COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. A.M., [2008] 1 R.C.S. 569, 2008 CSC 19
Date : 20080425
Dossier : 31496
Entre :
Sa Majesté la Reine
Appelante
et
A.M.
Intimé
‑ et ‑
Procureur général de l'Ontario, procureur général du Québec, procureur général de la Colombie‑Britannique, Criminal Lawyers' Association (Ontario), Association
canadienne des libertés civiles, St. Clair Catholic District Scool Board et
Canadian Foundation for Children, Youth and the Law (Justice for Children and Youth)
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein
Motifs de jugement :
(par. 1 à 2)
Motifs concordants en partie : (par. 3 à 99)
Motifs dissidents :
(par. 100 à 149)
Motifs dissidents :
(par. 150 à 191)
Le juge LeBel (avec l’accord des juges Fish, Abella et Charron)
Le juge Binnie (avec l’accord de la juge en chef McLachlin)
La juge Deschamps (avec l’accord du juge Rothstein)
Le juge Bastarache
______________________________
R. c. A.M., [2008] 1 R.C.S. 569, 2008 CSC 19
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
A.M. Intimé
et
Procureur général de l’Ontario, procureur général du
Québec, procureur général de la Colombie‑Britannique,
Criminal Lawyers’ Association (Ontario), Association
canadienne des libertés civiles, St. Clair Catholic District
School Board et Canadian Foundation for Children, Youth
and the Law (Justice for Children and Youth) Intervenants
Répertorié : R. c. A.M.
Référence neutre : 2008 CSC 19.
No du greffe : 31496.
2007 : 22 mai; 2008 : 25 avril.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Goudge, Armstrong et Blair) (2006), 79 O.R. (3d) 481, 209 O.A.C. 257, 208 C.C.C. (3d) 438, 37 C.R. (6th) 372, [2006] O.J. No. 1663 (QL), 2006 CarswellOnt 2579, qui a confirmé l’acquittement de l’accusé par le juge Hornblower (2004), 120 C.R.R. (2d) 181, [2004] O.J. No. 2716 (QL), 2004 CarswellOnt 2603, 2004 ONCJ 98. Pourvoi rejeté, les juges Bastarache, Deschamps et Rothstein sont dissidents.
Kenneth J. Yule, c.r., Jolaine Antonio et Lisa Matthews, pour l’appelante.
Walter Fox, pour l’intimé.
Robert W. Hubbard et Alison Wheeler, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Dominique A. Jobin et Gilles Laporte, pour l’intervenant le procureur général du Québec.
Kenneth D. Madsen, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.
Frank Addario et Emma Phillips, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).
Jonathan C. Lisus, Christopher A. Wayland et Sarah Corman, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
Thomas McRae, pour l’intervenante St. Clair Catholic District School Board.
Martha Mackinnon, pour l’intervenante Canadian Foundation for Children, Youth and the Law (Justice for Children and Youth).
Version française des motifs des juges LeBel, Fish, Abella et Charron rendus par
[1] Le juge LeBel — J’ai pris connaissance des motifs de mon collègue le juge Binnie. Comme lui, je suis d’avis de rejeter le pourvoi, mais sur le fondement des commentaires que j’ai faits dans le pourvoi connexe R. c. Kang‑Brown, [2008] 1 R.C.S. 456, 2008 CSC 18. La vie privée des élèves doit être protégée, même en milieu scolaire (R. c. M. (M.R.), [1998] 3 R.C.S. 393, par. 32). Le fait d’entrer dans la cour d’une école n’équivaut pas à traverser la frontière d’un État étranger. Les élèves doivent pouvoir aller à l’école sans intervention injustifiée de l’État, mais sous réserve, toujours, de la discipline scolaire normale.
[2] Comme l’ont indiqué la Cour d’appel et le juge Binnie, une fouille a été effectuée. Cette fouille n’était nullement autorisée par la loi ou la common law. Ce n’aurait pas été le cas, par exemple, si la police s’était présentée à l’école munie d’un mandat et si elle avait utilisé des chiens renifleurs pour l’aider à effectuer une fouille plus ciblée. La fouille à l’aide d’un chien renifleur n’a pas non plus été menée par la direction de l’école pour des motifs valables, comme le permet l’arrêt M. (M.R.). Pour les motifs énoncés dans Kang-Brown, notre Cour ne devrait pas tenter d’élaborer un cadre juridique d’application générale régissant l’utilisation de chiens renifleurs dans les écoles. Par conséquent, c’est à bon droit que la preuve a été exclue en application du par. 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
Version française des motifs de la juge en chef McLachlin et du juge Binnie rendus par
[3] Le juge Binnie — Dans le présent pourvoi, la Cour doit décider si le fait, pour un chien renifleur, de « flairer » le sac à dos d’un élève constitue une fouille au sens de l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l’affirmative, elle doit déterminer les circonstances dans lesquelles les policiers peuvent avoir recours à des chiens renifleurs pour effectuer une fouille dans une école à la recherche de drogues illicites. Il s’agit en l’espèce d’une simple enquête criminelle qui ne met pas en cause la présence d’explosifs, d’armes à feu ou d’autres questions de sécurité publique dans les écoles.
[4] La présente affaire a été plaidée en même temps que R. c. Kang‑Brown, [2008] 1 R.C.S. 456, 2008 CSC 18 (dont les motifs sont déposés simultanément), qui soulève des questions similaires dans le contexte d’une gare d’autobus. Dans les deux pourvois, des analogies ont été faites avec des techniques ou dispositifs examinés dans des décisions antérieures, notamment dans R. c. Tessling, [2004] 3 R.C.S. 432, 2004 CSC 67. Dans Kang‑Brown, les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Alberta ont assimilé la découverte, par un chien, d’une odeur de marijuana émanant d’un bagage à l’imagerie infrarouge permettant de détecter la chaleur se dégageant d’un édifice, dont il était question dans Tessling. On a considéré que la protection du droit au respect de la vie privée garantie par la Constitution ne vise pas les émanations en général, peu importe (semble‑t‑il) la valeur très différente qu’a pour la police l’information ainsi obtenue au sujet des éléments dont une personne tente de préserver le caractère privé.
[5] L’article 8 s’est avéré l’une des dispositions de la Charte les plus difficiles à saisir malgré l’apparente simplicité de son libellé :
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
Dans le présent pourvoi, la Cour d’appel de l’Ontario a vu une [traduction] « différence importante » ((2006), 79 O.R. (3d) 481, par. 47) entre les chiens renifleurs et la technologie de l’imagerie thermique dont il était question dans Tessling; cependant, comme le juge du procès, elle a formulé la question de façon plus générale, se demandant s’il était raisonnable qu’un [traduction] « chien policier dressé flaire les effets personnels de tous les élèves d’une école à l’occasion d’une fouille effectuée au hasard par la police » (par. 47). Je pense que la démarche retenue par les tribunaux ontariens respecte davantage le raisonnement fondé sur l’« ensemble des circonstances » suivi par notre Cour à l’égard de l’art. 8 dans les arrêts R. c. Wong, [1990] 3 R.C.S. 36, R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128, par. 45, et Tessling lui‑même, par. 19, où elle a dit :
La Cour a [. . .] très tôt adopté à l’égard de l’art. 8 une méthode téléologique axée principalement sur le respect de la vie privée. [. . .] Étant donné l’ensemble déconcertant de techniques différentes (existantes ou en développement) qui s’offrent à la police, il ne serait guère réaliste d’appliquer l’autre méthode consistant à établir un « catalogue » judiciaire de ce qui est ou n’est pas permis par l’art. 8.
Hors de tout contexte pertinent, il n’est guère utile pour trancher les questions soulevées devant nous de s’attarder sur les différences entre le museau d’un chien et une caméra à infrarouge, ou de faire des généralisations au sujet des « émanations ». Il faut plutôt établir un juste équilibre entre le besoin de l’État d’effectuer des fouilles ou des perquisitions (que celles‑ci soient nécessaires aux fins de la sécurité publique, d’une simple enquête criminelle ou d’un autre intérêt public) et l’atteinte à la vie privée que la fouille ou la perquisition comporte, notamment l’embarras et le préjudice pouvant être causés aux citoyens respectueux des lois, que ce soit lors de déplacements (comme dans Kang‑Brown), à l’école (comme en l’espèce) ou dans la paix et la tranquillité de leur foyer.
[6] En l’espèce, le directeur de l’école secondaire St. Patrick’s de Sarnia avait invité les policiers de Sarnia à venir à l’école avec des chiens renifleurs chaque fois que cela leur conviendrait. Le procureur général de l’Ontario et l’intervenant, le conseil scolaire du district catholique de St. Clair, soutiennent que cette invitation était la seule justification dont avait besoin la police. L’accusé prétend par contre que la police ne peut avoir recours à des chiens renifleurs que lorsqu’elle a des motifs raisonnables de croire qu’une infraction en matière de drogue a été commise par la personne faisant l’objet de la fouille et que la fouille mènera à la découverte d’éléments de preuve ou, peut‑être même, à l’arrestation de l’auteur de l’infraction. Le procureur général de l’Ontario nie que le recours à des chiens renifleurs constitue une fouille au sens de l’art. 8 car les chiens ne font que flairer l’air qui fait partie de notre espace public commun. Il prétend par conséquent qu’aucune des mesures prises en l’espèce n’a déclenché l’application des droits reconnus à l’accusé par l’art. 8 de la Charte. Le juge du tribunal pour adolescents a statué que la police et la direction de l’école se sont appuyés uniquement sur une « intuition » pour soupçonner la présence de drogues à l’école au moment de la fouille ((2004), 120 C.R.R. (2d) 181, 2004 ONCJ 98). Il a conclu qu’il y a eu fouille lorsque le chien a « flairé » le sac à dos de l’élève et il a écarté les éléments de preuve obtenus grâce au chien renifleur et à la fouille subséquente du sac de l’élève par un policier.
[7] Pour les raisons exposées dans Kang‑Brown, j’estime que les pouvoirs que la common law confère aux policiers de faire enquête sur les crimes et de traduire leurs auteurs en justice englobent le recours à des chiens renifleurs. Toutefois, l’exercice de ces pouvoirs doit être conforme à la Charte.
[8] Je suis également d’accord avec le juge du tribunal pour adolescents pour dire que l’utilisation de chiens renifleurs dans l’école constituait une fouille au sens de l’art. 8, c’est‑à‑dire une atteinte de l’État à une attente raisonnable en matière de vie privée; R. c. Wise, [1992] 1 R.C.S. 527, p. 533. La réaction positive du chien a immédiatement entraîné, sans intervention judiciaire, l’examen du contenu du sac à dos de l’accusé pour confirmer la détection par le chien de la présence de drogues illégales.
[9] L’intervention du chien renifleur constituait une fouille, mais il s’agit d’une procédure peu envahissante et étroitement ciblée. Pour les motifs exposés ci‑après, je n’irais pas jusqu’à dire, comme le demande avec insistance l’accusé, qu’il faut exiger l’autorisation judiciaire préalable que prévoit l’arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145. En fait, l’argument de la défense signifierait qu’il n’est possible d’avoir recours aux chiens que dans les cas où on n’a nullement besoin d’eux. Si elle a des motifs raisonnables et probables de croire qu’un individu a commis une infraction en matière de drogue et qu’une fouille ou une perquisition mènerait à l’arrestation de l’auteur de l’infraction ou à la découverte d’éléments de preuve, la police a déjà des motifs suffisants pour obtenir la délivrance d’un mandat de perquisition. L’argument de la défense entraîne une trop grande rigidité; il ne tient pas compte de la nature peu envahissante de la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur ni du fait qu’un chien renifleur bien dressé et correctement utilisé ne « réagit » qu’en présence d’articles interdits et ce, avec une grande fiabilité.
[10] Dans une série de décisions partagées concernant le Quatrième Amendement, dont s’est inspirée notre Cour dans Hunter c. Southam, la Cour suprême des États‑Unis a refusé d’accorder toute protection prévue au Quatrième Amendement à l’égard de chiens renifleurs dressés pour détecter la présence de « stupéfiants ». Ce refus tient peut‑être, du moins en partie, au fait que les tribunaux peuvent craindre que, dès lors qu’une mesure policière est jugée constituer une atteinte à un droit reconnu au respect de la vie privée, le mécanisme de l’autorisation judiciaire préalable prévu par la loi est présumé s’appliquer : Katz c. United States, 389 U.S. 347 (1967). C’est ce qui a peut‑être amené les tribunaux américains à se lancer dans une forme d’analyse des avantages et des inconvénients, ainsi que l’a souligné K. L. Pollack :
[traduction] . . . en rendant la décision dans ces affaires, la Cour a peut‑être conclu implicitement qu’en exigeant une cause probable, les inconvénients l’emportaient sur les avantages correspondants pour le respect de la vie privée des individus. Dans ces affaires, l’atteinte aux droits individuels était minime et la Cour n’a pas semblé s’inquiéter de la possibilité que le gouvernement utilise arbitrairement ces méthodes de perquisition. [. . .] [L]ors de véritables fouilles ou perquisitions effectuées à des fins d’enquête, il n’y a pas de moyen terme entre les fouilles ou perquisitions effectuées en l’absence de tout soupçon et celles qui sont fondées sur une cause probable.
