Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de la loi relative à la transparence de la vie publique, le 18 septembre 2013, par MM. Jean-Claude GAUDIN, Pierre ANDRÉ, Gérard BAILLY, Philippe BAS, René BEAUMONT, Mme Françoise BOOG, MM. Pierre BORDIER, Joël BOURDIN, François-Noël BUFFET, François CALVET, Christian CAMBON, Jean-Pierre CANTEGRIT, Jean-Noël CARDOUX, Jean-Claude CARLE, Mme Caroline CAYEUX, MM. Gérard CÉSAR, Pierre CHARON, Alain CHATILLON, Jean-Pierre CHAUVEAU, Marcel-Pierre CLÉACH, Gérard CORNU, Raymond COUDERC, Jean-Patrick COURTOIS, Mme Isabelle DEBRÉ, MM. Francis DELATTRE, Robert del PICCHIA, Gérard DÉRIOT , Mmes Catherine DEROCHE, Marie Hélène DES ESGAULX, MM. Éric DOLIGÉ, Philippe DOMINATI, Michel DOUBLET, Mme Marie-Annick DUCHÊNE, MM. Alain DUFAUT, André DULAIT, Ambroise DUPONT, Louis DUVERNOIS, Jean-Paul ÉMORINE, Hubert FALCO, André FERRAND, Bernard FOURNIER, Christophe FRASSA, Yann GAILLARD, René GARREC, Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, MM. Jacques GAUTIER, Patrice GÉLARD, Bruno GILLES, Mme Colette GIUDICELLI, MM. Alain GOURNAC, Francis GRIGNON, François GROSDIDIER, Charles GUENÉ, Michel HOUEL, Alain HOUPERT, Jean-François HUMBERT, Benoît HURÉ, Jean-Jacques HYEST, Roger KAROUTCHI, Marc LAMÉNIE, Mme Elisabeth LAMURE, MM. Gérard LARCHER, Robert LAUFOAULU, Daniel LAURENT, Jean-René LECERF, Antoine LEFÈVRE, Jacques LEGENDRE, Dominique de LEGGE, Jean-Pierre LELEUX, Jean-Claude LENOIR, Gérard LONGUET, Roland du LUART, Michel MAGRAS, Philippe MARINI, Pierre MARTIN, Mme Hélène MASSON-MARET, M. Jean-François MAYET, Mme Colette MÉLOT, MM. Alain MILON, Philippe NACHBAR, Philippe PAUL, Jackie PIERRE, François PILLET, Rémy POINTEREAU, Christian PONCELET, Ladislas PONIATOWSKI, Hugues PORTELLI, Mmes Sophie PRIMAS, Catherine PROCACCIA, MM. Jean-Pierre RAFFARIN, Henri de RAINCOURT, André REICHARDT, Bruno RETAILLEAU, Charles REVET, Bernard SAUGEY, René-Paul SAVARY, Bruno SIDO, Mmes Esther SITTLER, Catherine TROENDLE, MM. François TRUCY et Jean-Pierre VIAL, sénateurs ;
Et le 20 septembre 2013, par MM. Christian JACOB, Elie ABOUD, Yves ALBARELLO, Benoist APPARU, Julien AUBERT, Olivier AUDIBERT TROIN, Patrick BALKANY, Jean-Pierre BARBIER, Sylvain BERRIOS, Xavier BERTRAND, Etienne BLANC, Mme Valérie BOYER, MM. Dominique BUSSEREAU, Gilles CARREZ, Yves CENSI, Luc CHATEL, Guillaume CHEVROLLIER, Alain CHRÉTIEN, Jean-Louis CHRIST, Dino CINIERI, Éric CIOTTI, Jean-François COPÉ, François CORNUT-GENTILLE, Edouard COURTIAL, Jean-Michel COUVE, Mme Marie-Christine DALLOZ, MM. Gérald DARMANIN, Olivier DASSAULT, Bernard DEFLESSELLES, Lucien DEGAUCHY, Patrick DEVEDJIAN, Nicolas DHUICQ, Jean Pierre DOOR, Dominique DORD, David DOUILLET, Mmes Marianne DUBOIS, Virginie DUBY-MULLER, MM. Christian ESTROSI, Daniel FASQUELLE, Georges FENECH, François FILLON, Yves FOULON, Marc FRANCINA, Laurent FURST, Claude de GANAY, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Hervé GAYMARD, Mme Annie GENEVARD, MM. Guy GEOFFROY, Bernard GÉRARD, Alain GEST, Franck GILARD, Claude GOASGUEN, Philippe GOSSELIN, Mmes Claude GREFF, Anne GROMMERCH, MM. Henri GUAINO, Jean-Claude GUIBAL, Christophe GUILLOTEAU, Philippe HOUILLON, Guénhaël HUET, Sébastien HUYGHE, Denis JACQUAT, Christian KERT, Jacques KOSSOWSKI, Mme Valérie LACROUTE, MM. Marc LAFFINEUR, Jacques LAMBLIN, Jean-François LAMOUR, Mme Laure de LA RAUDIÈRE, M. Alain LEBOEUF, Mme Isabelle LE CALLENNEC, MM. Pierre LELLOUCHE, Dominique LE MÈNER, Jean LEONETTI, Philippe LE RAY, Céleste LETT, Mme Véronique LOUWAGIE, MM. Gilles LURTON, Jean-François MANCEL, Laurent MARCANGELI, Thierry MARIANI, Olivier MARLEIX, Alain MARSAUD, Alain MARTY, François de MAZIÈRES, Damien MESLOT, Philippe MEUNIER, Pierre MORANGE, Pierre MOREL-A-L'HUISSIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Jacques MYARD, Yves NICOLIN, Bernard PERRUT, Edouard PHILIPPE, Jean-Frédéric POISSON, Mmes Bérangère POLETTI, Josette PONS, MM. Didier QUENTIN, Bernard REYNÈS, Franck RIESTER, Camille de ROCCA-SERRA, Mmes Sophie ROHFRITSCH, Claudine SCHMID, MM. Jean-Marie SERMIER, Fernand SIRÉ, Michel SORDI, Éric STRAUMANN, Claude STURNI, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Guy TEISSIER, Michel TERROT, Jean-Marie TETART, Dominique TIAN, Mme Catherine VAUTRIN, MM. Patrice VERCHÈRE, Philippe VITEL, Michel VOISIN et Mme Marie-Jo ZIMMERMANN, députés.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code électoral ;
Vu la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques ;
Vu la loi organique relative à la transparence de la vie publique, adoptée par le Parlement le 17 septembre 2013, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2013-675 DC du 9 octobre 2013 ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 27 septembre 2013 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les députés et les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la transparence de la vie publique ; qu'ils mettent en cause la conformité à la Constitution de certaines dispositions de ses articles 2, 4, 5, 7, 10, 11, 12, 20, 23 et 26 ; qu'ils invoquent notamment la méconnaissance du droit au respect de la vie privée, de la liberté d'entreprendre, du principe d'égalité, des droits de la défense, de la légalité des délits et des peines et de la séparation des pouvoirs ainsi que de l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ;
- SUR LES DÉCLARATIONS DE SITUATION PATRIMONIALE ET LES DÉCLARATIONS D'INTÉRÊTS ET LEUR PUBLICITÉ :
