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28/06/2024 | CANADA | N°2024CSC23

Canada | Canada, Cour suprême, 28 juin 2024, Dow Chemical Canada ULC c. Canada, 2024 CSC 23


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : Dow Chemical Canada ULC c. Canada, 2024 CSC 23

 

 
Appel entendu : 9 novembre 2023
Jugement rendu : 28 juin 2024
Dossier : 40276


 
Entre :
 
Dow Chemical Canada ULC
Appelante
 
et
 
Sa Majesté le Roi
Intimé
 
Traduction française officielle
 
Coram : Les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin
 


Motifs de jugement :
(par. 1 à 122)

Le juge Kasirer (avec l’accord des juges Martin, Jamal et O

Bonsawin)


 

 


Motifs dissidents :
(par. 123 à 224)

La juge Côté (avec l’accord des juges Karakatsanis et Rowe)







 
 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de f...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : Dow Chemical Canada ULC c. Canada, 2024 CSC 23

 

 
Appel entendu : 9 novembre 2023
Jugement rendu : 28 juin 2024
Dossier : 40276

 
Entre :
 
Dow Chemical Canada ULC
Appelante
 
et
 
Sa Majesté le Roi
Intimé
 
Traduction française officielle
 
Coram : Les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin
 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 122)

Le juge Kasirer (avec l’accord des juges Martin, Jamal et O’Bonsawin)

 

 

Motifs dissidents :
(par. 123 à 224)

La juge Côté (avec l’accord des juges Karakatsanis et Rowe)