(K. L. Pollack, « Stretching the Terry Doctrine to the Search for Evidence of Crime : Canine Sniffs, State Constitutions, and the Reasonable Suspicion Standard » (1994), 47 Vand. L. Rev. 803, p. 820‑821)
[11] Aux États‑Unis, en raison de cette jurisprudence, l’utilisation par la police de chiens renifleurs dans le cadre d’enquêtes criminelles échappe entièrement à l’application du Quatrième Amendement. À mon avis, le recours aux chiens policiers au Canada n’échappe pas aux dispositions constitutionnelles, mais je conviens que la réglementation fondée sur l’art. 8 doit être appropriée aux circonstances et doit tenir compte du fait que le recours à un chien renifleur bien dressé, si la fiabilité de son odorat est établie, constitue une atteinte minime qui ne vise à découvrir que des articles interdits. Ce contexte engendre deux conséquences importantes.
[12] Premièrement, je conclus que, dans le contexte d’une enquête criminelle ordinaire, la police a le droit d’utiliser des chiens renifleurs lorsqu’elle a des « soupçons raisonnables ». Si elle n’est pas justifiée d’avoir des soupçons raisonnables, le recours aux chiens renifleurs contreviendra à la norme du caractère raisonnable imposée par l’art. 8.
[13] Deuxièmement, lorsqu’il existe des motifs d’avoir des soupçons raisonnables, j’estime que la police ne devrait pas avoir à soumettre ses soupçons à un juge pour obtenir l’autorisation préalable d’utiliser des chiens dans un lieu où la police se trouve déjà légalement (de toute façon, le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, ne prévoit à l’heure actuelle aucun mécanisme permettant l’obtention d’une telle autorisation sur la simple base de soupçons raisonnables). Toutes les « fouilles ou perquisitions » n’ont pas le même caractère envahissant ou perturbant. Dans Hunter c. Southam, les fonctionnaires affectés aux enquêtes sur les coalitions étaient sur le point de fouiller dans des dossiers personnels plus ou moins pertinents du Edmonton Journal en vertu d’un ordre du directeur dont la portée a été qualifiée de « renversante » par le juge Dickson (p. 150). L’exigence d’une autorisation judiciaire préalable conformément à Hunter c. Southam est la norme de qualité parce que l’un des objectifs importants de l’art. 8 est d’empêcher les fouilles et les perquisitions abusives et non pas simplement de prévoir un recours après le fait. Toutefois, l’autorisation judiciaire préalable n’est pas une condition préalable universelle à toutes les mesures policières qualifiées de « fouilles ou perquisitions » étant donné que l’élément fondamental de l’art. 8 est le caractère raisonnable. Dans les affaires où il est question de l’art. 8, il faut tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, y compris (comme je l’ai mentionné) l’atteinte minime, la recherche ciblée d’articles interdits et la grande fiabilité de l’intervention fortuite d’un chien renifleur. La fouille ou la perquisition sans mandat est, évidemment, présumée abusive et doit satisfaire aux exigences exceptionnelles établies dans R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, p. 278.
[14] Si la fouille à l’aide d’un chien renifleur est effectuée sur la base de soupçons raisonnables et révèle la présence de drogues illégales sur la personne elle‑même, dans un sac à dos ou à tout autre endroit où elles ont pu être cachées, la police peut, à mon avis, s’assurer de l’exactitude de cette information grâce à une fouille physique, effectuée encore une fois sans autorisation judiciaire préalable, ainsi qu’on le verra plus loin. Mais évidemment, toutes ces fouilles effectuées à l’aide de chiens ou par des policiers sont assujetties à un contrôle judiciaire ultérieur s’il est allégué (comme c’est le cas en l’espèce) qu’il n’y avait aucun motif d’avoir des soupçons raisonnables, ou que la fouille a été par ailleurs effectuée de manière abusive. En l’espèce, le contrôle judiciaire ultérieur a été enclenché lorsque la poursuite a tenté d’invoquer les éléments de preuve obtenus lors de la fouille. Le pouvoir exceptionnel de la police d’avoir recours à des chiens renifleurs sans autorisation judiciaire préalable, lorsqu’elle a des soupçons raisonnables, aura en cas d’abus des conséquences importantes en vertu du par. 24(2) de la Charte qui prévoit que, lorsque le tribunal a conclu
que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
En l’espèce, selon moi, c’est à juste titre que les éléments de preuve ont été exclus.
[15] Je suis d’accord avec le juge du tribunal pour adolescents qui a conclu en fait qu’il s’agissait d’une fouille conjecturale faite au hasard. Il se peut que la police ait considéré alors que la fouille constituait une utilisation efficace de ses ressources et que le directeur de l’école y ait vu un moyen efficace de promouvoir une politique de tolérance zéro. Mais ainsi que l’ont souligné le juge du tribunal pour adolescents et la Cour d’appel, ces objectifs ont été atteints au mépris du droit de chaque élève de l’école au respect de sa vie privée (et de ses droits constitutionnels). La Charte établit un équilibre entre d’autres valeurs, dont la vie privée, et le besoin d’assurer l’efficacité de la police. Une intuition ne suffit pas pour justifier la fouille de citoyens ou de leurs biens à l’aide de chiens policiers.
[16] Ayant refusé d’admettre les éléments de preuve obtenus grâce à la fouille, le juge du tribunal pour adolescents a acquitté l’accusé. La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé le verdict d’acquittement et je suis d’avis de rejeter le pourvoi interjeté à notre Cour.
I. Faits
[17] En 2000, le directeur de l’école secondaire St. Patrick’s a informé le service d’intervention auprès des jeunes de la police de Sarnia qu’il verrait d’un bon œil que des policiers, s’ils avaient à leur disposition des chiens renifleurs, viennent à l’école pour y effectuer une perquisition en vue de trouver de la drogue. À quelques reprises avant les faits à l’origine du présent pourvoi, la police avait accepté l’invitation et effectué des vérifications dans le stationnement, dans les corridors et, lorsqu’elle en avait le temps, dans d’autres endroits suggérés par le directeur. Nous ignorons les résultats de ces visites précédentes.
[18] L’école appliquait une politique de tolérance zéro en matière de possession et de consommation de drogues et d’alcool, une politique dont avaient été informés les élèves et leurs parents.
[19] Le 7 novembre 2002, trois policiers ont décidé de se rendre à l’école en compagnie d’un chien renifleur. Ils ont demandé au directeur [traduction] « la permission » de parcourir l’école. Au procès, ils ont admis qu’ils ne disposaient d’aucune information confirmant la présence de drogues à l’école à ce moment et ils ont volontiers reconnu qu’ils n’avaient aucun motif leur permettant d’obtenir un mandat de perquisition. Le directeur a admis qu’il ne disposait d’aucune information confirmant la présence de drogues dans l’école à ce moment‑là; il a cependant ajouté [traduction] « on peut supposer sans risque d’erreur qu’il pourrait y en avoir » (d.a., p. 49 (je souligne)). En contre‑interrogatoire, on a demandé au directeur :
[traduction] Q. D’accord. Mais, vous ne les avez jamais appelés, munis de renseignements précis, pour leur dire c’est ce que je sais et, par conséquent, j’estime qu’une fouille devrait être effectuée.
R. Non.
(d.a., p. 53)
L’agent Callander de la police de Sarnia a fait une déclaration similaire lors de son témoignage :
[traduction] Q. D’accord. Vous n’étiez pas directement au courant de la présence de drogues et de l’endroit où elles pouvaient se trouver, et rien n’indiquait qu’il y avait un risque pour la sécurité de personnes ou des élèves. Vous ne disposiez d’aucune information de ce genre.
R. Non.
(d.a., p. 84)
Le directeur avait entendu à l’occasion des parents ou des voisins de l’école raconter que [traduction] « des enfants de notre école consomment des drogues » (d.a., p. 50), mais rien de précis au sujet du 7 novembre 2002.
[20] Leur ayant lancé une invitation permanente, le directeur a facilement accordé aux policiers la permission de fouiller l’école avec un chien renifleur. Il a ensuite utilisé le système d’interphone de l’école pour annoncer à tous que des policiers étaient sur les lieux et que les élèves étaient consignés dans [traduction] « leurs classes jusqu’à la fin de la fouille » (d.a., p. 47). En raison de cette annonce, aucun élève ne pouvait quitter sa classe pendant toute la durée de l’enquête de la police.
[21] Ce sont les policiers, et non la direction de l’école, qui se sont occupés des recherches. Le directeur a déclaré qu’il n’y avait nullement participé sauf pour donner sa permission et dire aux élèves de demeurer dans leurs classes. Les policiers n’ont pas discuté avec lui de la façon de procéder à la fouille.
[22] Les policiers ont également fouillé le gymnase. L’agent McCutchen de la Police provinciale de l’Ontario était accompagné de son chien renifleur, Chief, qui était dressé pour détecter la présence d’héroïne, de marijuana, de hachisch, de crack et de cocaïne. Aucun élève ne se trouvait dans le gymnase de l’école, mais quelques sacs à dos se trouvaient près d’un mur. Chief « a attiré l’attention » sur l’un des sacs à dos en le mordant. L’agent McCutchen a remis le sac à dos à l’agent Callander de la police de Sarnia qui l’a fouillé et y a trouvé de la drogue, comme l’avait indiqué Chief par sa réaction, soit cinq sacs de marijuana, une boîte en métal contenant cinq autres sacs de marijuana, un sac contenant environ dix champignons magiques (psilocybine) et un sac contenant une pipe, un briquet, du papier à cigarettes et un pince‑joint. Le portefeuille de A.M., contenant ses pièces d’identité, se trouvait aussi dans le sac à dos. A.M. a été accusé de possession de marijuana en vue d’en faire le trafic et de possession de psilocybine.
II. Dispositions constitutionnelles pertinentes
[23] Voici le texte des dispositions constitutionnelles pertinentes de la Charte :
Charte canadienne des droits et libertés
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires.
24. . . .
(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
III. Historique judiciaire
A. Tribunal pour adolescents de l’Ontario (le juge Hornblower) (2004), 120 C.R.R. (2d) 181, 2004 ONCJ 98
[24] Le juge du tribunal pour adolescents a conclu que deux fouilles ont été effectuées le 7 novembre 2002. La première était celle effectuée par le chien renifleur qui « a attiré l’attention » sur le sac à dos de A.M. La deuxième était la fouille même du sac à dos par le policier de Sarnia. De l’avis du juge, aucune de ces fouilles n’était raisonnable. Même si, selon certains éléments de preuve, des voisins de l’école et des parents avaient exprimé leurs inquiétudes au sujet de la présence possible de drogues à l’école, la direction de l’école ne disposait d’aucune information pertinente en ce sens le jour de la perquisition. Le directeur de l’école pensait tout simplement qu’il était possible que l’on trouve en tout temps de la drogue à l’école. Bien qu’une certaine latitude doive être laissée aux directions d’école, le juge du tribunal pour adolescents n’a pas cru qu’[traduction] « une supposition raisonnablement fondée sur l’expérience » constituait un motif raisonnable d’effectuer une fouille (par. 16).
[25] Le juge du tribunal pour adolescents a en outre conclu qu’il ne s’agissait pas en l’espèce d’une fouille effectuée par la direction de l’école mais d’une fouille effectuée par la police. Aucun membre de la direction de l’école n’a participé activement à la fouille. Le directeur avait déjà invité la police à effectuer une fouille, mais cela n’a pas transformé la fouille du 7 novembre 2002 en fouille effectuée par la direction de l’école.
[26] Pour ce qui est de la recevabilité des éléments de preuve en vertu du par. 24(2) malgré la violation de la Charte, le juge du tribunal pour adolescents a reconnu que l’attente en matière de vie privée est réduite dans une école et il a souligné que le trafic de marijuana est une infraction grave. On ne pouvait affirmer que la police ou la direction de l’école avaient fait preuve de mauvaise foi. Par contre, les droits de chacun des élèves de l’école ont été violés ce jour‑là, car tous les élèves ont été soumis à une fouille abusive. L’admission des éléments de preuve était susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Le juge du tribunal pour adolescents a conclu pour ces motifs que les éléments de preuve devaient être écartés et que A.M. devait être acquitté.
B. Cour d’appel de l’Ontario (les juges Goudge, Armstrong et Blair) (2006), 79 O.R. (3d) 481
[27] Le juge Armstrong a écrit au nom de la Cour d’appel que c’est la police qui avait effectué une fouille à l’école secondaire St. Patrick’s le 7 novembre 2002. Aucun membre de la direction de l’école n’avait demandé la présence de la police ce jour‑là et aucun membre du personnel de l’école n’a participé activement à la fouille. L’invitation faite à la police à venir en tout temps effectuer une fouille de l’école à l’aide d’un chien renifleur n’a pas fait de cette fouille une [traduction] « fouille par les autorités de l’école » (par. 22).