2. Considérant que le paragraphe I de l'article 4 de la loi déférée institue, pour chacun des membres du Gouvernement, l'obligation d'adresser, dans les deux mois qui suivent sa nomination, d'une part, au président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique une déclaration exhaustive, exacte et sincère de sa situation patrimoniale et, d'autre part, au président de cette autorité ainsi qu'au Premier ministre une déclaration faisant apparaître les intérêts détenus à la date de sa nomination et dans les cinq années précédant cette date ; que ce paragraphe prévoit également que l'intéressé déclare toute modification substantielle de sa situation patrimoniale ou des intérêts qu'il détient et qu'il dépose une nouvelle déclaration dans les deux mois qui suivent la cessation des fonctions pour une cause autre que le décès ; que le paragraphe I de l'article 11 soumet à l'obligation d'adresser au président de la Haute autorité une déclaration de situation patrimoniale ainsi qu'une déclaration d'intérêts, dans les deux mois qui suivent leur entrée en fonctions, les représentants français au Parlement européen, les titulaires de certaines fonctions exécutives locales, les membres des cabinets ministériels et les collaborateurs du Président de la République, du Président de l'Assemblée nationale et du Président du Sénat, les membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes ainsi que toute autre personne exerçant un emploi ou des fonctions à la décision du Gouvernement pour lesquels elle a été nommée en conseil des ministres ; que ce même paragraphe prévoit qu'une nouvelle déclaration doit être déposée en cas de modification substantielle de la situation patrimoniale ou des intérêts détenus et qu'une nouvelle déclaration de situation patrimoniale est également exigée dans les deux mois qui suivent la fin des fonctions ou du mandat ; que le paragraphe III du même article 11 soumet à ces mêmes obligations les présidents et directeurs généraux des sociétés ou autres personnes morales dans lesquelles plus de la moitié du capital social est détenue directement par l'État, des établissements publics de l'État à caractère industriel et commercial ainsi que d'autres sociétés publiques ou établissements publics d'importance ;
3. Considérant que le paragraphe II de l'article 4 de la loi déférée énumère les éléments sur lesquels doit porter la déclaration de situation patrimoniale ; qu'il prévoit que doivent y figurer les immeubles bâtis et non bâtis, les valeurs mobilières, les assurances-vie, les comptes bancaires courants ou d'épargne, les livrets et les autres produits d'épargne, les biens mobiliers divers d'une valeur supérieure à un montant fixé par voie réglementaire, les véhicules terrestres à moteur, les bateaux et les avions, les fonds de commerce ou les clientèles et les charges et les offices, les biens mobiliers et immobiliers ainsi que les comptes détenus à l'étranger, les autres biens ainsi que le passif ;
4. Considérant que le paragraphe III de l'article 4 de la loi déférée énumère les éléments sur lesquels doit porter la déclaration d'intérêts ; qu'il prévoit que cette déclaration doit mentionner les activités professionnelles donnant lieu à rémunération ou gratification à la date de la nomination et celles ayant donné lieu à rémunération ou gratification au cours des cinq dernières années ; qu'il en va de même pour les activités de consultant exercées ainsi que les participations aux organes dirigeants d'un organisme public ou privé ou d'une société ; que cette déclaration doit aussi mentionner à la date de la nomination les participations financières directes dans le capital d'une société, les activités professionnelles exercées par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin, les enfants et les parents ainsi que les fonctions et mandats électifs exercés ; qu'enfin cette déclaration doit comporter les fonctions bénévoles susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts ainsi que les autres liens susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts ; que doit être mentionné le montant des rémunérations, indemnités ou gratifications perçues au titre des activités et participations personnelles non bénévoles ;
5. Considérant que le paragraphe I de l'article 5 de la loi déférée prévoit que la Haute autorité rend publiques les déclarations de situation patrimoniale et les déclarations d'intérêts des membres du Gouvernement ; que le paragraphe III du même article précise les éléments de ces déclarations qui ne peuvent être rendus publics ; que le paragraphe I de l'article 12 prévoit également que la Haute autorité rend publiques, dans les limites définies au paragraphe III de l'article 5, les déclarations d'intérêts des personnes visées aux paragraphes I et III de l'article 11 ; que le paragraphe II de l'article 12 prévoit que les déclarations de situation patrimoniale déposées par les titulaires de fonctions exécutives locales visés au 2° du paragraphe I de l'article 11 sont, aux seules fins de consultation, tenues à la disposition des électeurs inscrits sur les listes électorales ;
6. Considérant que, selon les sénateurs et les députés requérants, en permettant la publication de l'ensemble des déclarations d'intérêts ainsi que la publication des déclarations de situation patrimoniale des membres du Gouvernement et la consultation par les électeurs des déclarations de situation patrimoniale des titulaires de certaines fonctions exécutives locales, les dispositions des articles 5 et 12 de la loi déférée opèrent une conciliation manifestement déséquilibrée entre l'objectif de probité des responsables publics et le droit au respect de la vie privée ; que l'inclusion de certaines des informations dans ces déclarations en vertu de l'article 4 porterait également une atteinte inconstitutionnelle au droit au respect de la vie privée ; qu'en outre, en exigeant que la personne soumise à l'obligation de déposer une déclaration d'intérêts indique les activités professionnelles de son conjoint, de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou de son concubin et de ses enfants et parents, il serait porté atteinte à la liberté d'entreprendre ;
7. Considérant que, selon les députés requérants, en définissant, à l'article 2 de la loi déférée, le conflit d'intérêts comme « toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction » et en exigeant, au 8° du paragraphe III de l'article 4, des personnes soumises à l'obligation de déposer une déclaration d'intérêts qu'elles mentionnent les liens « susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts », le législateur a retenu des définitions imprécises et équivoques qui portent atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ;
