Observations du Gouvernement en réponse aux saisines du Conseil constitutionnel en date du 27 mars 1997 par plus de soixante sénateurs et par plus de soixante députés :
Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, adoptée le 26 mars 1997.
Des nombreux développements que les auteurs de ces saisines consacrent à la critique de ce texte, et si l'on met à part les arguments d'ordre politique qui ne font que prolonger le débat qui a eu lieu devant le Parlement, se dégagent essentiellement deux idées :
: d'une part, la loi imposerait aux libertés protégées des étrangers, même lorsqu'ils sont en situation irrégulière, des contraintes qui ne seraient pas justifiées ;
: d'autre part, de telles contraintes ne pourraient relever que de l'autorité judiciaire, et plus particulièrement des juges du siège.
Avant d'aborder l'examen des griefs adressés à chacune des dispositions contestées, le Gouvernement entend, à titre liminaire, récuser ces deux prémisses.
En premier lieu, le postulat de départ qui fonde les saisines semble ignorer que le problème de l'immigration irrégulière est un problème de société, en France comme dans la plupart des grands pays développés. Elle est la source de difficultés sociales et de problèmes d'intégration qui mettent en cause l'ordre public.
L'exécutif se doit d'y remédier dans le cadre légal de la police spéciale des étrangers, laquelle est naturellement placée, s'agissant d'une police administrative, sous le contrôle du juge administratif.
Cette police est naturellement définie pour l'essentiel par la loi, car elle met en cause des situations individuelles, dans des conditions qui la rattachent aux catégories de l'article 34 de la Constitution. Mais elle n'en reste pas moins une police administrative obéissant aux principes dégagés par la jurisprudence, et notamment celui tiré de l'équilibre indispensable entre deux exigences l'une comme l'autre d'ordre constitutionnel : les droits et libertés des intéressés, d'une part ; et les nécessités de l'ordre public, d'autre part.
Cette conciliation, qui a été consacrée au rang des principes fondamentaux s'imposant au législateur par la décision n° 93-325 du 13 août 1993, doit être réalisée avec pragmatisme et discernement.
Au demeurant, c'est bien à partir de l'expérience acquise depuis les lois des 24 août et 30 décembre 1993 que le Gouvernement a estimé nécessaire de proposer au Parlement les ajustements techniques dont la loi déférée est la traduction formelle.
En raison de cette indispensable conciliation entre exigences de niveau constitutionnel, aucune des mesures figurant dans ce texte ne peut être appréciée, même au plan strictement juridique, indépen-damment des données concrètes qui ont conduit les pouvoirs publics à estimer nécessaire chacune des dispositions adoptées.
L'analyse par article, sans reprendre leur discussion en opportunité, que reflètent les débats parlementaires, en présentera néanmoins l'intérêt pratique, pour montrer que la loi déférée a bien concilié avec réalisme et mesure les nécessités de l'ordre public avec les droits et libertés en cause.
En second lieu, il n'est pas davantage possible d'accepter l'idée, qui sous-tend les recours, selon laquelle la police des étrangers devrait relever d'un contrôle purement judiciaire. Comme le souligne la décision n° 89-261 DC du 28 juillet 1989, l'article 66 de la Constitution ne requiert l'intervention de l'autorité judiciaire que lorsque est en cause la liberté individuelle, au sens précis de ce terme, tandis que les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République conduisent à réserver à la juridiction administrative le contrôle des actes de la puissance publique, au nombre desquels figurent ceux qui sont pris au titre de la police des étrangers, à commencer par la délivrance des titres de séjour et les mesures d'éloignement. La même décision souligne que la garantie effective des droits des intéressés peut être satisfaite aussi bien par la juridiction administrative que par la juridiction judiciaire.
Du point de vue des voies de recours ouvertes aux étrangers, il importe surtout de souligner que, dans le cadre de la loi déférée, les compétences générales du juge administratif ne sont en rien remises en cause, pas plus que celles que détient l'autorité judiciaire dans le cas particulier où se trouve mise en jeu la liberté individuelle, au sens de la l'article 66 de la Constitution.
Pour en finir avec les généralités, deux affirmations des requérants doivent être démenties :
: d'une part, la prétendue insuffisance du contrôle juridictionnel, alors qu'à l'évidence bien peu de domaines juridiques font ainsi intervenir d'aussi près l'ensemble de l'appareil juridictionnel, sans qu'il soit nécessaire que chaque disposition de la loi le rappelle expressément ;
: d'autre part, le refus des saisissants d'admettre l'intervention du parquet en qualité de garant de la liberté individuelle, alors que celui-ci fait pleinement partie de l'autorité judiciaire, comme le Conseil constitutionnel l'a rappelé dans la décision n° 93-326 du 11 août 1993, et que son indépendance, dans le cadre de son statut propre, est garantie tant par l'article 64 de la Constitution que par la longue tradition de la magistrature debout.
Ceci va au-delà de la seule inamovibilité des magistrats du siège et institue, comme l'avait dit en 1958 le garde des sceaux, M Michel Debré, " une véritable indépendance des magistrats " (discours devant le comité consultatif constitutionnel, Maus, Favoreu et Parodi, septembre 1992, page 673). Ceci vaut sans préjudice de la réflexion en cours sur la justice et la bonne application de la loi.
Sous le bénéfice de ces observations préliminaires, les critiques adressées par les auteurs des saisines à chacun des articles contestés appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I : Sur l'article 1er
Cette modification de l'article 5-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France introduit un nouveau cas de refus du visa de certificat d'hébergement lorsque " les demandes antérieures de l'hébergeant font apparaître un détournement de la procédure au vu d'une enquête demandée par le représentant de l'Etat aux services de police ou unités de gendarmerie ".
A : En premier lieu, les députés requérants estiment que cette disposition donne au préfet le pouvoir de porter une atteinte grave à la liberté individuelle.
1. Il convient d'abord de rappeler ce qu'est le certificat d'hébergement et de souligner les risques de dévoiement auxquels la loi entend faire échec.
a) Le certificat d'hébergement, contrairement à ce qui a été prétendu çà et là, n'est nullement une obligation faite à tout hébergeant de déclarer l'étranger qu'il héberge. Il est une facilité offerte à un étranger venant en France pour une visite privée, c'est-à-dire en dehors d'un cas de visite touristique ou de voyage d'affaires, pour obtenir un visa " visiteur ". Cette facilité a pour conséquence concrète de diminuer substantiellement le montant des ressources dont l'étranger doit justifier pour son séjour en France, séjour luimême limité à trois mois au plus. A la différence d'un voyage touristique par exemple, le titulaire d'un certificat d'hébergement n'a pas à justifier d'une réservation hôtelière, et il peut faire état d'un niveau de ressources réduit.
Le certificat d'hébergement permet ainsi à des étrangers ne disposant pas de ressources importantes d'obtenir un visa " visiteur " afin de se rendre en France à titre privé, par exemple dans le cadre d'une visite familiale ou bien pour y rencontrer des relations.
b) Cette facilité joue non pas à l'encontre, mais bien en faveur des visiteurs étrangers. Toutefois, il convient d'éviter qu'elle ne donne lieu à des dévoiements. Or l'expérience a montré que, depuis sa création en 1982, le certificat d'hébergement avait effectivement donné lieu à de tels abus. Telle est bien la raison pour laquelle le décret du 27 mai 1982 a été substantiellement révisé par un décret du 30 août 1991, qui a notamment prévu la présentation personnelle de l'hébergeant en mairie, les contrôles que celle-ci effectue sur les demandes et la possibilité d'une visite domiciliaire de l'Office des migrations internationales.
Force est pourtant de reconnaître que le résultat n'est pas entièrement satisfaisant.
Les détournements de procédure que la disposition critiquée vise à conjurer peuvent s'illustrer à travers les quatre exemples suivants :
: dans une commune des Yvelines, un même hébergeant a souscrit 27 certificats d'hébergement en une seule année, au bénéfice de ressortissants dont l'expérience a montré, après une enquête de police, qu'aucun ne s'était rendu au domicile de l'hébergeant ;
: dans une autre commune, en 1995, neuf certificats d'hébergement ont été souscrits et huit en janvier de l'année suivante au bénéfice du même hébergeant ;
: troisième exemple : des demandes multiples de certificats d'hébergement ont été souscrites par un même hébergeant au bénéfice de jeunes filles, dans des circonstances permettant de présumer, comme la suite l'établit, la constitution d'un réseau de prostitution ;
: un dernier exemple de détournement de procédure est la souscription de certificats d'hébergement par un ressortissant pour recevoir ses enfants, alors que ceux-ci résidaient déjà régulièrement en France, ce qui laisse à penser que les certificats d'hébergement ont été souscrits au bénéfice d'étrangers mineurs rentrant irrégulièrement en France sous une fausse identité.
Les détournements de procédure existent donc malheureusement, même si l'on veut croire qu'ils restent en nombre limité.
Mais le dévoiement de la procédure, par lui-même et plus encore par ses mobiles, est trop grave pour qu'il soit refusé à l'autorité administrative, qui vise les certificats d'hébergement, d'opposer l'existence d'un détournement de procédure antérieurement à une nouvelle demande.
Naturellement, elle ne doit pas le faire sans être éclairée au préalable et sans avoir pu établir la fraude à la loi, d'où la nécessité d'une enquête menée par un service de police ou une unité de gendarmerie. Cette enquête a bien le caractère d'une enquête administrative s'insérant dans une procédure administrative, même si, le cas échéant, la constatation ou la présomption d'un délit peut déboucher, dans les cas qui le justifient, sur une procédure judiciaire. Mais ceci ne relève pas de l'article 5-3 de la loi et l'enquête administrative dont il s'agit est du type de celles que les services de police pratiquent régulièrement. Elle reste dans le cadre légal actuel de leurs attributions de police administrative.
2. Ceci étant précisé, c'est en vain que les députés requérants allèguent l'existence d'une atteinte grave à la liberté individuelle ou d'une imprécision de la loi.
En effet, la notion de détournement de procédure ou de fraude à la loi est largement codifiée par la jurisprudence administrative et l'atteinte à la liberté est en l'espèce strictement motivée par le dévoiement de la procédure dont s'est précédemment rendu coupable l'hébergeant et lui seul. Il va de soi que le contrôle des juridictions administratives est pleinement assuré et conjure tout risque d'arbitraire, contrairement à ce que feignent de croire les députés requérants.
Quant à l'imputation selon laquelle la disposition incriminée serait utilisée pour faire échec à l'entrée d'étrangers d'origines indésirables, elle relève d'une polémique étrangère au débat juridique.
3. Que l'administration puisse légitimement invoquer le détournement de procédure pour faire échec à la poursuite de fraudes par des professionnels de l'hébergement factice ne souffre aucune critique juridique. On peut d'ailleurs rappeler qu'elle pourrait le faire, même sans texte, au nom du principe fraus omnia corrumpit.
Le législateur a eu essentiellement le souci d'encadrer ce pouvoir.
4. Dans ces conditions, l'on ne voit pas en quoi l'intervention de l'autorité judiciaire serait nécessaire dans une procédure administrative de cette nature. On peut d'ailleurs se demander si elle serait constitutionnellement possible. Le visa d'un certificat d'hébergement est bien un acte administratif qui ressortit à la compétence des juridictions administratives. Un éventuel refus de visa de certificat d'hébergement n'a pas le caractère d'une sanction, contrairement à ce que soutiennent les députés requérants. Il vise à prévenir un trouble de l'ordre public, comme il est de droit en matière de police administrative, ce trouble étant constitué par l'aide à l'entrée et au séjour d'étrangers en France en violation de la loi.
B : En second lieu, les députés requérants reviennent sur le débat parlementaire qui a eu lieu sur le thème des fichiers.
Il importe d'abord d'observer que la loi n'a ni pour objet ni pour effet nécessaire de créer par elle-même un quelconque fichier. La saisine nous fait donc tomber ici dans le procès d'intention.
Certes, le ministre de l'intérieur, au cours du débat parlementaire, a été amené à expliciter l'interprétation pratique que le Gouvernement faisait de la rédaction de l'article 1er proposé par M Mazeaud, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui est l'auteur de la disposition finalement adoptée.
Selon cette interprétation, un fichier des étrangers hébergés serait en effet créé. L'étude menée fait apparaître l'efficacité du traitement automatisé d'informations nominatives, au sens des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique et aux libertés, dans la lutte contre le dévoiement du certificat d'hébergement.
Comme il est strictement impensable aujourd'hui de traiter manuellement l'enregistrement et le suivi des certificats d'hébergement délivrés, enregistrement dont le Conseil d'Etat, dans une décision M Poirrez du 15 janvier 1996 (n° 130607), a reconnu la légalité, il serait opportun de mettre en uvre un système informatique permettant tout à la fois l'édition commode et rapide des certificats d'hébergement et le rapprochement entre les visas délivrés et le retour des certificats d'hébergement conformément au V de l'article 1er.
Il est donc probable que le traitement nécessaire comportera le nom de l'hébergé, sa nationalité, la période de son séjour et l'adresse à laquelle il se rend. Mais il n'est nullement nécessaire que le nom de l'hébergeant y soit inscrit. Par ailleurs, dans l'hypothèse où le certificat d'hébergement est retourné à la préfecture selon une procédure qui devra être définie par le décret en Conseil d'Etat mentionné au VI de l'article, le rapprochement avec les données figurant dans le traitement amènera à la destruction non seulement du certificat d'hébergement sous sa forme papier, mais à l'effacement de toutes données dans le système, dans le délai d'un mois suivant ce rapprochement, délai qui paraît compatible avec la recommandation inscrite dans le rapport annuel de la Commission nationale de l'informatique et des libertés pour 1994.
Dès lors, les documents et informations ne seront pas conservés en tout au-delà de quelques mois, compte tenu de la limite fixée à un court séjour qui est de trois mois. Au total, dans le cas d'un rapprochement à l'issue du séjour avec le certificat d'hébergement retourné vers la préfecture, la durée de conservation dans le système sera inférieure à six mois.
Enfin, il n'est nul besoin, compte tenu de la compétence dévolue exclusivement au préfet dans chaque département, de constituer un fichier national, ni même d'interconnecter les fichiers départementaux. En effet, c'est bien au niveau du département et de lui seul que sera gérée cette compétence et que seront effectués les rapprochements entre les informations enregistrées au moment du visa du certificat d'hébergement et celles figurant sur les certificats d'hébergement effectivement retournés à la préfecture.
Dans l'hypothèse où il n'y a pas rapprochement, c'est-à-dire lorsque l'étranger hébergé ne satisfait pas aux obligations visées au V de l'article 1er, l'effacement ne peut pas être instantané. Dès lors, il reviendra à l'acte réglementaire, soumis aux contrôles prévus par la législation sur l'informatique et les libertés, de définir une période de temps pendant laquelle la conservation des données sera autorisée. En tout état de cause, la législation s'oppose à ce que cette limite de temps soit indéfinie.
II. : Sur l'article 3
Les parlementaires saisissants adressent trois types de critiques à cet article.
A : Est en premier lieu visé l'article 8-1 nouveau de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui donne aux services de police et aux unités de gendarmerie la possibilité de retenir le passeport d'un étranger en situation irrégulière.
1. Le Gouvernement entend, tout d'abord, fournir les indications de fait suivantes.
En premier lieu, la mesure contestée correspond à une véritable nécessité. En effet, l'une des principales difficultés, dans l'exécution des mesures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière, tient au fait qu'ils sont dépourvus de documents transfrontière.
La disposition en cause a donc une vertu essentielle : lorsqu'un étranger est interpellé en situation irrégulière et détient toujours un document de voyage en cours de validité, elle permet que ce document de voyage soit sauvegardé, en particulier contre les man uvres de l'intéressé qui sait, le plus souvent, que ce document de voyage est la clé de son éloignement.
Au demeurant, cette disposition consacre une pratique qui a donné lieu à un arrêt de la Cour d'appel de Paris (préfet de police de Paris contre M Meftali du 19 janvier 1994), qui considère que la rétention du passeport n'est pas manifestement insusceptible de se rattacher à l'exercice d'un pouvoir conféré à l'administration, et dès lors ne saurait constituer une voie de fait.
On doit souligner la grande diversité des situations auxquelles l'autorité administrative aura à faire face. Dans l'hypothèse par exemple d'un étranger en situation irrégulière sans autre circonstance particulière, l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière doit pouvoir intervenir immédiatement et normalement son éloignement doit pouvoir suivre dans un délai aussi bref que possible, éventuellement après une période de rétention administrative limitée par les dispositions de l'article 35 bis de l'ordonnance. Mais il peut se faire que l'étranger en situation irrégulière soit par ailleurs l'objet de poursuites pénales, par exemple parce qu'il refuse d'embarquer, et, dans cette hypothèse, on voit bien qu'il devient nécessaire de conserver son passeport jusqu'au moment de son éloignement effectif qui peut intervenir deux à trois mois plus tard. De même encore, lorsqu'une affaire pénale est conduite parallèlement et l'amène à séjourner en prison pour une durée plus longue.
En deuxième lieu, on doit souligner que la loi parle de la retenue du passeport ou du document de voyage, en aucun cas d'une confiscation définitive. Cette retenue n'a qu'un objet : s'assurer que l'étranger, lorsqu'il quittera le territoire, disposera du document lui permettant effectivement de quitter la France.
On peut observer que les législations de pays voisins comportent des dispositions analogues. Ainsi l'article 42, alinéa 6, de la loi sur les étrangers applicable en Allemagne dispose-t-elle : " doit être pris en dépôt le passeport ou laissez-passer de tout étranger devant quitter le territoire jusqu'à son départ ". De même au Royaume-Uni : lorsqu'une personne est interpellée en situation irrégulière ou fait l'objet d'une mesure d'éloignement, la remise de son passeport aux autorités de police est prévue. C'est également le cas en Finlande et en Suisse.
2. Dans ces conditions, aucun des griefs adressés à cette disposition ne peut être retenu.
Il est allégué tout d'abord que le passeport ne pourrait être confisqué par une autorité française, alors qu'il est la propriété d'un Etat étranger.
Mais outre qu'il est inexact de parler de confiscation, on rappellera que le grief tiré de la violation de traités internationaux est inopérant dans le débat constitutionnel.
On soulignera ensuite que, contrairement à ce que soutiennent les députés requérants, la nécessité d'une telle mesure ne prive pas pour autant l'intéressé de la liberté de quitter le territoire, conformément aux termes de la décision du 13 août 1993 dont se prévaut la saisine. Elle ne prive en aucune façon l'étranger concerné de la possibilité de choisir le lieu où il quittera le territoire national et son pays de destination. Il reviendra à l'étranger dont le passeport a été retenu de faire connaître à l'autorité de police l'endroit par lequel il entend quitter le territoire et c'est à cet endroit que devra lui être remis son document de voyage. Ceci correspond d'ailleurs à une pratique suivie par les préfectures.
Il est également reproché à la disposition contestée de n'avoir pas prévu, comme préalable à la rétention du passeport, la prise d'une mesure d'éloignement, tel un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Ceci revient à méconnaître la pratique de ce type de situation. Au moment de l'interpellation, il est encore possible que l'étranger dispose de son document de voyage. Il importe de le saisir immédiatement. Si l'on attendait que l'intéressé fasse l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière, sous forme d'arrêté préfectoral, cela signifierait qu'un espace de temps d'environ vingt-quatre heures s'écoule, temps pendant lequel l'étranger interpellé pourrait détruire ou dissimuler le document en cause.
Au demeurant, lors de l'interpellation d'un étranger en situation irrégulière, il arrive que l'intéressé choisisse de repartir volontairement dans son pays, ce qui lui permet d'ailleurs de disposer, dans certains cas, de facilités, telle la prise en charge de son voyage et l'octroi d'un pécule de départ par l'Office des migrations internationales. Cette voie doit rester ouverte, tout en ayant la garantie de la réussite de l'éloignement grâce à la retenue du passeport.
Tout aussi vaine est l'argumentation relative à la durée pendant laquelle le passeport pourra être retenu. Naturellement, cette retenue ne pourra être que de courte durée. Aussi la loi laisse-t-elle ouverte l'hypothèse dans laquelle le passeport est restitué à l'intéressé, sur le territoire français, avant sa sortie du territoire. On doit envisager à cet égard, notamment, le cas de la régularisation du séjour de l'étranger en France.
Mais la définition d'une durée de rétention du passeport, invoquée par les requérants, n'était en tout état de cause pas du domaine de la loi et l'on voit bien que cette durée sera strictement proportionnée aux besoins de l'autorité administrative, qui ne pourra aller au-delà de la contrainte nécessaire, cette stricte proportion étant placée sous le contrôle de la juridiction administrative.
S'agissant enfin de la validité du récépissé délivré en échange de la remise du passeport, l'autorité administrative fera en sorte que ce document permette à l'intéressé d'exercer ses droits fondamentaux pendant la durée de son maintien en France, jusqu'à son départ du territoire. Le texte de la loi dit explicitement que le récépissé tient lieu de document d'identité. Celui-ci doit donc lui permettre, dans toute la mesure nécessaire, d'exercer ses droits constitutionnellement garantis.