[28] La cour a rejeté l’argument du ministère public selon lequel les policiers n’avaient pas effectué une « fouille » au sens de l’art. 8, soulignant que le policier de Sarnia avait déclaré lors de son témoignage que la police s’était rendue à l’école pour effectuer une [traduction] « fouille au hasard » (je souligne), que le policier de la Police provinciale de l’Ontario a reconnu en contre‑interrogatoire avoir effectué une fouille avec son chien et que le ministère public a admis ce fait au procès (par. 45).
[29] Le juge Armstrong n’a pas retenu la prétention du ministère public selon laquelle l’attente de A.M. en matière de vie privée en ce qui concerne son sac à dos [traduction] « était si réduite qu’elle devenait négligeable » (par. 49). Il a retenu l’argument des avocats de l’accusé et de l’Association canadienne des libertés civiles qui ont affirmé, ainsi que l’avait dit l’Association, que [traduction] « [le] sac à dos d’un élève est un peu comme sa chambre à coucher et sa salle d’étude qu’il transporte avec lui » (par. 50).
[30] Ni la Loi sur l’éducation, L.R.O. 1990, ch. E.2, ni ses politiques connexes, ni le Code de conduite (2001) des écoles de l’Ontario ne prévoient des fouilles sans mandat, et le directeur a admis que les membres de la direction de l’école n’auraient pas pu eux‑mêmes effectuer légalement la fouille faite par la police en l’espèce.
[31] Le juge Armstrong a fait remarquer que, pour faciliter la fouille, tous les élèves ont été consignés dans leurs classes pendant une période d’une heure et demie à deux heures. Bien que le directeur ait lui‑même annoncé la fouille aux élèves, il l’a fait pour faciliter la tâche des policiers. Aucune information crédible n’indiquait qu’une fouille était justifiée, et aucun motif raisonnable ne justifiait de consigner les élèves dans leurs classes. La consignation des élèves a accentué le caractère abusif de la fouille.
[32] Le juge du tribunal pour adolescents a eu raison d’écarter les éléments de preuve. Il s’agissait d’une fouille sans mandat effectuée au hasard et qui n’était autorisée ni par le droit criminel ni par la Loi sur l’éducation. Il y a eu violation grave. L’utilisation des éléments de preuve était susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Par conséquent, l’appel du verdict d’acquittement interjeté par le ministère public a été rejeté.
IV. Analyse
[33] L’article 8, comme le reste de la Charte, doit recevoir une interprétation téléologique, c’est‑à‑dire une interprétation visant à favoriser les intérêts qu’elle est censée protéger. Bien que ces intérêts puissent dépasser le droit à la vie privée, leur portée est « au moins aussi étendue » (Hunter c. Southam, p. 159). Un droit à la vie privée mérite d’être protégé lorsque les citoyens croient subjectivement qu’il devrait être respecté par le gouvernement et [traduction] « que la société est prête à le considérer comme “raisonnable” » (Katz, p. 361). Dans chaque cas, « il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d’assurer l’application de la loi » (Hunter c. Southam, p. 159‑160).
[34] Cette appréciation a fait ressortir diverses considérations qui devraient être utiles pour trancher ces appels.
[35] Premièrement, il faut reconnaître le type de société dans laquelle les Canadiens ont choisi de vivre en adoptant la Charte. « L’interdiction qui est faite au gouvernement de s’intéresser de trop près à la vie des citoyens touche à l’essence même de l’État démocratique » (R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, p. 427‑428). Les élèves ne méritent pas moins que les adultes de bénéficier d’une protection constitutionnelle, malgré leur âge, leur vulnérabilité et leur présence dans un milieu scolaire, des facteurs qui font partie de « l’ensemble des circonstances ».
[36] Deuxièmement, l’accent doit porter sur « l’effet [. . .] sur l’objet de la fouille, de la perquisition ou de la saisie [en l’espèce, tous les élèves présents à l’école] et non simplement [. . .] [sur] sa rationalité dans la poursuite de quelque objectif gouvernemental valable » (Hunter c. Southam, p. 157). L’effet en question inclut notamment la gêne, les ennuis et l’embarras éventuel causés aux personnes innocentes soumises à l’intervention du chien renifleur ou à d’autres gestes envahissants de la police.
[37] Troisièmement, dans l’appréciation du droit à la vie privée, il faut obligatoirement tenir compte du motif pour lequel la police veut obtenir l’information. Ainsi que l’a dit la Cour dans Tessling, « [l]a police [. . .] s’intéressait nettement au “profil thermique”, non pour le profil lui‑même, mais pour ce qu’il pouvait révéler des activités [illégales] se déroulant à l’intérieur de la résidence » (par. 41 (en italique dans l’original)). Si, en l’espèce, la police avait été appelée pour enquêter, à l’aide de chiens dressés à cette fin, sur la présence éventuelle à l’école d’armes ou d’explosifs, l’importance et l’urgence de neutraliser rapidement et efficacement une telle menace pour la sécurité publique, même si elle était hypothétique, auraient eu préséance sur la simple prévention du crime. De façon générale, l’équilibre juridique aurait privilégié le recours à des chiens renifleurs pour faire toute la lumière sur une menace éventuelle pour la vie ou la sécurité immédiate et le bien‑être des élèves et du personnel.
[38] Quatrièmement, la Cour doit analyser l’importance de l’information obtenue par suite de l’intervention de la police. Monsieur Alan Gold, c.r., est l’un de ceux qui ont condamné l’utilisation de l’importance de l’information comme facteur essentiel pour déterminer s’il existe une attente raisonnable en matière de vie privée. Il écrit ce qui suit :
[traduction] Je sais que l’on peut considérer que l’arrêt Tessling renvoie à une catégorie de données — données électriques et thermiques — qui en général ne nous apprennent rien et sont « sans importance ». [. . .] Mais [. . .] [i]l est possible d’obtenir une image complète à partir de bribes d’information et la police semble fortement s’intéresser à ces données « sans importance ».
(« Privacy Suffers From the Heat : R. v. Tessling », document présenté au 5th Annual Six‑Minute Criminal Defence Lawyer du Barreau du Haut‑Canada, 4 juin 2005, par. 7‑8)
Évidemment, une bonne partie du travail de la police consiste effectivement à rassembler différentes « bribes » d’information, dont certaines semblent dénuées d’importance, pour obtenir une image représentative de la situation. Cela n’a pas nécessairement pour effet de créer une protection constitutionnelle pour ces « bribes d’information sans importance » qui font partie du tableau à moins qu’il n’y ait, dans le contexte, d’autres éléments qui entraînent une telle protection. En l’espèce, l’arrêt Tessling est inapplicable. L’information obtenue est très importante. Il ne s’agit pas de « bribes » d’information. Les chiens renifleurs ont attiré l’attention des policiers sur ce qui constitue pour eux l’équivalent d’une preuve irréfutable.
[39] Cinquièmement, les tribunaux doivent examiner ce qui leur est présenté comme étant la réalité. Certains des intervenants ont présenté la décision sur la question des chiens renifleurs en l’espèce comme étant cruciale pour l’avenir du droit à la vie privée en ce qui concerne les renseignements personnels. Il est vrai que la réaction d’un chien renifleur fournit à la police une information importante au sujet du crime visé par l’enquête (l’une des circonstances qui distinguent la présente espèce de Tessling). Dans le présent appel, cependant, il n’est pas question de planifier l’avenir de la protection des renseignements personnels plus que ne l’ont fait les arrêts R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281, ou Tessling. En raison même de l’évolution rapide de ce domaine, les tribunaux devront revenir encore et encore aux principes fondamentaux afin de tracer la limite de ce qui est raisonnable.
[40] Le professeur Kerr et Mme McGill lancent à juste titre un avertissement au sujet des techniques de surveillance qui sont actuellement mises au point; ils font notamment référence à l’article intitulé « Honeybees Join the Bomb Squad » et parlent de [traduction] « senseurs qui balayeront les foules pour déterminer si quelqu’un projette de commettre un acte illégal — ou si cette pensée lui effleure même l’esprit » (voir I. Kerr et J. McGill, « Emanations, Snoop Dogs and Reasonable Expectations of Privacy » (2007), 52 Crim. L.Q. 392, p. 410-411, note 57). La jurisprudence relative à l’art. 8 continuera d’évoluer en même temps que progressent les techniques de surveillance. C’est cette souplesse que vise essentiellement à atteindre l’approche fondée sur l’« ensemble des circonstances ». Les critiques font habituellement référence aux « aspects orwelliens » et à 1984, mais il reste que l’année 1984 s’est écoulée sans que les craintes de George Orwell ne se réalisent entièrement, bien qu’il ait vu avant la plupart des gens l’orientation que pourrait prendre l’avenir. La Cour peut exiger une preuve adéquate de ce que veut faire la police ou le gouvernement et de la manière, le cas échéant, dont les renseignements que la police cherche à recueillir pourront être utilisés. Ainsi que l’indique la Cour dans Tessling, « [t]out développement qui pourra survenir devra être examiné par les tribunaux. Les problèmes devraient être analysés au moment où ils se posent véritablement » (par. 55).
A. Le recours à des chiens renifleurs
[41] Pour les raisons exposées dans Kang‑Brown, je crois que si les exigences de la Charte sont respectées, les policiers agissent dans le cadre des pouvoirs que leur confère la common law lorsqu’ils ont recours à des chiens renifleurs dans le cours de leurs enquêtes dans les endroits où ils peuvent par ailleurs légitimement avoir accès. Dans le présent contexte, le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives garanti à l’art. 8 prend une importance cruciale. Le 7 novembre 2002, on a procédé à l’école secondaire St. Patrick’s à une fouille sans mandat, et la fouille était par conséquent présumée abusive. Comme le juge Lamer l’a affirmé dans l’arrêt Collins, p. 278 :
. . . du moment que l’appelant démontre qu’il s’agissait d’une fouille sans mandat, il incombe à la poursuite de prouver que, selon la prépondérance des probabilités, cette fouille n’était pas abusive.
Une fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même n’a rien d’abusif et si la fouille n’a pas été effectuée d’une manière abusive.
(Voir également R. c. Mann, [2004] 3 R.C.S. 59, 2004 CSC 52, par. 36; R. c. Caslake, [1998] 1 R.C.S. 51, par. 10 à 12.)
[42] Pour les raisons exposées ci‑après, et vu l’analyse faite dans Kang‑Brown, j’estime que dans les cas où il existe des soupçons raisonnables, les deux premières exigences du critère de l’arrêt Collins sont respectées (Collins, p. 278-279; R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3, p. 15-16). En présence de tels soupçons, la common law autorise les fouilles ou perquisitions à l’aide de chiens renifleurs, et cette règle de common law n’a elle‑même rien d’abusif vu le caractère minimalement envahissant, étroitement ciblé et hautement fiable des fouilles ou perquisitions effectuées à l’aide de chiens qui, comme Chief, ont fait leurs preuves. Toutefois, les faits de la présente affaire démontrent qu’en raison de l’absence de soupçons raisonnables, la fouille effectuée ne satisfait pas aux premier et troisième volets du critère de l’arrêt Collins. À cause de l’absence de soupçons raisonnables, la fouille n’était pas autorisée par la loi et elle ne satisfait pas à la première exigence. Elle ne satisfait pas non plus à la troisième exigence, selon laquelle la fouille ou perquisition doit être effectuée de manière non abusive. Le manquement des policiers découle du fait qu’ils ont effectué la fouille en se fondant sur des hypothèses plutôt que sur des éléments de preuve objectivement vérifiables qui justifient des soupçons raisonnables.
B. La Constitution protège le droit de l’élève au respect de sa vie privée
[43] Pour étayer leur argument selon lequel l’art. 8 de la Charte ne s’applique pas parce que tous ont accès aux [traduction] « émissions dans le domaine public », les procureurs généraux ont fait allusion aux motifs dissidents rendus dans Kyllo c. United States, 533 U.S. 27 (2001), cité dans Tessling, par. 51 :
[traduction] . . . les mandataires de l’État ne doivent pas s’empêcher de détecter, par leurs sens ou à l’aide d’appareils, des émissions dans le domaine public comme de la chaleur excessive, des traces de fumée, des odeurs suspectes, des gaz inodores, des particules en suspension dans l’air ou des émissions radioactives, qui pourraient révéler des dangers pour la collectivité. [p. 45]
Il est clairement question, dans ce passage fréquemment cité de Kyllo, de situations où il existe un danger immédiat pour le public et non de simples enquêtes criminelles. Il s’agit toutefois dans le présent pourvoi d’une simple enquête criminelle et non d’un danger pour le public. De plus, on n’a pas demandé aux policiers de « s’empêcher de détecter par leurs sens ». La question dont nous sommes saisis concerne les circonstances dans lesquelles la police peut commencer une enquête en utilisant des chiens renifleurs.