8. Considérant que, selon les sénateurs requérants, en imposant aux titulaires de certaines fonctions exécutives locales le dépôt de déclarations d'intérêts et de déclarations de situation patrimoniale auxquelles il est donné une forme de publicité, alors que ces personnes peuvent être candidates à l'occasion de futurs scrutins, les dispositions de l'article 12 portent également atteinte à l'égalité des candidats devant le suffrage ;
. En ce qui concerne l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi :
9. Considérant qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui impose d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droits contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi ;
10. Considérant, en premier lieu, qu'en définissant, à l'article 2 de la loi déférée, le conflit d'intérêts au sens de la loi comme « toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction », le législateur a retenu une définition du conflit d'intérêts incluant les situations d'interférence entre des intérêts publics ou privés non seulement lorsqu'elles sont de nature à influencer l'exercice d'une fonction mais également lorsqu'elles paraissent influencer l'exercice d'une fonction ; que, s'il appartient à la Haute autorité, sous le contrôle du juge, d'apprécier les situations de fait correspondant à cette influence ou cette apparence d'influence, le législateur, en étendant l'appréciation du conflit d'intérêts à ces cas d'apparence d'influence, a retenu une définition qui ne méconnaît pas l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ;
11. Considérant, en second lieu, que la déclaration de situation patrimoniale, qui doit par ailleurs mentionner les immeubles bâtis et non bâtis, les valeurs mobilières, les assurances-vie, les comptes bancaires courants ou d'épargne, les livrets et les autres produits d'épargne, les biens mobiliers divers d'une valeur supérieure à un montant fixé par voie réglementaire, les véhicules terrestres à moteur, les bateaux et les avions, les fonds de commerce ou les clientèles et les charges et les offices, les biens mobiliers et immobiliers ainsi que les comptes détenus à l'étranger, doit également mentionner « les autres biens » ; qu'en retenant la mention des « autres biens » qui ne figurent pas dans l'une des autres catégories de la déclaration de situation patrimoniale, le législateur a entendu inclure tous les éléments du patrimoine d'une valeur substantielle, avec en particulier les comptes courants de société et les options de souscription ou d'achat d'actions ; qu'il appartiendra au décret en Conseil d'État prévu par le paragraphe IV de l'article 4 de fixer la valeur minimale de ces autres biens devant figurer dans la déclaration ; que le législateur n'a donc pas méconnu l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ;
. En ce qui concerne le droit au respect de la vie privée :
12. Considérant qu'il appartient au législateur, en vertu de l'article 34 de la Constitution, de fixer les conditions d'exercice des mandats électoraux et des fonctions électives et les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'État ; qu'il lui est à tout moment loisible d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles ;
13. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la Déclaration de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression » ; que la liberté proclamée par cet article implique le droit au respect de la vie privée ; que le dépôt de déclarations d'intérêts et de déclarations de situation patrimoniale contenant des données à caractère personnel relevant de la vie privée ainsi que la publicité dont peuvent faire l'objet de telles déclarations portent atteinte au respect de la vie privée ; que, pour être conformes à la Constitution, ces atteintes doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et mises en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ;
14. Considérant que l'instauration d'une obligation de dépôt, auprès d'une autorité administrative indépendante, de déclarations d'intérêts et de déclarations de situation patrimoniale par les titulaires de certaines fonctions publiques ou de certains emplois publics a pour objectif de renforcer les garanties de probité et d'intégrité de ces personnes, de prévention des conflits d'intérêts et de lutte contre ceux-ci ; qu'elle est ainsi justifiée par un motif d'intérêt général ;
15. Considérant, toutefois, que, si le législateur pouvait imposer la mention, dans ces déclarations, des activités professionnelles exercées à la date de la nomination par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée compte tenu de la vie commune avec le déclarant, il n'en va pas de même de l'obligation de déclarer les activités professionnelles exercées par les enfants et les parents ; qu'il est ainsi porté une atteinte au droit au respect de la vie privée qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi ; qu'il en résulte que, au 6° du paragraphe III de l'article 4 de la loi déférée, les mots : « les enfants et les parents » doivent être déclarés contraires à la Constitution ; que, par voie de conséquence, doivent également être déclarés contraires à la Constitution les mots « ou d'un autre membre de sa famille » figurant aux sixième et onzième alinéas du paragraphe III de l'article 5 ;
- Quant aux déclarations des membres du Gouvernement :
16. Considérant que les dispositions de l'article 5 prévoient que les déclarations d'intérêts et les déclarations de situation patrimoniale des membres du Gouvernement font l'objet d'une publication par la Haute autorité qui peut assortir cette publication de toute appréciation qu'elle estime utile quant à l'exhaustivité, à l'exactitude et à la sincérité de l'une ou l'autre déclaration, après avoir mis l'intéressé à même de présenter ses observations ; qu'elles prévoient également que tout électeur peut adresser à la Haute autorité toute observation écrite relative à ces déclarations ; qu'en outre les noms et les adresses mentionnés dans les déclarations ne peuvent être rendus publics ;