 
 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
Dow Chemical Canada ULC                                                                        Appelante
c.
Sa Majesté le Roi                                                                                                Intimé
Répertorié : Dow Chemical Canada ULC c. Canada
2024 CSC 23
No du greffe : 40276.
2023 : 9 novembre; 2024 : 28 juin.
Présents : Les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin.
en appel de la cour d’appel fédérale
                    Tribunaux — Compétence — Droit fiscal — Impôt sur le revenu — Redressement à la baisse du prix de transfert — Revenu imposable déclaré par un contribuable — Contribuable ajoutant le revenu gagné et déduisant les frais d’intérêts déboursés par suite d’une convention de prêt conclue avec une société étrangère apparentée — Nouvelle cotisation établie par la Ministre, qui a appliqué les règles en matière de prix de transfert au revenu gagné, ce qui a fait augmenter le revenu imposable — Refus de la Ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour effectuer un redressement à la baisse du prix de transfert à l’égard des frais d’intérêts — Contribuable sollicitant en Cour fédérale le contrôle judiciaire de la décision de la Ministre de lui refuser un redressement à la baisse et interjetant appel de la nouvelle cotisation à la Cour canadienne de l’impôt — La décision prise par la Ministre en exerçant son pouvoir discrétionnaire pour refuser le redressement à la baisse du prix de transfert qu’a demandé le contribuable échappe‑t‑elle à la compétence exclusive conférée à la Cour de l’impôt de trancher les appels de cotisations? — Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.), art. 169, 247(2), 247(10) — Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F‑7, art. 18.1, 18.5.
                    Dow Chemical Canada ULC, une société résidente du Canada, a conclu, en tant qu’emprunteuse, une convention de prêt renouvelable comportant un lien de dépendance avec une société suisse apparentée, comme prêteuse. Par suite de cette convention de prêt, Dow a déboursé des frais d’intérêts pour ses années d’imposition 2006 et 2007. Elle a également déclaré pour l’année d’imposition 2006 un revenu au titre de services de fabrication à façon fournis à la société suisse. À la suite d’une vérification des opérations conclues entre Dow et la société suisse, la Ministre a établi à l’endroit de Dow une nouvelle cotisation pour son année d’imposition 2006 et a appliqué les règles en matière de prix de transfert énoncées au par. 247(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR »). Selon le par. 247(2), lorsqu’un contribuable traite avec un non‑résident avec lequel il a un lien de dépendance, les montants d’une opération donnée font l’objet d’un redressement afin qu’ils correspondent à ceux dont auraient convenu des personnes qui n’auraient pas de lien de dépendance. L’application du par. 247(2) a donné lieu à une augmentation substantielle du revenu de Dow pour l’année d’imposition 2006.
                    Dow croyait que son revenu devrait être revu à la baisse pour tenir compte d’intérêts qui auraient été payés si les parties n’avaient pas eu entre elles de lien de dépendance. Lorsqu’on identifie une somme qui aurait pour effet de réduire le revenu du contribuable, le par. 247(10) de la LIR dispose qu’un redressement à la baisse ne peut être effectué que si le ministre estime que les circonstances le justifient. Dow a demandé que la Ministre exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 247(10) et effectue un redressement à la baisse du prix de transfert, mais elle a refusé. Dow a sollicité en Cour fédérale le contrôle judiciaire de la décision discrétionnaire de la Ministre. Elle s’est également opposée à la nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2006 et a interjeté appel par la suite de la nouvelle cotisation à la Cour de l’impôt.
                    Dans le contexte de l’appel de la nouvelle cotisation, les parties ont renvoyé une question de droit à la Cour de l’impôt, lui demandant de décider si la décision que rend le ministre lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 247(10) de la LIR pour rejeter la demande d’un contribuable sollicitant un redressement à la baisse du prix de transfert relève de la compétence exclusive conférée à la Cour de l’impôt. La Cour de l’impôt a conclu que la décision discrétionnaire prise par le ministre en vertu du par. 247(10) est un élément essentiel de la cotisation du contribuable et concerne l’exactitude de cette cotisation, et peut donc être contrôlée par la Cour de l’impôt au titre de sa compétence d’appel exclusive quant à l’exactitude des cotisations. La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel de la Ministre et conclu que la Cour fédérale a compétence exclusive pour contrôler judiciairement les décisions discrétionnaires rendues par le ministre en application du par. 247(10).
                    Arrêt (les juges Karakatsanis, Côté et Rowe sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté.
                    Les juges Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin : Lorsque le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire en application du par. 247(10) de la LIR pour refuser la demande présentée par un contribuable en vue d’obtenir un redressement à la baisse du prix, cette décision échappe à la compétence conférée à la Cour de l’impôt sur l’appel de la cotisation du contribuable. La décision discrétionnaire du ministre ne fait pas partie de la cotisation. Le sens du mot « cotisation » est établi en droit, et l’avis formulé par le ministre en application du par. 247(10) se distingue de ce concept sur le plan qualitatif. Puisqu’il n’existe pas de droit exprès d’appel à la Cour de l’impôt, l’instance où il convient de contester la décision discrétionnaire du ministre en vertu du par. 247(10) est la Cour fédérale, conformément à la compétence exclusive en contrôle judiciaire dont elle est investie par le par. 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Seule la Cour fédérale est compétente pour appliquer la bonne norme de contrôle et offrir l’éventail approprié de réparations en droit administratif.
                    La Cour fédérale et la Cour de l’impôt doivent leur existence à une loi. La Cour fédérale a compétence exclusive pour accorder réparation à l’égard de décisions ministérielles fédérales en vertu du par. 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales. L’article 18.5 de cette loi permet d’écarter cette compétence lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément un appel à une autre entité, dont la Cour de l’impôt. Conformément à l’art. 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt et à l’art. 169 de la LIR, la Cour de l’impôt a compétence exclusive pour entendre des appels visant à faire modifier ou annuler des cotisations d’impôt sur le revenu. Ce pouvoir se borne à contrôler le bien‑fondé des cotisations. Ainsi que le confirme la jurisprudence de la Cour, une cotisation fiscale est une détermination purement non discrétionnaire de l’obligation fiscale d’un contribuable pour une année d’imposition donnée. Le montant d’impôt dû est le résultat de la détermination de l’obligation fiscale, et il a sa source dans la LIR elle‑même. Lors de la préparation d’une cotisation, le rôle du ministre consiste tout simplement à déterminer ce que la loi oblige le contribuable à payer en appliquant une formule fixe définie par la loi à son revenu imposable. Le ministre n’exerce aucun pouvoir discrétionnaire que ce soit.
                    Contrairement aux décisions non discrétionnaires qui forment une cotisation, la LIR habilite le ministre à exercer son pouvoir discrétionnaire dans certains cas, notamment pour décider d’effectuer ou non un redressement à la baisse du prix de transfert en application du par. 247(10). Ces décisions discrétionnaires ne sont pas des cotisations ni ne font partie de cotisations. Le paragraphe 247(10) habilite le ministre à fonder sa décision sur des considérations de politique générale plutôt que sur l’application stricte du droit aux faits. Quand le ministre prend des décisions discrétionnaires, il donne son avis, guidé en cela par des considérations de politique générale. C’est une tâche qui diffère fondamentalement de la préparation d’une cotisation. Il faut saisir le par. 247(10) conjointement avec la règle non discrétionnaire prévue au par. 247(2) suivant laquelle le ministre doit apporter un redressement à la hausse du revenu pour tenir compte des sommes qui auraient été établies si les parties à l’opération n’avaient pas eu entre elles de lien de dépendance. À l’inverse, les contribuables n’ont pas droit à un redressement à la baisse, et on ne saurait affirmer que le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire en application du par. 247(10) pour que l’obligation fiscale soit correctement calculée. La contestation d’une décision politique rendue en application du par. 247(10) devrait donc se faire séparément de l’appel de la cotisation non discrétionnaire.
                    Il ne convient pas d’étendre la définition de « cotisation » aux décisions discrétionnaires que l’on dit être directement touchées par les cotisations ou inextricablement liées à celles‑ci. La conduite du ministre n’est pas en cause dans le cas d’une cotisation, et le contribuable ne peut s’opposer au processus sous‑jacent ou aux motifs de l’établissement d’une cotisation devant la Cour de l’impôt. La révision d’une conduite de la part de l’exécutif se fait par voie de contrôle judiciaire en Cour fédérale. Si une décision discrétionnaire rendue en application du par. 247(10) est annulée, il ne s’ensuit pas automatiquement que l’obligation fiscale est mauvaise et que la cotisation est inexacte, car le ministre peut rendre la même décision après nouvel examen. À l’inverse, chaque fois qu’on juge qu’une décision non discrétionnaire a été rendue à tort, le ministre n’a d’autre choix que de rendre la bonne décision. De plus, il faut se garder de confondre le fait qu’est l’avis du ministre et son fondement. C’est uniquement le résultat de l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire qui peut être un fait pertinent pour le bien‑fondé de la cotisation, et non le bien‑fondé de ce résultat. Une décision discrétionnaire prise en application du par. 247(10) ne débouche pas toujours sur l’établissement d’une cotisation, et les décisions rendues en application du par. 247(10) peuvent l’être après l’établissement d’une cotisation. On ne saurait prétendre dans ces circonstances que la cotisation initiale était inexacte. Si le Parlement avait voulu que le ministre établisse une nouvelle cotisation dans tous les cas où le pouvoir discrétionnaire conféré par le par. 247(10) était exercé, il l’aurait prévu dans la LIR. Modifier la nature de la décision visée au par. 247(10) ou l’assimiler autrement à la cotisation nécessiterait une modification législative.
                    Conclure que les cotisations peuvent comprendre des décisions rendues par le ministre en application de dispositions comme le par. 247(10) par déduction nécessaire ne s’accorderait pas avec les voies d’appel à la Cour de l’impôt distinctes de celles expressément prévues dans la LIR pour d’autres décisions. Lorsque le Parlement prévoit un recours à l’encontre d’une décision ministérielle à la Cour de l’impôt, il a créé un droit d’appel exprès; cela révèle que les décisions ministérielles sont considérées comme distinctes de la cotisation d’impôt même dans les cas où elles peuvent avoir une incidence directe sur celle‑ci. Conclure que la Cour de l’impôt pourrait avoir implicitement compétence sur la décision rendue par le ministre en application du par. 247(10) dans le cadre de l’appel d’une cotisation serait incompatible avec cette méthode établie. La compétence de l’ancienne Cour de l’Échiquier du Canada ne permet pas non plus d’affirmer que les décisions visées au par. 247(10) font partie d’une cotisation. La Cour de l’Échiquier disposait d’une source plus vaste de compétence et pouvait accorder des réparations de droit administratif, contrairement à la Cour de l’impôt moderne. La compétence historique de la Cour de l’Échiquier est donc peu pertinente.
                    S’écarter du sens établi de « cotisation » peut également avoir des conséquences qui vont au‑delà de la question en litige. En outre, adopter la théorie de Dow ébranlerait la jurisprudence de la Cour sur la norme de contrôle établie dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653. Lorsqu’un contribuable conteste une cotisation, la Cour de l’impôt procède à une révision de novo de cette cotisation. Si une décision discrétionnaire visée au par. 247(10) faisait partie d’une cotisation, elle serait de ce fait révisée de novo. Cependant, en l’absence de directive législative, cela ne serait pas approprié. L’arrêt Vavilov a souligné que c’est le fait que le législateur choisit de déléguer le pouvoir décisionnel qui justifie l’application par défaut de la norme de la décision raisonnable. La Cour fédérale est le seul tribunal compétent pour contrôler une décision discrétionnaire visée au par. 247(10) selon la norme de la décision raisonnable. En outre, appliquer la norme de contrôle en appel à une décision dont il est fait appel à la Cour de l’impôt par le biais de l’art. 169 de la LIR serait incompatible avec la norme de contrôle de novo en Cour de l’impôt, et on ne voit pas du tout clairement de quelle manière le seul mécanisme d’appel prévu à l’art. 169 pourrait prévoir à la fois la révision de novo de quelques éléments de la cotisation et le contrôle en appel de décisions jugées inextricablement liées à cette même cotisation. Transposer une nouvelle norme de contrôle dans l’appel d’une cotisation à la Cour de l’impôt irait directement à l’encontre de l’intention du Parlement quant à la manière dont la Cour de l’impôt devrait décider si une cotisation est exacte. La révision de novo en Cour de l’impôt prévue par la loi n’envisage pas de déférence envers la cotisation, si ce n’est qu’en imposant un fardeau de preuve au contribuable. Conclure qu’une norme autre que celle de la décision raisonnable s’applique aux exercices par le ministre de son pouvoir discrétionnaire en application du par. 247(10) ébranlerait la certitude et la prévisibilité qu’a apportées l’arrêt Vavilov.
                    De plus, considérer la décision rendue par le ministre en application du par. 247(10) comme faisant partie d’une cotisation pour les besoins d’un appel à la Cour de l’impôt aurait comme résultat de créer de nouvelles voies de recours bifurquées et soulèverait des enjeux concernant la compétence de la Cour fédérale. Une décision rendue en application du par. 247(10) peut l’être sans qu’une cotisation soit établie ou après la date limite pour les oppositions et l’appel. Cela pourrait entraîner la prescription de contestations de décisions discrétionnaires. L’argument selon lequel, si le ministre n’établit pas de cotisation après avoir rendu une décision discrétionnaire, il est alors possible de contester la décision par voie de contrôle judiciaire en Cour fédérale propose une solution intenable d’après laquelle la Cour fédérale conserverait sa compétence en matière de contrôle judiciaire sur les décisions discrétionnaires du ministre en règle générale, mais elle perdrait son pouvoir de procéder au contrôle judiciaire de ces mêmes décisions discrétionnaires si elles sont suivies de cotisations. De surcroît, pareille approche étendrait la compétence de la Cour de l’impôt au‑delà du bien‑fondé des cotisations, à d’autres décisions ministérielles connexes. Cela est également incompatible avec les principes d’interprétation législative. L’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales dispose que la compétence de la Cour fédérale ne peut être écartée qu’expressément. Il convient de rejeter l’idée d’étendre la compétence de la Cour de l’impôt, à l’exclusion de celle de la Cour fédérale, par déduction nécessaire plutôt qu’au moyen des termes exprès de la loi.
                    Seule la Cour fédérale peut accorder une réparation appropriée sur contestation de la décision visée au par. 247(10). Si la Cour de l’impôt décide qu’une cotisation est inexacte, elle peut l’annuler, la modifier ou la déférer au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation. Si la Cour de l’impôt rend une ordonnance de nouvel examen et de nouvelle cotisation, le ministre sera tout simplement tenu d’établir une nouvelle cotisation qui reflète correctement la décision que le contribuable cherche à contester, car cette décision n’aurait pas été annulée. Une ordonnance de nouvel examen et de nouvelle cotisation ne peut contraindre le ministre à revoir sa décision discrétionnaire. Si le Parlement avait voulu conférer à la Cour de l’impôt le pouvoir d’accorder une réparation à l’encontre d’une opinion visée au par. 247(10), il l’aurait fait par voie législative. La Cour de l’impôt ne dispose pas des outils réparateurs nécessaires pour se prononcer sur une décision visée au par. 247(10). La Cour fédérale a le pouvoir d’annuler la décision discrétionnaire du ministre, ce qui l’obligerait à la revoir. La Cour de l’impôt peut intervenir uniquement après que la Cour fédérale annule la décision du ministre, après que le ministre rende une nouvelle décision, après que cette nouvelle décision se traduise par un changement de l’obligation fiscale du contribuable, et si le ministre n’établit pas une nouvelle cotisation pour faire état d’un changement d’obligation fiscale.
                    Le Parlement a délibérément partagé la compétence en matière fiscale entre la Cour fédérale et la Cour de l’impôt. La Cour de l’impôt n’a jamais été une instance unique pour tous les litiges fiscaux. Le Parlement a édifié une structure complexe pour assurer le traitement d’une multitude de revendications se rapportant au fisc. Apporter un changement à cette structure complexe sans une réforme réfléchie et complète qui ne peut être menée à bien que par le Parlement serait imprudent, surtout si ce changement allait directement à l’encontre du libellé des lois applicables et de l’intention du Parlement. Il revient au Parlement de répondre aux préoccupations au sujet de la compétence de la Cour de l’impôt.
                    Décider que la Cour de l’impôt a compétence pour contrôler les décisions visées au par. 247(10) n’améliorera pas l’accès à la justice. Cette disposition est pertinente principalement pour les multinationales contribuables qui effectuent, avec des entités liées, des opérations avec lien de dépendance. Si la Cour de l’impôt devait avoir compétence pour contrôler l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire en application du par. 247(10), la capacité de la Cour fédérale à effectuer le contrôle judiciaire de ces décisions serait écartée suivant l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, mais la Cour de l’impôt n’aurait pas la faculté d’offrir un recours si le ministre se comportait déraisonnablement en arrivant à sa décision parce qu’elle ne dispose pas du pouvoir réparateur de casser la décision du ministre. Étendre la compétence de la Cour de l’impôt au‑delà de ce qui est prévu dans la législation pourrait avoir des répercussions considérables en ce qui a trait au pouvoir de la Cour fédérale de procéder au contrôle judiciaire de décisions ministérielles dans d’autres contextes. On ne devrait pas compromettre d’importants aspects du droit fiscal et du droit administratif au Canada en quête d’avantages au chapitre de l’accès à la justice qui n’ont pas été établis.
                    Les juges Karakatsanis, Côté et Rowe (dissidents) : Il y a lieu d’accueillir le pourvoi, et la contestation par Dow de la décision discrétionnaire de la Ministre de refuser des redressements à la baisse de prix de transfert en vertu du par. 247(10) de la LIR devrait être instruite par la Cour de l’impôt. Contrairement à d’autres pouvoirs discrétionnaires prévus par la LIR, le pouvoir que confère au ministre le par. 247(10) n’est pas permissif. Le ministre est tenu d’exercer ce pouvoir afin de déterminer l’obligation d’un contribuable. Le Parlement s’est assuré que le bien‑fondé ou la validité de la cotisation du contribuable relève nettement de la juridiction de la Cour de l’impôt, ce qui a pour effet d’écarter le pouvoir de surveillance de la Cour fédérale. Le contrôle judiciaire ne devrait pas servir à créer une nouvelle forme de procédure connexe destinée à contourner le système de cotisations et d’appels en matière fiscale établi par le Parlement. Comme elle a trait directement au bien‑fondé de la cotisation d’un contribuable, la décision du ministre de refuser un redressement à la baisse du prix de transfert en vertu du par. 247(10) relève de la juridiction d’appel de la Cour de l’impôt. Cette décision est inextricablement liée à la cotisation parce qu’elle a une incidence directe sur les montant du revenu et du revenu imposable d’un contribuable, et qu’elle précède nécessairement la détermination du montant ultime d’impôt dû. Cette conclusion s’accorde avec les régimes législatifs complets qui établissent la juridiction de la Cour fédérale et celle de la Cour de l’impôt et avec les importants objectifs d’éviter une multiplicité de recours et de favoriser l’accès à la justice et l’efficacité.
                    Les tribunaux statutaires tels que la Cour fédérale et la Cour de l’impôt tirent leur existence, leur juridiction et leurs pouvoirs uniquement de leur loi habilitante. Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour fédérale un pouvoir de surveillance sur les décisions d’un office fédéral. Toutefois, l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales écarte le pouvoir de la Cour fédérale d’accorder des réparations de cette nature lorsqu’une autre loi fédérale prévoit expressément un droit d’appel à la Cour de l’impôt. Le souci de garantir une bonne administration fiscale, l’accès à la justice et l’efficacité sous‑tendent le choix du Parlement de privilégier la juridiction de la Cour de l’impôt en matière fiscale lorsqu’un droit d’appel est expressément prévu. En vertu des art. 165 et 169 de la LIR, la Cour de l’impôt a juridiction exclusive pour contrôler la validité et le bien‑fondé des cotisations.
                    La décision du ministre d’accorder, ou non, le redressement à la baisse du prix de transfert en vertu du par. 247(10) repose sur le fait qu’il estime ou non que les circonstances le justifient. Le paragraphe 247(10) ne définit pas ces circonstances ni ne donne d’indication sur ce qu’elles pourraient être. Le ministre dispose donc d’un vaste pouvoir discrétionnaire de prendre une décision en se fondant sur sa propre évaluation des circonstances, des considérations de politique générale et des dispositions législatives applicables. Contrairement à d’autres dispositions de la LIR qui confèrent au ministre un pouvoir discrétionnaire qui influe sur le montant du revenu ou du revenu imposable d’un contribuable, le par. 247(10) n’est pas permissif. Même si le contribuable n’a pas droit à un redressement à la baisse en toutes circonstances, il a droit à l’opinion du ministre sur le point de savoir si le redressement à la baisse est justifié lorsqu’un tel redressement est demandé, établi, ou les deux. Selon le par. 247(2), les montants font l’objet d’un redressement à la hausse ou à la baisse lorsque les conditions prescrites à cette disposition sont réunies. Le paragraphe 247(10) est une exception à la règle générale prévue au par. 247(2), qui prescrit les redressements nécessaires pour tenir compte des montants qui auraient été convenus si les parties n’avaient pas eu entre elles de lien de dépendance. Il impose une restriction à tout redressement à la baisse de prix de transfert en l’assujettissant au pouvoir discrétionnaire du ministre. Les paragraphes 247(2) et (10), lus ensemble, obligent le ministre à se faire une opinion sur la question de savoir si un redressement à la baisse est justifié lorsque les conditions nécessaires sont réunies.
                    Le sens établi du mot « cotisation » aux fins d’application de l’art. 169 de la LIR n’est pas en litige. Ce qui est en litige lors de l’appel d’une cotisation, c’est le montant d’impôt dû par le contribuable. En l’espèce, il s’agit de savoir si une décision que doit prendre le ministre avant que le montant de l’impôt à payer puisse être calculé relève de l’appel d’une cotisation prévu à l’art. 169. L’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire dans ce contexte est inextricablement lié au bien‑fondé de la cotisation et constitue un élément essentiel de la cotisation en fait et en droit. La décision discrétionnaire visée au par. 247(10) est de nature différente qu’une décision discrétionnaire qui est entièrement facultative et qui peut être prise seulement après que l’impôt, les intérêts et les pénalités ont été établis. La décision de refuser un redressement à la baisse du prix de transfert est un fait sur lequel repose nécessairement l’application des dispositions statutaires pertinentes. Si le pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé ou est exercé de façon illégitime, la cotisation qui en découle ne peut être exacte. Le droit d’appel prévu à l’art. 169 dans ces circonstances puise sa source dans la cotisation, non dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire en tant que tel; le montant d’impôt cotisé découle directement de la décision prise par le ministre en vertu du par. 247(10). Cette conclusion n’est à l’origine d’aucune incertitude juridique, n’élargit pas le sens établi du mot « cotisation », ni ne modifie la nature du droit d’appel prévu à l’art. 169. En effet, lorsqu’il s’oppose à une cotisation qui découle de l’exercice par le ministre du pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 247(10), le contribuable est préoccupé par le montant d’impôt dû, non pas simplement par la légitimité de l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire.
                    Les pouvoirs de réparation que possède la Cour de l’impôt en vertu de l’art. 171 de la LIR lui permettent de connaître des décisions discrétionnaires touchant au bien-fondé d’une cotisation. Le sous‑alinéa 171(1)b)(iii) indique que la Cour de l’impôt peut déférer la cotisation au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation. Ce libellé implique que, lorsqu’elle défère la cotisation au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation, la Cour de l’impôt peut saisir le ministre de la question du redressement à la baisse de prix dans le cadre d’un nouvel examen. Par contraste, lors d’un contrôle judiciaire, la Cour fédérale ne peut statuer sur la cotisation. Une cotisation demeure valable et exécutoire à moins que et jusqu’à ce qu’elle soit modifiée ou annulée par la Cour de l’impôt, ou que le ministre établisse une nouvelle cotisation, et ce, même si une décision visée au par. 247(10) a été cassée par la Cour fédérale. Le sous‑alinéa 171(1)b)(iii) est mieux adapté au véritable fond de la question à trancher, c’est‑à‑dire le bon montant d’impôt dû.
                    Une norme de contrôle en appel empreinte de déférence s’applique lorsque la Cour de l’impôt a affaire aux décisions discrétionnaires prises par le ministre en vertu du par. 247(10). Il en est ainsi parce que la Cour de l’impôt ne saurait substituer son opinion à celle du ministre, ni l’empêcher d’en arriver à la même décision, après nouvel examen, à la suite d’un exercice légitime de son pouvoir discrétionnaire. Il ressort clairement du libellé du par. 247(10) que le Parlement avait l’intention de conférer au ministre un vaste pouvoir discrétionnaire pour accorder ou non un redressement à la baisse du prix de transfert. Lorsqu’il conteste la décision prise par le ministre en vertu du par. 247(10), un contribuable doit établir un fondement factuel appuyant la prétention que la décision était mauvaise en principe, ne tenait pas compte d’éléments de preuve pertinents ou reposait sur des éléments de preuve non pertinents, et l’attention est portée sur la question de savoir si l’exercice du pouvoir discrétionnaire demeure un fait valable sur lequel repose le bien‑fondé de la cotisation. À titre de cour spécialisée, la Cour de l’impôt est bien placée pour statuer sur la question de savoir si le pouvoir discrétionnaire prévu au par. 247(10) a été exercé de façon légitime.
Jurisprudence
Citée par le juge Kasirer
                    Arrêt appliqué : Okalta Oils Ltd. c. Minister of National Revenue, 1955 CanLII 70 (SCC), [1955] R.C.S. 824; arrêts mentionnés : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403; Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2007 CAF 188, [2008] 1 R.C.F. 839; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Walker c. Canada, 2005 CAF 393; Canada (Procureur général) c. Collins Family Trust, 2022 CSC 26; Canada c. Wesbrook Management Ltd., 1996 CanLII 11881; Addison & Leyen Ltd. c. Canada, 2006 CAF 107, [2006] 4 R.C.F. 532, inf. par 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793; Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557; Ludmer c. Canada, 1994 CanLII 3547 (CAF), [1995] 2 C.F. 3; Fazal c. La Reine, 2020 CCI 137; Azzopardi c. Le Roi, 2023 TCC 51 (CanLII), 2023 CCI 51, [2023] 4 C.T.C. 2049; Callahan c. Le Roi, 2023 CCI 172; Iris Technologies Inc. c. Canada (Procureur général), 2024 CSC 24; Canada (Procureur général) c. Iris Technologies Inc., 2022 CAF 101, [2022] 1 R.C.F. 401; Canada c. Consumers’ Gas Co., 1986 CanLII 6796 (CAF), [1987] 2 C.F. 60; Canada c. Roitman, 2006 CAF 266; Johnson c. Canada, 2015 CAF 52; 9162‑4676 Québec Inc. c. Canada, 2016 CAF 112, 2016 DTC 5052; Canada (Procureur général) c. Webster, 2003 CAF 388; Ghazi c. Canada (Revenu national), 2019 CF 860; Newave Consulting Inc. c. Canada (Revenu national), 2021 CF 1203; Chad c. Canada (Revenu national), 2023 CF 1481; Nicholson Ltd. c. Minister of National Revenue, 1945 CanLII 328 (CA EXC), [1945] R.C. de l’É. 191; Canada (Ministre du revenu national) c. ConocoPhillips Canada Resources Corp., 2017 CAF 243; Canada c. Interior Savings Credit Union, 2007 CAF 151; Pure Spring Co. c. Minister of National Revenue, 1946 CanLII 290 (CA EXC), [1946] R.C. de l’É. 471; Johnston c. Minister of National Revenue, 1948 CanLII 1 (SCC), [1948] R.C.S. 486; Canada (Procureur général) c. Buchanan, 2002 CAF 231; Campbell c. Minister of National Revenue, 1952 CanLII 49 (SCC), [1953] 1 R.C.S. 3; Yatar c. TD Assurance Meloche Monnex, 2024 CSC 8; Canada (Bureau de la sécurité des transports) c. Carroll‑Byrne, 2022 CSC 48; Southwind c. Canada, 2021 CSC 28, [2021] 2 R.C.S. 450; Bozzer c. Canada (Revenu national), 2011 CAF 186, [2013] 1 R.C.F. 242; Jewett c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 187; Shaw (Succession) c. Canada (Procureur général), 2021 CF 576; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21; Canada c. Loblaw Financial Holdings Inc., 2021 CSC 51; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp., 2014 CAF 140; Maverick Oilfield Services Ltd. c. Canada (Attorney General), 2023 FC 1728 (CanLII), 2023 CF 1728, [2024] 2 C.T.C. 67.
Citée par la juge Côté (dissidente)
                    Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793; Canada (Procureur général) c. Collins Family Trust, 2022 CSC 26; Canada c. Capital Générale Électrique du Canada Inc., 2010 CAF 344; Canada c. Cameco Corporation, 2020 CAF 112, [2020] 4 R.C.F. 104; Canada c. GlaxoSmithKline Inc., 2012 CSC 52, [2012] 3 R.C.S. 3; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20; Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, [2013] 3 R.C.S. 3; Windsor (City) c. Canadian Transit Co., 2016 CSC 54, [2016] 2 R.C.S. 617; Roberts c. Canada, 1989 CanLII 122 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 322; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585; Walker c. Canada, 2005 CAF 393; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557; Campbell c. Minister of National Revenue, 1952 CanLII 49 (SCC), [1953] 1 R.C.S. 3; Johnston c. Minister of National Revenue, 1948 CanLII 1 (SCC), [1948] R.C.S. 486; Okalta Oils Ltd. c. Minister of National Revenue, 1955 CanLII 70 (SCC), [1955] R.C.S. 824; Canada c. Consumers’ Gas Co., 1986 CanLII 6796 (CAF), [1987] 2 C.F. 60; Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403; Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2007 CAF 188, [2008] 1 R.C.F. 839; Hunt c. La Reine, 2018 CCI 193; Nicholson Ltd. c. Minister of National Revenue, 1945 CanLII 328 (CA EXC), [1945] R.C. de l’É. 191; Pure Spring Co. c. Minister of National Revenue, 1946 CanLII 290 (CA EXC), [1946] R.C. de l’É. 471; Canada (Procureur général) c. British Columbia Investment Management Corp., 2019 CSC 63, [2019] 4 R.C.S. 559; Canada c. Domtar Inc., 2009 CAF 218; Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp., 2014 CAF 140; Wenham c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 199; International Air Transport Association c. Office des transports du Canada, 2022 CAF 211; R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140; Pioneer Laundry and Dry Cleaners, Ld. c. Minister of National Revenue, 1939 CanLII 274 (UK JCPC), [1940] A.C. 127; Minister of National Revenue c. Wrights’ Canadian Ropes, Ld., 1946 CanLII 345 (UK JCPC), [1947] A.C. 109; Anger c. M.N.R., 49 DTC 65; MacDonald Estate c. M.N.R., 50 DTC 109; Buehler c. M.N.R., 50 DTC 119; Williamson c. M.N.R., 50 DTC 147; Ministre du Revenu national c. Parsons, 1984 CanLII 5322 (CAF), [1984] 2 C.F. 331; Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Roncarelli c. Duplessis, 1959 CanLII 50 (SCC), [1959] R.C.S. 121; Reza c. Canada, 1994 CanLII 91 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 394; Canada (Procureur général) c. Fontaine, 2017 CSC 47, [2017] 2 R.C.S. 205; Canada (Bureau de la sécurité des transports) c. Carroll‑Byrne, 2022 CSC 48; Canada (Procureur général) c. Jencan Ltd., 1997 CanLII 6354 (CAF), [1998] 1 C.F. 187; Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22; Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, 100 Admin. L.R. (5th) 315; Première nation de Namgis c. Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 149.
Lois et règlements cités
Loi constitutionnelle de 1867, art. 101.
Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, c. 97, art. 6(2), 66, ann. 4, art. 3(4) [aj. 1946, c. 55, art. 22].
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.), partie I, art. 67, 91(2), 111(1.1)c), 118.1(10.2) à (10.5), 125(7), section I, 152(1), (1.1), (1.2), (1.3), (3), (4.2), (8), 165, 166.2, section J, 169, 171, 172(3), 204.81(9), 220(3.1), (3.2), 222 à 223, 231, parties XVI, XVI.1, 247, 248(1).
Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, c. T‑2, art. 12.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F‑7, art. 18, 18.1, 18.5.
Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90‑688a, art. 58.
Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure informelle), DORS/90‑688b.
Doctrine et autres documents cités
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                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Webb, Rennie et Locke), 2022 CAF 70, [2022] 5 C.T.C. 1, 2022 DTC 5050, [2022] F.C.J. No. 565 (Lexis), 2022 CarswellNat 6971 (WL), qui a infirmé une décision de la juge Monaghan, 2020 CCI 139, [2021] 2 C.T.C. 2063, 2021 DTC 1001, [2020] T.C.J. No. 114 (Lexis), 2020 CarswellNat 5538 (WL). Pourvoi rejeté, les juges Karakatsanis, Côté et Rowe sont dissidents.
                    Daniel Sandler, Osnat Nemetz et Laura Jochimski, pour l’appelante.
                    Daniel Bourgeois, Christa Akey et Justine Malone, pour l’intimé.
                  Version française du jugement des juges Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin rendu par
                  Le juge Kasirer —
I.               Survol
[1]                             Le présent pourvoi concerne le pouvoir de la Cour canadienne de l’impôt, siégeant en appel de la cotisation d’un contribuable, de contrôler les décisions prises par le ministre du Revenu national (« Ministre ») en application du par. 247(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (« LIR »). Le Parlement a conféré au Ministre le pouvoir discrétionnaire de décider si « les circonstances [. . .] justifient » d’effectuer un redressement à la baisse du prix de transfert. Un redressement à la baisse ne peut être fait conformément à la LIR que si le Ministre est d’avis qu’il est justifié. Lorsque le contribuable cherche à contester la décision discrétionnaire du Ministre, devrait‑il plutôt procéder par voie d’appel à la Cour de l’impôt, en vertu du pouvoir exclusif accordé par la loi à cette cour de décider du bien‑fondé[1] de la cotisation d’impôt sur le revenu du contribuable? Ou le contribuable devrait‑il présenter sa contestation à la Cour fédérale, en vertu du pouvoir exclusif accordé par la loi à cette cour en matière de contrôle judiciaire, et ce, en fonction de la norme présumée applicable de la décision raisonnable?
[2]                             Dow Chemical Canada ULC soutient qu’un contrôle de la décision du Ministre prise au titre du par. 247(10) de la LIR relève de la compétence exclusive attribuée à la Cour de l’impôt parce que cette décision touche directement la cotisation de l’impôt à payer ou est inextricablement liée à celle‑ci. Selon Dow, sa thèse fait avancer la cause de l’équité et de la commodité pour tous les contribuables, y compris les multinationales comme elle, qui pourraient bénéficier d’un guichet unique à la Cour de l’impôt. Par conséquent, Dow demande à notre Cour d’élargir la compétence accordée par la loi à la Cour de l’impôt en appel en l’investissant d’un nouveau pouvoir d’effectuer ce qui revient au contrôle judiciaire de la décision du Ministre selon la norme de la décision raisonnable.
