Requête de la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule le jugement du 1er août 1978 du tribunal administratif de Dijon la condamnant à verser à la société Spie-Batignolles et à la société dragages et travaux publics une indemnité de 19 222 406 F en réparation du préjudice consécutif à l'exécution du marché de terrassement destiné à la construction de la section Pont de l'Ouche-Beaune de l'autoroute Paris-Lyon ;
2° condamne lesdites sociétés à lui verser les intérêts de droit au taux légal sur les sommes qu'elle leur a payées, à compter du 23 novembre 1978 et à la capitalisation des intérêts ;
3° ordonne une expertise en vue d'évaluer le montant des indemnités éventuellement dues à la société Spie-Batignolles et à la société dragages et travaux publics ;
Vu le code des tribunaux administratifs ; l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; la loi du 30 décembre 1977 ;
Considérant que la société de l'autoroute Paris-Lyon, devenue la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, a, en 1968, confié à la société Spie-Batignolles et à la société française d'entreprises de dragages et travaux publics les travaux d'exécution de la section Pont d'Ouche-Beaune de l'autoroute Paris-Lyon aux termes d'un marché sur bordereau de prix comportant un devis estimatif des quantités d'ouvrages prévues ; que ces entreprises n'ont pas accepté le décompte définitif qui leur a été notifié par la société des autoroutes et, à la suite du rejet par celle-ci de leur réclamation, ont saisi du litige le tribunal administratif de Dijon lequel leur a alloué après expertise une indemnité de 19 922 406 F, toutes taxes comprises, avec intérêts aux taux d'escompte de la Banque de France plus 1 pour cent à compter du 18 mars 1971 ; que la société des autoroutes fait appel de ce jugement ;
Sur la régularité du jugement attaqué : Cons. que le tribunal administratif ne s'est pas borné à homologuer l'avis émis par les experts qu'il avait nommés, et dont il n'a d'ailleurs pas adopté intégralement les conclusions, mais qu'il a procédé à un examen de l'ensemble des données du litige ; qu'en admettant qu'il ait inexactement reproché à la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône de n'avoir pas communiqué aux experts certains renseignements qu'elle possédait, cette circonstance n'est pas de nature à entacher d'irrégularité le jugement attaqué ;
Sur les conclusions relatives à la réparation du préjudice causé par l'augmentation ou la diminution de plus de 35 % des quantités prévues au devis estimatif pour certaines catégories d'ouvrages : Cons. que l'article 32 du cahier des clauses administratives générales stipule que : " lorsque le marché comporte un détail estimatif indiquant l'importance des diverses natures d'ouvrages et que des changements ordonnés par la société ou résultant de circonstances qui ne sont ni de la faute ni du fait de l'entrepreneur modifient l'importance de certaines natures d'ouvrages de telle sorte que les quantités diffèrent de plus de 35% en plus ou en moins des quantités portées au détail estimatif, l'entrepreneur peut présenter en fin de compte une demande en indemnité pour le préjudice que lui ont causé les modifications survenues à cet égard dans les prévisions du projet " ; que la société requérante ne conteste ni le principe de l'application en l'espèce de l'article 32 sus-reproduit, en raison du dépassement pour plusieurs catégories d'ouvrages du seuil de 35 % en augmentation ou en diminution par rapport aux prévisions du devis estimatif ni le volume de ces dépassements ou de ces diminutions, mais qu'elle reproche aux experts dont le tribunal a adopté les propositions de n'avoir pas pris en considération l'organisation défectueuse du chantier, d'avoir évalué le prix de revient des travaux selon des méthodes arbitraires et erronées, et d'avoir inclus dans le montant de l'indemnité proposée des sommes qui correspondent à un bénéfice ou à un manque à gagner ;