17. Considérant que le premier alinéa de l'article 23 de la Constitution prévoit que « les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l'exercice. . . de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle » ; qu'eu égard, d'une part, au statut et à la situation particulière des membres du Gouvernement et, d'autre part, à leur pouvoir, notamment dans l'exercice du pouvoir réglementaire et dans la détermination et la conduite de la politique de la Nation, le législateur, en prévoyant une publication de leurs déclarations d'intérêts ainsi que de leurs déclarations de situation patrimoniale par la Haute autorité, a porté au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne revêt pas un caractère disproportionné au regard de l'objectif poursuivi ;
- Quant aux déclarations des personnes titulaires de mandats électoraux :
18. Considérant que les dispositions du paragraphe I de l'article 12 prévoient que les déclarations d'intérêts des personnes visées aux 1° à 3° du paragraphe I de l'article 11 font l'objet d'une publication par la Haute autorité ; que les dispositions du paragraphe II de l'article 12 prévoient que les déclarations de situation patrimoniale des titulaires de fonctions exécutives locales visés au 2° du paragraphe I de l'article 11 sont, aux seules fins de consultation, tenues à la disposition des électeurs inscrits sur les listes électorales ; que ces deux dispositions prévoient également que tout électeur peut adresser à la Haute autorité toute observation écrite relative à ces déclarations ; que les noms et les adresses mentionnés dans les déclarations ne peuvent être rendus publics ;
19. Considérant, d'une part, qu'en prévoyant une publication des déclarations d'intérêts des personnes visées aux 1° à 3° du paragraphe I de l'article 11 par la Haute autorité, le législateur a entendu permettre à chaque citoyen de s'assurer par lui-même de la mise en oeuvre des garanties de probité et d'intégrité de ces élus, de prévention des conflits d'intérêts et de lutte contre ceux-ci ; que, s'agissant de personnes élues, l'atteinte portée au droit au respect de la vie privée ne revêt pas un caractère disproportionné au regard de l'objectif poursuivi ;
20. Considérant, d'autre part, qu'en prévoyant une forme de publicité relative au patrimoine des titulaires de fonctions exécutives locales visés au 2° du paragraphe I de l'article 11, le législateur a, s'agissant d'élus d'établissements publics et de collectivités territoriales qui règlent les affaires de leur compétence par des conseils élus, porté au droit au respect de la vie privée une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi ; que, par suite, les sept premiers alinéas du paragraphe II de l'article 12 doivent être déclarés contraires à la Constitution ;
- Quant aux déclarations des personnes titulaires d'autres fonctions ou emplois publics :
21. Considérant que les dispositions du paragraphe I de l'article 12 prévoient que les déclarations d'intérêts des personnes visées aux 4° à 7° du paragraphe I de l'article 11 et de celles visées au paragraphe III de ce même article font l'objet d'une publication par la Haute autorité ; qu'elles prévoient également que tout électeur peut adresser à la Haute autorité toute observation écrite relative à celles-ci ; que les noms et les adresses mentionnés dans les déclarations ne peuvent être rendus publics ;
22. Considérant que, pour des personnes exerçant des responsabilités de nature administrative et n'étant pas élues par les citoyens, l'objectif de renforcer les garanties de probité et d'intégrité de ces personnes, de prévention des conflits d'intérêts et de lutte contre ceux-ci est directement assuré par le contrôle des déclarations d'intérêts par la Haute autorité et par l'autorité administrative compétente ; qu'en revanche, la publicité de ces déclarations d'intérêts, qui sont relatives à des personnes qui n'exercent pas de fonctions électives ou ministérielles mais des responsabilités de nature administrative, est sans lien direct avec l'objectif poursuivi et porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de ces personnes ; que, par suite, les dispositions du paragraphe I de l'article 12 ne sauraient avoir pour objet ni pour effet de permettre que soient rendues publiques les déclarations d'intérêts déposées par les personnes mentionnées aux 4° à 7° du paragraphe I de l'article 11 et au paragraphe III de ce même article ; que, sous cette réserve, les dispositions du paragraphe I de l'article 12 sont conformes à la Constitution ;
. En ce qui concerne le grief tiré de l'atteinte à la liberté d'entreprendre :
23. Considérant qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;
24. Considérant que l'exercice des fonctions publiques ou emplois publics visés aux articles 4 et 11 ne relève pas de la liberté d'entreprendre ; que, par suite, le grief tiré de l'atteinte à l'article 4 de la Déclaration de 1789 est inopérant ;
. En ce qui concerne le grief tiré de l'atteinte au principe d'égalité :
25. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi : « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
26. Considérant qu'en imposant aux titulaires de certaines fonctions publiques ou de certains emplois publics une obligation de dépôt d'une déclaration d'intérêts ainsi que d'une déclaration de situation patrimoniale et en prévoyant alors la publicité de certaines de ces déclarations, les dispositions contestées ont pour objet de traiter différemment des personnes placées dans une situation différente ; que cette différence de traitement est en rapport direct avec l'objectif poursuivi par le législateur ; qu'en conséquence, le grief tiré de la violation du principe d'égalité doit être écarté ;
. En ce qui concerne le grief tiré de l'atteinte au principe de la légalité des délits et des peines :
27. Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de la légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ;