[3]                             J’ai eu l’avantage de lire les motifs rédigés par ma collègue la juge Côté dans lesquels elle propose d’accueillir le pourvoi de Dow. Je conviens avec elle que, selon la loi, la Cour fédérale a compétence exclusive pour accorder réparation à l’égard de décisions ministérielles fédérales en vertu du par. 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F‑7. Nous sommes tous deux d’avis que l’art. 18.5 de cette loi permet d’écarter cette compétence lorsqu’une loi fédérale, telle la LIR, prévoit expressément un appel à une autre entité, dont la Cour de l’impôt. Je suis également d’accord avec elle pour dire que la Cour de l’impôt a compétence exclusive pour entendre des appels visant à faire modifier ou annuler des cotisations d’impôt sur le revenu conformément à l’art. 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, c. T‑2, et à l’art. 169 de la LIR. Pour nous deux, la question centrale soumise à la Cour est celle de savoir si la décision rendue par le Ministre en application du par. 247(10) fait partie d’une cotisation et relève donc de la compétence de la Cour de l’impôt, ou si, en tant qu’exercice distinct du pouvoir discrétionnaire ministériel, elle devrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire, selon la norme de la décision raisonnable, en Cour fédérale.
[4]                             Avec égards, cependant, je ne peux souscrire à l’opinion suivant laquelle la décision rendue par la Ministre en application du par. 247(10) peut faire l’objet d’un appel à la Cour de l’impôt en tant qu’élément d’une cotisation. Permettre que la présente affaire soit instruite en appel à la Cour de l’impôt en tant qu’élément d’une cotisation obligerait notre Cour à retenir la thèse de la large compétence préconisée par Dow, laquelle repose non pas sur une disposition expresse d’une loi fédérale, comme l’exige l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, mais sur ce qui, selon Dow, est équitable et ce qu’il y a de mieux pour l’accès à la justice. À mon avis, écarter la compétence de la Cour fédérale en l’absence d’une directive expresse de la loi et élargir la fonction de contrôle confiée à la Cour de l’impôt susciterait une nouvelle controverse à propos des limites juridictionnelles, tout cela au service de prétendus avantages au chapitre de l’accès à la justice qui me paraissent en grande partie illusoires. Le Parlement ne voulait clairement pas que la Cour de l’impôt serve de tribunal exclusif en matière fiscale; il a explicitement accordé par voie législative une certaine compétence sur des matières fiscales à la Cour fédérale, une certaine compétence à la Cour de l’impôt, et même une certaine compétence en première instance dans le domaine fiscal à la Cour d’appel fédérale.
[5]                             S’ils sont acceptés, les arguments de Dow remettraient en question la jurisprudence établie, notamment l’arrêt de notre Cour dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, en modifiant les règles sur la norme de contrôle applicable, tout particulièrement en ce qui concerne l’« appel » porté à la Cour de l’impôt conformément au par. 169(1) de la LIR. En outre, la thèse de Dow contrecarrerait le choix du Parlement de confier le contrôle judiciaire des actes administratifs discrétionnaires à la Cour fédérale, où il est possible d’appliquer la bonne norme de contrôle, soit celle de la décision raisonnable, et où l’on peut obtenir les réparations convenables de droit administratif. La théorie de Dow entraînerait une érosion appréciable de la compétence accordée par la loi à la Cour fédérale, en droit fiscal et peut‑être aussi dans d’autres domaines, où le contrôle judiciaire permet de superviser le pouvoir discrétionnaire que le Parlement a conféré à l’exécutif.
[6]                             Fait important, Dow cherche à saper le dessein du Parlement de restreindre la compétence d’appel de la Cour de l’impôt au contrôle du bien-fondé des cotisations en modifiant la notion fondamentale d’une cotisation en droit fiscal. En prétendant que la décision rendue en application du par. 247(10) est inextricablement liée à une cotisation et fait l’objet d’un seul recours en Cour de l’impôt, Dow se fonde sur une conception modifiée de la « cotisation » qui ne concorde pas du tout avec le droit établi. Dow transformerait le fondement même du mandat légal de la Cour de l’impôt d’entendre des appels en s’écartant d’un précédent établi de longue date par notre Cour quant à la définition d’une cotisation dans Okalta Oils Ltd. c. Minister of National Revenue, 1955 CanLII 70 (SCC), [1955] R.C.S. 824, un arrêt de principe que Dow n’a pas cité durant sa plaidoirie devant nous. La reformulation par Dow du concept de « cotisation » cadre en outre mal avec le fait qu’une cotisation fiscale s’entend d’un « produit » et non d’un « processus », un principe bien établi dans la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale (voir, p. ex., Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403; Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2007 CAF 188, [2008] 1 R.C.F. 839, cités dans les motifs de la C.A., 2022 CAF 70, par. 72‑74 (CanLII)). Comme l’a expliqué le juge Webb en l’espèce, l’opinion du Ministre dont il est question au par. 247(10) de la LIR peut toucher directement une cotisation fiscale établie, mais cette opinion n’en fait pas partie. Au paragraphe 247(10), le Parlement a délégué au Ministre — et non à la Cour de l’impôt — le pouvoir de déterminer de manière discrétionnaire si, dans les circonstances, il y a lieu d’effectuer le redressement à la baisse. Je partage l’avis suivant lequel il s’agit d’une décision qui se distingue de la cotisation. Pour annuler ou modifier la cotisation en appel de manière à influer sur le refus d’un redressement à la baisse du prix de transfert, la Cour de l’impôt aurait à casser la décision et à substituer son opinion à celle du Ministre, un pouvoir qu’elle n’a pas lors de l’appel d’une cotisation.
[7]                             En habilitant le Ministre à soupeser son opinion sur la question de savoir si les circonstances sont telles qu’il y aurait lieu de s’écarter de la règle ordinaire et de permettre un redressement à la baisse, le Parlement a conféré au Ministre, au moyen du par. 247(10), un pouvoir décisionnel discrétionnaire fondé sur des considérations de politique générale qui se distingue d’une cotisation. Ce n’est pas moins vrai en raison du fait que la décision du Ministre touche directement l’obligation fiscale, ou que cette décision se reflète parfois dans une cotisation, bien qu’une nouvelle cotisation ne soit pas toujours établie après que le Ministre rende sa décision. Si l’on tient dûment compte du caractère essentiel de la prétention de Dow — qui demande si l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel était raisonnable — son grief en est un de droit administratif qui a été reformulé en tant qu’appel à la Cour de l’impôt visant les sommes dues dans la cotisation. Il semble que Dow en ait eu l’intuition lorsqu’elle a intenté cette poursuite en Cour fédérale par la voie d’une demande de contrôle judiciaire à l’intérieur du délai de prescription applicable après que la Ministre eut pris sa décision en 2013, quatre ans avant d’interjeter appel à la Cour de l’impôt après une nouvelle cotisation en 2017.
[8]                             Les principes fondamentaux de droit administratif énoncés par notre Cour dans Vavilov veulent que la décision discrétionnaire du Ministre, dont le pouvoir lui a été conféré par la loi, soit présumée faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable. Dow prétend que la Cour de l’impôt peut contrôler cette décision dans le cadre de l’appel d’une cotisation, et que la norme de la décision raisonnable s’applique. En effet, Dow va jusqu’à dire que [traduction] « [l]a description que fait cette honorable Cour dans Vavilov d’un “contrôle selon la norme de la décision raisonnable” est tout aussi pertinente pour le contrôle auquel procéderait la Cour de l’impôt dans l’appel d’une cotisation eu égard à l’exercice par le Ministre du pouvoir discrétionnaire que lui accorde une disposition comme le par. 247(10) » (m.a., par. 97, citant Vavilov, par. 15; voir aussi la transcription, p. 10‑15). Cette affirmation contredit directement le principe, exprimé clairement au par. 37 de l’arrêt Vavilov, suivant lequel la possibilité d’intenter un autre recours que le contrôle judiciaire indique que le législateur compte écarter la norme de la décision raisonnable. Dans le cas des « appels » de cotisations interjetés à la Cour de l’impôt en vertu du par. 169(1) de la LIR, le Parlement a instauré un processus de révision de novo qui est de la nature d’un procès, au cours duquel les deux parties produisent des éléments de preuve et présentent des arguments, et la Cour de l’impôt tranche des questions de fait selon la prépondérance des probabilités. Le contrôle du caractère raisonnable des décisions ministérielles n’a pas sa place dans le contexte des « appels » portés à la Cour de l’impôt. Si l’on acceptait l’approche de Dow, cela donnerait à la Cour de l’impôt non seulement le pouvoir de contrôler l’application du droit fiscal aux faits, mais également celui de contrôler les décisions discrétionnaires du Ministre en matière de politique fiscale.
[9]                             Pour étayer sa vision de la compétence d’appel de la Cour de l’impôt qui repose sur cette notion élargie de cotisation, Dow prône un cadre d’analyse où la déférence envers le Ministre fondée sur la norme de la décision raisonnable ou une autre norme déférente s’appliquerait à la décision rendue en application du par. 247(10). On ne peut concilier ce cadre avec le principe tiré de l’arrêt Vavilov selon lequel le mécanisme d’appel conçu par le législateur — en l’occurrence le processus de novo prévu au par. 169(1) de la LIR — détermine les normes de contrôle applicables (par. 36 et suiv.). Que les normes de contrôle de la décision discrétionnaire visée par le par. 247(10) soit celles établies dans Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, ou une quelconque autre norme d’appel élaborée pour le contrôle d’une mesure administrative par analogie avec l’exercice du pouvoir discrétionnaire des tribunaux, cela soulève des enjeux de grande importance pour la norme de contrôle applicable en droit administratif. La juge de la Cour de l’impôt a elle aussi proposé une norme différente de celle énoncée dans Vavilov et de celle associée à la procédure d’appel de novo établie au par. 169(1). Elle a dit que le Ministre doit se faire une opinion « judiciairement » ou « convenablement » et que, s’il ne l’a pas fait, son opinion peut être corrigée par la Cour de l’impôt plutôt qu’en fonction de la norme de la décision raisonnable lors d’un contrôle judiciaire à la Cour fédérale (2020 CCI 139, par. 142‑144 et 165 (CanLII)). Avec égards, je ne puis souscrire à ces qualifications de la norme de contrôle applicable, que je considère comme des erreurs de droit.
[10]                        La position de Dow sur les réparations possibles qui, au bout du compte, invite notre Cour à étendre les pouvoirs de la Cour de l’impôt en [traduction] « [indiquant] si la Cour de l’impôt a la faculté de substituer son opinion [. . .] à celle du Ministre » en vertu du par. 247(10) pose tout autant problème (m.a., par. 101). Au moment de statuer sur la cotisation, la Cour de l’impôt ne peut casser une décision discrétionnaire du Ministre, ni substituer sa propre opinion à celle du Ministre agissant en vertu du pouvoir que lui délègue la loi. Il vaut la peine de rappeler également que les réparations prévues dans la Loi sur les Cours fédérales ne peuvent être obtenues que sur demande de contrôle judiciaire adressée à la Cour fédérale.
[11]                        Voilà autant de signes qui montrent, je le crains, que retenir la thèse de Dow compromettrait les principes de base du droit administratif liés à la norme de contrôle et à la réparation, et laisserait la ligne de démarcation entre les compétences respectives de la Cour fédérale et de la Cour de l’impôt en piteux état. On évite ces complications en reconnaissant, contrairement à l’argument de Dow, que ce pouvoir décisionnel discrétionnaire distinct du Ministre, que lui a confié le Parlement au par. 247(10) de la LIR, fait l’objet d’un contrôle judiciaire en Cour fédérale selon la norme de la décision raisonnable, où se trouve un ensemble approprié de réparations offertes par la loi, conformément à la Loi sur les Cours fédérales.
[12]                        La position de Dow met également en péril les principes établis régissant la compétence de la Cour fédérale qui, tout comme la Cour de l’impôt, est une émanation de la loi. Le pouvoir exclusif de la Cour fédérale de procéder au contrôle judiciaire de mesures administratives fédérales — telles les décisions discrétionnaires prises par le Ministre en vertu du par. 247(10) — ne peut être exclu que lorsqu’il existe un mécanisme d’appel « exprès » en conformité avec l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales qui écarte le pouvoir de surveillance de la Cour fédérale. En établissant le critère exigeant selon lequel la voie d’appel doit être prévue expressément, le Parlement a veillé à ce que les exceptions à la compétence de la Cour fédérale découlent d’une directive législative réfléchie au lieu de développements ponctuels dans la jurisprudence des tribunaux. Il convient de rejeter l’argument de Dow suivant lequel il est possible de conférer compétence à la Cour de l’impôt par « implication nécessaire » plutôt qu’au moyen d’une disposition législative « expresse », car il est nettement incompatible avec le libellé, le contexte et l’objet de l’art. 18.5. La théorie de Dow affaiblirait ce critère en interprétant l’art. 18.5 comme excluant la compétence de la Cour fédérale non seulement lorsqu’une décision est assujettie à un appel expressément prévu par la loi, mais aussi lorsqu’elle est simplement visée par une telle disposition par implication. En plus d’empiéter considérablement sur la compétence de la Cour fédérale en droit fiscal, la théorie de Dow risque d’engendrer un contentieux portant sur la question de savoir quelles décisions discrétionnaires sont visées, implicitement, par les dispositions législatives en matière d’appel dans d’autres contextes. Cela ne semble pas compatible avec le souhait d’un accès efficace à la justice.
[13]                        Dow dit néanmoins qu’elle avance sa théorie au bénéfice du bien public de l’accès à la justice, invoquant les avantages que procurerait son innovation proposée aux plaideurs non représentés qui comparaissent devant la Cour de l’impôt. Notre Cour doit bien entendu être toujours consciente des problèmes d’accès à la justice dans les affaires qui lui sont soumises. Il est bien établi en droit dans ce domaine que les « procédures parallèles » sont à éviter et que les règles prescrites par la loi devraient, dans la mesure du possible, être interprétées en conséquence (Walker c. Canada, 2005 CAF 393, par. 11 (CanLII)). De plus, le contrôle judiciaire est de toute évidence une voie de dernier recours en droit canadien. Mais aussi important soit‑il, l’accès à la justice ne saurait primer les conceptions bien établies du partage juridictionnel voulu par le Parlement entre la Cour de l’impôt et la Cour fédérale, qui ont une fin utile. En l’espèce, les procédures contestent une décision de la Ministre d’une manière que la Cour de l’impôt n’est ni chargée d’instruire, ni outillée pour le faire. Le « guichet unique » à la Cour de l’impôt opérerait au détriment des réparations que le contribuable peut obtenir en Cour fédérale vu les considérations liées aux réparations qu’offre le contrôle judiciaire, notamment l’annulation de la décision ministérielle. En s’adressant à la Cour de l’impôt en tant que tribune unique, le contribuable serait dépourvu de recours et perdrait l’occasion de demander à une cour compétente de surveiller l’exercice par le Ministre du pouvoir que lui accorde la loi afin d’éviter que l’acteur administratif n’outrepasse pas ce que la loi l’habilite à faire pour arriver à la décision discrétionnaire. De plus, même d’après la conception large que se fait Dow de la cotisation, dans les cas où la décision rendue par le Ministre en application du par. 247(10) ne donne lieu à aucune cotisation, la Cour de l’impôt n’a aucunement le pouvoir d’accomplir la tâche qui devrait à juste titre être exécutée par la Cour fédérale. Soit dit en tout respect, je suis insensible à la prétention de Dow qu’il nous appartient de faire nôtre le combat du plaideur non représenté qui bénéficierait de la procédure simplifiée à la Cour de l’impôt. Ce sont en fait ces contribuables qui, dans bien des cas, ont besoin de la protection que seul procure le contrôle judiciaire contre l’exercice imprévisible du pouvoir discrétionnaire ministériel.
[14]                        C’est clairement par le pouvoir législatif que les considérations de grande portée relatives à la ligne de démarcation juridictionnelle entre la Cour fédérale et la Cour de l’impôt devraient être étudiées et prises en compte. Il a été utilement suggéré que le Parlement est la tribune qui convient pour apporter certains changements à l’art. 247 (voir D. Sandler et L. Watzinger, « Disputing Denied Downward Transfer‑Pricing Adjustments » (2019), 67 Rev. fisc. can. 281, p. 307‑308). D’autres ont décrié le caractère ponctuel de l’évolution du droit dans ce domaine et ont réclamé une réforme du droit [traduction] « exhaustive » (M. H. Lubetsky, « The Fractured Jurisdiction of the Courts in Income Tax Disputes », dans P. Mihailovich et J. Sorensen, dir., Tax Disputes in Canada : The Path Forward (2022), 63, p. 65). Les tribunaux, y compris notre Cour, ne sont pas institutionnellement conçus pour accomplir de pareilles tâches, et doivent être conscients des conséquences imprévues d’un changement des limites juridictionnelles entre les tribunaux.
[15]                        Quand on lui a demandé à l’audience quel effet aurait la reconnaissance du pouvoir de la Cour de l’impôt de contrôler des décisions discrétionnaires du Ministre, l’avocat de Dow a admis que ce serait [traduction] « une révolution en quelque sorte » (transcription, p. 85). Mais, à ses dires, c’est la raison pour laquelle Dow a porté l’affaire devant la Cour suprême. À mon avis, notre Cour devrait décliner l’invitation de Dow et laisser au Parlement le soin de mesurer de façon éclairée les répercussions en matière de politique générale qu’aurait tout changement de ce genre à la compétence de la Cour de l’impôt et à celle de la Cour fédérale.
[16]                        Appliquant les principes établis qui régissent la nature d’une cotisation fiscale, la compétence partagée que confère la loi à la Cour fédérale et à la Cour de l’impôt en matière d’impôt sur le revenu, ainsi que la norme de contrôle et la réparation associées aux principes généraux du contrôle judiciaire en droit administratif, je conclus que la contestation d’une décision rendue par le Ministre en application du par. 247(10) échappe à la compétence d’appel de la Cour de l’impôt. Elle relève correctement de l’objet exclusif du contrôle judiciaire en Cour fédérale. Je proposerais donc de rejeter le pourvoi.
II.            Contexte
[17]                        Le pourvoi interjeté par Dow devant notre Cour fait suite aux réponses divergentes données par la Cour de l’impôt et la Cour d’appel fédérale à la question suivante, présentée en application de l’art. 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90‑688a :
      La décision que rend le ministre du Revenu national lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 247(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») pour rejeter la demande d’un contribuable sollicitant un redressement à la baisse du prix de transfert relève‑t‑elle de la compétence exclusive conférée à la Cour canadienne de l’impôt par l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt et l’article 171 de la LIR?
      (motifs de la C.C.I., par. 21)
[18]                        La question a été soumise à la Cour de l’impôt en raison du refus de la Ministre d’effectuer un redressement à la baisse du prix de transfert lié à des intérêts versés par Dow à une société suisse affiliée. Je prends bonne note du contexte factuel résumé par la Cour de l’impôt et la Cour d’appel fédérale. Les faits pertinents sont énumérés dans l’exposé conjoint des faits déposé par les parties en Cour de l’impôt.
[19]                        Les règles sur le prix de transfert sont énoncées à l’art. 247 de la LIR. Lorsqu’un contribuable (en l’occurrence Dow) traite avec un non‑résident avec lequel il a un lien de dépendance (en l’espèce, la société suisse affiliée), le par. 247(2) de la LIR prévoit le redressement des montants d’une opération donnée afin qu’ils correspondent à ceux dont auraient convenu des personnes qui n’auraient pas de lien de dépendance. L’application du par. 247(2) a donné lieu à une augmentation substantielle du revenu de Dow pour l’année d’imposition 2006.
[20]                        Dow croyait que son revenu devrait être revu à la baisse pour tenir compte d’intérêts qui auraient été payés dans les circonstances. Lorsqu’on identifie une somme qui aurait pour effet de réduire le revenu du contribuable, le par. 247(10) dispose qu’un redressement à la baisse ne peut être effectué que si « le ministre estime » que les circonstances le justifient :
      (10) Un redressement autre que celui qui donne lieu à un redressement de capital ou un redressement de revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, ou qui augmente le montant d’un tel redressement, ne peut être effectué aux termes du paragraphe (2) que si le ministre estime que les circonstances le justifient.
[21]                        En 2013, Dow a demandé que la Ministre effectue un redressement à la baisse du prix de transfert en vertu du par. 247(10). La Ministre a avisé Dow par lettre qu’elle n’exercerait pas son pouvoir discrétionnaire pour faire le redressement à la baisse. Avant l’expiration du délai de prescription applicable de 30 jours, Dow a sollicité en Cour fédérale le contrôle judiciaire de la décision discrétionnaire de la Ministre de refuser le redressement du prix de transfert en application du par. 247(10).
[22]                        Dow s’est également opposée à l’avis de nouvelle cotisation daté du 12 décembre 2012 pour l’année d’imposition 2006. La Ministre a établi une autre nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2006 en 2015, puis de nouveau en 2017. Dow a interjeté appel de la nouvelle cotisation de 2017 à la Cour de l’impôt, soit la procédure dans le cadre de laquelle la question visée à l’art. 58 a été renvoyée à la Cour de l’impôt. La demande de contrôle judiciaire présentée par Dow en 2013 a été mise en suspens en attendant la décision concernant la compétence de la Cour de l’impôt.
III.         Historique des procédures judiciaires
A.           Cour canadienne de l’impôt, 2020 CCI 139 (la juge Monaghan)
[23]                        Selon la juge de la Cour de l’impôt, la décision discrétionnaire prise par le Ministre en vertu du par. 247(10) de la LIR est un « élément essentiel » de la cotisation du contribuable et « concerne l’exactitude de [cette] cotisation » (par. 29). La décision du Ministre peut donc être contrôlée par la Cour de l’impôt au titre de sa « compétence d’appel exclusive quant à l’exactitude des cotisations (c’est‑à‑dire examiner si la cotisation est fondée sur les faits et est conforme au droit applicable) » (ibid.). La juge a refusé de se prononcer sur la question de savoir si la Cour de l’impôt peut substituer sa propre décision à celle du Ministre en application du par. 247(10).
[24]                        Elle a fait observer que la Cour fédérale a compétence pour contrôler judiciairement les pouvoirs exercés par le Ministre en vertu de la loi « à moins qu’une loi fédérale ne prévoie expressément la possibilité d’interjeter appel auprès d’une autre cour ou instance », citant l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales (par. 89). D’après elle, la question dont elle était saisie consistait à savoir si la décision rendue par le Ministre en application du par. 247(10) « fait partie de celles pour lesquelles la LIR prévoit la possibilité d’interjeter appel devant la Cour de l’impôt » (par. 94). « Si c’est le cas », a‑t‑elle poursuivi, « la Cour fédérale n’a pas compétence » (ibid.). Soulignant que le pouvoir de la Cour de l’impôt d’entendre les appels de cotisations s’inscrit dans l’objectif du Parlement d’éviter les procédures parallèles entre les deux cours, la juge de la Cour de l’impôt a fait observer que la question est celle de savoir si une contestation de la décision rendue par le Ministre en application du par. 247(10) constitue « une attaque de l’exactitude de la cotisation qui en découle (en fait ou en droit) et, par conséquent, si cette question relève de la Cour de l’impôt » (par. 99).
[25]                        La juge de la Cour de l’impôt s’est penchée sur la jurisprudence de l’ancienne Cour de l’Échiquier du Canada, qui avait à la fois compétence en matière d’appel à l’égard des cotisations fiscales et en matière de contrôle judiciaire des décisions du Ministre. Elle a souligné qu’en ce qui concerne les litiges visés par l’ancienne Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, c. 97 (« LIGR »), « lorsque la plainte du contribuable à l’égard d’une cotisation établie en application de la LIGR était fondée sur l’exercice par le ministre d’un pouvoir discrétionnaire qui lui était conféré à la LIGR, la Cour de l’Échiquier exerçait sa compétence d’appel au titre de la LIGR, plutôt que sa compétence [en matière de contrôle judiciaire] » (par. 105).
[26]                        Puisant en partie dans cette analyse historique, la juge de la Cour de l’impôt a écrit que, si le Ministre n’a pas exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 247(10) « de façon judiciaire », ou « en conformité avec les principes de droit qui s’appliquent », la cotisation qui en découle serait erronée (par. 142 et 144). La décision du Ministre au titre du par. 247(10) doit être rendue avant tout établissement de cotisations et en conformité avec les principes juridiques appropriés. Donc, lors de l’appel d’une cotisation, la Cour de l’impôt a « à la fois le pouvoir et l’obligation d’examiner la manière dont le ministre en est arrivé à sa décision en application du paragraphe 247(10) » (par. 144).
[27]                        Elle a également conclu que les règles applicables en cas d’appel d’une cotisation « ne font pas obstacle à la conclusion que la compétence d’appel de la Cour de l’impôt lui permet d’examiner les décisions que prend le ministre » (par. 159). En examinant les réparations que peuvent accorder les deux cours, la juge de la Cour de l’impôt a écrit que, lorsqu’un contribuable est en désaccord avec la décision rendue par le Ministre en application du par. 247(10), « la “nature essentielle” de la mesure demandée est l’annulation de la cotisation, et cette mesure ne relève pas des pouvoirs de la Cour fédérale » (par. 167). Elle a rejeté l’argument selon lequel le contrôle du processus décisionnel du Ministre doit se faire en Cour fédérale, statuant que les décisions se rapportant aux calculs du revenu, du revenu imposable ou de l’impôt concernent le bien-fondé de la cotisation et relèvent de la compétence de la Cour de l’impôt (par. 173).
[28]                        La juge de la Cour de l’impôt a conclu, en ce qui concerne l’appel d’une cotisation, que celui‑ci peut être accueilli « au motif que le ministre n’a pas correctement exercé son pouvoir en application du paragraphe 247(10) » (par. 213). C’est‑à‑dire, « [s]i le ministre n’a pas du tout exercé son pouvoir discrétionnaire ou s’il l’a exercé en appliquant des principes erronés, on ne peut pas dire que la cotisation est exacte » (ibid.).
B.            Cour d’appel fédérale, 2022 CAF 70 (le juge Webb, avec l’accord des juges Rennie et Locke)
[29]                        La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel et annulé l’ordonnance de la Cour de l’impôt. Elle a décidé que la Cour fédérale a compétence exclusive pour contrôler judiciairement les décisions discrétionnaires rendues par le Ministre en application du par. 247(10).
[30]                        Après avoir examiné les dispositions pertinentes de la Loi sur les Cours fédérales et de la LIR, le juge Webb a écrit que « si la LIR ne prévoit pas expressément qu’il peut être interjeté appel de cet avis auprès de la Cour de l’impôt, alors la Cour fédérale conserverait compétence pour en faire le contrôle judiciaire » (par. 34).
[31]                        Selon le juge Webb, « l’issue du présent appel repose sur les mesures différentes que peuvent accorder la Cour de l’impôt et la Cour fédérale » (par. 64). Les réparations offertes en Cour de l’impôt ont toutes trait aux cotisations. Bien qu’elle puisse être consignée dans une cotisation, la décision du Ministre n’est pas en soi une cotisation parce qu’une cotisation est « le produit du processus de détermination de l’obligation fiscale du contribuable sous le régime de la LIR, et non le processus en soi » (par. 74).
[32]                        L’avis du Ministre au sujet du caractère opportun d’un redressement à la baisse aura certainement une « incidence directe » sur le revenu imposable de Dow et sur son obligation fiscale (par. 75). Mais le juge Webb a fait remarquer que « [c]’est [. . .] au ministre que le législateur a confié la responsabilité de déterminer si les circonstances justifient qu’un redressement à la baisse soit effectué » (ibid.). Il s’agit donc d’une « décision distincte » du Ministre qui empêche de réduire le revenu sauf s’il estime qu’un redressement à la baisse est justifié (ibid.). Comme le Parlement a délégué le pouvoir de formuler cet avis au Ministre, et non à la Cour de l’impôt, la validité de l’avis « est une question qui relève davantage d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, laquelle a le pouvoir d’annuler l’avis si elle le juge nécessaire » (par. 83).
[33]                        Le juge Webb a conclu que, « [p]uisque la Cour de l’impôt n’a pas le pouvoir d’annuler l’avis formulé en application du paragraphe 247(10) de la LIR, cet avis demeurera valide, à moins qu’il ne soit annulé par la Cour fédérale sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire » (par. 84). Ce n’est qu’une fois la décision annulée par la Cour fédérale que la Cour de l’impôt peut ordonner une nouvelle cotisation. Pour cette raison, le juge Webb a fait observer que « les mesures pouvant être accordées par ces deux cours pourraient être nécessaires pour que Dow obtienne ce qu’elle demande » (par. 91).
IV.         Questions en litige
[34]                        Dans le présent pourvoi, notre Cour doit répondre à la question de droit soumise à la Cour de l’impôt par les parties.
[35]                        Les parties s’entendent sur de nombreux aspects clés de la question de compétence, notamment le fait que la Cour fédérale et la Cour de l’impôt doivent leur existence à une loi. Elles conviennent que la contestation d’une décision du Ministre est du type qui relèverait habituellement de la compétence exclusive en première instance que confère à la Cour fédérale le par. 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales (m.a., par. 52; m.i., par. 30‑31). Elles partagent en outre l’avis que cette compétence exclusive serait écartée dans la mesure où l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales accorde expressément un droit d’interjeter appel de la décision à la Cour de l’impôt (m.a., par. 53; m.i., par. 39). Enfin, elles conviennent que la LIR prévoit explicitement un [traduction] « appel » à la Cour de l’impôt pour faire « annuler ou modifier » une cotisation fiscale (m.a., par. 42; m.i., par. 29).
[36]                        Le point de désaccord est de savoir si l’appel interjeté contre la cotisation à la Cour de l’impôt devrait aussi être considéré, par « implication nécessaire », comme s’entendant des appels d’autres décisions du Ministre, notamment des décisions rendues en application du par. 247(10), si bien que la compétence de la Cour fédérale à l’égard de la contestation de ce pouvoir discrétionnaire est écartée par l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales.
[37]                        Dow avance trois principaux arguments à l’appui de sa thèse voulant que l’appel d’une cotisation équivaille à un appel expressément prévu par la loi de la décision rendue par le Ministre en application du par. 247(10). Premièrement, elle soutient que la décision du Ministre est « inextricablement lié[e] » à une cotisation et qu’il est donc possible de la contester en tant qu’élément de la cotisation (m.a., par. 86 et 92). Deuxièmement, Dow affirme que la Cour de l’impôt, à titre de cour spécialisée en matière fiscale, est la seule instance à même de lui accorder la réparation convenable, et qu’elle le ferait au moyen de procédures souhaitables du point de vue de l’accès à la justice (par. 60, 75 et 80). Troisièmement, selon elle, l’évolution historique de la compétence d’appel de la Cour de l’impôt démontre que cette dernière peut entendre les appels de cotisations qui traduisent la décision discrétionnaire du Ministre (par. 126).
[38]                        La Couronne répond en présentant trois arguments généraux à l’appui de son opinion selon laquelle seule la Cour fédérale peut accorder réparation à l’égard de la décision discrétionnaire du Ministre rendue en application du par. 247(10).
[39]                        Premièrement, le pouvoir délégué par la loi au Ministre signale l’intention du Parlement que la décision rendue en application du par. 247(10) soit distincte de la cotisation d’impôt établie par le Ministre (m.i., par. 65). En qualité d’évaluateur fiscal, le Ministre n’a d’autre choix de se conformer strictement aux dispositions de la LIR. Il s’agit d’une tâche différente sur le plan qualitatif de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de mesurer le caractère opportun d’un redressement à la baisse dans les circonstances, en conformité avec le par. 247(10). L’avis formulé par le Ministre en application du par. 247(10) est guidé par des considérations de politique générale plutôt que par la question de savoir si la cotisation est bien fondée en fait et en droit. Deuxièmement, la compétence exclusive qu’a la Cour fédérale pour contrôler l’exercice des pouvoirs ministériels en application du par. 247(10) n’a pas été écartée par une disposition législative expresse, comme l’exige l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales (par. 40). Troisièmement, la nature de l’appel d’une « cotisation » au sens de la jurisprudence et les réparations limitées offertes en Cour de l’impôt confirment davantage l’intention du Parlement d’accorder à la Cour fédérale le pouvoir exclusif de contrôler judiciairement la décision discrétionnaire du Ministre (par. 40 et 45). La demande de Dow vise essentiellement à contester la décision discrétionnaire du Ministre, laquelle découle du pouvoir que la loi lui a délégué et doit être contrôlée en conformité avec les principes du droit administratif.
V.           Analyse
[40]                          Pour les motifs qui suivent, je refuserais de donner effet aux arguments de Dow, qui sont incompatibles avec le sens établi du mot « cotisation » en droit et la portée de la compétence accordée par la loi à la Cour de l’impôt. Les contestations des décisions discrétionnaires rendues en application du par. 247(10) doivent plutôt être instruites par la Cour fédérale, la seule cour compétente pour appliquer la bonne norme de contrôle et offrir l’éventail approprié de réparations en droit administratif.
A.           Une décision rendue en application du par. 247(10) se distingue d’une cotisation
[41]                        La prémisse centrale sur laquelle repose l’argument de Dow est que la décision discrétionnaire rendue par le Ministre en application du par. 247(10) est si inextricablement liée à une cotisation d’impôt — à supposer même qu’une cotisation soit établie à la suite de cette décision — qu’elle peut être contestée au moyen d’une procédure d’appel qui ne s’applique expressément qu’aux cotisations.
[42]                        En toute déférence, je ne suis pas d’accord pour dire que la décision discrétionnaire du Ministre fait partie de la cotisation. Le sens du mot « cotisation » est établi en droit, et l’avis formulé par le Ministre en application du par. 247(10) se distingue de ce concept sur le plan qualitatif. Cette interprétation établie que donne notre Cour au mot « cotisation » s’accorde avec le contexte interne de la loi, qui prévoit des voies d’appel distinctes à l’encontre des décisions ministérielles dans les cas où cela est souhaité, et rien dans la jurisprudence historique ne nous oblige à nous en écarter.
(1)         Le sens établi d’une cotisation suivant la Loi de l’impôt sur le revenu
[43]                        Une cotisation fiscale est, ainsi que le confirme la jurisprudence de notre Cour, une détermination purement non discrétionnaire par le Ministre de l’obligation fiscale d’un contribuable pour une année d’imposition donnée (Okalta Oils, p. 825‑826; voir aussi C. Campbell, Administration of Income Tax 2023 (2023), p. 405‑408 et 414; Anchor Pointe Energy, par. 33). Cette définition du mot « cotisation » est conforme à la LIR elle‑même (voir les par. 152(1) et 248(1)) et figure abondamment dans la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale. Notre Cour a confirmé ce sens de « cotisation » pas plus tard qu’en 2022 (voir Canada (Procureur général) c. Collins Family Trust, 2022 CSC 26, par. 25‑26). Le montant d’impôt dû — le résultat de la détermination de l’obligation fiscale d’un contribuable pour l’année d’imposition en question — « a sa source dans la Loi de l’impôt sur le revenu elle‑même » (Canada c. Wesbrook Management Ltd., 1996 CanLII 11881 (C.A.F.), p. 3). Le paragraphe 152(3) de la LIR dispose explicitement que l’obligation fiscale n’est pas touchée même si la cotisation est inexacte, incomplète ou n’a pas été établie du tout.
