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01/12/2023 | CANADA | N°2023CSC30

Canada | Canada, Cour suprême, 1 décembre 2023, R. c. Zacharias, 2023 CSC 30


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : R. c. Zacharias, 2023 CSC 30

 

 
Appel entendu : 15 mai 2023
Jugement rendu : 1er décembre 2023
Dossier : 40117


 
Entre :
 
George Zacharias
Appelant
 
et
 
Sa Majesté le Roi
Intimé
 
- et -
 
Procureur général de l’Ontario et procureur général de l’Alberta
Intervenants
 
Traduction française officielle
 
Coram : Les juges Côté, Rowe, Martin, Kasirer et O’Bonsawin
 


Motifs conjoints :
(par. 1 à 76)r>
Les juges Rowe et O’Bonsawin


 

 


Motifs concordants :
(par. 77 à 105)

La juge Côté


 

 


Motifs conjoints dissidents :
(par. 106 à 161)

Les juges Martin et Kasirer







 
 
Note : Ce docu...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : R. c. Zacharias, 2023 CSC 30

 

 
Appel entendu : 15 mai 2023
Jugement rendu : 1er décembre 2023
Dossier : 40117

 
Entre :
 
George Zacharias
Appelant
 
et
 
Sa Majesté le Roi
Intimé
 
- et -
 
Procureur général de l’Ontario et procureur général de l’Alberta
Intervenants
 
Traduction française officielle
 
Coram : Les juges Côté, Rowe, Martin, Kasirer et O’Bonsawin
 

Motifs conjoints :
(par. 1 à 76)

Les juges Rowe et O’Bonsawin

 

 

Motifs concordants :
(par. 77 à 105)

La juge Côté

 

 

Motifs conjoints dissidents :
(par. 106 à 161)