28. Considérant que le 8° du paragraphe III de l'article 4 impose de renseigner dans la déclaration d'intérêts les « autres liens susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts », sans donner d'indication sur la nature de ces liens et les relations entretenues par le déclarant avec d'autres personnes qu'il conviendrait d'y mentionner ; qu'il résulte des dispositions de l'article 26 que le fait de ne pas avoir mentionné d'élément dans cette rubrique peut être punissable sans que les éléments constitutifs de l'infraction soient suffisamment définis : qu'ainsi, les dispositions du 8° du paragraphe III de l'article 4 méconnaissent le principe de la légalité des délits et des peines et doivent être déclarées contraires à la Constitution ; que doit également être déclarée contraire à la Constitution, par voie de conséquence, la référence « 8° » au dernier alinéa du paragraphe III de l'article 4 ;
29. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que doivent être déclarés contraires à la Constitution, au 6° du paragraphe III de l'article 4, les mots : « , les enfants et les parents », le 8° du même paragraphe III et la référence au « 8° » au dernier alinéa de ce paragraphe, aux sixième et onzième alinéas du paragraphe III de l'article 5, les mots : « ou d'un autre membre de sa famille » ainsi que les sept premiers alinéas du paragraphe II de l'article 12 ; que les articles 2 et 11 doivent être déclarés conformes à la Constitution ; qu'il en va de même du surplus des articles 4 et 5 et, sous la réserve énoncée au considérant 22, du surplus de l'article 12 ;
- SUR LA HAUTE AUTORITÉ POUR LA TRANSPARENCE DE LA VIE PUBLIQUE :
30. Considérant que l'article 19 de la loi déférée institue la Haute autorité pour la transparence de la vie publique ; que l'article 20 détermine ses missions ; qu'en particulier le 1° du paragraphe I de cet article prévoit qu'elle reçoit les déclarations de situation patrimoniale et les déclarations d'intérêts des membres du Gouvernement, des députés ou des sénateurs et des personnes mentionnées à l'article 11 et en assure la vérification, le contrôle et le cas échéant la publicité dans les conditions prévues par les articles 4 à 12 de la loi déférée ; que le 2° de ce même paragraphe I dispose qu'elle se prononce sur les situations pouvant constituer un conflit d'intérêts dans lesquelles peuvent se trouver les membres du Gouvernement et les personnes mentionnées à l'article 11 et peut leur enjoindre d'y mettre fin, à l'exception des membres du Parlement européen ; que le 4° de ce paragraphe I prévoit qu'elle se prononce, en application de l'article 23, sur la compatibilité de l'exercice d'une activité libérale ou d'une activité rémunérée au sein d'un organisme ou d'une entreprise exerçant son activité dans un secteur concurrentiel conformément aux règles du droit privé, avec des fonctions gouvernementales ou des fonctions exécutives locales énumérées au 2° du paragraphe I de l'article 11 ;
31. Considérant, en outre, que l'article 7 de la loi prévoit que la Haute autorité contrôle la variation de la situation patrimoniale des membres du Gouvernement telle qu'elle résulte de leurs déclarations, des éventuelles observations et explications qu'ils ont pu formuler et des autres éléments dont elle dispose ; qu'aux termes du second alinéa de cet article : « Lorsqu'elle constate une évolution de la situation patrimoniale pour laquelle elle ne dispose pas d'explications suffisantes, après que le membre du Gouvernement a été mis en mesure de présenter ses observations, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique publie au Journal officiel un rapport spécial, assorti des observations de l'intéressé, et transmet le dossier au parquet » ; qu'en vertu du paragraphe V de l'article 11, l'article 7 est également applicable aux personnes mentionnées à l'article 11 ;
32. Considérant que le paragraphe II de l'article 20 dispose que la Haute autorité peut, en cas de manquement à ses obligations par une des personnes mentionnées aux articles 4 et 11, se saisir d'office ou être saisie par le Premier ministre, le Président de l'Assemblée nationale ou le Président du Sénat ainsi que par les associations agréées se proposant, par leur statut, de lutter contre la corruption ; que le troisième alinéa de ce paragraphe II dispose que la Haute autorité peut demander aux membres du Gouvernement et aux personnes mentionnées aux articles 11 et 23 toute explication ou tout document nécessaire à l'exercice de ses missions ;
33. Considérant que l'article 22 prévoit que lorsque la Haute autorité constate qu'un membre du Gouvernement ou une personne mentionnée à l'article 11 ne respecte pas les obligations prévues aux articles 1er, 2, 4 et 11 ou se trouve dans une situation prévue à l'article 7, elle en informe, selon le cas, l'autorité dont cette personne relève pour l'exercice de ses fonctions, le président de l'assemblée ou de l'autorité dont elle est membre ou son autorité de nomination ;
34. Considérant que le paragraphe I de l'article 23 dispose que la Haute autorité se prononce sur la compatibilité de l'exercice d'une activité libérale ou d'une activité rémunérée au sein d'un organisme ou d'une entreprise exerçant son activité dans un secteur concurrentiel conformément aux règles du droit privé, avec des fonctions gouvernementales ou des fonctions exécutives locales énumérées au 2° du paragraphe I de l'article 11 exercées au cours des trois années précédant le début de cette activité ; qu'aux termes du paragraphe II de l'article 23 : « Les avis de compatibilité peuvent être assortis de réserves dont les effets peuvent s'imposer à la personne concernée pendant une période maximale expirant trois ans après la fin de l'exercice des fonctions gouvernementales ou des fonctions exécutives locales.
« Lorsque la Haute Autorité rend un avis d'incompatibilité, la personne concernée ne peut pas exercer l'activité envisagée pendant une période expirant trois ans après la fin de l'exercice des fonctions gouvernementales ou des fonctions exécutives locales.