B : Est en second lieu contesté l'article 8-2 nouveau de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relatif aux visites de véhicules.
Cet article habilite les officiers de police judiciaire à procéder, sur instruction du procureur de la République, à une visite sommaire des seuls véhicules n'ayant pas le caractère de voitures particulières, dans une bande de 20 kilomètres au voisinage des frontières terrestres de la France avec les Etats parties à la convention de Schengen.
Les requérants adressent cinq types de critiques à cette disposition.
1. Ils mettent d'abord en cause le caractère imprécis du terme " instructions ".
Mais la différence sémantique qu'ils semblent percevoir entre ce terme et celui d'" autorisation " n'existe pas. Le texte du Gouvernement comportait le mot " autorisation ", l'Assemblée nationale lui a préféré le terme d'" instruction " en ayant pour objectif de mieux encadrer l'action des services de police. Il va de soi, ainsi que cela ressort clairement du texte de la loi, que cette autorisation est délivrée au coup par coup, compte tenu des circonstances de chaque espèce, et non pas globalement, comme voudraient le faire croire les saisissants.
2. Ces derniers font ensuite valoir que le législateur aurait dû subordonner à l'intervention d'un magistrat du siège la possibilité de procéder à de telles visites sans l'accord du conducteur.
Une telle exigence ne découle nullement de la Constitution, dont l'article 66 vise également, comme il a été rappelé plus haut, les magistrats du parquet.
Les requérants se méprennent, ici comme ailleurs, sur la portée des décisions n° 75-76 DC du 12 janvier 1977 et n° 94-352 DC du 18 janvier 1995. En particulier, cette dernière décision fait droit à une argumentation qui invoquait précisément la nécessaire intervention du procureur de la République.
En l'espèce, le degré d'atteinte à la liberté individuelle doit être d'autant plus relativisé que le législateur n'a prévu qu'une visite sommaire et que, du fait de l'exclusion des voitures particulières, une telle visite ne peut concerner que les camions ou les véhicules utilitaires de plus de 3,5 tonnes, ce qui revient à privilégier la visite des véhicules qui ne peuvent être en aucune façon rattachés à la sphère privée.
3. Le troisième grief, qui critique le fait que le conducteur du véhicule puisse être " retenu ", repose sur une lecture erronée de la loi.
Il est vrai que, dans l'hypothèse où le conducteur refuse la visite sommaire à laquelle entendent procéder les services de police, il revient au parquet de décider de son principe et, dans l'attente de cette décision, le véhicule peut être immobilisé pendant une période d'au plus quatre heures. Mais pendant ce temps, qui d'ailleurs peut être beaucoup plus court, le conducteur du véhicule n'est nullement astreint à demeurer dans son camion et sa liberté individuelle n'est l'objet d'aucune contrainte. Pendant cette brève période de temps, il aura donc tout loisir, s'il le juge utile, d'entrer en contact avec toute personne de son choix, la loi ne pouvant s'interpréter comme comportant plus de sujétions pour le conducteur que ce qu'elle énonce explicitement.
4. Quant aux critères selon lesquels tel ou tel véhicule serait contrôlé, il n'y a pas lieu d'en définir a priori, pas plus qu'il n'en est prescrit dans le quatrième alinéa de l'article 78-2 du code de procédure pénale relatif aux contrôles d'identité dans la bande de 20 kilomètres au voisinage de nos frontières avec les Etats parties à la convention de Schengen.
Au demeurant, et comme le Conseil constitutionnel l'a admis dans sa décision n° 93-323 du 5 août 1993, il est clair que la visite ne peut avoir lieu que dans la zone correspondant à une bande de 20 kilomètres au voisinage des frontières avec les Etats parties à la convention d'application des accords de Schengen, zone dans laquelle la décision du 5 août 1993 reconnaît que les risques particuliers d'infraction et d'atteinte à l'ordre public liés à la circulation internationale des personnes sont avérés. La suppression des contrôles aux frontières intérieures implique la nécessité de mesures compensatoires pouvant se traduire par des contraintes supplémentaires pour les personnes qui s'y trouvent.
On ajoutera que la visite est limitée au temps strictement nécessaire et se déroule en présence du conducteur. Elle donne lieu également à l'établissement d'un procès-verbal remis au conducteur, dont une copie est également adressée au procureur de la République qui peut ainsi exercer son contrôle. En pratique, cette intervention ne durera que les quelques instants nécessaires à la visite sommaire du véhicule. Cette visite n'ayant pour objet que de détecter la présence d'étrangers souhaitant s'introduire irrégulièrement en France et, plus précisément, de démanteler des filières d'introduction dont les étrangers " clients " sont les premières victimes, elle ne pourra donner lieu à une fouille approfondie du véhicule.
5. Enfin, le Conseil constitutionnel ne pourra davantage accueillir le grief adressé au dernier alinéa qui étend le champ d'application de cette mesure au département de la Guyane.
Cette extension est justifiée par les circonstances propres à ce département. Une estimation approximative de la population en situation irrégulière d'origine étrangère amène à considérer qu'environ le quart des résidents dans ce département sont des étrangers en situation irrégulière. La porosité des frontières, notamment avec le Surinam à l'ouest, est particulièrement préoccupante.
Ces circonstances constituent des " justifications appropriées tirées d'impératifs constants et particuliers de la sécurité publique ", au sens de la décision du 5 août 1993 précitée et les moyens de contrôle effectivement disponibles sur place ne permettent pas d'améliorer la maîtrise de l'immigration irrégulière sans des dispositions dérogatoires au droit commun.
En tout état de cause, l'argumentation que les requérants tire d'une différence entre les frontières de ce département et celles qui séparent le territoire métropolitain des Etats parties à la convention de Schengen est inopérante : comme le souligne un récent arrêt d'assemblée du Conseil d'Etat (CE, 28 mars 1997, Société Baxter et autres n° 179049), le principe d'égalité n'implique pas que les situations différentes soient soumises à des régimes différents.
Au demeurant, l'article 73 de la Constitution permet, comme le Conseil constitutionnel l'a déjà jugé en matière d'immigration dans la décision du 13 août 1993, de tenir compte de " situations particulières " propres aux départements d'outre-mer. Celle-ci en est une assurément.
C : En troisième lieu, les requérants contestent l'article 8-3 nouveau de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relatif aux empreintes digitales.
1. Ils critiquent d'abord le premier alinéa, qui pose le principe suivant lequel les empreintes des étrangers qui sollicitent la délivrance d'un titre de séjour, ainsi que de ceux qui sont en situation irrégulière ou font l'objet d'une mesure d'éloignement, peuvent être relevées et mémorisées.
Cette critique appelle, de la part du Gouvernement, deux types d'observations.
a) En premier lieu, il importe de souligner que cette mesure répond à une véritable nécessité.
En effet, d'une part, la fraude documentaire sur les cartes de séjour est particulièrement importante. Le recueil des empreintes des titulaires véritables des titres de séjour mettra en échec une bonne part de cette fraude. C'est d'autant moins négligeable que les titres de séjour valent aussi justification de l'identité. Et l'on rappelle que tout Français demandeur d'une carte nationale d'identité dépose une empreinte digitale sur un formulaire qui est conservé par l'administration.
D'autre part, les personnes qui demandent un titre de séjour, mais ne se verront pas délivrer en définitive de titre, pourront être identifiées, dès lors que leurs empreintes auront été recueillies.
Cela donnera une valeur opérationnelle réelle aux mesures d'éloignement dont elles feront éventuellement l'objet.
b) En second lieu, on ne peut sérieusement soutenir, comme le font les auteurs de la saisine, que la constitution de tout fichier de données personnelles, par exemple tout fichier d'empreintes, porte atteinte, par elle-même, à la liberté individuelle. Une telle allégation met d'ailleurs en cause la valeur des procédures prévues par la loi du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
Il convient de rappeler qu'aucun fichier ne pourra être mis en uvre, au titre de l'alinéa premier de l'article 83, sans intervention préalable d'un acte réglementaire pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Celle-ci garantit, par son indépendance, la préservation des droits individuels et des libertés fondamentales en matière de fichiers. Au surplus, lorsque l'avis n'est pas favorable au projet présenté par le Gouvernement, il ne peut y être passé outre que sur avis conforme du Conseil d'Etat. Enfin, ces actes réglementaires sont soumis au contrôle juridictionnel du Conseil d'Etat siégeant en formation contentieuse.
Ces garanties amènent à considérer, tant en ce qui concerne les informations effectivement reprises dans le traitement que les destinataires et l'usage qui pourrait en être fait, que l'ensemble des précautions nécessaires seront prises.
2. S'agissant du deuxième alinéa de l'article 8-3, les requérants mettent en cause l'accès des services de police et des unités de gendarmerie expressément habilitées au fichier dactyloscopique de l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides).
Il convient d'observer tout d'abord que cet accès, dont le principe est retenu par le législateur, devra lui aussi faire l'objet d'un acte réglementaire soumis à l'avis préalable de la CNIL. Cet avis portera nécessairement sur les modalités de consultation, aussi bien que sur la liste des agents expressément habilités au sein des services concernés.
Il est exact que cet article vient compléter la loi du 25 juillet 1952, portant création de l'OFPRA, et plus exactement le dernier alinéa de son article 3, aux termes duquel " les locaux de l'office ainsi que ses archives et, d'une façon générale, tous les documents lui appartenant ou détenus par lui sont inviolables ". Il est clair que les récits des demandeurs d'asile et tous les documents relatifs aux personnes dotées du statut de réfugié sont couverts par cette inviolabilité, laquelle découle nécessairement de l'application de la convention de Genève du 28 juillet 1951.
Toutefois, il n'apparaît pas que cette inviolabilité couvre les empreintes des personnes ayant demandé le statut de réfugié et ne l'ayant pas obtenu. Or, c'est précisément à ces seules empreintes que le législateur prévoit un accès au bénéfice et des agents habilités du ministère de l'intérieur ou des unités de la gendarmerie nationale.
Par ailleurs, et contrairement à ce que prétendent les requérants, la disposition en cause n'a ni pour objet ni pour effet de permettre l'accès aux empreintes digitales des personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou même en cours de procédure. En effet, la loi ne vise qu'un accès en vue de l'identification d'un étranger qui est en situation irrégulière ou fait l'objet d'une mesure d'éloignement. Par définition, il ne peut donc s'agir d'une personne ayant la qualité de réfugié (qui, par nature, dispose d'un droit au séjour). Il ne peut non plus s'agir d'une personne ayant la qualité de demandeur du statut, puisque celle-ci est en situation régulière et dispose d'un droit au maintien sur le territoire, tant qu'il n'a pas été statué sur sa demande.
La disposition législative incriminée vise donc exclusivement l'accès aux empreintes des personnes ayant demandé le statut de réfugié mais ne l'ayant pas obtenu, et ce en vertu d'une décision devenue définitive.
Il s'agit en pratique de près de 200 000 personnes depuis les origines du système dactyloscopique mis en place à l'OFPRA. Ces personnes, dont une proportion minoritaire a vu sa situation régularisée ou a pu être reconduite hors du territoire français, ne sont pas dans une situation différente de l'ensemble des étrangers en situation irrégulière poursuivant, en dépit de la loi, leur séjour sur le territoire français. La nécessité d'autoriser l'accès à cette information est donc en pratique particulièrement évidente, et l'on insistera sur le fait qu'il n'y a aucune raison de faire bénéficier ces personnes d'une quelconque immunité contre les services chargés d'appliquer la loi.
Encore une fois, les requérants se sont mépris sur la portée de la disposition législative en cause, puisque celle-ci ne met en aucune façon en question le droit d'asile.
III. : Sur les articles 4 et 5
Ces articles prévoient respectivement le retrait de la carte de séjour temporaire et le retrait de la carte de résident, lorsque l'employeur titulaire d'une telle carte s'est rendu coupable de faits sanctionnés par l'article L 341-6 du code du travail. Sont donc concernées les personnes ayant employé un étranger non muni d'un titre l'autorisant à exercer une activité salariée.
A : A titre liminaire, le Gouvernement entend faire les deux remarques suivantes.
La première, pour souligner que si cette disposition ne figurait pas, à l'origine, dans le projet de loi, le Gouvernement a estimé qu'en matière de travail dissimulé la plus grande vigilance s'impose, ne serait-ce que dans une perspective dissuasive, et qu'à cet égard l'initiative prise par l'Assemblée nationale méritait d'être soutenue.
La seconde est relative au cadre juridique dans lequel s'insère cette mesure. Contrairement à ce que semblent considérer les requérants, il n'est pas sans précédent que le législateur confie à l'administration le soin de prendre certaines mesures dont l'intervention est conditionnée par l'existence d'une infraction pénale. De telles dispositions n'ont ni pour objet, ni pour effet, d'empiéter sur les prérogatives de l'autorité judiciaire. Elles visent à permettre à une autorité agissant au titre de la police administrative, et pour la sauvegarde de l'ordre public, d'intervenir sans attendre que les faits en cause soient réprimés par le juge pénal. Elles tendent à prévenir la répétition des mêmes faits à l'avenir.
Cette distinction entre sanctions et mesures de police est couramment admise par la jurisprudence, notamment en matière de police des étrangers (CE 30 janvier 1988 Elfenzi ; Cass. Crim.
1er février 1995, Hamoudi). Elle a également été consacrée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 79-109 du 9 janvier 1980, qui admet que l'administration prenne une mesure de police fondée " sur des faits de nature à justifier une condamnation pénale, alors même qu'aucune condamnation définitive n'aurait été prononcée par l'autorité judiciaire ".
Le droit positif comporte d'ailleurs d'autres exemples d'une intervention concurrente de l'autorité de police et du juge pénal, chacun poursuivant une finalité différente. Tel est le cas, par exemple, de la suspension administrative du permis de conduire prévue à l'article L 18 du code de la route, des dispositions du code de l'urbanisme concernant l'interruption des travaux effectués en violation des règles relatives au permis de construire, ou encore de celles du code des débits de boissons sur la fermeture d'établissements.
Tous ces actes de puissance publique sont naturellement, et sans que la loi ait à le rappeler, soumis au contrôle de la juridiction administrative.
Dans ces différentes hypothèses, la jurisprudence du Conseil d'Etat a, de longue date, assuré la cohérence entre les mesures de police et celles qui ont un caractère pénal. C'est ainsi que, de manière générale, les constatations des juridictions répressives quant à la matérialité des faits qui ont servi de fondement à une mesure administrative sont revêtues, à l'égard de l'administration et du juge administratif, de l'autorité absolue de la chose jugée (CE Ass. 8 janvier 1971 Desamis).
En outre et lorsque, comme le législateur a choisi de le faire en l'espèce, la légalité de la mesure est conditionnée par l'existence d'une infraction pénale, cette autorité s'étend à la qualification juridique retenue par la juridiction répressive. Il en résulte que la décision administrative se trouve privée de base légale, dès lors que le juge pénal a estimé que l'infraction n'était pas constituée (CE 8 janvier 1971 précité ; 3 janvier 1975 SCI Cannes : Benefiat).
Par ailleurs, il est constant que des mesures comme celles que prévoient les articles 4 et 5 du texte déféré sont, de plein droit, soumises à un ensemble de règles protectrices des droits des individus, sans que le texte qui en permet l'édiction ait à le rappeler explicitement.
C'est ainsi que les décisions de retrait que le préfet pourra prendre :
: seront motivées en vertu de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 ;
: ne pourront être prises sans que l'intéressé ait pu faire valoir ses moyens de défense, par application combinée des dispositions de ce dernier texte et de celles de l'article 8 du décret du 28 novembre 1983.
Le principe des droits de la défense s'appliquerait même sans texte, conformément à une jurisprudence administrative constante, si les mesures en cause devaient s'analyser comme des sanctions.
Enfin, elles seront naturellement soumises au contrôle du juge administratif.
B : Dans ces conditions, les griefs adressés aux articles 4 et 5 par les auteurs des saisines ne sont pas fondés.
1. En premier lieu, il résulte des considérations qui précèdent qu'on ne peut utilement opposer, au choix que le Parlement a fait en l'espèce, ni le principe de séparation des pouvoirs, qui ne fait pas obstacle à de telles mesures administratives, ni l'absence de respect des droits de la défense ou de garanties juridictionnelles, ces deux derniers moyens manquant en fait.
2. Il faut remarquer au surplus que les dispositions contestées ne créent aucune automaticité, mais simplement une faculté au bénéfice de l'administration, qui sera donc amenée, sous le contrôle du juge administratif, à apprécier les circonstances de l'espèce pour décider s'il y a lieu ou non d'engager la procédure de retrait du titre de séjour concerné, celle-ci ne pouvant être légitime que dans les cas les plus graves.
3. S'agissant, en troisième lieu, des arguments plus particulièrement développés par les sénateurs requérants, il y a lieu de relever qu'un retrait prononcé longtemps après les faits incriminés d'emploi irrégulier d'un étranger sans titre serait jugé illégal. Il devrait en aller de même s'agissant d'un étranger qui aurait toutes ses attaches en France et ne serait pas expulsable, dès lors que les protections dont il bénéficie s'étendraient alors nécessairement aux situations visées par les articles 4 et 5.
4. Le Gouvernement entend enfin souligner qu'il n'est nullement dans ses intentions, pour l'application des articles 4 et 5, de faire appliquer par l'administration des mesures que le juge pénal n'aurait pas jugées nécessaires dans tel ou tel cas particulier. Il s'agit seulement de conforter la volonté clairement exprimée par le Parlement qui a souhaité une dissuasion exemplaire à l'égard du travail dissimulé. C'est dire qu'en pratique le Gouvernement n'entend pas suppléer des condamnations pénales " insuffisantes ", mais, à titre principal, permettre aux préfets d'y associer un retrait du titre de séjour pour éviter que des infractions gravement contraires à l'ordre public puissent se perpétuer.
IV. : Sur l'article 6
Cet article donne vocation à un titre de séjour aux personnes dont l'expulsion est juridiquement impossible, en faisant prévaloir les liens établis avec la France, soit à titre familial, soit en raison de l'ancienneté du séjour dûment prouvée.
Dans ces conditions, on ne peut manquer de relever le paradoxe consistant, pour les requérants, à critiquer des dispositions qui sont plus favorables aux étrangers concernés que le droit actuel.
A : Ces critiques portent, en premier lieu, sur la réserve d'ordre public qui figure en tête de l'article.
On observera que l'article 12 bis, dans sa version actuellement en vigueur, comporte déjà cette réserve, qu'elle figure également à l'article 15 de l'ordonnance et que le Conseil constitutionnel en a admis la validité dans le considérant 25 de la décision du 13 août 1993. On la retrouve à l'article 5 pour l'admission sur le territoire et à l'article 29 sur le regroupement familial, sans que le Conseil constitutionnel ait davantage formulé d'objections dans sa décision.
L'origine de cette condition est d'ailleurs consubstantielle à la notion même de police administrative et ce n'est que dans la législation récente que l'on trouve la nécessité d'en faire état explicitement, alors que la réserve de l'ordre public s'impose même sans texte.
En outre, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'absence de définition de cette notion dans la loi ne saurait en affecter la constitutionnalité de quelque manière que ce soit. C'est naturellement au juge administratif qu'il incombera de vérifier la légalité de refus fondés sur un tel motif et de définir au cas par cas sa portée concrète.
Une jurisprudence déjà ancienne du Conseil d'Etat montre que le juge n'est nullement désarmé pour exercer un tel contrôle.
B : En deuxième lieu, le recours des députés tend à remettre en cause le délai d'un an imposé aux conjoints de Français, avant de se prévaloir d'un droit à une carte de séjour temporaire, dans l'hypothèse où ils ne peuvent y accéder au titre de l'article 15, par exemple en raison de leur séjour irrégulier.
Or cette durée d'une année de mariage, sans cessation de la communauté de vie, a été explicitement validée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 août 1993 précitée, et plus précisément dans le considérant 25 relatif à l'accès à la carte de résident. On ne voit pas la raison qui ferait échec à la transposition de cette condition pour l'accès de plein droit à la carte de séjour temporaire.
Au demeurant, ces conditions servent également à définir la catégorie des conjoints de Français qui ne peuvent être reconduits à la frontière ou expulsés, en application de l'article 25 de l'ordonnance. Il y a donc à cet égard homogénéité entre les trois articles 15, 12 bis et 25, homogénéité directement inspirée par le souci de faire échec à des mariages de complaisance qui n'attesteraient pas de la réalité de la vie commune.
L'intérêt public tenant à la lutte contre la fraude inspire la disposition critiquée.
C : En troisième lieu, les saisissants critiquent le choix qu'a fait le législateur, s'agissant des parents d'enfants français de nationalité étrangère, de retenir la condition d'entretien effectif de l'enfant pour donner vocation à un titre.
