Vu 1°), sous le n° 177 162, la requête, enregistrée le 26 janvier 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'Association de défense des sociétés de course des hippodromes de province, ayant son siège en mairie de Lisieux, représentée par son président en exercice ; l'Association de défense des sociétés de course des hippodromes de province demande l'annulation pour excès de pouvoir des articles 1 à 13 et 18 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale ;
Vu 2°), sous le n° 177 402, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 février 1996 et 28 mars 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le syndicat Casinos de France, ayant son siège ..., représenté par son président en exercice ; le syndicat Casinos de France demande au Conseil d'Etat :
- d'annuler pour excès de pouvoir l'article 18-III de l'ordonnance du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale ;
- de condamner l'Etat à lui verser une somme de 40 000 F au titre de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu 3°), sous le n° 177 807, la requête, enregistrée le 13 février 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour le syndicat national des casinos modernes, ayant son siège ... à La Plaine-Saint-Denis (93210), représenté par son président en exercice et pour la société Dunkerque Loisirs SA, dont le siège est ..., représentée par son président-directeur général en exercice ; le syndicat national des casinos modernes et la société Dunkerque Loisirs SA demandent au Conseil d'Etat :
- l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 18-III de l'ordonnance du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale ;
- le sursis à l'exécution de cette ordonnance ;
Vu 4°), sous le n° 178 874, la requête, enregistrée le 18 mars 1996 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Jean X..., demeurant ... ; M. X... demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'ordonnance du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale ;
Vu 5°), sous le n° 179 030, la requête, enregistrée le 25 mars 1996 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Dominique Y..., demeurant ... ; M. Y... demande au Conseil d'Etat :
- d'annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale et, subsidiairement, ses articles 14 et 15 ;
- de condamner l'Etat à lui verser une somme de 8 000 F au titre de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la Constitution, notamment ses articles 13, 19 et 38 ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi du 15 juin 1907 modifiée ;
Vu la loi n° 95-1348 du 30 décembre 1995 autorisant le gouvernement, par application de l'article 38 de la Constitution, à réformer la protection sociale, ensemble la décision n° 95-370 DC du Conseil constitutionnel en date du même jour ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991;
Vu le code général des impôts ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mlle Fombeur, Auditeur,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du syndicat Casinos de France et de Me Foussard, avocat du syndicat national des casinos modernes et de la société Dunkerque Loisirs SA,
- les conclusions de Mme Maugüé, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes de l'Association de défense des sociétés de course des hippodromes de province, du syndicat Casinos de France, du syndicat national des casinos modernes, de la société Dunkerque Loisirs SA, de M. X... et de M. Y... sont dirigées contre une même ordonnance ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le Premier ministre, le ministre de l'économie et des finances et le ministre du travail et des affaires sociales aux requêtes de l'Association de défense des sociétés de course des hippodromes de province, de M. X... et de M. Y... :
Sur le moyen tiré du défaut de contreseing du ministre de l'intérieur :
Considérant que, d'après les dispositions combinées des articles 13, 19 et 38 de la Constitution, les ordonnances visées par ce dernier article, qui doivent dans tous les cas être délibérées en Conseil des ministres, sont signées par le Président de la République et contresignées par le Premier ministre et, le cas échéant, par "les ministres responsables" ; que les ministres responsables sont ceux auxquels incombent, à titre principal, la préparation et l'application des ordonnances dont s'agit ;
Considérant que l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996, prise sur le fondement de la loi n° 95-1348 du 30 décembre 1995 autorisant le gouvernement, par application de l'article 38 de la Constitution, à réformer la protection sociale, a pour objet d'instituer une caisse d'amortissement de la dette sociale dont elle définit le statut et les ressources ; que ces dernières comprennent sept "contributions pour le remboursement de la dette sociale" qui ont le caractère d'impositions ; que si au nombre de ces impositions figure, en vertu de l'article 18-III de l'ordonnance, une "contribution sur une fraction du produit brut des jeux réalisé entre le 1er février 1996 et le 31 janvier 2009", dans les casinos régis par la loi du 15 juin 1907 et si, d'après ce dernier texte, la police spéciale des jeux relève du ministre de l'intérieur, cette double circonstance ne saurait faire regarder ce ministre comme ayant au regard de l'ordonnance attaquée, la qualité de "ministre responsable" au sens des dispositions susrappelées de l'article 19 de la Constitution ; que, dès lors, le moyen tiré, à l'encontre de l'article 18-III de l'ordonnance, du défaut de contreseing du ministre de l'intérieur ne peut qu'être écarté ;