[44]                          Dans l’arrêt Okalta Oils, notre Cour n’a pas conclu que tout ce qui est [traduction] « li[é] en fin de compte à un montant réclamé » fait partie d’une cotisation (p. 826). Le juge Fauteux, plus tard juge en chef, a écrit au nom de la Cour qu’une cotisation est le montant d’impôt en cause, et non le processus qui a mené à la fixation de ce montant :
     [traduction] L’intimé prétend qu’interprété comme il se doit, le mot « cotisation » que l’on trouve aux alinéas 69a et 69b [de la LIGR] s’entend du montant d’impôt que le contribuable est appelé à payer suivant la décision du Ministre, et non de la méthode employée pour établir la cotisation fiscale; cela veut dire que, si aucun montant d’impôt n’est réclamé, il n’y a aucune cotisation au sens des alinéas, et il n’y a donc pas de droit d’appel de la décision du Ministre à la Commission d’appel de l’impôt sur le revenu.
     Dans l’arrêt Commissioners for General Purposes of Income Tax for City of London and Gibbs and Others, [[1942] A.C. 402 (H.L.),] le vicomte Simon, lord chancelier, a dit à la p. 406 en parlant du mot « cotisation » : —
     Le mot « cotisation » a plus d’un sens dans notre code de l’impôt sur le revenu. Parfois, « cotisation » s’entend du fait de fixer la somme considérée comme représentant le profit en vue de son assujettissement à l’impôt, mais dans un autre contexte, la « cotisation » peut signifier la somme d’impôt qu’est tenu de payer le contribuable sur ses profits.
     Le dernier sens donné au mot « cotisation » dans la Loi en vigueur avant la constitution de la Commission d’appel de l’impôt sur le revenu et l’adoption de la partie VIIIA — où se trouvent les dispositions susmentionnées — en remplacement de la partie VIII, ressort clairement du libellé du paragraphe 58(1) de la dernière partie : —
     58(1). Quiconque objecte au montant auquel il a été cotisé . . .
     Suivant ces dispositions, il n’y avait pas de cotisation s’il n’y avait pas d’impôt réclamé. Toute autre opposition que celle liée en fin de compte à un montant réclamé n’avait pas l’objet à l’origine du droit d’interjeter appel de la décision du Ministre à la Commission. [Je souligne; p. 825‑826.]
[45]                        Lors de la préparation d’une cotisation, le rôle du Ministre consiste tout simplement à déterminer ce que la loi oblige le contribuable à payer « en appliquant une formule fixe définie par la loi à son revenu imposable pour cette année, et que le montant du revenu imposable d’une personne est fonction des événements survenus avant la fin de cette année » (Addison & Leyen Ltd. c. Canada, 2006 CAF 107, [2006] 4 R.C.F. 532, par. 38, inf. pour d’autres motifs par 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793 (« Addison CSC »); voir aussi Anchor Pointe Energy, par. 33, cité par le juge Webb, par. 74). Autrement dit, il est entendu que l’impôt dû découle des règles établies dans la LIR par application de la loi (voir Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20, par. 31 (CanLII); Main Rehabilitation, par. 8 (CanLII)). Cela va dans le sens du jugement rendu par notre Cour dans Okalta Oils.
[46]                          En termes clairs, au moment de préparer une cotisation, le Ministre n’exerce aucun pouvoir discrétionnaire que ce soit. Comme l’a expliqué le juge Stratas, « [l]orsqu’il ressort des faits et de la loi qu’il doit y avoir assujettissement à l’impôt, le ministre doit établir une cotisation » (JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, par. 77; voir aussi Ludmer c. Canada, 1994 CanLII 3547 (CAF), [1995] 2 C.F. 3 (C.A.), p. 17). Comme l’a fait remarquer la professeure Annick Provencher, « il est possible d’utiliser le contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision discrétionnaire du ministre. Or, une telle discrétion n’existe généralement pas au moment d’établir une cotisation » (« Cinquante ans d’impôt à la Cour d’appel fédérale et à la Cour fédérale », dans M. Valois et autres, dir., Cour d’appel fédérale et Cour fédérale : 50 ans d’histoire (2021), 615, p. 624). En effet, notre Cour a confirmé que la préparation par le Ministre d’une cotisation ne constitue pas l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire parce que « les contribuables devraient être assurés que le ministre applique et exécute les mêmes règles de droit fiscal de la même façon pour tout le monde » (Collins Family Trust, par. 25). Bien que la LIR habilite le Ministre à exercer son pouvoir discrétionnaire dans certains cas, notamment pour décider d’effectuer ou non un redressement à la baisse du prix de transfert en application du par. 247(10), ces décisions discrétionnaires ne sont pas des cotisations ni ne font partie de cotisations. Quand le Ministre prend des décisions discrétionnaires, il donne son avis, guidé en cela par des considérations de politique générale. C’est une tâche qui diffère fondamentalement de l’acte non discrétionnaire de préparer une cotisation. Par conséquent, le tribunal qui révise l’avis du Ministre traduisant ces considérations de politique générale devrait le faire en fonction de la norme du caractère raisonnable de la décision plutôt que selon la norme du bien‑fondé de novo prévue par la loi qui s’applique aux cotisations.
[47]                        La compétence accordée à la Cour de l’impôt par l’art. 169 de la LIR se borne donc à contrôler le bien-fondé des cotisations, ce qu’elle fait, comme je l’expliquerai, par un processus de révision de novo établi par la loi. Puisque les cotisations sont des actes non discrétionnaires du Ministre, « [i]l est [. . .] acquis d’affirmer que [la Cour de l’impôt] n’est pas une cour d’equity ayant compétence pour examiner les décisions discrétionnaires du ministre » (Fazal c. La Reine, 2020 CCI 137, par. 30 (CanLII); voir aussi Azzopardi c. Le Roi, 2023 TCC 51 (CanLII), 2023 CCI 51, [2023] 4 C.T.C. 2049, par. 33; Callahan c. Le Roi, 2023 CCI 172, par. 27 (CanLII)). La question qui se pose dans l’appel d’une cotisation à la Cour de l’impôt porte non pas sur la conduite du Ministre dans la préparation de la cotisation, mais sur le bien‑fondé de la détermination par le Ministre du montant d’impôt dû, par l’application des règles établies dans la LIR aux faits qu’elle constate.
[48]                        La compétence de la Cour de l’impôt sur le bien-fondé des cotisations s’étend à des questions comme la validité des cotisations et l’admissibilité de la preuve à l’appui de celles‑ci. Bien que le pouvoir de la Cour de l’impôt se borne à contrôler le bien‑fondé du produit des cotisations, il est possible de « remédier » à certains vices procéduraux — ceux qui donnent lieu uniquement à une cotisation inexacte — parce que la Cour de l’impôt effectuera une révision de novo de la cotisation. Cela a mené le juge Stratas à faire remarquer que « [d]ans la mesure où le ministre a ignoré un élément de preuve, en a fait abstraction, l’a écarté ou l’a mal interprété, un appel interjeté sous le régime de la procédure générale de la Cour canadienne de l’impôt est un recours approprié et curatif » (JP Morgan, par. 82). Mais il a rappelé qu’« [e]n appel, la Cour canadienne de l’impôt n’a pas compétence pour annuler une cotisation établie sur la base d’une conduite fautive du ministre, tel un abus de pouvoir ou un manquement à l’équité, ayant donné lieu à la cotisation »; par conséquent, en pareil cas, « l’exclusion du recours en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale prévue à l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales ne joue pas » (par. 83). L’opinion du juge Stratas trouve écho au par. 8 des motifs énoncés par notre Cour dans Addison CSC :
      Personne ne conteste que le ministre fasse partie de la catégorie de personnes et d’entités visée par l’exercice de la compétence de la Cour fédérale prévue à l’art. 18.5. Le recours au contrôle judiciaire demeure possible dans la mesure où la question n’est pas autrement susceptible d’appel. Il reste également possible en cas d’abus de pouvoir, notamment de délais abusifs. On peut élaborer des réparations adaptées aux faits pour corriger les injustices ou problèmes soulevés dans une affaire donnée. [Je souligne.]
[49]                        Dans Iris Technologies Inc. c. Canada (Procureur général), 2024 CSC 24, une affaire plaidée devant notre Cour le même jour que le présent pourvoi, la Cour d’appel fédérale a expliqué de manière utile que la Cour de l’impôt n’a pas compétence lorsque le but véritable d’une demande de contrôle judiciaire est de « solliciter une mesure de réparation concrète à l’encontre de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire » par le Ministre (Canada (Procureur général) c. Iris Technologies Inc., 2022 CAF 101, [2022] 1 R.C.F. 401, par. 13). Par conséquent, la Cour d’appel fédérale a jugé dans Iris qu’en ce qui concerne l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel, la règle législative écartant la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire en faveur de la Cour de l’impôt ne s’applique pas. Cela explique, comme l’a fait remarquer le juge Rennie, pourquoi le résultat de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale en l’espèce était favorable à la compétence de la Cour fédérale lorsque la décision ministérielle discrétionnaire en application du par. 247(10) de la LIR était au cœur du débat sur la compétence (ibid.).
[50]                        Contrairement aux décisions non discrétionnaires qui forment une cotisation, le par. 247(10) habilite le Ministre à jouer un rôle fondamentalement différent, qui ne l’oblige pas à appliquer les faits et le droit exactement de la même manière à l’endroit de chaque contribuable. Sa décision repose sur des considérations de politique générale plutôt que sur l’application stricte du droit aux faits. La nature de sa prise de décision discrétionnaire diffère ainsi fondamentalement de l’opération consistant à établir l’obligation fiscale.
[51]                        Aux termes du par. 247(10), certains redressements du prix de transfert ne doivent être effectués que si « le ministre estime que les circonstances le justifient ». Il ressort clairement du paragraphe que l’avis du Ministre est une condition qui peut être pertinente pour le calcul du redressement du prix de transfert et influer sur l’obligation fiscale. En fait, le par. 247(10) a été décrit comme [traduction] « une étrange règle législative » qui « a pour effet d’augmenter ou de réduire le revenu » à « la discrétion du gouvernement », c’est‑à‑dire l’avis du Ministre sur le bien‑fondé du redressement (N. Boidman, « Recent Developments in Canadian Transfer Pricing » (2003), 55 Tax Exec. 208, p. 210; voir aussi M. Przysuski, « Transfer Pricing Legislation in Canada » (2005), 7:3 Corp. Bus. Tax’n Monthly 23, p. 26; F. Vincent et I. M. Freedman, « Transfer Pricing in Canada : The Arm’s‑Length Principle and the New Rules » (1997), 45 Rev. fisc. can. 1213, p. 1234).
[52]                        Il faut saisir le par. 247(10) conjointement avec la règle non discrétionnaire prévue au par. 247(2) de la LIR. Lorsque les conditions du par. 247(2) sont réunies, le Ministre doit apporter un redressement à la hausse du revenu du contribuable pour tenir compte [traduction] « “. . . des montants qui auraient été déterminés si” les parties à l’opération n’avaient pas eu entre elles de lien de dépendance » (F. Vincent et M. Ranger, Transfer Pricing in Canada (2018), p. 320). Ces redressements à la hausse [traduction] « ne sont pas discrétionnaires » (ibid.). Par contraste, le par. 247(10) permet au Ministre, à sa discrétion, de décider si les circonstances justifient un redressement à la baisse, ce qui constitue [traduction] « une exception au caractère obligatoire du par. 247(2) » (ibid.). Le Ministre peut rendre sa décision en application du par. 247(10) avant ou après qu’une cotisation soit établie. En outre, il peut décider de ne pas exercer du tout son pouvoir discrétionnaire en application du par. 247(10). Si le Ministre refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire, « le contribuable ne dispose pratiquement d’aucun recours, sauf l’obtention d’un bref de mandamus » en Cour fédérale (p. 326).
[53]                        On ne saurait affirmer que le Ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire en application du par. 247(10) pour que l’obligation fiscale soit correctement calculée sous le régime de la LIR. La règle générale non discrétionnaire, que la Couronne décrit avec justesse comme étant la [traduction] « position par défaut », veut qu’un redressement à la baisse du prix de transfert, suivant le texte du par. 247(10), « ne peut être effectué aux termes du paragraphe (2) » (m.i., par. 112). Interprétés correctement, les mots « ne peut être » (« shall not » en anglais) doivent être considérés comme prohibitifs. La Cour d’appel a eu raison d’affirmer que, si le par. 247(2) emportait redressement à la baisse du prix de transfert, la règle générale prévue au par. 247(10) dispose que le redressement ne doit pas être effectué (par. 24). La règle d’interdiction générale n’est écartée, et le redressement à la baisse du prix de transfert effectué, que si le Ministre a estimé que le redressement est justifié (par. 247(10) LIR). Si le Ministre n’a pas exercé le pouvoir discrétionnaire que lui accorde le par. 247(10), il n’estime pas qu’un redressement est justifié, et la règle générale s’applique donc. Si on a demandé au Ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire et qu’il a conclu que le redressement n’est pas justifié, la règle générale s’applique toujours. À mon avis, ce serait une erreur que de faire abstraction de la règle par défaut claire prévue au par. 247(10) suivant laquelle il faut calculer l’obligation fiscale sans effectuer de redressement à la baisse du prix de transfert. Le paragraphe 247(10) interdit les redressements à la baisse, sous réserve du pouvoir discrétionnaire du Ministre. Conformément au dessein du Parlement, [traduction] « [l]es contribuables n’ont pas droit à un redressement à la baisse » (m.i., par. 107). Ce n’est que lorsque le Ministre estime que le redressement est justifié que la règle par défaut prévue par la loi cesse de s’appliquer. Soit dit en tout respect, la juge de la Cour de l’impôt a donc fait erreur en affirmant que le pouvoir discrétionnaire prévu au par. 247(10) en est un qui devait être exercé afin de bien calculer l’obligation fiscale (par. 182, 196 et 199). Cette interprétation ne tient pas compte de la règle par défaut instaurée par le Parlement et impose au Ministre le nouveau fardeau d’examiner pleinement le bien‑fondé de redressements à la baisse même si le contribuable ne l’a pas demandé.
[54]                        Il est particulièrement important de reconnaître cette erreur d’interprétation parce que, selon la juge de la Cour de l’impôt, « [m]ême si la LIR comporte très peu de dispositions qui confèrent au ministre un pouvoir discrétionnaire ayant une incidence sur le montant du revenu ou du revenu imposable du contribuable, le paragraphe 247(10) n’est pas la seule disposition de cette nature » (par. 192). La juge de la Cour de l’impôt a cité à titre d’exemples le par. 91(2), l’al. 111(1.1)c) et le par. 125(7) de la LIR, mais n’a pas proposé de liste exhaustive car, à ses dires, seul le par. 247(10) était en cause (par. 196). Elle aurait laissé en suspens d’autres questions de compétence à propos de ces exercices semblables du pouvoir discrétionnaire (par. 195‑196). Si notre Cour devait faire sienne la description erronée donnée par la juge de la Cour de l’impôt au par. 247(10), cela serait imprudent et donnerait vraisemblablement lieu à des litiges sur des dispositions de ce genre, qu’elles figurent dans la LIR ou une autre loi fiscale.
[55]                        Dans cette optique, selon le par. 247(10), il appartient au Ministre d’« estime[r] » (en anglais, « to come to the opinion ») que les circonstances justifient un redressement eu égard aux considérations de politique générale qu’il juge appropriées (voir, de façon générale, Vincent et Ranger, p. 321‑322). La question soumise à la Cour de l’impôt démontre elle-même que Dow comprend le caractère discrétionnaire de la décision. La question est rédigée ainsi : « La décision que rend le ministre du Revenu national lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 247(10). . . » (je souligne). Ces termes contrastent avec la règle non discrétionnaire sur les redressements du prix de transfert prévue au par. 247(2) qui s’applique en l’absence d’un pouvoir discrétionnaire ministériel. Je conviens avec la Couronne que le par. 247(10) délègue un pouvoir décisionnel qui permet au Ministre de se forger une opinion eu égard à des [traduction] « considérations de politique générale, y compris des considérations d’équité » (m.i., par. 61). La Couronne a aussi expliqué que les circonstances pertinentes auxquelles fait allusion le par. 247(10) comprennent des considérations de politique générale tel que le risque de double imposition internationale, ou de double non‑imposition résultant du traitement fiscal dans un pays étranger (par. 118; voir aussi Vincent et Ranger, p. 16).
[56]                        Je signale en passant que l’interprétation du par. 247(10) avancée par la Couronne est compatible avec la directive produite par l’Agence du revenu du Canada après que la Cour d’appel eut rendu son jugement en l’espèce (PTM‑03R : Redressements à la baisse de prix de transfert, 21 juin 2022 (en ligne)). Le paragraphe 247(10) y est décrit comme imposant « une restriction quant au redressement à la baisse d[u] prix de transfert », qui rend le redressement conditionnel à l’avis favorable du Ministre (par. 7). Les redressements à la baisse du prix de transfert « n’ont lieu que dans des circonstances limitées » et « ne doivent pas servir de moyen pour les contribuables de mettre en œuvre des stratégies de planification fiscale rétroactive » (par. 29‑30). Cette directive met davantage en lumière le fait que la décision du Ministre est exceptionnelle, discrétionnaire et fondée sur des considérations générales de politique fiscale (par. 9). La contestation de cette décision politique devrait se faire séparément de l’appel de la cotisation non discrétionnaire.
[57]                        Je rejette, avec égards, l’argument de Dow qui s’écarte de la jurisprudence établie de notre Cour en étendant la définition de « cotisation » aux décisions discrétionnaires qui, prétend‑t‑elle, sont directement touchées par les cotisations ou inextricablement liées à celles‑ci. Avec égards, d’après la théorie de Dow, le sens de « cotisation » s’étendrait bien au‑delà des décisions discrétionnaires du Ministre. Par exemple, on peut aussi affirmer que les contestations de la conduite du Ministre plutôt que du produit de la cotisation en soi sont inextricablement liées aux cotisations, car l’inconduite reprochée au Ministre peut influer sur l’issue de la cotisation. Mais la jurisprudence établit que la conduite du Ministre n’est pas en cause dans le cas d’une cotisation et que le contribuable ne peut s’opposer au processus sous‑jacent ou aux motifs de l’établissement d’une cotisation devant la Cour de l’impôt (voir Okalta Oils; Canada c. Consumers’ Gas Co., 1986 CanLII 6796 (CAF), [1987] 2 C.F. 60 (C.A.); Main Rehabilitation, par. 6‑8; Canada c. Roitman, 2006 CAF 266, par. 21 (CanLII); Ereiser; Johnson c. Canada, 2015 CAF 52, par. 4 (CanLII); 9162‑4676 Québec Inc. c. Canada, 2016 CAF 112, 2016 DTC 5052, par. 2). En Cour de l’impôt, si le résultat final de la cotisation est exact, la cotisation est confirmée même si le processus qui a mené à celle‑ci était vicié ou abusif (voir Canada (Procureur général) c. Webster, 2003 CAF 388, par. 21 (CanLII); Ghazi c. Canada (Revenu national), 2019 CF 860, par. 30 (CanLII); Newave Consulting Inc. c. Canada (Revenu national), 2021 CF 1203, par. 139 (CanLII); Chad c. Canada (Revenu national), 2023 CF 1481, par. 28 (CanLII)). Pour citer encore une fois la professeure Provencher, la Cour de l’impôt « n’a pas le pouvoir d’annuler les cotisations sur la base de la conduite fautive du ministre » (p. 625). La révision d’une conduite de ce genre de la part de l’exécutif se fait par voie de contrôle judiciaire en Cour fédérale.
[58]                        L’avis du Ministre peut fort bien s’avérer une considération pertinente à prendre en compte pour calculer correctement l’obligation fiscale sous le régime de la LIR. Pour évaluer correctement l’obligation fiscale, le Ministre doit prendre en compte l’opinion qu’il s’est forgée en application du par. 247(10), car cela a une incidence sur le calcul du redressement du prix de transfert effectué par application de la loi. Il est donc vrai que, si la décision du Ministre est suivie d’une cotisation, celle‑ci reflétera la décision du Ministre. Cela ne permet toutefois pas de conclure que la décision du Ministre est en soi une cotisation ou qu’elle fait partie d’une cotisation. Le nouveau critère — « touchant directement » ou « inextricablement liée » — proposé par Dow pour redéfinir une cotisation en droit a une portée excessive et néglige le fondement rationnel sur lequel la jurisprudence a utilisé la définition pour fixer les contours juridictionnels d’un appel devant la Cour de l’impôt.
[59]                        À mon avis, l’argument dit « inextricablement lié » perd beaucoup de sa force persuasive lorsqu’on songe à ce qui arrive à la cotisation du contribuable s’il est conclu qu’une décision discrétionnaire rendue en application du par. 247(10) l’a été de manière irrégulière. Quand cette décision est annulée, il ne s’ensuit pas automatiquement que l’obligation fiscale est mauvaise et que la cotisation est inexacte, car le Ministre peut rendre la même décision après nouvel examen. À l’inverse, chaque fois qu’on juge qu’une décision non discrétionnaire a été rendue à tort, le Ministre n’a d’autre choix que de rendre la bonne décision; il ne peut rendre la même décision que celle qui a été jugée incorrecte par la Cour de l’impôt. Lorsque la rectification implique un changement de l’obligation fiscale, il s’ensuit alors automatiquement que la cotisation est inexacte. Autrement dit, dès qu’on juge qu’une décision non discrétionnaire a été rendue à tort, il est possible de savoir si la cotisation demeure exacte ou non. On ne peut pas en dire autant lorsqu’on juge qu’une décision discrétionnaire a été rendue à tort. Je conclus que, bien que les décisions discrétionnaires rendues en application du par. 247(10) puissent fort bien « toucher directement » le résultat de la cotisation, elles ne peuvent être considérées comme étant « inextricablement liées » à celui‑ci de la même manière que les décisions non discrétionnaires.
[60]                        Il faut se garder de confondre le fait qu’est l’avis du Ministre et son fondement. Ma conclusion ne signifie pas qu’en effectuant la cotisation, le Ministre doit examiner attentivement le fondement de l’avis visé au par. 247(10). C’est la simple existence de l’avis du Ministre qui importe pour « [l]e produit [du] montant de la dette fiscale » (Anchor Pointe Energy, par. 33). Donc, comme l’a écrit le président Thorson, [traduction] « [i]l faut établir une nette distinction entre la décision du Ministre et la cotisation; elles diffèrent l’une de l’autre » (Nicholson Ltd. c. Minister of National Revenue, 1945 CanLII 328 (CA EXC), [1945] R.C. de l’É. 191, p. 202). Je conviens avec la Couronne qu’étant donné le régime législatif, c’est uniquement le résultat de l’exercice par le Ministre de son pouvoir discrétionnaire qui peut être un fait pertinent pour le bien-fondé de la cotisation en l’espèce, et non le bien‑fondé de ce résultat (m.i., par. 104‑105). Les faits qui sous‑tendent l’exercice par le Ministre de son pouvoir discrétionnaire sont étrangers au bien-fondé de la cotisation (par. 104). Cela dit avec le plus grand respect, je ne partage pas l’avis de la juge de la Cour de l’impôt suivant lequel un exercice inapproprié de ce pouvoir discrétionnaire ou l’omission de l’exercer rend la cotisation inexacte (motifs de la C.C.I., par. 213). Cela est incompatible avec le régime légal qui prescrit au par. 247(10) que la règle législative par défaut — c.‑à‑d. pas de redressement à la baisse du prix de transfert — s’applique sauf si le Ministre estime qu’un redressement est justifié. Que l’avis du Ministre tienne compte ou non des considérations de politique générale adéquates, cela n’est pas un fait pertinent qui joue sur la cotisation de quelque manière que ce soit.
[61]                        En effet, lorsque le Ministre prend une décision discrétionnaire en application du par. 247(10), il n’établit pas toujours une cotisation pour refléter sa décision, comme l’a reconnu volontiers Dow à l’audience (transcription, p. 15 et 24‑25). Cela arrive quand, de l’avis du Ministre, il n’est pas opportun d’ajuster le revenu du contribuable, car il n’y a alors pas de dérogation à la règle par défaut voulant que le redressement ne soit pas effectué. De plus, les décisions rendues en application du par. 247(10) peuvent l’être après l’établissement d’une cotisation, par exemple lorsqu’un contribuable demande un redressement à la baisse.
[62]                        Dans cette perspective, et soit dit en tout respect, la juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur de droit en déclarant que « la décision visée au paragraphe 247(10) [. . .] doit être rendue, et ce, avant qu’une cotisation exacte puisse être établie » (par. 191 (soulignement omis)). En effet, le Ministre exerce souvent son pouvoir discrétionnaire en application du par. 247(10) après l’établissement d’une cotisation initiale. Ainsi que le montrent les faits de l’espèce, les contribuables demandent souvent des redressements à la baisse après avoir fait l’objet d’une cotisation (voir l’exposé conjoint des faits, par. 17, reproduit au d.a., p. 170) Si un contribuable demande au Ministre de faire un redressement à la baisse après l’établissement d’une cotisation — comme cela a été fait en l’espèce — on ne saurait prétendre que la cotisation initiale est inexacte parce que le Ministre a refusé d’effectuer un redressement à la baisse sollicité par la suite. Dans les cas où, comme en l’espèce, le contribuable demande un redressement à la baisse en vertu du par. 247(10) et la Ministre le refuse, [traduction] « on suppose que la Ministre enverra une lettre refusant la demande de redressement à la baisse mais ne délivrera pas d’avis de cotisation » (Sandler et Watzinger, p. 285).
[63]                        Aucune des parties n’a demandé à notre Cour de modifier le droit du prix de transfert en statuant que le Ministre doit toujours exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du par. 247(10) avant que des cotisations soient établies, ou que la décision du Ministre doit être consignée dans une cotisation même si le Ministre refuse la demande de redressement à la baisse présentée par le contribuable. Au contraire, les deux parties ont convenu à l’audience que le Ministre peut rendre sa décision après l’établissement d’une cotisation, et que, s’il refuse la demande du contribuable en vue d’obtenir un redressement à la baisse, souvent aucune cotisation ne sera établie pour l’indiquer (voir la transcription, p. 23 et 56‑57). Dow a reconnu à juste titre que la seule avenue à emprunter pour contester la décision lorsqu’aucune cotisation n’est établie est une demande de contrôle judiciaire en Cour fédérale, ce qui sape l’argument du guichet unique juridictionnel (p. 15 et 24‑25).
[64]                        La cotisation du Ministre et la décision qu’il rend en application du par. 247(10) témoignent de deux fonctions différentes attribuées par la loi qui se distinguent sur les plans qualitatif et pratique. La thèse de Dow perturberait le sens établi d’une cotisation afin d’étendre la compétence de la Cour de l’impôt bien au‑delà de ce qui lui a été conféré par la loi. Si le Parlement avait voulu que le Ministre établisse une nouvelle cotisation dans tous les cas où le pouvoir discrétionnaire conféré par le par. 247(10) était exercé, même dans le contexte d’un refus d’un redressement à la baisse, il l’aurait prévu dans la LIR. Dans la mesure où il conviendrait de modifier la nature de la décision visée au par. 247(10) ou de l’assimiler autrement à la cotisation, cela nécessiterait une modification législative.
(2)         On ne peut élargir la compétence de la Cour de l’impôt « par implication nécessaire »
[65]                        Dow suggère que le pouvoir de la Cour de l’impôt d’entendre les appels de cotisation peut viser les décisions rendues par le Ministre en application de dispositions comme le par. 247(10) [traduction] « par implication nécessaire » (m.a., par. 107). Avec égards, cela ne s’accorde pas avec les voies d’appel à la Cour de l’impôt distinctes de celles expressément prévues dans la LIR pour d’autres décisions du Ministre.
[66]                        Lorsque le Parlement a prévu un recours à l’encontre d’une décision ministérielle à la Cour de l’impôt, il ne s’est pas fondé sur un lien implicite avec la cotisation, créant plutôt un droit exprès d’interjeter appel de cette décision. Les voies d’appel expresses ne seraient pas nécessaires s’il était possible de faire appel de ces décisions à la Cour de l’impôt dans le cadre de la cotisation.
[67]                        Par exemple, si le Ministre refuse d’accorder à un contribuable une prorogation du délai pour déposer un avis d’opposition, « le contribuable peut déposer une autre demande de prorogation devant la Cour canadienne de l’impôt en vertu du paragraphe 166.2(1) de la [LIR] » (Canada (Ministre du revenu national) c. ConocoPhillips Canada Resources Corp., 2017 CAF 243, par. 44 (CanLII)). Le Parlement a fourni à la Cour de l’impôt un ensemble spécial de réparations pour résoudre ces contestations (par. 166.2(4)). Il ne s’est pas appuyé sur l’appel de la cotisation à laquelle se rapporte l’opposition pour établir le pouvoir de contester le refus du Ministre.
[68]                        Les décisions touchant l’obligation fiscale font également l’objet de voies d’appel explicites en Cour de l’impôt dans les cas qui s’y prêtent. Par exemple, la LIR confère au ministre fédéral de l’Environnement le pouvoir de fixer la juste valeur marchande de dons écologiques (par. 118.1(10.2) à (10.5)). Cette juste valeur marchande pourrait influer sur une cotisation d’impôt de par son incidence sur les avantages fiscaux correspondants. Les contestations de la décision du Ministre se font par une voie d’appel distincte à la Cour de l’impôt, et ce, directement à l’encontre de la fixation de la juste valeur marchande (par. 169(1.1); voir Lubetsky (2022), p. 66‑67). La Cour de l’impôt est investie de pouvoirs taillés sur mesure pour trancher ces appels (par. 171(1.1)). Autrement dit, lorsque le Parlement cherche à écarter la compétence de la Cour fédérale comme le permet l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, il l’a fait, ainsi que le commande cette disposition, par voie de règle « expresse » dans la LIR, et non par « implication nécessaire ».
[69]                        De plus, la LIR accorde au Ministre le pouvoir de déterminer les pertes d’un contribuable dans des circonstances prescrites, lesquelles peuvent lier à la fois le Ministre et le contribuable afin de calculer l’impôt dans n’importe quelle année d’imposition (par. 152(1.1) et (1.3); voir Canada c. Interior Savings Credit Union, 2007 CAF 151, par. 20 (CanLII)). Le Parlement prévoit un moyen de contester cette décision directement à la Cour de l’impôt, sur la base d’une disposition législative explicite et distincte d’une contestation de la cotisation (par. 152(1.2) et (1.3); m.i., par. 43). La Cour de l’impôt a jugé que contester la décision des années plus tard par le truchement de l’appel de la cotisation constitue une attaque indirecte prohibée contre la décision du Ministre (M. H. Lubetsky, « Income Tax Disputes Involving Loss Years : Pitfalls, Foibles, and Possible Reforms » (2019), 67 Rev. fisc. can. 499, p. 516‑517).
[70]                        Ce contexte législatif révèle que les décisions ministérielles sont considérées comme distinctes de la cotisation d’impôt même dans les cas où elles peuvent avoir une incidence directe sur celle‑ci. Si le Parlement souhaite que la Cour de l’impôt ait compétence pour contrôler une décision du Ministre susceptible d’influer sur l’obligation imposée par la LIR, il le dit explicitement et donne à la Cour de l’impôt la faculté d’accorder une gamme adéquate de réparations. Conclure que la Cour de l’impôt pourrait avoir implicitement compétence sur la décision rendue par le Ministre en application du par. 247(10) dans le cadre de l’appel d’une cotisation serait incompatible avec cette méthode établie.
(3)         La compétence historique de la Cour de l’Échiquier du Canada n’étaye pas la position de Dow
[71]                        Enfin, je ne partage pas l’avis de Dow que la compétence de l’ancienne Cour de l’Échiquier du Canada permet d’affirmer que les décisions rendues par le Ministre en application du par. 247(10) de la LIR font partie d’une cotisation.
[72]                        Certes, la Cour de l’Échiquier avait compétence à l’égard de l’exercice par le Ministre du pouvoir discrétionnaire que lui conférait l’ancienne LIGR. Dow a raison d’affirmer que [traduction] « la Cour de l’Échiquier [a] exercé [sa] compétence d’appel dans des appels de cotisations qui mettaient en cause l’exercice par le Ministre de son pouvoir discrétionnaire » (m.a., par. 122) avant que le Parlement constitue la Cour fédérale et la Cour de l’impôt modernes. Il est en outre vrai, comme le fait remarquer Dow, que la Cour de l’Échiquier pouvait accorder des réparations semblables à celles octroyées par la Cour de l’impôt moderne en matière fiscale (au par. 125), plus précisément le pouvoir de statuer sur les appels de cotisations en annulant ou en modifiant celles‑ci, ou en renvoyant la cotisation au Ministre pour examen plus poussé et nouvelle cotisation (voir Lubetsky (2022), p. 114).
[73]                          Fait important, toutefois, outre ce pouvoir, la Cour de l’Échiquier disposait d’autres sources générales de compétence au titre de la LIGR qui étayaient son contrôle du pouvoir discrétionnaire ministériel. Comme le souligne Dow, l’art. 66 de l’ancienne LIGR conférait à la Cour de l’Échiquier « juridiction exclusive pour entendre et juger toutes questions qui peuvent surgir relativement à une cotisation faite sous le régime de la présente loi, et lorsqu’elle rend son jugement, elle peut décerner, concernant le paiement de tout impôt, intérêt ou amende, [. . .] l’ordonnance qu’elle trouve juste et convenable » (voir le m.a., par. 119 (je souligne)). Je conviens avec la Couronne que cette compétence accordée à l’ancienne Cour de l’Échiquier est plus vaste que celle conférée à l’actuelle Cour de l’impôt pour ce qui est de la cotisation.
[74]                          La Cour de l’Échiquier pouvait également accorder des réparations de droit administratif, contrairement à la Cour de l’impôt moderne (voir, p. ex., Pure Spring Co. c. Minister of National Revenue, 1946 CanLII 290 (CA EXC), [1946] R.C. de l’É. 471, p. 487). La compétence de la Cour de l’Échiquier sur [traduction] « le pouvoir discrétionnaire du ministre mettait en jeu ce qu’on appelle couramment de nos jours les règles de “justice naturelle” » (C. Campbell et R. Raizenne, A History of Canadian Income Tax, vol. 1, The Income War Tax Act, 1917-1948 (2022), p. 403). Il n’est donc pas étonnant que, dans les décisions historiques sur lesquelles s’appuie Dow, la compétence de la Cour de l’Échiquier n’a pas été contestée.
[75]                          En outre, comme le souligne la Couronne, les décisions de la Cour de l’Échiquier sur lesquelles se fonde Dow ne traitaient pas du pouvoir partagé par la loi entre deux cours. Les décisions formulent plutôt des principes à l’aide desquels les cours contrôlent le pouvoir discrétionnaire ministériel. Je conviens avec la Couronne que ces principes ont depuis évolué considérablement. Voilà une autre raison de faire preuve de prudence avant d’appliquer leur raisonnement à la compétence de la Cour de l’impôt moderne.
[76]                          Au moment de décider si les principes historiques élaborés dans le contexte de la Cour de l’Échiquier s’appliquent à la Cour de l’impôt, les parallèles tracés entre leurs pouvoirs de réparation doivent être situés dans leur contexte global. Même si elle disposait de pouvoirs liés aux cotisations qui s’apparentaient à ceux de la Cour de l’impôt d’aujourd’hui, la Cour de l’Échiquier a exercé ces pouvoirs dans le cadre d’une compétence plus large qui lui conférait la faculté de contrôler le pouvoir discrétionnaire ministériel. Je reconnais que ces décisions de la Cour de l’Échiquier ont plus tard été appliquées par la Commission d’appel de l’impôt sur le revenu au cours de ses premières années pour assurer une transition (Lubetsky (2022), p. 79 et 114), mais cela ne change rien au fait qu’elles ont été développées dans le contexte unique de l’ancienne Cour de l’Échiquier. À mon humble avis, cela ne permet pas d’appliquer ces principes à la Cour de l’impôt, constituée des décennies plus tard.
[77]                        Je suis d’accord pour dire que la compétence historique de la Cour de l’Échiquier a peu de pertinence pour la question en litige, car « [l]a question en litige dans le présent appel porte sur la compétence de la Cour de l’impôt et de la Cour fédérale, et non sur celle de la Cour de l’Échiquier à l’égard d’appels interjetés sous le régime de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu » (motifs de la C.A., par. 50). Compte tenu des différences entre la compétence de la Cour de l’Échiquier et celle de la Cour de l’impôt moderne, la Couronne a raison de dire que [traduction] « [c]’est aller trop loin que d’appliquer [la jurisprudence historique] à la Cour de l’impôt sous le régime de la loi contemporaine » (m.i., par. 97).
