Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 16 décembre 1991 et 16 avril 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Confédération générale du travail dont le siège est ... ; la Confédération générale du travail demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le décret n° 91-501 du 14 octobre 1991 portant application aux fichiers informatisés, manuels ou mécanographiques, gérés par les services des renseignements généraux, des dispositions de l'article 31, alinéa 3, de la loi n° 78-27 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
2°) condamne l'Etat à lui verser la somme de 10 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution du 4 octobre 1958, notamment ses articles 34 et 37 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 mai 1950, publiée par décret du 3 mai 1974, notamment son article 8 ;
Vu la convention du conseil de l'Europe du 28 janvier 1981, publiée par décret n° 85-1203 du 15 novembre 1985 ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, notamment ses articles 31 et 45 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Quinqueton, Auditeur,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la Confédération générale du travail,
- les conclusions de M. Scanvic, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées à la requête par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire :
En ce qui concerne la légalité externe du décret attaqué :
Considérant que, d'une part, les mots "prévus par la loi" qui figurent dans l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et dans l'article 9 de la convention du conseil de l'Europe du 28 janvier 1981, doivent s'entendre des textes pris en conformité avec les articles 34 et 37 de la Constitution du 4 octobre 1958 c'est-à-dire des textes tant législatifs que réglementaires ; que, d'autre part, le décret a été contresigné par les ministres chargés de son exécution au sens de l'article 22 de la Constitution ; que la Confédération générale du travail n'est, par suite, pas fondée à critiquer la légalité externe du décret du 14 octobre 1991 ;
En ce qui concerne la légalité interne du décret attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article 3 du décret attaqué : "Les informations mentionnées à l'article 2 ne pourront être collectées, conservées et traitées dans les fichiers des renseignements généraux, à l'exclusion de toute autre finalité, que dans les cas suivants : 1° Lorsqu'elles concernent des personnes qui peuvent, en raison de leur activité individuelle ou collective, porter atteinte à la sûreté de l'Etat ou à la sécurité publique, par le recours ou le soutien actif apporté à la violence ainsi que les personnes entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec celles-ci ; 2° ( ...) ; 3° Lorsque ces informations sont relatives à des personnes physiques ou morales qui ont sollicité, exercé ou exercent un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle politique, économique, social ou religieux significatif, sous condition que ces informations soient nécessaires pour donner au gouvernement ou à ses représentants les moyens d'apprécier la situation politique, économique ou sociale et de prévoir son évolution." ;
Considérant, en premier lieu, que l'article 31 de la loi du 6 janvier 1978 n'autorise d'exception à l'interdiction du traitement des données énumérées aux articles 5, 6 et 9 de la convention du conseil de l'Europe du 28 janvier 1981 que s'il existe des motifs d'intérêt public et si cette autorisation est donnée par décret en Conseil d'Etat rendu sur proposition ou avis conforme de la commission nationale de l'informatique et des libertés ; que le décret attaqué, rendu sur avis conforme de la commission nationale de l'informatique et des libertés, fait exception à l'interdiction susmentionnée en faveur des services des renseignements généraux pour la sauvegarde de la sûreté de l'Etat et de la sécurité publique ; que l'intérêt public justifie la dérogation ainsi prévue au 1° de l'article 3 ; que le traitement informatique des informations nominatives relatives aux personnes visées par le 3° de l'article 3 n'est autorisé par le décret attaqué que sous condition que ces informations soient nécessaires pour donner au gouvernement ou à ses représentants les moyens d'apprécier la situation politique, économique ou sociale et de prévoir son évolution ; que, dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'atteinte portée à leur vie privée est excessive au regard de l'intérêt public invoqué ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention du conseil de l'Europe du 28 janvier 1981 : "Toute personne doit pouvoir : a) connaître l'existence d'un fichier automatisé de données à caractère personnel ( ...) ; b) obtenir ( ...) la communication de ces données ( ...) ; c) obtenir, le cas échéant, la rectification de ces données ( ...)" ; qu'aux termes de l'article 7 du décret attaqué : "Le droit d'accès ( ...) s'exerce auprès de la commission nationale de l'informatique et des libertés, ( ...) conformément aux dispositions de l'article 39 de la loi du 6 janvier 1978" ; que "toutefois, lorsque des informations sont enregistrées conformément aux finalités prévues au 2° ou au 3° de l'article 3, la commission nationale de l'informatique et des libertés, en accord avec le ministre de l'intérieur, peut constater que ces informations ne mettent pas en cause la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et qu'il y a donc lieu de les communiquer à l'intéressé" ; qu'en invoquant la violation des stipulations précitées de la convention du conseil de l'Europe, la Confédération générale du travail met en réalité en cause, non la légalité de l'article 7 du décret attaqué, mais la compatibilité de l'article 39 de la loi du 6 janvier 1978 avec lesdites stipulations ; que cet article dispose que : "En ce qui concerne les traitements intéressant la sûreté de l'Etat, la défense et la sécurité publique, la demande est adressée à la commission qui désigne l'un de ses membres ( ...) pour mener toutes investigations utiles et faire procéder aux modifications nécessaires ( ...). Il est notifié au requérant qu'il a été procédé aux vérifications" ; qu'eu égard au caractère des traitements concernés, les modalités prévues par ces dispositions ne sont pas incompatibles avec les droits d'accès et de rectification énoncés dans les stipulations conventionnelles ci-dessus reproduites ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la Confédération générale du travail n'est pas fondée à demander l'annulation du décret attaqué ;
Sur les conclusions de la Confédération générale du travail tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'aux termes du I de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ; que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, soit condamné à payer à la Confédération générale du travail la somme qu'elle demande au titre des sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens ;
Article 1er : La requête de la Confédération générale du travail est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Confédération générale du travail, au Premier ministre, au ministre de l'intérieur, au ministre de la défense et au ministre de l'outre-mer.