Les juges Martin et Kasirer

 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
George Zacharias                                                                                            Appelant
c.
Sa Majesté le Roi                                                                                                Intimé
et
Procureur général de l’Ontario et
procureur général de l’Alberta                                                                 Intervenants
Répertorié : R. c. Zacharias
2023 CSC 30
No du greffe : 40117.
2023 : 15 mai; 2023 : 1er décembre.
Présents : Les juges Côté, Rowe, Martin, Kasirer et O’Bonsawin.
en appel de la cour d’appel de l’alberta
                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Fouilles, perquisitions et saisies — Détention arbitraire — Violations consécutives — Réparation — Exclusion de la preuve — Activités illégales liées aux drogues soupçonnées par la police à la suite de l’interception routière légale de l’accusé — Accusé détenu et soumis à plusieurs fouilles par la police — Accusé arrêté et inculpé d’infractions liées aux drogues — Conclusion du juge du procès portant que la fouille initiale et la détention aux fins d’enquête avaient violé les droits de l’accusé protégés par la Charte mais que la preuve ne devait pas être écartée — Les arrestations et les fouilles consécutives à la violation initiale ont‑elles aussi violé la Charte? — Les violations justifient‑elles l’exclusion de la preuve? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 9, 24(2).
                    Z a été intercepté lors d’un contrôle routier en raison d’un phare brûlé et de vitres teintées illégalement. Le policier a fait plusieurs observations qui l’ont amené à placer Z en détention aux fins d’enquête et à demander l’aide d’un chien renifleur pour déceler la présence de drogues. Après avoir procédé à une fouille par palpation, le policier a placé Z dans une voiture de police jusqu’à l’arrivée du chien renifleur. Le chien a indiqué la présence de drogues et Z a été arrêté pour possession d’une substance désignée. La police a ensuite fouillé la camionnette de Z, y compris les sacs de sport qui se trouvaient dans la caisse de celle‑ci sous un couvre‑caisse. La police a découvert une grande quantité de cannabis et d’argent comptant. Z a été arrêté pour possession de drogues en vue d’en faire le trafic, a été menotté et conduit à un poste de police. Il a par la suite été fouillé et arrêté pour possession de produits de la criminalité dont la valeur dépasse 5 000 $.
                    Z a allégué que la police avait violé les droits qui lui sont garantis par les art. 8 et 9 de la Charte lors de l’enquête et que les éléments de preuve relatifs aux drogues saisis par la police devraient être écartés en application du par. 24(2) de la Charte. La juge du procès a conclu que la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur et la détention aux fins d’enquête avaient violé les droits garantis à Z par les art. 8 et 9 de la Charte, mais qu’il n’y avait pas lieu d’écarter les éléments de preuve en application du par. 24(2) puisque l’exclusion de ceux‑ci serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Z a été déclaré coupable de possession de 101,5 livres de marijuana en vue d’en faire le trafic. Il a interjeté appel, soutenant que la juge du procès avait fait erreur en ne tenant pas compte des conséquences découlant de la détention aux fins d’enquête et de la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur, lesquelles étaient toutes deux illégales. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont rejeté l’appel.
                    Arrêt (les juges Martin et Kasirer sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté.
                    Les juges Rowe et O’Bonsawin : Les arrestations et les fouilles accessoires à l’arrestation qui ont eu lieu à la suite de la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur et de la détention aux fins d’enquête constituaient des violations des droits garantis à Z par les art. 8 et 9 de la Charte. Il doit être tenu compte de ces violations au moment de déterminer s’il y a lieu d’écarter la preuve en application du par. 24(2) de la Charte. Toutefois, à défaut d’une inconduite additionnelle ou indépendante de l’État, une violation qui découle entièrement d’une violation initiale est peu susceptible d’accroître considérablement la gravité globale de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte. En l’espèce, des violations additionnelles de la Charte ont eu lieu dans la suite des événements : l’arrestation qui était une conséquence de la fouille effectuée à l’aide du chien renifleur, les fouilles accessoires à l’arrestation qui ont suivi et les arrestations additionnelles par la suite. Ces violations consécutives additionnelles n’ajoutent pas à la gravité de la conduite de l’État étant donné que ces violations constituaient des violations uniquement en raison de l’erreur de jugement du policier dans son évaluation des motifs de soupçonner Z; le point de mire de l’analyse fondée sur le par. 24(2) demeure les violations initiales qui ont déclenché la suite des conduites de l’État. Au terme d’une mise en balance des facteurs de l’arrêt Grant applicables pour déterminer si les éléments de preuve devraient être exclus en vertu du par. 24(2), il n’y a pas lieu d’écarter la preuve.
                    Le Code criminel énonce des normes strictes régissant les circonstances où la police peut exercer ses pouvoirs d’arrestation. La police doit démontrer qu’elle a des motifs raisonnables et probables de croire que la personne arrêtée a commis une infraction. Lorsque l’arrestation se fait sans mandat, l’agent qui y procède doit sincèrement croire que le suspect a commis l’infraction en question et ces motifs subjectifs doivent être justifiables d’un point de vue objectif. Toutefois, les motifs raisonnables ne peuvent découler d’actes qui comportent des violations de la Charte. Lorsque les motifs d’arrestation sont fondés sur des éléments de preuve qui ont été obtenus illégalement, le tribunal doit retrancher ces éléments de preuve du fondement factuel et déterminer si la police avait des motifs raisonnables et probables de procéder à l’arrestation compte tenu de l’ensemble des circonstances dont le policier avait connaissance en se fondant sur les autres éléments de preuve. Les arrestations sans mandat sont souvent effectuées dans le cadre de situations qui évoluent et la police n’est pas tenue de vérifier la constitutionnalité de mesures d’enquête antérieures avant d’agir sur la foi des renseignements qui en découlent. Toutefois, lorsqu’elle agit, la police est tenue de se demander si elle le fait dans les limites de la constitutionnalité. La population canadienne peut légitimement s’attendre à ce que les policiers connaissent la loi, surtout la Charte, et s’y conforment. Dans le cas d’une arrestation sans mandat, il importe encore davantage que la police établisse l’existence de motifs raisonnables et probables justifiant l’arrestation.
                    Dans une situation de violations de la Charte liées ou en cascade, il se peut qu’une arrestation subséquente ne soit illégale qu’en conséquence de la violation ou des violations initiales l’ayant précédée. Une arrestation qui peut être considérée uniquement comme une violation consécutive est distincte d’un acte de l’État qui est caractérisé par une inconduite additionnelle ou indépendante. Une arrestation illégale qui constitue une violation consécutive doit être prise en compte lors de la première et de la deuxième étapes de l’analyse fondée sur le par. 24(2) énoncée dans l’arrêt Grant, mais est peu susceptible d’avoir une incidence importante sur la gravité globale de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte en l’absence d’inconduite additionnelle de l’État. Le premier facteur énoncé dans l’arrêt Grant consiste à se demander si la conduite de l’État qui porte atteinte à un droit garanti par la Charte est si grave que le tribunal doit s’en dissocier. En l’absence d’inconduite additionnelle de l’État, le point de mire de l’évaluation de la gravité demeurera vraisemblablement la violation initiale. Dans un tel cas et dans les cas où les policiers croyaient sincèrement procéder légalement, une conduite subséquente de l’État devrait être située à l’extrémité des cas les moins graves de l’échelle de culpabilité. Le deuxième facteur énoncé dans l’arrêt Grant examine les intérêts de l’accusé protégés par la Charte mis en jeu par le droit transgressé, puis l’ampleur des conséquences de la violation sur ces intérêts. Une violation consécutive sera plutôt davantage pertinente à cette étape de l’analyse. Lorsque des droits additionnels et les violations de ceux‑ci sont pris en compte dans l’analyse, il y aura forcément une incidence plus importante. Il est nécessaire d’examiner toutes les violations afin de brosser un tableau précis des effets des violations. Omettre de prendre en considération l’incidence d’une arrestation qui découle d’une violation précédente de la Charte ne tiendrait pas compte de l’ensemble des circonstances. Le troisième facteur énoncé dans l’arrêt Grant examine l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. Il se peut que la prise en considération de violations additionnelles ne change pas l’analyse concernant ce troisième facteur énoncé dans l’arrêt Grant.
                    En l’espèce, l’État ne peut pas se fonder sur les éléments de preuve obtenus illégalement au moyen de la fouille effectuée à l’aide du chien renifleur afin de satisfaire à la condition requise pour les mises en arrestation subséquentes de Z, soit la présence de motifs raisonnables et probables. La police a violé les art. 8 et 9 de la Charte en effectuant une fouille à l’aide d’un chien renifleur et en détenant Z aux fins d’enquête en attendant l’arrivée du chien renifleur. La croyance subjective subséquente de l’agent qui a procédé à l’arrestation que Z était en possession d’une substance désignée était principalement fondée sur les résultats de la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur; par conséquent, la première arrestation pour possession était illégale. Puisque la première arrestation était illégale, les fouilles subséquentes violaient l’art. 8 de la Charte et la deuxième et la troisième arrestations constituaient des violations de l’art. 9 de la Charte. Le fait que Z ait été placé, après avoir été menotté, dans la voiture de police et conduit au poste de police s’inscrit dans la suite de violations de l’art. 9.
                    Même en tenant compte des violations consécutives, le premier facteur énoncé dans l’arrêt Grant ne milite pas fortement en faveur de l’exclusion de la preuve. Les violations consécutives de la Charte ne sont pas caractérisées par une inconduite additionnelle ou distincte et n’étaient pas intentionnelles. Le point de mire demeure la violation initiale, qui a eu lieu par inadvertance, n’était pas volontaire et n’indique pas l’existence d’une attitude de mépris ni d’un mépris systématique de la loi ou des droits garantis par la Charte. Le deuxième facteur énoncé dans l’arrêt Grant milite modérément en faveur de l’exclusion. La fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur était brève, portait une atteinte minime et découlait d’une interception et d’une détention légales pour des infractions de la route. Toutefois, par conséquent, Z a été arrêté, menotté, amené au poste de police et détenu pendant plusieurs heures et la police a obtenu des éléments de preuve importants contre lui. Les arrestations et les fouilles accessoires à celles‑ci ont eu une incidence plus importante sur les intérêts de Z garantis par la Charte. Le troisième facteur énoncé dans l’arrêt Grant milite fortement en faveur de l’utilisation de la preuve. La preuve était matérielle, fiable et cruciale pour la thèse de la Couronne. Vu la grande quantité de cannabis, il s’agit d’une infraction grave et la société a un grand intérêt à ce que l’affaire soit jugée au fond. À la suite de la mise en balance des facteurs de l’arrêt Grant, les deux premiers facteurs ne sont pas suffisants pour l’emporter sur le troisième; par conséquent, l’ensemble des circonstances favorise l’utilisation de la preuve.
                    La juge Côté : Il y a accord sur le fait que le pourvoi devrait être rejeté. Toutefois, l’affirmation selon laquelle l’État ne peut pas se fonder sur des éléments de preuve obtenus illégalement afin de satisfaire à la condition requise pour qu’il y ait arrestation, soit la présence de motifs raisonnables et probables, est difficile à concilier avec la jurisprudence bien établie de la Cour sur le par. 24(2) de la Charte et le cadre d’analyse applicable aux arrestations sans mandat énoncé dans l’arrêt R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241. La découverte en violation de la Charte d’éléments de preuve incriminants entraînera inévitablement une arrestation ou d’autres mesures d’enquête de la police. En l’absence d’une inconduite policière indépendante ou additionnelle, la Cour n’a jamais considéré de telles arrestations ou mesures d’enquête comme des violations distinctes de la Charte dans le cadre de son analyse fondée sur le par. 24(2). La décision d’un policier d’effectuer une arrestation doit être prise rapidement dans une situation instable qui évolue vite en fonction des renseignements dont il dispose, lesquels sont souvent loin d’être exacts ou complets. En l’espèce, les circonstances connues du policier au moment de procéder à l’arrestation comprenaient le signal clair et sans équivoque donné par le chien renifleur indiquant la présence de substances désignées dans la voiture de Z. Dans le cadre de l’analyse fondée sur le par. 24(2), l’accent devrait être mis sur la détention aux fins d’enquête dans l’attente de l’arrivée du chien renifleur pour qu’il effectue la fouille. La présence de violations additionnelles n’a pas été débattue en première instance et a peu d’incidence, voire aucune, sur l’analyse fondée sur le par. 24(2).
                    La norme des motifs raisonnables et probables justifiant une arrestation sans mandat tient compte de l’ensemble des circonstances connues du policier au moment de l’arrestation. L’analyse fondée sur le par. 24(2) doit être effectuée du point de vue d’une personne raisonnable mise à la place du policier qui a procédé à l’arrestation. Le retranchement automatique, après le fait, des renseignements obtenus de façon inconstitutionnelle annulerait l’analyse subjective en modifiant artificiellement les renseignements sur lesquels s’est appuyé le policier au moment de procéder à l’arrestation. Il est artificiel et incompatible avec la norme des motifs raisonnables et probables de conclure à l’illégalité d’une arrestation qui est effectuée sur la base d’éléments de preuve clairs et fiables quant à la commission d’un acte criminel. C’est pourquoi la Cour a refusé d’appliquer la logique qui sous‑tend le principe du retranchement au contexte des arrestations sans mandat. Le fait de classifier toute conduite policière subséquente comme violant la Charte simplement parce qu’elle découle des résultats d’une violation initiale se rapproche dangereusement de la théorie du fruit de l’arbre empoisonné que la jurisprudence sur le par. 24(2) vise à écarter.
                    En l’espèce, toutes les conduites policières ayant suivi la fouille effectuée au moyen d’un chien renifleur reposaient sur la découverte intermédiaire d’éléments de preuve incriminants. Le premier facteur de l’arrêt Grant est axé sur l’inconduite dont le tribunal devrait souhaiter se dissocier. Une arrestation reposant sur des éléments de preuve clairs et fiables de la perpétration d’un crime ne constitue pas une inconduite dont le tribunal devrait souhaiter se dissocier. Conclure autrement déforme artificiellement l’analyse fondée sur le par. 24(2) et représente un changement d’orientation en faveur des règles de retranchement automatique qui ont été rejetées. La juge du procès a qualifié à bon droit le défaut du policier qui a procédé à l’arrestation de satisfaire à la norme du soupçon raisonnable de minime. Cette conduite ne milite que faiblement en faveur de l’exclusion; l’incidence de celle‑ci sur Z était modérée; et les éléments de preuve sont d’une grande fiabilité et font partie intégrante de la thèse de la Couronne. Tout bien considéré, il n’y a pas lieu d’écarter les éléments de preuve relatifs aux drogues et la déclaration de culpabilité de Z doit être confirmée.
                    Les juges Martin et Kasirer (dissidents) : Le pourvoi devrait être accueilli. Le paragraphe 24(2) de la Charte enjoint aux tribunaux de tenir compte des circonstances pour décider si l’utilisation des éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Des violations consécutives, liées ou en cascade auront forcément une plus grande incidence sur les intérêts de l’accusé qui sont protégés par la Charte. Il faut accorder un poids à chacune de ces violations dans le cadre de l’analyse énoncée dans l’arrêt Grant. Le paragraphe 24(2) commande l’évaluation de la gravité cumulative, et possiblement accrue, de toutes les conduites liées à chacune des violations en cause. Selon cette approche, le par. 24(2) commande l’exclusion des éléments de preuve.
                    La première question à se poser conformément à l’analyse énoncée dans l’arrêt Grant vise l’évaluation de la gravité de la conduite de l’État. La gravité est axée sur la primauté du droit. Tous les actes de l’État qui violent la Charte s’écartent forcément du principe de la primauté du droit. Toutefois, ce n’est pas toute conduite qui viole la Charte qui s’écarte de la primauté du droit dans la même mesure. Les violations se situent sur un continuum ou une échelle variable. Les facteurs pertinents qui pourraient guider l’évaluation de la gravité de la conduite répréhensible comprennent la mesure dans laquelle la conduite reflète un mépris intentionnel des normes prescrites par la Charte, la question de savoir si les actes s’inscrivent dans un contexte et les valeurs sociales sous‑jacentes aux droits garantis par la Charte qui ont été violés. Toute la gamme des valeurs pertinentes consacrées par la Charte doit être prise en compte, et lorsque de multiples droits sont violés, le tribunal doit examiner la façon dont la conduite de l’État fait intervenir chaque valeur sous‑jacente et la façon dont ces valeurs interagissent. Toutes les conduites attentatoires de l’État doivent être prises en compte dans l’analyse. Par conséquent, la gravité de la conduite liée à toutes les violations doit être prise en compte même si l’on peut affirmer que certaines d’entre elles ont pu être causées par des violations antérieures de la Charte. Le fait de traiter les violations consécutives comme n’ayant aucune incidence sur l’analyse de la gravité constitue une rupture avec les principes juridiques établis. Les violations qui, examinées isolément, pourraient sembler mineures ou techniques peuvent contribuer de façon significative à la gravité de l’inconduite dont le juge doit tenir compte lorsqu’il décide s’il y a lieu d’utiliser ou d’exclure les éléments de preuve en application du par. 24(2). Ce serait donc une erreur de droit de refuser d’analyser la mesure dans laquelle chaque violation consécutive reflète une grave conduite attentatoire de l’État. L’accent que l’analyse énoncée dans l’arrêt Grant met sur l’ensemble des circonstances exige une approche cumulative. La jurisprudence de la Cour n’a jamais laissé entendre qu’un lien entre deux violations élimine la nécessité d’évaluer la gravité cumulative de celles‑ci. Considérées dans leur totalité, les conduites de l’État pourraient miner plus gravement la primauté du droit que ne le ferait chacune d’entre elles prise isolément. L’analyse n’est pas un exercice mathématique et il n’est pas requis que la gravité de l’ensemble corresponde à la somme des parties constitutives.
                    En l’espèce, pour ce qui est de la première question à examiner selon l’arrêt Grant, la fouille abusive initiale n’était peut‑être pas grave en soi : la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur et la détention aux fins d’enquête ont violé les exigences de la Charte mais par inadvertance et sans négligence, et aucun défaut systémique ne ressortait du dossier. Toutefois, il ne s’agit pas là de la seule considération pertinente. Des mesures de plus en plus attentatoires, qui représentent des façons progressivement plus graves par lesquelles la conduite de l’État a miné la primauté du droit, ont été prises à chaque étape de l’intervention policière. Les violations subséquentes en cause dans la présente affaire comprennent la fouille par palpation et la fouille de la camionnette et des sacs de sport. En outre, la détention initiale et les trois arrestations subséquentes ont chacune violé l’art. 9. Qui plus est, la détention de l’accusé dans la voiture de police, son menottage et le fait qu’il ait été conduit au poste de police constituaient des détentions arbitraires. Par conséquent, même si les violations subséquentes des droits garantis par la Charte n’ont pas été commises délibérément, l’ensemble de la conduite reflète une grave inconduite de la part de l’État. Sur l’échelle de gravité, la conduite en cause favorise l’exclusion à un degré qui se situe entre modérément et fortement, et qui se rapproche davantage de fortement que de modérément.
                    La deuxième question à se poser selon l’arrêt Grant consiste à examiner l’importance de l’effet des violations de la Charte sur les intérêts protégés de l’accusé. Suivant cette question, c’est la gravité cumulative des effets sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte qui découlent de la même conduite de l’État examinée dans le cadre de la première question qui devrait être évaluée. En l’espèce, les effets étaient importants et se sont aggravés à chaque étape de l’atteinte. L’effet compromettant la vie privée d’une fouille abusive d’un véhicule militera généralement en faveur de l’exclusion, malgré le fait que l’attente en matière de vie privée est réduite à l’égard d’un véhicule comparativement à un lieu d’habitation. L’ouverture par les policiers des sacs de sport de Z a eu une incidence plus importante. L’ouverture de ces sacs, qui se trouvaient sous le couvre‑caisse de la camionnette, constituait une atteinte importante aux intérêts de Z en matière de vie privée. En outre, les violations des droits garantis par l’art. 9 étaient importantes et prolongées. Z a été menotté, enfermé dans une voiture de police et arrêté trois fois. Il a été détenu illégalement pendant une durée totale d’environ sept heures, dont plusieurs heures au poste de police. Ces atteintes soutenues ont eu des effets importants sur la liberté, l’autonomie et l’intégrité physique de Z. Par conséquent, la deuxième question à analyser milite fortement en faveur de l’exclusion des éléments de preuve.
                    Enfin, la troisième question à analyser suivant l’arrêt Grant consiste à déterminer si la fonction de recherche de la vérité que remplit le procès criminel est mieux servie par l’utilisation ou par l’exclusion d’éléments de preuve. En l’espèce, les éléments de preuve sont très fiables et sont sans aucun doute essentiels pour étayer la thèse de la Couronne. Les infractions sont graves, vu la très grande quantité de drogue en cause. Par conséquent, la troisième question milite fortement en faveur de l’utilisation des éléments de preuve.
                    Toutefois, tout bien considéré, le poids du troisième facteur n’est pas assez lourd pour supplanter la gravité cumulative de la conduite attentatoire ainsi que les effets de cette conduite sur les intérêts de Z protégés par la Charte. Dans les circonstances de l’espèce, l’utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Il y a donc lieu d’exclure les éléments de preuve.
Jurisprudence
Citée par les juges Rowe et O’Bonsawin
                    Arrêts écartés : R. c. Love, 2022 ABCA 269, [2023] 1 W.W.R. 296; R. c. Jennings, 2018 ONCA 260, 45 C.R. (7th) 224; arrêt appliqué : R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353; arrêts examinés : R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241; R. c. Monney (1997), 1997 CanLII 979 (ON CA), 153 D.L.R. (4th) 617, inf. pour d’autres motifs par 1999 CanLII 678 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 652; R. c. MacEachern, 2007 NSCA 69, 255 N.S.R. (2d) 180; R. c. Blanchard, 2011 NLCA 33, 308 Nfld. & P.E.I.R. 91; R. c. Pelucco, 2015 BCCA 370, 327 C.C.C. (3d) 151; R. c. Chaisson, 2006 CSC 11, [2006] 1 R.C.S. 415; arrêts mentionnés : R. c. J.F., 2022 CSC 17; Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3; R. c. Beaver, 2022 CSC 54; R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13; R. c. Stillman, 1997 CanLII 384 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 607; R. c. Caslake, 1998 CanLII 838 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 51; R. c. Tim, 2022 CSC 12; R. c. Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223; Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2019 CSC 59, [2019] 4 R.C.S. 335; R. c. McGuffie, 2016 ONCA 365, 131 O.R. (3d) 643; R. c. Lambert, 2020 NSPC 37, 472 C.R.R. (2d) 1, conf. par 2023 NSCA 8; R. c. Lauriente, 2010 BCCA 72, 251 C.C.C. (3d) 492; R. c. Kossick, 2017 SKPC 67, 392 C.R.R. (2d) 250, conf. par 2018 SKCA 55, 365 C.C.C. (3d) 186; R. c. White, 2022 NSCA 61, 419 C.C.C. (3d) 123; R. c. Loewen, 2018 SKCA 69, [2018] 12 W.W.R. 280; R. c. Reilly, 2021 CSC 38; R. c. Au‑Yeung, 2010 ONSC 2292, 209 C.R.R. (2d) 140; R. c. McColman, 2023 CSC 8; R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657; R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220; R. c. MacKenzie, 2013 CSC 50, [2013] 3 R.C.S. 250; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34; R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692; R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494.