Ils admettent toutefois qu'il n'est pas normal de donner un titre de séjour de plein droit à des parents qui ne s'occuperaient pas effectivement de leurs enfants de nationalité française. Ce serait à l'évidence un détournement de l'esprit de la loi.
Il est exact qu'il y a une différence entre les articles 15, 25 et 12 bis tels qu'ils résultent de la modification en cause. Le législateur a en effet relevé, à l'Assemblée nationale notamment, que l'existence juridique d'une autorité partielle du parent concerné sur l'enfant ne pouvait pas donner, à elle seule, vocation à un titre de séjour. En effet, il peut advenir que l'un des parents ne soit pas déchu de son autorité parentale et dispose encore partiellement de cette autorité, sans qu'il se préoccupe, ni moralement, ni matériellement, du devenir de l'enfant. Cela peut se produire en cas de séparation de corps des parents, voire en cas de divorce. Cela peut se produire aussi dans l'hypothèse du retrait du droit de garde et, dans le cadre de l'article 373-4 du code civil, les parents peuvent continuer d'exercer l'autorité parentale partiellement, sans assumer aucun des devoirs d'un père ou d'une mère.
D'une manière générale, le législateur n'a pas pu admettre qu'une simple reconnaissance de paternité, sans authentique désir d'assurer les devoirs correspondants, suffirait à constituer le droit à un titre de séjour pour un parent étranger d'un enfant français.
L'interprétation qu'il convient de donner à la volonté du législateur, telle que le ministre de l'intérieur l'a explicitée en particulier à l'Assemblée nationale, revient à dire que la condition d'entretien effectif s'impose pour donner accès à un titre, mais qu'elle doit être entendue de manière souple : non par référence à un niveau de revenus ou à des dépenses en argent, mais bien au soin que le parent prend de son enfant, compte tenu de ses ressources et de sa condition.
Il faut au surplus relever que, si l'article 12 bis dans sa nouvelle rédaction crée une voie d'accès de plein droit à un titre, il n'interdit pas pour autant des mesures favorables pour les catégories d'étrangers qui n'entrent pas dans le champ d'application de l'article.
D : En quatrième lieu, la saisine des députés conteste la disposition restreignant le champ d'application de ces mesures favorables aux parents d'enfants de moins de seize ans.
Il y a lieu tout d'abord de relever que les parents d'enfants français, en situation régulière et entrés régulièrement en France, accèdent de plein droit, sous réserve de l'ordre public, à un titre de dix ans, conformément à l'article 15 de l'ordonnance. La disposition détaillée à l'article 12 bis ne concerne donc que les parents étrangers d'enfants français dans des situations d'irrégularité qui les empêchent d'accéder de plein droit au bénéfice de l'article 15. Il importait donc tout spécialement de mettre en échec toute dérive frauduleuse.
Le but que s'est fixé le législateur est bien précis : il est de permettre le développement d'une vie familiale normale. Dans ce contexte, il importe que les enfants français, qui ont vocation à demeurer sur le territoire français, aient auprès d'eux leurs parents et que ces parents puissent pourvoir à leur éducation et à leur entretien. Dans ces conditions, le législateur a pu estimer qu'il était nécessaire d'effacer l'irrégularité dans laquelle se sont placés les parents et que l'intérêt de l'enfant commande la régularisation de la situation des parents. Mais force est de reconnaître que, si l'argument est déterminant pour les enfants en bas âge, il est beaucoup moins fort s'agissant d'enfants approchant de leur majorité, le plus souvent engagés dans un cycle de préparation à la vie professionnelle, au-delà de l'obligation scolaire, et, par suite, dotés d'une autonomie beaucoup plus grande.
E : En dernier lieu, les sénateurs mettent en cause la condition tirée de la polygamie.
Il suffit à cet égard de se référer à la décision du 13 août 1993, validant cette réserve à propos de la délivrance de la carte de résident de dix ans, visée à l'article 15, pour constater qu'il était constitutionnellement possible d'exclure du bénéfice de l'accès de plein droit à une carte de séjour temporaire les personnes vivant en état de polygamie en France. Naturellement, cette condition s'applique aux hommes et aux femmes.
Il convient à cet égard de relever que la rédaction adoptée par le Parlement à l'article 12 bis se distingue des dispositions applicables à la délivrance de la carte de résident. Les dispositions relatives à la carte de séjour temporaire n'interdisent pas de manière absolue la délivrance d'un tel titre à un ressortissant étranger vivant en état de polygamie en France. En revanche, les dispositions relatives à la carte de résident, qui tiennent compte de la perspective d'intégration à la société française afférente à la possession d'un titre de longue durée, excluent la délivrance de cette carte à un étranger vivant en état de polygamie en France.
F : De façon générale, on relèvera que les saisines demandent au Conseil constitutionnel d'invalider des membres de phrases de l'article 6 qui, compte tenu de l'intention manifeste du législateur, sont inséparables des rubriques où elles figurent. Le Conseil ne pourrait donc faire droit aux requérants qu'en invalidant la totalité de ces dispositions.
Ni le Gouvernement ni les saisissants ne souhaitent évidemment un tel résultat.
V : Sur l'article 7
Cet article subordonne le renouvellement de plein droit de la carte de résident à la condition que la présence de l'étranger sur le territoire ne constitue pas une menace pour l'ordre public.
A : Les députés, auteurs de la première saisine, critiquent l'imprécision de cette notion et voient, dans cette condition, une " pérennisation du statut des étrangers en situation régulière ". Les sénateurs saisissants ajoutent, de leur côté, que la privation d'un droit acquis, auquel se rattacheraient, selon eux, l'exercice même de la liberté individuelle, ne devrait être prononcé que par l'autorité judiciaire. Ils considèrent enfin que l'absence de condition tenant à la gravité de la menace empêchera le juge administratif d'exercer son contrôle.
B : Le Conseil constitutionnel ne pourra accueillir aucun de ces griefs.
1. En premier lieu, on rappellera les termes du troisième considérant de la décision du 13 août 1993, qui met en évidence la conciliation nécessaire des droits des étrangers avec l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public. Le deuxième considérant établit par ailleurs qu'aucun étranger ne dispose d'un droit de caractère général et absolu au séjour sur le territoire national. Enfin, la même décision valide la condition tenant à l'ordre public pour l'octroi de la carte de résident, dans une rédaction qui ne distingue en rien la première délivrance du renouvellement d'un tel titre.
Dans son principe, l'existence d'une réserve tenant à l'ordre public n'a d'ailleurs rien d'arbitraire, contrairement à ce que soutiennent les requérants. C'est une notion classique de police administrative interprétée régulièrement par la jurisprudence, comme il a été rappelé ci-dessus.
2. En deuxième lieu, on ne saurait sérieusement soutenir que seule l'autorité judiciaire pourrait prendre une décision de refus de renouvellement d'un titre de séjour. Il s'agit au contraire d'un pouvoir qui n'appartient par nature qu'à l'administration. Celle-ci se trouve en pareil cas dans une situation classique, où elle exerce des compétences de police administrative avec les prérogatives de puissance publique qui sont les siennes.
Ajoutons que le contrôle du juge administratif sur un refus de renouvellement (qui devra être motivé) sera nécessairement exercé dans les conditions de droit commun et conjure, s'il en était besoin, les risques dénoncés par les requêtes.
On peut d'ailleurs observer que, dans le cadre de l'application de l'article 7 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, le Conseil d'Etat, dans une décision Mme Azzaz du 4 mai 1990 n° 110034, a validé un refus de renouvellement de certificat de résidence d'Algérien au motif que la personne concernée pourrait constituer une menace pour l'ordre public.
3. En troisième lieu, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, le refus de renouvellement n'a pas la même portée qu'une expulsion. D'abord, une expulsion ne peut être prononcée que pour une menace grave à l'ordre public, ou pour nécessité impérieuse pour la sécurité publique, selon les procédures prévues aux articles 23 à 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, alors qu'un simple refus de renouvellement ou refus d'admission au séjour, motivé par l'ordre public, se fait nécessairement par référence à des circonstances d'une gravité plus variable, allant de la simple menace à l'ordre public à la menace grave, voire à la nécessité impérieuse.
Il est par ailleurs envisageable que l'autorité administrative, sans renouveler le titre de séjour de dix ans dans un tel cas, puisse délivrer un titre de séjour temporaire d'un an, laissant ainsi à l'étranger dont le comportement trouble l'ordre public la possibilité d'obtenir à nouveau une carte de résident en se conformant à nos lois.
Il ne s'agit en aucune façon de déstabiliser la situation des étrangers régulièrement installés sur notre sol, mais de signifier que le droit au séjour en France ne peut être acquis sans condition.
La première d'entre elles est le respect de la paix publique.
4. En quatrième lieu, il ne peut pas être soutenu qu'un étranger titulaire d'une carte de dix ans détient, par le fait même de son attribution, un droit indéfini et inconditionnel à son renouvellement. Si une telle condition prévalait au niveau constitutionnel, l'existence même d'une durée limitée à dix ans n'aurait aucun sens. Il reviendrait alors au législateur d'en déduire que seuls des titres de durée indéfinie et irrévocable devraient être accordés. C'est un paradoxe auquel le Gouvernement ne peut pas souscrire. Si l'éventualité du non-renouvellement d'un titre de dix ans doit être envisagée avec précaution et au terme d'une procédure permettant à l'intéressé de faire valoir tous éléments en sa faveur, rien ne saurait établir, dans notre Constitution, l'impossibilité d'opposer l'ordre public à une demande de renouvellement d'un tel titre.
5. S'agissant du contrôle du juge, il est absurde de prétendre que, dans de telles circonstances, il serait en quelque sorte " désactivé ". Le précédent Azzaz, cité plus haut, illustre bien l'absence de pertinence de l'argument. Le contrôle juridictionnel sera d'autant moins paralysé que le non-renouvellement devra être motivé en vertu de la loi du 11 juillet 1979.
6. Enfin, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, c'est lors du renouvellement de la carte de résident que doit être appréciée la réalité de la menace de l'ordre public que représente la présence de l'étranger.
VI. : Sur l'article 8
Tirant notamment les conséquences des dispositions de l'article 6, l'article 8 supprime l'intervention de la commission du séjour dont le législateur avait auparavant jugé utile de prévoir la consultation à l'article 18 bis.
A : On observera, à titre principal, que le choix différent qui a été fait en l'espèce par le Parlement relève du pouvoir d'appréciation qui est le sien dans l'aménagement de procédures administratives. Une telle analyse a déjà été validée par la décision du 13 août 1993 qui s'est prononcée sur une question analogue. En effet, l'article 11 de la loi du 24 août 1993 a réduit considérablement le champ de compétence de la commission du séjour et le Conseil constitutionnel a jugé que cette évolution ne comportait en elle-même aucune atteinte aux garanties juridictionnelles de droit commun applicables aux étrangers concernés et ne pouvait, dès lors, être jugée contraire à un principe de valeur constitutionnelle.
Il est par ailleurs soutenu que la disposition serait contraire à la directive du Conseil de l'Union européenne du 20 février 1964. Le moyen est inopérant. Il est non moins dénué de fondement. En effet, l'article 9-1 de la directive invoqué ne vaut qu'en l'absence de recours juridictionnel ayant un effet suspensif au bénéfice du ressortissant communautaire, auquel un refus de séjour ou un arrêté de reconduite est notifié. De tels recours existent précisément en France.
B : En tout état de cause, on soulignera que la situation de fait résultant de la disposition critiquée n'est pas celle décrite par les sénateurs requérants.
D'abord, c'est bien un nombre résiduel et limité de dossiers qui resteraient de la compétence de la commission du séjour, dès lors qu'environ 80 % des dossiers jusqu'alors de sa compétence seraient l'objet de décisions positives et ne seraient donc plus justiciables de la commission du séjour.
Par ailleurs, il est faux de dire que les avis émis par la commission du séjour sont très généralement suivis par les préfectures. Les éléments statistiques démontrent au contraire que les situations sont extrêmement variables : dans certains cas, la proportion d'avis favorables est telle que la préfecture ne saurait suivre la globalité de ces avis ; à l'inverse, la proportion d'avis défavorables devient écrasante dans certains cas et, là non plus, l'administration ne saurait les suivre intégralement.
En réalité, dans une procédure administrative d'une nature aussi particulière, il est apparu au législateur qu'il n'était pas opportun de maintenir une situation où des magistrats administratifs et judiciaires interviennent comme partie prenante, à titre consultatif, alors que, par la suite, ils peuvent intervenir à titre juridictionnel sur la décision finalement prise. La loi, en prenant un parti clair sur le partage des compétences, semble donc correspondre non seulement à une amélioration du fonctionnement pratique de ces procédures, mais à un partage des rôles plus conforme à l'orthodoxie.
VII. : Sur l'article 13
Cet article apporte plusieurs modifications aux dispositions de l'article 35 bis de l'ordonnance relative au régime de la rétention administrative, afin de rendre plus efficace le dispositif d'éloignement des étrangers en situation irrégulière. L'expérience a en effet montré que ce dispositif, essentiel à l'efficacité de la lutte contre l'immigration irrégulière, présentait aujourd'hui de préoccupantes défaillances.
A : Les saisissants contestent d'abord le 1° de l'article 13 qui précise que l'échec d'un éloignement à l'issue d'une rétention n'empêche pas de mettre ultérieurement l'intéressé en rétention pour le temps strictement nécessaire à son départ.
Selon les auteurs des saisines, cette modification porterait une atteinte injustifiée à la liberté individuelle, au mépris de la chose jugée par le Conseil constitutionnel.
Cette argumentation, qui méconnaît tant la portée de la jurisprudence que celle de la mesure en cause, n'est pas fondée.
1. En premier lieu, il importe de souligner que le texte actuellement en vigueur, tel qu'il a été interprété par les juridictions civiles, débouche sur un taux d'échec élevé des mesures d'éloignement.
La Cour de cassation a en effet estimé, dans un arrêt Rasmi du 28 février 1996, que la rétention administrative d'un étranger ne peut faire l'objet que d'une prolongation sur le fondement d'un même arrêté de reconduite à la frontière. Elle en a déduit que l'échec de la reconduite à la frontière, après mise en liberté de l'étranger à l'issue du délai de prolongation de 6 jours, ne permet pas de faire courir une nouvelle période de rétention sur le fondement du même arrêté.
Il est apparu que cette interprétation comportait des conséquences particulièrement graves.
Sur le plan pratique, il convient de rappeler que moins du tiers (28 % en 1996) des mesures d'éloignement sont effectivement exécutées. S'agissant des étrangers effectivement interpellés et faisant l'objet d'une mesure d'éloignement, le taux d'exécution est plus élevé, mais encore inférieur à la moitié (43 % en 1996). C'est dire que, dans de très nombreux cas, la rétention administrative d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement n'est pas suivie de son éloignement effectif. Cette situation constitue l'un des problèmes majeurs justifiant l'intervention de la loi.
Si la solution découlant de la jurisprudence Rasmi devait être définitivement consacrée, la mesure d'éloignement serait frappée d'une sorte de caducité automatique, qu'il s'agisse de décisions administratives (arrêté d'expulsion, décision de réadmission ou arrêté préfectoral de reconduite à la frontière), ou d'interdictions judiciaires du territoire, dont l'exécution est précédée d'une période de rétention administrative.
S'agissant des décisions judiciaires d'interdiction du territoire, il serait pour le moins paradoxal de faire statuer une deuxième fois la juridiction sur le même cas, à raison des difficultés inhérentes à la mise en uvre de la décision d'éloignement.
En ce qui concerne les décisions administratives, il serait inédit, du point de vue du droit administratif, que l'échec d'une première tentative d'exécution conduise à leur péremption de fait.
Dans les deux cas, l'étranger concerné aurait tout intérêt, en pratique, à faire échec par tout moyen à son éloignement effectif, à l'issue de la première période de rétention administrative. Cette solution inciterait nombre d'intéressés au refus d'embarquement et encouragerait les mesures dilatoires au terme de la période de rétention administrative. Les conséquences potentielles sont donc réellement graves.
2. En second lieu, et sans remettre en cause l'interprétation que la Cour de cassation a donnée du texte en vigueur, le Gouvernement entend souligner qu'il appartient au législateur de modifier les règles que le juge a pour mission d'appliquer, sous réserve, naturellement, de se conformer à la Constitution.
Or celle-ci n'implique pas de faire prévaloir des règles protectrices tellement strictes qu'elles paralysent les mesures d'éloignement que l'administration a pour devoir de faire exécuter, tant lorsqu'elles procèdent d'une décision administrative que lorsqu'il s'agit d'une interdiction du territoire prononcée par l'autorité judiciaire.
Si l'article 66 de la Constitution conduit à opérer une conciliation entre les exigences de l'ordre public et celles qui tiennent à la durée d'une mesure de contrainte au-delà de laquelle l'atteinte à la liberté individuelle est regardée comme excessive, ces exigences ne sauraient être transposées telles quelles dans l'hypothèse spécifique que le législateur a, en l'espèce envisagée, dès lors que de strictes dispositions sont prises pour éviter tout détournement de procédure. La Constitution n'implique pas que la durée maximale admissible pour une rétention administrative s'apprécie de manière fractionnée. Il est au contraire légitime de considérer que la limite fixée à la durée de la rétention administrative, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, dans les conditions prévues par l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, s'applique à compter d'une décision de mise en rétention prise individuellement et qu'une seconde décision de rétention, intervenant au moins une semaine après la fin de la rétention précédente sur la base de la même décision, peut se voir appliquer les mêmes limites temporelles.
Il existe, dans le cas qu'envisage le 1° de l'article 13, une différence de nature avec l'hypothèse d'une rétention qui irait au-delà du maximum admis par la jurisprudence du Conseil constitutionnel : après une première rétention, l'étranger concerné a retrouvé la liberté, et il lui appartient de se conformer à la loi en quittant de lui-même le territoire, conformément à la mesure administrative ou judiciaire dont il est l'objet. S'il n'a pas cru devoir le faire et qu'il est à nouveau appréhendé, le législateur peut décider, sans méconnaître la Constitution, ni la chose jugée par le Conseil constitutionnel, que l'intéressé fasse l'objet d'une nouvelle rétention, au cas où celle-ci serait le seul moyen de rendre effective la mesure d'éloignement et dans les strictes conditions fixées par la loi.
On soulignera qu'une nouvelle rétention ne peut, en aucun cas, intervenir avant un délai de sept jours. Il a semblé en effet nécessaire au législateur de prévoir cette limitation, afin, précisément, d'éviter tout détournement de procédure qui viserait à mettre fin à une première rétention pour aussitôt en engager une seconde, ce qui reviendrait, alors, assurément, à méconnaître les limites fixées par la jurisprudence constitutionnelle.
Enfin, dans l'hypothèse évoquée par les sénateurs requérants où des faits nouveaux seraient intervenus depuis la précédente mesure d'éloignement, dont l'exécution est envisagée, il n'est pas exact de dire qu'ils seraient nécessairement ignorés. En effet, en supposant que ces faits soient substantiels, ils peuvent fort bien conduire à l'abandon de la mesure d'éloignement. Si les motifs et circonstances de fait ayant fondé un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière ont significativement changé depuis son intervention, il appartient à l'administration d'en tirer les conséquences quant à son exécution (par exemple, dans l'hypothèse où l'intéressé devient bénéficiaire d'une protection au titre de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945). Il revient à l'intéressé de se prévaloir de ces circonstances nouvelles et à l'administration de les prendre en compte. Cela correspond à une jurisprudence administrative classique, illustrée par exemple par l'arrêt de section du Conseil d'Etat " Association les Verts ", du 30 novembre 1990.
B : Les requérants contestent ensuite le 2° du même article 13, qui allonge de 24 heures la période à l'issue de laquelle la prolongation de la rétention doit être, le cas échéant, sollicitée du juge civil.
Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le choix ainsi fait, qui revient à une solution antérieurement retenue, est conforme à la Constitution, ainsi que le Conseil constitutionnel l'a expressément jugé dans sa décision n° 79-109 du 9 janvier 1980.
Celle-ci admet en effet un maintien en rétention administrative de 48 heures, avant une demande de prolongation adressée au juge judiciaire pour une période complémentaire.
Cette solution répond à une véritable nécessité. Comme l'expérience l'a montré, le délai actuel de 24 heures engendre des difficultés qui sont allées en s'aggravant. Au départ, l'audience devant le juge civil, au titre de l'article 35 bis, consistait en un examen simple, permettant au magistrat de contrôler la rétention au regard des conditions concrètes de cette dernière. Depuis lors, la jurisprudence s'est développée et l'audience s'est " juridictionnalisée ", en ce sens que les moyens pouvant être mis en avant par la défense se sont considérablement diversifiés. Le juge fait désormais entrer en ligne de compte, pour opérer son contrôle, un grand nombre d'éléments tenant à la fois à la procédure et au fond.
Un exemple caractéristique en est la décision Bechta de la Cour de cassation du 28 juin 1995, qui conduit à faire entrer en ligne de compte les conditions du contrôle d'identité ayant précédé la rétention.