B.            Accepter l’invitation de Dow à s’écarter du sens établi de « cotisation » créerait une grande incertitude sur le plan juridique
[78]                          À mon avis, la théorie de Dow relative à la compétence peut avoir des conséquences qui vont au‑delà de la question en litige. En particulier, elle ébranlerait la jurisprudence de notre Cour sur la norme de contrôle établie dans Vavilov. Elle entraînerait en outre une incertitude plus générale quant à la compétence de la Cour fédérale.
(1)         Accepter la théorie de Dow créerait de l’incertitude dans le droit applicable à la norme de contrôle
[79]                        Comme je l’ai déjà mentionné, lorsqu’un contribuable conteste une cotisation en vertu de l’art. 169 de la LIR, la Cour de l’impôt procède à une révision de novo de cette cotisation. La Cour de l’impôt ne s’en tient pas au dossier dont dispose le Ministre lorsqu’il décide du bien‑fondé de la cotisation et ne se demande pas si la cotisation du Ministre était raisonnable (voir, de façon générale, D. Jacyk, « The Dividing Line Between the Jurisdictions of the Tax Court of Canada and Other Superior Courts » (2008), 56 Rev. fisc. can. 661, p. 667, citant Johnston c. Minister of National Revenue, 1948 CanLII 1 (SCC), [1948] R.C.S. 486, p. 489, et Canada (Procureur général) c. Buchanan, 2002 CAF 231, par. 18 (CanLII), le juge Rothstein). Contrairement aux appels prévus par la loi contre des mesures administratives dans le cadre desquels les cours de justice appliquent les normes de contrôle en appel, ainsi qu’aux instances en contrôle judiciaire où elles sont présumées appliquer la norme de la décision raisonnable, un appel à la Cour de l’impôt donne lieu à une [traduction] « révision de novo dépourvue de déférence » (Lubetsky (2022), p. 65). La Cour de l’impôt contrôle le bien-fondé des cotisations au moyen de [traduction] « procès lors duquel les deux parties produisent des éléments de preuve sur des questions de fait et présentent des arguments sur des questions de droit » (J. Li, J. Magee et J. S. Wilkie, Principles of Canadian Income Tax Law (10e éd. 2022), p. 483; voir aussi Campbell c. Minister of National Revenue, 1952 CanLII 49 (SCC), [1953] 1 R.C.S. 3, p. 4; JP Morgan, par. 82; A. Provencher et P. Dupuis, Aspects juridiques de la fiscalité canadienne des particuliers (5e éd. 2023), p. 180‑181).
[80]                        Si une décision discrétionnaire visée au par. 247(10) faisait partie d’une cotisation, elle serait de ce fait révisée de novo par la Cour de l’impôt au même titre que n’importe quel autre élément de cette même cotisation. Cependant, en l’absence de directive législative, il ne conviendrait pas que la Cour de l’impôt révise la décision du Ministre de novo. Comme l’a souligné notre Cour dans Vavilov, c’est « le fait même que le législateur choisit de déléguer le pouvoir décisionnel qui justifie l’application par défaut de la norme de la décision raisonnable » (par. 30 (en italique dans l’original)). Dow semble le reconnaître en soutenant qu’au lieu de réviser de novo une décision discrétionnaire rendue en application du par. 247(10), la Cour de l’impôt devrait contrôler ces décisions en fonction de la norme de la décision raisonnable conformément à l’arrêt Vavilov (m.a., par. 74) en faisant preuve de [traduction] « plus ou moins de déférence que la norme de contrôle qu’appliquerait la Cour fédérale dans les mêmes circonstances » (transcription, p. 15). Dow insiste pour dire que [traduction] « l’on appelle cela un contrôle judiciaire lorsque la Cour fédérale en est saisie, mais [que la] Cour de l’impôt peut appliquer le même genre de norme » (ibid.). Dow demande en fait à notre Cour d’accorder à la Cour de l’impôt compétence en matière de contrôle judiciaire. En toute déférence, comme le Parlement n’a pas créé d’exception à la règle selon laquelle les cotisations font l’objet d’une révision de novo en Cour de l’impôt, Dow ne peut prétendre, d’une part, qu’une décision discrétionnaire visée au par. 247(10) fait partie d’une cotisation et, d’autre part, qu’elle n’est pas l’objet d’une révision de novo. Si la décision du Ministre fait vraiment partie d’une cotisation, la seule possibilité qu’offre la loi serait que la Cour de l’impôt la révise de novo pour s’assurer de son bien‑fondé. La Cour de l’impôt ne peut appliquer une norme de contrôle déférente comme celle de la décision raisonnable à une partie d’une cotisation. En conséquence, la Cour fédérale est le seul tribunal compétent pour entreprendre ce contrôle selon la norme de la décision raisonnable.
[81]                        En effet, dans le cas d’acteurs administratifs fédéraux comme le Ministre, la Cour de l’impôt n’a pas compétence pour procéder à un contrôle judiciaire, lequel est réservé à la Cour fédérale par les art. 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (voir Addison CSC, par. 8 et 11). Notre Cour ne peut conférer cette compétence à la Cour de l’impôt; seul le Parlement peut le faire. Comme le reconnaît Dow, le pouvoir de la Cour de l’impôt se limite à contrôler le bien-fondé des cotisations (transcription, p. 26). L’argument de Dow suivant lequel la Cour de l’impôt est compétente repose toutefois sur la prétention que le Parlement a écarté la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire à l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales en prévoyant par voie législative un mécanisme d’appel à la Cour de l’impôt.
[82]                          Dans les faits, Dow a demandé à notre Cour d’étendre, par décision judiciaire, la compétence de la Cour de l’impôt en l’investissant du pouvoir, en première instance, de procéder au contrôle judiciaire de la décision rendue par le Ministre en application du par. 247(10). Rappelons qu’à l’instar de la Cour fédérale, la Cour de l’impôt est un tribunal créé par la loi dont le pouvoir est établi par le législateur. Le Parlement a décerné compétence en première instance en matière de contrôle judiciaire contre tout office fédéral (auquel est assimilé le Ministre) à la Cour fédérale dans la Loi sur les Cours fédérales, et non à la Cour de l’impôt (voir notamment les par. 18(1) et 18(3) et les art. 18.1 et 18.5). Le Parlement a décidé, dans la même loi, qu’on ne peut obtenir les réparations prévues au par. 18(1) qu’en déposant une demande de contrôle judiciaire en Cour fédérale, laquelle peut accorder les réparations nécessaires pour remédier à ce genre de conduite administrative fautive (par. 18.1(3)). La loi n’accorde pas à la Cour de l’impôt le pouvoir d’effectuer pareil contrôle, et encore moins celui d’octroyer des réparations adéquates dans les cas où cela est de mise. Je rappelle ce que notre Cour a écrit au par. 82 de l’arrêt Vavilov :
     Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable vise à donner effet à l’intention du législateur de confier certaines décisions à un organisme administratif, tout en exerçant la fonction constitutionnelle du contrôle judiciaire qui vise à s’assurer que l’exercice du pouvoir étatique est assujetti à la primauté du droit : voir Dunsmuir [c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190], par. 27‑28 et 48; Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 10; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, [1997] 3 R.C.R. 3, par. 10.
[83]                        Si le Parlement avait prévu par voie législative un mécanisme d’appel permettant de contester des décisions discrétionnaires rendues en application du par. 247(10) de la LIR, la présomption d’assujettissement à la norme de la décision raisonnable énoncée dans Vavilov ne s’appliquerait pas. La Cour de l’impôt aurait plutôt habituellement besoin d’appliquer les normes de contrôle en appel comme celles énoncées dans l’arrêt Housen de notre Cour (voir Vavilov, par. 37; voir aussi Yatar c. TD Assurance Meloche Monnex, 2024 CSC 8, par. 48). Cela veut dire donner effet aux choix de conception du législateur dans le façonnement du mécanisme d’appel prévu par la loi en cause, et le législateur est donc libre de prescrire une autre norme de contrôle s’il « entend prévoir l’application [. . .] d’une autre norme de contrôle » (Vavilov, par. 37).
[84]                        Dow ne peut affirmer du même souffle qu’une décision discrétionnaire visée au par. 247(10) est une cotisation ou en fait partie si bien qu’elle est susceptible d’appel en vertu de la LIR, mais qu’il faut également la contrôler selon la norme de la décision raisonnable. À mon humble avis, dire cela serait tout à fait incompatible avec les principes fondamentaux de droit administratif établis dans Vavilov. En réponse à des questions directes sur la norme de contrôle posées à l’audience, Dow n’a fourni aucune justification permettant de concilier sa théorie avec ces principes clés du droit administratif (transcription, p. 10‑15).
[85]                        En outre, appliquer la norme de contrôle en appel à une décision dont il est fait appel à la Cour de l’impôt par le biais de l’art. 169 serait incompatible avec le caractère établi de cette disposition d’appel. En l’espèce, les parties conviennent que le mécanisme d’appel créé par le Parlement à l’art. 169 de la LIR assujettit la cotisation du Ministre à un contrôle de novo de son bien‑fondé en Cour de l’impôt par le truchement d’un procès, quoiqu’il incombe au contribuable de réfuter les présomptions de fait du Ministre. Dow a qualifié à juste titre ce contrôle à l’audience de [traduction] « révision de novo modifiée, en ce sens qu’il y a des faits présumés » (transcription, p. 13). Ce droit d’appel précis à l’encontre d’une cotisation d’impôt a été systématiquement interprété comme appelant un degré moindre de déférence que les appels ordinaires prévus par la loi, vu qu’il permet à la Cour de l’impôt de faire une révision de novo de la cotisation au moyen d’un procès (voir, de façon générale, Campbell, p. 4; Jacyk, p. 667, citant Johnston, p. 489; Buchanan, par. 18, le juge Rothstein; Lubetsky (2022), p. 65; Li, Magee et Wilkie, p. 483; JP Morgan, par. 82). L’arrêt Vavilov tend à indiquer que la nature du mécanisme établi par la loi au moyen duquel une décision est contestée joue pour déterminer l’intention du législateur quant à la norme de contrôle (par. 36). On ne voit pas du tout clairement de quelle manière le seul mécanisme d’appel en litige dans la présente affaire pourrait prévoir à la fois la révision de novo de quelques éléments de la cotisation et le contrôle en appel de décisions jugées inextricablement liées à cette même cotisation, ni comment ce fractionnement serait concilié avec l’arrêt Vavilov.
[86]                        J’ajoute que, dans la mesure où il conviendrait d’appliquer une autre norme de contrôle en appel que celles établies dans Housen, j’hésiterais à m’appuyer sur la façon dont notre Cour aborde la norme de contrôle applicable au pouvoir discrétionnaire judiciaire. Il existe un gouffre entre le pouvoir discrétionnaire judiciaire d’une part et le pouvoir discrétionnaire administratif en matière de prix de transfert d’autre part; les parties n’ont pas suggéré que l’approche relative au contrôle du pouvoir discrétionnaire judiciaire établie dans des arrêts comme Canada (Bureau de la sécurité des transports) c. Carroll‑Byrne, 2022 CSC 48, devrait être utilisée dans des instances administratives pour arrêter la norme de contrôle. L’arrêt Carroll‑Byrne ne concerne pas le contrôle du pouvoir discrétionnaire administratif et l’appliquer à la révision de la décision visée au par. 247(10), même par analogie, serait, à mon humble avis, inopportun. Cela reviendrait à transposer les normes associées au contrôle en appel de la détermination discrétionnaire de la peine en matière pénale effectuée par les juges, ou au pouvoir discrétionnaire judiciaire en matière de gestion de l’instance, au contrôle de décideurs administratifs comme le Ministre exprimant une opinion en application du par. 247(10) de la LIR. Je souligne en passant que notre Cour a appliqué les normes énoncées dans Housen à d’autres décisions qu’elle qualifie de discrétionnaires (voir, p. ex., Southwind c. Canada, 2021 CSC 28, [2021] 2 R.C.S. 450, par. 85 et 123). Ayant conclu que la décision visée au par. 247(10) ne fait pas partie d’une cotisation, et qu’elle n’est donc susceptible de contrôle qu’en Cour fédérale selon la norme de la décision raisonnable, je n’ai pas à décider quels principes régissent les normes de contrôle en appel quand ils s’appliquent.
[87]                        Je reconnais que la juge de la Cour de l’impôt a proposé d’appliquer une nouvelle norme, distincte de celle de la décision raisonnable, pour contrôler la décision ministérielle discrétionnaire rendue en application du par. 247(10). Elle a décrit un « principe de droit », applicable dans ce contexte, voulant que « le pouvoir discrétionnaire [soit exercé de façon judiciaire] équitablement et honnêtement et conformément à des principes [de droit] valables et fondamentaux » (par. 142). Si le Ministre n’agit pas ainsi, il « n’a pas du tout exercé le pouvoir discrétionnaire et la cotisation obtenue n’est pas fondée en droit » (ibid.). La juge de la Cour de l’impôt a estimé pour cette raison que, si le Ministre n’exerce pas son pouvoir discrétionnaire « de façon judiciaire » au moment de refuser un redressement à la baisse, « dans un appel visant la cotisation découlant d’une telle décision, la Cour de l’impôt [. . .] a à la fois le pouvoir et l’obligation d’examiner la manière dont le Ministre en est arrivé à sa décision en application du paragraphe 247(10) » (par. 144).
[88]                        Malgré le respect que je dois à l’avis de la juge de la Cour de l’impôt, je ne souscris pas à cette approche. L’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au par. 247(10) témoigne d’une décision administrative, et non d’une décision judiciaire. Le pouvoir auquel a recours la juge de la Cour de l’impôt pour élaborer cette norme tient à une décision antérieure à Vavilov où le tribunal a conclu que l’omission d’appliquer les bons principes signifie qu’un pouvoir conféré par la loi n’a pas été exercé du tout (motifs de la C.C.I., par. 140‑141, citant Pure Spring). Ce n’est pas ainsi que le pouvoir discrétionnaire de nature administrative est analysé d’après le cadre établi dans Vavilov; les tribunaux s’en remettent désormais aux instances décisionnelles créées par la loi en appliquant de manière présumée la norme de la décision raisonnable. La norme de contrôle que la juge de la Cour de l’impôt a proposée pour la révision de la décision discrétionnaire du Ministre déroge à la présomption d’assujettissement à la norme de la décision raisonnable établie dans Vavilov et ne le fait pas de la manière prescrite par la Cour à l’égard des appels prévus par la loi au par. 37 de ses motifs dans cet arrêt. Je rappelle qu’en énumérant les normes de contrôle habituellement applicables en appel énoncées dans Housen, la Cour a affirmé dans Vavilov que le législateur peut fixer dans la loi une autre norme : « Évidemment, si le législateur entend prévoir l’application en appel d’une autre norme de contrôle, il lui est toujours loisible d’exprimer son intention en énonçant dans la loi la norme de contrôle applicable » (ibid.). On pourrait fort bien soutenir que, dans le cas de l’appel de cotisations prévu par le Parlement au par. 169(1) de la LIR, le Parlement a créé une procédure de novo au moyen de laquelle un procès est tenu et à l’égard de laquelle le Parlement a établi des règles portant sur le fardeau de preuve. Transposer une nouvelle norme de contrôle dans cet appel irait, à mon humble avis, directement à l’encontre de l’intention du Parlement quant à la manière dont la Cour de l’impôt devrait décider si la cotisation est exacte.
[89]                        La révision de novo en Cour de l’impôt prévue par la loi n’envisage pas de déférence envers la cotisation, si ce n’est qu’en imposant le fardeau de preuve au contribuable (voir Provencher et Dupuis, p. 180‑181). Elle nécessite l’examen attentif de tous les aspects factuels et juridiques de la cotisation pour s’assurer de son bien‑fondé. Toute approche qui prétend appliquer une norme de contrôle déférente dans ce contexte modifierait le rôle établi de la Cour de l’impôt. Le recours à une révision de novo impliquerait en fait que la Cour de l’impôt substitue son opinion sur le bien‑fondé du redressement à la baisse à celle du Ministre. Ce faisant, elle parviendrait à une conclusion relative à la politique fiscale appropriée, alors qu’elle a toujours eu pour rôle d’appliquer le droit fiscal établi par le Parlement. Là encore, je n’ai pas à décider si et de quelle manière on procéderait à la révision de novo de la décision visée au par. 247(10), vu qu’elle ne fait pas partie de la cotisation qui est l’objet de la révision de novo à la base.
[90]                        En somme, il ne s’agit pas d’un pourvoi où nous sommes bien placés pour créer une nouvelle norme de contrôle afin d’éviter les lacunes fondamentales dont souffre la théorie de Dow. Créer pareille norme en l’absence d’arguments adéquats des parties et d’une analyse des juridictions inférieures risque d’entraîner des conséquences inattendues. Le Parlement n’a donné dans la LIR aucune raison de déroger à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable (Vavilov, par. 25), parce que les décisions discrétionnaires ne sont pas des cotisations et n’en font pas partie. Comme je l’ai dit, les cotisations doivent être contrôlées de novo par la Cour de l’impôt conformément à la nature établie d’un appel en matière d’impôt. En l’espèce, conclure que toute norme autre que celle de la décision raisonnable s’applique aux exercices par le Ministre de son pouvoir discrétionnaire en application du par. 247(10) ébranlerait la certitude et la prévisibilité qu’a apportées l’arrêt Vavilov à la jurisprudence de notre Cour sur la norme de contrôle.
[91]                        À mon avis, la complication relative à la norme de contrôle applicable puise directement sa source dans la tentative de Dow de contester le par. 247(10) par le biais d’une disposition d’appel qui n’était jamais censée s’appliquer à cette décision discrétionnaire. Cette complication disparaît complètement une fois qu’on accepte que ces demandes devaient être entendues par la Cour fédérale selon la norme de la décision raisonnable, en harmonie avec l’arrêt Vavilov.
(2)         L’approche de Dow créerait de l’incertitude relativement à la compétence de la Cour fédérale
[92]                        Considérer la décision du Ministre comme faisant partie d’une cotisation pour l’application de la disposition d’appel aurait comme résultat pratique de créer de nouvelles voies de recours bifurquées et soulèverait de nouveaux enjeux concernant la compétence de la Cour fédérale qui pourraient fort bien engendrer d’autres litiges.
[93]                        Tous s’entendent pour dire que la décision par le Ministre rendue en application du par. 247(10) peut l’être sans qu’une cotisation soit établie, comme cela a été fait dans le cas de Dow. Si notre Cour devait conclure que cette décision fait partie d’une cotisation, cela pourrait nuire à la capacité d’un contribuable de s’opposer à de telles décisions. Dans le cas des personnes morales, le délai pour s’opposer à une cotisation est généralement de 90 jours à compter de l’envoi de l’avis de cotisation (al. 165(1)b) LIR). Si le Ministre rend sa décision en application du par. 247(10) après la date limite pour les oppositions et appels et aucune cotisation subséquente n’est établie, la faculté de la contester pourrait être prescrite (par. 169(1) LIR).
[94]                        Dow cherche à éviter cette difficulté en soutenant que, si le Ministre n’établit pas de cotisation après avoir rendu une décision discrétionnaire en application du par. 247(10), il est possible de contester la décision du Ministre par voie de contrôle judiciaire en Cour fédérale (transcription, p. 24).
[95]                        Avec égards, Dow propose une solution intenable d’après laquelle la Cour fédérale conserverait sa compétence en matière de contrôle judiciaire sur les décisions discrétionnaires du Ministre en règle générale, mais elle perdrait son pouvoir de procéder au contrôle judiciaire de ces mêmes décisions discrétionnaires si elles sont suivies de cotisations. La solution de Dow a pour difficulté qu’il y ait deux cours différentes — appliquant deux différentes normes de contrôle — et investies du pouvoir de contrôler les décisions discrétionnaires rendues en application du par. 247(10), selon qu’une cotisation soit établie ou non après la prise de la décision.
[96]                        De surcroît, l’approche de Dow concerne non seulement le par. 247(10), mais vise à étendre la compétence de la Cour de l’impôt au‑delà du bien‑fondé des cotisations, à d’autres décisions ministérielles connexes. La Cour fédérale exerce sa compétence sur de nombreuses matières fiscales, disposant entre autres du pouvoir de contrôler les décisions discrétionnaires du Ministre (voir, p. ex., Bozzer c. Canada (Revenu national), 2011 CAF 186, [2013] 1 R.C.F. 242; Jewett c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 187; Shaw (Succession) c. Canada (Procureur général), 2021 CF 576). Quand on lui a demandé, à l’audience, si Dow estime que [traduction] « le pouvoir discrétionnaire que confère le par. 247(10) au Ministre [. . .] relève à bon droit de la Cour de l’impôt », le procureur a répondu qu’il « ne croi[t] pas que cela va assez loin », car la Cour de l’impôt devrait être compétente « chaque fois que le Ministre exerce un pouvoir discrétionnaire » (transcription, p. 3‑4).
[97]                        L’invitation de Dow d’étendre la compétence de la Cour de l’impôt au contrôle judiciaire de décisions discrétionnaires rendues en application du par. 247(10) pourrait, ainsi qu’il l’a concédé à l’audience, englober [traduction] « une foule d’autres dispositions » qui toucheront des « millions de contribuables » (transcription, p. 2). Même si notre Cour cherche à restreindre ses conclusions au contexte du redressement à la baisse du prix, la notion élargie de « cotisation » qu’elle adopterait pourrait avoir des conséquences involontaires dans d’autres sphères. Dans bien des contextes où le Ministre exerce son pouvoir discrétionnaire — lequel, en sus du par. 247(10), comprend celui de renoncer à l’impôt, aux intérêts ou aux pénalités —, on peut affirmer que son pouvoir discrétionnaire aura une incidence sur le montant d’impôt dû. Si, par exemple, le Ministre décide de renoncer à un impôt, l’obligation fiscale du contribuable changera. S’il est accepté, l’argument de Dow s’étendrait, du propre aveu de cette dernière, à une « foule » d’autres contextes où le Ministre exerce son pouvoir discrétionnaire (ibid.). On ne sait pas exactement lesquelles de ces dispositions seront touchées, et donc la mesure dans laquelle la compétence de la Cour de l’impôt sera étendue au détriment de la Cour fédérale.
[98]                        Puisque la Cour fédérale et la Cour de l’impôt ne possèdent pas une compétence concurrente — la compétence de la Cour fédérale est écartée chaque fois que la Cour de l’impôt est compétente — cette incertitude entraînera probablement davantage de litiges. Une contestation de la décision du Ministre présentée au mauvais tribunal doit être radiée. Un contribuable peut contester une décision discrétionnaire du Ministre auprès de la Cour de l’impôt ou de la Cour fédérale et se retrouver confronté à une contestation de la compétence du tribunal en raison de l’incertitude créée par la théorie de Dow. Si sa contestation est radiée par une cour, le contribuable risque d’être interdit par la loi de présenter une demande à l’autre cour, à moins qu’il ait intenté des recours auprès des deux cours à l’intérieur des délais de prescription applicables. Loin d’améliorer l’accès à la justice, la théorie de Dow renforcerait la nécessité pour les contribuables d’intenter des procédures parallèles. Les grandes multinationales contribuables telle Dow pourraient supporter les frais occasionnés par le fait de composer avec l’incertitude sur le plan de la compétence que créerait sa position, mais d’autres contribuables — surtout les particuliers et petites entreprises que Dow prétend essayer d’aider — se trouveront dans une situation beaucoup plus vulnérable.
[99]                        J’ajoute que cela pourrait avoir des conséquences sur le plan de la compétence même en dehors du cadre de la LIR. Rappelons que le différend relatif à la compétence s’articule autour de l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, lequel écarte la compétence exclusive de la Cour fédérale sur ce type de demande lorsqu’une loi fédérale « prévoit expressément » un appel à d’autres cours. En acceptant la thèse de Dow selon laquelle une disposition permettant expressément d’interjeter appel d’une décision autorise en outre, implicitement, l’appel de décisions distinctes mais connexes, notre Cour ouvrirait la porte à la controverse sur le plan de la compétence dans d’autres contextes législatifs où l’art. 18.5 est en jeu. Au lieu d’insister pour que le Parlement prévoie expressément un appel pour dépouiller la Cour fédérale de sa compétence, nous interpréterions l’art. 18.5 comme s’appliquant à des décisions qui sont seulement visées implicitement par les dispositions législatives d’appel. Cela incite à se demander quelles décisions se rapportent suffisamment à celles qui font expressément l’objet d’un appel pour bénéficier de cette notion élargie de l’art. 18.5.
[100]                     La définition imprécise des décisions discrétionnaires qui sont « inextricablement liées » aux cotisations est illustrée par l’emploi, par Dow, d’une terminologie changeante dans son argumentation écrite et sa plaidoirie. Elle est décrite indifféremment comme exigeant que la décision [traduction] « touche directement » cette cotisation ou ait « une incidence directe » sur celle‑ci (m.a., par. 107; transcription, p. 6), constitue un « élémen[t] essentie[l] » du montant d’impôt payable (m.a., par. 92), ou soit « refl[étée] » dans la cotisation (m.a., par. 95 et 99; transcription, p. 4).
[101]                     En outre, l’approche proposée par Dow à l’égard de l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales est incompatible avec les principes d’interprétation législative. La méthode moderne oblige les tribunaux à [traduction] « lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87, cité avec approbation dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26). Cette méthode est « axée sur le texte, le contexte et l’objet de la disposition législative » (Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21, par. 69). Comme notre Cour l’a récemment mentionné dans le contexte fiscal, « [l]orsque le libellé d’une loi est “précis et non équivoque”, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial » (Canada c. Loblaw Financial Holdings Inc., 2021 CSC 51, par. 41, citant Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, par. 10). Les professeurs Pierre‑André Côté et Mathieu Devinat ont fait remarquer que, selon la jurisprudence de notre Cour, « l’objectif législatif ne peut, à lui seul, justifier que l’on s’écarte d’une formulation explicite d’une disposition » (Interprétation des lois (5e éd. 2021), par. 1366). Bien que l’objet soit un facteur important dans l’interprétation législative, son « poids peut varier, particulièrement lorsqu’il entre en contradiction avec la formulation du texte » (par. 1345). L’article 18.5 dispose que la compétence de la Cour fédérale ne peut être écartée qu’« expressément ». Il convient de rejeter l’invitation de Dow à étendre la compétence de la Cour de l’impôt, à l’exclusion de celle de la Cour fédérale, par « implication nécessaire » plutôt qu’au moyen des termes exprès de la loi. La décision du Ministre peut fort bien jouer sur la cotisation fiscale. Mais lorsqu’interprétées eu égard à leur texte, à leur contexte et à leur objet, les dispositions pertinentes de la Loi sur les Cours fédérales et de la LIR ne permettent pas d’écarter la compétence de la Cour fédérale.
C.            Les contestations des décisions discrétionnaires du Ministre doivent être instruites en Cour fédérale
[102]                     Dow fait valoir que la Cour de l’impôt est la meilleure instance pour contester la décision rendue en application du par. 247(10), vu ses pouvoirs de réparation et ses particularités procédurales. Avec égards, je suis en désaccord. D’après moi, seule la Cour fédérale peut accorder une réparation appropriée eu cas de contestation de la décision visée au par. 247(10). De plus, la Cour de l’impôt n’a jamais été, et le Parlement n’a jamais voulu qu’elle soit, une instance exclusive en matière fiscale. Tenter d’atteindre ce résultat sans une réforme complète que seul le Parlement peut mener à bien n’améliorerait pas l’accès à la justice comme le prétend Dow.
(1)         Seule la Cour fédérale peut offrir la réparation demandée
[103]                     Il est vrai que, sur le plan de la forme, Dow demande à la Cour de l’impôt une ordonnance de réexamen et de nouvelle cotisation. Dow rappelle à juste titre que [traduction] « [d]ans Windsor [(City) c. Canadian Transit Co., 2016 CSC 54, [2016] 2 R.C.S. 617], la Cour a jugé que la première étape de l’examen d’un différend en matière de compétence consiste à “déterminer la nature ou le caractère essentiel de cette demande” » (m.a., par. 69). Bien qu’il soit pertinent de tenir compte des réparations sollicitées au moment d’établir l’essence de la demande, je ne suis pas d’accord avec Dow pour dire que [traduction] « l’appelante demande une réparation qui ne peut être offerte que par la Cour de l’impôt — déférer le renvoi d’une cotisation au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation » (par. 70).
[104]                     Si la Cour de l’impôt décide qu’une cotisation est inexacte, Dow a raison de dire que la Cour de l’impôt peut annuler la cotisation, la modifier ou la déférer au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation. Toutefois, Dow soutient que, dans l’exercice de son pouvoir de déférer la cotisation au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation, [traduction] « la Cour de l’impôt peut ordonner au Ministre de revoir la décision de refuser le redressement à la baisse en application du par. 247(10) » (m.a., par. 64).
[105]                     Avec égards, je ne suis pas de son avis. Comme je l’ai souligné, c’est uniquement l’opinion du Ministre suivant laquelle le redressement à la baisse du prix de transfert est justifié au sens du par. 247(10) qui importe pour le bien‑fondé d’une cotisation, non les faits qui sous‑tendent cette opinion. Si la Cour de l’impôt rend une ordonnance de nouvel examen et de nouvelle cotisation, le Ministre est tout simplement tenu d’établir une nouvelle cotisation qui reflète correctement la décision même que le contribuable cherche à contester, car cette décision n’aurait pas été annulée. En outre, une ordonnance de nouvel examen et de nouvelle cotisation ne peut contraindre le Ministre à revoir la décision discrétionnaire qu’il a rendue en application du par. 247(10), parce que cette décision n’est pas une cotisation et n’en fait pas partie. Je conviens avec le juge Webb que « les mesures que peut accorder la Cour de l’impôt [. . .] n’incluent pas le pouvoir de modifier ou d’annuler l’avis formulé par le ministre en application du paragraphe 247(10) de la LIR » (par. 77). Je rappelle que, lorsque le Parlement a créé un recours exprès à la Cour de l’impôt à l’encontre de décisions du Ministre, il a également prescrit des pouvoirs qui permettent à cette cour de trancher les affaires en question (voir, p. ex., le par. 166.2(4) LIR). Si le Parlement avait voulu conférer à la Cour de l’impôt le pouvoir d’accorder une réparation à l’encontre de l’opinion visée au par. 247(10), il l’aurait fait par voie législative. On peut prétendre que de tels pouvoirs seraient peut‑être une considération indiquée lors d’une réforme législative complète qui porte sur la compétence de la Cour de l’impôt. Par exemple, l’auteur Lubetsky a affirmé que [traduction] « [p]our préserver l’indépendance et l’efficacité de la Cour de l’impôt, celle‑ci devrait posséder une compétence plus vaste en equity pour réviser de novo des décisions ministérielles discrétionnaires, une compétence qui pourrait s’apparenter à celle établie à [. . .] l’article 166.2 (en ce qui concerne le dépôt tardif d’oppositions) » (Lubetsky (2022), p. 112). Vu les termes de la version actuelle de la LIR, cependant, le juge Webb a raison de dire que la Cour de l’impôt ne dispose pas des outils réparateurs nécessaires pour se prononcer sur la décision visée au par. 247(10).
[106]                     Comme le juge Webb l’a fait remarquer à juste titre, la Cour fédérale a le pouvoir d’annuler la décision discrétionnaire du Ministre, ce qui l’obligerait à la revoir (par. 77). Même si « la Cour fédérale n’est pas autorisée à modifier ou annuler des cotisations » (JP Morgan, par. 93), elle peut accorder des réparations de droit administratif qui sont adaptées aux décisions discrétionnaires du Ministre, lesquelles, comme je l’ai souligné, ne sont pas des cotisations. Je rappelle que « s’il est vrai que la Cour fédérale ne peut annuler une cotisation [. . .], elle peut [rendre un jugement déclaratoire], sur le fondement des principes de droit administratif » en matière fiscale (Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp., 2014 CAF 140, par. 25 (CanLII); voir aussi Maverick Oilfield Services Ltd. c. Canada (Procureur général), 2023 FC 1728 (CanLII), 2023 CF 1728). Dans ce contexte, si la Cour fédérale annule une décision prise en application du par. 247(10) pour des motifs de droit administratif et le Ministre rend une nouvelle décision qui influe sur le montant d’impôt dû, la cotisation sera inexacte si elle ne reflète pas fidèlement la nouvelle opinion. La Cour de l’impôt peut intervenir à ce stade, mais uniquement après que la Cour fédérale annule la décision du Ministre, après que le Ministre rend une nouvelle décision, après que cette nouvelle décision se traduit par un changement de l’obligation fiscale du contribuable, et si le Ministre n’établit pas une nouvelle cotisation pour faire état d’un changement d’obligation fiscale.
[107]                     C’est pourquoi le juge Webb a fait observer à juste titre que, « [p]uisque la Cour de l’impôt n’a pas le pouvoir d’annuler l’avis formulé en application du paragraphe 247(10) de la LIR, cet avis demeurera valide, à moins qu’il ne soit annulé par la Cour fédérale sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire » (par. 84). Si la Cour fédérale annule la décision rendue par le Ministre en application du par. 247(10), le Ministre aura l’occasion de la revoir, ce qui peut donner lieu à l’établissement d’une nouvelle cotisation. À ce stade — si la nouvelle cotisation est jugée inexacte — le contribuable peut la contester par voie d’appel à la Cour de l’impôt. En conséquence, je ne partage pas l’avis de Dow selon lequel [traduction] « [u]ne demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale ne saurait aboutir » à une nouvelle cotisation (m.a., par. 70). Bien entendu, comme la décision est discrétionnaire, il se peut que le Ministre se forme la même opinion à la suite de l’annulation de sa décision antérieure, auquel cas l’obligation fiscale ne changerait pas, et aucune nouvelle cotisation ne serait établie.
[108]                     Bref, je conviens qu’un nouvel examen et une nouvelle cotisation ne constituent pas une réparation appropriée. Puisque la Cour de l’impôt ne peut pas octroyer des réparations de droit administratif, et comme la Cour fédérale n’a pas compétence pour entendre les appels du bien‑fondé de cotisations, le juge Webb a eu raison de conclure que « les mesures pouvant être accordées par ces deux cours pourraient être nécessaires pour que Dow obtienne ce qu’elle demande » (par. 91).
(2)         La Cour de l’impôt n’est pas une instance exclusive en contentieux fiscal
[109]                     Dow plaide que la Cour de l’impôt devrait être compétente pour contrôler les décisions discrétionnaires du Ministre, parce que la Cour de l’impôt est [traduction] « censée être une instance accessible et crédible où les contribuables peuvent faire trancher des différends sur leurs obligations fiscales avec le gouvernement » et « offr[e] aux contribuables un moyen commode d’obtenir des décisions judiciaires dans des affaires d’impôt sur le revenu en litige » (m.a., par. 33 et 75). Selon Dow, « [u]n carcan arbitraire [a été] imposé à la Cour de l’impôt au fil des ans par des décisions qui concernent des cotisations fondées sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel [. . .] et [qui] ont empêché la Cour de l’impôt de s’acquitter de sa mission » (par. 79).
[110]                     Je conviens que le Parlement a constitué la Cour de l’impôt pour en faire une instance accessible où les contribuables peuvent contester le bien-fondé de cotisations. Mais le Parlement a délibérément partagé la compétence en matière fiscale entre la Cour fédérale et la Cour de l’impôt. La Cour de l’impôt n’a jamais été une instance unique pour tous les litiges fiscaux (voir Sifto, par. 26). En effet, plusieurs dispositions de la LIR décernent expressément compétence à la Cour fédérale ou à la Cour d’appel fédérale en matière fiscale (voir les par. 172(3) et 204.81(9) et les art. 222 à 223 et 231), notamment des dispositions qui confèrent au Ministre le pouvoir de rendre des décisions discrétionnaires (voir les par. 220(3.1), 220(3.2) et 152(4.2)).