Citée par la juge Côté
                    Arrêts examinés : R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241; R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353; R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494; R. c. McColman, 2023 CSC 8; R. c. MacKenzie, 2013 CSC 50, [2013] 3 R.C.S. 250; R. c. Love, 2022 ABCA 269, [2023] 1 W.W.R. 296; R. c. Jennings, 2018 ONCA 260, 45 C.R. (7th) 224; arrêts mentionnés : R. c. Tim, 2022 CSC 12; R. c. Beaver, 2022 CSC 54; R. c. Golub (1997), 1997 CanLII 6316 (ON CA), 34 O.R. (3d) 743; R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13; R. c. Stillman, 1997 CanLII 384 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 607; R. c. Caslake, 1998 CanLII 838 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 51; R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215; R. c. Aucoin, 2012 CSC 66, [2012] 3 R.C.S. 408; R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202; R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692; R. c. Lafrance, 2022 CSC 32; R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220; R. c. Kang‑Brown, 2008 CSC 18, [2008] 1 R.C.S. 456; R. c. A.M., 2008 CSC 19, [2008] 1 R.C.S. 569; Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2019 CSC 59, [2019] 4 R.C.S. 335; Frey c. Fedoruk, 1950 CanLII 24 (SCC), [1950] R.C.S. 517; R. c. Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223; R. c. Reilly, 2021 CSC 38.
Citée par les juges Martin et Kasirer (dissidents)
                    R. c. Plaha (2004), 2004 CanLII 21043 (ON CA), 188 C.C.C. (3d) 289; R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353; R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Simmons, 1988 CanLII 12 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 495; R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692; R. c. Tim, 2022 CSC 12; R. c. Beaver, 2022 CSC 54; R. c. McColman, 2023 CSC 8; R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494; Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145; Renvoi relatif à la Motor Vehicle Act (C.‑B.), 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486; Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2019 CSC 59, [2019] 4 R.C.S. 335; Dedman c. La Reine, 1985 CanLII 41 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 2; R. c. Sharma, 1993 CanLII 165 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 650; R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202; Hamel c. R., 2021 QCCA 801, 72 C.R. (7th) 132; R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103; R. c. Lyons, 1987 CanLII 25 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 309; R. c. Reilly, 2021 CSC 38; R. c. Jennings, 2018 ONCA 260, 45 C.R. (7th) 224; R. c. Love, 2022 ABCA 269, [2023] 1 W.W.R. 296; R. c. Lauriente, 2010 BCCA 72, 251 C.C.C. (3d) 492; R. c. Boudreau‑Fontaine, 2010 QCCA 1108; R. c. Poirier, 2016 ONCA 582, 131 O.R. (3d) 433; R. c. Kossick, 2018 SKCA 55, 365 C.C.C. (3d) 186; R. c. Culotta, 2018 ONCA 665, 142 O.R. (3d) 241, conf. par 2018 CSC 57, [2018] 3 R.C.S. 597; R. c. Adler, 2020 ONCA 246, 388 C.C.C. (3d) 114; R. c. White, 2022 NSCA 61, 419 C.C.C. (3d) 123; R. c. Greffe, 1990 CanLII 143 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 755; R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657; R. c. Lafrance, 2022 CSC 32; R. c. Huynh, 2013 ABCA 416, 8 C.R. (7th) 146; R. c. Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59; R. c. Shinkewski, 2012 SKCA 63, 289 C.C.C. (3d) 145; R. c. Askov, 1990 CanLII 45 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1199; R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215; R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212; R. c. Taylor, 2014 CSC 50, [2014] 2 R.C.S. 495; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34; R. c. Kokesch, 1990 CanLII 55 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 3; R. c. Buhay, 2003 CSC 30, [2003] 1 R.C.S. 631.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 9, 24(2).
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 495(1)a), 507.
Traffic Safety Act, R.S.A. 2000, c. T‑6.
Doctrine et autres documents cités
Asma, Matthew, and Matthew Gourlay. Charter Remedies in Criminal Cases, 2nd ed., Toronto, Emond Montgomery, 2023.
Coughlan, Steve, and Glen Luther. Detention and Arrest, 2nd ed., Toronto, Irwin Law, 2017.
Fontana, James A., and David Keeshan. The Law of Search and Seizure in Canada, 12th ed., Toronto, LexisNexis, 2021.
Paciocco, David M., Palma Paciocco and Lee Stuesser. The Law of Evidence, 8th ed., Toronto, Irwin Law, 2020.
Parent, Hugues. Traité de droit criminel, t. IV, Les garanties juridiques, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2021.
Stuart, Don. « Uncertainty on Charter Section 24(2) Remedy of Exclusion of Evidence » (2023), 86 C.R. (7th) 255.
Vauclair, Martin, Tristan Desjardins et Pauline Lachance. Traité général de preuve et de procédure pénales 2023, 30e éd., Montréal, Yvon Blais, 2023.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Wakeling, Crighton et Khullar), 2022 ABCA 112, 44 Alta. L.R. (7th) 5, [2022] 8 W.W.R. 231, 506 C.R.R. (2d) 174, [2022] A.J. No. 400 (QL), 2022 CarswellAlta 772 (WL), qui a confirmé la déclaration de culpabilité pour possession de cannabis en vue d’en faire le trafic prononcée contre l’accusé. Pourvoi rejeté, les juges Martin et Kasirer sont dissidents.
                    Rubinder Dhanu, Rebecca J. K. Gill and Uphar K. Dhaliwal, pour l’appelant.
                    Amber Pashuk et Kyra Kondro, pour l’intimé.
                    Jeremy Streeter et Jacob Millns, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
                    Tom Spark, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.
                  Version française des motifs rendus par
                    Les juges Rowe et O’Bonsawin —
I.               Aperçu
[1]                              L’appelant, George Zacharias, a fait l’objet d’une interception routière sur l’autoroute. Après l’indication positive donnée par un chien renifleur concernant la présence de drogues dans le véhicule de l’appelant, la police a fouillé le véhicule et saisi plus de 100 livres de marijuana. L’appelant a été déclaré coupable de possession de marijuana en vue d’en faire le trafic. La juge du procès a conclu que la police avait violé les droits de l’appelant garantis par les art. 8 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés en effectuant une fouille à l’aide d’un chien renifleur et une détention aux fins d’enquête. Le présent pourvoi concerne la légalité des actes de l’État qui ont suivi ces violations initiales de la Charte et la question de savoir si les diverses violations justifient l’exclusion de la preuve en application du par. 24(2).
[2]                              À notre sens, les arrestations qui ont suivi la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur dans la présente affaire violaient également la Charte. L’État ne peut pas se fonder sur des éléments de preuve obtenus illégalement afin de satisfaire à la condition requise pour qu’il y ait arrestation, soit la présence de motifs raisonnables et probables. Lorsque le tribunal conclut qu’il y a eu violation de la Charte, il doit en tenir compte lors de l’analyse fondée sur le par. 24(2). Toutefois, à défaut d’une inconduite additionnelle ou indépendante de l’État, une violation qui découle entièrement d’une violation initiale est peu susceptible d’accroître considérablement la gravité globale de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte à l’étape de l’analyse fondée sur le par. 24(2). Une violation consécutive sera plutôt davantage pertinente en ce qui a trait à l’incidence sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte.
[3]                              Pour les motifs qui suivent, bien que nous reconnaissions que les arrestations et les fouilles accessoires à l’arrestation dans la présente affaire constituaient des violations additionnelles de la Charte, nous sommes d’avis de confirmer la décision de ne pas écarter les éléments de preuve sur le fondement du par. 24(2) de la Charte. En conséquence, l’appel est rejeté.
II.            Faits
[4]                              Le 17 février 2017, l’appelant a été intercepté sur l’autoroute 1 près de Banff par l’agent MacPhail de la Gendarmerie royale du Canada (« GRC »). Il s’agissait d’une interception routière effectuée en raison du phare brûlé et des vitres teintées illégalement de la camionnette de l’appelant. Une fois la camionnette de l’appelant immobilisée, l’agent MacPhail a fait plusieurs observations qui l’ont amené à placer l’appelant en détention aux fins d’enquête et à demander qu’une fouille à l’aide d’un chien renifleur soit effectuée pour déceler la présence de drogues.
[5]                              Lors de l’interception initiale, l’agent MacPhail a posé des questions à l’appelant concernant sa destination et les motifs pour lesquels il s’y rendait. Lorsqu’il a demandé à l’appelant de lui remettre son permis de conduire et son certificat d’immatriculation, celui‑ci a répondu qu’il s’était fait voler son portefeuille et lui a offert son passeport à la place. L’agent MacPhail a décrit l’appelant comme étant [traduction] « extrêmement nerveux » et a noté que ses mains tremblaient. Sa nervosité a peu à peu diminué. Il a également remarqué qu’il y avait une grande quantité de bagages dans la camionnette et qu’un couvre‑caisse de qualité commerciale dissimulait le contenu de la caisse de la camionnette.
[6]                              Lorsque l’agent MacPhail a vérifié le nom de l’appelant et sa pièce d’identité dans la base de données de la police, il a découvert une inscription relative aux drogues datant de 2014. Comme il ne pouvait pas avoir accès au dossier, il a dû téléphoner au Centre d’information en temps réel pour obtenir de plus amples renseignements. Le Centre d’information a informé l’agent MacPhail que l’appelant avait fait l’objet [traduction] « d’une plainte dont la fiabilité était inconnue, mais qui indiquait qu’il serait lié à la distribution de grandes quantités de marijuana et de cocaïne » (d.a., vol. I, p. 14).
[7]                              Selon l’agent MacPhail, les renseignements du Centre d’information en temps réel confirmaient ses soupçons que l’appelant transportait de la drogue. Outre l’inscription de 2014 au dossier de l’appelant, l’agent a fait les observations et inférences suivantes : (i) l’autoroute 1, la route sur laquelle circulait l’appelant, était connue comme étant un corridor de trafic de drogue et la ville de Calgary, comme destination à cette fin; (ii) le récit de l’appelant au sujet d’une visite chez sa sœur pendant [traduction] « quelques jours » était incompatible avec la grande quantité de bagages; (iii) il était curieux que les bagages se trouvaient dans la cabine plutôt que dans la caisse de la camionnette; (iv) le couvre‑caisse de la camionnette était du même type que celui qu’utilisent souvent les passeurs de drogues; (v) les autocollants avec l’expression « Back the Blue » (« Appuyons nos policiers ») comme celui affiché dans la vitre de la camionnette de l’appelant étaient souvent utilisés pour éviter de se faire intercepter par la police; (vi) l’affirmation de l’appelant selon laquelle son fils avait acheté la camionnette alors que l’autocollant y était déjà apposé était incompatible avec le fait que celle‑ci était immatriculée au nom de l’appelant; et (vii) l’appelant était extrêmement nerveux, quoique sa nervosité se soit peu à peu atténuée.
[8]                              L’agent MacPhail a placé l’appelant en détention aux fins d’enquête et a demandé un chien renifleur. L’appelant s’est vu offrir la possibilité de communiquer avec un avocat, mais a refusé. L’agent MacPhail a procédé à une fouille par palpation des poches avant de l’appelant et l’a placé dans une voiture de police. Après environ 20 minutes, le chien renifleur est arrivé avec le maître‑chien et a indiqué la présence de drogues. L’agent MacPhail a conclu qu’il avait des motifs raisonnables et probables de procéder à l’arrestation de l’appelant pour possession d’une substance désignée, et c’est ce qu’il a fait.
[9]                              Lorsqu’il a procédé à l’arrestation de l’appelant, l’agent MacPhail a effectué une fouille de la camionnette, y compris des sacs de sport se trouvant dans la caisse de celle‑ci. Il a découvert 101,5 livres de cannabis, des produits comestibles et pâtisseries au cannabis, un bocal contenant une substance qu’il croyait être du cannabis et 12 600 $ en argent comptant. L’agent MacPhail a de nouveau arrêté l’appelant pour possession de drogues en vue d’en faire le trafic. L’appelant a alors été retiré de la première voiture de police, menotté et reconduit au poste de police de Banff dans une deuxième voiture de police. Au poste de police, l’appelant a dû se déshabiller pour ne garder que ses sous‑vêtements et retirer ses chaussures. Il a été arrêté une troisième fois pour possession de produits de la criminalité dont la valeur dépasse 5 000 $. Il a été relâché à 1 h 37, approximativement six heures après être arrivé au poste de police et sept heures après avoir été intercepté sur l’autoroute.
[10]                          Au voir‑dire, l’agent MacPhail a déclaré qu’il était agent de la GRC depuis 14 ans. Au moment de l’arrestation de l’appelant, il faisait partie de l’Équipe mobile de la sécurité routière, spécialisée dans le repérage et l’interception de criminels circulant sur l’autoroute. L’agent MacPhail a été membre de cette équipe pendant 8½ ans et, durant cette période, il a effectué de 12 000 à 15 000 interceptions routières. L’agent MacPhail a également agi à titre d’instructeur de la GRC au cours des 3 années précédentes et donné plus de 15 cours sur les enquêtes visant l’application des règlements de la circulation routière.
III.         Historique judiciaire
A.           Cour du Banc du Roi de l’Alberta
[11]                          Selon la juge du procès, la principale question dont elle était saisie était celle de savoir si l’agent MacPhail avait des soupçons raisonnables l’autorisant à détenir l’appelant aux fins d’enquête et à avoir recours à un chien renifleur. Elle a conclu qu’il n’en avait pas, car le seul élément objectif sur lequel reposaient ses soupçons était une inscription de 2014 dans la base de données de la police, qui n’était pas confirmée et dont la fiabilité était inconnue. La juge du procès a donc conclu que la police avait violé les droits garantis à l’appelant par les art. 8 et 9 de la Charte lors de la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur et de la détention aux fins d’enquête.
[12]                        Toutefois, la juge du procès a ensuite conclu qu’il n’y avait pas lieu d’écarter la preuve en application du par. 24(2). Premièrement, en ce qui concerne la gravité de la conduite de l’État, il n’y avait aucune preuve d’une violation délibérée ou systémique de la Charte. Le défaut de l’agent MacPhail de satisfaire à la norme des soupçons raisonnables était [traduction] « minime » et ne découlait pas de sa négligence. Bien qu’il n’ait pas satisfait à la norme exigée, [traduction] « il était très près de le faire » (d.a., vol. I, p. 21). Deuxièmement, en ce qui a trait à l’incidence de la violation sur les intérêts de l’appelant protégés par la Charte, la juge du procès a fait remarquer qu’il s’agissait d’une fouille d’un véhicule sur une autoroute publique. Un tel contexte n’entraînait pas une attente élevée en matière de respect de la vie privée, comme le ferait la fouille d’un domicile ou d’un ordinateur. Par ailleurs, la fouille n’a pas porté atteinte à la dignité de l’appelant. Enfin, pour ce qui est de l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond, la juge du procès a conclu que la preuve était d’une grande fiabilité et qu’elle constituait l’unique preuve dont disposait la poursuite. Elle a également souligné que l’infraction était grave malgré la légalisation de la marijuana, compte tenu de la quantité. Après avoir effectué l’analyse requise par le par. 24(2), elle a conclu que l’exclusion des éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
B.            Cour d’appel de l’Alberta, 2022 ABCA 112, 44 Alta. L.R. (7th) 5
[13]                          L’appelant a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité, plaidant que la juge du procès a commis une erreur dans son analyse fondée sur le par. 24(2) lors du voir‑dire. Plus particulièrement, il a soutenu que la juge du procès avait fait erreur en ne tenant pas compte des conséquences découlant de la détention aux fins d’enquête et de la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur, lesquelles étaient toutes deux illégales.
[14]                          Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont rejeté l’appel (les juges Wakeling et Crighton). Ils ont convenu avec la Couronne que les juges du procès ne sont pas tenus de prendre en considération une conduite qui pourrait jouer sur un intérêt protégé par la Charte si cette conduite n’a pas été soulevée par les parties et qu’aucune conclusion n’a été tirée à cet égard. Il n’était pas surprenant que la juge du procès ait uniquement tiré des conclusions sur la détention aux fins d’enquête et la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur, puisque c’étaient les seules allégations énoncées dans l’avis de contestation fondée sur la Charte présenté par l’appelant. Les juges majoritaires ont conclu que le fait de connaître des nouveaux arguments soulevés en appel aurait pour effet de miner le rôle de la juge du procès.
[15]                          Les juges majoritaires ont également conclu que même si la juge du procès avait omis de tenir compte de la violation de l’art. 9 — la détention aux fins d’enquête — au regard du deuxième facteur du test fondé sur le par. 24(2), cela n’a pas eu d’effet sur le résultat.
[16]                          La juge d’appel Khullar (maintenant juge en chef), dissidente, aurait accueilli l’appel, écarté la preuve, annulé la déclaration de culpabilité et prononcé un acquittement. Elle partageait l’avis de la juge du procès portant que le premier et le troisième facteurs du test fondé sur le par. 24(2) ne militaient pas en faveur de l’exclusion de la preuve. Toutefois, après avoir effectué une nouvelle analyse du deuxième facteur, elle a conclu que, tout bien considéré, la preuve devrait être écartée.
[17]                          Selon la juge Khullar, le dossier était suffisamment étoffé pour permettre à la cour d’examiner les nouvelles allégations de violations de la Charte présentées par l’appelant, et la Couronne ne subirait pas de préjudice du fait de cet examen. Elle a conclu que la juge du procès avait omis de tenir compte de plusieurs violations des droits garantis à l’appelant par les art. 8 et 9 : la fouille par palpation; la fouille de la camionnette et de son contenu; les trois arrestations; et la détention qui s’est prolongée lorsque la police a placé l’appelant dans la voiture de police, l’a menotté et l’a détenu au poste de police. La juge Khullar a tenu compte de ces violations à la deuxième étape du test fondé sur le par. 24(2), et a conclu que l’incidence de ces violations sur les intérêts de l’appelant que protège la Charte favorisait fortement l’exclusion de la preuve. Tout bien considéré, les facteurs militaient en faveur de l’exclusion.
IV.         Questions en litige
[18]                          Le présent pourvoi soulève les deux questions suivantes.
[19]                          Premièrement, la Cour devrait‑elle examiner les nouvelles questions qui ont été soulevées par l’appelant pour la première fois devant la Cour d’appel de l’Alberta?
[20]                          Deuxièmement, la juge du procès a‑t‑elle dûment tenu compte de l’ensemble de la conduite pertinente de l’État portant atteinte à des droits garantis par la Charte? La réponse à cette question en soulève deux autres. En premier lieu, la police a‑t‑elle commis des violations additionnelles des droits de l’appelant garantis par la Charte en s’appuyant sur les résultats de la fouille illégale effectuée à l’aide d’un chien renifleur? Et en deuxième lieu, si tel est le cas, de quelle façon ces violations doivent‑elles être prises en compte dans l’analyse fondée sur le par. 24(2)?
V.           Analyse
A.           Nouvelles questions soulevées en appel
[21]                          La juge du procès, se fondant sur les arguments qui lui ont été soumis, a conclu qu’il y avait eu deux violations de la Charte : l’art. 8 a été violé, en raison de la fouille illégale effectuée à l’aide d’un chien renifleur, et l’art. 9 a été violé, en raison de la détention aux fins d’enquête au bord de la route qui a mené à la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur et qui a été maintenue pendant la durée de celle‑ci. En appel devant la Cour d’appel de l’Alberta, l’appelant a plaidé que la juge du procès n’avait pas tenu compte de plusieurs autres violations des art. 8 et 9 de la Charte (par. 43‑44). Ces arguments ont suscité de nouvelles questions autres que celles soulevées lors du voir‑dire.
[22]                          L’appelant demande à la Cour de se pencher sur les nouvelles questions que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont refusé d’examiner, soutenant que le dossier est suffisamment étoffé, que la Couronne intimée ne subira aucun préjudice et qu’une interprétation généreuse et téléologique de la Charte exige que la cour examine si d’autres actes de l’État constituaient une violation des droits de l’appelant protégés par la Charte. La Couronne, pour sa part, soutient que le dossier n’est pas suffisamment étoffé pour que les nouvelles questions soient tranchées étant donné qu’elle [traduction] « aurait pu obtenir des preuves supplémentaires » afin « d’étayer le dossier » sur plusieurs points, notamment l’étendue de la fouille par palpation, les raisons pour lesquelles l’agent MacPhail a placé l’appelant sur la banquette arrière de la voiture de police et les circonstances de la détention de l’appelant au poste de police (m.i., par. 47). Qui plus est, la Couronne soutient qu’il serait injuste de permettre à l’appelant de s’écarter autant de la stratégie qu’il a adoptée au procès et que le fait de trancher ces nouvelles questions ne sert aucun intérêt général. 
[23]                          La Cour a bien précisé que de telles nouvelles questions ne devraient être entendues qu’en présence de « circonstances exceptionnelles » (R. c. J.F., 2022 CSC 17, par. 40, citant Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3). Néanmoins, nous concluons que la question de savoir si la conduite policière en l’espèce a violé les art. 8 ou 9 de la Charte devrait être examinée par la Cour. La question de droit ayant donné lieu à une opinion divergente en Cour d’appel fait en sorte que la Cour doit se pencher sur le raisonnement de la juge dissidente.
[24]                          À l’instar de la juge d’appel Khullar, nous sommes d’avis que l’examen de cette question n’entraînerait pas une injustice pour la Couronne. À l’appui de ses arguments, l’appelant n’allègue [traduction] « rien d’autre que le fait que [les arrestations, les fouilles et la détention en question] ont eu lieu » (m.a., par. 70). La Couronne ne conteste pas que ces événements ont eu lieu. Au voir‑dire, la Couronne a présenté le témoignage de l’agent MacPhail, qui a procédé à l’arrestation, de l’agent de renfort et du maître‑chien. Devant la Cour d’appel, la Couronne n’a pas affirmé qu’elle aurait produit d’autres éléments de preuve, sauf en ce qui a trait à la fouille à nu, qui n’est plus en cause (motifs de la C.A., par. 48). En ce qui concerne les questions de droit dont la Cour est saisie, la Couronne a eu amplement l’occasion de réagir aux positions adoptées dans les motifs des juges majoritaires et de la juge dissidente de la Cour d’appel.
[25]                          Les arguments de l’appelant reposent sur des faits non contestés liés à son arrestation; ils peuvent donc à juste titre être pris en compte en appel. Étant donné qu’aucune autre preuve n’a été présentée à l’égard de ces événements, toutefois, la Cour ne tiendra compte que du simple fait que cette conduite policière en question a eu lieu. Autrement dit, bien qu’il convienne que la Cour tienne compte du fait de l’arrestation de l’appelant après la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur, il n’y a eu aucune observation ni preuve visant à établir que certaines circonstances de l’arrestation étaient inappropriées. De cette façon, aucun préjudice n’est causé à la Couronne. Étant donné l’absence de préjudice et l’importance que la question soit résolue par la Cour, et à la lumière des motifs dissidents de la Cour d’appel, nous sommes d’avis d’examiner cette nouvelle question en vertu de notre pouvoir discrétionnaire (voir Guindon, par. 20; voir aussi J.F., par. 40‑41).
B.            Arrestations effectuées en conséquence d’une violation de la Charte