« La Haute Autorité notifie sa décision à la personne concernée et, le cas échéant, à l'organisme ou à l'entreprise au sein duquel celle-ci exerce d'ores et déjà ses fonctions en violation du premier alinéa du I. Les actes et contrats conclus en vue de l'exercice de cette activité :
« 1° Cessent de produire leurs effets lorsque la Haute Autorité a été saisie dans les conditions fixées au 1° du I ;
« 2° Sont nuls de plein droit lorsque la Haute Autorité a été saisie dans les conditions fixées au 2° du I.
« Lorsqu'elle est saisie en application du même 2° et qu'elle rend un avis d'incompatibilité, la Haute Autorité le rend public.
« Elle peut rendre un avis d'incompatibilité lorsqu'elle estime ne pas avoir obtenu de la personne concernée les informations nécessaires » ;
35. Considérant qu'aux termes du paragraphe IV de l'article 23 : « Lorsqu'elle a connaissance de l'exercice, par une personne mentionnée au I, d'une activité exercée en violation d'un avis d'incompatibilité ou d'une activité exercée en violation des réserves prévues par un avis de compatibilité, et après que la personne concernée a été mise en mesure de produire des explications, la Haute autorité publie au Journal officiel un rapport spécial comprenant l'avis rendu et les observations écrites de la personne concernée » ;
36. Considérant que l'article 26 institue des infractions pénales ; que, notamment, son paragraphe I punit de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, pour un membre du Gouvernement ou une personne mentionnée à l'article 11 de ne pas déposer l'une des déclarations de situation patrimoniale ou d'intérêts, d'omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts ou de fournir une évaluation mensongère de son patrimoine ; que son paragraphe II punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, le fait pour ces mêmes personnes ainsi que pour les personnes mentionnées à l'article 23 de ne pas déférer aux injonctions de la Haute autorité ou de ne pas lui communiquer les informations et pièces utiles à l'exercice de sa mission ;
37. Considérant que, selon les députés requérants, en confiant à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique le pouvoir de porter une appréciation sur les éventuelles situations de conflit d'intérêts de personnes élues, alors que cette autorité administrative est composée de personnes n'ayant pas exercé de mandat électoral et dont les garanties d'indépendance et d'impartialité ne sont pas assurées, le législateur a porté atteinte à la séparation des pouvoirs ; qu'il en irait ainsi en particulier compte tenu de l'inclusion dans le champ de compétence de la Haute autorité des députés et des sénateurs ainsi que des collaborateurs du Président de l'Assemblée nationale et du Président du Sénat ; qu'en outre, le respect des droits de la défense ne serait pas assuré à l'égard des décisions de cette autorité ;
38. Considérant que les sénateurs requérants font valoir, en premier lieu, que le pouvoir d'injonction confié à la Haute autorité pour faire cesser une situation de conflit d'intérêts peut avoir pour effet d'interdire l'exercice d'une activité professionnelle à une personne de l'entourage du destinataire de cette injonction ; qu'il en résulterait une atteinte à la liberté d'entreprendre ; que le pouvoir conféré à la Haute autorité par l'article 23 d'interdire l'exercice d'une activité professionnelle à un ancien titulaire d'une fonction gouvernementale ou d'une fonction exécutive locale porterait également atteinte à cette liberté ;
39. Considérant qu'ils soutiennent, en deuxième lieu, que le pouvoir confié à la Haute autorité par les articles 7, 10, 22 et 23, d'apprécier soit une évolution non justifiée de la situation patrimoniale, soit une situation de conflit d'intérêts ou une situation d'incompatibilité relative à un ancien membre du Gouvernement ou à un ancien titulaire d'une fonction exécutive locale à l'égard de l'exercice d'une activité professionnelle revêt un caractère arbitraire qui méconnaît le principe de la légalité des délits et des peines ; que serait en outre méconnu le droit à un recours juridictionnel des personnes intéressées compte tenu de l'inversion de la charge de la preuve que ces dispositions opèreraient et de l'absence de disposition prévoyant l'exercice de voies de recours contre les décisions ou injonctions de la Haute autorité ;
40. Considérant qu'ils soutiennent, en troisième lieu, que les dispositions organisant la saisine de l'autorité judiciaire par la Haute autorité ont pour effet de subordonner à l'accord d'une autorité administrative l'exercice de ses missions par l'autorité judiciaire ; qu'il en résulterait une atteinte à la séparation des pouvoirs ;
41. Considérant qu'ils soutiennent, en dernier lieu, que l'instauration d'un délit réprimant le fait de ne pas déférer aux injonctions d'une autorité administrative méconnaît le principe de la légalité des délits et des peines ;
. En ce qui concerne les griefs tirés de l'atteinte à la séparation des pouvoirs :
42. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ;
43. Considérant, en premier lieu, que, si le 1° du paragraphe I de l'article 20 dispose que la Haute autorité reçoit des députés et des sénateurs leurs déclarations de situation patrimoniale et leurs déclarations d'intérêts et d'activités, en assure la vérification, le contrôle et la publicité, ces dispositions se bornent à rappeler, dans le cadre de la présentation générale des compétences de cette autorité, les pouvoirs qui lui sont conférés par les articles L.O. 135-1 et L.O. 135-2 du code électoral tels qu'ils résultent de l'article 1er de la loi organique relative à la transparence de la vie publique adoptée définitivement par le Parlement le 17 septembre 2013 ; que, dans sa décision n° 2013-675 DC susvisée, le Conseil constitutionnel a examiné la conformité à la Constitution de ces deux articles ; que, dirigé contre les dispositions de la loi, le grief tiré de ce que les pouvoirs de la Haute autorité à l'égard des députés et des sénateurs méconnaîtraient la séparation des pouvoirs doit être écarté ;
44. Considérant, en deuxième lieu, que le 5° du paragraphe I de l'article 11 a pour effet de soumettre aux obligations de déclaration de situation patrimoniale et de déclaration d'intérêts les collaborateurs du Président de l'Assemblée nationale et du Président du Sénat ; que le 2° du paragraphe I de l'article 20 permet à la Haute autorité de faire injonction aux personnes mentionnées à l'article 11 de mettre fin à une situation de conflit d'intérêts ; que la méconnaissance d'une telle injonction est pénalement réprimée par le paragraphe II de l'article 26 ;