[44] L’arrêt faisant autorité au Canada en matière de perquisitions effectuées dans des écoles est R. c. M. (M.R.), [1998] 3 R.C.S. 393, dans lequel notre Cour a statué que « l’attente raisonnable en matière de vie privée d’un élève à l’école est sûrement moindre que celle qu’il aurait dans d’autres circonstances » (par. 33). Après avoir signalé que « [l]’introduction d’armes [. . .] [et] de drogues illicites [. . .] est source de problèmes graves et urgents », le juge Cory a néanmoins soutenu que « les écoles ont l’obligation d’inculquer à leurs élèves le respect des droits constitutionnels de tous les membres de la société » (par. 3).
L’apprentissage du respect de ces droits est essentiel à notre société démocratique et devrait faire partie de l’éducation de tous les élèves. C’est par l’exemple que ces valeurs se transmettent le mieux, et elles peuvent être minées si les personnes en autorité font fi des droits des élèves. [par. 3]
Évidemment, une perquisition de la police peut avoir pour un élève des conséquences beaucoup plus graves que celles découlant de l’application de la discipline scolaire.
[45] Dans M. (M.R.), il s’agissait de la constitutionnalité de la fouille corporelle, par le directeur adjoint d’une école de danse, d’un élève soupçonné d’avoir de la drogue en sa possession. La Cour a statué expressément que si la fouille corporelle avait été effectuée par les policiers, ou par les autorités scolaires agissant en qualité de mandataires de la police, des motifs raisonnables et probables auraient été requis. Toutefois, il suffisait pour les autorités scolaires qu’elles aient des soupçons raisonnables. Il ressort de l’arrêt M. (M.R.) qu’en matière de discipline scolaire, les autorités scolaires jouissent d’un pouvoir discrétionnaire et d’une latitude raisonnables (par. 49) mais que, lorsque des policiers effectuent une fouille corporelle, même dans les locaux d’une école, la norme ordinaire de justification applicable à la police devra être respectée. Le juge Cory a affirmé ce qui suit :
La norme modifiée applicable aux autorités scolaires est nécessaire pour leur donner la latitude dont elles ont besoin pour s’acquitter de leur responsabilité de maintenir un environnement scolaire sûr et ordonné. Il n’existe cependant aucune raison de dispenser les policiers de se conformer aux normes habituelles uniquement parce que la personne qu’ils souhaitent fouiller est dans une école élémentaire ou secondaire. [par. 56]
En l’espèce, il ne s’agit évidemment pas d’une fouille corporelle, beaucoup plus envahissante que l’intervention d’un chien renifleur et dont l’effet ne se limite pas à la découverte d’objets interdits.
[46] Ma collègue la juge Deschamps (au par. 131) cite l’arrêt M. (M.R.) pour affirmer que l’attente raisonnable en matière de vie privée est moindre dans les écoles; elle ne semble toutefois pas accorder d’importance à la distinction faite entre les autorités scolaires (ce dont parle le juge Cory dans le passage qu’elle cite) et la police. La différence entre une perquisition effectuée par la police et une enquête effectuée par les autorités scolaires était cruciale pour la décision de la Cour dans M. (M.R.) et j’estime qu’elle est importante en l’espèce.
[47] Certains auteurs ont critiqué la distinction faite entre une fouille effectuée par les autorités scolaires et une perquisition de la police si le résultat final dans les deux cas est une poursuite : p. ex., D. Stuart, « Reducing Charter Rights of School Children » (1999), 20 C.R. (5th) 230; A. W. MacKay, « Don’t Mind Me, I’m from the R.C.M.P. : R. v. M. (M.R.) — Another Brick in the Wall Between Students and Their Rights » (1997), 7 C.R. (5th) 24. Je conviens toutefois avec le juge Cory qu’il faut donner aux autorités scolaires une plus grande latitude qu’à la police pour leur permettre de s’acquitter de leurs responsabilités. Si une enquête effectuée dans une école permet de découvrir des éléments de preuve pouvant fonder une poursuite, il est indubitable que les autorités scolaires les transmettront, si elles le jugent approprié, aux autorités compétentes chargées des poursuites. Autrement, les écoles pourraient devenir un refuge pour les jeunes trafiquants de drogues, une situation inacceptable. Quoi qu’il en soit, le juge Cory a tenu compte de ce résultat éventuel lorsqu’il a fait l’habituelle mise en garde selon laquelle « [p]our déterminer si une fouille est raisonnable, il faut prendre en considération toutes les circonstances qui l’ont entourée » (M. (M.R.), par. 48). L’important est que, dans M. (M.R.), la Cour a refusé de créer, quant à l’exercice de leurs pouvoirs par les policiers, une « exception pour les écoles ».
[48] Ma collègue la juge Deschamps conclut que l’accusé perdait son droit au respect de la vie privée à l’égard de son sac lorsqu’il le laissait au gymnase. Elle écrit :
En l’espèce, aucun droit personnel à la vie privée du genre de celui défini dans R. c. Tessling, [2004] 3 R.C.S. 432, 2004 CSC 67, par. 23, n’est en cause puisque A.M. ne portait pas ou ne transportait pas son sac à dos au moment de la fouille alléguée. [En italique dans l’original; par. 121.]
Ma collègue s’est également appuyée, aux par. 100, 120, 128, 131, 138, 147 et 148 de ses motifs, sur le fait que le sac à dos avait été laissé sans surveillance. Je ne crois pas qu’il faille accorder une telle importance au fait que le sac à dos était laissé sans surveillance. S’il existe pour une accusée un droit à la vie privée relatif au contenu d’une lettre, celle‑ci ne perd pas ce droit lorsqu’elle sort la lettre de son sac à main et la met à la poste. Si un accusé a dissimulé des documents dans le coffre verrouillé de sa voiture, son droit à la vie privée relatif au contenu du coffre de sa voiture ne dépend pas de la question de savoir s’il se trouve à bord de la voiture ou s’il a quitté celle‑ci après l’avoir stationnée quelque part, y compris dans un stationnement public. Le caractère privé de ma résidence est le même que j’y sois ou non. À mon avis, les élèves qui ont laissé leur sac à dos dans le gymnase n’ont pas perdu de ce fait le droit à la vie privée applicable au contenu de leur sac.
[49] Ma collègue la juge Deschamps écrit ensuite :
Le fait que le sac à dos de A.M. a non seulement été laissé sans surveillance, mais qu’il était placé bien en vue constitue un troisième facteur. [par. 138]
Selon moi, il ne s’agit pas de savoir si le sac à dos lui‑même était bien en vue. La question du droit à la vie privée concerne le contenu dissimulé dans le sac.
C. Le caractère raisonnable comporte une certaine souplesse
[50] Bien que l’art. 8 porte principalement sur les répercussions, pour la personne fouillée ou dont les effets sont saisis, de la mesure prise par la police, il est évident que les répercussions de la fouille (une éventuelle poursuite criminelle) ne peuvent en elles‑mêmes rendre abusive une fouille effectuée sans mandat. La question des fouilles effectuées sans mandat est habituellement soulevée dans le contexte d’une poursuite criminelle.
[51] L’interprétation trop rigide de Hunter c. Southam crée un dilemme à la fois pour la défense et pour la poursuite. En l’espèce, le ministère public soutient que le droit à la vie privée en jeu est restreint étant donné la nature du contenant (un sac à dos), le lieu de la fouille (l’école) et l’objet très précis que recherchait le chien renifleur (des articles interdits). Toutefois, si cet argument n’est pas persuasif, le ministère public n’échappe pas à la rigueur des exigences procédurales de Hunter c. Southam de sorte que, de façon générale, les chiens ne peuvent être utilisés que dans les cas où l’on n’a pas besoin d’eux. Si la police a déjà des motifs raisonnables et probables pour obtenir un mandat de perquisition autorisant une fouille, elle n’a pas besoin de recourir à un chien renifleur.
[52] Du point de vue de la défense par contre, si la Cour conclut à l’existence d’un droit à la « vie privée », le sac à dos est alors protégé par des mesures juridiques incontournables pour un chien renifleur ou pour toute autre personne ou dispositif sans le consentement de la personne visée ou sans un mandat judiciaire autorisant la fouille. Cependant, si ce moyen de défense échoue, comme cela a été le cas aux États‑Unis, le citoyen ne pourra pas bénéficier, contre l’utilisation de chiens renifleurs, de la protection prévue à l’art. 8.
[53] Ces positions opposées offrent une solution du tout ou rien — c’est‑à‑dire que l’activité est entièrement réglementée par une procédure constitutionnelle rigide ou qu’elle n’est absolument pas réglementée — qui semble incompatible avec l’approche fondée sur le « caractère raisonnable » qui devrait offrir une réponse plus nuancée. Cet argument a été notoirement avancé par le professeur Anthony G. Amsterdam dans un article rédigé, il y a plus d’une trentaine d’années, au sujet du Quatrième Amendement aux États‑Unis :
[traduction] Alors, le quatrième amendement est habituellement considéré monument monolithe : lorsqu’il restreint les mesures policières, il les soumet aux mêmes restrictions complètes qu’il impose à l’entrée dans des habitations. Chaque fois qu’une mesure policière est qualifiée de « fouille, de perquisition » ou de « saisie » au sens de l’amendement, ces restrictions s’appliquent. Par contre, si ces mesures ne sont pas ainsi qualifiées, elles ne font l’objet d’aucune restriction importante que ce soit. En vertu du quatrième amendement, seules les « fouilles, les perquisitions » ou les « saisies » doivent être raisonnables : les autres activités policières peuvent être aussi déraisonnables que la police peut le souhaiter.
(« Perspectives on the Fourth Amendment » (1973-1974), 58 Minn. L. Rev. 349, p. 388)
La Cour suprême des États‑Unis a finalement rejeté l’approche « tout ou rien » dans Terry c. Ohio, 392 U.S. 1 (1968), une affaire où il était question des « interpellations » faites sans mandat par des policiers se fondant sur des soupçons raisonnables (ce qu’on appelle les interpellations de type Terry). Cette approche a été acceptée au Canada dans Mann. La situation, évidemment, est différente en l’espèce. Les policiers n’avaient même aucune preuve qu’un crime avait été commis à l’école le 7 novembre 2002.
[54] Le professeur Katz a fait remarquer que l’approche suivie aux États‑Unis, [traduction] « écarte complètement de la protection qu’offre le quatrième amendement d’importantes atteintes à la vie privée parce qu’elles ne s’apparentent pas à des fouilles traditionnelles. Pourtant, ces atteintes à la vie privée contre lesquelles il n’existe aucune protection touchent des droits qu’une personne raisonnable vivant dans une société libre jugerait naturel de protéger » (L. R. Katz, « In Search of a Fourth Amendment for the Twenty‑first Century » (1989‑1990), 65 Ind. L.J. 549, p. 581). Au Canada, bien que dans certains cas des procédures administratives internes de nature non constitutionnelle peuvent s’appliquer à la police, [traduction] « les milieux policiers exercent des pressions considérables pour que ce domaine demeure non réglementé » (M. Rosenberg, « Controlling Intrusive Police Investigative Techniques Under Section 8 » (1991), 1 C.R. (4th) 32, p. 43. Les professeurs Coughlan et Gorbet ont écrit ce qui suit :
[traduction] S’il n’existe aucune attente raisonnable en matière de vie privée, il n’existe aucune fouille ou perquisition, aucune protection en vertu de l’art. 8 ni aucune possibilité d’examen judiciaire. Il n’y a aucun tribunal auquel s’adresser pour obtenir la pondération d’intérêts opposés : cette possibilité est disparue au tout début du processus.
(S. Coughlan et M. S. Gorbet, « Nothing Plus Nothing Equals . . . Something? A Proposal for FLIR Warrants on Reasonable Suspicion » (2005), 23 C.R. (6th) 239, p. 241; voir aussi S. Coughlan, « Privacy Goes to the Dogs » (2006), 40 C.R. (6th) 31.)
[55] Je ne crois pas que la solution du ministère public consistant à soustraire complètement les chiens renifleurs à l’application des dispositions constitutionnelles soit compatible avec notre jurisprudence qui reconnaît que, au regard de la Charte, le besoin de voir respecter la vie privée « peut varier selon la nature de ce qu’on veut protéger, les circonstances de l’ingérence de l’État et l’endroit où celle‑ci se produit, et selon les buts de l’ingérence » (R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20, p. 53), comme je l’explique dans l’analyse plus approfondie qui suit.