Ce type de contrôle appelle à une appréciation fine, par exemple des conditions d'interpellation ou du contexte ayant justifié la décision de procéder à un contrôle d'identité. Il n'est pas besoin de se référer à la jurisprudence abondante de la chambre criminelle de la Cour de cassation pour mettre en évidence la grande difficulté des débats en ce domaine.
Le même arrêt Bechta consacre d'autre part une évolution de la jurisprudence en permettant, malgré la lettre de l'article 35 bis de l'ordonnance, une remise en liberté pure et simple, ce qui contredit une précédente jurisprudence illustrée par exemple par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 26 novembre 1990, M Chabba (Bulletin, page 125).
Par ailleurs, le juge a multiplié les éléments de contrôle de forme sur les pièces produites et sur la validité des saisines qui lui sont adressées (télécopie ou non, délégation de signature).
Enfin, il contrôle méticuleusement le déroulement non seulement de la rétention administrative, mais encore celui de la garde à vue qui l'a précédée.
Dans ces conditions, le nombre de décisions négatives a continuellement crû. C'est ainsi qu'en 1996, environ 2 000 décisions de reconduite à la frontière n'ont pu être exécutées, en raison de problèmes rencontrés lors de l'audience devant le juge civil.
L'accroissement même du nombre des audiences, lié à la multiplication des mesures de reconduite, crée un véritable problème de gestion. Celui-ci a parfois conduit l'administration à se présenter devant le juge, comme l'actualité l'a révélé, dans des conditions d'impréparation préjudiciables à la bonne application de la loi.
Même s'il importe que l'administration utilise l'ensemble des moyens nécessaires pour faire valoir, dans de bonnes conditions, la validité des procédures qu'elle met en uvre, force est de reconnaître que la pratique du délai de 24 heures relève aujourd'hui du " tour de force ". La difficulté est d'autant plus grande que la présence d'un représentant de la préfecture est, en pratique, une condition déterminante de la réussite des demandes de prolongation.
En résumé, la constitution de dossiers assez détaillés pour satisfaire les exigences de la jurisprudence judiciaire ne peut plus être raisonnablement exigée dans les 24 heures prévues par les textes en vigueur.
Par ailleurs, l'allongement à 48 heures n'est pas nécessairement préjudiciable à la défense de l'intéressé, qui pourra se construire elle aussi sur une base plus argumentée pendant ce laps de temps.
Dans sa décision du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel n'a nullement conféré un caractère " constitutionnellement indépassable " au délai de 24 heures. Il n'a fait que constater, en ce qui concerne l'article 27 de la loi alors déférée, que le délai de 24 heures était prévu pour la première période de rétention administrative. Il n'est donc pas exact de soutenir, comme le font les députés requérants, que la disposition de l'article 35 bis actuellement en vigueur n'a été validée qu'en raison du délai de 24 heures prévu par cet article.
Il n'est pas non plus possible de tirer argument du fait que la décision du 9 janvier 1980 précitée s'appuyait sur la nécessité absolue de la rétention administrative, alors qu'aujourd'hui l'article 35 bis ne parle plus que de nécessité sans employer le qualificatif " absolue ". L'usage de cet adjectif n'ajoute rien en droit, d'autant moins que la suite de l'alinéa concerné de l'article 35 bis précise que la durée de la rétention est limitée au temps strictement nécessaire au départ de l'étranger.
Il n'est pas non plus acceptable de présenter le champ d'application de l'article 35 bis comme beaucoup plus large aujourd'hui que celui qui avait été déféré à l'examen du Conseil en 1980. En effet, les expulsions dont il s'agissait, au titre de l'article 23 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, dans sa rédaction issue de l'article 6 de la loi alors déférée, visaient un 4° qui comportait la possibilité d'expulser du territoire français un étranger au seul motif de son séjour irrégulier. Cela recouvre exactement la notion d'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière dans le cas le plus général. Les non-admissions à la frontière, aujourd'hui traitées par les articles 5 et 35 quater, étaient également dans le champ de la loi déférée en 1980. Tout cela montre bien qu'il n'y a pas eu, depuis 1980, d'extension du champ d'application de l'article 35 bis.
Le parallèle fait par les requérants avec la garde à vue n'est pas davantage pertinent et, à la vérité, on pourrait en tirer un a contrario en sens inverse de leur thèse.
D'abord, parce que, dans le cas de la garde à vue, l'intervention d'un magistrat du siège n'est pas requise avant un délai de 48 heures.
Ensuite, parce que, dans le cas d'une garde à vue, la présomption d'innocence joue et l'intéressé n'est l'objet d'aucune mesure exécutoire. Au contraire, pour la rétention administrative, la mesure d'éloignement est effectivement exécutoire et nécessaire à l'application de la loi.
Qui plus est, dans le domaine de la rétention administrative, l'intéressé accède à son conseil dès la première heure, peut communiquer avec son consulat ou une personne de son choix et peut demander immédiatement l'assistance d'un interprète ou d'un médecin.
Par ailleurs, durant toute la durée du maintien, le procureur de la République peut vérifier les conditions du maintien en rétention.
Quant à la symétrie, évoquée par les députés requérants, entre le délai de recours devant le tribunal administratif et le premier délai de rétention administrative, on ne voit pas par quelle exigence de valeur constitutionnelle elle serait imposée. Au contraire, la décision du 9 janvier 1990 a validé la durée impartie au requérant pour introduire un recours suspensif devant le tribunal administratif contre l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière dont il est l'objet, sans établir de lien avec la période de rétention administrative pouvant accompagner la mise en uvre de cette mesure.
Il est également faux de dire qu'aujourd'hui les délais de recours contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière sont nécessairement conservés lors de l'audience devant le juge de la rétention. D'abord parce que beaucoup d'étrangers retenus sont placés en rétention sur la base d'une mesure d'éloignement déjà ancienne et non attaquée en temps utile. Ensuite parce qu'un arrêté de reconduite étant généralement notifié en fin de garde à vue, et l'audience devant le juge de la rétention ayant souvent lieu en pratique après les premières 24 heures de rétention, le délai de recours est déjà souvent épuisé lors de l'audience.
S'agissant des droits de la défense, ils ne sont nullement affectés par la disposition critiquée, dès lors que l'étranger mis en rétention se verra, comme par le passé, notifier l'ensemble de ses droits, y compris à l'aide de formulaires traduits dans sa langue, et que, par ailleurs, les décisions de reconduite à la frontière seront toujours notifiées à l'intéressé avec l'ensemble des précisions lui permettant d'exercer effectivement ses voies de recours. C'est à la mise en uvre effective de ces droits que l'administration doit s'attacher. L'application de ces dispositions imposera certes à l'administration un devoir plus grand de vigilance et de respect des droits de la personne. Mais ces dispositions ne soulèvent pas, par elles-mêmes, de question de constitutionnalité.
C : Les parlementaires auteurs des saisines contestent enfin le 6° de l'article 13 qui permet de donner, sous certaines conditions, un effet suspensif à l'appel du parquet contre une ordonnance du juge civil refusant d'autoriser la prolongation d'une rétention administrative.
1. Il importe, en premier lieu, de souligner que cette mesure répond à une nécessité pratique impérieuse sans laquelle cette voie de recours risquerait d'être privée de toute effectivité.
Il est en effet apparu, dans un nombre croissant d'hypothèses, que des décisions prises par le premier juge avaient conduit à remettre en liberté des étrangers interpellés en instance d'éloignement, alors qu'il était évident dès le départ que la cour d'appel viendrait infirmer la décision prise par le juge de première instance.
Dans de telles hypothèses, l'appel n'a aucune portée, puisqu'il est impossible de procéder à nouveau au placement en rétention de l'étranger qui a été purement et simplement élargi ou assigné à résidence dans des conditions équivalentes à l'élargissement pur et simple.
Quelques exemples illustreront ce propos : assignation à résidence d'un sans domicile fixe ; remise en liberté à la suite de l'annulation d'un contrôle d'identité pourtant prescrit par le parquet ; refus de prolongation motivé par l'insuffisante motivation de la demande préfectorale, alors que celle-ci apparaît manifestement bien et complètement motivée (ce que constatera aisément la cour d'appel) ; irrecevabilité d'une saisine par télécopie, alors que la Cour de cassation a jugé (préfet de police contre M Nidoagmar du 18 septembre 1996) qu'une telle saisine était régulière ; refus de prolongation de la rétention d'un étranger sortant de prison après une très lourde peine et dont le passé pénal illustrait le caractère dangereux.
Dans de telles hypothèses, l'appel suspensif permet d'éviter qu'une décision trop vite prise par un juge unique compromette irréparablement l'exécution d'une mesure d'éloignement pleinement justifiée.
2. En deuxième lieu, il convient de souligner que le parquet n'a pas le pouvoir de donner lui-même un caractère suspensif à son appel.
Il reviendra en effet à un magistrat du siège près le premier président de la cour d'appel de statuer sur ce caractère suspensif.
Compte tenu des délais extrêmement courts dans lesquels, dans l'intérêt même de l'étranger concerné, cette procédure devra se dérouler, il n'est pas raisonnable de prévoir une procédure contradictoire pour statuer sur le caractère suspensif. Le magistrat de la cour d'appel devra prendre une décision conservatoire. Il devra le faire sans délai, une fois que le procureur l'aura saisi, immédiatement après le prononcé de l'ordonnance. Cette procédure implique donc un rythme rapide et repose sur la diligence et la conscience professionnelle des magistrats qui la mettront en uvre.
Naturellement, la décision finale vérifiera le bon déroulement de la procédure et sanctionnera tout abus éventuel.
En pratique, on peut penser qu'à compter de l'ordonnance du premier juge, le premier président ou son délégué se prononcera sur le caractère suspensif dans les quelques heures qui suivent et que la décision au fond de la cour d'appel interviendra dans le délai de 48 heures, conformément à l'article 11 du décret du 12 novembre 1991 pris pour l'application de l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Le débat contradictoire aura naturellement lieu devant la cour d'appel lors de l'audience au fond.
3. En troisième lieu, on rappellera que l'appel suspensif du parquet n'est pas sans précédent. On en trouve un exemple à l'article 187-1 du code de procédure pénale où c'est bien un appel suspensif du parquet qui intervient contre une décision du juge du siège. De même, l'article 733-1 du code de procédure pénale permet au parquet de mettre en échec les décisions du juge d'application des peines devant le tribunal correctionnel, même dans l'hypothèse d'une libération conditionnelle.
Ainsi encore, il existait, depuis une loi du 17 juillet 1970, une possibilité d'appel suspensif du ministère public en cas de mise en liberté d'un inculpé précédemment détenu. Il est exact que l'article 14 (paragraphe 2) de la loi du 9 juillet 1984 a abrogé, à compter du 1er janvier 1985, l'alinéa 6 de l'article 186 du code de procédure pénale alors en vigueur. Il reste que, pendant quatorze ans, le mécanisme a prévalu et qu'on ne saurait considérer qu'il a joué dans un sens contraire à notre Constitution.
L'intervention du parquet n'apparaît pas contraire à l'article 66 de la Constitution, dès lors que l'autorité judiciaire comprend le procureur au même titre que les magistrats du siège.
Les mêmes considérations expliquent le rôle du parquet en matière de garde à vue. Le pouvoir qui lui est donné de prolonger de 24 heures une première période de garde à vue n'a pas été regardé par le Conseil constitutionnel comme contraire à l'article 66 de la Constitution. Il n'est donc nullement illégitime pour le parquet d'intervenir dans une procédure où la liberté individuelle est en cause.
4. En quatrième lieu, il est clair que, dans un tel cas, l'intervention du parquet ne vaut que dans un sens, sans que soit requise une symétrie qui n'aurait aucun fondement en l'espèce, puisqu'une dissymétrie, mais de sens inverse à ce qui est dénoncé, caractérise dès le départ la procédure. En effet, s'il est mis fin à la rétention administrative, l'appel n'a plus de portée pratique. Si, en revanche, il y a prolongation de la rétention, l'appel est pleinement équitable, puisque l'ensemble des parties se retrouve dans la même situation que devant le premier juge. On peut donc considérer que l'appel suspensif du parquet, dans le cas d'espèce, revient à rétablir, dans l'intérêt de la loi, un équilibre entre les parties.
On observera, à cet égard, que l'étranger reste effectivement à la disposition de la justice jusqu'à l'intervention du juge d'appel, et ne peut donc être reconduit à la frontière pendant cet intervalle.
Il convient également de relever que l'initiative du parquet n'est pas celle d'une partie à proprement parler, mais bien d'un arbitre qui intervient pour garantir une bonne application de la loi dans l'intérêt de la société. On retrouve là le rôle traditionnel du parquet.
Il faut enfin ajouter que la possibilité d'appel suspensif du parquet est encadrée par la nécessité, pour celui-ci, de le manifester immédiatement, c'est-à-dire dans des cas où il aura été présent à une audience et aura pu relever d'emblée une violation flagrante de la règle du droit.
VIII. : Sur l'article 17
Cet article étend le champ de la procédure dite de " rétention judiciaire " afin de confirmer la vocation de cette procédure à se substituer à la prison dans la perspective à court terme d'un éloignement effectif. Il permet à cet effet d'appliquer l'article 132-70-1 du code pénal aux étrangers en situation irrégulière démunis de documents transfrontières, aussi bien qu'aux étrangers s'étant soustraits à une mesure d'éloignement.
Pour contester cette disposition, les députés requérants soutiennent qu'il s'agirait d'une " peine " manifestement disproportionnée. Ils considèrent en outre que l'application du même traitement aux étrangers qui font volontairement disparaître leurs papiers et à ceux qui en sont simplement dépourvus méconnaît le principe d'égalité devant la loi.
A : On rappellera d'abord que la rétention judiciaire n'est pas une peine, comme le souligne le considérant 114 de la décision du 13 août 1993 du Conseil constitutionnel.
Par ailleurs, le fait, pour un étranger, de séjourner en situation irrégulière sur le territoire français est un délit sanctionné par l'article 19 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 par une peine allant jusqu'à un an de prison. La durée maximale de la rétention judiciaire (trois mois) reste donc proportionnée à la durée maximale de la peine de prison à laquelle elle se substitue. Encore n'est-elle applicable qu'à une hypothèse de séjour irrégulier : celle de l'étranger dépourvu de document transfrontière.
La simple extension du champ d'application de l'article 132-70-1 du code pénal ne saurait donc en elle-même être jugée contraire à la Constitution.
S'agissant du principe d'égalité, on indiquera d'abord qu'il n'interdit pas d'appliquer des dispositions semblables à des situations qui, quoique différentes, présentent des caractéristiques semblables au regard du but recherché.
En tout état de cause, il appartiendra le cas échéant au juge judiciaire de moduler la durée de la rétention judiciaire selon que l'intéressé s'est ou non volontairement soustrait à une mesure d'éloignement.
B : En pratique, l'extension de la rétention judiciaire se justifie pour les raisons suivantes : l'infraction prévue à l'article 27, alinéa 2, n'est caractérisée que si l'élément intentionnel est établi. Or, cet élément fait souvent défaut et c'est l'une des raisons pour lesquelles la rétention judiciaire n'a pas pu se développer comme on pouvait le prévoir en 1993.
Dans l'hypothèse où la personne est démunie des documents de voyage nécessaires, il est assez fréquent que la durée d'obtention des laissez-passer consulaires sollicités auprès des autorités étrangères prenne un temps très supérieur à la durée de rétention administrative. Dans ces cas, l'autorité administrative dispose de trois possibilités : soit renoncer provisoirement à l'éloignement de la personne concernée, soit la placer en prison (si l'autorité judiciaire condamne effectivement l'intéressé à une peine de prison ferme, ce qui arrive assez souvent), soit retenir l'hypothèse de la rétention judiciaire. Mais aujourd'hui, celle-ci n'est envisageable que dans le cas où le comportement de l'intéressé permet de le faire rentrer dans le champ d'application du deuxième alinéa de l'article 27.
Il a donc paru nécessaire d'étendre le champ d'application de la rétention judiciaire pour placer les étrangers concernés dans des conditions d'hébergement très largement supérieures à celles des centres de détention. Une telle solution est d'autant plus favorable à l'étranger concerné que la durée de placement en rétention judiciaire sera limitée au temps strictement nécessaire à l'obtention des documents de voyage, en particulier à la diligence de l'intéressé qui sera alors dispensé de peine. A l'inverse, le placement en prison ne pourrait être écourté que par une décision expresse du juge d'application des peines, au terme d'une procédure relativement lourde.
Globalement, la disposition proposée revient à faire évoluer les conditions d'application de l'article 19 de l'ordonnance, lorsque l'intéressé n'a pas de papiers, dans des conditions qui ne sont pas défavorables à l'étranger concerné et qui permettent d'améliorer le taux d'exécution des mesures d'éloignement.
IX. : Sur l'article 18
Cet article tend à permettre en Guyane, dans une zone comprise entre les frontières terrestres ou le littoral de ce département et une ligne tracée à 20 kilomètres, l'exercice de contrôles d'identités soumis aux conditions définies à l'article 78-2 du code de procédure pénale.
Les députés requérants reprenant, à l'encontre de cet article, une critique analogue à celle déjà présentée à propos du nouvel article 8-2 de l'ordonnance de 1945, on se bornera à rappeler que la situation particulièrement difficile de la Guyane au regard des problèmes migratoires justifie pleinement, conformément à l'article 73 de la Constitution, une adaptation de la loi qui permette de mieux maîtriser le phénomène.
On ajoutera seulement que, dans ce département, plus de 10 000 reconduites à la frontière sont exécutées chaque année (ce qui correspond au total annuel réalisé en métropole), étant rappelé que la population étrangère en situation irrégulière est évaluée au quart de la population totale.
La sensibilité stratégique du centre de Kourou, ainsi que la grande facilité avec laquelle on peut gagner le littoral par pirogue depuis les Etats voisins, justifient l'extension du dispositif envisagé à la bande littorale.
X : Sur l'article 19 de la loi déférée
Cet article insère dans le code de procédure pénale un article 78-2-1, en vue de permettre aux officiers et agents de police judiciaire, sur réquisitions du procureur de la République, d'entrer dans des lieux privés à usage professionnel pour procéder à certaines vérifications, notamment au contrôle de l'identité des personnes occupées à des activités professionnelles dans ces locaux.
A l'appui de leur critique, les requérants font valoir que de telles opérations nécessitent l'autorisation d'un magistrat du siège et que la loi aurait dû donner au juge le contrôle effectif de la nécessité de procéder à chaque visite, ainsi que les pouvoirs d'en suivre effectivement le cours.
Pour sa part, le Gouvernement considère que cette disposition se conforme strictement aux exigences de la jurisprudence, telles qu'elles ont été dégagées par le Conseil constitutionnel.
De manière générale, l'attribution par la loi d'un pouvoir de visite des locaux professionnels en vue de la recherche ou de la constatation d'infractions pénalement sanctionnées doit être, aux termes de la décision n° 90-281 DC du 27 décembre 1990, entourée d'un certain nombre de garanties :
: le droit de visite doit être limité dans le temps ;
: l'accès aux locaux mixtes, c'est-à-dire servant pour partie de domicile aux intéressés, doit faire l'objet de dispositions spécifiques assurant le respect du principe de l'inviolabilité du domicile ;
: le respect des droits de la défense doit être assuré, ce qui revient, en pareil cas, à imposer la communication d'une copie du procès-verbal de la visite aux intéressés ;
: le procureur de la République doit exercer un contrôle effectif sur l'entier déroulement de la visite. Il doit être informé préalablement de manière à pouvoir s'y opposer ou y mettre fin à tout moment.
Comme le relève le Conseil d'Etat dans son rapport de 1994 sur l'intervention de l'administration dans le domaine des sanctions : " C'est essentiellement sur ce point que les garanties applicables au "droit d'accès" se distinguent des garanties applicables aux perquisitions : d'une part, il n'y a qu'une nécessité d'information préalable et non d'autorisation préalable ; d'autre part, le contrôle de la procédure appartient non plus aux magistrats du siège, mais aux magistrats du parquet. "
En l'espèce, le législateur s'est strictement conformé à ces principes. S'agissant d'un accès à des locaux exclusivement professionnels, on peut même considérer qu'il est allé au-delà, en prévoyant dans tous les cas des réquisitions du procureur, et non sa simple information évoquée dans la décision n° 90-280 DC du 27 décembre 1990.
Par ailleurs, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, il n'existe pas de différence entre le texte en cause dans cette dernière décision et la loi déférée quant à l'accord des personnes concernées. Cette question n'intervient d'ailleurs en aucune façon dans le raisonnement tenu dans la décision précitée du 27 décembre 1990.
On ajoutera que la décision n° 93-323 du 5 août 1993 confirme que le procureur de la République a la responsabilité de définir précisément les conditions dans lesquelles les procédures de contrôle d'identité doivent être effectuées. Or il s'agit bien ici, pour l'essentiel, de définir une nouvelle modalité de contrôle d'identité.