45. Considérant que le principe de la séparation des pouvoirs ne fait obstacle ni à ce que la loi soumette les collaborateurs du Président de l'Assemblée nationale et du Président du Sénat à l'obligation de déclarer à une autorité administrative indépendante leur situation patrimoniale ainsi que leurs intérêts publics et privés ni à ce que cette autorité contrôle l'exactitude et la sincérité de ces déclarations, se prononce sur les situations pouvant constituer un conflit d'intérêts et porte à la connaissance du Président de l'Assemblée nationale ou du Président du Sénat les éventuels manquements ; que, toutefois, les dispositions du 2° du paragraphe I de l'article 20 de la loi ne sauraient, sans méconnaître les exigences de la séparation des pouvoirs, autoriser la Haute autorité à adresser aux personnes visées au 5° du paragraphe I de l'article 11, lesquelles relèvent de la seule autorité du Président de l'Assemblée nationale ou du Président du Sénat, une injonction de mettre fin à une situation de conflit d'intérêts ;
46. Considérant, en troisième lieu, que les dispositions de l'article 16 de la Déclaration de 1789 impliquent, en outre, le respect du caractère spécifique des fonctions juridictionnelles, sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur ni le Gouvernement, ainsi que le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif et le droit à un procès équitable ; que, toutefois, ni les dispositions de l'article 7, qui prévoient la saisine du parquet par la Haute autorité, ni celles de l'article 26, qui instituent des sanctions pénales, ne portent atteinte au principe de la séparation des pouvoirs ou à celui de l'indépendance de l'autorité judiciaire garantie par l'article 64 de la Constitution ;
47. Considérant, en quatrième lieu, que le paragraphe II de l'article 19 de la loi fixe la composition de cette autorité administrative indépendante et les modalités de nomination de ses membres ; qu'ainsi, elle est composée, outre son président nommé par décret du Président de la République, de deux conseillers d'État, deux conseillers à la Cour de cassation, deux conseillers-maîtres à la Cour des comptes et deux personnalités qualifiées ; que le paragraphe III de cet article 19 dispose que ses membres sont nommés pour une durée de six ans non renouvelable ; que le paragraphe IV fixe les incompatibilités et les obligations auxquelles sont soumis ses membres ; que le paragraphe V fixe les conditions dans lesquelles sont recrutées les personnes qui l'assistent dans l'exercice de ses missions ; que le paragraphe VI dispose notamment que le président de la Haute autorité est ordonnateur des crédits qui lui sont affectés ; que, par ces dispositions, sont instituées des garanties de nature à assurer l'indépendance et l'impartialité nécessaires pour que la Haute autorité pour la transparence de la vie publique puisse exercer les missions qui lui sont confiées ;
48. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée au considérant 45, les dispositions précitées ne méconnaissent pas la séparation des pouvoirs ;
. En ce qui concerne le grief tiré de l'atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif et aux droits de la défense :
49. Considérant, en premier lieu, que, d'une part, la décision de la Haute autorité, prévue par le deuxième alinéa du paragraphe I de l'article 5, d'assortir la publication d'une déclaration de situation patrimoniale ou d'une déclaration d'intérêts d'un membre du Gouvernement d'une appréciation quant à l'exhaustivité, à l'exactitude et à la sincérité de cette déclaration, la décision de cette autorité, prévue par le second alinéa de son article 7, de publier au Journal officiel un rapport spécial relatif à l'évolution de la situation patrimoniale, l'injonction prononcée par cette autorité, en application de l'article 10 ou du 2° du paragraphe I de l'article 20, tendant à faire cesser une situation de conflit d'intérêts et les avis d'incompatibilité prévus par l'article 23 ne constituent pas des sanctions ayant le caractère d'une punition ; que, d'autre part, aucune des dispositions qui prévoient ces décisions et avis et en organisent les modalités n'a pour objet ou pour effet d'inverser la charge de la preuve quant à l'existence des situations de fait dont ces décisions supposent le constat et à l'appréciation de ces situations au regard des règles relatives aux conflits d'intérêts et aux incompatibilités ;
50. Considérant, en second lieu, que la Haute autorité pour la transparence de la vie publique est une autorité administrative ; qu'aucune des dispositions contestées n'a pour effet de porter atteinte au droit de contester les décisions de cette autorité devant la juridiction compétente ;
51. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de l'atteinte aux droits de la défense et au droit à un recours juridictionnel effectif doivent être écartés ;
. En ce qui concerne le grief tiré de l'atteinte à la liberté d'entreprendre :
52. Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la Déclaration de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi » ; qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;
53. Considérant, en premier lieu, que le 6° du paragraphe III de l'article 4 soumet les membres du Gouvernement et les personnes mentionnées à l'article 11 à l'obligation de mentionner, dans la déclaration d'intérêts qu'ils sont tenus de remettre à la Haute autorité, les activités professionnelles exercées à la date de la nomination par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin ; que le 2° du paragraphe I de l'article 20 dispose que la Haute autorité se prononce sur les situations pouvant constituer un conflit d'intérêts, au sens de l'article 2, dans lesquelles peuvent se trouver les membres du Gouvernement et les personnes mentionnées à l'article 11 et, le cas échéant, leur enjoint d'y mettre fin ;
54. Considérant que les obligations qui résultent de l'article 2 de la loi en matière de conflits d'intérêts et celles qui peuvent résulter des injonctions délivrées par la Haute autorité lorsqu'elle ordonne qu'il soit mis fin à un tel conflit d'intérêts ne s'appliquent qu'aux personnes soumises à l'obligation d'adresser une déclaration d'intérêts ; que, par suite, manque en fait le grief tiré de ce que ces dispositions pourraient porter atteinte à la liberté des membres de la famille de ces personnes d'exercer leur profession ;