Sur les moyens invoqués à l'encontre du chapitre 1er de l'ordonnance, relatif à la caisse d'amortissement de la dette sociale :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 30 décembre 1995 autorisant le gouvernement, par application de l'article 38 de la Constitution, à réformer la protection sociale : "Le gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de quatre mois à compter de la promulgation de la présente loi et conformément aux dispositions de l'article 38 de la Constitution, toutes mesures : ... 7° Définissant, sans empiéter sur le domaine exclusif de la loi de finances, les modalités de consolidation et d'apurement de la dette accumulée au 31 décembre 1995 par le régime général de sécurité sociale et par le régime d'assurance maladie des travailleurs non salariés des professions non agricoles, ainsi que du déficit prévisionnel de l'exercice 1996 de ces régimes, et instituant les organismes et les ressources, notamment fiscales, nécessaires à cet effet ; - 8° Modifiant, sous la même réserve, les dispositions relatives au fonds de solidarité vieillesse pour recentrer ses missions sur le financement des prestations relevant de la solidarité nationale tout en préservant, par les ressources mentionnées au 7° ci-dessus, la neutralité de cette mesure pour le budget de l'Etat" ;
Considérant que la caisse d'amortissement de la dette sociale relève, au sens de ces dispositions, de l'institution des organismes nécessaires à la consolidation et à l'apurement de la dette et du déficit prévisionnel des régimes de sécurité sociale précités ; que l'instauration d'un versement annuel de 12,5 milliards de francs au budget de l'Etat, de 1996 à 2008, à la charge de la caisse d'amortissement de la dette sociale, en lieu et place du fonds de solidarité vieillesse, correspond à l'objectif défini au 8° de l'article 1er précité de la loi du 30 décembre 1995 ; que de telles dispositions sont, en conséquence, au nombre de celles que le gouvernement pouvait légalement prendre en vertu de la loi d'habilitation susvisée du 30 décembre 1995 ;
Considérant que le moyen tiré de ce que l'ordonnance attaquée prévoirait l'affectation de ressources à des dépenses autres que celles prévues par les dispositions précitées manque en fait ;
Sur les moyens de légalité interne invoqués à l'encontre du chapitre II de l'ordonnance relatif aux contributions pour le remboursement de la dette sociale :
En ce qui concerne les moyens mettant en cause l'ensemble des contributions :
Considérant que la détermination du taux et de la durée de perception des contributions pour le remboursement de la dette sociale n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation ; que l'ordonnance attaquée définit avec une précision suffisante les missions de la caisse d'amortissement de la dette sociale, à laquelle est versé le produit des contributions ;
En ce qui concerne la contribution sur les revenus d'activité et de remplacement :
Considérant que le gouvernement pouvait, sans commettre d'illégalité, assujettir à la contribution sur les revenus d'activité et de remplacement, les contributions patronales aux régimes de prévoyance et de retraite supplémentaire, qui, en raison de leurs conditions d'utilisation, ne constituent en fait qu'un revenu différé ; En ce qui concerne la contribution sur les revenus du patrimoine :
Considérant qu'en vertu de l'article 2 de la loi d'habilitation du 30 décembre 1995, les mesures visées par les 7° et 8° de son article 1er précité, destinées notamment à la réduction du déficit pour l'année 1996, pouvaient, sous réserve des principes de valeur constitutionnelle, prendre effet rétroactivement au 1er janvier 1996 ; qu'il résulte de cette disposition, éclairée par les travaux préparatoires de la loi, que le législateur a ainsi entendu permettre au gouvernement de percevoir les contributions pour le remboursement de la dette sociale, quelle qu'en soit l'assiette, à compter du 1er janvier 1996 ; que, par suite, M. Y... n'est en tout état de cause pas fondé à soutenir que l'article 15, paragraphe I, de l'ordonnance attaquée serait entaché d'une rétroactivité illégale en tant qu'il institue une contribution perçue à compter de 1996 et assise sur les revenus du patrimoine de l'année précédente ; qu'eu égard à la spécificité du mode de détermination et de recouvrement des revenus du patrimoine perçus par les personnes physiques, l'assujettissement à la nouvelle imposition de ceux de ces revenus se rattachant à l'année 1995 ne transgresse pas le principe d'égalité devant les charges publiques ;