Cons. qu'il résulte de l'instruction qu'en admettant même que des négligences ou des maladresses puissent être relevées à la charge de la société Spie-Batignolles et de la société Dragages et travaux publics dans la coordination de leurs moyens et dans l'emploi des explosifs, ces erreurs, à les supposer établies, n'excèdent pas, par leur importance et par leurs conséquences celles que l'on peut normalement rencontrer dans l'organisation d'un chantier de cette dimension compte tenu de l'importance des modifications en plus ou en moins des quantités d'ouvrages prévues, de 50 % pour certaines catégories, de plus de 100 % pour l'une ; qu'en tout état de cause, malgré les bouleversements subis par les prévisions contractuelles initiales et provoqués par l'insuffisance, imputable à la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, de l'analyse de la nature géologique des terrains, la construction de la section de l'autoroute Pont de l'Ouche-Beaune entreprise en mai 1968 a pu être achevée avec seulement un léger retard ;
Cons. en second lieu, que les experts qui ont en l'occurence disposé d'éléments de preuve suffisants, ne se sont pas bornés à reprendre sans examen les chiffres avancés par les entreprises, qu'ils ont d'ailleurs réduits dans de sensibles proportions ; qu'ils ont examiné séparément chacun des chefs de la demande, en procédant à une répartition correcte des salaires et des frais accessoires à la main d'oeuvre, des fournitures et des charges d'emploi des matériels, qui ont concouru à la détermination du prix de revient, en évitant ainsi les doubles emplois ; que si, pour évaluer les frais afférents au poste " matériel ", ils se sont inspirés des indications fournies par le barème des charges d'emploi des matériels de travaux publics, dit " barème bleu ", ils ne se sont pas tenus pour liés par les énonciations de ce document, qu'ils ont adaptées aux circonstances de l'espèce et sur les tarifs duquel ils ont appliqué un rabais substantiel ;
Cons. toutefois, que bien que l'indemnité correspondant au préjudice consécutif aux augmentations de quantités doive être déterminée sur la base du prix de revient, à l'exclusion de tout élément de bénéfice, ou de manque à gagner, il ressort des calculs auxquels les experts ont procédé, que ces derniers ont intégré à tort dans le montant de leurs propositions, retenues par le tribunal administratif, les sommes, correspondant à un bénéfice de 291 323 F, 7 538 F et 7 748 F et concernant respectivement les déblais en rocher compact, le réglage des talus en rocher compact, et les pieux, soit au total, 306 609 F, chiffre non contesté par les entreprises ; qu'en conséquence le montant de l'indemnité allouée par le tribunal administratif doit être réduit de 306 609 F, et le jugement attaqué doit être réformé dans cette mesure ;
Cons. que la société requérante n'établit pas que l'évaluation de l'indemnité correspondant à la diminuation de certaines natures d'ouvrage, et qui comprenait à bon droit la somme représentative du manque à gagner, telle qu'elle a été déterminée par les experts, dont les propositions ont été retenues par le tribunal administratif, serait entachée d'erreurs ;
Sur les conclusions relatives à la réparation du préjudice causé par les sujétions imprévues : Cons. que la société Spie-Batignolles et la société Dragages et travaux publics ont rencontré dans l'exécution des travaux des difficultés exceptionnelles tenant notamment à la consistance hétérogène des terrains ainsi qu'à la présence de couches et de poches d'argile ; que ces difficultés ont provoqué une diminution sensible de rendement ainsi qu'une augmentation considérable de certaines charges et ont eu pour résultat de bouleverser l'économie du marché ;
Cons. que la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône soutient que les obstacles rencontrés étaient prévisibles, parce qu'ils étaient signalés dans les documents contractuels, qu'il appartenait aux entreprises de vérifier les renseignements figurant dans les pièces jointes au marché et qu'enfin les prix stipulés avaient un caractère définitif et forfaitaire ;
Cons. qu'il ressort des précisions apportées par l'expertise que la société requérante n'avait fait procéder qu'à des études préalables insuffisantes, qu'elle a commis des erreurs importantes dans l'appréciation et dans l'estimation des volumes des rochers qui ont servi de base au marché et que la présence de l'argile n'était pas signalée aux emplacements auxquels devaient être exécutés les travaux et édifiés les ouvrages ; qu'en outre par sa brièveté, le délai d'un mois imparti aux candidats pour formuler leurs offres, n'a pas permis aux entreprises d'effectuer des sondages ni de procéder à des études géologiques sérieuses ; qu'enfin le caractère forfaitaire et définitif des prix unitaires ne fait pas obstacle à ce que les entrepreneurs obtiennent une indemnité pour les difficultés exceptionnelles et imprévisibles par eux rencontrées dans l'exécution des travaux ;