55. Considérant, en second lieu, que, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 23 de la loi, la Haute autorité peut interdire à certaines personnes d'exercer, pendant une durée de trois ans, une activité professionnelle jugée incompatible avec les fonctions qu'elles ont antérieurement exercées ; qu'en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu rendre applicables aux membres du Gouvernement et à certains élus des exigences comparables à celles qui sont applicables à tous les fonctionnaires ou agents d'une administration publique en application de l'article 87 de la loi du 29 janvier 1993 susvisée ; qu'il a ainsi entendu prévenir les situations de conflit d'intérêts ; qu'en soumettant à cette procédure les personnes ayant exercé des fonctions gouvernementales ou des fonctions exécutives locales il n'a pas porté à la liberté d'entreprendre une atteinte disproportionnée à l'objectif poursuivi ;
56. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de l'atteinte à la liberté d'entreprendre doivent être écartés ;
. En ce qui concerne le grief tiré de l'atteinte au principe de la légalité des délits et des peines :
57. Considérant que le principe de la légalité des délits et des peines ne fait pas obstacle à l'institution d'un délit réprimant la méconnaissance, par une personne, d'une injonction qui lui est adressée par une autorité administrative ; que le grief tiré de ce que le paragraphe II de l'article 26 méconnaîtrait le principe de la légalité des délits et des peines doit être écarté ;
. En ce qui concerne les exigences tirées des articles 8, 13, 20, 23, 34 et 72 de la Constitution :
58. Considérant, en premier lieu, que l'article 8 de la Constitution dispose que le Président de la République nomme les membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions ; que son article 23 dispose : « Les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle » ; que le constituant n'a pas habilité le législateur à compléter le régime des incompatibilités des membres du Gouvernement ;
59. Considérant, en deuxième lieu, que l'article 20 de la Constitution prévoit que le Gouvernement dispose de l'administration et de la force armée ; que le troisième alinéa de l'article 13 de la Constitution prévoit notamment que les préfets, les représentants de l'État dans les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 et en Nouvelle-Calédonie, les recteurs des académies et les directeurs des administrations centrales sont nommés en conseil des ministres ;
60. Considérant, en troisième lieu, que le troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution dispose que, dans les conditions prévues par la loi, les collectivités territoriales s'administrent librement « par des conseils élus » ; qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe notamment les règles concernant : « les conditions d'exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales » ; que tout texte édictant une incompatibilité et qui a donc pour effet de porter une atteinte à l'exercice d'un mandat électif doit être strictement interprété ;
61. Considérant que la Haute autorité a vocation à contrôler les situations de conflit d'intérêts des membres du Gouvernement et des personnes mentionnées à l'article 11 en se fondant notamment sur la déclaration d'intérêts que ces personnes ont déposées ; qu'au nombre des éléments qui doivent être déclarés, figurent non seulement des activités exercées, des participations à des organes dirigeants ou d'autres fonctions qui existent à la date de la déclaration mais également des activités exercées ou des participations à des organes dirigeants au cours des cinq années précédentes ;
62. Considérant que les dispositions constitutionnelles précitées ne font obstacle ni à ce que la loi soumette les membres du Gouvernement et les personnes visées à l'article 11 à l'obligation de déclarer à une autorité administrative indépendante leurs intérêts publics et privés ni à ce que cette autorité contrôle l'exactitude et la sincérité de ces déclarations, se prononce sur les situations pouvant constituer un conflit d'intérêts et porte les éventuels manquements à la connaissance de l'autorité compétente pour que, le cas échéant, celle-ci en tire les conséquences ; que, toutefois, les dispositions de l'article 10 et celles du 2° du paragraphe I de l'article 20 ne sauraient, sans méconnaître les principes constitutionnels précités, être interprétées comme habilitant la Haute autorité à instituer des règles d'incompatibilité qui ne sont pas prévues par la loi ; que la Haute autorité ne saurait davantage adresser et donc rendre publique une injonction tendant à ce qu'il soit mis fin à une situation de conflit d'intérêts que si la personne destinataire de cette injonction est en mesure de mettre fin à une telle situation sans démissionner de son mandat ou de ses fonctions ; que, sous ces réserves, l'article 10 et le 2° du paragraphe I de l'article 20 ne sont pas contraires à la Constitution ;
63. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les articles 7, 23 et 26, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, doivent être déclarés conformes à la Constitution ; qu'il en va de même, sous les réserves énoncées aux considérants 45 et 62, des articles 20 et 10 ;
64. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune autre question de constitutionnalité,
D É C I D E :
Article 1er.- Sont contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi relative à la transparence de la vie publique :
- au 6° du paragraphe III de l'article 4, les mots : « , les enfants et les parents » ;
- le 8° du paragraphe III de l'article 4 et, au dernier alinéa de ce paragraphe, la référence au « , 8° » ;
- au sixième alinéa et au onzième alinéa du paragraphe III de l'article 5, les mots : « ou d'un autre membre de sa famille : » ;
- les sept premiers alinéas du paragraphe II de l'article 12
Article 2.- Sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes de la même loi :
- l'article 10, sous les réserves énoncées au considérant 62 ;
- le paragraphe I de l'article 12, sous la réserve énoncée au considérant 22 ;
- l'article 20, sous les réserves énoncées aux considérants 45 et 62
Article 3.- Sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes de la même loi :
- l'article 2 ;
- le surplus de l'article 4 et de l'article 5 ;
- les articles 7 et 11 ;
- le surplus du paragraphe II de l'article 12 ;
- les articles 23 et 26.
Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 octobre 2013, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Valéry GISCARD d'ESTAING, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 9 octobre 2013.