[111]                     Les parties conviennent que l’art. 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales décerne à la Cour fédérale compétence pour procéder au contrôle judiciaire de décisions rendues par des acteurs administratifs fédéraux, y compris le ministre du Revenu national (Addison CSC, par. 8). Le contrôle judiciaire d’actes administratifs fédéraux se situe au cœur du mandat de la Cour fédérale. D’après le professeur Craig Forcese, la supervision judiciaire d’actes administratifs est « ancr[ée] » dans la Cour fédérale (« Les aléas de la compétence des Cours fédérales », dans Valois et autres, dir., 85, p. 92). Comme « l’appareil administratif du gouvernement s’était considérablement développé », le Parlement a conféré en 1970 à la Cour fédérale la « compétence exclusive, en première instance, dans les procédures de droit administratif contre des [acteurs administratifs] fédéraux » (ibid.). Le Parlement a accordé « le pouvoir de contrôler la légalité des actes de l’Administration publique fédérale à un seul tribunal, de manière à ce qu’un corps de jurisprudence cohérent et uniforme à travers le pays vienne encadrer l’action gouvernementale fédérale » (B. Letarte et autres, Recours et procédure devant les Cours fédérales (2013), p. 43‑44).
[112]                     Plus précisément, la Cour fédérale conserve une compétence exclusive à l’égard des décisions du Ministre qui ne sont pas susceptibles d’appel à la Cour de l’impôt. Comme l’a fait observer la professeure Provencher, « [u]ne cotisation de l’Agence du revenu du Canada constitue une décision d’un office fédéral et pourrait être susceptible d’un contrôle judiciaire conformément à [l’article 18.1] si ce n’était de l’article 18.5 » (p. 621). Le juge Stratas a expliqué utilement que « [d]ans certains domaines, bien reconnus par la jurisprudence, il est possible d’exercer utilement le recours en contrôle judiciaire en matière fiscale. Signalons entre autres les décisions discrétionnaires prises au titre de dispositions sur l’équité [et] les cotisations de nature purement discrétionnaire » (JP Morgan, par. 96).
[113]                     Certains ont affirmé que la compétence partagée en matière fiscale entre la Cour de l’impôt et la Cour fédérale [traduction] « soulève une question de principe importante », car « il ne semble guère justifié de fractionner la compétence fiscale », et le Parlement devrait donc « accord[er] par la loi » une compétence plus étendue à la Cour de l’impôt (Campbell, p. 618). En fait, certains ont soutenu qu’il y aurait lieu de modifier le par. 247(11) de la LIR afin de veiller à ce que la Cour de l’impôt ait compétence sur les décisions rendues en application du par. 247(10) (voir Sandler et Watzinger, p. 307). Certains ont également avancé que l’attribution par le Parlement d’une compétence à la Cour de l’impôt à l’art. 166.2 de la LIR pourrait se révéler un modèle pour d’autres modifications qui étendrait la compétence de la Cour de l’impôt au pouvoir d’effectuer un contrôle judiciaire en matière fiscale. Ce faisant, le Parlement fournirait à la Cour de l’impôt [traduction] « des lignes directrices législatives pour la prise de décisions ou une compétence plus vaste en equity » qui serait indiquée si elle devait avoir compétence pour contrôler des décisions discrétionnaires (Lubetsky (2022), p. 466). En effet, si les problèmes de compétence sont [traduction] « surtout attribuable[s] à une évolution ponctuelle, non planifiée et naturelle au cours des 75 dernières années », et la solution qui convient est « une révision et une refonte complètes au chapitre de la compétence entre la Cour de l’impôt, la Cour fédérale et les cours supérieures relativement aux questions d’impôt sur le revenu », il appartient au Parlement d’entreprendre pareille révision (p. 65 et 115). Comme l’a reconnu notre Cour, « [l]e Parlement a édifié une structure complexe pour assurer le traitement d’une multitude de revendications se rapportant au fisc » (Addison CSC, par. 11). Apporter un changement à cette structure complexe — qui partage la compétence en matière fiscal entre trois cours fédérales différentes — sans une réforme réfléchie et complète qui ne peut être menée à bien que par le Parlement serait imprudent, surtout si ce changement allait directement à l’encontre du libellé des lois applicables et de l’intention du Parlement. Une solution judiciaire improvisée à cet enjeu complexe pourrait accroître l’incertitude, provoquer d’autres litiges sur des questions de compétence et, ultimement, miner l’accès à la justice.
[114]                     Le Parlement a songé aux difficultés qu’occasionne la compétence fractionnée de la Cour de l’impôt et de la Cour fédérale en matière fiscale. Après l’avoir fait, il n’a pas élargi la compétence de la Cour de l’impôt. Par exemple, en 1997, le vérificateur général a recommandé la fusion de la Cour fédérale et de la Cour de l’impôt. D’après lui, des avocats fiscalistes et plusieurs juges de la Cour de l’impôt « ont indiqué que certaines difficultés actuelles de procédure seraient éliminées si les affaires fiscales étaient traitées par des juges d’une cour supérieure » (Rapport sur la Cour fédérale du Canada et la Cour canadienne de l’impôt, par. 209). Le vérificateur général a néanmoins signalé que « [l]a majorité des juges de la Cour de l’impôt s’opposent vivement à une fusion des cours » (par. 205). En fin de compte, comme le souligne Lubetsky, [traduction] « le Parlement a choisi non pas de fusionner la Cour de l’impôt et la Cour fédérale, mais plutôt de fusionner leurs services du greffe » et de n’apporter aucun changement à « la compétence de la Cour de l’impôt » (Lubetsky (2022), p. 107-108). En 2011, quand on lui a présenté une proposition d’étendre la compétence de la Cour de l’impôt à l’ensemble des matières fiscales, le ministre de la Justice a refusé de proposer des modifications aux dispositions législatives en question (voir la p. 110).
[115]                     À mon avis, il revient au Parlement de répondre, s’il y a lieu, aux préoccupations de ceux et celles qui affirment qu’il conviendrait de repenser la compétence de la Cour de l’impôt pour que celle‑ci comprenne le pouvoir de mener des contrôles judiciaires en matière fiscale.
(3)         L’approche de Dow n’améliorera pas l’accès à la justice
[116]                     Dow encourage notre Cour à envisager la compétence de la Cour de l’impôt [traduction] « du point de vue de l’accès à la justice », soulignant que « les petits contribuables ou les plaideurs non représentés sont désavantagés lorsque contraints d’instituer une demande de contrôle judiciaire en Cour fédérale à l’égard d’une décision discrétionnaire » (m.a., par. 80). Dow invoque des règles de procédure actuellement en vigueur à la Cour de l’impôt qui la rendent plus accessible aux contribuables « désavantagés », telle la procédure informelle, et dont ne dispose pas présentement la Cour fédérale (par. 75‑80). En outre, Dow plaide que [traduction] « si la décision de la CAF est correcte », les contribuables peuvent être obligés d’introduire des procédures parallèles en Cour de l’impôt et en Cour fédérale afin d’obtenir certains types de réparation (par. 59).
[117]                     Je ne suis pas d’accord pour dire que l’accès à la justice sera meilleur pour des « millions de contribuables » (transcription, p. 2) si notre Cour décide que la Cour de l’impôt a compétence pour contrôler les décisions discrétionnaires du Ministre visées au par. 247(10). Cette disposition est pertinente principalement pour les multinationales contribuables qui effectuent, avec des entités liées, des opérations avec lien de dépendance.
[118]                     L’accès à la justice ne serait pas non plus meilleur pour de grandes multinationales contribuables comme Dow. Si la Cour de l’impôt devait avoir compétence pour contrôler l’exercice par le Ministre de son pouvoir discrétionnaire en application du par. 247(10), la capacité de la Cour fédérale à effectuer le contrôle judiciaire de ces décisions serait écartée suivant l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales. Lorsque la décision visée au par. 247(10) est suivie d’une cotisation, la Cour de l’impôt aurait compétence exclusive pour contrôler l’exercice par le Ministre de son pouvoir discrétionnaire, mais pas la faculté d’offrir un recours si le Ministre se comportait déraisonnablement en arrivant à sa décision. Il en est ainsi parce que la Cour de l’impôt ne dispose pas du pouvoir réparateur de casser la décision du Ministre. Si le montant est exact, la Cour de l’impôt doit confirmer la cotisation du Ministre, peu importe que sa décision visée au par. 247(10) soit raisonnable ou non, pourvu que les cotisations « so[ient] valides, elles subsisteront quand bien même la procédure d’opposition serait viciée » (Webster, par. 21; Ereiser, par. 31; Main Rehabilitation, par. 8; voir aussi Chad, par. 28).
[119]                     Le plaidoyer de Dow d’étendre la compétence de la Cour de l’impôt au‑delà de ce qui est prévu dans la législation en vue d’améliorer l’accès à la justice est en dernière analyse peu convaincante. Non seulement l’approche proposée par Dow n’améliorera‑t‑elle pas l’accès à la justice, mais elle aura vraisemblablement de vastes conséquences imprévues qui vont bien au‑delà du contexte de l’imposition. Dow demande visiblement à la Cour de retenir une interprétation entièrement nouvelle d’une cotisation au sens de la LIR afin de donner à la Cour de l’impôt une compétence implicite qui écarterait le contrôle judiciaire en Cour fédérale. Comme je l’explique précédemment, cela pourrait avoir des répercussions considérables en ce qui a trait au pouvoir de la Cour fédérale de procéder au contrôle judiciaire de décisions ministérielles dans d’autres contextes, en conformité avec les art. 18, 18.1 et 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales.
[120]                     Dow a plaidé la présente cause en tant qu’affaire fiscale sans tenir dûment compte des répercussions plus générales en droit administratif et sans prendre en considération comme il se doit le contrôle judiciaire du pouvoir discrétionnaire ministériel par la Cour fédérale dans d’autres domaines. Notre Cour ne devrait pas compromettre d’importants aspects du droit fiscal et du droit administratif au Canada en quête d’avantages au chapitre de l’accès à la justice qui n’ont pas été établis.
VI.         Conclusion
[121]                     En réponse à la question posée en vertu de l’art. 58, je conclus que, lorsque le Ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire en application du par. 247(10) de la LIR pour refuser la demande présentée par un contribuable en vue d’obtenir un redressement à la baisse du prix, cette décision échappe à la compétence conférée par la loi à la Cour de l’impôt sur la cotisation du contribuable. Puisqu’il n’existe pas de droit exprès d’appel de cette décision à la Cour de l’impôt, l’instance où il convient de contester la décision du Ministre est la Cour fédérale, conformément à la compétence exclusive en contrôle judiciaire dont elle est investie par sa loi habilitante. La Cour d’appel fédérale avait donc raison d’accueillir l’appel de la décision de la Cour de l’impôt, d’annuler l’ordonnance rendue par cette cour et de rendre l’ordonnance que la Cour de l’impôt aurait dû prononcer, pour répondre par l’affirmative à la question.
[122]                     Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
                  Version française des motifs des juges Karakatsanis, Côté et Rowe rendus par
                  La juge Côté —
I.               Introduction
[123]                     Au cœur du présent pourvoi se pose une question de juridiction en matière fiscale. La question fondamentale en litige est de savoir si c’est la Cour canadienne de l’impôt ou la Cour fédérale du Canada qui a juridiction pour contrôler une décision discrétionnaire par laquelle le ministre du Revenu national (« Ministre ») refuse un redressement à la baisse de prix de transfert en vertu du par. 247(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (« LIR »).
[124]                     La confusion qui règne au sujet de la délimitation des juridictions respectives de la Cour de l’impôt et de la Cour fédérale en matière fiscale a donné lieu à un manque de prévisibilité, de certitude et d’équité dans un domaine de droit où ces principes sont de la plus grande importance. En effet, les lacunes de la juridiction de la Cour de l’impôt et le besoin de réforme afin de réduire le nombre de conflits de juridiction en matière fiscale et de réduire leur nombre sont bien connus (voir D. Jacyk, « The Dividing Line Between the Jurisdictions of the Tax Court of Canada and Other Superior Courts » (2008), 56 Rev. fisc. can. 661; D. Jacyk, « The Jurisdiction of the Tax Court : A Tax Practitioner’s Guide to the Jurisdictional Galaxy of Constitutional Challenges » (2012), 60 Rev. fisc. can. 55; G. Du Pont et M. H. Lubetsky, « Pouvoir de vérifier, pouvoir de détruire : Supervision judiciaire de l’exercice des pouvoirs de vérification » (2013), 61 (suppl.) Rev. fisc. can. 81; M. H. Lubetsky, « The Fractured Jurisdiction of the Courts in Income Tax Disputes », dans P. Mihailovich et J. Sorensen, dir., Tax Disputes in Canada : The Path Forward (2022), 63).
[125]                     Bien que la portée des arguments de l’appelante en l’espèce soit suffisamment large pour permettre à notre Cour de régler certaines des questions de juridiction qui pèsent sur la saine administration fiscale, le pourvoi qui nous occupe se limite au contexte du par. 247(10) de la LIR. En effet, l’appelante nous invite à statuer sur la question de savoir si tout exercice d’un pouvoir discrétionnaire ministériel ayant une incidence sur l’impôt à payer, l’intérêt ou les pénalités relève de la juridiction d’appel de la Cour de l’impôt sur une cotisation établie à l’encontre d’un contribuable, et a pour effet d’écarter le pouvoir de surveillance de la Cour fédéral. En l’espèce, ni la Cour de l’impôt ni la Cour fédérale n’ont statué sur cette question.
[126]                     À mon sens, point n’est besoin de statuer sur tout exercice d’un pouvoir discrétionnaire ministériel pour trancher le présent pourvoi. Il s’agit de savoir en l’espèce si une décision visée au par. 247(10) de la LIR, que le Ministre doit prendre dans certains cas pour que le montant d’impôt dû soit fixé, relève de l’appel d’une cotisation[2]. Contrairement à d’autres pouvoirs discrétionnaires dont est investi le Ministre par la LIR, le pouvoir que lui confère le par. 247(10) n’est pas permissif. Comme je l’explique dans les présents motifs, le Ministre est tenu d’exercer ce pouvoir afin de déterminer l’obligation fiscale d’un contribuable.
[127]                     La portée du présent pourvoi est donc assez étroite. Notre Cour doit décider si le Parlement voulait que le contrôle de l’exercice par le Ministre du pouvoir discrétionnaire que lui accorde le par. 247(10) relève de la juridiction de la Cour de l’impôt ou de celle de la Cour fédérale, surtout lorsqu’un redressement à la baisse est demandé et/ou établi. Cette question doit, d’abord et avant tout, être réglée par l’examen de la loi habilitante de chacune de ces cours, eu égard aux circonstances particulières de la présente affaire.
[128]                     Dans des circonstances comme celles de l’espèce, l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au par. 247(10) comporte deux aspects qui ont une incidence sur la juridiction de la Cour fédérale et celle de la Cour de l’impôt, respectivement : l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel de rejeter la demande d’un contribuable sollicitant un redressement à la baisse du prix de transfert et une cotisation. Bien que les dispositions de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F‑7, confèrent à la Cour fédérale un pouvoir de surveillance exclusif sur les décisions des offices fédéraux, le Parlement s’est assuré que le bien‑fondé[3] ou la validité de la cotisation du contribuable relève nettement de la juridiction de la Cour de l’impôt en vertu de l’art. 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, c. T‑2 (« LCCI »), et de l’art. 169 de la LIR.
[129]                     Fait important, la juridiction de la Cour de l’impôt en matière d’appel d’une cotisation lui a été conférée par le Parlement et a pour effet d’écarter le pouvoir de surveillance de la Cour fédérale (Loi sur les Cours fédérales, art. 18.5). Dans Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793, par. 11, notre Cour a mis en garde contre l’utilisation du contrôle judiciaire pour contourner le système de cotisations et d’appels en matière fiscale établi par le Parlement :
      Il y a lieu de protéger l’intégrité et l’efficacité du système de cotisation et d’appel en matière fiscale. Le Parlement a édifié une structure complexe pour assurer le traitement d’une multitude de revendications se rapportant au fisc, et cette structure s’appuie sur un tribunal spécialisé et indépendant, la Cour canadienne de l’impôt. On ne saurait permettre que le contrôle judiciaire serve à créer une nouvelle forme de procédure connexe destinée à contourner le système d’appel établi par le Parlement en matière fiscale ainsi que la compétence de la Cour de l’impôt. Dans ce contexte, le contrôle judiciaire devrait demeurer un recours de dernier ressort. [Je souligne.]
[130]                     Il s’agit donc de savoir si une décision visée au par. 247(10) de la LIR, que le Ministre doit prendre pour déterminer le montant d’impôt dû quand un redressement à la baisse est demandé ou établi, ou les deux, relève de l’appel d’une cotisation. Même si notre Cour a affirmé que le Ministre n’a généralement aucun pouvoir discrétionnaire dans l’acquittement de son obligation statutaire d’établir une cotisation, elle n’a jamais eu à décider si un pouvoir discrétionnaire que doit exercer le Ministre pour que le montant d’impôt dû puisse être déterminé relève du droit d’appel prévu à l’art. 169 de la LIR (voir Canada (Procureur général) c. Collins Family Trust, 2022 CSC 26, par. 25‑26).
[131]                     Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que, comme elle a trait directement au bien‑fondé de la cotisation d’un contribuable, la décision du Ministre de refuser un redressement à la baisse du prix de transfert en vertu du par. 247(10) relève de la juridiction d’appel que confère l’art. 169 de la LIR à la Cour de l’impôt sur une cotisation. Avec égards pour l’avis contraire, l’opinion du Ministre visé au par. 247(10) ne saurait être dissociée de la cotisation. Bien que le Ministre n’ait généralement aucun pouvoir discrétionnaire dans l’établissement de l’obligation fiscale d’un contribuable, le par. 247(10) de la LIR crée une exception. Contrairement à d’autres pouvoirs discrétionnaires que possède le Ministre en vertu de la LIR, l’exercice du pouvoir que lui accorde le par. 247(10) n’est pas permissif quand un redressement à la baisse est demandé et/ou établi. Il faut exercer ce pouvoir en vue de déterminer le montant de l’impôt à payer. Puisqu’une décision visée au par. 247(10) a une incidence directe sur les montants du revenu et du revenu imposable et précède la détermination du montant ultime d’impôt dû, cette décision est inextricablement liée à la cotisation. Par conséquent, l’opposition d’un contribuable à la décision du Ministre de refuser un redressement à la baisse du prix de transfert se rapporte, de par sa nature essentielle, au montant d’impôt dû.
[132]                     Les réparations que peuvent accorder la Cour fédérale et la Cour de l’impôt renforcent la conclusion selon laquelle l’opposition d’un contribuable concernant le refus d’un redressement à la baisse du prix de transfert a trait au bien‑fondé d’une cotisation, c.‑à‑d. le montant d’impôt dû, dont la détermination implique l’exercice par le Ministre du pouvoir discrétionnaire que lui accorde le par. 247(10). Seule la Cour de l’impôt dispose des pouvoirs réparateurs convenables pour traiter de ces décisions. En accueillant l’appel d’une cotisation, la Cour de l’impôt peut, en vertu de l’al. 171(1)b) de la LIR, (i) annuler la cotisation, (ii) la modifier, ou (iii) la déférer au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation. Selon le sous‑al. 171(1)b)(iii), la Cour de l’impôt peut ordonner au Ministre de réexaminer la décision de refuser le redressement à la baisse en vertu du par. 247(10) qui est consignée dans la cotisation dont il est fait appel, et de procéder à une nouvelle cotisation. La Cour fédérale ne dispose pas des mêmes pouvoirs réparateurs d’annuler ou de modifier une cotisation.
[133]                     Cette conclusion s’accorde avec les régimes législatifs complets qui établissent la juridiction respective de chaque cour et avec les importants objectifs d’éviter une multiplicité de recours et de favoriser l’accès à la justice et l’efficacité. S’il est vrai, comme l’affirme mon collègue le juge Kasirer, que cette question d’interprétation législative se pose en l’espèce dans le cadre d’une demande présentée par une multinationale, ce fait n’est pas pertinent pour les besoins de l’interprétation, et cela n’importe pas pour cette opération. Le fait que l’argument de Dow Chemical ne bénéficie qu’à un faible nombre de sociétés contribuables n’est aucunement déterminant quant à la question soumise à la Cour.
II.            Contexte
[134]                     L’appelante, Dow Chemical Canada ULC (« Dow Chemical »), une société résidente du Canada, a conclu, en tant qu’emprunteuse, une convention de prêt renouvelable comportant un lien de dépendance datée du 17 février 2009, prenant effet le 1er janvier 2004, avec Dow Europe GmbH (« DowEur »), une société suisse, comme prêteuse. Par suite de cette convention de prêt, Dow Chemical a déboursé des frais d’intérêts s’élevant à 15 279 034 $ et à 6 694 341 $ pour les années d’imposition 2006 et 2007, respectivement. De manière accessoire, Dow Chemical a également déclaré pour l’année d’imposition 2006 un revenu de 5 930 155 $ au titre de services de fabrication à façon fournis à DowEur.
[135]                     À la suite d’une vérification des opérations conclues entre Dow Chemical et DowEur, la Ministre a établi une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2006 et a émis à Dow Chemical un avis à cet effet le 14 décembre 2011.
[136]                     La nouvelle cotisation a été établie en vertu des règles en matière de prix de transfert énoncées à l’art. 247 de la LIR. Cette disposition figure dans la partie XVI.1 de la LIR, directement après la partie XVI, qui instaure des règles anti‑évitement. Dans la même veine, l’art. 247 a pour objet « de prévenir l’évitement fiscal résultant de distorsions de prix susceptibles de survenir dans le cadre de relations comportant un lien de dépendance, en raison des intérêts communs que partagent les parties liées » (Canada c. Capital Générale Électrique du Canada Inc., 2010 CAF 344, par. 55 (CanLII)). En adoptant les règles en matière de prix de transfert à l’art. 247, « [l]e législateur a décidé d’aborder de manière indirecte le cas d’un contribuable canadien qui transférerait des profits à une personne ayant un lien de dépendance dans un autre territoire » (Canada c. Cameco Corporation, 2020 CAF 112, [2020] 4 R.C.F. 104, par. 81).
[137]                     Par conséquent, aux termes du par. 247(2) de la LIR, le revenu tiré par un contribuable des opérations qu’il a conclues avec une personne non résidente avec laquelle il a un lien de dépendance doit faire l’objet d’un redressement par le Ministre lorsque les modalités de ces opérations diffèrent de celles dont auraient convenu des personnes n’ayant pas de lien de dépendance (voir, p. ex., Canada c. GlaxoSmithKline Inc., 2012 CSC 52, [2012] 3 R.C.S. 3, par. 2). Le revenu du contribuable peut faire l’objet d’un redressement à la hausse (lorsque l’opération a conféré un avantage au contribuable), ou d’un redressement à la baisse (pour réduire le revenu du contribuable ou augmenter ses pertes ou ses dépenses), le tout se traduisant par une augmentation ou une diminution correspondante de l’impôt qu’il doit payer.
[138]                     Personne ne conteste que, dans le cas qui nous occupe, la Ministre a estimé que les opérations intervenues entre Dow Chemical et DowEur avaient été conclues par des personnes qui avaient un lien de dépendance. Comme le prescrivait le par. 247(2) de la LIR, la Ministre a effectué un redressement à la hausse à l’égard des services de fabrication fournis par Dow Chemical en ajoutant 307 234 104 $ à son revenu de 2006.
[139]                     La nouvelle cotisation de la Ministre ne comportait pas de redressement à la baisse en ce qui concernait les frais d’intérêts que Dow Chemical aurait déboursés si les parties n’avaient pas eu de lien de dépendance. Bien que le par. 247(2) prévoie la possibilité d’effectuer un redressement compensatoire à la baisse dans le cas d’opérations avec lien de dépendance, le par. 247(10) interdit expressément tout redressement à la baisse sauf « si le ministre estime que les circonstances le justifient ». Comme je l’explique plus loin, ces deux dispositions interagissent l’une avec l’autre lorsqu’un redressement à la baisse est demandé et/ou établi.
[140]                     À la suite de deux oppositions aux nouvelles cotisations et d’une abondante correspondance s’échelonnant sur plusieurs années, Dow Chemical a fait l’objet d’une nouvelle cotisation pour son année d’imposition 2006 le 14 décembre 2015, puis à nouveau le 13 avril 2017. Bien que les griefs de Dow Chemical concernant le redressement à la hausse aient été résolus, aucune des nouvelles cotisations n’incluait le redressement à la baisse sollicité par Dow Chemical, lequel demeure en litige.
[141]                     Dow Chemical a interjeté appel à la Cour de l’impôt à l’encontre de la nouvelle cotisation datée du 13 avril 2017. Dans son appel, elle contestait la décision de la Ministre de refuser le redressement à la baisse en vertu du par. 247(10). Toutefois, comme on ne savait pas avec certitude quelle cour avait juridiction pour contrôler cette décision — la Cour de l’impôt ou la Cour fédérale —, les parties ont soumis une question de droit à la Cour de l’impôt pour qu’elle se prononce sur la question de la juridiction avant l’audition de l’appel.
III.         Historique des procédures judiciaires
[142]                     En première instance, la juge de la Cour de l’impôt a décidé que la Cour de l’impôt avait juridiction à l’égard de la décision prise par le Ministre en vertu du par. 247(10), car cette décision touche directement au bien‑fondé d’une cotisation du contribuable (2020 CCI 139). Fondamentalement, la décision que prend le Ministre en vertu du par. 247(10) établit le revenu du contribuable pour une année donnée et constitue « un élément essentiel de la cotisation » (par. 29 (CanLII)). Bien qu’il n’existe pas de droit distinct de porter en appel devant la Cour de l’impôt une décision prise en vertu du par. 247(10), interpréter les par. 247(2) et (10) de la LIR de pair avec le par. 12(1) de la LCCI et le par. 169(1) de la LIR mène à la conclusion qu’une telle décision relève d’un droit d’appel prévu expressément par la loi. Aux termes de l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, c’est la Cour de l’impôt, et non la Cour fédérale, qui a juridiction.
[143]                     Tout au long de ses motifs, la juge de la Cour de l’impôt a insisté sur le fait que le par. 247(10) impose au Ministre l’obligation de décider si un redressement à la baisse du prix de transfert, une fois établi, est justifié dans les circonstances. La juge de la Cour de l’impôt a fait sienne l’avis que pareil pouvoir discrétionnaire, dans des circonstances comme celles de l’espèce, doit être exercé avant que le revenu et l’impôt à payer en découlant puissent être déterminés, et qu’une cotisation peut être établie seulement après que le Ministre se soit fait une opinion. Si le Ministre n’a pas du tout exercé le pouvoir discrétionnaire ou s’il l’a exercé sur le fondement de principes erronés, on ne peut pas dire que la cotisation est bien fondée.
[144]                     Malgré ce raisonnement, la juge de la Cour de l’impôt a précisé que ses motifs ne devaient pas être interprétés comme accordant aux contribuables un droit d’appel leur permettant de contester d’autres types de décision discrétionnaire que peut prendre le Ministre. Autrement dit, le pouvoir que confère le par. 247(10) se distingue des autres pouvoirs discrétionnaire dont dispose le Ministre aux termes de la LIR en ce qu’il n’est pas permissif et se rapporte directement au calcul du revenu ou du revenu imposable.
[145]                     La juge de la Cour de l’impôt ne s’est pas non plus prononcée sur la question de savoir s’il était loisible ou non à la Cour de l’impôt de substituer sa propre décision à celle du Ministre lorsqu’elle révise une décision prise par le Ministre en vertu du par. 247(10). Elle a plutôt souligné que, pour répondre à cette question, il fallait tenir compte de l’arrêt rendu par notre Cour dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653.
[146]                     L’opinion de la juge de la Cour de l’impôt sur la question de droit a été portée en appel devant la Cour d’appel fédérale, qui a rejeté à l’unanimité la démarche suivie par la juge de la Cour de l’impôt pour déterminer si la décision prise par le Ministre en vertu du par. 247(10) de la LIR relève du droit d’appel prévu à l’art. 12 de la LCCI (2022 CAF 70). La Cour d’appel a expliqué que, comme la LIR n’exclut pas expressément la juridiction dont jouit la Cour fédérale en acordant un droit d’appel, comme le précise l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale a juridiction pour contrôler les décisions discrétionnaires prises en vertu du par. 247(10) de la LIR.
[147]                     Selon la Cour d’appel, la solution du litige dépendait des mesures de réparation que peuvent accorder la Cour de l’impôt et la Cour fédérale. Le juge Webb, écrivant pour la Cour d’appel, a fait remarquer que la modification d’une cotisation faisant suite à une décision prise par le Ministre en vertu du par. 247(10) entraîne nécessairement la modification de la décision elle‑même, laquelle fait partie du processus consistant à déterminer l’obligation fiscale du contribuable. En conséquence, pour pouvoir rendre une décision qui modifie la cotisation, il faudrait que la Cour de l’impôt annule la décision du Ministre ou rende une ordonnance de la nature d’un bref de mandamus, pouvoirs que seule la Cour fédérale possède en vertu du par. 18.1(3) et de l’al. 18(1)a), respectivement, de la Loi sur les Cours fédérales.
[148]                     Aux termes des art. 169 et 171 de la LIR, les pouvoirs statutaires de la Cour de l’impôt en matière d’appel concernent la cotisation, laquelle correspond au résultat du processus; ce résultat se distingue du processus qui a abouti à la cotisation. Le processus d’établissement de la cotisation ne fait pas partie de la cotisation. Ainsi, les mesures de réparation que peut ordonner la Cour de l’impôt en vertu de la LIR ne comprennent pas la faculté de modifier ou d’annuler la décision du Ministre. Une fois de plus, ces pouvoirs appartiennent exclusivement à la Cour fédérale. Seule cette dernière peut contrôler la décision du Ministre.
IV.         Question en litige
[149]                     En vertu de l’art. 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90‑688a, les parties ont demandé une ordonnance pour que soit tranchée la question de droit suivante :
      [traduction] La décision que rend le ministre du Revenu national lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 247(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») pour rejeter la demande d’un contribuable sollicitant un redressement à la baisse du prix de transfert relève‑t‑elle de la compétence exclusive conférée à la Cour canadienne de l’impôt par l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt et l’article 171 de la LIR?
      (motifs de la C.C.I., par. 21)
V.           Analyse
[150]                     À mon avis, selon l’interprétation qu’il convient de donner au régime législatif complet établi par le Parlement pour déterminer qui, de la Cour fédérale ou de la Cour de l’impôt, peut connaître d’un litige fiscal donné, et après examen des faits de la présente affaire, la contestation par Dow Chemical de l’exercice par la Ministre de son pouvoir discrétionnaire devrait être instruite par la Cour de l’impôt, dans le cadre de l’appel de la cotisation. En effet, lors de l’appel d’une cotisation, la Cour de l’impôt a juridiction pour contrôler l’exercice par le Ministre du pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 247(10) quand cela résulte en une cotisation (comme en l’espèce). Cet exercice du pouvoir discrétionnaire est inextricablement lié à la cotisation du contribuable, et la contestation de ce dernier vise la cotisation elle‑même, non pas simplement la manière dont le Ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire. Une cotisation est « bien‑fondée » lorsque le montant établi au titre de l’impôt est fondé comme il se doit sur les dispositions applicables de la LIR (Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20, par. 21 (CanLII)).
A.           Les juridictions respectives de la Cour fédérale et de la Cour de l’impôt
[151]                     Pour répondre à la question au cœur du présent pourvoi, notre Cour doit porter une attention particulière aux contours de la juridiction conférée à la Cour fédérale et à la Cour de l’impôt aux termes de leur loi habilitante respective. Il est donc nécessaire d’exposer brièvement la juridiction de chacune de ces cours.
[152]                     En vertu de l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement a le pouvoir de constituer des tribunaux d’origine statutaire « pour la meilleure administration des lois du Canada ». Contrairement aux tribunaux dotés d’une juridiction inhérente, comme les cours supérieures des provinces (voir Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, [2013] 3 R.C.S. 3, par. 17‑18), les tribunaux statutaires tirent leur existence, leur juridiction et leurs pouvoirs uniquement de leur loi habilitante.
[153]                     Dans l’arrêt Windsor (City) c. Canadian Transit Co., 2016 CSC 54, [2016] 2 R.C.S. 617, par. 33, notre Cour a conclu que la Cour fédérale possède uniquement la juridiction qui lui est conférée par la loi; elle n’est pas dotée d’une juridiction inhérente, contrairement aux cours supérieures des provinces. La Cour fédérale ne peut agir qu’à l’intérieur des limites des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi. Le libellé de la Loi sur les Cours fédérales « détermine complètement » l’étendue de la juridiction de la Cour fédérale (voir Roberts c. Canada, 1989 CanLII 122 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 322, p. 331). Il en va de même pour la Cour de l’impôt, qui, en vertu de l’art. 12 de la LCCI, a compétence exclusive sur les questions à l’égard desquelles un renvoi ou un appel devant elle est prévu. Toute question concernant les limites à la juridiction de la Cour fédérale et à celle de la Cour de l’impôt en matière fiscale doit par conséquent être tranchée conformément à leur loi habilitante respective. À cet égard, il faut lire les termes de chaque loi « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26).
[154]                     La Loi sur les Cours fédérales établit un régime statutaire complet pour déterminer si la Cour fédérale a juridiction sur une question donnée. L’analyse débute par le par. 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, qui confère à la Cour fédérale un pouvoir de surveillance sur les décisions d’« un office fédéral ». Pour l’application de cette disposition, il est bien établi que le Ministre est considéré comme un « office fédéral » (voir Addison & Leyen, par. 8; Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585, par. 3 et 50). Aux termes de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale a compétence exclusive en première instance pour accorder certaines réparations sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision administrative fédérale (par. 18(1) et 18(3) et art. 18.1). La Cour fédérale a compétence exclusive en première instance pour accorder les réparations suivantes :
      18 (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :
      a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;
      b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.
[155]                     Toutefois, l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales limite et écarte le pouvoir exclusif en première instance de la Cour fédérale d’accorder des réparations de cette nature lorsqu’une autre loi fédérale prévoit expressément un droit d’appel à la Cour de l’impôt :
      18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l’impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.
[156]                     La limitation de juridiction énoncée à l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales a été interprétée comme ayant pour objet d’empêcher l’introduction d’instances parallèles devant la Cour fédérale et la Cour de l’impôt en matière fiscale. La Cour d’appel fédérale l’a clairement indiqué dans l’arrêt Walker c. Canada, 2005 CAF 393, par. 13 (CanLII), en concluant que l’art. 18.5 doit être interprété, « dans la mesure du possible, de manière à éviter les procédures parallèles devant la Cour fédérale et la Cour canadienne de l’impôt, à l’égard de deux questions essentiellement identiques ». De même, dans l’arrêt Addison & Leyen, notre Cour a souligné que le contrôle judiciaire ne devrait pas servir à contourner le système de cotisations et d’appels fiscaux établi par le Parlement.