D. La thèse du ministère public
[56] Il convient à ce stade de rappeler l’argument du ministère public qui affirme que ce qui a été fait en l’espèce n’avait aucunement un caractère abusif. L’enquête de la police a commencé lorsque les chiens ont humé de manière relativement discrète les odeurs émanant de trois salles de classe et de certains casiers et, finalement, du petit gymnase où se trouvait une pile de sacs à dos. Contrairement à M. (M.R.), la preuve n’indique nullement qu’il y a eu fouilles corporelles. Le ministère public signale qu’une école est un milieu réglementé et que les élèves le savent. Il est important que les écoles soient exemptes de drogues pour assurer la sécurité des personnes qui s’y trouvent et favoriser l’apprentissage. Les chiens renifleurs ne hument que l’air ambiant; ils ne fouillent pas directement avec leurs museaux dans les sacs à dos des élèves; les maîtres‑chiens ne fouillent pas non plus dans les sacs. La seule information que transmet le chien au sujet du contenu des sacs est la présence d’une drogue illégale, et on a répété à de multiples reprises aux élèves que la drogue est interdite en vertu d’une politique de tolérance zéro. Selon le ministère public, l’élève n’a aucune attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard des articles interdits. J’ai déjà mentionné que ces arguments ont trouvé un accueil favorable aux États‑Unis : United States c. Place, 462 U.S. 696 (1983); United States c. Jacobsen, 466 U.S. 109 (1984), et Illinois c. Caballes, 543 U.S. 405 (2005).
[57] Dans Place, la juge O’Connor, au nom des juges majoritaires, a indiqué dans une remarque incidente que la recherche d’une odeur par un chien est sui generis parce qu’elle [traduction] « révèle uniquement la présence ou l’absence de stupéfiants, un article interdit » (p. 707). À son avis, l’intervention du chien ne constituait donc pas une « fouille » au sens du Quatrième Amendement. Souscrivant au résultat, le juge Blackmun a indiqué que l’intervention du chien pouvait constituer une fouille « peu envahissante » pouvant se justifier en présence de soupçons raisonnables (p. 723).
[58] Dans Jacobsen, des agents fédéraux ont saisi une poudre blanche qui s’échappait d’un colis en transit et ont déterminé qu’il s’agissait de cocaïne. Le juge Stevens, au nom des juges majoritaires, a conclu que la fouille et la saisie de la cocaïne étaient raisonnables et ne contrevenaient pas au Quatrième Amendement parce que [traduction] « la conduite d’agents du gouvernement qui peut révéler si une substance est de la cocaïne, et aucun autre fait qui serait d’ordre “privé” , ne compromet aucun droit légitime au respect de la vie privée » (p. 123).
[59] Dans Caballes, un policier de l’Illinois a intercepté un conducteur, Caballes, pour excès de vitesse. Lorsque le policier a communiqué par radio avec le répartiteur pour signaler l’interception, un deuxième policier s’est rendu sur les lieux avec un chien renifleur. Pendant que le premier policier rédigeait un avertissement, le deuxième a fait le tour du véhicule avec son chien qui a réagi quand il s’est approché du coffre arrière. Se fondant sur la réaction du chien, les policiers ont fouillé le coffre, y ont trouvé de la marijuana et ont arrêté Caballes. Les juges majoritaires de la Cour suprême des États‑Unis ont statué que l’utilisation du chien renifleur ne violait pas le Quatrième Amendement. L’interception reposait sur une cause probable et était légitime. Sa durée n’était pas excessive. De l’avis des juges majoritaires, l’utilisation d’un chien renifleur, qui ne révèle pas la présence d’articles permis qui autrement resteraient cachés à la vue du public, ne touchait pas des droits légitimes en matière de vie privée.
[60] Le ministère public appuie naturellement l’approche suivie aux États‑Unis. Ses arguments peuvent être articulés autour des questions suivantes :
(i) Dans quelle mesure les élèves peuvent‑ils raisonnablement s’attendre au respect de leur vie privée en ce qui concerne le contenu de leurs sacs à dos, en particulier en milieu scolaire?
(ii) Y a‑t‑il eu fouille du contenu des sacs à dos lorsque le chien les a flairés?
(iii) Une norme intermédiaire de soupçons raisonnables s’applique‑t‑elle?
(iv) Une autorisation judiciaire préalable était‑elle requise en l’espèce?
(v) Les élèves ont‑ils été illégalement détenus?
(vi) S’il y a violation des art. 8 ou 9 de la Charte, les éléments de preuve devraient‑ils être écartés en vertu du par. 24(2)?
E. Dans quelle mesure les élèves peuvent‑ils raisonnablement s’attendre au respect de leur vie privée à l’égard de leurs sacs à dos?
[61] Les tribunaux canadiens ont accepté comme correcte l’idée que l’art. 8 protège « les personnes et non les lieux ». En quittant le foyer, les personnes ne laissent pas de côté leurs attentes raisonnables en matière de vie privée concernant leur propre personne ou les biens qu’elles portent dissimulés sur elles, même si ces attentes peuvent devoir être modifiées selon l’endroit où elles vont et le « lieu » où elles peuvent se trouver.
[62] Les sacs à dos dont émanait l’odeur en l’espèce appartenaient à plusieurs élèves, dont l’accusé. Comme les serviettes, les sacs à main et les valises, les sacs à dos contiennent beaucoup d’effets personnels; c’est notamment le cas pour les personnes qui, en raison de leur style de vie, ont à effectuer de nombreux déplacements pendant la journée, par exemple les élèves et les voyageurs. Il n’y a aucun doute que les hommes et les femmes d’affaires ordinaires qui utilisent les transports en commun ou les ascenseurs des tours à bureaux seraient outrés si on laissait entendre que la police pourrait inspecter au hasard le contenu de leurs serviettes même en l’absence de « soupçons raisonnables » qu’un acte illégal est commis. En raison du rôle qu’ils jouent dans la vie des élèves, les sacs à dos exigent objectivement une certaine mesure de respect de la vie privée.
[63] L’accusé n’ayant pas témoigné, c’est à partir des circonstances qu’il faut déduire s’il avait une attente subjective en matière de vie privée en ce qui concerne son sac à dos. Certes, les adolescents ne s’attendent pas vraiment à ce que leur vie privée échappe aux regards attentifs et aux fouilles de leurs parents, mais j’estime qu’il est évident qu’ils s’attendent à ce que la police ne puisse pas, en se fondant sur des conjectures, procéder au hasard à l’examen du contenu de leurs sacs à dos. Il s’agit d’une attente raisonnable à laquelle la société devrait être favorable.
[64] L’argument contraire du ministère public selon lequel les élèves ont à l’égard de leurs sacs à dos une attente réduite en matière de vie privée et les policiers peuvent par conséquent fouiller ces sacs même en l’absence de soupçons, repose sur trois éléments :
(1) les élèves savent que l’école est un milieu étroitement surveillé et réglementé;
(2) il ne peut exister de droit à la vie privée sur la couche d’air entourant les sacs à dos;
(3) l’intervention du chien renifleur vise à détecter la présence de drogues illégales et la possession d’articles interdits n’est pas un droit à la vie privée protégé par la Constitution.
Je vais examiner brièvement chacun de ces éléments à tour de rôle.
(1) Les élèves savent que l’école est un milieu étroitement surveillé et réglementé
[65] Ainsi qu’on l’a fait remarquer dans M. (M.R.), si les élèves ont vis‑à‑vis les autorités scolaires une attente moindre en matière de vie privée pendant qu’ils sont à l’école, cette attente existe toutefois et les élèves n’y ont pas renoncé (même à l’égard de la direction de l’école) lorsqu’ils ont laissé leurs sacs à dos dans le gymnase. Dans R. c. Buhay, [2003] 1 R.C.S. 631, 2003 CSC 30, notre Cour a statué que M. Buhay n’avait pas renoncé au droit à la vie privée applicable à son sac de voyage lorsqu’il l’a laissé dans un casier loué dans une gare d’autobus. La Cour a souligné que la location du casier avait été payée et que le casier était verrouillé. Elle a fait une analogie avec une chambre d’hôtel (par. 23). Ainsi, on retrouvait dans Buhay des éléments du droit à la vie privée plus solides que ceux présents en l’espèce. Toutefois, en l’espèce comme dans Buhay, les personnes en cause voulaient préserver le caractère privé de leurs effets personnels dans toute la mesure que le permettaient les circonstances et leurs activités. Ainsi que notre Cour l’a statué dans M. (M.R.), cette attente en matière de vie privée ne disparaît pas parce que les autorités scolaires peuvent, à l’occasion, ne pas en tenir compte. « L’attente en matière de vie privée est de nature normative et non descriptive » (Tessling, par. 42).
(2) L’air ambiant peut‑il faire l’objet d’un droit à la vie privée?
[66] Je ne pense pas que l’arrêt Tessling soit très utile au ministère public en l’espèce. Comme dans Tessling, il s’agit dans la présente affaire d’émanations provenant d’un objet exposé à la vue du public et un humain ne peut les détecter avec ses seuls sens. Toutefois, contrairement à Tessling, l’information fournie par un chien renifleur dressé pour réagir à la présence de drogues contrôlées est complètement différente de celle que transmet une image FLIR en ce qu’elle permet très certainement de tirer des inférences au sujet du contenu précis de la source qui intéresse la police. Dans le cadre de l’opération Jetway, dont il est question dans Kang‑Brown, une réaction positive d’un chien renifleur a été considérée en soi par les policiers comme un motif raisonnable et probable de procéder à une arrestation. Ce n’est toutefois pas l’air ambiant de l’espace public que flaire le chien, mais ce qui est dissimulé dans un sac à dos. Suivant le jargon employé dans Kyllo (p. 46), le chien qui détecte une odeur est assimilable à une technique permettant de voir « à travers les murs », alors que dans Tessling, notre Cour a statué que la technologie FLIR pouvait simplement indiquer « que certaines activités à l’intérieur de la maison génèrent de la chaleur. Cela ne suffit pas pour donner ouverture à l’application de la garantie constitutionnelle » (par. 62).
[67] Le ministère public soutient qu’en l’espèce, comme dans Tessling et Plant, l’information obtenue ne fait pas partie d’un « ensemble de renseignements biographiques d’ordre personnel », c’est‑à‑dire qu’elle ne révèle pas sur le mode de vie de l’accusé des détails intimes qu’il a le droit de protéger. Cependant, les arrêts Tessling et Plant reposaient sur la conclusion que l’information avait déjà échappé à la possession et au contrôle du suspect. Dans Plant, les dossiers de consommation d’électricité avaient été préparés par un tiers (la compagnie d’électricité); dans Tessling, l’information concernant la chaleur émanant d’une maison ne pouvait tout simplement pas être contrôlée, ainsi que peut le confirmer tout vendeur d’isolation thermique arpentant une rue au Canada après une chute de neige. En l’espèce, les tiers ignoraient quel secret coupable contenait le sac à dos de l’accusé. Il s’agissait d’une information précise et significative, destinée à être tenue secrète, et dissimulée dans un espace fermé à l’égard duquel l’accusé avait une attente permanente en matière de vie privée. En se servant du chien, le policier a pu « voir » à travers le tissu opaque du sac à dos.
[68] Dans Dyment, Plant et Tessling, les diverses catégories de « renseignements » (y compris les « renseignements biographiques d’ordre personnel ») ont servi de moyen d’analyse utile et non de moyen de classification qui doit être déterminant pour l’analyse du droit à la vie privée sur les renseignements personnels. Ce ne sont pas tous les renseignements ne satisfaisant pas au critère des « renseignements biographiques d’ordre personnel » qui sont accessibles à la police. L’écoute électronique permet de capter les signaux électriques qui émanent d’une maison; pourtant, on a considéré que de telles communications sont privées, qu’elles dévoilent ou non des renseignements « biographiques » : R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30; R. c. Wiggins, [1990] 1 R.C.S. 62, et R. c. Thompson, [1990] 2 R.C.S. 1111. On reconnaît qu’il faut préserver la confidentialité de ces renseignements parce que les personnes qui les communiquent veulent raisonnablement qu’ils restent privés : R. M. Pomerance, « Shedding Light on the Nature of Heat : Defining Privacy in the Wake of R. v. Tessling » (2005), 23 C.R. (6th) 229, p. 234‑235.
(3) Peut‑il exister à l’égard d’articles interdits un droit légitime en matière de vie privée?
[69] Le ministère public affirme que, même si les effets personnels peuvent, de façon générale, faire l’objet d’un droit à la vie privée, il ne peut exister à l’égard des articles interdits un droit légitime en matière de vie privée. Cet argument comporte un glissement de sens en vertu duquel l’« attente raisonnable » en matière de vie privée se transforme en attente « légitime » en matière de vie privée. Les procureurs généraux demandent à la Cour de souscrire aux conclusions suivantes de la Cour suprême des États‑Unis dans Place (p. 707) et Caballes (p. 411) :
[traduction] étant donné qu’elle révèle simplement la présence d’articles dépourvus d’un usage légal, l’utilisation d’un chien renifleur « ne touche aucun droit légitime à la vie privée » et ne doit pas être considérée comme une fouille.