Considérant que si les revenus du patrimoine mentionnés à l'article 15 sont soumis à la contribution instituée par ledit article alors que le chapitre II de l'ordonnance n'inclut pas dans son champ d'application les revenus tirés du livret A des Caisses d'Epargne et des livrets assimilés, cette exclusion, qui est justifiée par la nature particulière de cette forme d'épargne, n'est pas contraire au principe général d'égalité devant les charges publiques ; que le fait que l'assujettissement à la contribution instituée par l'article 14 de l'ordonnance est différé d'un an pour les prestations familiales, ne constitue pas davantage une violation de ce principe général du droit, alors d'ailleurs que la base de calcul des prestations familiales n'a pas été revalorisée dans les conditions initialement définies par la loi du 25 juillet 1994 ;
En ce qui concerne la contribution instituée par l'article 18-II de l'ordonnance :
Considérant qu'aux termes du premier alinéa du II de l'article 18 de l'ordonnance attaquée : "Sans préjudice des prélèvements existants, il est institué une contribution sur une fraction des sommes engagées en France au pari mutuel sur et hors les hippodromes entre le 1er février 1996 et le 31 janvier 2009. Cette fraction est égale à 70 % des sommes engagées" ; que l'article 19 de l'ordonnance fixe à 0,5 % le taux de cette contribution ;
Considérant qu'en vertu des dispositions précitées de l'article 1er de la loi d'habilitation du 30 décembre 1995, le gouvernement était autorisé à créer, avec effet au 1er janvier 1996 comme le précise l'article 2 de la loi, et par des ordonnances prises dans le délai de quatre mois suivant sa promulgation, des impositions nouvelles ; que, toutefois, il ne pouvait légalement faire usage de cette faculté que dans le respect des règles et principes de valeur constitutionnelle, des principes généraux de droit qui s'imposent à toute autorité administrative ainsi que des engagements internationaux de la France ; qu'en outre, s'agissant des impositions entrant dans le champ des prévisions du 7° de l'article 1er de la loi, elles ne peuvent avoir pour objet que de consolider et d'apurer la dette sociale accumulée au 31 décembre 1995 ainsi que le déficit prévisionnel de l'exercice 1996 ; que, sur ce fondement, pouvait être légalement instituée, par voie d'ordonnance, une contribution assise sur une fraction des sommes engagées au pari mutuel entre le 1er février 1996 et le 31 janvier 2009 ; que la circonstance que les gains des parieurs ne sont pas considérés comme des revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux au sens de l'article 92 du code général des impôts, ne sont pas assujettis à l'impôt sur le revenu ni à la contribution sociale généralisée ne faisait pas obstacle à la création de cette nouvelle contribution ; que l'instauration de cette contribution, qui frappe les sommes engagées dans les paris hippiques, ne méconnaît pas le principe d'égalité devant les charges publiques ;
En ce qui concerne la contribution instituée par l'article 18-III de l'ordonnance :
Considérant qu'aux termes du premier alinéa du III de l'article 18 de l'ordonnance : "Sans préjudice des prélèvements existants, il est institué une contribution sur une fraction du produit brut des jeux réalisés entre le 1er février 1996 et le 31 janvier 2009, dans les casinos régis par la loi du 15 juin 1907 ... Cette fraction est égale à 600 % du produit brut des jeux dans les casinos" ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la loi d'habilitation du 30 décembre 1995 autorisait le gouvernement à créer des impositions nouvelles dans la mesure et sous les réserves précédemment indiquées ; que sur ce fondement, pouvait être légalement instituée une contribution assise sur une fraction du produit brut des jeux réalisé entre le 1er février 1996 et le 31 janvier 2009 dans les casinos ; qu'en elle-même, l'institution d'une telle imposition n'est pas contraire au principe d'égalité devant la loi ; que le choix de son assiette, qui vise à frapper les sommes engagées par les joueurs, est justifié dans son principe par les données particulières tenant aux règles et modalités des jeux ; que les éléments de cette assiette, rapprochés du taux applicable, ne font pas apparaître, par rapport aux redevables des autres contributions instituées par le chapitre II de l'ordonnance attaquée, de rupture du principe d'égalité devant les charges publiques ;
Sur l'application de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à verser au syndicat Casinos de France la somme qu'il réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Les requêtes susvisées de l'Association de défense des sociétés de course des hippodromes de province, du syndicat Casinos de France, du syndicat national des casinos modernes, de la société Dunkerque Loisirs SA, de M. X... et de M. Y... sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association de défense des sociétés de course des hippodromes de province, au syndicat Casinos de France, au syndicat national des casinos modernes, à la société Dunkerque Loisirs SA, à M. Jean X..., à M. Dominique Y..., au Premier ministre, au ministre du travail et des affaires sociales, au ministre de l'économie et des finances et au ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.