[157]                     Le souci de garantir une bonne administration fiscale, l’accès à la justice et l’efficacité sous‑tendent le choix du Parlement de privilégier la juridiction de la Cour de l’impôt au détriment du pouvoir de surveillance de la Cour fédérale lorsqu’un droit d’appel est expressément prévu. Le Parlement a d’ailleurs créé la Cour de l’impôt et ses prédécesseurs pour connaître spécifiquement des questions fiscales et offrir aux contribuables une tribune accessible et crédible pour faire trancher leurs litiges avec l’Administration (voir G. Bourgard et R. McMechan, Tax Court Practice (feuilles mobiles), p. 22‑7 et 22‑8). Dans le même esprit, le Parlement a établi une procédure simplifiée pour les appels d’un contribuable dans lesquels le montant d’impôt en cause est inférieur à un montant déterminé (Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure informelle), DORS/90‑688b). Les tribunaux doivent prendre garde à ne pas contrecarrer l’intention du Parlement de confier à la Cour de l’impôt les questions fiscales qui relèvent de sa juridiction exclusive.
[158]                     Compte tenu de cette limite claire apportée à la juridiction de la Cour fédérale, la véritable question qui se pose pour les besoins du présent pourvoi est celle de savoir si un droit d’appel expressément prévu par le Parlement empêche la Cour fédérale d’avoir juridiction sur une décision discrétionnaire prise par le Ministre en vertu du par. 247(10). Pour répondre à cette question, il importe de garder à l’esprit, comme l’a fait la juge de la Cour de l’impôt en première instance, l’évolution historique de la juridiction d’appel de la Cour de l’impôt, qui est le prolongement direct de la juridiction d’appel de la Cour de l’Échiquier, de la Commission d’appel de l’impôt sur le revenu et de la Commission d’appel de l’impôt.
[159]                     Les articles 165 et 169, qui se trouvent dans les sections I et J, respectivement, de la partie I de la LIR, prévoient les appels à la Cour de l’impôt. Dans l’arrêt JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, la Cour d’appel fédérale a écrit qu’en vertu des art. 165 et 169 de la LIR, la Cour de l’impôt a juridiction exclusive pour contrôler la validité et le bien‑fondé des cotisations. Rédigeant l’arrêt unanime de la Cour d’appel fédérale, le juge Stratas a déclaré que ces dispositions établissaient « une procédure d’appel complète qui permet au contribuable de soulever devant la Cour canadienne de l’impôt toutes les questions relatives au bien‑fondé des cotisations, à savoir si les cotisations sont fondées sur les faits et conformes à la loi applicable » (par. 82).
[160]                     Le paragraphe 169(1) de la LIR confère aux contribuables un droit d’appel pour faire annuler ou modifier une cotisation :
      169 (1) Lorsqu’un contribuable a signifié un avis d’opposition à une cotisation, prévu à l’article 165, il peut interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt pour faire annuler ou modifier la cotisation :
      a) après que le ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation;
      b) après l’expiration des 90 jours qui suivent la signification de l’avis d’opposition sans que le ministre ait notifié au contribuable le fait qu’il a annulé ou ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation;
      toutefois, nul appel prévu au présent article ne peut être interjeté après l’expiration des 90 jours qui suivent la date où avis a été envoyé au contribuable, en vertu de l’article 165, portant que le ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation.
[161]                     Une fois qu’une opposition à une cotisation a été formulée de la manière et dans le délai précisés au par. 165(1) de la LIR et que les conditions de l’art. 169 sont réunies, un appel est interjeté. Les procédures engagées devant la Cour de l’impôt diffèrent des appels ordinaires, en ce que [traduction] « les audiences sont de l’ordre d’un procès au cours duquel les deux parties ont le droit de présenter des éléments de preuve » (Campbell c. Minister of National Revenue, 1952 CanLII 49 (SCC), [1953] 1 R.C.S. 3, p. 4). Selon l’art. 169 de la LIR, la Cour de l’impôt est chargée d’établir de novo l’impôt que doit payer le contribuable, indépendamment du fait que la preuve soumise à la cour a été régulièrement portée à la connaissance du Ministre au moment de la cotisation. La portée de l’appel sur des questions de fait est fonction des actes de procédure, surtout des présomptions de fait sur lesquelles s’est fondée le Ministre pour établir la cotisation. Sous le régime des procédures informelle et générale, les parties peuvent produire des éléments de preuve pour appuyer des conclusions de fait différentes de celles sur laquelle repose la cotisation, et le fardeau de la preuve incombe à la partie alléguant des faits nouveaux ou différents, selon la prépondérance des probabilités (Johnston c. Minister of National Revenue, 1948 CanLII 1 (SCC), [1948] R.C.S. 486; voir aussi Jacyk (2008), p. 667).
[162]                     Vu la juridiction exclusive que l’art. 169 de la LIR confère à la Cour de l’impôt pour se prononcer sur la validité et le bien‑fondé des cotisations, la question au cœur du présent pourvoi est de savoir si le droit d’appel expressément prévu par le Parlement s’étend au contrôle de la décision prise par le Ministre en vertu du par. 247(10), empêchant de ce fait la Cour fédérale d’avoir juridiction par application de l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales.
B.            Le droit d’appel prévu à l’art. 169 s’étend aux décisions prises en vertu du par. 247(10) qui résultent en une cotisation
[163]                     Lors de sa plaidoirie devant notre Cour, le procureur de Dow Chemical a soutenu qu’il convenait de reconnaître à la Cour de l’impôt juridiction à l’égard de tout exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel lié à une cotisation. À cet égard, il a assimilé le par. 247(10) à d’autres dispositions de la LIR investissant le Ministre du pouvoir discrétionnaire d’annuler l’impôt, les intérêts ou les pénalités établis. Toutefois, dans son mémoire, Dow Chemical a concédé que ni la Cour de l’impôt ni la Cour d’appel fédérale ne s’est prononcée en l’espèce sur d’autres dispositions discrétionnaires de cette nature (m.a., par. 105). Malgré que cela pourrait s’avérer bénéfique du point de vue de l’accès à la justice, il ne revient pas aux tribunaux de remédier aux lacunes dont souffre la juridiction de la Cour de l’impôt. Le Parlement peut, à sa guise, modifier les lois pertinentes s’il le juge nécessaire.
[164]                     À mon avis, je le répète, il s’agit de savoir si le droit d’appel d’une cotisation prévu expressément à l’art. 169 de la LIR s’étend au contrôle de la décision discrétionnaire du Ministre de refuser la demande d’un contribuable sollicitant un redressement à la baisse du prix de transfert. Pour répondre à cette question, il est nécessaire de déterminer la nature des oppositions que le Parlement voulait inclure dans la juridiction de la Cour de l’impôt lorsqu’est interjeté appel d’une cotisation en vertu de l’art. 169 de la LIR.
[165]                     Il est donc essentiel que les circonstances du présent appel soient d’abord clairement définies. La décision qui nous intéresse est celle du Ministre d’accorder, ou non, le redressement à la baisse du prix de transfert en vertu du par. 247(10) selon qu’il estime ou non que « les circonstances le justifient ». Le paragraphe 247(10) ne définit pas ces circonstances ni ne donne d’indication sur ce qu’elles pourraient être. Le Ministre dispose donc d’un vaste pouvoir discrétionnaire de prendre une décision en se fondant sur sa propre évaluation des circonstances, des considérations de politique générale (comme nous le verrons ultérieurement dans les présents motifs) et des dispositions législatives applicables. La décision du Ministre d’accorder ou non un redressement à la baisse du prix de transfert est habituellement consignée dans la cotisation du contribuable, car elle influe sur le montant du revenu ou du revenu imposable et, par conséquent, sur le montant d’impôt dû.
[166]                     L’Agence du revenu du Canada a indiqué qu’un redressement à la baisse du prix de transfert concernant un pays signataire ou non d’un traité fiscal peut découler de ce qui suit :
A. Une demande d’un contribuable indépendante d’une vérification de prix de transfert;
B. Une demande d’un contribuable à la suite d’un redressement à la hausse instauré par une autorité fiscale étrangère;
C. Une demande du contribuable au cours d’une vérification de prix de transfert;
D. Un redressement instauré par un vérificateur de l’Agence au cours d’une vérification de prix de transfert.
      (PTM‑03R : Redressements à la baisse de prix de transfert, 21 juin 2022 (en ligne), par. 9; voir aussi D. Sandler et L. Watzinger, « Disputing Denied Downward Transfer‑Pricing Adjustments » (2019), 67 Rev. fisc. can. 281, p. 284‑286.)
[167]                     Contrairement à d’autres dispositions qui confèrent au Ministre un pouvoir discrétionnaire ayant un impact sur le montant du revenu ou du revenu imposable d’un contribuable, tels le par. 91(2), l’al. 111(1.1)c) et le par. 125(7) de la LIR, le par. 247(10) n’est pas permissif.
[168]                     Personne ne conteste que le par. 247(10) est une exception à la règle générale prévue au par. 247(2), qui prescrit les redressements à la hausse ou à la baisse nécessaires pour tenir compte des montants qui auraient été convenus si les parties n’avaient pas eu entre elles de lien de dépendance (F. Vincent et M. Ranger, Transfer Pricing in Canada (2018), p. 320; PTM‑03R, par. 5‑6). Le paragraphe 247(10) impose toutefois une restriction à tout redressement à la baisse de prix de transfert en l’assujettissant au pouvoir discrétionnaire du Ministre (PTM‑03R, par. 7).
[169]                     Même si, en raison du par. 247(10), le contribuable n’a pas droit à un redressement à la baisse en toutes circonstances, je suis d’avis que le contribuable a droit à l’opinion du Ministre sur le point de savoir si les circonstances le justifient. Il en est ainsi parce que, tel que l’ont fait remarquer la juge de la Cour de l’impôt et la Cour d’appel fédérale, le par. 247(2) n’établit pas de distinction entre les redressements à la hausse et les redressements à la baisse (motifs de la C.C.I., par. 7‑10; motifs de la C.A., par. 23‑24 (CanLII)). Le choix de rédaction du Parlement ici a de l’importance. Selon le par. 247(2), les montants « font l’objet » d’un redressement à la hausse ou à la baisse lorsque les conditions prescrites à cette disposition sont réunies. Les mots « ne peut être effectué [. . .] que si » qui figurent au par. 247(10) créent une exception limitée qui doit être interprétée conjointement avec le par. 247(2). Les paragraphes 247(2) et 247(10), lus ensemble, obligent le Ministre à se faire une opinion sur la question de savoir si un redressement à la baisse est justifié lorsqu’un tel redressement est demandé et/ou établi. Soit le Ministre estime que les circonstances justifient le redressement à la baisse et l’accorde, soit il n’est pas de cet avis et le refuse. La juge de la Cour de l’impôt a eu raison de décider que ces dispositions établissent une règle qu’il faut appliquer pour calculer le revenu ou le revenu imposable et, partant, l’impôt en vertu de la partie I de la LIR (par. 10).
[170]                     Si l’on adoptait le point de vue suivant lequel il est possible de faire abstraction du par. 247(10) même lorsqu’un redressement à la baisse est demandé et/ou établi, comme la Couronne nous invite à le faire, le Ministre serait à l’abri de toute surveillance (m.i., par. 112). Cette interprétation permettrait, par exemple, au Ministre de ne jamais exercer son pouvoir discrétionnaire, et ainsi de refuser indirectement le redressement à la baisse, au lieu de le refuser effectivement. Cela mènerait à la conclusion selon laquelle le Parlement voulait que, chaque fois qu’un redressement à la baisse est demandé et/ou établi, les contribuables sollicitent un bref de mandamus en Cour fédérale pour s’assurer que le Ministre exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu du par. 247(10). Comme le signalent Vincent et Ranger, ce n’est certainement pas ce que voulait le Parlement (voir la p. 324). J’ajoute qu’il est peu probable, sur la base d’une telle interprétation, qu’un bref de mandamus puisse être délivré, ce qui priverait le contribuable de tout recours.
[171]                     Cela ne veut pas dire que le Ministre a l’obligation générale de considérer le bien‑fondé de redressements à la baisse avant d’établir une cotisation. Toutefois, quand le par. 247(2) est en jeu, le Ministre est tenue de se faire une opinion quant à un redressement à la baisse. Pareille obligation peut prendre naissance dans les circonstances décrites au par. 164 des présents motifs (bien que je prenne soin de ne pas restreindre cette obligation aux circonstances en question). En l’espèce, la Ministre a reconnu que le par. 247(2) était en jeu et qu’il serait normal, vu sa fonction de vérificatrice, d’accorder un redressement à la baisse; mais la Ministre a néanmoins refusé de le faire, ce qui a donné lieu à l’appel de la nouvelle cotisation. La conclusion de la juge de la Cour de l’impôt selon laquelle le par. 247(10) n’est pas permissif doit être interprétée eu égard à ces circonstances (par. 182, 191, 196 et 199).
[172]                     Mon collègue affirme que le droit d’appel prévu à l’art. 169 de la LIR ne saurait s’étendre aux décisions discrétionnaires visées au par. 247(10) parce qu’une telle interprétation ne concorderait pas avec le sens établi du mot « cotisation » aux fins de l’application de l’art. 169 de la LIR. Il se fonde principalement sur l’arrêt Okalta Oils Ltd. c. Minister of National Revenue, 1955 CanLII 70 (SCC), [1955] R.C.S. 824, de notre Cour.
[173]                     Nul ne conteste que l’arrêt Okalta Oils demeure un précédent contraignant de notre Cour quant au sens d’une « cotisation ». Dans cette affaire, une société avait reçu au départ une cotisation de 1 000 $ à l’égard d’une année d’imposition donnée. La société a signifié un avis d’opposition à la cotisation, et le Ministre, à la suite d’un nouvel examen, a établi une nouvelle cotisation de zéro dollar à l’égard de la société. En appel de la nouvelle cotisation, la société a plaidé qu’elle avait le droit de réclamer des déductions supplémentaires relativement à des coûts de forage et d’exploration. Le juge Fauteux, plus tard juge en chef, a décidé que, suivant les dispositions de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, c. 97 (« LIGR »), il n’y avait pas de cotisation car aucun impôt n’avait été réclamé : [traduction] « Toute autre opposition que celle liée en fin de compte à un montant réclamé n’avait pas l’objet à l’origine du droit d’interjeter appel de la décision du Ministre à la Commission » (p. 826 (je souligne)).
[174]                     Dans l’arrêt Canada c. Consumers’ Gas Co., 1986 CanLII 6796 (CAF), [1987] 2 C.F. 60, la Cour d’appel fédérale a fait sienne une interprétation semblable du mot « cotisation » dans le contexte du droit d’appel prévu par la LIR, confirmant le principe qu’un contribuable ne peut interjeter appel d’une cotisation égale à zéro :
      C’est la cotisation du ministre qui fait l’objet d’un appel devant les tribunaux aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu. Bien que le terme « cotisation » puisse être interprété de deux manières différentes, soit comme la procédure au moyen de laquelle l’impôt est évalué, soit comme le produit de cette évaluation, il me semble évident, à la lecture des articles 152 à 177 de la Loi de l’impôt sur le revenu, que le terme y est employé seulement dans son second sens. Cette conclusion découle en particulier du paragraphe 165(1) et du principe bien établi selon lequel un contribuable ne peut ni s’opposer à une cotisation égale à zéro ni interjeter appel contre celle‑ci. [Je souligne; p. 67.]
[175]                     Ce raisonnement a été invoqué dans les arrêts Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403, par. 8 (CanLII), et Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2007 CAF 188, [2008] 1 R.C.F. 839, par. 32‑33, pour affirmer qu’un appel interjeté en vertu de l’art. 169 porte sur une opposition au montant d’impôt dû. Il convient de signaler qu’aucune de ces décisions n’a cité l’arrêt Okalta Oils ni ne s’est fondée sur celui‑ci. Ces décisions ne peuvent et ne devraient pas être interprétées comme s’écartant de l’énoncé de notre Cour dans cet arrêt voulant que le droit d’appel prévu à l’art. 169 de la LIR soit « li[é] en fin de compte à un montant réclamé ». En fait, dans Main Rehabilitation, la Cour d’appel fédérale a jugé de façon similaire que la question en litige lors de l’appel d’une cotisation est de savoir « si les montants pouvaient valablement être cotisés » (par. 8). À mon avis, la distinction établie dans ces décisions veut simplement dire que ce qui est en litige lors de l’appel d’une cotisation, c’est le montant d’impôt dû par le contribuable, et non pas seulement la conduite du Ministre dans l’établissement de la cotisation ou la fin pour laquelle il l’a établie. Cela cadre avec le texte de l’art. 169, qui prévoit qu’un contribuable peut interjeter appel devant la Cour de l’impôt pour faire « annuler ou modifier la cotisation ».
[176]                     En l’espèce, la Cour d’appel fédérale a jugé que le droit d’appel d’une cotisation prévu à l’art. 169 n’a pas pour effet d’étendre la juridiction de la Cour de l’impôt aux décisions discrétionnaires que prend le Ministre en vertu du par. 247(10) de la LIR. Cette conclusion reposait en grande partie sur les pouvoirs réparateurs « limités » de la Cour de l’impôt. Pour le juge Webb, les décisions visées au par. 247(10) font partie du processus suivi pour déterminer l’obligation fiscale du contribuable et, par conséquent, elles ne relèvent pas de la juridiction d’appel de la Cour de l’impôt sur une cotisation, ni de ses pouvoirs réparateurs (par. 62 et 72‑77). Mon collègue est du même avis.
[177]                     Bien que je prenne acte de la jurisprudence sur laquelle est fondé le raisonnement de la Cour d’appel fédérale, en l’espèce, notre Cour est en présence non pas d’une cotisation égale à zéro ni d’allégations concernant le processus suivi, mais plutôt d’un montant touché directement par un pouvoir discrétionnaire que le Ministre est tenu d’exercer. Nul ne conteste que le montant de l’impôt à payer découle de l’application des dispositions statutaires pertinentes aux faits, et personne ne suggère non plus que le Ministre a généralement quelque pouvoir discrétionnaire que ce soit à exercer dans l’exécution de son obligation statutaire d’établir une cotisation. On ne devrait pas interpréter les présents motifs comme voulant que toute décision discrétionnaire que peut prendre le Ministre en matière fiscale — comme celles envisagées par les dispositions d’équité — relève de la compétence de la Cour de l’impôt. Cette idée a été expressément rejetée en première instance, car « les dispositions prévoyant la renonciation à un impôt par ailleurs à payer ou son annulation ne jouent que lorsque l’impôt à payer a été calculé » (par. 190 (je souligne), citant Hunt c. La Reine, 2018 CCI 193, par. 29 (CanLII)).
[178]                     Il s’agit de savoir si une décision visée au par. 247(10) de la LIR, que doit prendre le Ministre avant que le montant de l’impôt à payer puisse être calculé, relève de l’appel d’une cotisation. Il ne s’agit pas d’une disposition permissive; cette disposition « exige [plutôt] que le ministre se fasse une opinion sur la question de savoir si la cotisation établie à l’égard du contribuable devrait comporter ou non l’avantage de ce redressement » (motifs de la C.C.I., par. 210 (je souligne)). La question est de savoir si, en conséquence, les contestations de l’exercice par le Ministre du pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 247(10) peuvent être caractérisées à bon droit comme étant « liée[s] en fin de compte à un montant réclamé » dans le cadre d’une cotisation, si bien qu’elles relèvent du droit d’appel prévu à l’art. 169 de la LIR.
[179]                     Aux termes de la LIR, le Parlement a expressément imposé des restrictions au droit d’un contribuable de s’opposer aux cotisations découlant de certaines décisions discrétionnaires prises par le Ministre et d’interjeter appel de ces cotisations (voir les par. 165(1.1) et 169(1)). Il est important de noter qu’aucune disposition de ce genre n’empêche d’interjeter appel d’une cotisation découlant de la décision du Ministre prise en vertu du par. 247(10) de la LIR. Je prendrais donc soin de ne pas interpréter de manière trop étroite la portée de l’art. 169 de la LIR par renvoi à d’autres dispositions édictées par le Parlement dans le but d’élargir la compétence de la Cour de l’impôt (voir, p. ex., les par. 152(1.2), 152(1.3), 166.2(2) et 169(1.1)).
[180]                     Il faut maintenant examiner la portée de l’art. 169 de la LIR. Je signale d’entrée de jeu que les considérations relatives à la norme de contrôle applicable ne sont pas pertinentes pour décider quelle cour a juridiction lorsque le bien‑fondé d’une cotisation est en cause. Ces considérations ne sont pertinentes qu’une fois la juridiction établie. À mon avis, le droit d’appel prévu à l’art. 169 de la LIR s’étend aux décisions prises par le Ministre en vertu du par. 247(10) de cette loi. L’opposition d’un contribuable à une décision du Ministre visée au par. 247(10), laquelle doit être prise avant qu’une cotisation puisse être établie, porte sur le montant d’impôt dû. L’exercice par le Ministre de son pouvoir discrétionnaire dans ce contexte est inextricablement lié au bien‑fondé de la cotisation (motifs de la C.C.I., par. 171‑173). Une opposition à cette décision est « liée en fin de compte à un montant réclamé » (Okalta Oils, p. 826). Je m’explique.
[181]                     Pour établir une cotisation, il faut suivre trois étapes. Premièrement, dans notre régime fiscal d’auto‑déclaration, le Ministre doit faire certaines hypothèses factuelles. Deuxièmemement, le Ministre doit interpréter les dispositions statutaires pertinentes et les appliquer à ces hypothèses factuelles. Troisièmement, selon les dispositions relatives au prix de transfert, le Ministre doit décider si les circonstances justifient ou non un redressement à la baisse, une décision qui a une incidence directe sur le montant du revenu et du revenu imposable. Chacune de ces mesures a un impact sur le montant d’impôt à payer et se répercute directement sur le montant de l’impôt que doit payer un contribuable. Elles sont inextricablement liées au bien‑fondé de la cotisation.
[182]                     Puisque l’art. 169 de la LIR confère à la Cour de l’impôt une juridiction exclusive sur la validité et le bien‑fondé de la cotisation, il est nécessaire que la même cour ait également juridiction pour procéder au contrôle de chacune de ces trois étapes, dans le cadre d’une révision de novo. Le fait pour le Ministre de refuser ou d’autoriser le redressement à la baisse du prix de transfert en vertu du par. 247(10) est inextricablement lié au bien‑fondé de la cotisation qui en découle. Ce qui place l’affaire devant la Cour de l’impôt est la question de savoir si l’exercice par le Ministre de son pouvoir discrétionnaire constitue un élément essentiel de la cotisation en fait et en droit. Il ne s’agit pas d’un élargissement de la juridiction de la Cour de l’impôt « par déduction nécessaire », mais simplement d’une application de l’art. 169 de la LIR.
[183]                     Il est utile de garder à l’esprit que, comme je l’ai expliqué plus tôt, le par. 247(2) de la LIR oblige le Ministre à ajuster au besoin les prix de transfert pour s’assurer qu’ils correspondent aux prix qui auraient été fixés si elles n’avaient pas eu de lien de dépendance entre elles. Cette disposition particulière concerne le bien‑fondé du prix de transfert et, partant, le bien‑fondé du calcul du revenu et du revenu imposable d’un contribuable. Toutefois, le par. 247(10) exige qu’un redressement à la baisse ne soit effectué que si « le ministre estime que les circonstances le justifient ». À cet égard, je fais mienne la conclusion de la juge de la Cour de l’impôt selon laquelle la décision discrétionnaire prise par le Ministre en vertu du par. 247(10) en est une qui « doit (et non “peut”) être prise avant que le revenu et par conséquent l’impôt à payer puissent être établis par cotisation conformément aux dispositions en matière de prix de transfert, est de nature différente qu’une décision discrétionnaire qui est entièrement facultative et qui peut être prise seulement après que l’impôt, les intérêts et les pénalités ont été établis par cotisation conformément aux dispositions de la LIR » (par. 196 (premier soulignement ajouté; deuxième et troisième soulignements dans l’original)).
[184]                     Je suis également d’accord avec la juge de la Cour de l’impôt pour affirmer que, même si le Ministre ne dispose généralement d’aucun pouvoir discrétionnaire à exercer dans l’établissement de l’impôt que doit payer un contribuable, le pouvoir discrétionnaire qu’accorde le par. 247(10) est une exception à ce principe. Il s’agit d’un pouvoir que le Ministre doit exercer lorsque le par. 247(2) est en jeu, c.‑à‑d. quand un redressement à la baisse est établi lors d’une vérification du prix de transfert ou à la demande d’un contribuable (par. 199).
[185]                     La décision du Ministre de refuser un redressement à la baisse du prix de transfert qui serait autrement imposé par le par. 247(2) est inextricablement liée au bien‑fondé de la cotisation qui en découle. Cette décision a trait au calcul du revenu ou du revenu imposable d’un contribuable, et a une incidence directe sur le montant d’impôt payable pour une année d’imposition. C’est un fait sur lequel repose nécessairement l’application des dispositions statutaires pertinentes, et qui donne lieu à la cotisation. Dans des circonstances comme celles du présent pourvoi, il est évident que le montant de l’impôt à payer ne peut être calculé qu’une fois que le Ministre a pris sa décision concernant la demande de redressement à la baisse du prix de transfert.
[186]                     Par conséquent, si le pouvoir discrétionnaire prévu au par. 247(10) n’est pas exercé ou est exercé de façon illégitime, la cotisation qui en découle ne peut être exacte, parce que la décision a nécessairement une incidence sur le calcul de l’obligation fiscale (motifs de la C.C.I., par. 197 et 213). Dans une telle situation, le Ministre ne s’est pas acquitté de ses responsabilités statutaires; la cotisation qui en découle est inexacte en raison d’un exercice irrégulier du pouvoir discrétionnaire. Comme l’a écrit le président Thorson dans Nicholson Ltd. c. Minister of National Revenue, 1945 CanLII 328 (CA EXC), [1945] R.C. de l’É. 191, p. 205, si le Ministre n’a pas agi correctement en exerçant son pouvoir discrétionnaire, [traduction] « il n’a pas exercé du tout le pouvoir discrétionnaire exigé par l’article, et si la décision qu’il a ainsi prise fait partie d’une cotisation[,] celle‑ci est inexacte dans cette mesure ». Dans le cadre d’un appel d’une cotisation qui découle d’une décision prise en vertu du par. 247(10), [traduction] « l’intervention de la Cour n’est pas vraiment une intervention à l’égard de l’exercice du pouvoir discrétionnaire, mais plutôt le constat que celui‑ci n’a pas été exercé » (p. 208; voir aussi Pure Spring Co. c. Minister of National Revenue, 1946 CanLII 290 (CA EXC), [1946] R.C. de l’É. 471, p. 503‑504).
[187]                     Autrement dit, le fait que le Ministre a exercé au départ son pouvoir discrétionnaire de façon illégitime, mais est arrivé plus tard à la même conclusion en exerçant son pouvoir discrétionnaire de façon légitime, après s’être vu ordonner d’effectuer un nouvel examen et de procéder à une nouvelle cotisation, ne signifie pas que l’intervention de la Cour de l’impôt n’était pas justifiée en premier lieu. La cotisation initiale serait plutôt inexacte en fait et en droit à cause d’un exercice illégitime du pouvoir discrétionnaire; la nouvelle cotisation serait exacte, et aucune opposition à celle‑ci ne pourrait être présentée pour ce motif. Une opposition à la cotisation qui découle d’une telle décision donne naissance à un droit d’appel. Pareille opposition est « liée en fin de compte à un montant réclamé » dans le cadre d’une cotisation, que le Parlement a fait relever de la juridiction exclusive de la Cour de l’impôt à l’art. 169 de la LIR (Okalta Oils, p. 826).
[188]                     Ce qui précède s’accorde également avec le principe général selon lequel, en décidant si une cour a juridiction sur une demande, il est nécessaire de déterminer la nature essentielle ou le caractère véritable de celle‑ci (Windsor (City), par. 25; Canada (Procureur général) c. British Columbia Investment Management Corp., 2019 CSC 63, [2019] 4 R.C.S. 559, par. 36‑37; Canada c. Domtar Inc., 2009 CAF 218, par. 28 (CanLII); JP Morgan, par. 50; Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp., 2014 CAF 140, par. 25 (CanLII); Wenham c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 199; International Air Transport Association c. Office des transports du Canada, 2022 CAF 211, par. 26 (CanLII)). Cela est d’autant plus indiqué en matière fiscale pour éviter de contrecarrer l’intention du Parlement que la cotisation relève exclusivement de la compétence de la Cour de l’impôt, une cour spécialisée (Addison & Leyen, par. 11). Lorsqu’il s’oppose à une cotisation qui découle de l’exercice par le Ministre du pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 247(10), le contribuable est préoccupé par le montant d’impôt dû, non pas simplement par la légitimité de l’exercice par le Ministre de son pouvoir discrétionnaire.
[189]                     Le droit d’appel prévu à l’art. 169 de la LIR s’étend à la décision prise par le Ministre en vertu du par. 247(10) de cette loi. Là encore, ce droit d’appel puise sa source dans la cotisation, non dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire en tant que tel; le montant d’impôt cotisé doit découler directement de la décision prise par le Ministre en vertu du par. 247(10) pour qu’un droit d’appel prenne naissance. Il n’existe pas de droit d’appel à la Cour de l’impôt qui permette de contester des décisions purement administratives ou d’autres décisions que le Ministre peut prendre à l’égard d’une somme après que l’impôt à payer ait été établi, comme l’a affirmé la juge de la Cour de l’impôt (par. 168‑191). Si le résultat était une cotisation égale à zéro ou que l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le Ministre en vertu du par. 247(10) n’a eu aucune incidence sur le montant de l’impôt à payer pour l’année d’imposition visée par l’appel (ce qui oblige, par exemple, le contribuable à attendre jusqu’à une année d’imposition durant laquelle la somme entre en jeu), pareil exercice du pouvoir discrétionnaire ne peut être contesté devant la Cour de l’impôt.
[190]                     Je souscris entièrement à la conclusion de la juge de la Cour de l’impôt suivant laquelle, en l’espèce, la décision de la Ministre de refuser le redressement à la baisse en vertu du par. 247(10) est « un élément essentiel de la cotisation [d’impôt sur le revenu], [. . .] elle concerne l’exactitude de la cotisation et par conséquent [. . .] elle est susceptible d’appel devant la Cour de l’impôt au titre de sa compétence d’appel exclusive quant à l’exactitude des cotisations » (par. 29). À mon avis, cette conclusion n’est à l’origine d’aucune incertitude juridique, n’élargit le sens établi du mot « cotisation » ni ne modifie la nature du droit d’appel prévu à l’art. 169 de la LIR.
[191]                     Il n’est pas contesté, quand l’application du par. 247(2) donne lieu à un redressement à la hausse du revenu d’un contribuable et que le Ministre établit à l’égard du contribuable une cotisation en conséquence, que ce dernier a le droit d’interjeter appel de cette cotisation à la Cour de l’impôt (voir, p. ex., Cameco). Je suis d’accord avec Dow Chemical pour dire que le même droit d’appel à la Cour de l’impôt devrait exister lorsqu’en application du par. 247(2), un redressement à la baisse du revenu du contribuable s’impose, mais que le Ministre décide de le refuser en vertu du par. 247(10) et d’établir en conséquence l’impôt à payer (m.a., par. 130). Conclure autrement mènerait à des résultats absurdes. Par exemple, l’opposition d’un contribuable à une cotisation qui entraîne à la fois des redressements à la hausse et à la baisse devrait être adressée à la Cour fédérale pour contester la décision du Ministre de refuser le redressement à la baisse, tout en faisant appel à la Cour de l’impôt pour contester le redressement à la hausse.
[192]                     Avec égards, je suis d’avis que la Cour d’appel fédérale a commis une erreur en statuant que les décisions que prend le Ministre en vertu du par. 247(10) ne relèvent pas de la juridiction d’appel exclusive de la Cour de l’impôt sur les cotisations. Le droit d’appel prévu à l’art. 169 s’étend à une décision du Ministre visée au par. 247(10), car cette décision porte sur le bien‑fondé d’une cotisation. À cet égard, je conviens avec la juge de la Cour de l’impôt que « [l]’exercice qu’a fait le ministre du pouvoir discrétionnaire prévu au par[.] 247(10) [. . .] est susceptible d’appel devant la Cour de l’impôt, il n’est pas susceptible de contrôle judiciaire par la Cour fédérale, quoique la décision que rendra la Cour de l’impôt dans l’appel visant la cotisation pourra faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale » (par. 215).
C.            Les pouvoirs de réparation que possède la Cour de l’impôt en vertu de l’art. 171 de la LIR lui permettent de connaître des décisions discrétionnaires touchant au bien‑fondé d’une cotisation
[193]                     L’essentiel de l’argumentaire avancé par la Couronne à l’encontre de la compétence de la Cour de l’impôt de contrôler les décisions discrétionnaires prises par le Ministre en vertu du par. 247(10) réside dans les réparations qui peuvent être accordées en vertu de l’art. 171 de la LIR pour statuer sur l’appel d’une cotisation. Étant une cour statutaire, la Cour de l’impôt ne peut accorder des réparations qu’en conformité avec les pouvoirs que lui confère sa loi habilitante, lesquels ont été interprétés comme comprenant « non seulement ceux qui y sont expressément énoncés, mais aussi, par déduction, tous ceux qui sont de fait nécessaires à la réalisation de l’objectif du régime législatif » (R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331, par. 19; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, par. 51).
[194]                     D’après la Cour d’appel fédérale, la Cour de l’impôt n’a pas juridiction pour réviser les décisions discrétionnaires prises par le Ministre en vertu du par. 247(10), vu que seule une cotisation peut être annulée, modifiée ou déférée au Ministre, non une décision à l’origine d’une cotisation (par. 77). La conclusion de la Cour d’appel fédérale repose sur le principe qu’une décision prise par le Ministre en vertu du par. 247(10) — dans le cadre du processus suivi pour déterminer le montant de l’obligation fiscale du contribuable — est nécessairement distincte de la cotisation elle-même, au lieu d’être inextricablement liées à celle‑ci.
[195]                     Avec égards, j’estime que cette prémisse ne résiste pas à l’analyse. Comme je l’ai déjà expliqué, le droit d’appel expressément prévu à l’art. 169 de la LIR s’étend à l’exercice par le Ministre du pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 247(10), parce que cet exercice du pouvoir discrétionnaire a trait au bien‑fondé de la cotisation d’un contribuable pour l’application de la LIR. La décision du Ministre est donc inextricablement liée à la cotisation.
[196]                     La Couronne fait valoir que, même en supposant que la Cour de l’impôt a juridiction pour contrôler l’exercice, par le Ministre, du pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 247(10) dans le cadre de l’appel d’une cotisation, la Cour de l’impôt ne peut accorder de réparations adéquates, étant donné qu’elle n’a pas le pouvoir de modifier l’opinion du Ministre ou d’y substituer sa propre opinion. Par conséquent, toujours selon la Couronne, la limitation de juridiction de la Cour fédérale prévue à l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales ne devrait pas s’appliquer (m.i., par. 52).
[197]                     Je reconnais que l’introduction d’instances parallèles peut être inévitable dans le cas du contribuable cherchant à obtenir une nouvelle cotisation reflétant un redressement à la baisse, si la Cour de l’impôt ne dispose pas des pouvoirs de réparation appropriés pour traiter de ces décisions du Ministre. Cependant, l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales indique que lorsqu’une loi prévoit explicitement un droit d’interjeter appel d’une décision ou d’une ordonnance, « cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité » avec cette loi. Une décision que prend le Ministre en vertu du par. 247(10) de la LIR — parce qu’elle a trait au bien‑fondé d’une cotisation — est assujettie à la juridiction d’appel conférée par l’art. 169 de la LIR à la Cour de l’impôt à l’égard d’une cotisation. Cette décision doit d’abord et avant tout être traitée en vertu de l’art. 171 de la LIR, et non par l’exercice des pouvoirs de réparation de la Cour fédérale.
[198]                     L’article 171 de la LIR précise les mesures que la Cour de l’impôt peut prendre lorsqu’elle statue sur l’appel d’une cotisation :
171 (1) La Cour canadienne de l’impôt peut statuer sur un appel :
 
