne pouvait être qualifié d'"illicite", au sens de la même convention ;
Considérant qu'il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer, à l'occasion d'un recours relatif à une mesure prise par le garde des sceaux, ministre de la justice, en application de la convention de La Haye, sur une contestation ayant trait à l'existence d'un "droit de garde" au sens de cette convention ; qu'il n'est cependant tenu de surseoir à statuer sur le recours dont il est saisi jusqu'à ce que l'autorité judiciaire ait tranché une telle contestation, que si la solution de cette dernière commande la décision à rendre sur ce recours et soulève une difficulté sérieuse ; qu'il découle de ce qui a été dit ci-dessus que la question de savoir si M. X... exerçait ou non l'autorité parentale sur son fils Godefroy, à la date du 13 mai 1992, ne soulève pas de difficulté sérieuse ; que, par suite, les conclusions de M. X... qui tendent à ce que le juge administratif sursoie à statuer sur sa demande doivent être rejetées ;
Article 1er : L'arrêt du 11 juillet 1997 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé, en tant que celle-ci se prononce sur les conclusions de M. X... dirigées contre la décision du garde sceaux, ministre de la justice, du 7 juin 1993.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 21 février 1996 est annulé, en tant qu'il rejette comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître les conclusions mentionnées à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : La demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête présentée M. X... devant le Conseil d'Etat est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Luc X... et au garde des sceaux, ministre de la justice.