Il revient d'ailleurs au procureur non seulement de définir les conditions dans lesquelles seront effectués lesdits contrôles d'identité, mais bien d'en assurer un contrôle a posteriori, le cas échéant à l'initiative de l'intéressé auquel un procès-verbal de visite sera remis.
Il convient enfin de souligner que la loi déférée encadre de manière stricte le champ d'application de cette disposition. Il se trouve en effet limité par l'avant-dernier alinéa aux réquisitions du procureur, elles-mêmes motivées de manière explicite par la recherche d'infractions visées aux articles L 324-9 et L 341-6 du code du travail, c'est-à-dire le travail dissimulé au sens de la loi du 11 mars 1997.
*s 1997.
* *
Pour l'ensemble de ces motifs, le Gouvernement conclut à ce que le Conseil constitutionnel rejette les deux saisines.
SAISINE DEPUTES : Paris, le 27 mars 1997.
Les députés soussignés à Monsieur le président, Madame et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, 2, rue de Montpensier, 75001 Paris.
Monsieur le Président, Madame et Messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement.
I : Sur l'article 1er de la loi déférée
Cet article a pour objet de modifier le régime de visa des certificats d'hébergement.
La loi déférée n'impose plus aujourd'hui à l'hébergeant de signaler à l'autorité administrative le départ de l'étranger qu'il hébergeait, l'inconstitutionnalité manifeste d'une telle atteinte à la vie privée totalement dépourvue de raison d'être, fût-ce au regard de la lutte contre le séjour irrégulier qu'elle prétendait servir, ayant fini par apparaître même aux esprits les plus obstinés de la majorité parlementaire, ou du moins à la plupart d'entre eux.
Pour autant, l'article 1er dans sa version finalement votée modifie encore considérablement le régime des certificats d'hébergement, d'une part, en transférant le pouvoir de viser ces certificats du maire au préfet : ce dont on ne peut que se réjouir en principe, la diversité des contextes électoraux menaçant de plus en plus l'égalité territoriale devant le respect de droits fondamentaux tout en regrettant que le ministre de l'intérieur ait indiqué devant le Sénat en deuxième lecture que les préfets devraient consulter systématiquement les maires, ce qui conduit à s'interroger sur la portée réelle de la " régularisation " partielle de l'article 1er due à l'" amendement Mazeaud " -, d'autre part, en introduisant dans l'article 5-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 un nouveau motif de refus de visa du certificat d'hébergement. Le préfet doit en effet refuser de viser le certificat lorsque " les demandes antérieures de l'hébergeant font apparaître un détournement de la procédure au vu d'une enquête demandée par le représentant de l'Etat aux services de police ou unités de gendarmerie ".
Or cette dernière disposition donne au préfet le pouvoir de porter une atteinte grave à la liberté individuelle (en sa composante qui consiste à recevoir librement à son domicile toute personne de son choix) sans que la loi déférée prévoie les garanties nécessaires au respect de ladite liberté. La notion de " détournement de procédure " est ici d'une dangereuse imprécision : dès lors que l'hébergeant n'a pas été condamné antérieurement pour aide au séjour irrégulier, le respect de la présomption constitutionnelle d'innocence s'oppose à ce qu'une simple enquête de police ou de gendarmerie puisse permettre de conclure à un " détournement de procédure " sans que la loi exige même que des poursuites pénales aient été ou soient engagées contre l'hébergeant. Ni les services de police ou de gendarmerie ni l'autorité préfectorale ne peuvent être ainsi substitués à l'autorité judiciaire pour apprécier des motifs de limitation de la liberté individuelle et d'atteintes à la vie privée.
Au surplus, dès lors que l'acception de la notion de " détournement de procédure " propre au contentieux administratif ne saurait être retenue en la matière, le pouvoir d'appréciation du préfet est en tout état de cause trop discrétionnaire pour éviter le risque d'arbitraire : le " détournement de procédure " sera-t-il révélé par de seules données quantitatives (fréquences des certificats délivrés) : le fichage des hébergeants est donc, comme on le verra, inévitable et même nécessairement déjà prévu : ou bien aussi par l'hébergement jugé trop fréquent d'étrangers d'une origine " indésirable " ? La variabilité des pratiques préfectorales risque d'être rien moins que négligeable, comme peuvent en témoigner dès à présent telles pratiques varoises si bien qu'en ne conditionnant pas davantage le pouvoir d'appréciation du préfet la loi déférée est encore entachée et de violation du principe d'égalité (territoriale) de traitement, et d'incompétence négative.
De manière générale, l'interdiction de recevoir à son domicile une personne de son choix ne saurait être prononcée par une autorité administrative : de surcroît particulièrement soumise au pouvoir politique : à l'encontre d'une personne qui n'est prévenue d'aucune infraction sans que soit de ce seul fait portée une atteinte inconstitutionnelle à la liberté individuelle, non seulement en ce qu'aucun débat contradictoire ne permet à l'hébergeant sanctionné de se défendre contre le grief imprécis de " détournement de procédure " mais encore en ce qu'une restriction aussi grave à la liberté individuelle, et notamment à la jouissance du domicile, ne saurait être prononcée que soit par l'autorité judiciaire à titre de sanction pénale, soit par l'autorité administrative dans le seul cas où elle est absolument indispensable à la protection de l'ordre public ce que personne ne pourrait sérieusement soutenir en l'espèce.
De plus, le Gouvernement a finalement dû reconnaître au cours de la discussion parlementaire que la disposition critiquée donnerait nécessairement lieu à la constitution d'un fichier des hébergés et que les informations contenues dans les fichiers départementaux pourraient être mises en relation et échangées.
Or, d'une part, ce fichier consacrera nécessairement : d'un même mouvement : hébergeants et hébergés : non seulement le fichage de chaque hébergé n'est " utile " que s'il indique l'identité et l'adresse de l'hébergeant, mais en outre le préfet ne peut apprécier l'existence du " détournement de procédure " qu'au regard des demandes antérieures de visa de certificat d'hébergement et du comportement subséquent des hébergés précédents. Il est donc incontestable, même si le ministre de l'intérieur a cru devoir s'obstiner à ne pas le reconnaître clairement, que le fichage des " Français xénophiles " n'a nullement été abandonné du fait de l'adoption de l'" amendement Mazeaud ".
D'autre part, la même logique de recherche de " détournement de procédure " impose que le fichier dont le ministre a avoué la nécessité soit conservé non pas, comme il le dit, deux mois seulement mais au minimum pendant plusieurs années et, à la vérité, pour une durée indéterminée dès lors que la loi déférée ne fixe aucune limite à la période pendant laquelle peuvent être recherchés les indices de " détournement de procédure ". Le fichage des étrangers hébergés et des " Français xénophiles " qui les accueillent est donc instauré sans limite de durée.
Enfin, ce fichage sera nécessairement national : ce qu'indique de manière détournée le propos ministériel sur la mise en relation des fichiers départementaux : car au cas contraire un étranger qui n'aurait pas quitté le territoire après avoir quitté le domicile d'un premier hébergeant pourrait obtenir du préfet d'un autre département un nouveau visa de certificat (pour un autre lieu d'hébergement) sans que le " détournement de procédure " soit alors repérable. A vrai dire, ce fichage devrait même, pour avoir une efficacité autre que symbolique, être institué à l'échelle de l'ensemble des Etats de la " zone de Schengen ", dès lors que les contrôles frontaliers internes à cette zone disparaissaient. Certes, aucun accord international n'a institué un tel " fichage des hébergeants et hébergés " mais précisément, de ce fait, l'étranger hébergé qui sort du territoire français par une frontière " interne à la zone de Schengen " ne pourra remettre son certificat d'hébergement à aucune autorité policière française à sa sortie du territoire et sera donc réputé n'être jamais sorti, si bien que son hébergeant sera alors considéré comme complice d'un " détournement de procédure ".
La loi déférée institue donc un fichage national et permanent des hébergeants comme des hébergés, fichage qui, faute de dimension européenne, est au demeurant inefficace et générateur de présomptions erronées de fraude à la loi le tout dans des conditions que la loi déférée n'encadre en rien, le point VI de l'article 1er se bornant à un renvoi général à un décret en Conseil d'Etat, sans même viser le régime protecteur issu de la loi du 6 février 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Dans un domaine aussi doublement " sensible " du point de vue des libertés fondamentales, il y a là, outre des atteintes à la liberté individuelle (résultant de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée) que ne justifie aucune nécessité tirée de l'objectif constitutionnel d'ordre public (au sens du troisième considérant de la décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995), un nouveau cas d'incompétence négative du législateur.
Enfin, la loi ne précise pas davantage ce qu'il advient des certificats remis par l'étranger aux services de police à sa sortie du territoire, qui peuvent servir de base à la constitution d'un nouveau fichier national des hébergeants, lequel pourrait être " croisé " avec le fichier établi par les préfectures lors des demandes de visa afin de dresser la liste des hébergeants ayant reçu des étrangers devenus " clandestins " hébergeants qui pourraient être alors poursuivis pour aide au séjour irrégulier (ce qu'envisage l'" étude d'impact " jointe au projet de loi). Une fois encore, l'absence de toute garantie légale de respect de la liberté individuelle entache ici la loi d'incompétence négative.
II. : Sur l'article 3 de la loi déférée A : Sur le nouvel article 8-1 de l'ordonnance du 2 novembre 1945
Cette disposition permet aux services de police et aux unités de gendarmerie de " retenir " le passeport de tout étranger en situation irrégulière, de déterminer la durée de cette " retenue " et les modalités de restitution dudit passeport à la sortie du territoire.
La liberté d'aller et venir reconnue à toute personne se trouvant sur le territoire de la République comprend notamment celle de quitter librement ledit territoire (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, cent troisième considérant). La " rétention " du passeport porte incontestablement atteinte à cette liberté, ne serait-ce que parce qu'elle prive l'étranger de la possibilité de choisir le lieu où il quittera le territoire national et son pays de destination.
Cette atteinte à la liberté d'aller et de venir est d'autant plus excessive que la durée n'en est pas limitée par la loi déférée et que l'étranger ainsi contraint ne fait l'objet d'aucune mesure de reconduite à la frontière.
En outre, le passeport est la propriété de l'Etat dont l'étranger est le national, si bien qu'aucune autorité française ne saurait le confisquer sans que la loi prévoyant une telle confiscation ait pour objet de violer sciemment les obligations internationales de la France visées par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et soit dès lors entachée de violation directe de l'article 55 de la Constitution.
B : Sur le nouvel article 8-2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945
Cette disposition permet, dans une zone de vingt kilomètres en deçà des frontières terrestres séparant la France d'un autre Etat partie à la convention de Schengen, aux officiers de police judiciaire de procéder à la " visite sommaire " de véhicules autres que les voitures particulières en vue de rechercher des infractions relatives à l'entrée et au séjour des étrangers en France.
Il résulte d'une jurisprudence récemment confirmée (décisions n° 76-75 DC du 12 janvier 1977 et n° 94-352 DC des 17-18 janvier 1995) que la " visite " d'un véhicule, fût-elle qualifiée de " sommaire " et ne concernât-elle que certaines catégories de véhicules, n'est constitutionnelle qu'à la condition d'avoir été autorisée par l'autorité judiciaire parce qu'elle relève de la police judiciaire et met en cause la liberté individuelle.
Or, la loi déférée ne subordonne ces " visites " qu'à la condition d'" instructions " du procureur de la République.
Premièrement, le terme d'" instructions " est trop imprécis pour constituer la garantie légale de la liberté individuelle requise par la jurisprudence précitée : ces instructions seront-elles données sous une forme générale et permanente (pour tous les cas dans lesquels le conducteur s'oppose à la fouille de son véhicule) ou devront-elles être sollicitées au cas par cas (et alors pourquoi ne pas avoir utilisé le terme d'" autorisation " seul conforme à la jurisprudence ?) Dans la première hypothèse, le parquet n'aura aucun moyen de maîtriser réellement la conduite des opérations de fouille des véhicules en cause. Et dans les deux hypothèses le procureur ne pourra ni contrôler la régularité des opérations de fouille ni décider d'y mettre fin.
Deuxièmement, et en tout état de cause, seule l'intervention d'un magistrat du siège pourrait sauver ici la loi déférée de l'inconstitutionnalité, s'agissant de l'habilitation donnée à des officiers de police judiciaire de procéder à des mesures portant aussi incontestablement atteinte à la liberté individuelle. Alors que les plus hautes autorités de l'Etat viennent d'attirer l'attention sur la soumission du parquet au pouvoir politique, on ne saurait admettre que l'intervention (au demeurant floue et fugitive) d'un procureur aussi dépendant du Gouvernement suffise à protéger la liberté individuelle.
Troisièmement, alors que le conducteur du véhicule peut être " retenu " pendant plusieurs heures et que toute mesure de rétention " ne peut intervenir que dans des cas et sous des formes et conditions strictement définis par [le législateur], sous le contrôle du juge et dans le respect des droits de la défense " (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, quatre-vingt-dix-huitième considérant), la loi déférée ne définit ni la notion de " visite sommaire " ni les critères selon lesquels les policiers ou les gendarmes pourront choisir de procéder au contrôle de tel véhicule hors de toute enquête judiciaire particulière (se fieront-ils à l'apparence du conducteur ?) ; elle est dès lors entachée d'incompétence négative.
Quatrièmement, la loi déférée ne permet au conducteur du véhicule " retenu " ni de protester contre la mesure prise à son encontre devant l'autorité judiciaire ni de faire aviser une personne de son choix (comme le permet l'article 78-3 du code de procédure pénale en cas de contrôles d'identité). Elle prive ainsi de garanties légales le principe constitutionnel des droits de la défense.
Cinquièmement, en étendant l'applicabilité de ces dispositions au département de la Guyane alors que les frontières terrestres de ce département ne sont nullement concernées par l'application de la convention de Schengen, le dernier alinéa de l'article déféré viole le principe constitutionnel d'égalité devant la loi. C'est en effet seulement en raison de la suppression des contrôles aux frontières décidée par cette convention que la mise en place de contrôles analogues a pu être jugée constitutionnelle (décision n° 93-323 DC du 5 août 1993, quatorzième et quinzième considérants), alors que les contrôles frontaliers n'ont été en rien allégés en Guyane. Les conditions d'exercice de la liberté individuelle ne sauraient donc y être restreintes au même degré que là où les contrôles nouveaux viennent compenser l'ouverture des frontières.
C : Sur le nouvel article 8-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945
Cette disposition autorise le relevé et la mémorisation des empreintes digitales de tous les étrangers ressortissants d'un Etat non membre de l'Union européenne qui sollicitent la délivrance d'un titre de séjour, sont en situation irrégulière en France ou font l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français, et permet à des fonctionnaires du ministère de l'intérieur de consulter tout fichier contenant des empreintes digitales d'étrangers détenu par une autorité publique pour identifier un étranger non muni de titre de séjour.
Le relevé et la mémorisation d'empreintes de tout étranger sollicitant un titre de séjour constitue une mesure d'une généralité sans précédent ni équivalent, alors que les personnes visées ne font l'objet d'aucune poursuite ni d'aucune mesure d'éloignement et qu'il n'est même pas allégué qu'elles troublent l'ordre public. Vainement arguerait-on du fait que la même mesure s'applique aux Français auxquels il est délivré une carte d'identité : dans le cas de la disposition critiquée, la prise d'empreintes n'est pas destinée à l'élaboration d'une pièce d'identité mais uniquement à permettre un fichage généralisé d'étrangers traités comme " suspects d'immigration irrégulière potentielle " du seul fait qu'ils sont originaires de pays eux-mêmes considérés avec méfiance. L'atteinte ainsi portée à la liberté individuelle : notamment du fait de la mémorisation informatique des empreintes : dépasse manifestement ce que pourrait justifier la poursuite de l'objectif constitutionnel de maintien de l'ordre public.
En outre, l'autorisation donnée à des fonctionnaires du ministère de l'intérieur d'accéder à tout fichier contenant des empreintes digitales d'étrangers : et en particulier au fichier informatisé des empreintes digitales des demandeurs du statut de réfugié : met à bas le principe de l'inviolabilité de tous les documents détenus par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, principe posé par l'article 3 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 créant l'OFPRA. Or ce principe essentiel à la protection de la sécurité juridique des réfugiés constitue sans aucun doute une garantie légale du respect du droit constitutionnel d'asile, dont on conviendra qu'il n'a pas cessé de s'appliquer, même depuis la révision constitutionnelle de 1993, aux personnes ayant obtenu le statut de réfugié. L'existence même de l'OFPRA est en effet destinée à garantir aux réfugiés que leur situation est traitée par une autorité indépendante et non pas par les services de police placés sous l'autorité hiérarchique directe du ministre de l'intérieur. La loi déférée prive en ce sens de garantie légale le droit d'asile reconnu par le quatrième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
III. : Sur les articles 4 et 5 de la loi déférée
Ces deux articles, introduits dans la loi déférée par amendements parlementaires en première lecture à l'Assemblée nationale, autorisent le préfet à retirer respectivement sa carte de séjour temporaire et sa carte de résident à l'étranger considéré comme " en infraction avec l'article L 341-6 du code du travail ".
Il convient de rappeler que tout étranger condamné à une peine de prison ferme pour infraction à l'article L 341-6 du code du travail peut d'ores et déjà, en vertu de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, être l'objet d'une mesure d'expulsion ou de reconduite à la frontière.
En d'autres termes, les dispositions déférées ont pour seul objet de frapper des étrangers soupçonnés par le préfet d'infraction à l'article L 341-6 du code du travail mais n'ayant pas été condamnés pour une telle infraction ; il n'est même pas exigé que les personnes en cause soient seulement poursuivies La loi déférée organise ainsi, comme l'a notamment relevé le syndicat des juridictions administratives (voir le Journal officiel des débats du Sénat, 6 février 1997, p 705), la substitution pure et simple de l'autorité administrative à l'autorité judiciaire pour apprécier si une infraction est ou non constituée.
De plus, les dispositions déférées, contrairement à la législation précitée en vigueur, ne distinguent nullement selon la gravité de l'infraction, assimilant au " négrier " l'étranger qui aura employé un jeune homme pendant une demi-journée pour nettoyer son jardin.
Enfin, les mesures que ces dispositions permettent au préfet de prendre pourront l'être sans aucun débat contradictoire devant une instance indépendante (notamment au sens de la directive communautaire n° 64/221 du 25 février 1964).
Dans ces conditions, les articles 4 et 5 de la loi déférée sont entachés de violation de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : en ce qu'ils instaurent des " peines " qui ne sont ni nécessaires ni proportionnées aux faits qu'elles prétendent sanctionner -, de l'article 66 de la Constitution : en ce qu'ils substituent l'autorité administrative à l'autorité judiciaire pour apprécier l'existence de faits constitutifs d'une infraction : et des principes constitutionnels d'égalité de traitement et de respect des droits de la défense.
IV. : Sur l'article 6 de la loi déférée
Cet article vise à " régulariser " la situation de certaines catégories d'étrangers dont beaucoup, en raison de l'intervention de la loi n° 93-1027 du 24 août 1993, se sont retrouvés en situation irrégulière sans pouvoir pour autant faire l'objet d'une mesure d'éloignement. L'intention affichée par le Gouvernement et par sa majorité était donc ici de corriger une partie des absurdités engendrées par le précédent stade de " durcissement " de la législation applicable aux étrangers.
Il était cependant patent dès le stade du projet de loi, et le déroulement cahotique de la discussion parlementaire imposé par les contradictions internes à la majorité n'y a finalement rien changé, que le contenu de cet article contredisait dans son principe même le but ainsi proclamé : alors qu'il s'agissait, prétendait-on, de " régulariser " des étrangers dont les attaches avec la France sont fortes, durables et même souvent irrévocables, il n'est question que d'attribution non pas : comme avant 1993 : d'une carte de résident, mais d'une carte de séjour temporaire dont au surplus la délivrance n'interviendrait " de plein droit " qu'en apparence, car en réalité l'autorité administrative reçoit le pouvoir d'apprécier quasi discrétionnairement si cette délivrance constituerait ou non " une menace pour l'ordre public ", menace qui n'est pas autrement définie ni précisée.
Ainsi l'article 4 de la loi déférée est-il dans sa logique générale entaché d'une inadéquation manifeste entre les mesures décidées et l'objectif retenu par le législateur. Cette inadéquation ne peut être entièrement sanctionnée, car le Conseil constitutionnel ne peut substituer un régime (celui de la carte de résident) à un autre (celui de la carte de séjour temporaire) pour faire disparaître l'erreur manifeste d'appréciation, et la censure de l'ensemble de l'article 6 aggraverait le décalage entre le contenu de la loi et l'objectif que s'est fixé le législateur. Mais à tout le moins les mots " sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public " introduits par cet article dans le premier alinéa de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 doivent-ils être déclarés non conformes à la Constitution.