Aux États‑Unis, le refus de reconnaître la protection d’un droit à la vie privée dans des cas où des chiens renifleurs avaient été utilisés a eu parfois de graves répercussions. Dans Doe c. Renfrow, 631 F.2d 91 (7th Cir. 1980), lors d’une descente de police dans une école, des chiens renifleurs ont flairé les effets personnels de 2 780 élèves alors que la police ne disposait d’aucune information précise quant aux drogues, aux articles interdits, aux transactions ou aux événements en cause, ou quant à la présence de trafiquants de drogue sur les lieux. Dans son jugement dissident, le juge Swygert a rappelé les faits suivants (p. 93) :
[traduction] Chaque élève a reçu pour consigne de placer ses effets personnels bien en vue et de mettre les mains sur son pupitre. Les filles ont mis leur sac à main sur le plancher, entre leurs pieds. Les équipes effectuant la fouille se sont déplacées de salle en salle, allant d’un pupitre à un autre. Un chien renifleur est passé devant chaque élève dont les effets ont été inspectés et examinés au moins une fois par une équipe formée de policiers et de membres du personnel de l’école. L’ambiance particulière existant à l’école est ressortie encore davantage lorsque des représentants de la presse et d’autres médias d’information, qui avaient été invités par les autorités scolaires, ont pénétré dans l’école et les classes pendant la perquisition et ont observé son déroulement.
En fin de compte, le chien a réagi devant la demanderesse dans cette affaire parce que celle‑ci avait joué le matin même de la perquisition avec l’un de ses propres chiens qui était en chaleur.
[70] Je pense que les commentaires du juge La Forest dans Wong, p. 50, ont tranché cet aspect de la preuve du ministère public :
. . . ce serait une erreur de supposer qu’on doive en pareilles circonstances se demander si les personnes qui commettent des actes illégaux dans une chambre d’hôtel verrouillée peuvent raisonnablement s’attendre au respect de leur vie privée. La question devrait plutôt être posée en termes plus généraux et plus neutres de sorte que l’on se demande plutôt si dans une société comme la nôtre, les personnes qui se retirent dans une chambre d’hôtel et qui ferment la porte derrière elles peuvent raisonnablement s’attendre au respect de leur vie privée.
[71] Aux États‑Unis, de nombreux juges continuent de préconiser des droits plus étendus au respect de la vie privée. Le juge Brennan (avec l’appui du juge Marshall) a fait la mise en garde suivante dans son jugement dissident dans Jacobsen, p. 138 :
[traduction] . . . en vertu de l’analyse faite par la Cour dans ces affaires, des policiers pourraient laisser un chien dressé pour détecter la cocaïne — pour paraphraser la Cour d’appel de la Californie, un « chien connaisseur en cocaïne » — parcourir les rues au hasard, leur indiquant par ses réactions les personnes en possession de cocaïne. Cf. People c. Evans, 65 Cal. App. 3d 924, 932, 134 Cal. Rptr. 436, 440 (1977). Ou, si l’on mettait au point un dispositif qui, lorsqu’il est pointé sur une personne, détecterait instantanément la présence de cocaïne, le Quatrième Amendement ne pourrait, selon le raisonnement de la Cour, empêcher la police d’installer un tel dispositif au coin d’une rue et de scanner tous les passants. En fait, l’analyse de la Cour impose tellement peu de limites que si l’on inventait un dispositif permettant de détecter, à partir de l’extérieur d’un immeuble, la cocaïne qui s’y trouve, aucun obstacle d’ordre constitutionnel n’empêcherait les policiers de parcourir des quartiers résidentiels en voiture et d’utiliser le dispositif pour déterminer toutes les maisons où se trouve de la drogue. Bref, en vertu de l’interprétation du Quatrième Amendement proposée pour la première fois dans Place et appliquée pour la première fois en l’espèce, ces techniques de surveillance ne constitueraient pas des fouilles ou des perquisitions et pourraient donc être utilisées en tout temps et en tout lieu, au gré des policiers. C’est pourquoi à un certain moment dans le futur, si la Cour s’en tient à la théorie adoptée aujourd’hui, les mandats de perquisition, la cause probable et même les « soupçons raisonnables » pourraient bien devenir des notions du passé.
Dans Caballes, ainsi que je l’ai déjà indiqué, la Cour suprême des États‑Unis a statué que l’utilisation, au cours d’un simple contrôle routier, d’un chien dressé pour détecter les stupéfiants, en l’absence de tout soupçon d’un lien entre le conducteur et le trafic de drogue, ne mettait pas en cause des droits légitimes au respect de la vie privée. Le juge Ginsburg, dissident, (avec l’appui du juge Souter) a affirmé ce qui suit à la p. 422 :
[traduction] En vertu de la décision rendue aujourd’hui, tout contrôle routier pourrait devenir l’occasion d’avoir recours aux chiens, provoquant désarroi et embarras pour les citoyens respectueux des lois.
. . .
. . . Les automobilistes n’auraient non plus aucun motif d’ordre constitutionnel de déposer une plainte si des policiers accompagnés de chiens s’installaient près des feux de circulation et faisaient le tour des véhicules en attendant que le feu rouge passe au vert.
Voir aussi K. Lammers, « Canine Sniffs : The Search That Isn’t » (2005), 1 N.Y.U. J.L. & Liberty 845, p. 849‑850.
[72] Ainsi que l’a statué notre Cour dans Wong, l’accent ne devrait pas être mis sur l’objet de la fouille mais plutôt sur l’endroit où celle‑ci a lieu et sur ses répercussions éventuelles sur la personne visée par celle‑ci. De même, dans Jacobsen, le juge Brennan (avec l’appui du juge Marshall) a fait remarquer ce qui suit dans son jugement dissident :
[traduction] Pour déterminer s’il y a eu violation d’une attente raisonnable en matière de vie privée, nous avons toujours examiné le contexte dans lequel un article est caché et non la nature même de l’article caché. C’est ainsi que dans des affaires où il était question de perquisitions visant à trouver des éléments matériels, la Cour a axé son analyse tout d’abord sur l’attente en matière de vie privée qui existe normalement à l’endroit où se trouve l’article et finalement sur la légitimité d’une telle attente. [. . .] Le fait que des articles interdits soient présents dans un contenant, ce qui se produit habituellement dans les cas de ce genre, n’a jamais modifié notre analyse. [p. 139]
Bien que ces observations aient été faites dans des motifs dissidents, il me semble qu’elles mettent l’accent là où il doit être, c’est‑à‑dire sur la personne, sur le lieu ou sur l’objet visés par la fouille ainsi que sur le but de celle‑ci. La découverte après coup d’articles interdits ne devrait pas excuser une fouille effectuée en l’absence de tout soupçon. La fin ne justifie pas les moyens. Le recours non réglementé à des chiens renifleurs suscite le problème très réel des faux positifs, c’est‑à‑dire ces cas où la réaction d’un chien s’avère erronée ou est mal interprétée par le maître‑chien et cause des inconvénients et de l’embarras au citoyen respectueux de la loi.
[73] Par conséquent, je ne puis accepter l’argument du ministère public selon lequel le droit raisonnable de A.M. au respect de sa vie privée en ce qui concerne son sac à dos ne s’appliquait qu’aux articles permis qui s’y trouvaient et excluait tous les articles interdits. Au contraire, je crois que A.M. serait resté indifférent si les policiers avaient trouvé dans son sac une pomme polie pour son enseignant. Il s’inquiétait beaucoup plus de la découverte de drogues illicites. Dans des arrêts antérieurs, notre Cour a reconnu l’existence d’un droit légitime à la vie privée dans une maison malgré la présence d’une drogue (R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8, par. 42), ainsi que le caractère privé d’un bureau malgré la présence de documents incriminants (Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, p. 517‑519; R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, p. 641 et suiv.) et d’une automobile malgré la découverte d’éléments de preuve incriminants (Wise, p. 533) ou de drogues (R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615). Dans Buhay, par. 21, notre Cour a reconnu le droit à la vie privée d’un accusé sur le contenu d’un sac de voyage trouvé dans un casier dans une gare d’autobus malgré la présence de marijuana. Il n’y a aucune raison pour laquelle le droit à la vie privée d’un élève à l’égard de son sac à dos ne devrait pas être respecté de la même manière, malgré la présence d’articles interdits.
[74] Cependant, il importe de signaler que l’intervention du chien indique simplement la présence d’articles illégaux et ne révèle pas la nature ou l’existence d’autres effets personnels. Cela pèse lourd pour déterminer s’il y a absence de caractère raisonnable parce que, contrairement à la fouille par palpation, l’utilisation d’un chien renifleur constitue une atteinte étroitement ciblée du droit à la vie privée du suspect.
F. L’intervention du chien constituait une « fouille » du contenu des sacs à dos des élèves
[75] L’utilisation du chien pour « flairer » les sacs à dos des élèves constituait une fouille. Ainsi que les policiers l’ont expliqué au procès, la seule raison de leur présence à l’école secondaire St. Patrick’s était d’y effectuer une « fouille au hasard » à la recherche de drogues. Ils n’avaient à ce moment‑là aucun motif de soupçonner qu’un crime avait été commis ou était sur le point de l’être. Ils ont amené avec eux un chien qu’ils avaient spécialement dressé pour améliorer l’efficacité de leur « fouille ».
[76] Le procureur général du Canada soutient que [traduction] « en ce qui concerne la détection des odeurs ou senteurs, les chiens font la même chose que les humains, mais ils le font tout simplement mieux » (mémoire, par. 3). Je ne pense pas que cette tentative de prêter des attitudes humaines aux chiens renifleurs soit convaincante. Les chiens ont une capacité que ne possèdent pas les êtres humains. Un appareil ou un dispositif permettant de détecter les odeurs (par exemple un détecteur de fumée) offre une meilleure analogie, si ce n’est que la performance des chiens, qui sont des créatures vivantes, varie davantage que celle des appareils. On ne peut pas considérer que le chien qui recherche une odeur constitue un phénomène isolé, sans lien avec la conduite plus générale des policiers. Je ne pense pas qu’il soit plausible pour le ministère public de faire valoir à la fois que l’utilité du chien renifleur réside dans la détection rapide et fiable de drogues illicites dissimulées dans un sac à dos mais que le résultat n’est pas une fouille. Cette absence de vraisemblance ressort également dans Kang‑Brown, où le ministère public soutient à la fois que l’utilisation du chien renifleur ne constituait pas une fouille du sac du suspect, mais que l’information obtenue grâce à cette méthode au sujet du contenu du sac a été jugée suffisante pour que la GRC décide d’arrêter le suspect sans avoir jamais jeté un coup d’œil dans le sac lui‑même.
G. Les tribunaux et le législateur ont déjà adopté un critère intermédiaire de « soupçons raisonnables » applicable dans certains cas
[77] Il convient évidemment de faire preuve de prudence à l’égard de la proposition selon laquelle les fouilles à l’aide de chiens renifleurs devraient être autorisées lorsqu’il existe des soupçons raisonnables, fondés sur des motifs objectifs, plutôt qu’une « croyance raisonnable » retenue, compte tenu des faits, dans l’arrêt Hunter c. Southam. Notre Cour a utilisé la norme des « soupçons » raisonnables pour autoriser l’intervention de la police dans le contexte d’une détention aux fins d’enquête (Mann et R. c. Clayton, [2007] 2 R.C.S. 725, 2007 CSC 32), de la provocation policière (R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903, p. 964‑965) et, ainsi que je l’ai déjà mentionné, comme justification de la fouille d’un étudiant par des autorités scolaires dans M. (M.R.). Le législateur a adopté la norme des « soupçons raisonnables » à l’égard des fouilles ou perquisitions effectuées à des endroits où l’attente en matière de vie privée est moindre, comme c’est le cas lors du passage à la frontière (par exemple la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, ch. 1 (2e suppl.), art. 98 (la fouille d’un individu sur le point de sortir du Canada, d’une personne arrivée récemment au Canada ou d’une personne qui se trouvait dans la zone des départs et qui quitte cette zone mais non le Canada) et art. 99.2 (lorsque l’on soupçonne qu’une personne dissimule sur elle ou près d’elle des objets interdits)). Une norme de soupçons raisonnables a également été insérée dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 49 (fouille par palpation d’un détenu soupçonné d’avoir en sa possession un objet interdit). L’article 254 du Code criminel (autorisant l’utilisation d’un « appareil de détection approuvé » pour déceler « la présence d’alcool dans le sang ») offre lui aussi une certaine analogie législative hors du contexte des passages à la frontière et de la prison parce qu’il permet également une fouille peu envahissante, sans mandat, si le policier a des soupçons raisonnables.
[78] Le législateur utilise également le concept des « soupçons raisonnables » lorsqu’il est d’avis que l’objectif d’intérêt public l’emporte sur le droit de l’individu au respect de sa vie privée, comme c’est le cas dans la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17, notamment au par. 15(1) (fouille de personnes), au par. 16(1) (fouille d’un moyen de transport), au par. 16(2) (fouille des bagages) et au par. 17(1) (examen du courrier).