Cons. que la société requérante n'établit pas qu'en fixant à 3 975 223 F hors taxe le montant de l'indemnité correspondant au préjudice découlant des sujétions imprévues, le tribunal administratif aurait fait une appréciation exagérée de ce chef de la demande ;
Sur les conclusions de l'appel incident relatives aux frais financiers : Cons. que la société Spie-Batignolles et la société Dragages et travaux publics ne justifient pas qu'elles ont supporté au titre des frais financiers, des charges supplémentaires ; qu'ainsi, c'est à bon droit que le tribunal administratif a écarté sur ce point la demande des entreprises dont l'appel incident doit dès lors être rejeté ;
Sur les intérêts : Cons. que le tribunal administratif a décidé à juste titre que les intérêts dus par la société requérante porteraient sur la totalité de l'indemnité allouée, sans en exclure le montant de la taxe sur la valeur ajoutée, laquelle n'est pas dissociable de ladite indemnité ;
Cons. que l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte définitif détermine les droits et obligations des parties ; que les dispositions de l'article 49 du cahier des clauses administratives générales s'appliquent à l'ensemble des créances des entreprises qui trouvent leur origine dans les stipulations du contrat ou dans une faute commise par le maître de l'ouvrage dans l'exécution de ses engagements ; qu'ainsi, la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a décidé que l'indemnité allouée porterait intérêts au taux d'escompte de la Banque de France majoré de 1 % conformément au paragraphe 8 de l'article 49 susmentionné ;
Cons., que le point de départ des intérêts étant déterminé par les dispositions de l'article 49 précité qui le fixe à l'expiration d'un délai de quatre mois après la réception définitive, et non par celles de l'article 1153 du code civil, il ne saurait être fixé à la date d'enregistrement de la demande introductive d'instance au greffe du tribunal administratif ainsi que le soutient la société requérante ; que, d'autre part, il résulte des stipulations des alinéas 2 et 7 dudit article que les intérêts moratoires devaient courir à compter non du 18 novembre 1970, date de la réception définitive des travaux comme le soutiennent à tort les entreprises dont les conclusions incidentes sur ce point doivent être rejetées, mais du 18 mars 1971, ainsi que l'a jugé le tribunal ;
Cons. que la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône obtient par la présente décision, une réduction de 306 609 F sur le montant de la condamnation prononcée ; que cette société a droit aux intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 1978, jour où ladite somme a été versée ;
Sur les intérêts des intérêts : Cons. que la capitalisation des intérêts afférents à la somme de 306 609 F a été demandée par la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône le 3 octobre 1979 et le 2 novembre 1981 ; qu'à la première de ces dates, il était dû moins d'une année d'intérêts ; qu'il y a lieu de rejeter cette demande en application des dispositions de l'article 1154 du code civil ; qu'en revanche, il convient de faire droit aux conclusions enregistrées le 2 novembre 1981 ;
Cons. que la société Spie-Batignolles a demandé le 14 octobre 1981 la capitalisation des intérêts ; qu'à cette date, au cas où le jugement attaqué n'aurait pas encore été exécuté, il était dû au moins une année d'intérêts ; que dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Cons. enfin qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une nouvelle expertise ;... Indemnité ramenée de 19 922 406 F à 19 615 797 F dont les intérêts y afférents et échus le 14 octobre 1981 capitalisés à cette date, pour produire eux-mêmes intérêts ; paiement par les sociétés Spie-Batignolles et Dragages et travaux publics des intérêts au taux légal à la requérante sur la somme de 306 609 F à compter du 23 novembre 1978 et capitalisation des intérêts y afférents échus le 2 novembre 1981 ; réformation du jugement en ce sens .