a) en le rejetant;
 
b) en l’admettant et en :
 
(i) annulant la cotisation,
 
(ii) modifiant la cotisation,
 
(iii) déférant la cotisation au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

171 (1) The Tax Court of Canada may dispose of an appeal by
 
(a) dismissing it; or
 
(b) allowing it and
 
(i) vacating the assessment,
 
(ii) varying the assessment, or
 
(iii) referring the assessment back to the Minister for reconsideration and reassessment.

Je reconnais que l’art. 171 de la LIR renvoie à « la cotisation » en délimitant les pouvoirs de la Cour de l’impôt, et non expressément à une « décision » du Ministre. Comme je l’ai expliqué plus tôt, toutefois, il faut garder à l’esprit que l’appel formé à l’encontre d’une cotisation en vertu de l’art. 169 de la LIR s’étend à l’exercice, par le Ministre, du pouvoir discrétionnaire prévu au par. 247(10) parce qu’il est inextricablement lié à la cotisation.
[199]                     Certes, comme l’a conclu la Cour d’appel fédérale, la Cour de l’impôt ne peut traiter de la décision prise par le Ministre en vertu du par. 247(10) en accordant l’une ou l’autre des deux premières réparations à sa disposition quand un appel est accueilli. Annuler l’entière cotisation en vertu du sous‑al. 171(1)b)(i) ne serait pas une réparation appropriée lorsque la seule question en litige concerne l’exercice, par le Ministre, de son pouvoir discrétionnaire de refuser le redressement d’un prix à la baisse. De plus, pour modifier la cotisation en vertu du sous‑al. 171(1)b)(ii), il faudrait nécessairement modifier la décision prise par le Ministre en vertu du par. 247(10), mais la Cour de l’impôt n’a pas le pouvoir de substituer son opinion à celle du Ministre. Cela ne mène toutefois pas à la conclusion que l’art. 171 de la LIR n’accorde pas à la Cour de l’impôt des pouvoirs de réparation qui lui permettent de statuer quant à une telle décision.
[200]                     En fait, après avoir lu attentivement le sous‑al. 171(1)b)(iii) de la LIR, j’arrive à la conclusion contraire, à savoir que l’art. 171 accorde effectivement à la Cour de l’impôt des pouvoirs qui lui permettent de traiter d’une telle décision. En vertu de cette disposition, la Cour de l’impôt peut ordonner au Ministre de revoir une décision de refuser un redressement à la baisse en vertu du par. 247(10) ou de procéder à un « nouvel examen et [à une] nouvelle cotisation ». La nouvelle cotisation peut ou non se traduire par une modification de la décision que le Ministre a prise en vertu du par. 247(10). Ce que ce libellé implique, c’est que, lorsqu’elle défère la cotisation au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation, la Cour de l’impôt peut saisir le Ministre de la question du redressement à la baisse de prix dans le cadre d’un « nouvel examen », ou « reconsideration ».
[201]                     Ce pouvoir est nécessaire à la réalisation de l’objet du régime d’appel complet établi par le Parlement aux art. 165 et 169 de la LIR, à savoir permettre aux contribuables de soulever en Cour de l’impôt, une cour spécialisée, toutes les questions relatives au bien‑fondé d’une cotisation. Je répète qu’une décision discrétionnaire visée au par. 247(10) est inextricablement liée à une cotisation. L’ordonnance de la Cour de l’impôt oblige le Ministre à réexaminer la cotisation ou nouvelle cotisation faisant l’objet de l’appel, y compris la décision qu’il a prise en vertu du par. 247(10). Là encore, la question de savoir quelles réparations peut accorder la Cour fédérale n’a aucune importance lorsque l’exercice par le Ministre du pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 247(10) peut être contrôlé dans le contexte d’un appel porté en vertu de l’art. 169 de la LIR, à l’exclusion de la juridiction de la Cour fédérale (Loi sur les Cours fédérales, art. 18.5).
[202]                     Vu ma conclusion sur ce point, il n’est pas nécessaire de se livrer à une longue analyse de la jurisprudence relative à la LIGR, qui appuie le point de vue selon lequel, dans le cadre de sa juridiction en matière d’appel, la Cour de l’impôt a le pouvoir implicite de déférer au Ministre ses décisions discrétionnaires qui sont inextricablement liées à une cotisation (voir H. H. Stikeman, « Taxation Law : 1923‑1947 » (1948), 26 R. du B. can. 308, p. 328‑330; Sandler et Watzinger, p. 302‑305; Lubetsky, p. 78‑81 et 113‑115). Je tiens cependant à faire quelques remarques à ce sujet.
[203]                     Certes, la juridiction de la Cour de l’Échiquier était formulée en termes plus généraux à l’art. 66 de la LIGR que ne l’est la juridiction de la Cour de l’impôt à l’art. 169 de la LIR — un fait qui, je m’empresse d’ajouter, n’a aucune incidence sur l’étendue des pouvoirs de réparation que possède la Cour de l’impôt. Il est néanmoins utile de garder à l’esprit que, selon la LIGR, la Cour de l’Échiquier disposait, au titre de sa juridiction d’appel sur les cotisations, précisément des mêmes pouvoirs réparateurs pour trancher les appels que ceux dont jouit actuellement la Cour de l’impôt en vertu de l’art. 171 de la LIR — des pouvoirs qui se limitent à annuler la cotisation, à la modifier ou à la déférer au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation (LIGR, ann. 4, par. 3(4) (ajouté par S.C. 1946, c. 55, art. 22)).
[204]                     Avant 1949, la Cour de l’Échiquier contrôlait fréquemment l’exercice des pouvoirs discrétionnaires du Ministre dans le cadre de sa juridiction d’appel sur les cotisations. À l’époque, de nombreuses dispositions de la LIGR obligeaient le Ministre à exercer son pouvoir discrétionnaire dans le calcul du revenu d’un contribuable et, partant, dans l’établissement de l’obligation du contribuable (Lubetsky, p. 76). Dans les arrêts Pioneer Laundry and Dry Cleaners, Ld. c. Minister of National Revenue, 1939 CanLII 274 (UK JCPC), [1940] A.C. 127 (C.P.), et Minister of National Revenue c. Wrights’ Canadian Ropes, Ld., 1946 CanLII 345 (UK JCPC), [1947] A.C. 109 (C.P.), l’exercice par le Ministre du pouvoir discrétionnaire que lui accordaient ces dispositions avait fait l’objet d’un contrôle en appel. Les arrêts rendus par le Conseil privé dans ces affaires permettent de penser que les pouvoirs de la Cour de l’Échiquier de statuer sur l’appel d’une cotisation comprenaient à tout le moins celui de déférer l’affaire pour nouvel examen et nouvelle cotisation.
[205]                     Dans la foulée de la réforme de la LIGR et de sa transformation en la LIR en 1948, la presque totalité des dispositions énonçant les pouvoirs discrétionnaires du Ministre dans l’établissement de l’impôt ont été abrogées et remplacées par des dispositions fixant des normes (voir, p. ex., l’art. 67 de la LIR, qui a remplacé le par. 6(2) de la LIGR; voir aussi Lubetsky, p. 79). Cependant, à titre transitoire, la nouvelle Commission d’appel de l’impôt sur le revenu a continué à réviser, dans le cas des appels liés aux années d’imposition antérieures à 1948, les décisions discrétionnaires du Ministre en fonction des mêmes principes (ibid.; voir, p. ex., Anger c. M.N.R., 49 DTC 65; MacDonald Estate c. M.N.R., 50 DTC 109; Buehler c. M.N.R., 50 DTC 119; Williamson c. M.N.R., 50 DTC 147).
[206]                     Il faut souligner que, dans les arrêts Pioneer Laundry et Wrights’ Canadian Ropes, la réparation accordée en appel de la cotisation consistait à déférer l’affaire au Ministre, notamment la décision discrétionnaire et la cotisation qui en découle. Bien que les années d’imposition en cause dans ces affaires précèdent l’adoption du par. 3(4) du 4e annexe de la LIGR, rien ne laisse croire que le par. 3(4) a modifié l’étendue des pouvoirs réparateurs de la Cour de l’Échiquier lors de l’appel d’une cotisation (Lubetsky, p. 76). En fait, le Parlement doit avoir eu l’intention de confirmer les pouvoirs qui étaient auparavant réputés avoir été implicitement accordés. La seule fin du pouvoir de la Cour de l’impôt de déférer la cotisation au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation est de statuer sur des décisions qui sont inextricablement liées à la cotisation.
[207]                     Il n’y a aucune raison de penser que le Parlement avait l’intention de réduire la portée des pouvoirs de réparation que possède la Cour de l’impôt tout en lui accordant, à l’art. 171 de la LIR, exactement les mêmes pouvoirs pour trancher les appels de cotisations que ceux dont disposaient la Cour de l’Échiquier, la Commission d’appel de l’impôt sur le revenu, puis la Commission d’appel de l’impôt. Au contraire, il faut tenir compte du fait que le Parlement a accordé à la Cour de l’impôt le même pouvoir de déférer une cotisation au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation. À l’instar de ses prédécesseurs, la Cour de l’impôt est habilitée à déférer une décision inextricablement liée à la cotisation, dans l’exercice de son pouvoir de déférer la cotisation pour nouvel examen et nouvelle cotisation que lui confère le sous‑al. 171(1)b)(iii). Le fait pour la Cour de l’impôt de déférer l’affaire au Ministre au motif qu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière illégitime ne saurait être considéré comme une entrave à ce pouvoir discrétionnaire, [traduction] « car ce n’est pas le cas » (Pure Spring, p. 503‑504; voir aussi Nicholson, p. 205). À mon humble avis, la Cour d’appel fédérale ne pouvait faire l’économie de cette jurisprudence après avoir reconnu qu’elle « semble [. . .] étayer » la conclusion tirée par la juge de la Cour de l’impôt en première instance (par. 50).
[208]                     J’ajoute que les réparations que peuvent accorder les deux cours appuient la conclusion suivant laquelle la Cour fédérale n’est pas l’instance qui convient pour entendre l’opposition d’un contribuable à la décision prise par le Ministre en vertu du par. 247(10) de la LIR. Un contribuable sollicitant une nouvelle cotisation reflétant un redressement à la baisse du prix de transfert est préoccupé par le montant d’impôt dû, et non pas simplement par la légitimité de l’exercice par le Ministre de son pouvoir discrétionnaire. En raison de la limitation prévue à l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, seule la Cour de l’impôt peut annuler la cotisation, la modifier ou la déférer au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en vertu de l’art. 171 de la LIR. Lors d’un contrôle judiciaire, la Cour fédérale ne peut statuer sur la cotisation (Ministre du Revenu national c. Parsons, 1984 CanLII 5322 (CAF), [1984] 2 C.F. 331 (C.A.); Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643, par. 28).
[209]                     Dans ce contexte, la seule réparation que pourrait accorder la Cour fédérale serait une ordonnance cassant la décision (on ne saurait dire avec certitude qu’un mandamus serait une réparation convenable). Une cotisation demeure pourtant valable et lie le contribuable à moins que et jusqu’à ce qu’elle soit modifiée ou annulée par la Cour de l’impôt, ou que le Ministre établisse une nouvelle cotisation (LIR, par. 152(8)). Cela continue d’être le cas même si une décision visée au par. 247(10) a été cassée par la Cour fédérale. Le sous‑alinéa 171(1)b)(iii) de la LIR — qui permet de déférer l’affaire au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation —, est mieux adapté au véritable fond de la question à trancher, c.‑à‑d. le bon montant d’impôt dû.
[210]                     Lors de l’appel d’une cotisation, la Cour de l’impôt doit se prononcer sur toutes les contestations du bien‑fondé de la cotisation, y compris l’allégation que la cotisation est mal fondée parce que le Ministre n’a pas exercé de manière légitime le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 247(10). Déférer la cotisation au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation est un recours approprié pour les contribuables qui contestent l’exercice par le Ministre du pouvoir discrétionnaire accordé par le par. 247(10) de la LIR dans le cadre de l’appel d’une cotisation. En effet, la conclusion de la Cour de l’impôt en l’espèce au sujet de la validité de la décision de refuser le redressement à la baisse signifie nécessairement que la Ministre doit soit revoir la décision visée au par. 247(10), soit interjeter appel à la Cour d’appel fédérale. Il faut souligner qu’en déférant l’affaire pour nouvel examen et nouvelle cotisation, la Cour de l’impôt ne peut substituer sa propre décision à celle de la Ministre.
D.           Norme de contrôle applicable en Cour de l’impôt
[211]                     Cette conclusion étant tirée, il ne reste plus que la délicate question de la norme de contrôle à appliquer lorsque la Cour de l’impôt, saisie d’une contestation relative à l’exercice par le Ministre du pouvoir discrétionnaire que lui accorde le par. 247(10) de la LIR dans le cadre de l’appel d’une cotisation, doit décider si elle défère ou non l’affaire au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation. La juge de la Cour de l’impôt n’a pas tranché cette question, bien qu’elle ait mentionné l’arrêt Vavilov (motifs de la C.C.I., par. 30).
[212]                     Rien dans les présents motifs ne devrait être interprété comme contournant ou modifiant le régime de droit administratif décrit dans Vavilov. Bien que notre Cour ait indiqué dans cet arrêt que la norme de contrôle présumément applicable est celle de la décision raisonnable, elle a aussi décidé que, lorsqu’il existe un droit d’interjeter appel d’une décision administrative, on peut en déduire que le législateur souhaitait plutôt que la norme de contrôle en appel s’applique (par. 30 et 37). En effet, la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable est clairement réfutée lorsque le législateur prévoit un droit d’appel (par. 17). Comme je l’ai déjà expliqué, le droit d’appel prévu à l’art. 169 de la LIR s’étend à l’exercice du pouvoir discrétionnaire accordé par le par. 247(10) lorsque cette décision résulte en une cotisation. La norme applicable au contrôle de la décision prise par le Ministre en vertu de ce paragraphe doit donc être déterminée à la lumière de la nature de la question et de la jurisprudence de notre Cour sur les normes de contrôle en appel (par. 37). L’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, de la Cour est un élément essentiel de cette jurisprudence. Mais il faut également reconnaître que les normes de contrôle en appel précisées dans cet arrêt sont mal adaptées aux décisions discrétionnaires en général, comme celles qui sont envisagées au par. 247(10).
[213]                     Il ressort clairement du libellé du par. 247(10) que le Parlement avait l’intention de conférer au Ministre un vaste pouvoir discrétionnaire pour accorder ou non un redressement à la baisse du prix de transfert. En prévoyant que le Ministre peut autoriser ou refuser un redressement du prix de transfert en se fondant sur « les circonstances », et non sur des considérations particulières, le Parlement a conféré au Ministre un vaste pouvoir discrétionnaire pour décider d’accorder ou non un redressement à la baisse. Dans la mesure où le Ministre en vient à une décision et que celui‑ci prend en compte « les circonstances », il agit dans les limites du pouvoir discrétionnaire que lui confère le Parlement. Lorsqu’il exerce son pouvoir en vertu de cette disposition, le Ministre ne se contente pas d’appliquer la loi aux faits pour déterminer le bon montant à payer selon la LIR, mais exerce dans les faits une fonction de politique.
[214]                     Dans l’arrêt Pure Spring, le président Thorson a écrit ce qui suit au sujet du pouvoir discrétionnaire du Ministre de refuser des dépenses excessives en vertu du par. 6(2) de la LIGR :
     [traduction] Lorsque le Ministre décide, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, qu’une dépense doit être refusée parce qu’elle est excessive, il accomplit un acte administratif, mais selon moi sa décision est plus que cela. Il agit en fonction d’une politique que le Parlement a adoptée sans toutefois la définir. Le Parlement a laissé toute latitude au Ministre pour définir les paramètres de son champ d’intervention; par la décision qu’il prend, le Ministre définit en réalité une politique. La décision qu’il prend a pour effet d’assujettir à l’impôt la dépense qu’il refuse et qui serait autrement déductible et libre d’impôt. Le Parlement a donc conféré en fait un pouvoir d’imposition fiscale au Ministre. La décision que le Ministre prend ne se résume donc pas à un acte administratif; il s’agit d’un acte quasi législatif. Il ne faut pas négliger cet aspect lorsqu’on examine le devoir de surveillance qu’exerce la Cour à son égard. [p. 479]
[215]                     Ce raisonnement vaut aussi pour les redressements à la baisse de prix envisagés au par. 247(10) de la LIR. Il est clair que, pour déterminer si « les circonstances le justifient », le Ministre peut évidemment prendre en considération des facteurs qui sont étrangers au calcul du revenu d’un contribuable et qui s’en distinguent. Comme le signale la Couronne, parmi les circonstances pertinentes, on peut citer des considérations comme le traitement fiscal réservé par un pays étranger, l’évitement fiscal au pays et les mesures de contrôle de l’observation de la loi au pays (m.i., par. 64). Pour ce qui est du traitement fiscal réservé par un pays étranger, le Ministre voudra peut‑être éviter la situation dans laquelle le refus d’accorder un redressement à la baisse ou la possibilité qu’un pays étranger accorde un redressement à la hausse correspondant se traduise par une double imposition ou une double non‑imposition. En ce qui concerne l’évitement fiscal au pays, le Ministre voudra peut‑être s’assurer que le redressement à la baisse ne facilite pas une planification fiscale rétroactive inappropriée. Quant aux mesures de contrôle de l’observation de la loi au pays, le Ministre n’est peut‑être tout simplement pas en mesure de vérifier de manière fiable le montant du redressement à la baisse proposé.
[216]                     Je dois cependant ajouter que pareille fonction de politique d’intérêt général n’influe aucunement sur la question de savoir si une décision prise par le Ministre en vertu du par. 247(10) résultant en une cotisation peut faire l’objet d’un contrôle en Cour de l’impôt, contrairement à la prétention de la Couronne (m.i., par. 61). Une telle fonction a seulement un impact sur la manière dont peut s’effectuer le contrôle.
[217]                     De même, la nature de novo d’un appel en Cour de l’impôt n’est pas déterminante quant à la norme de contrôle, ni n’en constitue une. Les réparations susceptibles d’être accordées en vertu de l’art. 171 nous éclairent plutôt sur la manière dont la Cour de l’impôt doit effectuer son contrôle de la décision dont il est fait appel. On ne saurait dire que la seule option permise par la LIR consiste pour la Cour de l’impôt à réviser la décision elle‑même pour décider si elle est correcte. En fait, la loi fait obstacle à une telle approche. La question en l’espèce est de savoir si la cotisation est mal fondée parce que la Ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière illégitime. Si une décision de refuser un redressement à la baisse du prix de transfert découle d’un exercice illégitime du pouvoir discrétionnaire, la cotisation serait mal fondée en fait et en droit. La réparation qui convient pour traiter d’une cotisation mal fondée en raison d’un exercice illégitime du pouvoir discrétionnaire prévu au par. 247(10) consiste à déférer l’affaire à la Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en vertu du sous‑al. 171(1)b)(iii).
[218]                     La Cour de l’impôt doit par conséquent faire preuve d’une déférence considérable à l’égard du Ministre lorsque ce dernier exerce le vaste pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 247(10) de la LIR. Toutefois, comme le juge Rand l’a fait remarquer dans l’arrêt Roncarelli c. Duplessis, 1959 CanLII 50 (SCC), [1959] R.C.S. 121, p. 140, [traduction] « il n’y a rien de tel qu’une “discrétion” absolue et sans entraves » (voir aussi Vavilov, par. 108). Selon les normes de contrôle en appel, l’exercice du pouvoir discrétionnaire a toujours fait l’objet d’une grande déférence : les décideurs chargés du contrôle des décisions en appel doivent faire preuve de déférence, sauf si, bien entendu, [traduction] « le pouvoir discrétionnaire a été exercé en fonction d’un mauvais principe, ou sur la base de considérations erronées ou non pertinentes », ou sauf si la décision « n’explique pas le raisonnement à l’origine du résultat » ou « ne traduit pas un examen judicieux des principaux facteurs pertinents » (J. Sopinka, M. A. Gelowitz et W. D. Rankin, Sopinka, Gelowitz and Rankin on the Conduct of an Appeal (5e éd. 2022), ¶2.70‑2.73; voir aussi Reza c. Canada, 1994 CanLII 91 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 394, p. 404; Canada (Procureur général) c. Fontaine, 2017 CSC 47, [2017] 2 R.C.S. 205, par. 36; Canada (Bureau de la sécurité des transports) c. Carroll‑Byrne, 2022 CSC 48, par. 41). À mon avis, la même approche s’applique au contrôle des décisions discrétionnaires visées au par. 247(10).
[219]                     La nature de novo de l’appel à la Cour de l’impôt s’accorde avec une révision de la décision prise par le Ministre en vertu du par. 247(10) de la LIR. Lors d’un appel à la Cour de l’impôt, l’une ou l’autre partie peut invoquer de nouveaux moyens ou des faits nouveaux pour contester le fondement factuel d’une cotisation, notamment la décision prise par le Ministre en vertu du par. 247(10) de la LIR. La Cour de l’impôt n’est pas limitée aux faits sur lesquels se fonde le Ministre pour exercer son pouvoir discrétionnaire (voir Canada (Procureur général) c. Jencan Ltd., 1997 CanLII 6354 (CAF), [1998] 1 C.F. 187 (C.A.), par. 42). La Cour fédérale ne disposerait pas normalement de ce type de preuve en contrôle judiciaire (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, par. 17 (CanLII); Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, 100 Admin. L.R. (5th) 315, par. 42; Première nation de Namgis c. Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 149, par. 7 (CanLII)).
[220]                     Lorsqu’il conteste la décision prise par le Ministre en vertu du par. 247(10) de la LIR, un contribuable doit établir un fondement factuel appuyant la prétention que la décision était mauvaise en principe, ne tenait pas compte d’éléments de preuve pertinents ou reposait sur des éléments de preuve non pertinents. L’attention n’est pas nécessairement portée sur la question de savoir si l’exercice du pouvoir discrétionnaire était raisonnable au moment où le Ministre s’est fait une opinion (comme ce serait le cas en contrôle judiciaire), mais sur celle de savoir si l’exercice du pouvoir discrétionnaire demeure un fait valable sur lequel repose le bien-fondé de la cotisation au vu de la preuve dont dispose la Cour de l’impôt. Par exemple, de nouveaux éléments de preuve pourraient être présentés par le contribuable (comme une cotisation fiscale établie subséquemment par un pays étranger) ou par le Ministre (comme une preuve démontrant que l’impôt n’a pas été établi dans le pays étranger). Ou l’interprétation des dispositions de traités fiscaux du Canada sur lesquels s’est appuyée le Ministre pour prendre sa décision peut être en litige.
[221]                     Personne ne suggère que la Cour de l’impôt est institutionnellement mal outillée pour se prononcer sur des questions de ce genre. La Couronne a concédé à tout le moins cela au cours de l’audience devant notre Cour (transcription, p. 74). En effet, statuer sur ces questions est en accord parfait avec la tâche et la juridiction de la Cour de l’impôt. À titre de cour spécialisée, la Cour de l’impôt est bien placée pour statuer sur la bonne application des dispositions relatives au prix de transfert, y compris sur la question de savoir si le pouvoir discrétionnaire prévu au par. 247(10) a été exercé de façon légitime.
[222]                     Une norme de contrôle en appel empreinte de déférence s’applique lorsque, saisie de l’appel d’une cotisation, la Cour de l’impôt a affaire aux décisions discrétionnaires prises par la Ministre en vertu du par. 247(10). La Cour de l’impôt ne saurait substituer son opinion à celle du Ministre, ni l’empêcher d’en arriver à la même décision, après nouvel examen, à la suite d’un exercice légitime de son pouvoir discrétionnaire. Cela dit, cette déférence ne devrait s’appliquer qu’à la partie discrétionnaire de la cotisation. Là encore, je tiens à rappeler ce qui suit, comme l’a dit la juge de la Cour de l’impôt : « [l]’exercice qu’a fait le ministre du pouvoir discrétionnaire prévu au par[.] 247(10) [. . .] est susceptible d’appel devant la Cour de l’impôt, il n’est pas susceptible de contrôle judiciaire par la Cour fédérale, quoique la décision que rendra la Cour de l’impôt dans l’appel visant la cotisation pourra faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale » (par. 215).
VI.         Conclusion
[223]                     La décision de la Ministre de refuser le redressement à la baisse du prix demandé par Dow Chemical s’est traduite par de nouvelles cotisations pour l’année d’imposition 2006. Dow Chemical s’est opposée à ces nouvelles cotisations et a interjeté appel de la dernière nouvelle cotisation à la Cour de l’impôt. À mon avis, la décision de la Ministre était inextricablement liée au bien‑fondé de cette nouvelle cotisation. Le montant d’impôt dû ne pouvait être déterminé qu’une fois que la Ministre a pris la décision d’autoriser ou de refuser le redressement à la baisse du prix. Dow Chemical avait le droit de contester la décision de la Ministre par le biais d’un appel devant la Cour de l’impôt.
[224]                     Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, avec dépens. La réponse à la question énoncée est la suivante : la contestation par Dow Chemical de la décision prise par la Ministre en vertu du par. 247(10) de la LIR devrait être instruite par la Cour de l’impôt.
                    Pourvoi rejeté avec dépens, les juges Karakatsanis, Côté et Rowe sont dissidents.
                    Procureurs de l’appelante : EY Law, Toronto.
                    Procureurs de l’intimé : Ministère de la Justice Canada, RCN Section du litige fiscal, Ottawa.

[1]  Trois termes différents sont utilisés comme synonymes en français dans les décisions des juridictions inférieures pour rendre le mot anglais « correctness » dans l’expression « correctness of the assessment » et autres formulations similaires : « bien‑fondé », « exactitude » et « justesse ». Dans les présents motifs, par souci d’uniformité, nous utiliserons uniquement le terme « bien‑fondé », sauf lorsqu’il s’agit de citations.
[2]  Dans les présents motifs, j’emploie, à l’instar de la Cour de l’impôt, les termes « cotisation » et « nouvelle cotisation » de manière interchangeable, ce qui cadre avec la définition de « cotisation » qui figure dans la LIR (par. 248(1)).
[3]  Trois termes différents sont utilisés comme synonymes en français dans les décisions des juridictions inférieures pour rendre le mot anglais « correctness » dans l’expression « correctness of the assessment » et autres formulations similaires : « bien‑fondé », « exactitude » et « justesse ». Dans les présents motifs, par souci d’uniformité, nous utiliserons uniquement le terme « bien‑fondé », sauf lorsqu’il s’agit de citations.
 

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Synthèse
Référence neutre : 2024CSC23 ?
Date de la décision : 28/06/2024

Analyses

impôt — cotisations — application — redressements — Parlement — ministre — Cours fédérales — exercice — vertu — réparations — contrôles judiciaires — savoir — dispositions — baisse — pouvoirs discrétionnaires — parties


Parties
Demandeurs : Dow Chemical Canada ULC
Défendeurs : Canada
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 28 juin 2024, Dow Chemical Canada ULC c. Canada, 2024 CSC 23


Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2024-06-28;2024csc23 ?

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