[79] La validité de certaines de ces dispositions législatives est contestée devant les tribunaux et les circonstances particulières de chaque cas devront être examinées en temps et lieu. Je dis simplement que les « soupçons raisonnables » constituent une norme juridique reconnue tant par le législateur que par les tribunaux lorsqu’ils l’ont jugé appropriée.
[80] Évidemment, si l’on considère que les « soupçons raisonnables » ne constituent rien d’autre qu’une norme subjective, cela pourrait entraîner, ainsi que le craignent certains critiques, des abus donnant lieu à des mesures policières arbitraires et au profilage racial. Sur le plan pratique, l’obligation éventuelle de rendre des comptes a posteriori ne sera d’aucune utilité pour de nombreuses personnes innocentes placées dans une situation embarrassante après de fausses indications positives. Cependant, les « soupçons raisonnables » exigent que le policier appuie sa conviction subjective sur des indications objectives vérifiables, comme le précisent les motifs de cette Cour dans Kang‑Brown ainsi que ceux de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans R. c. Lal (1998), 113 B.C.A.C. 47. Le problème ne se pose pas en l’espèce parce que le juge du tribunal pour adolescents a conclu que les policiers ne pouvaient avoir même des soupçons raisonnables.
[81] Pourquoi devrait‑on appliquer la norme moins rigoureuse des soupçons raisonnables? Comme ce fut le cas dans Mann, il faut établir un juste équilibre entre les intérêts opposés en cause. Premièrement, la fouille, si elle est effectuée correctement, n’exige aucun contact physique de la personne avec l’objet que flaire le chien. En l’espèce, le chien était dressé pour réagir de façon « active » en touchant l’objet fouillé (d.a., p. 75‑76), mais cela n’est pas essentiel. Ce facteur est important pour faire la distinction entre une fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur et l’entrée dans un lieu privé.
[82] En permettant à la police d’agir, dans le cadre de l’art. 8, en se conformant à une norme « intermédiaire », soit celle des soupçons raisonnables, il sera possible pour trancher la question du comportement inapproprié d’un chien ou de policiers de tenir compte du fait que, même si le recours à un chien renifleur est effectivement autorisé par la loi, la fouille effectuée dans ce cas donné était abusive, par exemple parce que le chien n’était pas correctement dressé ou pas assez obéissant, et constituait donc, suivant le troisième volet de l’arrêt Collins, une violation de la Charte permettant d’écarter les éléments de preuve obtenus.
[83] Deuxièmement, comme je l’ai expliqué, la capacité de communiquer d’un chien se limite à réagir positivement ou à ne pas réagir du tout. Contrairement à ce qui se produit dans le cas de l’écoute électronique ou d’une fouille physique, la police n’obtient pas au sujet du suspect beaucoup de renseignements qui ne sont pas pertinents à son enquête en matière de drogues. Le suspect a un droit au respect de sa vie privée en ce qui concerne l’endroit où les drogues sont dissimulées, mais le fait que l’utilisation d’un chien ne révélera rien d’autre que la présence de drogues illégales dans ce lieu privé joue en faveur de l’application de la norme des soupçons raisonnables.
[84] Troisièmement, la preuve indique en l’espèce que le chien renifleur Chief a une fiabilité enviable. Évidemment, les capacités individuelles des chiens, qui sont des créatures vivantes, varient de l’un à l’autre. Alors que les fausses indications positives sont probablement rares dans le cas de Chief, ce n’est pas le cas de tous les chiens. Les épreuves auxquelles sont soumis les chiens et leurs dossiers individuels constitueront un élément essentiel pour établir le caractère raisonnable d’une fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur.
[85] Le ministère public accorde beaucoup d’importance à ce qu’il appelle les statistiques pertinentes au taux de détection, c’est‑à‑dire la détermination avec succès de l’endroit où se trouvent les drogues lors de fouilles effectuées à la suite de la réaction d’un chien (vraies indications positives); toutefois, pour la Cour, c’est le nombre de fausses indications positives qui est préoccupant. Du point de vue de la police, il est préférable qu’un chien ne réussisse à détecter que la moitié des stupéfiants présents au lieu de n’en détecter aucun. Du point de vue de la population en général, un chien qui réagit à tort la moitié du temps soulève de sérieuses inquiétudes au sujet de la violation de la vie privée de personnes innocentes.
[86] Dans son article intitulé « An Examination of the Training and Reliability of the Narcotics Detection Dog » (1996‑1997), 85 Ky. L.J. 405, Robert Bird prétend que nombreux sont les chiens qui conservent [traduction] « un dossier presque parfait en matière de détection des stupéfiants » (p. 406). Cependant, dans son jugement dissident dans Caballes, le juge Souter fournit une liste utile de certaines décisions rendues aux États‑Unis dans lesquelles les faits indiquaient un résultat différent :
[traduction] Le chien infaillible est toutefois une fiction juridique. Bien que la Cour suprême de l’Illinois n’ait pas abordé la question de la moyenne de fiabilité des chiens détecteurs de stupéfiants, leur supposée infaillibilité est démentie par les opinions judiciaires décrivant des animaux bien dressés dont la fiabilité est loin d’être parfaite, que cela soit dû à des erreurs des maîtres‑chiens, aux limites des chiens eux‑mêmes ou encore à la contamination très répandue du papier‑monnaie par la cocaïne. [p. 411‑412]
Des études réalisées sur une vaste échelle montrent des écarts considérables dans la performance des chiens renifleurs, certains chiens donnant de fausses indications positives dans plus de 50 p. 100 des cas. Les données de la police au Canada ne semblent pas disponibles mais, en 2006, l’ombudsman de la Nouvelle‑Galles‑du‑Sud a publié un rapport contenant des données empiriques détaillées au sujet de l’utilisation de chiens renifleurs par la police depuis l’adoption de la Police Powers Act. Au cours de la période examinée, 17 chiens dressés pour détecter des drogues ont donné 10 211 indications au cours d’opérations générales visant à détecter des drogues. L’ombudsman a écrit ce qui suit :
[traduction] Presque toutes les personnes devant lesquelles avait réagi un chien dressé pour détecter les drogues ont par la suite été fouillées par la police, ainsi que le prévoit la politique de la police selon laquelle une telle réaction fournit à la police un soupçon raisonnable l’autorisant à fouiller une personne.
Des drogues prohibées n’ont été trouvées que dans 26 p. 100 des fouilles effectuées après une réaction du chien. C’est dire qu’environ les trois quarts de toutes les indications données par les chiens n’ont pas permis de trouver de drogues prohibées.
Le taux de détection de drogues variait d’un chien à un autre, allant de 7 p. 100 (de toutes ces indications) à 56 p. 100.
(NSW Ombudsman : Review of the Police Powers (Drug Detection Dogs) Act 2001 (2006), p. ii (je souligne).)
Voir aussi L. R. Katz et A. P. Golembiewski dans « Curbing the Dog : Extending the Protection of the Fourth Amendment to Police Drug Dogs » (2006‑2007), 85 Neb. L. Rev. 735.
[87] En outre, le chien ne révèle pas la présence de drogues. Il révèle la présence d’une odeur qui indique soit la présence de drogues, soit qu’il y a pu avoir des drogues qui ne sont plus là, soit que le chien se trompe tout simplement. L’odeur se fixe aux billets de banque et aux pièces de monnaie en circulation. L’utilisation de chiens renifleurs comporte de nombreuses variables.
[88] Je mentionne ces rapports contradictoires parce qu’il est important de ne pas considérer que la capacité et la fiabilité des chiens renifleurs sont interchangeables d’un chien à l’autre. Les chiens ne sont pas des dispositifs mécaniques ou chimiques. La police prétend avoir à sa disposition des chiens qui, comme Chief, ont une grande fiabilité et un faible taux de fausses indications positives. Si la légalité d’une fouille est contestée, la décision peut dépendre de la preuve soumise à la cour dans chaque cas au sujet du chien et de sa fiabilité démontrée. Ni la police ni les autres autorités gouvernementales ne sont justifiées de se fonder sur le « mythe du chien infaillible ». Les guides à l’intention des policiers exigent que le maître‑chien prenne en note la performance d’un chien (ou de l’équipe). Cet élément est accepté (ou devrait l’être) comme un aspect essentiel du travail du maître‑chien (voir S. Bryson, Police Dog Tactics (2e éd. 2000); R. S. Eden, K9 Officer’s Manual (1993)) et devrait être présenté dans le cadre de la preuve soumise au tribunal de première instance devant lequel on cherche à faire accepter un élément de preuve obtenu à l’aide d’un chien renifleur.
[89] L’argument que formulent les critiques en s’appuyant sur l’existence d’animaux inaptes ou qui ne sont pas suffisamment bien dressés ne devrait pas faire oublier qu’une fouille non envahissante effectuée par une équipe composée d’un chien et d’un maître‑chien dont la fiabilité est établie représente dans le cadre d’une enquête criminelle une étape qui, à mon avis, est moins importante qu’une fouille physique et qui peut reposer sur l’existence de soupçons raisonnables.
H. Un mandat judiciaire préalable est‑il nécessaire?
[90] Dans les cas de recours à un chien renifleur, les policiers sont généralement obligés de prendre rapidement des mesures en fonction des observations faites sur place. Dans les circonstances où cela se produit généralement, par exemple dans une gare d’autobus comme dans Kang‑Brown, il n’est pas possible de soumettre l’intervention du « chien renifleur » à une autorisation judiciaire préalable. Sans une « réaction » positive du chien, les policiers n’auraient aucun motif de poursuivre leur enquête après quelques questions du type de l’arrêt Mann, et encore moins de détenir le suspect. Tant le suspect que ses effets personnels suspects ne seraient plus là bien avant que la paperasse soit remplie ou que le télémandat puisse être traité (même si de telles mesures pouvaient être prises suivant la norme des « soupçons raisonnables »). Bien que le milieu scolaire pose des difficultés différentes, il n’en demeure pas moins que le Code criminel ne prévoit aucun mécanisme permettant d’obtenir un mandat sur le fondement de soupçons raisonnables et que le législateur n’envisage apparemment pas pour l’instant de régler ces questions. À mon avis, dans le contexte particulier des chiens renifleurs, l’exigence préalable de soupçons raisonnables fondés sur des faits objectifs et le contrôle judiciaire a posteriori assurent au public une protection suffisante pour satisfaire à l’exigence du « caractère raisonnable » prévu à l’art. 8. Une solution de compromis permet aux policiers d’utiliser leurs chiens selon la norme des « soupçons raisonnables » sans obtenir un mandat; en effet, s’il y a abus de cette procédure et que des fouilles sont effectuées avec des chiens renifleurs en l’absence de tout soupçon raisonnable fondé sur des faits objectifs, cela pourrait jouer contre l’admission des éléments de preuve.
[91] Il est clair en l’espèce que la fouille par le chien renifleur a été entreprise de façon abusive. Le juge du tribunal pour adolescents a conclu que la police ne pouvait avoir de soupçons raisonnables. Il a écrit ce qui suit :
[traduction] La fouille du 7 novembre 2002 a été effectuée en l’absence de tout motif raisonnable. Et ce, même si M. Bristo a déclaré lors de son témoignage que des voisins de l’école et des parents des enfants fréquentant celle‑ci avaient exprimé des inquiétudes qui auraient pu raisonnablement permettre de soupçonner qu’il y avait de la drogue à l’école. Aucune information de ce genre n’a été fournie à la direction de l’école ce jour‑là. Les informations auxquelles M. Bristo a fait allusion étaient toutes antérieures au jour en question. Jusqu’au moment où les policiers sont arrivés à l’école ce jour‑là, aucun des responsables de l’école ne savait qu’ils venaient. Une invitation générale avait été faite à la police quelque temps auparavant.
M. Bristo a déclaré qu’il croyait qu’il pouvait y avoir de la drogue à l’école ce jour‑là ou un autre jour. Il n’y a peut‑être pas lieu de s’étonner qu’il estime qu’on peut trouver en tout temps de la drogue à l’école. Bien qu’une certaine latitude doive être laissée aux autorités scolaires quant aux informations qui suscitent des motifs raisonnables, je ne crois pas que la Cour suprême ait eu l’intention dans M. (M.R.) de permettre qu’une supposition raisonnablement fondée sur l’expérience puisse constituer un motif raisonnable. [par. 15‑16]
Une « supposition raisonnablement fondée sur l’expérience » ne suffit pas non plus pour constituer un soupçon raisonnable. Le ministère public n’a pas démontré que la conclusion de fait du juge du tribunal pour adolescents était erronée. Je dois par conséquent conclure que, même si l’on peut effectuer sans mandat une fouille avec un chien renifleur lorsque l’existence de motifs d’avoir des soupçons raisonnables est démontrée, en l’espèce, la fouille des effets personnels des élèves par le chien renifleur a violé les droits garantis aux élèves par l’art. 8 de la Charte.
I. Les élèves ont‑ils été détenus illégalement?
[92] L’accusé prétend que, lorsque le directeur a dit aux élèves de rester dans leurs classes, il y a eu détention visée à l’art. 9. Je ne suis pas d’accord avec lui.