[26]                          Le présent pourvoi soulève la question de savoir si la police a violé les droits que la Charte garantit à l’appelant en l’arrêtant sur le fondement des résultats d’une fouille illégale. Les juridictions inférieures partout au pays ont tiré des conclusions divergentes sur la question de savoir si de telles arrestations sont légales. Comme nous l’expliquerons, suivant une approche fondée sur des principes à l’égard de la Charte, la police ne peut pas s’appuyer sur des éléments de preuve obtenus illégalement afin d’effectuer une arrestation sans mandat. Lorsque les motifs d’arrestation sont fondés sur des éléments de preuve qui sont ultérieurement jugés avoir été obtenus illégalement, le tribunal doit retrancher ces éléments de preuve du fondement factuel afin de déterminer si la police avait des motifs raisonnables et probables de procéder à l’arrestation.
[27]                          Dans l’arrêt R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241, la Cour a expliqué qu’afin de protéger la liberté des Canadiens et des Canadiennes, le Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, énonce des normes strictes régissant les circonstances où la police peut exercer ses pouvoirs d’arrestation. Afin d’obtenir un mandat d’arrestation, la police doit démontrer qu’elle a des motifs raisonnables et probables de croire que la personne qu’elle veut arrêter a commis une infraction. L’article 507 du Code prévoit un mécanisme de contrôle par lequel le juge qui reçoit une dénonciation détermine si les motifs d’arrestation requis ont été établis.
[28]                          La même norme des motifs raisonnables et probables s’applique lorsque la police arrête une personne sans mandat (Storrey, p. 249). L’alinéa 495(1)a) du Code confère à la police le pouvoir d’arrêter une personne sans autorisation judiciaire si elle a des motifs raisonnables de croire que cette dernière a commis un acte criminel ou est sur le point de le faire. Le test devant être appliqué pour établir si la police a agi dans les limites de son pouvoir de procéder à une arrestation sans mandat comporte à la fois une composante subjective et une composante objective (p. 250‑251). Subjectivement, l’agent qui procède à l’arrestation doit sincèrement croire que le suspect a commis l’infraction en question. En outre, ces motifs subjectifs doivent être justifiables d’un point de vue objectif. Pour évaluer si le policier avait des motifs raisonnables et probables de procéder à l’arrestation, le tribunal doit entreprendre l’analyse du point de vue d’une personne raisonnable mise à la place du policier qui a procédé à l’arrestation (R. c. Beaver, 2022 CSC 54, par. 72).
[29]                          Lorsqu’elle s’est demandé si le policier avait des motifs raisonnables et probables d’arrêter l’appelant en l’espèce, la juge d’appel Khullar a conclu que [traduction] « des motifs raisonnables et probables ne peuvent découler des résultats d’une fouille illégale effectuée à l’aide d’un chien renifleur » (par. 54). Nous sommes aussi de cet avis.
[30]                          La conclusion selon laquelle les motifs raisonnables justifiant une arrestation légale ne peuvent découler d’actes qui comportent des violations de la Charte est conforme aux considérations de principe et de politique générale. De fait, cette conclusion est un prolongement logique des principes applicables dans d’autres contextes où une violation initiale de la Charte est à l’origine d’actes subséquents de l’État. Une fouille illégale, par exemple, ne peut fournir les motifs nécessaires pour l’obtention d’un mandat de perquisition (R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13, par. 59). De même, l’arrestation légale est une condition préalable à toute fouille qui y est effectuée accessoirement (R. c. Stillman, 1997 CanLII 384 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 607, par. 27; R. c. Caslake, 1998 CanLII 838 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 51, par. 13‑14; R. c. Tim, 2022 CSC 12, par. 49‑50).
[31]                          La Cour, dans l’arrêt R. c. Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223, a expliqué le raisonnement qui sous‑tend cette règle dans le contexte de l’obtention d’un mandat de perquisition : en écartant la justification sur laquelle repose la conduite de l’État qui est elle‑même inconstitutionnelle, « [l’État] ne peut profiter des actes illégaux des policiers » (p. 251). Dans la même veine, une fouille accessoire à une arrestation est invalide si l’arrestation n’était pas légale étant donné que « la légalité de la fouille dépend de la légalité de l’arrestation, [et] s’il s’avère ultérieurement que l’arrestation était invalide, la fouille le sera aussi » (Caslake, par. 13).
[32]                          Le besoin de faire en sorte que l’État ne puisse pas s’appuyer sur une conduite qui viole la Charte s’applique peu importe si la police contrevient sciemment ou non à la loi. Les considérations de politique générale à cet égard comportent deux volets.
[33]                          Premièrement, le respect de la Charte et la protection rigoureuse des libertés civiles exigent que l’État ne soit pas autorisé à minimiser l’incidence d’actes inconstitutionnels antérieurs qui déclenchent une série en cascade de mesures d’enquête bien intentionnées. Permettre aux policiers de s’appuyer sur leur inconduite d’une telle façon ne donnerait pas véritablement effet aux droits protégés par la Charte.
[34]                          En outre, permettre à l’État de s’appuyer sur des violations de la Charte « de façon détournée » pourrait inciter les policiers à être moins soucieux du respect de la loi. Par exemple, comme l’a énoncé la Cour dans l’arrêt Tim, par. 30 :
                    Permettre aux policiers de procéder à des arrestations sur la base de ce qu’ils croient être la loi — plutôt que sur la base de ce qu’est réellement la loi — élargirait de façon radicale les pouvoirs des policiers au détriment des libertés civiles. Cela ferait en sorte que les gens seraient à la merci de la compréhension de la loi qu’auraient des policiers donnés, et que les policiers seraient moins enclins à vouloir connaître la loi. La population canadienne s’attend à juste titre à ce que les policiers respectent la loi . . .
Même si le fait que la police a commis une erreur involontairement ou de bonne foi sera pris en compte à l’étape de l’analyse fondée sur le par. 24(2), cela n’a aucune incidence sur la question de savoir s’il y a eu une autre violation de la Charte en conséquence de l’inconduite initiale.
[35]                          La prépondérance de la jurisprudence appuie également cette conclusion. Dans l’arrêt R. c. Monney (1997), 1997 CanLII 979 (ON CA), 153 D.L.R. (4th) 617 (C.A. Ont.), inf. pour d’autres motifs par 1999 CanLII 678 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 652, la Cour d’appel de l’Ontario a comparé le contexte de l’arrestation sans mandat et celui des mandats de perquisition. Le juge Rosenberg, rédigeant les motifs des juges majoritaires de la cour, a conclu que, de façon similaire, lors de l’examen de la validité d’une arrestation sans mandat, [traduction] « les faits obtenus par suite d’une violation de la Charte [. . .] sont retranchés des [motifs de l’arrestation]. Le tribunal doit ensuite déterminer si [l’arrestation aurait été valide] sans les faits obtenus irrégulièrement » (par. 98).
[36]                          Dans l’arrêt R. c. MacEachern, 2007 NSCA 69, 255 N.S.R. (2d) 180, la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a pris acte de la concession de la Couronne selon laquelle l’arrestation en question était illégale car elle découlait d’une violation antérieure de l’al. 10b) de la Charte. Dans cette affaire, un chien renifleur avait détecté la présence de drogues dans le sac à dos de l’appelant. La police a détenu et interrogé l’appelant sans l’informer de son droit à l’assistance d’un avocat. Compte tenu des réponses qu’il a données à la police, l’appelant a été arrêté pour possession de drogues. Dans son mémoire présenté en appel, la Couronne a reconnu que sans les réponses données par l’appelant à la police, l’agent n’avait pas la croyance subjective que l’appelant possédait illégalement des drogues et qu’il avait ainsi commis une infraction. La cour a convenu avec la Couronne que, par conséquent, l’arrestation était illégale.
[37]                          Dans l’arrêt R. c. Blanchard, 2011 NLCA 33, 308 Nfld. & P.E.I.R. 91, la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador a convenu avec la juridiction inférieure qu’étant donné que la fouille initiale de la voiture de l’appelant effectuée à l’aide d’un chien renifleur était illégale et a mené à une autre fouille et à l’arrestation de ce dernier, la fouille et l’arrestation subséquentes avaient également été effectuées en violation de la Charte (par. 34). Le mandat de perquisition et l’arrestation sans mandat étaient tous les deux fondés sur les résultats de la fouille illégale effectuée à l’aide d’un chien renifleur (par. 13). La Cour d’appel a qualifié ces violations de [traduction] « violations de la Charte en cascade » (par. 34).
[38]                          De même, dans l’arrêt R. c. Pelucco, 2015 BCCA 370, 327 C.C.C. (3d) 151, les juges majoritaires de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique ont convenu avec le juge du procès que l’arrestation en cause était illégale, étant donné qu’elle était fondée sur des éléments de preuve qui avaient été découverts illégalement. Dans cette affaire, à l’insu de l’appelant, la police avait saisi le téléphone cellulaire de la personne à laquelle il avait convenu de vendre de la cocaïne. Lorsque l’appelant s’est présenté pour réaliser la vente, il a été arrêté et des drogues ont été trouvées dans sa camionnette, ainsi que dans son domicile à la suite de l’exécution d’un mandat de perquisition. Le juge du procès a conclu que la fouille et la saisie du téléphone cellulaire de l’acheteur initial étaient illégales, tout comme la fouille du véhicule et du sac à dos de l’appelant. Par conséquent, l’arrestation, qui était [traduction] « fondée sur » des éléments de preuve découverts en raison de ces fouilles illégales, était également illégale (par. 23). La Cour d’appel a souscrit à cette conclusion (par. 72).
[39]                          Enfin, nous soulignons que notre Cour a approuvé un raisonnement semblable. Dans l’affaire R. c. Chaisson, 2006 CSC 11, [2006] 1 R.C.S. 415, un policier a commencé à avoir des soupçons lorsqu’il a remarqué l’appelant et un passager assis dans une voiture sombre stationnée derrière une station‑service fermée. Lorsqu’il s’est approché du véhicule, il a vu les occupants qui s’y trouvaient réagir avec stupeur et a cru voir l’appelant jeter quelque chose de l’autre côté de la voiture. Il a ordonné aux occupants de sortir du véhicule, les a détenus et a arrêté l’appelant après avoir vu un sac de marijuana dans la voiture. Le juge du procès a conclu que les droits de l’appelant garantis aux art. 8 et 9 et à l’al. 10b) de la Charte avaient été violés : [traduction] « . . . “n’eût été la détention [arbitraire], la marijuana [trouvée par le policier] sur le plancher [de l’automobile de l’appelant] n’aurait pas été découverte et, n’eût été cette découverte, le policier n’aurait pas été en droit d’arrêter ces hommes” » (par. 4). Notre Cour a statué que le juge du procès pouvait conclure, au vu des faits qui lui ont été exposés, que les droits garantis à l’appelant par les art. 8 et 9 et l’al. 10b) avaient été violés (par. 7).
[40]                          Bien que certains tribunaux aient tiré la conclusion opposée sur cette question, leur raisonnement ne nous paraît pas convaincant. L’intervenant le procureur général de l’Alberta renvoie à la décision récente R. c. Love, 2022 ABCA 269, [2023] 1 W.W.R. 296, où la Cour d’appel de l’Alberta a refusé d’appliquer la règle du retranchement automatique aux motifs d’arrestation qui tirent leur source des fouilles illégales. La Cour d’appel a fondé sa décision sur des critiques visant cette règle dans le contexte des mandats de perquisition et sur sa conclusion selon laquelle le retranchement automatique dans le contexte d’une arrestation [traduction] « aurait pour effet d’annuler l’analyse subjective [et l’aspect objectif] du test énoncé dans l’arrêt Storrey » (par. 94).
[41]                          La règle selon laquelle les motifs raisonnables et probables requis pour effectuer une arrestation ne peuvent découler des résultats d’une conduite inconstitutionnelle de l’État ne va pas à l’encontre du test énoncé dans l’arrêt Storrey. Comme nous l’avons expliqué précédemment, ce test exige que le policier croie subjectivement, mais aussi de façon objectivement raisonnable, que la personne arrêtée a commis une infraction. Il incombe à l’État de démontrer l’existence de tels motifs (Storrey, p. 250). Pour faire en sorte que l’État ne puisse pas s’appuyer sur des violations de la Charte, le juge chargé de la révision doit, dès le début de l’analyse, retrancher les éléments de preuve qui ont été obtenus de façon inconstitutionnelle. Une fois ces éléments retranchés du fondement factuel, le tribunal applique le test de l’arrêt Storrey pour déterminer si des motifs raisonnables et probables existent, compte tenu à la fois des composantes subjectives et objectives. Dans le cadre de cette analyse, le tribunal tient compte de l’ensemble des circonstances dont le policier avait connaissance au moment de l’arrestation, mais n’y inclut pas les éléments de preuve qui ont été obtenus de façon inconstitutionnelle.
[42]                          Le procureur général de l’Alberta, dans ses observations présentées en qualité d’intervenant, et la Cour d’appel de l’Alberta, dans l’arrêt Love, soulignent tous les deux que contrairement à la rédaction d’une dénonciation en vue de l’obtention d’un mandat de perquisition, les arrestations sans mandat sont souvent effectuées dans le cadre de situations qui évoluent (m. interv., par. 37; Love, par. 91‑92). Cette affirmation est vraie. Néanmoins, le fait d’empêcher la police de pouvoir s’appuyer sur une conduite illégale n’équivaut pas à l’empêcher d’agir dans des contextes qui évoluent. La même contrainte devant guider la police dans ses interactions avec des individus continue de s’appliquer : de telles actions doivent respecter la Charte. La police n’est donc pas tenue de prendre une mesure additionnelle [traduction] « afin de vérifier la constitutionnalité de mesures d’enquête antérieures avant d’agir sur la foi des renseignements qui en découlent » (Love, par. 92; voir aussi m. interv., procureur général de l’Ontario, par. 18, soutenant que cela tend à indiquer que la police devrait être [traduction] « tenue d’arrêter son enquête »). Au contraire, lorsqu’elle agit, la police a été, et continue d’être, tenue de se demander si elle le fait dans les limites de la constitutionnalité. En bref, la police doit pouvoir intervenir dans les situations critiques, mais ce faisant, elle doit être consciente des pouvoirs que la loi lui confère ainsi que des contraintes qu’elle lui impose.
[43]                          La population canadienne peut légitimement s’attendre à ce que les policiers connaissent la loi, surtout la Charte, et s’y conforment (Tim, par. 30; Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2019 CSC 59, [2019] 4 R.C.S. 335, par. 6; R. c. McGuffie, 2016 ONCA 365, 131 O.R. (3d) 643, par. 67). Cela s’applique tout autant dans les situations qui évoluent. Comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Storrey, « [d]ans le cas d’une arrestation sans mandat, il importe encore davantage que la police établisse l’existence de ces mêmes motifs raisonnables et probables justifiant l’arrestation » (p. 249 (nous soulignons); voir aussi S. Coughlan et G. Luther, Detention and Arrest (2e éd. 2017), p. 91). Cette règle est également conforme aux principes qui s’appliquent dans les contextes de l’obtention d’un mandat de perquisition et de la fouille accessoire à une arrestation.
[44]                          Avant d’aborder la façon dont les violations de la Charte qui découlent de violations antérieures doivent être prises en compte dans l’analyse fondée sur le par. 24(2), nous nous arrêtons pour souligner la distinction importante qui existe entre le retranchement et l’exclusion. Lorsque des motifs d’arrestation sont fondés sur des éléments de preuve obtenus de façon inconstitutionnelle, ces éléments doivent être retranchés du fondement factuel. Toutefois, nous n’écartons pas la possibilité qu’il y ait des situations où, même après le retranchement de tels éléments de preuve, le policier procédant à l’arrestation satisfait néanmoins à la norme des motifs raisonnables et probables justifiant une arrestation. Par exemple, si un policier arrête une personne après avoir effectué une fouille illégale, mais que la preuve ainsi découverte ne constitue qu’un des facteurs ayant mené à la décision de procéder à l’arrestation, l’arrestation sera tout de même légale si les autres éléments de preuve suffisent à démontrer l’existence de motifs raisonnables et probables.
[45]                          En outre, la règle du retranchement automatique ne crée pas, comme l’affirme le procureur général de l’Ontario, [traduction] « de règles d’exclusion catégoriques » (m. interv., par. 16). La question de savoir s’il y a eu violation de la Charte est distincte de celle de savoir si les éléments de preuve obtenus par suite de cette violation devraient être exclus du procès. Cette dernière question est examinée à l’étape de l’analyse fondée sur le par. 24(2), où le tribunal tient compte de l’ensemble des circonstances afin de déterminer si, tout bien considéré, le fait d’utiliser ces éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
[46]                          Nous examinerons maintenant la façon dont cette analyse doit être entreprise, et nous aborderons brièvement la terminologie.
C.            Une arrestation illégale en tant que violation « consécutive » dans le cadre de l’analyse fondée sur le par. 24(2)
[47]                          Lorsqu’une arrestation est illégale parce qu’elle repose sur les résultats d’une violation de la Charte, c’est cette violation initiale qui rend les actions suivantes illégales. Autrement dit, il s’agit d’une situation de violations de la Charte liées ou « en cascade » (voir Blanchard, par. 34). Nous employons le terme « consécutive » pour désigner de telles violations dans le cadre de l’analyse fondée sur le par. 24(2), parce que l’arrestation subséquente n’est illégale qu’en conséquence de la violation ou des violations « initiales » l’ayant précédée.
[48]                          Fait important, une arrestation qui peut être considérée uniquement comme une violation consécutive est distincte d’un acte de l’État qui est caractérisé par une inconduite additionnelle ou indépendante, notamment une conduite qui peut être considérée comme étant une violation « indépendante » de la Charte (comme le fait de ne pas informer un accusé détenu arbitrairement de son droit à l’assistance d’un avocat lors de son arrestation). Dans de telles circonstances, l’acte subséquent de l’État est d’une nature différente et sera pris en considération de manière distincte lors de l’analyse fondée sur le par. 24(2).
[49]                          Il est possible qu’une série de violations de la Charte, par exemple, accroisse cumulativement la gravité de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte (voir R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353 (« Grant 2009 »), par. 75). Certains scénarios factuels soulèveront la question des violations cumulatives, ce qui pourrait indiquer l’existence d’une tendance à commettre des inconduites, plutôt que la question des violations consécutives qui, à elles seules, sont peu susceptibles de le faire (voir R. c. Lambert, 2020 NSPC 37, 472 C.R.R. (2d) 1, par. 361‑365, conf. par 2023 NSCA 8, par. 92‑103 (CanLII); R. c. Lauriente, 2010 BCCA 72, 251 C.C.C. (3d) 492, par. 12 et 30; R. c. Kossick, 2017 SKPC 67, 392 C.R.R. (2d) 250, par. 97‑98 et 126, conf. par 2018 SKCA 55, 365 C.C.C. (3d) 186; R. c. White, 2022 NSCA 61, 419 C.C.C. (3d) 123, par. 44‑61; Monney, par. 120; M. Asma et M. Gourlay, Charter Remedies in Criminal Cases (2e éd. 2023), p. 51).
[50]                          Maintenant que nous avons fait état de cette distinction, nous allons examiner la façon dont une telle arrestation illégale — qui est une violation uniquement en raison de son lien avec une fouille illégale, et qui ne témoigne d’aucune inconduite additionnelle de l’État — devrait être prise en compte dans le cadre de l’analyse fondée sur le par. 24(2) énoncée dans l’arrêt Grant.
(1)         L’analyse fondée sur le par. 24(2) énoncée dans l’arrêt Grant
a)              La gravité de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte
[51]                          La première question à examiner dans le cadre de l’analyse fondée sur le par. 24(2) est celle de savoir si la conduite de l’État qui porte atteinte à un droit garanti par la Charte est si grave que le tribunal doit s’en dissocier. À une extrémité de l’échelle de la gravité se situent les « violations mineures ou commises par inadvertance », et à l’autre extrémité, celles qui sont commises « au mépris délibéré des droits garantis par la Charte ou en ne s’en souciant pas » (Grant 2009, par. 74; voir aussi Beaver, par. 120).
[52]                          Une arrestation illégale qui constitue une violation consécutive doit être prise en compte lors de la première et de la deuxième étapes de l’analyse fondée sur le par. 24(2), mais est peu susceptible d’avoir une incidence importante sur la gravité globale de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte. En l’absence d’inconduite additionnelle de l’État, le point de mire de l’évaluation de la gravité demeurera vraisemblablement la violation initiale : en l’espèce, la fouille illégale précédente. Lorsque, comme en l’espèce, la conduite policière n’est fautive que dans une mesure « minime », la gravité de la violation initiale aura tendance à se situer au bas de l’échelle. Toutefois, dans d’autres affaires, l’inconduite initiale peut être qualifiée de plus grave; par exemple, si la conduite policière a été commise par inadvertance, mais était encore plus fautive. Dans ce dernier cas, bien que l’arrestation qui en découle soit toujours peu susceptible d’accroître considérablement la gravité globale de l’inconduite, la gravité serait déjà plus élevée étant donné que le point de mire est la violation initiale.
[53]                          Cette approche est conforme à celle adoptée dans d’autres affaires. Par exemple, lorsqu’une fouille accessoire à l’arrestation a été déclarée illégale uniquement en raison de l’illégalité de l’arrestation qui l’a précédée et que l’arrestation ne témoigne d’aucune autre inconduite, une plus grande importance sera vraisemblablement accordée à l’arrestation en soi plutôt qu’aux conséquences [traduction] « ordinaires » ou aux « conséquences découlant normalement de l’arrestation » (voir R. c. Loewen, 2018 SKCA 69, [2018] 12 W.W.R. 280, par. 77‑78; voir aussi Tim, par. 49‑50 et 84‑87). Dans les cas où l’inconduite tire sa source exclusivement de son lien avec la violation initiale de la Charte, et où les policiers croient sincèrement procéder légalement, il est peu probable qu’une conduite subséquente de l’État accroisse considérablement la gravité de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte.
[54]                          Par contre, nous n’excluons pas la possibilité que, dans les cas où la violation initiale implique une inconduite délibérée, intentionnelle ou flagrante de la part de l’État, les actes subséquents considérés comme découlant de la violation initiale aient pour effet d’accroître la gravité globale de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte. L’analyse fondée sur le par. 24(2) dépendra évidemment des faits de l’espèce, et il faudra dans chacun des cas procéder à une « évaluation de la gravité de la conduite de l’État ayant donné lieu à la violation » (Grant 2009, par. 73). Toutefois, lorsque les policiers croient sincèrement n’avoir commis aucune violation initiale, les actes commis sur la base de cette violation initiale sont, à leur avis, légales et ne témoignent pas d’un mépris accru à l’égard des droits protégés par la Charte ou de la loi. Dans un tel cas, l’acte subséquent de l’État ou la violation consécutive n’a pas été commis de façon délibérée, et devrait donc être situé à l’extrémité des cas les moins graves de l’échelle de culpabilité (voir Tim, par. 82).
b)            L’incidence sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte
[55]                          L’incidence sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte est distincte de la gravité de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte. Comme l’a énoncé la Cour dans l’arrêt Grant 2009, afin d’évaluer ce facteur, le tribunal doit « examin[er] les intérêts protégés par le droit transgressé, puis évalu[er] l’ampleur des conséquences de la violation sur ces intérêts » (par. 77).
[56]                          Lorsque des droits additionnels et les violations de ceux‑ci sont pris en compte dans l’analyse fondée sur le par. 24(2), il y aura forcément une incidence plus importante sur l’accusé, qui entre alors en jeu dans l’analyse du deuxième facteur énoncé dans l’arrêt Grant. Il est nécessaire d’examiner toutes les violations constatées afin de brosser un [traduction] « tableau précis des effets des violations » (motifs de la C.A., par. 51). Le paragraphe 24(2) de la Charte exige que cet examen se fasse « eu égard aux circonstances ». Omettre de prendre en considération l’incidence d’une arrestation sur un accusé lorsque celle‑ci découle d’une violation précédente de la Charte ne tiendrait pas compte de l’ensemble des « circonstances ». L’arrestation en l’espèce était illégale et doit donc faire partie de l’analyse fondée sur le par. 24(2).