En outre, le sixième alinéa de l'article 6 de la loi déférée porte atteinte au droit au mariage et au droit à une vie familiale normale en ce qu'il contraint l'étranger conjoint de Français : même régulièrement entré sur le territoire national : à attendre un an avant de pouvoir obtenir une carte de séjour temporaire. En effet, l'obtention de cette carte est ici subordonnée au maintien continuel de la communauté de vie. Il en résulte que le conjoint étranger, à l'expiration de son visa de tourisme, est contraint par la loi déférée de " passer dans la clandestinité " sauf à rompre la vie commune et à perdre ainsi tout espoir de " régularisation ".
Il y a là un exemple particulièrement éclairant de la " production " d'étrangers en situation irrégulière par les textes législatifs qui prétendent lutter contre cette même irrégularité. Le respect du droit au mariage et du droit à la vie familiale normale supposerait au contraire qu'un titre de séjour soit accordé dès le mariage à l'étranger conjoint de Français. L'obligation d'attendre un an après le mariage pour obtenir ce titre ne répond à aucune considération tirée de l'ordre public, car le passage obligé par quelques mois de clandestinité ne permet en rien de lutter contre la pratique de mariages de complaisance. Vainement objecterait-on que le législateur n'était en rien tenu de prévoir des " régularisations " : dès lors qu'il le décide, il ne doit pas imposer aux intéressés une obligation contraire à l'exercice de droits constitutionnellement protégés ni les contraindre à violer la loi pour avoir droit à l'application du régime qu'il institue. Dans ces conditions, les mots " marié depuis au moins un an " contenus dans le sixième alinéa de l'article 6 de la loi déférée sont contraires à la Constitution.
Quant au septième alinéa de ce même article, il subordonne la " régularisation " de parents d'étrangers d'un enfant français à la condition qu'ils subviennent effectivement aux besoins dudit enfant - ce qui, dans l'interprétation constamment retenue par l'administration, signifie uniquement qu'ils disposent d'un certain niveau de ressources financières, le temps et les soins consacrés à l'enfant n'entrant pas en ligne de compte.
Or, non seulement le 5° de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 protège contre toute mesure d'éloignement le parent d'enfant français qui ne peut subvenir financièrement à ses besoins, mais exerce l'autorité parentale : ce qui signifie qu'à nouveau la loi déférée maintient certaines des personnes dont elle prétend résoudre le cas dans la situation absurde des " ni régularisables ni expulsables " et, donc que son contenu est manifestement inadéquat au but que s'est fixé le législateur : mais encore l'exigence posée par l'alinéa critiqué rend la " régularisation " socialement discriminatoire, les parents d'enfant français dont les situations sont les plus difficiles en étant exclus. On peut d'ailleurs se demander comment des parents qui par hypothèse étaient jusqu'ici dépourvus de titre de séjour pourraient justifier de ressources suffisantes pour " subvenir aux besoins de l'enfant " au sens purement financier où l'entend l'administration : le contenu de la mesure contredit décidément le but qu'elle s'assigne. Dès lors, les mots " à la condition qu'il subvienne effectivement à ses besoins " contenus dans le septième alinéa de l'article 6 de la loi déférée sont contraires à la Constitution.
De plus, la " régularisation " n'est possible que si l'enfant a moins de seize ans. Le choix de ce seuil d'âge de l'enfant, alors que la logique aurait conduit à viser les parents de tout enfant mineur, tend uniquement à maintenir dans la clandestinité les parents d'un enfant qui choisirait de devenir français en application de la loi du 22 juillet 1993 réformant le code de la nationalité. En d'autres termes, ce législateur qui dit vouloir promouvoir l'intégration décide sciemment d'empêcher les parents d'un enfant qui choisit la France de régulariser leur situation : ces parents, eux aussi, resteront " ni expulsables ni régularisables ". Cette restriction, qui n'est évidemment justifiée par aucune considération tirée du maintien de l'ordre public, est parfaitement discriminatoire, la situation de parents d'un enfant de quinze ans ne différant en rien de celle de parents d'un enfant de dix-sept ans au regard des objectifs que le législateur s'est assignés et aucune considération d'intérêt général ne justifiant la différence de traitement instituée par la loi déférée.
Dès lors, les mots " de moins de seize ans " contenus dans le septième alinéa de l'article 6 de la loi déférée sont contraires à la Constitution.
V : Sur l'article 7 de la loi déférée
Cet article subordonne désormais notamment le renouvellement " de plein droit " de la carte de résident à la condition que la présence de l'étranger sur le sol français " ne constitue pas une menace pour l'ordre public ".
Jusqu'à présent, seuls l'état de polygamie et le départ pendant trois ans du territoire français pouvaient faire obstacle au renouvellement de plein droit de la carte de résident. Ces deux conditions ne donnant lieu à aucune appréciation, le pouvoir conféré à l'autorité administrative était totalement lié par la loi, si bien que le renouvellement était réellement " de plein droit ". Désormais, au contraire, la " menace pour l'ordre public " est librement appréciée par l'autorité administrative, et la condition légale ainsi posée est si vague et sujette à interprétation que le pouvoir octroyé à cette autorité devient quasi discrétionnaire. En ce sens, l'imprécision de la loi prive de garantie légale la liberté individuelle des intéressés, qui pourtant représentent par hypothèse les plus " intégrés " des étrangers résidant sur le sol français puisqu'ils y sont en situation régulière depuis au moins dix ans.
Vainement objecterait-on qu'en 1993 (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, vingt-cinquième considérant) le Conseil constitutionnel a admis que l'absence de " menace pour l'ordre public " soit une condition d'octroi de la carte de résident : c'est précisément en relevant qu'à l'époque la carte de résident était renouvelée de plein droit que le Conseil avait estimé que l'atteinte alors portée à la liberté individuelle n'était pas excessive. Aujourd'hui, un nouveau degré est franchi dans la précarisation du statut des étrangers en situation régulière : la régression de la sécurité juridique est à l'évidence bien plus grave lorsque c'est la stabilité d'un séjour régulier ininterrompu depuis au moins dix ans qui est abandonnée à l'arbitraire administratif (arbitraire d'autant plus réel que tel préfet qui invoque ses convictions religieuses dans l'exercice de son pouvoir de police aura de toute évidence une conception de la " menace pour l'ordre public " fort différente de tel autre plus au fait des dispositions de l'article 1er de la Constitution).
C'est dans ces conditions l'ensemble de l'article 7 de la loi déférée qui appelle la censure.
VI. : Sur l'article 8 de la loi déférée
Cet article abroge la section 3 du chapitre II de l'ordonnance du 2 novembre 1945, c'est-à-dire supprime la commission départementale du séjour.
Cette commission, composée de trois magistrats, devait être saisie pour avis par le préfet avant tout renouvellement de carte de séjour temporaire ou délivrance de titre de séjour à des étrangers pouvant bénéficier d'une carte de résident ou étant protégés contre une mesure d'éloignement. Avant la loi du 24 août 1993, l'avis de cette commission était " conforme " : il a depuis lors cessé de l'être, mais la consultation reste obligatoire, ce qui permet à l'étranger concerné de bénéficier d'un débat contradictoire devant une autorité indépendante au cours duquel il peut être assisté par un conseil, conformément aux exigences de la directive n° 64/221 du 25 février 1964 (prise en vertu de l'article 56, paragraphe 2, du traité CEE).
Le Gouvernement a soutenu au cours de la discussion parlementaire que cette commission aurait perdu toute raison d'être du fait du dispositif de " régularisations " institué par l'article 6 de la loi déférée. Cette argumentation ne fera pas illusion un seul instant : on l'a vu, ces " régularisations " sont très partielles et, même pour les étrangers qui sont susceptibles d'en bénéficier, l'article 6 de la loi déférée confère aux préfets des pouvoirs d'appréciation si étendus que la consultation d'une commission composée de magistrats indépendants du pouvoir politique continuait à représenter une garantie fondamentale, en droit comme en fait, pour les personnes concernées.
Ainsi, alors même que la violation : manifeste : de la directive communautaire précitée ne constitue pas un moyen opérant devant le juge de la constitutionnalité de la loi (mais permettra d'obtenir la paralysie de son exécution chaque fois que ce moyen sera soulevé devant une juridiction administrative ou judiciaire), l'article 8 de la loi déférée fait-il régresser les garanties légales (procédurales) de la liberté individuelle dans une mesure génératrice d'une inconstitutionnalité certaine, d'autant plus qu'il est du même coup entaché de violation du principe constitutionnel des droits de la défense.
VII. : Sur l'article 13 de la loi déférée
Cet article modifie à plusieurs égards le régime de la " rétention administrative " prévu par l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
En premier lieu, au cas où une première " rétention administrative " (pouvant aller jusqu'à dix jours) n'aurait pas permis de procéder à l'exécution d'une mesure de reconduite à la frontière, un nouveau placement en " rétention administrative " aux fins d'exécution de la même mesure pourrait intervenir sept jours après la fin de cette première période de " rétention ". Cette disposition vise à faire échec à la jurisprudence " M Rasmi " de la Cour de cassation (en date du 28 février 1996) interdisant qu'une même mesure d'éloignement puisse donner lieu à plus d'un placement en " rétention administrative ". Or cette jurisprudence s'était bornée à appliquer les principes fixés par le Conseil constitutionnel en matière de durée maximale de la " rétention administrative " (voir en particulier la décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, centième considérant ; il convient au reste de souligner que la durée maximale actuelle est identique à celle que le conseil a censurée le 13 août 1993, ce qui laisse déjà planer un doute sérieux sur sa constitutionnalité et ne permet pas de douter qu'une tentative pour aller plus loin encore soit vouée à la censure).
A l'évidence, la disposition critiquée permettrait à l'autorité administrative et aux services de police de faire échec à ces principes en replaçant l'étranger en " rétention administrative " quelques jours après la fin de la première période de " rétention " la durée totale de cette " rétention administrative à éclipses " échappant ainsi à toute limite.
Entaché dès lors à la fois de violation de la chose jugée par le Conseil constitutionnel et d'atteinte excessive à la liberté individuelle, le 1° de l'article 13 de la loi déférée appelle la censure.
En deuxième lieu, la durée de la phase de " rétention " décidée par le seul préfet (avant toute intervention de l'autorité judiciaire) passerait de vingt-quatre à quarante-huit heures. Or le Conseil constitutionnel a depuis longtemps décidé, s'agissant de " rétention administrative ", que " la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible " (décision n° 79-109 DC du 9 janvier 1980, considérants 2 à 5 ; voir aussi les décisions n° 86-216 DC du 3 septembre 1986, considérants 21 et 22, et 89-261 DC du 28 juillet 1989, considérants 24 et 25). De même, il a censuré une loi ne permettant pas à l'autorité judiciaire d'intervenir " dans les meilleurs délais " en matière de maintien en " zone de transit " (décision n° 92-307 DC du 25 février 1992, considérants 12 à 17).
Au regard de cette jurisprudence, un délai de quarante-huit heures précédant toute intervention de l'autorité judiciaire est-il constitutionnel ? Le conseil l'avait admis, dans un premier temps, en 1980 (décision n° 79-109 DC précitée), mais il s'agissait alors de mesures qui ne pouvaient être prises qu'en cas de " nécessité absolue ", et lorsque cette condition a été assouplie (par la loi du 24 août 1993) il n'a considéré que la liberté individuelle restait à cet égard constitutionnellement garantie qu'en raison du fait que la loi " confér[ait] à l'autorité judiciaire, lorsqu'un délai de vingt-quatre heures s'[était] écoulé, le soin de prononcer la prolongation du maintien en rétention " (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, quatre-vingt-seizième considérant). Ce " durcissement " de la jurisprudence ne fait que répondre à l'élargissement législatif des cas dans lesquels il peut être procédé à une " rétention administrative " et aligne dès lors très logiquement le régime temporel de celle-ci sur celui de la garde à vue, laquelle ne peut être prolongée au-delà de vingt-quatre heures sans décision de l'autorité judiciaire.
Dans ces conditions, l'allongement de vingt-quatre à quarante-huit heures de la durée pendant laquelle un étranger peut être placé en " rétention " sans intervention d'une autorité judiciaire prive ce dernier des garanties légales : équivalentes à celles de la personne placée en garde à vue : de la liberté individuelle qui lui est constitutionnellement reconnue.
Il en va d'autant plus ainsi que la loi déférée n'allonge pas " symétriquement " le délai de recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière, délai qui reste de vingt-quatre heures.
Or, contrairement à ce qu'a soutenu le Gouvernement au cours de la discussion parlementaire, l'étranger n'est presque jamais en mesure d'entrer en contact avec un avocat tant qu'il n'a pas été présenté au juge judiciaire pour qu'il soit statué sur son maintien éventuel en " rétention ". Désormais, lors de cette présentation, il sera forclos pour contester la mesure de reconduite à la frontière devant la juridiction administrative. C'est dire que la loi déférée prive également cet étranger des garanties légales de l'exercice effectif du droit au recours, droit dont la valeur constitutionnelle est tout aussi certaine que celle de la liberté individuelle.
Le 2° de l'article 13 de la loi déférée est donc contraire à la Constitution.
En troisième lieu, l'article 13 de la loi déférée permet au procureur de la République de demander au premier président de la cour d'appel de donner, par dérogation au principe posé par l'article 32 ter, alinéa 13, de l'ordonnance du 2 novembre 1945, un effet suspensif à l'appel formé par lui-même ou par le préfet contre une décision judiciaire ordonnant la libération de l'étranger placé en " rétention administrative ". Le premier président de la cour d'appel statue sur cette demande sans débat contradictoire - contrairement à la règle qui s'applique en matière de " référé liberté " pour les personnes placées en détention provisoire : et par une ordonnance qui n'est ni motivée ni susceptible de recours.
Cette disposition vise sans aucun doute à faire échec à la jurisprudence " M Onder " du 22 mai 1996 par laquelle la Cour de cassation a permis au juge judiciaire de sanctionner par une ordonnance de remise en liberté les atteintes à la liberté individuelle commises à l'occasion d'un placement en " rétention administrative " ; on sait que l'intervention de l'autorité judiciaire qui avait fait échec aux très nombreuses irrégularités commises à la suite de la " rafle " de l'église Saint-Bernard avait prodigieusement agacé le ministre de l'intérieur en août 1996.
Le simple fait que l'ordonnance par laquelle le premier président statue sur le caractère suspensif ou non de l'appel, c'est-à-dire sur le maintien en " rétention " d'une personne dont la libération a été ordonnée par une autorité judiciaire, soit prise sans débat contradictoire entache à lui seul le 4° de l'article 13 de la loi déférée de violation du principe constitutionnel des droits de la défense.
En outre, la disposition critiquée laisse aux étrangers concernés des garanties légales de leur liberté individuelle inférieures à celles qui sont reconnues aux personnes placées en détention provisoire, l'effet non suspensif de l'appel étant la règle en cette dernière matière et restant le droit commun en matière de " rétention administrative ". Dès lors, cette disposition d'exception constitue une régression inconstitutionnelle desdites garanties légales que ne justifient ni une " urgence absolue " ni une " menace de particulière gravité pour l'ordre public " au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (voir en particulier la décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, centième considérant).
Enfin, il n'est pas sérieusement contestable que cette disposition porte une atteinte grave au droit de l'étranger au recours - l'efficacité de l'ordonnance de remise en liberté étant très fortement diminuée et l'appel formé par l'étranger contre une ordonnance de maintien en rétention restant quant à lui non suspensif : et au principe d'égalité des justiciables devant la loi, la variabilité du caractère suspensif du recours selon la partie qui fait appel n'étant pas compatible avec le respect de ce principe alors surtout que c'est la privation de liberté qui ne peut être " suspendue " tandis que la remise en liberté pourrait l'être.
Dans ces conditions, le 4° de l'article 13 de la loi déférée ne saurait échapper à la censure.
VIII. : Sur l'article 17 de la loi déférée
Cet article étend le champ d'application du régime de la " rétention judiciaire " au cas de l'étranger qui est " dépourvu de documents de voyage permettant l'exécution d'une mesure d'éloignement ".
Jusqu'à présent, la " rétention judiciaire " : qui prive l'étranger de sa liberté pour une durée pouvant s'élever à trois mois : ne pouvait être appliquée qu'à des personnes s'étant volontairement soustraites à l'exécution d'une mesure d'éloignement en refusant de produire leurs pièces d'identité qu'elles avaient préalablement fait disparaître. Désormais, cette mesure grave (que l'exposé des motifs du projet de loi qualifiait sans fard de " substitut à la prison ") s'appliquerait à des étrangers qui n'ont commis d'autre irrégularité que celle de se trouver " sans papiers " sur le territoire français. Tel est par exemple le cas des femmes algériennes auxquelles la " doctrine " de l'OFPRA refuse l'asile au motif qu'il n'est pas certain que ce soit sur l'ordre de leur Gouvernement qu'on les égorge dans leur propre pays.
A l'évidence, l'infraction de séjour irrégulier, surtout en de pareils cas, est infiniment moins grave que le fait de faire volontairement disparaître ses papiers d'identité pour faire échec à une mesure d'éloignement. La " peine " instituée par la disposition critiquée est donc manifestement disproportionnée à la gravité de l'infraction et de plus dépourvue de justifications sérieuses au regard de l'ordre public, qui n'est pas gravement troublé par le seul fait qu'un étranger se trouve " sans papiers ". Enfin, l'application du même traitement aux étrangers qui font volontairement disparaître leurs " papiers " et à ceux qui s'en trouvent dépourvus alors que leur v u le plus cher serait d'avoir un titre de séjour est entachée de violation du principe constitutionnel d'égalité devant la loi.
Dès lors, l'article 17 de la loi déférée ne saurait échapper à la censure.
IX. : Sur l'article 18 de la loi déférée
Cet article instaure en Guyane un régime de contrôle d'identité généralisé dans une zone de 20 kilomètres à partir des frontières terrestres de ce département.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel subordonne la constitutionnalité de lois instituant des contrôles d'identité à la condition que ces lois n'ouvrent pas la voie à " la pratique de contrôles d'identité généralisés et discrétionnaires [] incompatible avec le respect de la liberté individuelle " (décision n° 93-323 DC du 5 août 1993, neuvième considérant).
Or, la disposition critiquée se borne à transposer en Guyane le régime applicable dans les zones de départements métropolitains qui jouxtent les frontières avec d'autres Etats parties à la convention de Schengen, régime qui n'a été jugé constitutionnel (par la décision précitée) qu'en raison des conséquences de la suppression des contrôles aux frontières prévue par ladite convention. Mais ces contrôles subsistent entièrement aux frontières terrestres de la Guyane, si bien que la circonstance spécifique qui avait justifié en 1993 l'extension considérable du recours aux contrôles d'identité fait en l'espèce totalement défaut.
Dans ces conditions, l'article 18 de la loi déférée porte à la liberté individuelle une atteinte manifestement excessive et n'échappera pas plus à la censure que l'article 3 de cette même loi (dont on a vu qu'il opérait la même transposition en matière de fouille des véhicules).
X : Sur l'article 19 de la loi déférée
Cet article insère dans le code de procédure pénale un article 78-2-1 qui permet aux officiers et agents de police judiciaire, sur réquisitions du procureur de la République, d'entrer dans des lieux privés à usage professionnel pour procéder à certaines vérifications (le plus souvent réservées jusqu'à présent à la compétence des inspecteurs du travail), et notamment au contrôle de l'identité des personnes occupées à des activités professionnelles dans ces locaux.
Même si la discussion parlementaire a permis à la majorité de tenter d'éviter la censure en corrigeant des inconstitutionnalités manifestes (d'une part, en excluant du champ d'application de cette procédure les locaux " mixtes ", c'est-à-dire partiellement à usage d'habitation, d'autre part, en prévoyant qu'un procès-verbal est remis à l'intéressé), il reste que l'entrée de la police dans un lieu privé sans l'accord du propriétaire est assimilable à une perquisition et ne peut donc intervenir que dans le cadre de missions de police judiciaire, c'est-à-dire : sauf l'hypothèse d'un flagrant délit : sur commission rogatoire délivrée par un juge d'instruction.
Seul un magistrat du siège peut donc autoriser de telles opérations (décision n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, quatre-vingt-dixième considérant ; voir aussi le quinzième considérant de la décision n° 93-316 DC du 20 janvier 1993).
Vainement invoquerait-on en sens contraire la décision n° 90-281 DC du 27 décembre 1990, qui admet a contrario que des visites d'entreprises auraient pu n'être placées que sous le contrôle a priori du procureur de la République : ces visites étaient alors effectuées avec l'accord des personnes concernées, ce qui n'est nullement le cas au titre de la disposition critiquée.
Il aurait en outre fallu, pour que cette disposition puisse être considérée comme constitutionnelle, qu'elle " donne au juge le contrôle effectif de la nécessité de procéder à chaque visite ainsi que les pouvoirs d'en suivre effectivement le cours, d'en régler les éventuels incidents et d'y mettre fin à tout moment " (décision n° 84-184 DC du 29 décembre 1984, trente-cinquième considérant).
Aucune de ces exigences n'ayant été respectée, l'article 19 de la loi déférée est entaché de violations de la liberté individuelle et du droit de propriété qui appellent sa censure.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que les députés soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conformes à celle-ci les dispositions précitées de la loi qui vous est déférée.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.
SAISINE SENATEURS :
Paris, le 27 mars 1997.
Monsieur le président, Madame et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, 2, rue de Montpensier, 75001 Paris.
Monsieur le Président, Madame et Messieurs les conseillers,
Nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, telle qu'elle a été définitivement adoptée le 26 mars 1997.
A l'appui de cette saisine, nous reprenons à notre compte l'ensemble des moyens et arguments soulevés par nos collègues et amis députés. En outre, nous souhaitons mettre un accent particulier sur les éléments suivants.
Sur l'article 3
Cet article introduit dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 des articles 8-1 à 8-3 nouveaux.
L'article 8-1 autorise les services de police ou les unités de gendarmerie à retenir le passeport ou le document de voyage d'un étranger en situation irrégulière. Dans ce cas, il est remis aux intéressés un récépissé valant justification de leur identité et sur lequel sont mentionnées la date de retenue et les modalités de restitution.
Or vous n'avez pas manqué de souligner, dans votre décision 93-325 DC, que la liberté d'aller et venir " n'est pas limitée au territoire national mais comporte également le droit de le quitter " (n° 103). C'est à cette liberté qu'il est ici porté atteinte.
En effet, l'étranger ne pourra quitter le territoire qu'à partir du lieu qui lui sera indiqué pour obtenir la restitution de son passeport. Le dispositif envisagé n'interdit certes pas à l'intéressé de quitter librement le territoire, mais il l'oblige à ne pouvoir le faire qu'à partir de l'endroit où ses documents lui seront rendus.
Au regard des règles constitutionnelles applicables à la matière, on sait que l'administration est en droit de prononcer l'expulsion d'un étranger, de reconduire à la frontière celui qui est en situation irrégulière. Pour autant, il faut ici admettre que qui peut le plus : expulser ou reconduire à la frontière : ne peut pas nécessairement le moins : confisquer un passeport ou un titre de voyage et ne le restituer qu'en un lieu déterminé : car pour que l'étranger puisse, comme le souhaitent par hypothèse les autorités administratives, exercer librement son droit de quitter le territoire national, il faut qu'il ait le choix du lieu de destination, parmi ceux qui lui sont accessibles, et, partant, le choix du lieu de départ, c'est-à-dire le lieu de franchissement de la frontière à partir duquel il peut atteindre cette destination.
En confiant aux autorités le droit de déterminer discrétionnairement les modalités de restitution, sans même prévoir celui de l'intéressé à en choisir au moins le lieu, cette disposition est, à ce titre, contraire à la Constitution.
En second lieu, le récépissé délivré vaut certes justification de l'identité, mais ceci est notoirement insuffisant. L'intéressé, en effet, doit pouvoir continuer à user de ses droits et à exercer ses libertés fondamentales. Qu'il s'agisse de contracter mariage, de reconnaître un enfant, de recevoir une succession ou de jouir normalement de sa propriété, pour s'en tenir à ces seuls exemples, l'étranger privé de passeport risque d'être entravé, faute pour le législateur d'avoir étendu et précisé comme il convient la portée du récépissé.
A ce titre aussi, l'article 8-1 doit être déclaré non conforme, sauf à ce qu'il fasse l'objet, sur ces points, d'une réserve d'interprétation.
Sur les articles 4 et 5
Ces deux articles prévoient que la carte de séjour temporaire ou la carte de résident peuvent être retirées à leurs titulaires lorsque, en qualité d'employeur, ils ont employé des étrangers en violation de l'article L 341-6 du code du travail. Ces dispositions sont manifestement contraires à la Constitution.
Relevons en premier lieu que la loi, à tout le moins, aurait dû préciser qu'un tel retrait ne pouvait être décidé qu'après condamnation définitive et non, comme le texte actuel semble le rendre possible, après simple constatation d'une infraction.
Relevons en deuxième lieu qu'elle aurait dû également préciser la durée pendant laquelle un retrait pourrait intervenir sur ce fondement, faute de quoi sa menace pourrait peser en permanence sur les intéressés, bien au-delà de la disparition des causes qui pourraient la fonder.
Relevons en troisième lieu que la mesure ainsi prévue peut frapper un étranger qui, ayant par ailleurs toutes ses attaches en France, peut n'être pas expulsable, moyennant quoi la décision destinée à lutter contre le travail clandestin aurait pour conséquence de l'obliger au travail clandestin !
Mais à ceci, qui n'est pas négligeable, s'ajoute beaucoup plus grave encore.
L'infraction prévue par l'article L 341-6 du code du travail est réprimée par les articles L 364-3, L 364-8 et L 364-9 du même code. Ceux-ci prévoient des peines extrêmement sévères, que le législateur a voulues telles. Elles sont prononcées par le juge pénal et peuvent aller jusqu'à l'interdiction du territoire qui entraîne de plein droit reconduite du condamné à la frontière.
De deux choses l'une alors : ou le juge pénal a considéré que l'attitude du condamné était à ce point grave qu'elle justifiait qu'il fût contraint de quitter le territoire, ou il n'en a pas décidé ainsi. Ce n'est que dans ce second cas que les articles 4 et 5 pourraient trouver à s'appliquer.
Mais cela ferait naître alors un paradoxe qui est constitutionnellement impossible : celui par lequel, pour les mêmes faits, sur le même fondement, l'administration pourrait prononcer une sanction plus grave que celle que le juge pénal a estimée appropriée.
A cela on ne manquera certes pas d'opposer le principe d'autonomie entre sanctions pénales et administratives, selon lequel les mêmes faits peuvent donner lieu à des peines différentes, prononcées par des autorités différentes, chargées de l'application de règles différentes. On sait aussi que l'autonomie est telle que les mêmes faits peuvent être considérés comme fautifs au regard du droit pénal et ne pas l'être dans le cadre du droit administratif, ou l'inverse.
Mais le cas présent est tout autre. Il se singularise en effet par ceci que non seulement les faits, non seulement le fondement, mais la sanction elle-même sont de nature identique.
Dans l'hypothèse, classique, où, par exemple, la condamnation pénale d'un fonctionnaire entraîne sa condamnation disciplinaire, pouvant aller jusqu'à la révocation, l'intervention de l'autorité administrative ne se substitue pas à celle de l'autorité judiciaire : elle la complète en prenant une mesure que le juge pénal n'avait pas lui-même le pouvoir de prononcer.
Ici, au contraire, le juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle, est bien compétent pour apprécier les faits, pour statuer sur le point de savoir s'ils constituent une violation de l'article L 341-6 et, si oui, pour condamner l'intéressé et, le cas échéant, décider qu'il ne pourra rester sur le territoire. Dans ces conditions, le pouvoir donné à l'administration, ensuite, sur les mêmes faits et sur le fondement d'une même infraction à l'article L 341-6, de retirer à l'intéressé son titre de séjour ne peut s'analyser comme la prise d'une décision que le juge pénal n'avait pas la compétence de prendre, mais comme la substitution, en matière de peine, de la décision de l'administration à celle du juge.
C'est notoirement contraire à l'article 8 de la Déclaration de 1789, puisque n'est évidemment pas nécessaire la peine que le juge pénal a choisi d'écarter alors qu'il pouvait l'appliquer. C'est notoirement contraire à l'article 16 de la Déclaration de 1789, puisque viole le principe de séparation des pouvoirs le droit donné à l'administration de mettre en cause la chose jugée par la juridiction pénale dans l'application d'une disposition répressive. C'est notoirement contraire à l'article 66 de la Constitution, puisque l'administration, dans un domaine qui intéresse au plus haut point la liberté, peut substituer son appréciation, sans présenter les mêmes garanties, à celle de l'autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle.
Sur l'article 6
Celui-ci a pour objet de remplacer les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance de 1945 par huit nouveaux alinéas.
Avant d'en venir à ces rubriques, une remarque générale s'impose.
A plusieurs reprises sont mentionnés les étrangers " ne vivant pas en état de polygamie ". Le refus de la polygamie est un principe auquel vous avez reconnu une dimension constitutionnelle, ce dont nous sommes les premiers à nous féliciter. Mais il se trouve que la rédaction adoptée soulève des problèmes graves.
Nonobstant les termes clairs de l'article 15 bis de l'ordonnance, qui font une distinction nette entre l'étranger " qui vit en état de polygamie " d'une part, et, d'autre part, les " conjoints " dudit étranger, il arrive que l'administration refuse la délivrance de la carte de séjour aux conjoint(e)s du polygame et non à celui-ci seulement.
Or, la première épousée n'a pas nécessairement envisagé que son mari fonderait d'autres unions. Puis les épouses suivantes ont très bien pu ignorer, au moins lors du mariage et parfois encore longtemps après, l'existence de liens antérieurs.
Dans ces conditions, l'épouse d'un mari polygame a pu ne pas vouloir vivre " en état de polygamie ", et elle a même pu l'ignorer.
Dès lors, lui faire perdre, pour cette seule raison, le bénéfice du titre de séjour auquel elle aurait droit si elle en réunit toutes les autres conditions serait ajouter le malheur à l'infortune.
Il ne semble pas que ce problème concerne un nombre élevé de femmes, tant sont heureusement devenus rares les cas recensés de polygamie. Mais pour les femmes en question, la loi ne peut les priver du droit dont elles peuvent bénéficier par ailleurs.
Sachant, en effet, que le mari seul peut délibérément choisir la polygamie, la connaître évidemment et en assumer la responsabilité, les femmes ne se verraient pas garantir " dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme " si, contrairement à ce dernier, elles pouvaient être privées du bénéfice d'un titre de séjour pour une raison extérieure à leur volonté, voire à leur connaissance.
Ainsi, la référence au fait de vivre " en état de polygamie ", et les conséquences qui s'y attachent, n'est conforme à la Constitution qu'à la stricte condition d'être interprétée comme s'appliquant seulement aux personnes ayant contracté plusieurs mariages, et non à leurs conjoint(e)s.
Ceci, au demeurant, est parfaitement cohérent avec les observations que vous aviez faites sur le sujet dans votre décision 93-325 DC du 13 août 1993, dans laquelle, déjà, vous aviez été conduits à faire une réserve d'interprétation (n° 32).
Le 5° de l'article 12 bis prévoit un certain nombre de conditions, pour les parents d'enfants français, dont celle, en premier lieu, que ces derniers aient moins de seize ans. Celle-ci est contraire à la Constitution.
5u regard de l'objet de la loi, en effet, rien ne justifie que des distinctions soient faites, parmi les enfants mineurs, en fonction de l'âge auquel ils ont acquis la nationalité française. Autant on peut comprendre qu'une différence soit faite entre mineurs et majeurs ou entre ceux qui sont français ou ont vocation à le devenir et ceux qui ne le sont pas et n'ont pas vocation à le devenir, autant, en revanche, on ne peut fixer arbitrairement un âge avant lequel l'enfant doit avoir acquis la nationalité pour que ses parents puissent bénéficier d'un titre de séjour.
La chose est d'autant moins justifiée ici que seize ans est précisément l'âge à compter duquel l'enfant, conformément à l'article 5 du code de la nationalité, pourra, s'il réunit les conditions requises, demander à acquérir la nationalité. Or, avec cette disposition, c'est également le moment auquel on refuserait à ses parents la délivrance de plein droit du titre de séjour. En outre, il peut même se produire que la procédure d'acquisition de la nationalité française ait été engagée avant le seizième anniversaire mais n'ait pas encore abouti pour que, de ce seul fait, le parent de l'enfant sur le point de devenir français et aux besoins duquel, rappelons-le, il subvient, soit amené à quitter le territoire.
Sans qu'il soit besoin d'aller plus avant dans la démonstration de l'absurdité de ce critère, il suffit de relever que les principes constitutionnels interdisent que soit rompue l'égalité entre parents d'enfants mineurs français, selon que ces derniers le sont devenus avant seize ans ou entre seize et dix-huit ans. C'est donc à ce titre que cette restriction arbitraire devra être censurée.
La même disposition, en second lieu, exige que l'étranger subvienne aux besoins de l'enfant. On comprend qu'il s'agit, par ce critère, d'éviter que certains parents ne se rappellent l'existence de leur enfant qu'au moment où il est possible de tirer profit de celle-ci pour obtenir un titre de séjour.
Mais le moyen mis en oeuvre pour parvenir à ce résultat ne saurait être admis.
D'une part, l'étranger qui demande un titre de séjour dans ce cadre peut n'en avoir pas disposé auparavant et, donc, avoir été dans l'impossibilité de travailler, donc de subvenir aux besoins, au moins matériels, de son enfant.
D'autre part, il peut exister toutes sortes de situations dans lesquelles le père ou la mère ne travaillent pas, ne subviennent donc pas aux besoins matériels de l'enfant, tout en étant un père (ou une mère) attentif, consciencieux, présent et responsable, bref en assumant par ailleurs son rôle pleinement.
Enfin, on ne peut qu'être choqué de ce que, pour atteindre un but qui peut être légitime (vérifier la réalité du lien parental), le législateur n'ait pas imaginé d'autres moyens, d'autre indice, que celui-ci, de sorte que le droit au séjour, et tout ce qu'il emporte avec lui de droits élémentaires (principalement celui à une vie familiale normale, tant pour le père ou la mère que pour l'enfant), soit conditionné par l'argent : à ceux qui en disposeront seraient ouverts des droits fondamentaux qui seraient fermés aux autres, pour cette seule raison.
Tout cela est notoirement contraire à la Constitution, et notamment au principe d'égalité qui interdit que le droit de l'étranger à mener une vie familiale normale soit subordonné au niveau de ses capacités financières.
Sur l'article 7
Confirmant les dispositions antérieures, cet article réaffirme le principe du renouvellement de plein droit de la carte de résident valable pour dix ans. Toutefois, aux deux exceptions antérieures, celles résultant des articles 15 bis et 18, la loi en ajoute une troisième : celle où la présence de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public. Cette dernière est clairement inconstitutionnelle.
Cette nouvelle exception, que l'on prétend rendre opposable au renouvellement de la carte de résident comme elle l'est déjà à la délivrance de la carte de séjour temporaire, n'est pas de même nature que les deux existantes.
Dans le cas de la polygamie (art 15 bis) et dans celui du départ pour plus de trois ans consécutifs (art 18), on est en présence de données objectives, dont le constat prive le titulaire du droit au renouvellement de sa carte.
Dans le cas où la présence constitue une menace sur l'ordre public, en revanche, on est en présence non plus d'une situation objective mais d'une appréciation à laquelle l'autorité administrative se livrerait discrétionnairement, sous le contrôle ultérieur du juge administratif. Or, s'agissant de la privation d'un droit acquis, auquel s'attache l'exercice même de la liberté individuelle, seule l'autorité judiciaire pourrait la prononcer.
Rappelons, en premier lieu, l'absurdité intrinsèque du dispositif : si la présence de l'étranger ne constitue pas une menace sur l'ordre public, il n'y a nulle raison de le priver du renouvellement de plein droit ; si, au contraire, sa seule présence suffit à constituer une menace sur l'ordre public, alors il est non seulement inutile mais par définition dangereux d'attendre la date, aléatoire, d'expiration de sa carte de résident, et il faut, indépendamment de celle-ci, ordonner l'expulsion, au besoin en urgence absolue.
Notons, en second lieu, que cette disposition, si elle était promulguée, alors qu'elle ne répond à l'évidence à aucune nécessité, aurait comme seul effet de déstabiliser la situation de la totalité des étrangers vivant en situation parfaitement régulière dans notre pays, et souvent depuis très longtemps, bref, de " rendre leur présence précaire " comme le souhaitait explicitement le programme du Front national (300 propositions pour la renaissance de la France) qui, en 1993, annonçait la remise en cause du renouvellement de plein droit de la carte de résident.
L'accès de mauvaise humeur d'un représentant de la loi, l'écart véniel d'un enfant, même simplement de langage, pourront suffire à faire agiter la menace à l'égard de personnes qui seraient ainsi, de manière à la fois injuste et insupportable, soumises à une pression constante ou, au moins, risqueraient toujours de l'être.
Constatons, enfin, que ceux qui affichent comme ambition de faire partir tous les étrangers du sol national n'auraient donc même plus besoin, dans l'hypothèse d'école où ils exerceraient le pouvoir, de modifier la loi pour parvenir à cette fin indigne : une utilisation astucieuse et méthodique du texte adopté suffirait à la rendre possible.
Juridiquement, on pourrait spontanément penser que le fait que l'autorité administrative, qui détient le pouvoir d'expulser un étranger, se voit reconnaître, pour les mêmes motifs, celui de ne pas renouveler sa carte de résident, ne soulève aucun problème. Mais une telle réflexion, trop courte, serait tout à fait erronée.
Pendant la période de validité de sa carte, le droit que l'étranger détient à poursuivre son séjour régulier peut à tout moment s'incliner, si des circonstances particulières le justifient, devant le droit objectif qui résulte de la nécessité de protéger l'ordre public. Il s'agit là d'une limite inhérente à une exigence constitutionnelle, opposable à des droits très nombreux, détenus tant par des citoyens français que par des étrangers, et dont le droit au séjour n'est qu'un parmi bien d'autres.
Dans ce cas, la mesure de police que constitue l'expulsion n'est pas prise en considération de la personne : et c'est ce qui justifie qu'elle relève de l'autorité administrative et non juridictionnelle - mais en considération de l'ordre public : c'est dans le cadre des règles qui contribuent à assurer la protection de ce dernier que l'expulsion prend sa place, parmi d'autres mesures possibles.
Au contraire, s'agissant du droit à renouvellement de la carte de résident, on se situe dans un cadre tout à fait distinct. La finalité, l'objet même du moment juridique considéré, le cadre même de la législation applicable se traduisent par la mise en oeuvre d'un droit individuel. Cette mise en oeuvre obéit alors aux règles qui lui sont propres, et sont totalement distinctes de celles relatives à la sauvegarde de l'ordre public, auxquelles ne les relie aucun lien d'aucune sorte.
L'intéressé qui réunit les conditions requises, auquel n'est opposable aucune des circonstances objectives envisagées par les articles 15 bis et 18, a acquis un droit au renouvellement de sa carte de résident, un droit que la législation a consacré de manière réitérée, et qui appartient en propre à l'étranger concerné.
Le priver de ce droit ne saurait donc à aucun titre être présenté comme une décision justifiée par des motifs d'intérêt général et qui ne serait pas prise en considération de la personne, puisque c'est exclusivement de la mise en cause d'un droit individuel qu'il s'agit justement à ce moment précis.
En outre, compte tenu de la nature du droit en question, c'est bien la liberté individuelle de l'intéressé, celle de demeurer régulièrement sur le territoire français, qui est atteinte.
Dès lors, porter atteinte à une liberté individuelle, au moment et dans le cadre où s'exerce un droit individuel, ne saurait relever de la compétence administrative et, sauf à violer l'article 66 de la Constitution, ne pourrait procéder que d'une décision de l'autorité judiciaire, ou au moins d'une autorité juridictionnelle.
A cela on ne manquera pas d'objecter que l'expulsion, d'une part, et le non-renouvellement de la carte de résident, d'autre part, répondent à des situations différentes, justifiant la nécessité de l'une comme de l'autre. En effet, tandis que l'expulsion, selon l'article 23 de l'ordonnance, n'est possible qu'en cas de menace grave pour l'ordre public, l'hypothèse de non-renouvellement aurait vocation à répondre aux cas dans lesquels, sans être assez grave pour fonder une expulsion, la menace serait suffisamment réelle pour qu'il soit souhaitable de refuser à l'intéressé le renouvellement de son titre de séjour. Et l'on pourrait encore ajouter à cette argumentation le fait que la menace éventuelle sur l'ordre public, prise en compte lors de la délivrance de la carte, selon le dernier alinéa de l'article 14 de l'ordonnance, doit tout naturellement l'être à nouveau lors de son renouvellement.
Mais une telle démonstration serait doublement infondée.
En premier lieu, au fond, l'étranger titulaire de cette carte devient, dès sa délivrance, titulaire du droit au renouvellement ultérieur, qui ne peut être remis en cause que dans les cas, limités et objectifs, que la loi a prévus afin de répondre à d'autres exigences constitutionnelles impératives. La délivrance de la carte n'est pas un droit, son renouvellement en est un.
De ce fait, l'administration ne peut recevoir le même pouvoir d'appréciation au moment où l'étranger est en mesure de faire valoir un droit (renouvellement) qu'au moment où il présente une demande (délivrance initiale), sauf à faire perdre toute signification à la notion de renouvellement de plein droit.