[57]                          En conséquence, nous rejetons le point de vue de la Couronne et des intervenants selon lequel nous devrions adopter l’approche décrite par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. Jennings, 2018 ONCA 260, 45 C.R. (7th) 224. Dans cet arrêt, la cour a affirmé dans une remarque incidente que dans le cas des violations de l’art. 8 dans des affaires relatives à des échantillons d’haleine, il serait erroné, lors de l’analyse fondée sur le par. 24(2), [traduction] « de tenir compte non seulement de l’incidence de l’administration de la procédure de prélèvement d’échantillons d’haleine, qui est en soi peu envahissante, mais de l’ensemble de la procédure à laquelle fait face l’accusé après son arrestation », car cela créerait une règle d’exclusion catégorique (par. 27 et 32). En conséquence, nous préférons ne pas adopter l’approche proposée dans l’arrêt Jennings en l’espèce. Au contraire, si un tribunal conclut qu’une arrestation a été faite en violation de la Charte, il sera nécessaire de tenir compte d’une telle violation dans le cadre de l’analyse fondée sur le par. 24(2), notamment l’incidence sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte (voir R. c. Reilly, 2021 CSC 38, par. 3; voir R. c. Au‑Yeung, 2010 ONSC 2292, 209 C.R.R. (2d) 140, par. 41, 50 et 59). Tel sera le cas peu importe si l’arrestation illégale peut être considérée ou non comme étant une violation « consécutive ».
c)              L’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond
[58]                          Le troisième facteur porte sur l’intérêt de la société de façon plus large, s’intéressant surtout à la fonction de recherche de la vérité que remplit le procès criminel (Grant 2009, par. 79). Le tribunal tient compte de facteurs comme la fiabilité des éléments de preuve, l’importance de ceux‑ci pour la thèse de la Couronne et la gravité de l’infraction reprochée (R. c. McColman, 2023 CSC 8, par. 70). À notre sens, et en l’absence d’arguments sur ce point, la prise en considération de conduites comme les violations additionnelles en l’espèce ne changerait pas l’analyse concernant le troisième facteur énoncé dans l’arrêt Grant. 
(2)         Résumé
[59]                          Les observations qui précèdent visent à fournir des indications dans des situations précises. Une violation « consécutive » n’est pas un nouveau « type » de violation de la Charte. Il ne sera pas nécessaire ni utile dans chaque cas de déterminer si la série d’actes de l’État comporte une violation « consécutive ». Cependant, cela sert de guide dans les cas où une arrestation découle d’une fouille, et que les deux sont jugées illégales lors du contrôle judiciaire. Dans de tels cas, le tribunal doit évaluer la gravité de la fouille ainsi que de l’arrestation. Cette dernière, étant donné que l’on s’attend à ce qu’elle ait lieu dans les circonstances, est peu susceptible d’accroître considérablement la gravité globale de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte, mais elle se traduira souvent par une incidence plus importante sur les intérêts de l’individu protégés par la Charte. De cette façon, l’analyse fondée sur le par. 24(2) ne devient pas une règle d’exclusion automatique, alors que le tribunal tient par ailleurs pleinement compte de l’incidence sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte. 
VI.         Application
[60]                          Ayant énoncé les principes pertinents, nous procédons maintenant à leur application aux circonstances de l’espèce.
(1)         Les violations additionnelles de la Charte
[61]                          En ce qui concerne tout d’abord l’étape de la violation, il est utile de rappeler les trois arrestations qui ont eu lieu dans la présente affaire : (i) la première pour possession, fondée sur les résultats de la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur; (ii) la deuxième pour possession de drogues en vue d’en faire le trafic, fondée sur les fouilles (accessoires à l’arrestation) de l’intérieur du véhicule et des sacs de sport; et (iii) la troisième pour possession de produits de la criminalité, également fondée sur la fouille accessoire à l’arrestation du véhicule et de son contenu.
[62]                          Lors du voir‑dire, l’agent MacPhail a témoigné au sujet des motifs pour lesquels il avait procédé à la première arrestation : [traduction] « [L’agent qui a eu recours au chien renifleur] m’a dit que je pouvais arrêter l’accusé pour possession d’une substance désignée, puisque son chien renifleur avait signalé l’odeur d’une telle substance provenant de l’intérieur du véhicule et l’avait confirmé en s’asseyant » (d.a., vol. II, p. 38). Autrement dit, la croyance subjective de l’agent MacPhail que l’appelant était en possession d’une substance désignée était principalement fondée sur les résultats de la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur. Comme la conclusion de la juge du procès voulant que cette fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur était illégale n’est pas en cause, nous concluons que l’arrestation subséquente de l’accusé pour possession était également illégale. Sans la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur, la police n’aurait pas eu de motifs raisonnables et probables de procéder à l’arrestation.
[63]                          Il est de jurisprudence constante qu’une arrestation légale est essentielle pour que la fouille accessoire à l’arrestation soit valide (Stillman, par. 27; Caslake, par. 13‑14; Tim, par. 49‑50). Par conséquent, compte tenu de notre conclusion selon laquelle la première arrestation était illégale, nous convenons avec la juge d’appel Khullar que les fouilles de la cabine et de la caisse de la camionnette ainsi que des sacs de sport trouvés à l’intérieur du véhicule, qui ont été effectuées accessoirement à l’arrestation, étaient également illégales et constituaient une violation supplémentaire de l’art. 8 de la Charte.
[64]                          Enfin, étant donné notre conclusion portant qu’une fouille illégale ne peut fournir les motifs requis pour procéder à une arrestation, la deuxième et la troisième arrestations sont également illégales. Elles étaient fondées sur les résultats de ces fouilles accessoires illégales. Sans celles‑ci, la police n’aurait pas eu les motifs requis pour procéder à l’une ou l’autre des arrestations. Les trois arrestations en l’espèce constituaient donc des violations supplémentaires de l’art. 9 de la Charte. Le fait que l’appelant ait été placé dans la voiture de police (après avoir été menotté lors de la première arrestation) et conduit au poste de police s’inscrit dans la suite de violations supplémentaires de l’art. 9 occasionnées par les arrestations et la détention aux fins d’enquête.
(2)         L’analyse fondée sur le par. 24(2) énoncée dans l’arrêt Grant
[65]                          Comme nous avons conclu que les arrestations et les fouilles accessoires constituaient des violations des art. 8 et 9 de la Charte, celles‑ci doivent être prises en compte lors de l’analyse fondée sur le par. 24(2). De plus, la Cour d’appel a eu raison de souligner, à l’unanimité, que la juge du procès avait commis une erreur en omettant de tenir compte, dans son analyse fondée sur le par. 24(2), de la violation de l’art. 9 à laquelle elle avait conclu relativement à la détention aux fins d’enquête. Lorsque le juge du procès omet de tenir compte d’un facteur pertinent, une nouvelle analyse fondée sur le par. 24(2) s’impose (R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657, par. 67). Dans le cadre de cette nouvelle analyse, les conclusions de fait du juge du procès demeurent pertinentes et commandent la déférence, sauf en cas d’erreur manifeste et déterminante (voir Grant 2009, par. 129; Beaver, par. 118). 
a)              La gravité de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte
[66]                          La juge du procès a conclu que l’agent MacPhail connaissait la norme applicable et avait cherché à l’appliquer, et qu’il s’était trompé dans une mesure qui n’était que « minime ». Pour reprendre les propos de la juge, il n’existait [traduction] « aucune preuve d’une violation délibérée ou systémique » (d.a., vol. I, p. 20). Bien que la juge du procès ait omis d’inclure la détention aux fins d’enquête dans son analyse fondée sur le par. 24(2), ses conclusions quant à la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur demeurent pertinentes, étant donné que ces deux actes de l’État doivent satisfaire à la même norme des « soupçons raisonnables ». Cette conclusion — selon laquelle l’agent MacPhail était « très près » de satisfaire à la norme des soupçons raisonnables — réduit la gravité de la fouille illégale effectuée à l’aide d’un chien renifleur et de la détention aux fins d’enquête, soit les deux violations de la Charte auxquelles elle a conclu (voir, p. ex., R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220; R. c. MacKenzie, 2013 CSC 50, [2013] 3 R.C.S. 250).
[67]                          En appel, la Cour a reconnu que des violations additionnelles de la Charte ont eu lieu dans la suite des événements : l’arrestation qui était une conséquence de la fouille effectuée à l’aide du chien renifleur; les fouilles accessoires à l’arrestation qui ont suivi; et les arrestations additionnelles découlant de ces fouilles. Rien n’indique que ces violations constituaient une inconduite de la part de l’État, sauf le fait qu’elles découlaient de la fouille illégale effectuée à l’aide d’un chien renifleur. Il était tout à fait normal, par exemple, que la police arrête l’appelant après avoir trouvé plus de 100 livres de cannabis dans son véhicule. Les arrestations (et les fouilles accessoires à celles‑ci) n’étaient pas caractérisées par une inconduite additionnelle ou distincte.
[68]                          Qui plus est, les violations de la Charte cernées par la juge du procès n’ont pas été jugées intentionnelles; on ne pourrait pas affirmer que les policiers savaient dès le départ qu’ils outrepassaient les pouvoirs que leur confère la loi. De surcroît, ces violations additionnelles constituaient des violations uniquement en raison de l’erreur de jugement du policier dans son évaluation des motifs de soupçonner l’accusé. Ces violations « consécutives » additionnelles n’ajoutent pas à la gravité de la conduite de l’État en l’espèce; le point de mire de cette analyse demeure les violations initiales qui ont déclenché la suite des conduites de l’État.
[69]                          La conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte en l’espèce a eu lieu par inadvertance et n’était pas volontaire; elle n’indique pas l’existence d’une attitude de mépris ni d’un mépris systématique de la loi ou des droits que la Charte garantit à l’appelant. Par conséquent, même en tenant compte des violations additionnelles en appel, ce facteur ne milite pas fortement en faveur de l’exclusion. 
b)            L’incidence sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte
[70]                          Premièrement, en ce qui concerne les violations auxquelles a conclu la juge du procès, la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur était de nature relativement « br[ève] et [. . .] non envahissant[e] » (MacKenzie, par. 133, le juge LeBel, dissident). Lorsqu’une violation de l’art. 8 a eu lieu, cette analyse est axée sur « les intérêts protégés se rattachant à la vie privée et, plus généralement, à la dignité humaine » (Grant 2009, par. 78; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34, par. 91; R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692, par. 136). Notre Cour a conclu que les fouilles effectuées à l’aide d’un chien renifleur portent « une atteinte minime » (Chehil, par. 1 et 28; MacKenzie, par. 86). Comme l’a souligné la juge du procès, cette fouille de l’extérieur de l’automobile de l’appelant a eu lieu sur une autoroute publique, ce qui est un facteur pertinent.
[71]                          Les violations de l’art. 9 soulèvent des préoccupations concernant la protection de « la liberté individuelle [de l’appelant] contre l’ingérence injustifiée de l’État » (Grant 2009, par. 20; Le, par. 152; Beaver, par. 127). Bien que la détention aux fins d’enquête ait restreint illégalement la liberté et les mouvements de l’appelant, ce dernier a d’abord été détenu légalement pour des infractions de la route (voir Tim, par. 92). Bien que la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur ait prolongé cette détention, le fait que l’appelant avait été intercepté légalement au départ demeure pertinent.
[72]                        Deuxièmement, même si les violations additionnelles constatées en appel n’ont pas accru la gravité de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte eu égard au premier facteur énoncé dans l’arrêt Grant, elles ont forcément une incidence plus importante eu égard au deuxième facteur énoncé dans l’arrêt Grant, soit les intérêts de l’accusé protégés par la Charte. Tout comme dans l’affaire McColman, par suite de la détention aux fins d’enquête et de la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur, l’appelant a été arrêté, puis amené au poste de police, où il a été détenu pendant plusieurs heures. Les circonstances non contestées de cette arrestation (notamment le fait qu’il a été menotté) sont utiles pour évaluer l’incidence sur sa liberté. Pour ce qui est des intérêts en matière de vie privée de l’appelant, la police a obtenu des éléments de preuve importants contre lui. Contrairement à l’affaire McColman, la police dans la présente affaire est allée plus loin et a effectué une fouille du véhicule de l’appelant et de son contenu (y compris les sacs de sport). La Cour a statué que les automobilistes ont une attente réduite en matière de protection de la vie privée à l’égard de leurs véhicules (R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494, par. 30; Tim, par. 93). La fouille des sacs de sport constitue une atteinte plus prononcée aux intérêts en matière de protection de la vie privée de l’appelant.
[73]                          Considérées ensemble, les arrestations et les fouilles qui ont découlé de celles‑ci ont eu une incidence plus importante sur la vie privée, la liberté et la dignité de l’appelant. Le deuxième facteur énoncé dans l’arrêt Grant milite donc modérément en faveur de l’exclusion. 
c)              L’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond
[74]                          La preuve en l’espèce — les drogues, les accessoires servant à la consommation de drogues et l’argent comptant — était matérielle, fiable et cruciale pour la thèse de la Couronne. Vu la grande quantité de cannabis (plus de 100 livres), il s’agit d’une infraction grave. Ces deux éléments font en sorte que la société a un grand intérêt à ce que l’affaire soit jugée au fond. Il en est ainsi même lorsque les violations additionnelles sont prises en compte. Ce troisième facteur énoncé dans l’arrêt Grant milite donc fortement en faveur de l’utilisation de la preuve. 
d)            Mise en balance
[75]                          Les deux premiers facteurs de l’arrêt Grant militent en faveur de l’exclusion, quoique pas très fortement pour le premier et modérément pour le deuxième. Nous nous arrêtons brièvement pour souligner que la juge dissidente a eu tort d’affirmer que l’un ou l’autre des deux premiers facteurs énoncés dans l’arrêt Grant militerait en faveur de l’utilisation de la preuve (motifs de la C.A., par. 63). Les deux premiers volets ne favorisent jamais l’utilisation — ils peuvent, tout au plus, faiblement favoriser l’exclusion (voir Le, par. 141).
[76]                          Comme nous l’avons mentionné, le troisième facteur énoncé dans l’arrêt Grant milite fortement en faveur de l’utilisation de la preuve. En l’espèce, l’effet des deux premiers facteurs n’est pas suffisant pour l’emporter sur le troisième; par conséquent, l’ensemble des circonstances favorise l’utilisation de la preuve. Cette conclusion est compatible avec d’autres décisions de la Cour qui mettaient en cause une violation moins grave de la Charte, une incidence très ou modérément envahissante et des éléments de preuve matériels, fiables et cruciaux pour la thèse de la Couronne (voir, p. ex., Grant 2009, par. 140; Vu, par. 74). En conséquence, ayant mis les facteurs en balance, nous sommes d’avis de confirmer la décision d’admettre les éléments de preuve et de rejeter le pourvoi.
                  Version française des motifs rendus par
                    La juge Côté —
I.               Introduction
[77]                        Je suis d’accord avec mes collègues les juges Rowe et O’Bonsawin pour dire que l’appel interjeté contre la décision de la Cour d’appel de l’Alberta (2022 ABCA 112, 44 Alta. L.R. (7th) 5) devrait être rejeté. Toutefois, je n’adhère pas à leur affirmation selon laquelle l’État « ne peut pas se fonder sur des éléments de preuve obtenus illégalement afin de satisfaire à la condition requise pour qu’il y ait arrestation, soit la présence de motifs raisonnables et probables » (par. 2; voir aussi les motifs des juges Martin et Kasirer, par. 107). Bien que notre Cour ne se soit jamais penchée directement sur la question, il est difficile, à mon avis, de concilier la position de mes collègues avec, d’une part, (1) la jurisprudence bien établie de la Cour sur le par. 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés, et d’autre part, (2) le cadre d’analyse applicable aux arrestations sans mandat énoncé dans l’arrêt R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241.
[78]                        Tout d’abord, la découverte en violation de la Charte d’éléments de preuve incriminants entraînera inévitablement une arrestation ou d’autres mesures d’enquête de la police. En l’absence d’une inconduite policière indépendante ou additionnelle, notre Cour n’a jamais considéré de telles arrestations ou mesures d’enquête comme des violations distinctes de la Charte dans le cadre de son analyse fondée sur le par. 24(2).
[79]                          Ensuite, l’évaluation judiciaire objective des motifs subjectifs pour lesquels un policier a procédé à une arrestation sans mandat doit reposer sur « l’ensemble des circonstances connues du policier au moment de l’arrestation » (R. c. Tim, 2022 CSC 12, par. 24, citant Storrey, p. 250‑251). En évaluant les motifs objectifs d’arrestation qu’avait un policier, « les tribunaux doivent reconnaître que [traduction] “[s]ouvent, la décision du policier d’effectuer une arrestation doit être prise rapidement dans une situation instable qui évolue vite. La réflexion judiciaire n’est pas un luxe que celui‑ci peut s’offrir. Le policier doit prendre sa décision en fonction des renseignements dont il dispose, lesquels sont souvent loin d’être exacts ou complets” » (R. c. Beaver, 2022 CSC 54, par. 72, citant R. c. Golub (1997), 1997 CanLII 6316 (ON CA), 34 O.R. (3d) 743 (C.A.), p. 750, le juge Doherty).
[80]                        En l’espèce, l’opinion de mes quatre collègues quant à la question de savoir si l’agent MacPhail avait des motifs raisonnables et probables de procéder à une arrestation n’est pas fondée sur les circonstances connues de ce dernier au moment de l’arrestation, dont le signal clair et sans équivoque donné par le chien renifleur indiquant la présence de substances désignées dans le véhicule de l’appelant. Elle repose plutôt entièrement sur une évaluation judiciaire rétroactive de la légalité de la fouille effectuée au moyen d’un chien renifleur. Toutefois, dans le cadre de son analyse fondée sur le par. 24(2), la Cour devrait mettre l’accent — et a toujours mis l’accent — sur la fouille initiale (et en l’espèce, sur la détention aux fins d’enquête connexe dans l’attente de l’arrivée du chien). La présence de « violations » additionnelles n’a pas été débattue en première instance et a peu d’incidence, voire aucune, sur l’analyse fondée sur le par. 24(2) des juges Rowe et O’Bonsawin, à laquelle je souscris pour l’essentiel. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer la déclaration de culpabilité de l’appelant.
II.            Analyse
[81]                        Mes collègues les juges Rowe et O’Bonsawin réitèrent leur conclusion de la façon suivante : « . . . les motifs raisonnables [et probables] justifiant une arrestation légale ne peuvent découler d’actes qui comportent des violations de la Charte. . . » (par. 30; voir les motifs des juges Martin et Kasirer, par. 107, où ils souscrivent à cette « proposition juste »). Ils considèrent cette conclusion comme étant un « prolongement logique » des principes applicables à d’autres contextes où une violation initiale de la Charte est à l’origine d’actes subséquents de l’État, faisant à cet égard allusion aux mandats de perquisition et aux fouilles accessoires à une arrestation (motifs des juges Rowe et O’Bonsawin, par. 30, citant R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13; R. c. Stillman, 1997 CanLII 384 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 607; R. c. Caslake, 1998 CanLII 838 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 51; Tim).
[82]                        Afin de comprendre pourquoi ces contextes se distinguent de la présente affaire, il est nécessaire de procéder à un examen assez approfondi de la jurisprudence de la Cour portant sur le par. 24(2) et sur l’arrêt Storrey. J’examine chacune de ces autorités tour à tour avant d’aborder les répercussions de l’approche adoptée par mes collègues.
A.           Le paragraphe 24(2) de la Charte
(1)         La jurisprudence de la Cour portant sur le par. 24(2)
[83]                        Si, comme le concluent mes collègues, une arrestation légale ne peut être fondée sur des éléments de preuve obtenus illégalement, alors notre Cour a négligé ou omis d’examiner une foule de violations additionnelles de la Charte dans l’ensemble de sa jurisprudence portant sur le par. 24(2). L’arrestation de l’accusé — directement fondée sur des éléments de preuve obtenus illégalement — aurait constitué une violation de la Charte notamment dans les cas suivants : R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353 (« Grant 2009 »); R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494; R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215; R. c. Aucoin, 2012 CSC 66, [2012] 3 R.C.S. 408; R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202; R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692; R. c. Lafrance, 2022 CSC 32; et R. c. McColman, 2023 CSC 8. En particulier, les arrêts Grant 2009, Harrison et, plus récemment, l’arrêt McColman illustrent ce point.
a)              L’arrêt Grant 2009
[84]                        Dans l’arrêt Grant 2009, l’accusé a été détenu arbitrairement par la police sur le bord de la route. Pendant sa détention illégale, il a admis avoir une arme à feu en sa possession. Il a ensuite été arrêté et fouillé par la police, qui a saisi un revolver chargé (par. 7‑8). S’exprimant au nom de la majorité de la Cour, la juge en chef McLachlin et la juge Charron ont identifié deux violations de la Charte : la détention arbitraire initiale (art. 9), et la violation correspondante du droit de l’accusé à l’assistance d’un avocat garanti par l’al. 10b) alors que la police « cherchait à obtenir des réponses qui lui fourniraient des motifs de perquisition ou d’arrestation » (par. 135‑136). Bien que la Cour n’ait pas expressément examiné la question, elle n’a pas considéré l’arrestation et la fouille subséquentes effectuées par la police comme illégales dans le cadre de son analyse fondée sur le par. 24(2) (par. 131‑140).
b)            L’arrêt Harrison
[85]                          Dans l’arrêt Harrison, le pourvoi connexe à l’arrêt Grant 2009, un policier a détenu arbitrairement l’accusé pendant une interception routière illégale. L’accusé n’a pas pu fournir son permis de conduire. Le policier a effectué une vérification informatique et a appris que celui-ci conduisait alors que son permis était suspendu, et il l’a arrêté pour ce motif. Le policier a ensuite procédé à la fouille « “accessoire à une arrestation” du [véhicule], soi‑disant pour trouver le permis de conduire de l’appelant, même si l’endroit où celui‑ci se trouvait n’avait rien à voir avec l’accusation de conduite avec un permis suspendu » (par. 8). Pendant cette fouille, le policier a trouvé deux boîtes contenant de la cocaïne et a aussi arrêté l’appelant en raison de la présence de drogues (par. 9). S’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour, la juge en chef McLachlin a statué qu’« [e]n l’espèce, les violations de la Charte sont évidentes » : (1) la détention initiale sur le bord de la route et (2) la fouille du véhicule, qui n’était pas accessoire à l’arrestation de l’appelant pour conduite avec permis suspendu (par. 20). Comme dans l’arrêt Grant 2009, la juge en chef McLachlin n’a pas tenu compte de l’une ou l’autre des arrestations de l’accusé en tant que violations distinctes ou additionnelles de la Charte dans son analyse fondée sur le par. 24(2), même si elle a finalement écarté la cocaïne à titre d’élément de preuve.
c)              L’arrêt McColman