Quant à l'autre aspect de la question, rien ne justifie que la gravité de la menace soit appréciée différemment en fonction du moment : que ce soit dans l'hypothèse d'une expulsion ou dans celle d'un non-renouvellement de la carte de résident, il s'agit toujours de priver l'étranger durablement installé sur notre territoire de son droit à s'y maintenir ; dans les deux cas la décision emporte les mêmes conséquences, traduites par la nécessité de quitter la France.
Dans ces conditions, le caractère de la menace ne saurait différer, et l'existence éventuelle d'une menace, qui par définition n'est pas grave, ne saurait légitimer une mesure dont les effets sont identiques à ceux prévus pour les seules menaces graves.
En second lieu, et en la forme, la privation d'un droit, au moment où il doit s'exercer, ne peut s'analyser, compte tenu de ce qui précède, que comme une sanction et, à tout le moins, comme une décision d'une exceptionnelle gravité pour celui qu'elle frapperait.
On a déjà souligné que s'il s'agissait réellement de mettre fin à une menace sur l'ordre public, rien ne justifierait d'attendre la date de renouvellement de la carte, tandis que si, après avoir attendu cette date, l'administration prétend priver l'intéressé de son droit individuel, c'est qu'elle lui inflige une sanction.
Or celle-ci n'est entourée d'aucune des garanties, notamment en matière de respect des droits de la défense (Conseil d'Etat, 4 mai 1962, Dame Ruard, Rec. 296), qui apporteraient le minimum des protections auxquelles toute personne a constitutionnellement droit lorsque sa situation individuelle est gravement mise en cause.
C'est d'autant moins acceptable que le juge lui-même serait totalement désarmé pour exercer un contrôle. En effet, si l'exigence de gravité de la menace susceptible de fonder une expulsion permet à la juridiction saisie de se prononcer sur sa réalité, au contraire, le caractère inconsistant de la menace simple aurait pour effet de désactiver même le contrôle minimum du juge administratif : l'administration étant explicitement compétente pour apprécier l'existence d'une simple menace, son appréciation cesserait d'être discrétionnaire pour devenir pratiquement souveraine, tant il serait impossible de déceler une erreur manifeste sur une notion aussi imprécise, aussi large, aussi floue que celle de la simple menace. Or la distance entre un pouvoir discrétionnaire et un pouvoir souverain de l'administration est la même que celle qui sépare un Etat de droit d'un Etat de police.
A tous égards, donc, et à bien des titres, la disposition incriminée est notoirement contraire à la Constitution. Ne peuvent que lui être déclarés non conformes, dans le premier alinéa de l'article 16 de l'ordonnance tel que rédigé par l'article 7 de la loi qui vous est déférée, les mots : " Sauf si la présence de l'étranger constitue une menace pour l'ordre publique et ".
Sur l'article 8
Cet article a pour effet d'abroger l'article 18 bis de l'ordonnance, introduit par la loi du 2 août 1989, et donc de supprimer la commission départementale du séjour des étrangers.
S'il est vrai que la loi du 24 août 1993 n'a laissé à cette commission qu'un rôle strictement consultatif, il est non moins vrai qu'elle est restée le lieu unique, le seul moment, où peut exister un débat contradictoire entre l'autorité administrative et l'étranger.
Cet échange est d'autant plus précieux qu'il n'existe pas de recours juridictionnel suspensif en cas de refus de séjour, de sorte que ce dernier débouche inexorablement sur la nécessité, pour l'étranger concerné, de quitter le territoire national. Ce sont donc bien ses libertés fondamentales qui sont en cause, notamment son droit à mener une vie familiale normale, et c'est dans une procédure intéressant directement ces libertés fondamentales que disparaîtrait une garantie elle-même fondamentale, celle résultant de l'existence d'un débat contradictoire qui n'aurait-il que cette vertu, permet au moins d'éviter ou de diminuer les erreurs de fait ou de droit, fréquentes en ce domaine.
Pour décider cette suppression, les auteurs du texte ont mis en avant deux motifs essentiels : d'une part, les aménagements législatifs décidés par ailleurs diminueraient sensiblement l'activité des commissions, d'autre part, celles-ci rencontreraient des difficultés de fonctionnement, notamment dans les petits départements. Aucun de ces deux arguments ne saurait emporter l'adhésion.
Sur le premier, la pertinence et la nécessité du passage devant les commissions ne se mesurent pas au nombre des cas qu'elles traitent, mais aux erreurs ou aux violations de la loi qu'elles évitent. A cet égard, il est important de savoir que, malgré le caractère strictement consultatif de leurs avis, ceux-ci sont fréquemment suivis par celles des préfectures qui ont compris qu'elles évitaient ainsi des contentieux ultérieurs à l'issue desquels elles verraient souvent leurs décisions annulées. De même est-il éclairant de constater (ne serait-ce qu'en compulsant l'entrée " Titre de séjour " du Dictionnaire permanent du droit des étrangers) le nombre et la variété des annulations fréquemment prononcées lorsqu'il n'a pas été tenu compte de l'avis de la commission saisie : celle-ci, où siège notamment un conseiller de tribunal administratif parfaitement au fait de la jurisprudence, délivre des avis éclairés et compétents. Supprimer ces derniers, au motif trivial qu'ils concerneraient moins de monde qu'auparavant, serait priver les étrangers qui demeurent concernés d'une garantie essentielle et qui n'a plus à prouver son efficacité ni dans la protection de droits fondamentaux, ni dans le concours au respect de la loi.
Quant au second argument, les difficultés de fonctionnement dans certains départements, il est évidemment irrecevable. Lorsque la mise en oeuvre d'une garantie pose problème, il appartient aux autorités compétentes de régler le problème, non de supprimer la garantie.
Au demeurant, ce qui est contesté ici n'est pas, en elle-même, la suppression de la commission. Quoi que intrinsèquement regrettable, on aurait pu, à l'extrême, imaginer que les difficultés de fonctionnement alléguées pouvaient faire regarder les inconvénients de cette procédure comme supérieurs à ses avantages, de sorte que, par exemple, on décide de remplacer les commissions départementales par des commissions régionales dans des zones où elles sont rarement saisies. C'eût été alors, sous réserve de l'adéquation du dispositif, remplacer une garantie par une autre qu'on pourrait estimer équivalente.
Mais ce qui n'est pas constitutionnellement admissible, c'est la suppression pure et simple, sans qu'elle s'accompagne de la mise en place d'un dispositif de substitution présentant au moins la même protection de l'Etat de droit et des droits fondamentaux des étrangers concernés, ne fussent-ils, ce qui reste à prouver, qu'en nombre résiduel.
S'agissant de mesures très graves, en ce qu'elles peuvent porter atteinte à des droits constitutionnellement protégés, elles ne peuvent être prises sans que les personnes intéressées puissent être entendues, puissent faire valoir leurs droits de manière contradictoire, sans que cela aboutisse " à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ". Et cette évidence serait encore considérablement aggravée si, par extraordinaire, n'étaient pas censurés les termes ci-dessus contestés de l'article 7.
L'article 8 ne pourra donc résister à votre censure.
Sur l'article 13
Le 1° de l'article 13 permet une nouvelle rétention, à l'expiration d'un délai de sept jours, lorsque l'intéressé n'a pas déféré à la mesure d'éloignement. Il s'agit, et les travaux préparatoires n'en ont pas fait mystère, de réduire à néant la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle il est impossible de multiplier les mesures de rétention sur le fondement de la même décision d'éloignement (Cass. 2° civ, 28 février 1996, Rasmi c/préfet du Haut-Rhin). Pour les auteurs de ce texte, il s'agit d'éviter que l'administration ait à reprendre l'ensemble d'une procédure concernant un étranger dont la situation n'a pas changé.
Cette présentation benoîte ne saurait cependant suffire à fonder la disposition.
Il est clair, en premier lieu, qu'admettre les rétentions à répétition reviendrait à méconnaître totalement les limites de durée que la Constitution impose et que vous n'avez pas manqué de rappeler.
Il est tout aussi clair, en deuxième lieu, que les auteurs du texte ont cru pouvoir se prémunir contre la censure en prévoyant ce qu'on pourrait appeler un répit d'une semaine entre deux rétentions.
Or il est important de souligner que la Cour de cassation, instance suprême au sein de l'autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle, ne jugeait pas cela suffisant puisque dans l'arrêt précité du 28 février 1996 un délai de trois mois avait séparé les deux rétentions, qui n'avait pas suffi à empêcher l'annulation de la seconde.
Si, en troisième lieu, la Cour de cassation a pris cette position stricte, ce n'est certes pas l'effet d'un laxisme qui lui est inaccoutumé. Au contraire, la multiplication des rétentions sur un fondement unique crée des situations inextricables. Sachant, en effet, que le délai de recours contre un arrêté de reconduite à la frontière est de vingt-quatre heures après la notification (même par voie postale), il existe des cas nombreux dans lesquels il s'agit d'arrêtés devenus définitifs, alors qu'ils sont anciens et que, souvent, la situation de l'intéressé a évolué dans l'intervalle, au point parfois de créer une nouvelle situation familiale qui rend l'éloignement impossible.
C'est donc aussi pour donner au juge la possibilité d'en connaître que la Cour de cassation a veillé à ce que la même mesure ne puisse pas servir de fondement à plusieurs rétentions. Ce faisant, la cour n'a fait que protéger pleinement la liberté individuelle dont la Constitution lui confie la garde, cette même liberté individuelle qui s'impose également au législateur qui l'a méconnue par cette disposition.
Le 2° de l'article 13 a notamment pour objet de porter de vingt-quatre à quarante-huit heures le délai à l'issue duquel l'autorité judiciaire doit intervenir. En contrepartie, il réduit de six à cinq jours le délai maximal de la rétention. Si cette dernière est décomposée en deux phases, une strictement administrative et l'autre qu'on pourrait appeler " judiciarisée ", il s'agit, sans changer la limitation globale à sept jours, de passer d'une répartition 1 + 6 à une répartition 2 + 5.
Bizarrement, les défenseurs du dispositif ont cru pouvoir invoquer le 4° considérant de votre décision n° 79-109 DC pour affirmer qu'un délai de quarante-hui heures n'a pas été déclaré inconstitutionnel, alors que ce considérant implique ici exactement l'inverse.
En effet, avant d'en examiner la portée, vous avez affirmé un principe, celui selon lequel " la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ".
Or, dans les cas prévus aux septième et dixième alinéas de l'article 35 bis, ce délai est de vingt-quatre heures depuis plus de seize ans. Dès lors que la procédure fonctionne depuis 1981, et même au prix de quelques difficultés occasionnelles, avec un délai de vingt-quatre heures, on ne peut pas prétendre que quarante-huit heures constitueraient " le plus court délai possible " avant l'intervention du juge.
C'est donc en tournant délibérément le dos au principe clair que vous aviez rappelé que les auteurs du texte ont cru pouvoir adopter cette modification.
Or il n'est que de lire les travaux préparatoires pour constater que les motifs avancés ne doivent rien à la nécessité et tout à la commodité au mieux et, au pire, à la défiance à l'égard du juge.
Plusieurs remarques doivent être faites à cet égard.
Premièrement, l'équivalence des délais actuels, entre la saisine du juge par le préfet et celle du tribunal administratif par l'étranger permet à ce dernier de se faire aider d'un avocat en temps utile, alors que, dans le système envisagé, le conseil pourrait n'être apporté que trop tard.
Deuxièmement, les délais de l'article 35 bis ne sont pas des délais de comparution devant le juge, mais seulement de saisine de celui-ci. Et, si cette dernière intervient le soir, il est nécessaire d'attendre au moins le lendemain matin pour que l'audience ait lieu.
De ce fait, et compte tenu du 3° de l'article 13 qui sera évoqué ci-après, il pourrait s'écouler une soixantaine d'heures avant que l'étranger, privé de liberté, soit présenté au juge délégué.
Troisièmement, on sait que, en pratique, la mesure de rétention fait très fréquemment suite à une garde à vue provoquée par un contrôle d'identité. Ainsi, la réalité de la privation de liberté peut s'étendre à quatre jours, encore prolongés par le temps nécessaire à organiser l'audience, avant que le magistrat du siège ne puisse éventuellement y mettre fin.
Une telle conséquence est parfaitement disproportionnée avec l'objet de cette mesure de police administrative. Plus de seize années ont démontré que le délai actuel de vingt-quatre heures pouvait être parfaitement opérationnel, et que, partant, un délai désormais fixé à quarante-huit heures ne serait pas le plus court possible, contrairement à ce que vous avez légitimement exigé.
De là résulte la censure certaine de cette disposition.
Le 3° de l'article 13 permet de maintenir l'intéressé à la disposition de la justice, au-delà de ce délai déjà abusivement prolongé, le temps strictement nécessaire à la tenue de l'audience et au prononcé de l'ordonnance par le magistrat du siège.
Il s'agit là d'une circonstance aggravante par rapport à la mesure figurant au 2° de l'article 13. A la place de cette dernière, le 3° eût peut-être été concevable, mais s'y ajoutant, il ne l'est pas, pour les raisons qui ont été développées ci-dessus.
Le 4° de l'article 13, en insérant un nouvel alinéa, après le douzième, dans l'article 35 bis de l'ordonnance, prétend donner au procureur de la République le pouvoir, lorsqu'il fait appel de l'ordonnance mettant fin à une privation de liberté, de demander que son recours ait un caractère suspensif s'il " lui apparaît que l'intéressé ne dispose pas de garanties de représentation effectives ". L'appel, accompagné de la demande, doit alors être formé dans les quatre heures et être immédiatement transmis au premier président de la cour d'appel, ou à son délégué, qui statue sans délai sur l'effet suspensif et statue sur le fond dans les quarante-huit heures.
Observons, de manière liminaire, que le caractère immédiat de l'appel et de sa transmission, tout comme le fait que la décision doive être rendue " sans délai ", peuvent se heurter à des obstacles physiques ou matériels, parfois inévitables même lorsque tous les protagonistes font preuve de conscience et de diligence, et que cela peut prolonger la procédure. A plus forte raison en irait-il ainsi dans l'hypothèse, toujours à craindre et jamais à écarter, où tous les protagonistes ne feraient pas preuve de la diligence ou de la disponibilité voulues.
L'essentiel, cependant, est ailleurs.
Il réside dans cette circonstance, absolument sans précédent, où une personne resterait privée de sa liberté alors qu'un juge du siège vient de décider explicitement qu'elle ne devait pas l'être. C'est horriblement contraire à l'article 66 de la Constitution.
A cette évidence, on ne manquera cependant pas de tenter d'opposer quelques pâles objections.
Il sera soutenu, tout d'abord, que le procureur ne recourra à ce moyen que dans les cas où font défaut les garanties de représentation effective. Mais c'est oublier que le magistrat du siège qui a rendu l'ordonnance a, ce faisant, pris ces garanties en considération. En conséquence, le dispositif envisagé aurait comme effet de permettre au parquet de substituer son appréciation à celle du siège, et non seulement de la contester, puisque l'intéressé serait maintenu en détention au moins jusqu'à ce qu'un autre magistrat du siège ait statué. Or s'il peut se produire que le parquet autorise une privation de liberté avant que le siège ne soit saisi, s'il peut naturellement se produire aussi que le parquet conteste une décision prise par le siège, il ne peut jamais se produire que le parquet statue lui-même après le siège et sur le même objet.
Il sera soutenu, ensuite, que l'article 66 confie la protection de liberté individuelle à l'autorité judiciaire, dont le ministère public fait indiscutablement partie dans le système français, et non à la seule magistrature assise, comme vous n'avez pas manqué de le rappeler vous-mêmes (décision 93-326 DC, n° 4). Mais cela ne saurait évidemment signifier que leurs fonctions soient interchangeables.
Au contraire, c'est pour garantir, conformément au premier alinéa, que nul ne puisse être arbitrairement détenu que le second alinéa attribue compétence à l'autorité judiciaire. Mais cette mention de l'autorité judiciaire renvoie aux règles d'organisation et de fonctionnement de celle-ci, telles qu'elles résultent des articles 64 et 65 et des lois organiques.
Dans ce cadre, les magistrats du siège, dont l'indépendance constitutionnelle est strictement protégée, reçoivent des missions spécifiques par rapport à ceux du parquet, soumis à un principe de subordination hiérarchique à l'égard du pouvoir exécutif. Et c'est la conjugaison de ces caractéristiques et de ces compétences, distinctes, qui permet à l'autorité judiciaire d'être la gardienne de la liberté individuelle.
Il est clair qu'elle n'aurait plus la possibilité d'assurer cette haute mission s'il existait une confusion des rôles, si la qualité de magistrat, sans prendre en considération la différence entre siège et parquet, suffisait à attribuer les mêmes pouvoirs à tous. Vous-mêmes aviez eu l'occasion, au demeurant, d'indiquer que devait être prévue " dans le plus court délai possible " l'intervention du juge (décision 79-109 DC, n° 4), c'est-à-dire du siège, et non simplement celle d'un magistrat.
Si, donc, il est vrai que le procureur appartient à l'autorité judiciaire, cela ne suffit évidemment pas à lui permettre d'offrir les mêmes garanties que le juge, ni à lui donner le même rôle, et encore moins à lui permettre de s'y substituer.
Il sera soutenu, encore, que le procureur, s'il entend demander que son appel soit suspensif, doit le faire immédiatement. Mais le caractère arbitraire d'une détention n'est pas affaire de quantité. A l'instant même où un juge du siège considère qu'une rétention doit cesser, sa poursuite est par définition arbitraire au regard du premier alinéa de l'article 66, et il ne dépend pas même du législateur d'en décider autrement, ni de permettre à quiconque d'en décider autrement.
Or, par l'effet du dispositif qui vous est soumis, s'il était appliqué, la décision d'un procureur aboutirait immanquablement au maintien en rétention de l'étranger au moins le temps nécessaire à ce que le premier président de la cour d'appel, ou son délégué, qui peuvent être éloignés, statue sur le caractère suspensif de l'appel, alors, il faut insister, qu'un juge du siège, dûment informé, a pris l'ordonnance qui doit immédiatement rendre sa liberté à l'intéressé.
Il pourra encore être soutenu, enfin, que le procureur qui a déjà, dans la garde à vue, le pouvoir de prolonger de vingt-quatre heures une privation de liberté, peut, a fortiori, recevoir celui de ne la prolonger que le temps que le juge d'appel tranche sur le caractère suspensif. Mais, évidemment, on ne saurait mettre sur le même plan d'un côté une période de vingt-quatre heures qui s'ajoute à une première période d'égale durée et, de l'autre côté, une période indéterminée qui s'ajoute, elle, à une période qui a pu durer plusieurs jours déjà et même s'élever à une semaine entière. On ne saurait non plus mettre sur le même plan l'intervention du procureur sollicitée pour apprécier une demande de la police judiciaire, et l'intervention du même procureur pour mettre en cause la décision d'un magistrat du siège.
Pour cette première série de raisons, et de quelque manière qu'on aborde le sujet, le 4° de l'article 13 ne saurait résister à votre censure.
Aussi n'est-ce qu'à titre subsidiaire qu'il sera soulevé une seconde objection.
Dans le rapport qu'il a présenté devant le Sénat, M Paul Masson a écrit qu'il a été reproché à ce dispositif :
" D'instaurer une inégalité dans la situation des parties à l'égard de l'appel ; tel n'est pas exactement le cas car seul le procureur peut exercer cette faculté ; les véritables parties que sont le préfet et l'intéressé demeurent donc dans une situation identique " (rapport n° 200, p 90).
Cette analyse est erronée.
Même en admettant, ce qui suppose déjà d'ignorer l'article 3 du décret du 12 novembre 1991 pris pour l'application de l'article 35 bis, que le procureur est totalement étranger aux parties, on ne peut raisonnablement soutenir que celles-ci demeureraient dans une situation identique lorsque serait mis en oeuvre une faculté qui ne peut jamais profiter qu'à l'une des deux - le préfet : à l'exclusion de l'autre : l'étranger.
La thèse du rapporteur, adoptée par les assemblées, n'eût été exacte que si avait été ouverte la possibilité d'un appel avec effet suspensif dans le cas, aussi, où l'ordonnance prolongeait la rétention. Tel n'est pas ce qui résulte de la décision incriminée.
Si, donc, on décide de voir dans le procureur, non une partie à l'instance, non plus un magistrat que sa situation place en état de subordination à l'égard du pouvoir exécutif, mais le défenseur naturel de l'intérêt de la société, alors il faut convenir que ce dernier est compromis au moins aussi gravement lorsque se poursuit indûment la rétention d'un de ses membres que lorsqu'elle s'interrompt prématurément.
Soit, donc, s'il existe une possibilité d'appel suspensif, elle doit être ouverte à toutes les parties dans les mêmes conditions.
Soit, si cette faculté est limitée au procureur, elle doit alors lui être ouverte quel que soit le sens de l'ordonnance frappée d'appel.
Tout autre dispositif porte par essence atteinte aux droits de la défense, dont le respect est un principe constitutionnel essentiel.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.