[86]                          Plus récemment, dans l’arrêt McColman, la police a détenu illégalement l’accusé dans son entrée. « Par suite de l’interception illégale, M. McColman a été arrêté et amené au poste de police, où il a été détenu pendant plusieurs heures [et] [l]a police a obtenu une preuve appréciable contre [lui] » (par. 68), notamment les résultats inculpatoires de deux alcootests. L’unique violation de la Charte identifiée par le juge en chef Wagner et la juge O’Bonsawin, s’exprimant au nom des juges unanimes, était la détention arbitraire de l’accusé avant son arrestation (voir les par. 51‑52). Bien que la Cour ait tenu compte de l’obtention des alcootests et de l’arrestation de l’accusé qui ont suivi la détention de l’accusé dans son analyse des facteurs énoncés dans l’arrêt Grant 2009 (voir le par. 68), ces alcootests et cette arrestation n’ont pas été considérés comme des violations de la Charte.
d)            L’article 8
[87]                        Dans chacun des arrêts Grant 2009, Harrison et McColman, la preuve incriminante découlait d’une détention illégale initiale. L’approche qu’adoptent mes quatre collègues dans la présente affaire est également incompatible avec la façon dont notre Cour a traité les fouilles illégales qui permettent de découvrir des éléments de preuve d’un acte criminel. À leur avis, toute violation de l’art. 8 deviendrait une violation des art. 8 et 9 lorsque la fouille donne lieu à une arrestation. Cette approche ne trouve pas appui dans la jurisprudence de notre Cour; par exemple, dans l’arrêt Paterson, la Cour a considéré qu’une fouille illégale qui avait permis de découvrir une arme à feu et des drogues et qui avait donné lieu à l’arrestation de l’accusé avait uniquement violé l’art. 8 (voir les par. 2 et 41‑57).
[88]                        Cela dit, il se peut que la police commette des violations additionnelles ou indépendantes de la Charte lors de son enquête. Le cas échéant, ces violations doivent être et seront prises en compte dans l’analyse fondée sur le par. 24(2); ce sera le cas, par exemple, d’un accusé qui est ultérieurement privé de son droit à l’assistance d’un avocat lors de son arrestation ou qui fait abusivement l’objet d’une fouille accessoire à son arrestation.
(2)         Fouilles effectuées au moyen d’un chien renifleur
[89]                        Notre Cour s’est penchée à de nombreuses reprises sur la légalité des fouilles effectuées au moyen d’un chien renifleur. Elle a confirmé que de telles fouilles constituent une atteinte minime à la vie privée (voir R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220, par. 1 et 28; R. c. MacKenzie, 2013 CSC 50, [2013] 3 R.C.S. 250, par. 86). De fait, c’est en raison du « caractère peu envahissant, étroitement ciblé et hautement fiable » des fouilles effectuées au moyen d’un chien renifleur que seul un « soupço[n] raisonnabl[e] » d’activité criminelle est requis pour justifier leur utilisation (Chehil, par. 28, citant le juge Binnie dans R. c. Kang‑Brown, 2008 CSC 18, [2008] 1 R.C.S. 456, par. 60; R. c. A.M., 2008 CSC 19, [2008] 1 R.C.S. 569, par. 81‑84).
[90]                        La Cour unanime dans l’arrêt Chehil, et les juges majoritaires dans l’arrêt MacKenzie, ont conclu que les fouilles effectuées au moyen de chiens renifleurs en cause étaient légales et ne violaient pas l’art. 8. La Cour n’avait donc pas à examiner le par. 24(2) ou les questions soulevées dans le présent pourvoi. Toutefois, dans l’arrêt MacKenzie, les quatre juges dissidents qui ont conclu que la fouille effectuée au moyen d’un chien renifleur constituait une violation de l’art. 8 (soit le juge LeBel, avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Fish et Cromwell) n’ont pas jugé que l’arrestation de l’accusé ou que la conduite subséquente de la police était illégale. Comme c’est le cas en l’espèce, la police a arrêté l’accusé et fouillé sa voiture à la suite de l’indication donnée par le chien renifleur (par. 19‑21). Le juge LeBel a relevé deux violations de la Charte : la fouille effectuée au moyen d’un chien renifleur et la détention aux fins d’enquête connexe (par. 128‑136).
[91]                        Selon l’approche de mes quatre collègues en l’espèce, le juge LeBel aurait également dû conclure que l’arrestation de l’appelant, sa détention continue et toutes les fouilles effectuées après la fouille illégale au moyen d’un chien renifleur étaient des violations de la Charte. De l’avis de mes collègues les juges Martin et Kasirer, ces « violations » additionnelles — qui dépendent toutes de la question de savoir si la fouille initiale effectuée au moyen d’un chien renifleur était légale — auraient pour effet de modifier de façon importante le résultat de l’analyse fondée sur le par. 24(2). J’aborderai les difficultés que cette approche soulève sur le plan jurisprudentiel ainsi que les répercussions de celle-ci plus en détail ci-après.
B.            L’arrêt Storrey
[92]                          La norme des motifs raisonnables et probables justifiant une arrestation sans mandat a récemment été résumée dans l’arrêt Tim, par. 24, renvoyant à l’arrêt Storrey, p. 250‑251 :
                    Une arrestation sans mandat requiert l’existence tant de motifs subjectifs que de motifs objectifs. Le policier qui procède à l’arrestation doit posséder subjectivement des motifs raisonnables et probables pour agir, et ces motifs doivent être justifiables d’un point de vue objectif. Cette appréciation objective tient compte de l’ensemble des circonstances connues du policier au moment de l’arrestation — y compris le caractère dynamique de la situation — considérées du point de vue d’une personne raisonnable possédant des connaissances, une formation et une expérience comparables à celles du policier ayant procédé à l’arrestation. [Je souligne.]
[93]                          Dans l’arrêt Beaver, la Cour a affirmé que l’analyse doit être effectuée « du point de vue d’une personne raisonnable mise “à la place du policier [qui a procédé à l’arrestation]” » (par. 72, citant Chehil, par. 45 et 47; MacKenzie, par. 63). S’exprimant au nom des juges majoritaires, le juge Jamal, au par. 72, a cité avec approbation une partie du passage suivant de l’arrêt Golub, par le juge Doherty :
                    [traduction] La dynamique à l’œuvre dans une situation d’arrestation diffère grandement de celle qui entre en jeu dans le contexte d’une demande de mandat de perquisition. Souvent, la décision du policier d’effectuer une arrestation doit être prise rapidement dans une situation instable qui évolue vite. La réflexion judiciaire n’est pas un luxe que celui‑ci peut s’offrir. Le policier doit prendre sa décision en fonction des renseignements dont il dispose, lesquels sont souvent loin d’être exacts ou complets. La loi ne peut exiger d’un policier qui doit décider s’il procède ou non à une arrestation qu’il fasse le même type d’enquête qu’un juge saisi d’une demande de mandat de perquisition. [p. 750]
[94]                          Dans l’arrêt R. c. Love, 2022 ABCA 269, [2023] 1 W.W.R. 296, la Cour d’appel de l’Alberta a directement examiné la question de savoir si la logique qui sous‑tend le retranchement des renseignements obtenus de façon inconstitutionnelle, dans le contexte des mandats de perquisition, devait être appliquée aux arrestations sans mandat. La Cour d’appel a conclu que la règle du retranchement automatique, si elle était appliquée dans le contexte des arrestations sans mandat, irait à l’encontre de l’arrêt Storrey :
                        [traduction] Le retranchement automatique, après le fait, annulerait l’analyse subjective du test établi dans l’arrêt Storrey en modifiant artificiellement les renseignements sur lesquels s’est appuyé le policier au moment de procéder à l’arrestation. Ce serait là dénaturer l’aspect objectif du test parce que l’analyse ne serait plus axée sur le fondement factuel sous‑tendant les actes du policier. Cela irait à l’encontre de la directive donnée par la Cour suprême portant qu’un policier exerçant un pouvoir sans mandat « ne peut faire abstraction que des renseignements dont il a de bonnes raisons de croire qu’ils ne sont pas fiables » : Chehil, par. 33. [par. 94]
[95]                        Je suis du même avis. Suivant l’approche de mes collègues, l’appréciation des motifs qu’avait un policier pour procéder à une arrestation ne serait plus fondée sur les « circonstances connues du policier au moment de l’arrestation » (voir Tim, par. 24; Storrey, p. 250‑251; MacKenzie, par. 33; Beaver, par. 72 et 88; et Golub, p. 750). Leur approche repose plutôt entièrement sur une évaluation judiciaire rétroactive de la fouille sous‑jacente effectuée au moyen d’un chien renifleur.
[96]                        Notre Cour a bien précisé que la norme des motifs raisonnables et probables porte sur les faits, et non sur l’existence en droit de l’infraction en cause (voir Tim, par. 28, citant Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2019 CSC 59, [2019] 4 R.C.S. 335, par. 78; Frey c. Fedoruk, 1950 CanLII 24 (SCC), [1950] R.C.S. 517, p. 531). La réflexion judiciaire n’est pas un luxe qu’un policier peut s’offrir. Il est artificiel et incompatible avec la norme des motifs raisonnables et probables de conclure à l’illégalité d’une arrestation qui est effectuée sur la base d’éléments de preuve clairs et fiables quant à la commission d’un acte criminel. S’il est par la suite établi que ces éléments de preuve ont été obtenus au moyen d’une fouille ou d’une détention illégale, cette fouille ou détention sera dûment évaluée dans le cadre de l’analyse fondée sur le par. 24(2).
[97]                        Ayant cela à l’esprit, et avec égards, on peut mieux comprendre pourquoi notre Cour a refusé, au cours des trois décennies qui ont suivi l’arrêt R. c. Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223, d’appliquer la logique qui sous‑tend le principe du retranchement au contexte des arrestations sans mandat. De même, avec égards, mes collègues font erreur lorsqu’ils se fondent sur les fouilles accessoires à l’arrestation (voir les motifs des juges Rowe et O’Bonsawin, par. 30‑31; les motifs des juges Martin et Kasirer, par. 128). Étant donné que le pouvoir de common law d’effectuer une fouille accessoire à une arrestation découle uniquement de la légalité de l’arrestation, « s’il s’avère ultérieurement que l’arrestation était invalide, la fouille le sera aussi » (Caslake, par. 13; voir aussi Golub, p. 753-754, le juge Doherty). En revanche, la légalité d’une arrestation basée sur les résultats d’une fouille ou d’une détention illégale ne découle pas uniquement des motifs pour lesquels la fouille ou la détention sous‑jacente a été effectuée. L’arrestation est basée sur un facteur additionnel — la découverte des éléments de preuve incriminants eux-mêmes. Je le répète, si la fouille ou la détention sous‑jacente est ultérieurement déclarée invalide, cette violation sera dûment évaluée lors de l’analyse fondée sur le par. 24(2).
C.            Implications quant à l’exclusion de la preuve en application du par. 24(2)
[98]                        Une fouille ou une détention illégale qui permet de découvrir des éléments de preuve d’un acte criminel donnera inévitablement lieu à une arrestation ou à d’autres mesures d’enquête de la police. Suivant l’approche de mes collègues, ce qui transforme les violations initiales de la Charte — en l’espèce, la fouille illégale effectuée au moyen d’un chien renifleur et la détention aux fins d’enquête connexe — en une série ou une « cascade » de violations additionnelles de la Charte n’aurait rien à voir avec toute inconduite policière subséquente. Cela dépendrait plutôt entièrement de la question de savoir si la fouille ou la détention illégale permet d’obtenir des éléments de preuve incriminants et donne donc naturellement lieu à une arrestation. Avec égards, le fait de classifier toute conduite policière subséquente comme violant la Charte simplement parce qu’elle découle des résultats d’une violation initiale se rapproche dangereusement de la théorie du « fruit de l’arbre empoisonné » que la jurisprudence de notre Cour sur le par. 24(2) vise à écarter.
[99]                        À cet égard, dans l’arrêt R. c. Jennings, 2018 ONCA 260, 45 C.R. (7th) 224, la Cour d’appel de l’Ontario s’est penchée sur les intérêts protégés par la Charte en jeu dans le cas des personnes qui fournissent un échantillon d’haleine à la police. Le juge Miller, rédigeant pour la cour (avec l’accord des juges Watt et Hourigan), a expliqué que notre Cour a expressément choisi la procédure de prélèvement d’un échantillon d’haleine comme exemple d’un type de fouille comportant une atteinte minime dans l’arrêt Grant 2009 (par. 29, citant Grant 2009, par. 106‑111). Il a ensuite ajouté que notre Cour [traduction] « a sûrement choisi cet exemple sachant que la plupart des demandes en bonne et due forme d’échantillons d’haleine sont suivies d’une arrestation », c’est‑à‑dire, dans le cas de conducteurs dont l’alcoolémie dépasse la limite légale (Jennings, par. 29). Dans de tels cas, ces conducteurs sont [traduction] « presque invariablement arrêtés et amenés au poste de police afin de fournir d’autres échantillons d’haleine » (par. 32).
[100]                     Comme dans le cas de la procédure de prélèvement d’échantillons d’haleine, la Cour a qualifié la fouille effectuée au moyen d’un chien renifleur de fouille comportant une atteinte minime, et elle l’a sans aucun doute fait en sachant qu’une indication positive de la part d’un chien renifleur mènerait à une arrestation ou à d’autres mesures d’enquête par la police (voir, p. ex., Chehil, par. 55). Dans leur analyse fondée sur le par. 24(2), mes collègues les juges Martin et Kasirer ne se réfèrent à aucune décision de notre Cour portant sur les fouilles effectuées au moyen d’un chien renifleur et n’examinent pas non plus l’incidence relativement minime de cette forme de fouille. Avec égards, leur analyse est contraire à une caractérisation judicieuse des intérêts protégés par la Charte qui sont en jeu lorsqu’une personne fait l’objet d’une fouille effectuée au moyen d’un chien renifleur (voir Chehil, par. 19; voir aussi Kang‑Brown; A.M.).
[101]                     Mes collègues les juges Martin et Kasirer s’appuient principalement sur les arrêts Tim et R. c. Reilly, 2021 CSC 38, pour affirmer, ce qui n’est pas contesté, que toutes les violations de la Charte doivent être prises en compte dans l’analyse fondée sur le par. 24(2). Toutefois, cette affirmation ne permet pas de conclure que certaines conduites de la police constituaient d’emblée une violation de la Charte. Leur approche n’est pas « conforme » à celle de l’arrêt Grant 2009, où la Cour n’a pas considéré l’arrestation ni la fouille de l’accusé comme des violations de la Charte en raison de leur lien avec la violation initiale. De même, la nécessité de tenir compte de l’ensemble des « circonstances » en application du par. 24(2) (voir les motifs des juges Martin et Kasirer, par. 111‑115 et 129‑133) — qui, à mon sens, renvoie aux trois questions à examiner énoncées dans l’arrêt Grant 2009 (voir le par. 71) — ne signifie pas que toutes ces circonstances constituent des violations de la Charte.
[102]                     L’accent mis par les juges Martin et Kasirer sur la gravité de la conduite de l’État qui porte atteinte à un droit garanti par la Charte en l’espèce fait fi du fait que toutes les conduites policières ayant suivi la fouille effectuée au moyen d’un chien renifleur reposaient sur un facteur intermédiaire — la découverte d’éléments de preuve incriminants. La question à la première étape de l’analyse énoncée dans l’arrêt Grant 2009 peut être formulée ainsi : « S’agit‑il d’une inconduite [policière] dont le tribunal devrait souhaiter se dissocier? » (McColman, par. 57, citant la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Harrison, par. 22). À mon avis, une arrestation reposant sur des éléments de preuve clairs et fiables de la perpétration d’un crime ne constitue pas une « inconduite » dont le tribunal devrait souhaiter se dissocier. En l’espèce, l’inconduite reprochée, dont la Cour devrait souhaiter se dissocier, est la décision initiale de l’agent MacPhail d’avoir recours à un chien renifleur sans être légalement autorisé à le faire.
[103]                     Conclure autrement déforme artificiellement l’analyse fondée sur le par. 24(2) et, avec égards, représente un changement d’orientation en faveur des règles de retranchement automatique que notre jurisprudence a rejetées. À tout le moins, les questions soulevées dans le présent pourvoi méritent l’attention d’une Cour siégeant au complet, dans une affaire où les violations additionnelles ont été plaidées et examinées en première instance.
III.         Dispositif
[104]                     En définitive, en l’espèce, le fait de qualifier d’illégales toutes les conduites policières postérieures à la fouille effectuée au moyen du chien renifleur ne change pas le résultat de l’analyse fondée sur le par. 24(2) que font les juges Rowe et O’Bonsawin, à laquelle je souscris pour l’essentiel. La juge du procès a qualifié à bon droit le défaut de l’agent MacPhail de satisfaire à la norme du soupçon raisonnable de [traduction] « minime » (d.a., vol. I, p. 20). À la première étape de l’analyse énoncée dans l’arrêt Grant 2009, la gravité de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte ne milite que faiblement en faveur de l’exclusion. À la deuxième étape, je conviens avec mes collègues les juges Rowe et O’Bonsawin que l’incidence sur l’appelant était modérée, compte tenu de la nature « peu envahissante » d’une fouille effectuée au moyen d’un chien renifleur et de l’attente réduite en matière de respect de la vie privée relativement à un véhicule à moteur (voir Chehil, par. 28; MacKenzie, par. 31, 86 et 133). La détention aux fins d’enquête fut brève, nécessaire afin de faciliter le recours à un chien renifleur et assortie du droit à l’assistance d’un avocat. À la troisième étape, les éléments de preuve sont d’une grande fiabilité et font partie intégrante de la thèse de la Couronne, qui favorise fortement leur utilisation.
[105]                     Tout bien considéré, je suis d’avis de confirmer la décision d’admettre en preuve les drogues, de rejeter le pourvoi et de confirmer la déclaration de culpabilité de l’appelant.
                  Version française des motifs rendus par
                    Les juges Martin et Kasirer —
I.               Aperçu
[106]                     Nous avons pris connaissance des motifs de nos collègues les juges Rowe et O’Bonsawin. Nous souscrivons à de grands pans de leurs motifs mais, soit dit en tout respect, nous divergeons d’opinion quant au résultat. Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi, d’ordonner l’exclusion de la preuve, d’annuler la déclaration de culpabilité de l’appelant et d’inscrire un acquittement.
[107]                     Premièrement, nous sommes d’accord avec nos collègues que, dans les circonstances de la présente affaire, il convient que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et examine les nouvelles questions soulevées en appel, contrairement au raisonnement des juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Alberta. Deuxièmement, nous acceptons la proposition, bien fondée en droit, selon laquelle une arrestation légale ne peut pas être fondée sur des motifs interdits, comme l’aurait conclu la juge Khullar (maintenant juge en chef), dissidente en Cour d’appel (2022 ABCA 112, 44 Alta. L.R. (7th) 5). Plus précisément, les motifs raisonnables et probables justifiant une arrestation ne peuvent être fondés sur une inconduite policière inconstitutionnelle. Troisièmement, nous convenons que les éléments de preuve en cause en l’espèce ont été « obtenus dans des conditions » qui portaient atteinte à chacun des droits protégés par la Charte que nos collègues reconnaissent comme ayant été violés, ce qui inclut chacune des arrestations et des fouilles dont M. Zacharias a fait l’objet. Par conséquent, à l’instar de nos collègues et de la juge Khullar de la Cour d’appel, nous concluons que la [traduction] « condition préliminaire » de l’analyse fondée sur le par. 24(2) est respectée (voir R. c. Plaha (2004), 2004 CanLII 21043 (ON CA), 188 C.C.C. (3d) 289 (C.A. Ont.), par. 44, le juge Doherty).
[108]                     En toute déférence, nous sommes toutefois en désaccord avec les instances inférieures et nos collègues quant au cadre juridique qui régit la façon dont des violations multiples et interreliées entrent en ligne de compte dans l’étape évaluative de l’analyse fondée sur le par. 24(2) et précisée par l’arrêt R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353. Nous notons que ni la juge du procès ni les juges majoritaires de la Cour d’appel n’ont dûment soumis toutes les violations des droits garantis par la Charte à l’accusé à l’examen complet exigé par le par. 24(2). À la décharge de la juge du procès, nous reconnaissons qu’elle n’a pas été saisie des violations additionnelles identifiées par la juge Khullar et notre Cour. Toutefois, la juge du procès a constaté qu’il y avait eu une violation du droit que l’art. 9 garantit à M. Zacharias, découlant d’une détention aux fins d’enquête illégale, et elle a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de cette violation dans le cadre de son analyse fondée sur le par. 24(2). Cette approche est incompatible avec les principes juridiques que notre Cour a énoncés dans l’arrêt Grant. Toute conduite de l’État qui mine la primauté du droit en violant la Charte doit faire l’objet d’un véritable examen judiciaire conformément aux trois volets de ce test. Nous sommes respectueusement d’avis que nos collègues reprennent cette erreur lorsqu’ils concluent que les violations consécutives sont peu susceptibles d’accroître la gravité globale de la conduite attentatoire de l’État, à moins qu’elles s’inscrivent dans une « série » d’inconduites se prolongeant au‑delà des circonstances de l’affaire (pattern of misconduct) ou qu’elles résultent d’un tort « indépendant ». Une violation ne doit pas moins favoriser l’exclusion de la preuve au regard de l’un ou l’autre des volets du cadre d’analyse de l’arrêt Grant en raison du simple fait qu’un tribunal a déclaré qu’elle était « consécutive » à une autre violation, commise plus tôt.
[109]                     Le fait qu’une violation consécutive ou en cascade puisse être considérée comme ayant été causée par une violation initiale ne peut écarter la nécessité qu’elle soit prise en compte dans l’analyse et que les tribunaux examinent à fond la question de savoir si elle est le fruit d’une conduite dont les tribunaux doivent se dissocier (Grant, par. 72). Même une violation consécutive qui ne révèle aucune inconduite indépendante constitue une violation des droits protégés par la Charte. À ce titre, elle participe à l’inconduite de l’État dont la gravité est évaluée conformément au cadre d’analyse fondé sur le par. 24(2) issu de l’arrêt Grant. Chaque violation consécutive a pour effet de miner la primauté du droit et contribue forcément, dans une mesure plus ou moins grande, au risque que l’administration de la justice soit déconsidérée par l’utilisation de la preuve au procès. Pour cette raison, toute conduite de l’État qui viole la Charte doit être soupesée avec soin dans le cadre de la mise en balance exigée par le par. 24(2). Nous sommes respectueusement d’avis que ne pas tenir compte du fait que les violations consécutives s’ajoutent à la mesure de la gravité globale, et possiblement ainsi accrue, de l’inconduite de l’État constitue une erreur de droit au sens du par. 24(2) de la Charte tel qu’il a été interprété par notre Cour dans l’arrêt Grant. Il n’existe aucun fondement permettant de faire abstraction de la gravité d’une telle violation, que ce soit au début ou à la fin de l’analyse, comme le soutiennent l’intimé et les procureurs généraux intervenants.
[110]                     Lorsque ce principe, que nous tenons comme étant bien établi en droit, est dûment reconnu, une juste application du cadre d’analyse fondé sur le par. 24(2), issu de l’arrêt Grant, commande l’exclusion de la preuve en l’espèce, compte tenu de la gravité de l’inconduite de l’État à laquelle un poids réduit aurait autrement été accordé. Il est certes vrai qu’il ne peut être permis à un facteur unique de supplanter la mise en balance flexible et contextuelle exigée par le par. 24(2). L’approche que le par. 24(2) ancre dans la Constitution « rejette la règle américaine qui écarte tout élément de preuve obtenu en violation du Bill of Rights et la règle de common law voulant que toute preuve pertinente soit admissible peu importe la façon dont elle a pu être obtenue » (R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265, p. 280, le juge Lamer (plus tard juge en chef); voir aussi R. c. Simmons, 1988 CanLII 12 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 495, p. 532, le juge en chef Dickson; Grant, par. 61‑65). L’approche que commande le par. 24(2) est différente : les tribunaux doivent tenir dûment compte des intérêts de la société qui, eu égard aux circonstances, peuvent favoriser soit l’utilisation, soit l’exclusion des éléments de preuve obtenus de façon inconstitutionnelle.
[111]                     En l’espèce, la conclusion selon laquelle les droits que la Charte garantit à M. Zacharias ont été violés ne peut, à elle seule, commander l’exclusion de la preuve — pas plus que l’existence d’éléments de preuve matériels, fiables et cruciaux ne peuvent en commander l’utilisation. Au contraire, comme le par. 24(2) de la Charte l’énonce lui‑même clairement, les « circonstances » sont pertinentes et elles doivent être prises en compte à chaque étape du test de l’arrêt Grant. Tenant compte de la gravité de l’ensemble de la conduite de l’État ayant violé les art. 8 et 9 de la Charte, de l’incidence de cette conduite sur l’accusé et de l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond, nous concluons que l’utilisation des éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Pour cette raison, ils doivent être écartés.
II.            Analyse
A.           Le droit relatif au par. 24(2)
[112]                     La Cour est appelée à examiner le cadre juridique qui régit l’analyse fondée sur le par. 24(2) de la Charte, lequel prévoit :
                        Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
[113]                     Cette disposition enjoint aux tribunaux de tenir compte des « circonstances » pour décider si l’utilisation des éléments de preuve obtenus dans des conditions qui violent la Charte serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Si tel est le cas, le par. 24(2) commande que les tribunaux écartent ces éléments de preuve. Au lieu de se demander si les éléments de preuve devraient être écartés, il s’agit plutôt de déterminer « si leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice » (R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692, par. 139). En tant que principe juridique bien établi, le cadre d’analyse en trois volets que la Cour a formulé dans l’arrêt Grant structure les réponses des tribunaux à cette question.
[114]                     En l’espèce, la Cour doit établir les principes juridiques qui régissent la façon dont les « circonstances » doivent être prises en compte dans l’analyse lorsque des violations « consécutives », « liées » ou « en cascade » de la Charte sont en cause, c’est‑à‑dire des violations de la Charte qui découlent d’une violation initiale, par l’État, des droits garantis par la Charte à l’accusé. Nous convenons avec nos collègues que la présence de violations additionnelles, consécutives aura « forcément » une plus grande incidence sur les intérêts de l’accusé qui sont protégés par la Charte et que ces violations « entre[nt] alors en jeu dans l’analyse du deuxième facteur énoncé dans l’arrêt Grant » (par. 56). Par conséquent, il faut accorder un poids à chacune de ces violations à la deuxième étape du cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Grant, laquelle évalue l’incidence de l’inconduite de l’État sur l’accusé.
[115]                     Toutefois, et cela dit en tout respect, nous rejetons l’opinion selon laquelle les violations consécutives de droits constitutionnels peuvent être caractérisées comme étant peu susceptibles d’avoir une incidence importante sur la gravité globale de l’inconduite de l’État simplement parce qu’on « s’attend » à ce qu’elles aient lieu (motifs des juges Rowe et O’Bonsawin, par. 59). Nous rejetons aussi l’idée qu’il découle du cadre d’analyse de l’arrêt Grant que la violation initiale est le « point de mire » de l’évaluation de la gravité (par. 68). Qui plus est, nous ne pouvons conclure qu’il « est peu probable qu’une conduite subséquente de l’État accroisse considérablement la gravité de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte » seulement parce qu’il y a un lien entre cette conduite et une inconduite antérieure de l’État et que la police croyait sincèrement qu’elle agissait légalement (par. 53). Au contraire, le par. 24(2) et l’analyse énoncée dans l’arrêt Grant commandent l’évaluation de la gravité cumulative, et possiblement accrue, de toutes les conduites liées à chacune des violations en cause, qu’elles soient consécutives ou qu’elles découlent en cascade d’une violation initiale ou non, et que les policiers aient eu ou non une telle croyance sincère. Deux principes régissant l’évaluation de la gravité de la conduite attentatoire de l’État sous‑tendent ce point de vue : (1) la gravité est axée sur la primauté du droit; et (2) la mesure de la gravité est cumulative, et elle doit forcément tenir compte de toutes les circonstances et de toutes les inconduites de l’État.
(1)         La gravité est axée sur la primauté du droit
[116]                     La première question à se poser conformément à l’analyse énoncée dans l’arrêt Grant vise « l’évaluation de la gravité de la conduite de l’État » qui est en cause, examinée « sous l’angle de la gravité de la conduite répréhensible des autorités étatiques qui, en vertu du principe de la primauté du droit, sont tenues de respecter les droits garantis par la Charte » (par. 73).
[117]                     Dans l’arrêt Grant, la Cour a reconnu que la gravité de la conduite de l’État est un élément à soupeser dans le cadre de l’analyse fondée sur le par. 24(2), puisque les tribunaux ne peuvent donner l’impression qu’ils « tolèrent [. . .] les entorses de l’État au principe de la primauté du droit en ne se dissociant pas du fruit de ces conduites illégales » (par. 72; voir aussi R. c. Tim, 2022 CSC 12, par. 82; R. c. Beaver, 2022 CSC 54, par. 120). Autrement dit, le premier volet du cadre d’analyse prescrit par l’arrêt Grant découle du souci « de préserver la confiance du public envers le principe de la primauté du droit et envers les processus qui le mettent en œuvre » (par. 73). Des commentateurs ont fait remarquer, à juste titre, que cette [traduction] « théorie de la tolérance » relative à la primauté du droit est le « concept clé » qui sous‑tend le droit en lien avec le par. 24(2) (D. M. Paciocco, P. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (8e éd. 2020), p. 469; voir aussi H. Parent, Traité de droit criminel, t. IV, Les garanties juridiques (2e éd. 2021), par. 584). Ce point est établi dans notre jurisprudence : la gravité est évaluée en fonction de « la mesure dans laquelle la conduite étatique en cause s’écarte du principe de la primauté du droit » (R. c. McColman, 2023 CSC 8, par. 57, citant Grant et R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494, par. 22).
[118]                     Tous les actes de l’État qui violent la Charte s’écartent forcément du principe de la primauté du droit. La Charte sert à « empêcher » et à « limiter » tous les actes de l’État qui sont incompatibles avec les droits qu’elle enchâsse (Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, p. 156, le juge Dickson (plus tard juge en chef)). En effet, les garanties juridiques assurées par les art. 7 à 14 de la Charte ont été décrites par la Cour comme des « éléments essentiels d’un système d’administration de la justice fondé sur la foi en la dignité et la valeur de la personne humaine et en la primauté du droit » (Renvoi relatif à la Motor Vehicle Act (C.‑B.), 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486, p. 512, le juge Lamer (plus tard juge en chef)). Par conséquent, les cas où les policiers dépassent ces limites et violent la Charte minent la primauté du droit et doivent être considérés comme renforçant le caractère grave de l’inconduite de l’État. Il existe, par conséquent, un risque que la confiance du public dans l’administration de la justice soit, elle aussi, minée de ce fait.
[119]                     Comme l’a affirmé la Cour à plusieurs reprises, « il importe, dans une société qui repose sur la primauté du droit, que les actes des policiers trouvent en tout temps un fondement juridique » (Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2019 CSC 59, [2019] 4 R.C.S. 335, par. 38, citant Dedman c. La Reine, 1985 CanLII 41 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 2, p. 28‑29; R. c. Sharma, 1993 CanLII 165 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 650, p. 672‑673). Ce point mérite d’être répété : il n’y a aucun cas où une violation des droits garantis par la Charte ne mine pas la primauté du droit.
[120]                     Les circonstances de la présente affaire illustrent bien ce point. Même si la conduite liée à la fouille abusive initiale n’était peut‑être pas grave en soi, la gravité de l’inconduite subséquente de l’État — peu importe la mesure dans laquelle elle était « consécutive » — était à la fois pertinente et importante. La police a agi sans autorisation légale lorsqu’elle a soumis l’accusé à d’autres fouilles et l’a détenu pendant plusieurs heures, au cours desquelles il a été menotté par moments; le fait que ces violations des art. 8 et 9 de la Charte étaient consécutives ou qu’elles découlaient en cascade de la violation initiale ne peut vouloir dire qu’elles devraient se voir accorder un poids moindre au stade du premier volet du cadre d’analyse de l’arrêt Grant. Une violation c’est une violation. La conduite consécutive était une conduite de l’État violant le droit constitutionnel à la protection contre la détention arbitraire. Cette conduite a miné la primauté du droit.
[121]                     Bien entendu, ce n’est pas toute conduite qui viole la Charte qui s’écarte de la primauté du droit dans la même mesure. Comme la Cour l’a reconnu dans l’arrêt Grant, les violations peuvent miner la confiance du public envers la primauté du droit dans une plus ou moins grande mesure, selon la gravité de la conduite fautive en cause (par. 73‑74). Les violations se situent ainsi sur un continuum ou une échelle variable. Nous n’examinerons pas exhaustivement tous les facteurs qui pourraient valablement guider l’évaluation de la gravité d’une telle conduite. Nous nous concentrerons plutôt sur certains facteurs qui doivent faire l’objet d’une discussion dans les circonstances de la présente affaire.
[122]                     Un facteur pertinent est la mesure dans laquelle la conduite reflète un mépris intentionnel des normes prescrites par la Charte. C’est la raison pour laquelle la Cour a reconnu l’existence d’une échelle allant des violations « commises par inadvertance » à celles qui sont commises « au mépris délibéré des droits garantis par la Charte ou en ne s’en souciant pas » (Grant, par. 74). Cette échelle est importante car elle aide à déterminer la mesure dans laquelle la primauté du droit est minée. Par exemple, la primauté du droit est forcément minée, et la gravité de l’inconduite de l’État est affectée, lorsque des agents de l’État méprisent délibérément les contraintes constitutionnelles fondamentales qui s’imposent à leurs actions. En revanche, la Cour a toujours reconnu que la conduite de l’État qui se situe à l’extrémité inférieure de cette échelle penchera généralement moins lourdement en faveur de la conclusion selon laquelle l’utilisation de la preuve minerait la primauté du droit (voir p. ex., Grant, par. 74; R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202, par. 43; Le, par. 143). Cela dit, même les violations commises par inadvertance peuvent militer en faveur de l’exclusion de la preuve (voir, p. ex., Tim, par. 84‑89). Comme il été reconnu par les cours d’appel, une violation commise de façon délibérée n’est pas la seule forme de violation grave (voir, p. ex., Hamel c. R., 2021 QCCA 801, 72 C.R. (7th) 132, par. 131, le juge Cournoyer). Il en est ainsi car une violation fondée sur une erreur honnête et non intentionnelle constitue tout de même un acte commis par l’État sans autorisation légale.
[123]                     La mesure dans laquelle les représentants de l’État violent délibérément les normes prescrites par la Charte n’est pas le seul facteur qui entre en jeu pour évaluer à quel point la primauté du droit a été minée. Par exemple, comme le reconnaissent à juste titre nos collègues, la Cour a statué, dans l’arrêt Grant, que « la preuve que des actes portant atteinte à la Charte s’inscrivent dans un contexte d’abus » milite davantage en faveur de l’exclusion de la preuve au stade du premier volet du cadre d’analyse (par. 75). Ce facteur illustre le fait que « pour chaque violation de la Charte qui aboutit devant les tribunaux, il en existe un grand nombre qui ne sont ni révélées ni corrigées parce qu’elles n’ont pas permis de recueillir d’éléments de preuve pouvant mener à des accusations » (ibid.). La reconnaissance du fait qu’une série d’inconduites se prolongeant au‑delà des circonstances de l’affaire peut accentuer la gravité de la conduite de l’État est significative. Cela sous‑entend que les policiers peuvent croire qu’ils procèdent légalement, mais qu’il peut tout de même y avoir un écart marqué par rapport aux exigences de la primauté du droit. Par conséquent, il est erroné de procéder comme si l’analyse de la gravité tenait seulement compte de l’état d’esprit des policiers. Il en est ainsi car l’analyse de la gravité, à l’instar de l’analyse fondée sur le par. 24(2) dans son ensemble, a un objet « sociétal » plutôt que d’être axée sur la détermination de la culpabilité des policiers donnés dont les gestes ont entraîné une violation de la Charte (par. 70).
[124]                     L’objet sociétal du par. 24(2) sous‑entend également que l’évaluation de la gravité de l’inconduite de l’État qui mine la primauté du droit doit tenir compte des valeurs sous‑jacentes aux droits garantis par la Charte qui ont été violés. Comme l’a affirmé le juge en chef Dickson dans un autre contexte, « [l]es valeurs et les principes sous‑jacents d’une société libre et démocratique sont à l’origine des droits et libertés garantis par la Charte » (R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103, p. 136). Ces valeurs et principes sont donc à la base de l’examen de la mesure dans laquelle la conduite attentatoire de l’État mine la primauté du droit. Ils guident l’examen, essentiel, de la nature et du caractère de la conduite policière qui est en cause, considérés d’un point de vue sociétal. Bien que les droits protégés par la Charte ne doivent jamais être banalisés, certaines violations peuvent être plus « mineures » que d’autres lorsque ces valeurs sous‑jacentes sont prises en compte (Grant, par. 74). En revanche, d’autres violations peuvent constituer des « dérogations importantes aux normes prescrites par la Charte » compte tenu des valeurs que les droits en jeu visent à protéger (Tim, par. 82). Par conséquent, dans l’arrêt Grant, la question de savoir si une violation était « mineure » renvoyait à une violation se situant au bas de l’échelle variable ou du continuum qui sert à évaluer la nature et le caractère de la conduite policière à la lumière des valeurs protégées par la Charte.
[125]                     Toute la gamme des valeurs pertinentes consacrées par la Charte doit être prise en compte. Comme l’a affirmé la Cour, les valeurs que reflète la Charte « ne sont pas séparé[es] et distinct[es] les un[es] des autres » (R. c. Lyons, 1987 CanLII 25 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 309, p. 326, le juge La Forest). Par conséquent, lorsque de multiples droits sont violés, le tribunal doit examiner la façon dont la conduite de l’État en cause fait intervenir chaque valeur sous‑jacente, et la façon dont ces valeurs interagissent dans les circonstances de l’affaire. Par exemple, il y a tout lieu de croire qu’une inconduite de l’État qui mine tant les intérêts en matière de vie privée protégés par l’art. 8 que les intérêts en matière de liberté protégés par l’art. 9 sera plus grave qu’une inconduite qui met seulement en cause une de ces valeurs sous‑jacentes, car les intérêts de la société en matière de vie privée et de liberté sont interreliés et se renforcent mutuellement. Ce sont toutefois des violations distinctes, que l’une soit consécutive à l’autre ou non.
[126]                     Lorsque la Cour a discuté de ces facteurs et d’autres facteurs qui sous‑tendent l’analyse de la gravité, elle s’est abstenue, à bon droit, d’affirmer que certaines violations sont tellement ordinaires, normales ou habituelles qu’elles n’auront aucune incidence importante sur la gravité de la conduite de l’État. Nous sommes d’avis de refuser d’accéder à la demande de l’intimé et des Couronnes intervenantes de le faire en l’espèce. Comme l’a conclu la Cour à l’unanimité dans l’arrêt R. c. Reilly, 2021 CSC 38, toutes les conduites attentatoires de l’État doivent être prises en compte dans l’analyse. Dans cet arrêt, le juge Moldaver a écrit : « Indépendamment de la question de savoir si la [. . .] violation [subséquente] a ou non été causée par [des violations précédentes], et du fait qu’elle a été considérée nécessaire [. . .], il s’agissait néanmoins d’une violation des droits garantis à M. Reilly par l’art. 8 de la Charte et elle doit être examinée dans le cadre du premier facteur énoncé dans Grant. Les juges qui président des procès ne peuvent choisir quelles sont les conduites attentatoires de l’État pertinentes à prendre en considération » (par. 3).
[127]                     La gravité de la conduite liée à toutes les violations doit donc être prise en compte même si l’on peut affirmer que certaines d’entre elles ont pu être « causées » par des violations antérieures de la Charte. Le fait que la Couronne a concédé l’existence de violations subséquentes dans cette affaire n’a aucune pertinence pour ce qui est du principe énoncé dans l’arrêt Reilly.
[128]                     La Cour a récemment évalué la gravité de la conduite de l’État liée aux violations « consécutives » de l’art. 8 de la Charte dans l’arrêt Tim. Ces fouilles abusives constituaient des violations consécutives en ce qu’elles étaient seulement illégales en raison de la violation initiale (dans ce cas, une arrestation illégale) qui les a précédées (voir les par. 48‑50). Les violations de l’art. 8 ont été « causées » par la violation de l’art. 9. Néanmoins, à la première étape du cadre d’analyse de l’arrêt Grant, le juge Jamal a expressément pris en compte la mesure dans laquelle ces violations de l’art. 8 ont miné le principe de la primauté du droit (voir les par. 82‑89; voir aussi le par. 102, le juge Brown, dissident, mais pas sur ce point).
[129]                     L’approche suivie dans les arrêts Reilly et Tim s’accorde avec l’arrêt Grant et devrait être appliquée en l’espèce en tant que principe juridique établi. À notre humble avis, le fait de traiter les violations consécutives comme n’ayant aucune incidence sur l’analyse de la gravité constitue une rupture avec les arrêts Grant, Reilly et Tim et, en ce qui a trait au mandat qui incombe à la Cour au titre du par. 24(2), constitue une erreur de droit. Par conséquent, le procureur général de l’Ontario a tort d’avancer que la jurisprudence postérieure à l’arrêt Grant reflète une tendance selon laquelle la Cour n’a [traduction] « pas une seule fois examiné la séquence d’événements qui a découlé d’une seule violation initiale » (m. interv., par. 20). Avant l’affaire dont nous sommes saisis, la Cour n’a pas été directement appelée à décider de la pertinence de violations consécutives aux fins de l’analyse fondée sur le par. 24(2). Toutefois, comme l’indique clairement la jurisprudence récente de la Cour, une conduite subséquente et consécutive à une violation initiale s’inscrit dans les « circonstances » dont les tribunaux doivent tenir compte conformément au par. 24(2).
[130]                     Certes, il est vrai que la relation entre chaque étape des événements peut renseigner l’évaluation de la mesure dans laquelle la conduite de l’État a miné la primauté du droit. Par exemple, lorsqu’une fouille inconstitutionnelle permet de découvrir des éléments de preuve incriminants, il se peut que les policiers croient subjectivement qu’ils sont légalement autorisés à détenir, fouiller ou arrêter un suspect. Toutefois, une telle croyance subjective serait erronée : lorsque des éléments de preuve obtenus de façon inconstitutionnelle sont à l’origine d’une détention, d’une fouille ou d’une arrestation subséquente, ces actes subséquents violeront aussi généralement la Charte. Il est peut‑être vrai que, si ces actes subséquents ne révèlent aucune inconduite qui est indépendante de la violation initiale, ils ne reflètent pas une violation délibérée des droits constitutionnels. Toutefois, comme le démontre la jurisprudence actuelle de la Cour concernant le par. 24(2), le fait pour le tribunal de conclure qu’une violation n’a pas été commise de façon délibérée ne le libère pas de son obligation d’évaluer la gravité de chaque violation dans le cadre de l’examen de la gravité de l’inconduite de l’État en cause (voir, p. ex., Tim). Le tribunal ne peut non plus les écarter ou leur accorder un poids moindre, que ce soit d’emblée ou catégoriquement. Une conduite qui ne constitue pas une violation délibérée de la Charte peut néanmoins militer dans une certaine mesure en faveur de l’exclusion de la preuve. La société a un intérêt à ce que la gravité des « circonstances » soit prise en compte, comme le prescrit la Charte. En effet, même les violations qui, examinées isolément, semblent « mineures » ou « techniques » peuvent néanmoins contribuer de façon significative à la gravité de l’inconduite dont le juge doit tenir compte lorsqu’il décide s’il y a lieu d’utiliser ou d’exclure les éléments de preuve en application du par. 24(2).
[131]                     Nous sommes donc respectueusement d’avis que ce serait une erreur de droit pour un tribunal de refuser d’analyser, à la première étape du cadre d’analyse fondé sur le par. 24(2), la mesure dans laquelle chaque violation consécutive en cause reflète une grave conduite attentatoire de l’État, au regard de la mesure dans laquelle la conduite mine la primauté du droit. Soutenir le contraire banaliserait l’importance des droits constitutionnels fondamentaux et minerait la primauté du droit que la Charte protège. Une telle conclusion aurait pour effet d’accepter par inadvertance ce que nous considérons, avec égards pour l’avis contraire, comme la prémisse erronée des arrêts R. c. Jennings, 2018 ONCA 260, 45 C.R. (7th) 224, et R. c. Love, 2022 ABCA 269, [2023] 1 W.W.R. 296, en traitant les violations « consécutives » comme étant sans conséquence à l’étape de l’analyse où la gravité est évaluée. En outre, cela empêcherait le par. 24(2) d’atteindre son objectif, soit « le maintien des droits garantis par la Charte et du principe de la primauté du droit dans l’ensemble du système de justice » (Grant, par. 67).
(2)         La gravité est cumulative
[132]                     Comme plusieurs cours d’appel l’ont reconnu à juste titre, c’est la gravité cumulative de la conduite attentatoire de l’État qui est prise en compte dans l’analyse énoncée dans l’arrêt Grant (voir, p. ex., R. c. Lauriente, 2010 BCCA 72, 251 C.C.C. (3d) 492, par. 30; R. c. Boudreau‑Fontaine, 2010 QCCA 1108, par. 59 (CanLII); R. c. Poirier, 2016 ONCA 582, 131 O.R. (3d) 433, par. 91; R. c. Kossick, 2018 SKCA 55, 365 C.C.C. (3d) 186, par. 58‑59; R. c. Culotta, 2018 ONCA 665, 142 O.R. (3d) 241, par. 62, conf. par 2018 CSC 57, [2018] 3 R.C.S. 597; R. c. Adler, 2020 ONCA 246, 388 C.C.C. (3d) 114, par. 39; R. c. White, 2022 NSCA 61, 419 C.C.C. (3d) 123, par. 61). Cette approche évalue toute la séquence d’événements se rapportant aux violations de la Charte et tient compte de la mesure dans laquelle la conduite de l’État — considérée globalement — a miné la primauté du droit.
[133]                     À notre avis, l’accent que l’analyse énoncée dans l’arrêt Grant met sur l’ensemble des circonstances exige une approche cumulative (voir J. A. Fontana et D. Keeshan, The Law of Search and Seizure in Canada (12e éd. 2021), p. 1711‑1712). Il convient de noter que, même avant que l’arrêt Grant soit rendu, une approche cumulative était employée dans la jurisprudence de la Cour (voir R. c. Greffe, 1990 CanLII 143 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 755, p. 795‑797, le juge Lamer (plus tard juge en chef)). La Cour n’a jamais laissé entendre qu’un lien entre deux violations, comme dans le cas de violations « consécutives », élimine la nécessité d’évaluer la gravité cumulative de la conduite de l’État. Si tel était le cas, cela reviendrait à faire abstraction des « circonstances » que le par. 24(2) oblige les tribunaux à prendre en compte, en faveur d’une analyse plus étroite ne visant qu’un des actes de l’État commis sans autorisation légale. Encore une fois, cela mènerait, par un autre moyen, au résultat erroné auquel arrivent les arrêts Jennings et Love. Une telle approche axerait à tort l’analyse des tribunaux sur la question de savoir si la conduite de l’État est « consécutive » (en soi, une question de fait) plutôt que sur celle de savoir si la considération à long terme portée à l’administration de la justice oblige les tribunaux, comme l’exige la Charte, à se dissocier des actes inconstitutionnels de l’État.
[134]                     À notre sens, ce principe, en combinaison avec l’accent que l’analyse de la gravité met sur la primauté du droit, suggère que le procureur général de l’Ontario, un intervenant, a tort d’affirmer que les violations consécutives ou subséquentes n’ont de [traduction] « valeur pour l’analyse énoncée dans l’arrêt Grant » que si elles révèlent des « actes répréhensibles indépendants » (m. interv., note 1). L’intimé et le procureur général de l’Alberta ont également tort d’adopter des approches semblables. Une conduite qui ne viole pas délibérément la Charte peut néanmoins miner la confiance du public dans l’administration de la justice et militer en faveur de l’exclusion de la preuve. Même si une violation qui n’est pas commise de façon délibérée ne militera parfois que faiblement en faveur de l’exclusion de la preuve, les tribunaux ne peuvent écarter la possibilité qu’une série de telles violations, considérées cumulativement, puisse établir l’existence d’une inconduite plus grave de l’État. Par conséquent, il est possible que, considérées dans leur totalité, les conduites de l’État minent plus gravement la primauté du droit que ne le ferait chacune d’entre elles prise isolément. L’analyse de la gravité de la conduite de l’État, tout comme le cadre d’analyse de l’arrêt Grant dans son ensemble, n’est pas un exercice mathématique (par. 86). Pour cette raison, il n’est pas requis que la gravité de l’ensemble corresponde à la somme des parties constitutives.
B.      Application du par. 24(2)
[135]                     Comme nous sommes arrivés à une conclusion différente de celle tirée par la juge du procès pour ce qui est des violations de la Charte qui sont pertinentes, nous ne sommes pas tenus de faire preuve de déférence envers sa conclusion générale concernant le par. 24(2) (voir, p. ex., R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657, par. 67; Grant, par. 129; Le, par. 138; Beaver, par. 118). Ayant effectué une nouvelle analyse et examiné toutes les circonstances de la présente affaire, et avec égards pour les autres opinions, nous concluons que l’utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. En conséquence, le par. 24(2) commande l’exclusion de la preuve. Ce résultat découle de la mise en balance des trois facteurs qu’a décrits la Cour dans l’arrêt Grant : (1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État; (2) l’incidence des violations sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte; et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond.
(1)         La gravité de la conduite attentatoire de l’État
[136]                     Nous commençons par évaluer la gravité de la conduite de l’État en cause à la lumière du degré dans lequel cette conduite a miné la primauté du droit, conformément aux principes énoncés précédemment. La mesure dans laquelle les policiers ont délibérément violé les normes prescrites par la Charte est un facteur pertinent. En l’espèce, la juge du procès a conclu que, lorsqu’il a effectué la fouille initiale à l’aide d’un chien renifleur, le policier [traduction] « a agi honnêtement », « était bien formé », « connaissait la norme applicable » et a cherché à l’appliquer (d.a., vol. I, p. 20). Elle a conclu que la violation occasionnée par cette conduite n’était ni délibérée ni systémique et ne témoignait pas de la négligence du policier. Par conséquent, elle a conclu que l’erreur initiale se situait [traduction] « au bas de l’échelle » (p. 21).
[137]                     Nous ne voyons aucune erreur donnant lieu à révision dans la conclusion de la juge du procès selon laquelle le policier a initialement violé les exigences de la Charte par inadvertance et sans négligence, ni dans sa conclusion portant qu’aucun défaut systémique ne ressortait du dossier. Il importe de souligner, toutefois, que la norme des soupçons raisonnables qui devait être appliquée constitue une « norme constitutionnelle bien établie » (Paterson, par. 53). Il ne s’agissait pas d’un cas où il existait une incertitude juridique au moment où le policier a agi (voir, p. ex., McColman). Le public a le droit de s’attendre à ce que les policiers appliquent la norme des soupçons raisonnables qui découle de la jurisprudence de la Cour. L’ancienneté du policier en question ne fait que renforcer cette attente : un policier ayant exercé ses fonctions pendant 14 ans et ayant effectué entre 12 000 et 15 000 interceptions routières devrait connaître la loi. Par conséquent, même si l’erreur initiale se situait au bas de l’échelle du caractère délibéré, nous estimons qu’elle ne se situait pas à l’extrémité la plus basse de celle‑ci. Par ailleurs, puisque les autres violations subséquentes n’ont pas été soulevées devant la juge du procès, elle n’a pas évalué leur gravité. Dans le cadre de la nouvelle analyse que la Cour est appelée à effectuer, les violations subséquentes doivent être prises en compte dans l’analyse, qui est forcément cumulative.
[138]                     Les violations subséquentes en cause dans la présente affaire comprennent la fouille par palpation et la fouille de la camionnette et des sacs de sport qui s’y trouvaient. Ces fouilles ont violé l’art. 8 de la Charte, qui vise à assurer une protection contre les atteintes injustifiées aux intérêts en matière de vie privée (voir, p. ex., Hunter, p. 159). Or, en dépit de la protection constitutionnelle dont ces intérêts bénéficient, des mesures de plus en plus attentatoires ont été prises à chaque étape de l’intervention policière en cause. Conformément à la vaste perspective sociale que préconise l’arrêt Grant, ces mesures de plus en plus attentatoires représentent des façons progressivement plus graves par lesquelles la conduite de l’État a miné la primauté du droit.
[139]                     Les fouilles abusives ne constituaient pas, toutefois, l’intégralité de la conduite illégale ayant eu lieu en l’espèce. La détention initiale effectuée en l’absence de motifs raisonnables et les trois arrestations subséquentes ont chacune violé les protections de la liberté individuelle prévues à l’art. 9, qui sont constitutionnellement distinctes (Grant, par. 54). Qui plus est, la détention de l’accusé dans la voiture de police, son menottage et le fait qu’il ait été conduit au poste de police pour y être détenu constituaient tous des détentions arbitraires.
[140]                     Rien ne permet de penser que ces violations subséquentes ont été commises de façon délibérée ou systémique. Elles découlent des actes commis sur la base de la croyance sincère, mais erronée que la fouille initiale avait fourni les motifs requis par la loi pour permettre à la police de procéder à la fouille, à l’arrestation et à la détention de l’accusé. Cependant, il importe de souligner que, d’un point de vue objectif, la police n’était pas légalement autorisée à compromettre la vie privée et la liberté de l’accusé. Le respect de ces intérêts est au cœur de l’engagement de la société canadienne à l’égard de la primauté du droit. Ainsi, même s’il n’y avait aucune intention de miner la primauté du droit, elle l’a tout de même été.
[141]                     L’intimé a tort de soutenir qu’il n’y a aucun besoin que la Cour se dissocie de la conduite de l’État qui est en cause en l’espèce. Loin de constituer des événements ordinaires, une série de fouilles, d’arrestations et de détentions de plus en plus attentatoires ont été effectuées par les policiers sans qu’ils soient légalement autorisés à le faire. La société a un grand intérêt à ce que soient dénoncées les conduites attentatoires à la vie privée et à la liberté individuelle, qui minent ainsi la primauté du droit. Par conséquent, même si les violations subséquentes des droits garantis par la Charte n’ont pas été commises délibérément, nous sommes d’avis que l’ensemble de la conduite reflète une grave inconduite de la part de l’État. Sur l’échelle de gravité établie par la Cour dans l’arrêt Grant, la conduite en cause dans la présente affaire favorise l’exclusion à un degré qui se situe entre modérément et fortement, et qui se rapproche davantage de fortement que de modérément.
(2)         L’incidence sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte
[142]                     La deuxième question à se poser conformément à l’analyse énoncée dans l’arrêt Grant consiste à examiner « l’importance de l’effet » des violations de la Charte sur les intérêts protégés de l’accusé (par. 76). Comme l’a affirmé la Cour, « [p]lus [l’effet] est marqué, plus l’utilisation des éléments de preuve risque de donner à penser que les droits garantis par la Charte, pour encensés qu’ils soient, ne revêtent pas d’utilité réelle pour les citoyens, ce qui engendrerait le cynisme et déconsidérerait l’administration de la justice » (ibid.; voir aussi Le, par. 151; Tim, par. 90; R. c. Lafrance, 2022 CSC 32, par. 96; Beaver, par. 123). Par conséquent, il s’agit de « situer sur une échelle l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte, échelle qui va des incidences qui sont éphémères, techniques, transitoires ou insignifiantes, aux incidences qui sont profondément envahissantes et qui mettent gravement en péril les intérêts sous‑jacents aux droits violés » (Tim, par. 90).
[143]                     Bien que la première et la deuxième questions prescrites par l’arrêt Grant soient distinctes, l’importance de l’effet « complète en quelque sorte [l’évaluation] de la gravité de la conduite attentatoire de l’État » (M. Vauclair, T. Desjardins et P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2023 (30e éd. 2023), par. 28.208). Il en est ainsi parce que la deuxième question à examiner « vise à prendre en compte l’effet de la violation de la Charte, par opposition à sa gravité intrinsèque » (ibid.). En ce sens, il est de jurisprudence constante que les deux questions à examiner « agissent [. . .] en tandem » (Le, par. 141; voir aussi Lafrance, par. 90; Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 486). Ces deux questions ne peuvent être dissociées artificiellement en soupesant différentes conduites de l’État à différentes étapes de l’analyse. Soit dit en tout respect, affirmer le contraire aurait pour effet de créer une disjonction incohérente entre les deux premiers volets de l’analyse énoncée dans l’arrêt Grant. Suivant la première question à examiner, la gravité cumulative de la conduite de l’État qui a mené à chacune de ces violations devrait être examinée dans une perspective sociétale large; suivant la seconde question, c’est la gravité cumulative des effets sur les intérêts protégés de l’accusé en cause qui découlent de cette même conduite qui devrait être évaluée.
[144]                     Respectueusement dit, en suivant cette approche et en soupesant les effets découlant de la même conduite que celle que nous avons examinée dans le cadre du premier volet de l’analyse, nous ne pouvons souscrire à la conclusion de nos collègues suivant laquelle les effets des violations de la Charte sur les intérêts protégés de M. Zacharias ne militent que modérément en faveur de l’exclusion de la preuve (motifs des juges Rowe et O’Bonsawin, par. 72). Étant donné que les effets sur M. Zacharias étaient importants — s’aggravant à chaque étape de l’atteinte par l’État à ses droits — nous concluons plutôt que ce facteur milite fortement en faveur de l’exclusion.
[145]                     En premier lieu, nous examinons les effets des fouilles. Lorsque des éléments non corporels de preuve matérielle sont ciblés, le respect de la vie privée est le principal intérêt mis en jeu par des fouilles effectuées en contravention à l’art. 8 (Grant, par. 113). En l’espèce, les effets cumulatifs des violations de l’art. 8 sur les intérêts de M. Zacharias en matière de respect de la vie privée étaient importants et sont devenus de plus en plus envahissants à chaque étape.
[146]                     Bien que nous reconnaissions que l’attente en matière de vie privée est plus grande à l’égard d’un lieu d’habitation qu’à l’égard d’un véhicule (Grant, par. 113), les intérêts en matière de respect de la vie privée à l’égard des véhicules et de leur contenu ne sont pas négligeables. L’effet compromettant la vie privée d’une fouille abusive d’un véhicule militera tout de même généralement en faveur de l’exclusion, malgré l’attente comparativement réduite en matière de respect de la vie privée dans ce contexte (voir, p. ex., R. c. Huynh, 2013 ABCA 416, 8 C.R. (7th) 146, par. 7). En effet, au moment d’évaluer l’incidence que des violations de la Charte commises lors d’interceptions routières ont sur les intérêts protégés d’un individu, les tribunaux ne doivent pas perdre de vue le fait qu’au‑delà de la portée d’une interception routière valide, toute personne est, à juste titre, « en droit de s’attendre à ne pas être importunée » (Harrison, par. 30‑31, citant R. c. Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59, par. 56). Cette observation doit demeurer le point de départ de l’analyse.
[147]                     L’ouverture par les policiers des sacs de sport de M. Zacharias, qui se trouvaient sous le couvre‑caisse de la camionnette, a eu une incidence plus importante. Cette conduite constituait une atteinte importante aux intérêts de ce dernier en matière de vie privée. Le fait que M. Zacharias ait recouvert la caisse de sa camionnette d’un couvre‑caisse indique son intention évidente de se prévaloir de son droit au respect de sa vie privée à l’égard du contenu de celle‑ci. Son intention à cet égard fait en sorte que la fouille de sa camionnette ne peut être assimilée aux cas de fouilles de véhicules comportant une « attente réduite » où aucune mesure n’a été prise afin de dissimuler l’objet de la fouille (voir, p. ex., R. c. Shinkewski, 2012 SKCA 63, 289 C.C.C. (3d) 145, par. 35).
[148]                     En deuxième lieu, nous nous penchons maintenant sur les effets découlant des arrestations et de la détention auxquelles M. Zacharias a été soumis. L’article 9 vise « à protéger la liberté individuelle contre l’ingérence injustifiée de l’État » (Grant, par. 20). En l’espèce, les restrictions qui ont été imposées à la liberté de M. Zacharias en raison de la violation de ses droits garantis par l’art. 9 étaient importantes.
[149]                     Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu que la détention aux fins d’enquête qui a suivi l’interception routière initiale et valide était [traduction] « nécessaire afin de faciliter le recours au chien renifleur relativement à un véhicule pour lequel l’attente de M. Zacharias en matière de respect de la vie privée est peu élevée » (par. 7). En tout respect, nous ne pouvons souscrire à ce point de vue. Cette évaluation justifie les effets d’une violation de l’art. 9 — une détention illégale aux fins d’enquête — en considérant qu’elle était « nécessaire » afin qu’une violation de l’art. 8 soit commise. Un tel raisonnement banalise les effets de ces violations de la Charte. En l’absence de soupçons raisonnables justifiant le maintien en détention aux fins d’enquête, M. Zacharias aurait dû être libre de partir une fois que les questions relatives à la Traffic Safety Act, R.S.A. 2000, c. T‑6, eurent été réglées. Au lieu, il a été détenu illégalement pendant une durée totale d’environ sept heures, menotté par moments, enfermé dans une voiture de police, arrêté trois fois et détenu pendant plusieurs heures au poste de police. Nous n’accordons que peu de poids à la conclusion de la juge du procès selon laquelle les policiers qui ont procédé à l’arrestation étaient respectueux et courtois au cours de ces interactions. Le fait qu’un policier soit courtois comme il se doit lorsqu’il interagit avec un citoyen n’a aucune pertinence quant au caractère légal de sa conduite.
[150]                     Ces atteintes soutenues ont eu des effets importants sur la liberté, l’autonomie et l’intégrité physique de M. Zacharias. Elles n’étaient pas momentanées, mais prolongées. La juge d’appel Khullar a dûment tenu compte de ces effets (par. 58). En revanche, puisque les juges majoritaires de la Cour d’appel n’ont pas tenu compte des violations subséquentes, ils ont, à tort, accordé un poids moindre à l’impact de celles‑ci. De surcroît, bien que nos collègues reconnaissent les autres violations des droits constitutionnels de M. Zacharias, nous ne pouvons souscrire, cela dit avec égards, à leur opinion selon laquelle la combinaison d’une détention arbitraire d’une durée de sept heures, de contraintes physiques, de fouilles relativement envahissantes et d’autres conséquences connexes ne favorise que modérément l’exclusion (motifs des juges Rowe et O’Bonsawin, par. 72).
[151]                     Bref, les effets de la conduite de l’État sur les intérêts de M. Zacharias en matière de liberté et de vie privée, examinés ensemble et considérés de façon cumulative comme l’exige le droit applicable, étaient considérables. Par conséquent, ce facteur milite fortement en faveur de l’exclusion des éléments de preuve.
(3)         L’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond
[152]                     La troisième question à se poser conformément à l’analyse énoncée dans l’arrêt Grant consiste à déterminer « si la fonction de recherche de la vérité que remplit le procès criminel est mieux servie par l’utilisation ou par l’exclusion d’éléments de preuve » (par. 79). Essentiellement, cette question vise à évaluer l’« intérêt [de la société] à s’assurer que ceux qui transgressent la loi soient traduits en justice et traités selon la loi » (ibid., citant R. c. Askov, 1990 CanLII 45 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1199, p. 1219). Plusieurs facteurs peuvent entrer en jeu.
[153]                     Premièrement, la fiabilité des éléments de preuve entre en ligne de compte dans le troisième volet de l’analyse (Grant, par. 80; voir aussi Paterson, par. 51; Le, par. 297; Tim, par. 96; Beaver, par. 129; McColman, par. 70). Cela dit, la Cour a clairement affirmé que « [l]’opinion voulant que des éléments de preuve fiables soient admissibles peu importe la façon dont ils ont été obtenus (voir R. c. Wray, 1970 CanLII 2 (CSC), [1971] R.C.S. 272) est incompatible avec la déclaration de droits énoncée dans la Charte » (Grant, par. 80). Par exemple, même si des éléments de preuve matérielle peuvent être très fiables, ce fait à lui seul ne permet pas de déterminer si l’utilisation de tels éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Adopter une approche contraire qui donne une importance prépondérante à la fiabilité des éléments de preuve matérielle « est contraire à l’examen de l’ensemble des circonstances que requiert le paragraphe 24(2) de la Charte » (Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 28.217).
[154]                     Deuxièmement, l’importance des éléments de preuve au regard de la théorie de la cause de la Couronne est un facteur pertinent (Grant, par. 83; voir aussi Paterson, par. 51; Le, par. 297; Tim, par. 96; Beaver, par. 129; McColman, par. 70). La Cour a reconnu que l’exclusion peut être plus dommageable pour « la considération dont jouit l’administration de la justice si, en réalité, cette mesure est fatale pour la poursuite » (Grant, par. 83). Néanmoins, la Cour s’est montrée prête, avec raison, à exclure même un « élément de preuve essentiel, permettant pratiquement de conclure à la culpabilité de l’appelant à l’égard de l’infraction reprochée » lorsque l’utilisation de cet élément de preuve est susceptible — eu égard aux circonstances — de déconsidérer l’administration de la justice (Harrison, par. 34; voir aussi le par. 42).
[155]                     Troisièmement, les tribunaux doivent aussi tenir compte de la gravité de l’infraction reprochée (Grant, par. 84; voir aussi Paterson, par. 52; Le, par. 297; Tim, par. 97; Beaver, par. 129; McColman, par. 70). Ce facteur peut cependant « jouer dans les deux sens » (Grant, par. 84). Comme l’a affirmé la Cour, « [l]a société a certes grandement intérêt à ce qu’une affaire de crime grave soit jugée au fond, mais elle a un intérêt tout aussi important à ce que le système de justice demeure à l’abri de tout reproche, particulièrement lorsque l’accusé encourt de lourdes conséquences pénales » (R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215, par. 53; voir aussi R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212, par. 80; R. c. Taylor, 2014 CSC 50, [2014] 2 R.C.S. 495, par. 38; Le, par. 159; McColman, par. 70). Le fait qu’une infraction soit grave « ne doi[t] pas pouvoir supplanter l’analyse fondée sur le par. 24(2) » (R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34, par. 95; voir aussi Harrison, par. 40). Il en est ainsi car, au minimum, « les droits garantis par la Charte le sont également à toutes les personnes se trouvant en territoire canadien, indépendamment du crime » (Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 28.216). Il existe un risque [traduction] « que si la gravité de l’infraction est traitée comme étant [. . .] déterminante, elle deviendra un critère clair permettant l’utilisation des éléments de preuve obtenus en violation de la Charte » (D. Stuart, « Uncertainty on Charter Section 24(2) Remedy of Exclusion of Evidence » (2023), 86 C.R. (7th) 255, p. 257). Une telle approche serait contraire au par. 24(2) et à l’obligation qui en découle de procéder à une mise en balance rigoureuse eu égard aux circonstances.
[156]                     En l’espèce, les éléments de preuve sont très fiables. Ils sont sans aucun doute essentiels pour étayer la thèse de la Couronne. Or, le fait que ces éléments sont [traduction] « matériels, fiables et cruciaux » (m.i., par. 3), comme les qualifie l’intimé, ne supplante pas le processus flexible de mise en balance requis par le par. 24(2). La jurisprudence de la Cour n’a cessé de souligner l’importance de ce principe. Par exemple, les juges majoritaires de la Cour dans l’arrêt Harrison ont écarté 35 kilogrammes de cocaïne qui avaient été saisis dans le véhicule de l’accusé, malgré le fait qu’il s’agissait, là aussi, indéniablement d’éléments de preuve matériels, fiables et cruciaux (par. 34).
[157]                     Pour ce qui est de la gravité de l’infraction reprochée, il est vrai que la Cour a depuis longtemps reconnu que les infractions liées au cannabis sont « généralement considérées comme moins sérieuses que celles qui concernent des drogues “dures” comme la cocaïne et l’héroïne » (R. c. Kokesch, 1990 CanLII 55 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 3, p. 34, le juge Sopinka; voir aussi R. c. Buhay, 2003 CSC 30, [2003] 1 R.C.S. 631, par. 68). Qui plus est, la Cour a affirmé que, bien que les infractions de trafic de drogues « dures » soient « très grave[s] », elles ne constituent « pas l’une des [infractions les] plus graves de notre droit criminel » (Harrison, par. 35). Quoi qu’il en soit, nous sommes convaincus que les infractions reprochées en l’espèce sont graves. À l’instar de la juge du procès ainsi que des juges majoritaires et de la juge dissidente de la Cour d’appel, nous estimons que cette gravité découle de la très grande quantité de drogue en cause dans l’affaire qui nous occupe.
[158]                     Compte tenu de chacun des facteurs discutés ci‑dessus, nous sommes convaincus qu’il y a un fort intérêt social à ce que ces accusations soient jugées au fond. Par conséquent, la troisième question milite fortement en faveur de l’utilisation des éléments de preuve.
(4)         L’utilisation des éléments de preuve est‑elle susceptible de déconsidérer l’administration de la justice?
[159]                     Après avoir examiné les trois questions de l’analyse prescrite par l’arrêt Grant, il faut mettre en balance le poids accordé à chaque facteur (par. 86). Ce processus « implique une évaluation de nature qualitative, une évaluation qui ne permet donc pas une précision mathématique » (Tim, par. 98; voir aussi Grant, par. 86 et 140; Harrison, par. 36). Par conséquent, « [a]ucune règle prépondérante ne régit cet exercice » (Grant, par. 86). Toutefois, comme l’a statué la Cour, « [c]’est la somme, et non la moyenne, [des] deux premières questions qui détermine si la balance penche en faveur de l’exclusion » (Le, par. 141; voir aussi Beaver, par. 134; McColman, par. 74). Le poids accordé au troisième facteur « fera rarement pencher la balance en faveur de l’utilisation des éléments de preuve lorsque les deux premières questions, considérées ensemble, militent fortement en faveur de l’exclusion » (Lafrance, par. 90; voir aussi Paterson, par. 56; Le, par. 142; Beaver, par. 134).
[160]                     En l’espèce, la première question fait pencher la balance en faveur de l’exclusion, à un degré qui se situe entre modérément et fortement, tandis que la deuxième milite fortement dans le même sens. La troisième question milite fortement en faveur de l’utilisation des éléments de preuve. Toutefois, le poids de cette dernière n’est pas assez lourd pour supplanter la gravité cumulative de la conduite attentatoire ainsi que les effets de cette conduite sur M. Zacharias qui, considérés ensemble, militent relativement fortement en faveur de l’exclusion des éléments de preuve. Pour cette raison, nous concluons que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. En conséquence, le par. 24(2) commande l’exclusion des éléments de preuve.
III.         Conclusion
[161]                     Nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi. Puisque les éléments de preuve en question étaient essentiels à la thèse de la Couronne, plutôt que d’ordonner la tenue d’un nouveau procès, nous sommes d’avis d’inscrire un acquittement.
                    Pourvoi rejeté, les juges Martin et Kasirer sont dissidents.
                    Procureurs de l’appelant : Dhanu Dhaliwal Law Group, Abbotsford (C.‑B.).
                    Procureurs de l’intimé : Service des poursuites pénales du Canada — Bureau régional de l’Ontario, Brampton; Service des poursuites pénales du Canada — Bureau régional de l’Alberta, Calgary.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Bureau des avocats de la Couronne — Droit criminel, Toronto.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Alberta Crown Prosecution Service — Appeals and Specialized Prosecutions Office, Calgary.

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Synthèse
Référence neutre : 2023CSC30 ?
Date de la décision : 01/12/2023

Analyses

charte — policiers — conduites — arrestations — chiens renifleurs — arrêts Grant — violations — éléments de preuve — analyse fondée — juges du procès — effectuées — motifs raisonnables — droit garanti — détention aux fins — inconduites — incidences


Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : Zacharias
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 1 décembre 2023, R. c. Zacharias, 2023 CSC 30


Origine de la décision
Date de l'import : 02/12/2023
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2023-12-01;2023csc30 ?

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