[93] Le directeur de l’école a annoncé, en se servant du système de diffusion publique de l’école, que la police était sur les lieux et il a de sa propre initiative informé le personnel et les élèves qu’ils devaient demeurer dans leurs classes jusqu’à ce que la police ait fini ses recherches (d.a., p. 3, 47 et 64). Il a fait cette annonce à la fois pour le bénéfice des policiers et de la population étudiante, [traduction] « afin que les chiens puissent faire leur travail et que les enfants sentent — que les enfants ne se trouvent pas dans les corridors » (d.a., p. 55). Le directeur a reconnu que son annonce devait faciliter le travail de la police, mais il a répété qu’elle avait été faite pour leur bénéfice [traduction] « mutuel » (d.a., p. 55). Il faudrait considérer l’annonce faite par le directeur de l’école comme une mesure prise, en vertu de la Loi sur l’éducation, pour maintenir l’ordre et la discipline dans l’école. Il ne s’agissait pas en soi d’une violation de la Charte.
J. Les éléments de preuve devraient‑ils néanmoins être admis en vertu du par. 24(2) de la Charte?
[94] L’agent Callander a déclaré qu’il s’était rendu à l’école St. Patrick’s pour effectuer une [traduction] « fouille au hasard » (d.a., p. 79). Il a reconnu que toute tentative d’obtenir un mandat de perquisition aurait constitué [traduction] « un exercice futile » (d.a., p. 88). Il n’était pas [traduction] « directement au courant » de la présence de drogues à l’école (d.a., p. 84) et il n’y avait aucune inquiétude quant à la sécurité de qui que ce soit (d.a., p. 84). Ma collègue la juge Deschamps écrit ceci :
Selon la preuve au dossier, la drogue était répandue à l’école. [. . .] Il [M. Bristo] a déclaré que [traduction] « on peut trouver en tout temps de la drogue à l’école » . . . [par. 104]
Cependant, au paragraphe que cite ma collègue, le juge du procès a conclu que les commentaires de M. Bristo ne représentaient rien de plus qu’une [traduction] « supposition raisonnablement fondée sur l’expérience » (par. 16). Le juge du procès n’a pas conclu que la drogue était répandue à l’école. Rien dans la preuve ne permettait de conclure que l’école St. Patrick’s avait plus de problèmes que d’autres écoles. Cela ne diminue en rien l’importance du trafic de drogue dans les écoles mais, avec égards, le juge du procès était en meilleure position que nous pour évaluer l’effet du témoignage de M. Bristo.
[95] Après avoir examiné attentivement les facteurs du par. 24(2) énoncés dans l’arrêt Collins, le juge du tribunal pour adolescents a conclu comme suit :
[traduction] Cette fouille était abusive dès le départ. Elle est complètement contraire aux exigences de la loi en ce qui concerne les fouilles ou perquisitions en milieu scolaire. Admettre les éléments de preuve équivaut en fait à dépouiller A.M. et tout autre élève se trouvant dans une situation similaire de son droit d’être protégé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Cela équivaut à dire que les personnes se trouvant dans la même situation que A.M. n’ont aucun droit. À mon avis, une telle conclusion est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice malgré les autres facteurs que j’ai évoqués. [par. 25]
[96] Dans Collins, le juge Lamer a statué que l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au juge du procès par le par. 24(2) est « enraciné dans les valeurs de la société » et ne peut être remis en question à moins qu’il ne soit fondé sur un mauvais principe ou exercé de manière déraisonnable (p. 283). Voir également R. c. Law, [2002] 1 R.C.S. 227, 2002 CSC 10, par. 32, Wise, p. 539, R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607, par. 68, et Buhay, par. 48.
[97] Le juge du tribunal pour adolescents a fait remarquer que la preuve de la présence de drogues existait indépendamment de la violation de la Charte et qu’étant donné qu’elle n’avait pas été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même, son admission ne compromettrait pas l’équité du procès (d.a., p. 10). Les éléments de preuve étaient essentiels pour la preuve avancée par le ministère public. De plus, compte tenu du milieu scolaire, [traduction] « cette violation doit être considérée parmi les moins graves » (d.a., p. 10). Aucune mauvaise foi ne pouvait être attribuée à la police ou à la direction de l’école (d.a., p. 11). Tous ces facteurs tendaient à favoriser l’admission des éléments de preuve malgré les violations de la Charte. Cependant, le fait que les recherches au hasard effectuées en l’espèce semblent constituer la pratique normale de la Police provinciale de l’Ontario et des corps policiers municipaux en Ontario ne favorisait pas l’admission des éléments de preuve. Les fouilles ne respectaient pas les règles énoncées quatre ans plus tôt par notre Cour dans M. (M.R.) ni les politiques adoptées par le conseil scolaire en vertu de la Loi sur l’éducation et en vertu desquelles il convient de faire appel à la police seulement [traduction] « lorsque nécessaire ou si le bien‑être de l’élève est en danger » (voir St. Clair Catholic District School Board Policies and Procedures : Section 3 : Students (2000), politique 3.10, p. 3). L’agent McCutchen a reconnu qu’il avait déjà participé à environ 140 fouilles ou perquisitions effectuées dans des écoles à l’aide de chiens renifleurs (d.a., p. 74). On peut donc dire que le non‑respect du droit des élèves est systémique. En fin de compte, après avoir pesé le pour et le contre, le juge du tribunal pour adolescents a conclu que [traduction] « on ne saurait considérer que l’application de la Charte peut être écartée pour des raisons pratiques. Bien que la présente affaire porte sur les droits de A.M., les droits de chacun des élèves de l’école ont été violés ce jour‑là puisque tous les élèves ont été soumis à une fouille abusive » (par. 25).
[98] Comme le juge Armstrong de la Cour d’appel de l’Ontario, je ne modifierais pas l’équilibre des droits opposés qu’a établi en l’espèce le juge du tribunal pour adolescents ni son exclusion des éléments de preuve. Les juges du tribunal pour adolescents ont des responsabilités particulières à l’égard des jeunes qui ont des problèmes avec la loi. Ils sont mieux informés que les juges d’appel au sujet de l’effet que l’admission ou l’exclusion de ces éléments de preuve pourrait avoir sur la réputation de l’administration de la justice dans la collectivité dont ils s’occupent quotidiennement. L’analyse du juge du procès était courte mais lucide. Je ne modifierais pas sa décision.
V. Dispositif
[99] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
Version française des motifs des juges Deschamps et Rothstein rendus par
[100] La juge Deschamps (dissidente) — La présence de drogues dans nos écoles est un problème social très grave. Afin de permettre aux élèves et au personnel enseignant d’évoluer dans un milieu sûr et propice à l’apprentissage, la présence de drogues illicites ne peut être tolérée dans les écoles. En l’espèce, pour faire appliquer la politique de tolérance zéro en matière de drogues d’une école secondaire, un chien renifleur a été utilisé pour détecter la présence de drogues dans un sac à dos laissé sans surveillance dans un gymnase vide de l’école. Même si les élèves et les parents avaient été informés de l’existence de la politique de tolérance zéro et si on avait eu recours à des chiens renifleurs dans le passé, l’intimé A.M. prétend que la preuve de la marijuana et de la psilocybine (les « champignons magiques ») qu’un chien renifleur de la police a permis de trouver dans son sac à dos devrait être écartée parce qu’elle a été obtenue de façon inconstitutionnelle.
[101] À mon avis, tant le juge du procès que la Cour d’appel de l’Ontario ont commis une erreur en n’examinant pas la question préliminaire de savoir si, en l’espèce, A.M. avait une attente raisonnable en matière de vie privée qui entraînait l’application de l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Selon moi, A.M. n’avait pas une telle attente. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.
[102] Le présent pourvoi a été entendu en même temps que R. c. Kang‑Brown, [2008] 1 R.C.S. 456, 2008 CSC 18; dans cette affaire, la police avait des motifs raisonnables de soupçonner qu’il serait possible de découvrir la preuve d’une infraction et a utilisé un chien renifleur pour vérifier les bagages d’un voyageur dans une gare d’autobus. Ces deux affaires soulèvent plusieurs questions communes. Cependant, contrairement au présent pourvoi, dans Kang‑Brown, les faits démontraient une attente raisonnable en matière de vie privée donnant lieu à l’application de l’art. 8 de la Charte ainsi que des soupçons raisonnables, de sorte que ce dernier arrêt se prête mieux à l’analyse juridique. C’est pourquoi, par souci de concision, les principales thèses juridiques invoquées dans les deux affaires sont exposées dans mes motifs dans Kang‑Brown.
1. Faits
[103] A.M. était un élève de l’école secondaire St. Patrick’s à Sarnia, en Ontario, une école qui a mis en vigueur une politique de tolérance zéro en matière de drogues. Le juge du procès a signalé que [traduction] « [l]es élèves sont au courant de la politique et ils savent également que, pour la faire appliquer, la direction de l’école peut demander l’intervention de policiers accompagnés de chiens renifleurs dressés pour détecter la présence de drogues » ((2004), 120 C.R.R. (2d) 181, 2004 ONCJ 98, par. 5). Les parents ont également été informés de la politique de tolérance zéro ainsi que de l’utilisation de chiens renifleurs pour la faire appliquer.
[104] Selon la preuve au dossier, la drogue était répandue à l’école. Des voisins de l’école et des parents des élèves la fréquentant avaient signalé la présence de drogues à l’école au directeur, M. Bristo. Plus précisément, M. Bristo a déclaré que des parents et des voisins lui avaient téléphoné pour l’informer qu’ils croyaient que des élèves se livraient à des activités liées à la drogue à l’extérieur de l’école; des parents lui auraient également dit qu’ils savaient que des élèves consommaient de la drogue et qu’ils [traduction] « craignaient que cela compromette la sécurité et l’ordre à l’école » (d.a., p. 50). En contre‑interrogatoire, M. Bristo a reconnu qu’on lui signalait régulièrement la présence de drogues à l’école. Il a déclaré que [traduction] « on peut trouver en tout temps de la drogue à l’école » (d.a., p. 8) et que certains élèves [traduction] « s’efforcent de cacher des objets aux abords de l’édifice ou de les dissimuler sur eux » (d.a., p. 46).
[105] Après être devenu directeur de l’école secondaire St. Patrick’s en septembre 2000, M. Bristo avait donné à la police une « invitation ouverte » à venir à l’école avec des chiens renifleurs si des chiens étaient disponibles (d.a., p. 2). Le juge du procès a affirmé que cette invitation avait été [traduction] « faite pour aider la direction de l’école à faire respecter la discipline » (d.a., p. 5).
[106] Entre septembre 2000 et novembre 2002, les policiers se sont présentés à quelques reprises à l’école avec leur chien renifleur pour vérifier s’il s’y trouvait des drogues illicites (d.a., p. 16). Ils ont alors arpenté les corridors, le stationnement et [traduction] « si le temps le permettait, ils sont même allés parfois dans des classes » (d.a., p. 45‑46).
[107] Le 7 novembre 2002, trois policiers ont encore une fois demandé la permission de vérifier la présence de drogues à l’école avec leur chien. M. Bristo leur en a immédiatement donné la permission. Afin de permettre aux policiers de faire leur travail, il s’est servi du système d’interphone de l’école pour ordonner aux élèves de demeurer dans leurs classes. Le chien était dressé pour chercher des personnes et détecter la présence de cinq types de stupéfiants : l’héroïne, la marijuana, le hachisch, la cocaïne épurée ou crack, et la cocaïne. La preuve n’indique pas que le chien soit entré dans des classes ou ait été en contact direct avec des élèves à cette occasion.
[108] Après être allés dans les aires de l’école qu’ils voulaient parcourir, les policiers ont demandé à M. Bristo s’il y avait d’autres endroits susceptibles de les intéresser. M. Bristo leur a indiqué un gymnase.
[109] Dans le gymnase, où ne se trouvait aucun élève, le chien a signalé au maître‑chien une odeur de drogues émanant d’un sac à dos qui se trouvait parmi d’autres sacs alignés près du mur. Le maître‑chien a remis le sac à dos à un autre policier qui l’a fouillé et y a trouvé cinq sacs de marijuana, dix champignons magiques (la psilocybine), des accessoires facilitant la consommation de drogues (une pipe, un briquet, du papier à cigarettes et un pince‑joint) ainsi qu’un portefeuille contenant une pièce d’identité de A.M.
[110] En application de la politique de tolérance zéro de l’école, A.M. a été suspendu pendant plusieurs jours. Il a également été accusé de possession de marijuana en vue d’en faire le trafic et de possession de psilocybine.
[111] A.M. a présenté en application du par. 24(2) de la Charte une demande visant à obtenir l’exclusion de la preuve relative à la marijuana et à la psilocybine au motif qu’il y avait eu violation du droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives que lui garantit l’art. 8. Fondant son analyse sur l’arrêt de notre Cour R. c. M. (M.R.), [1998] 3 R.C.S. 393, le juge Hornblower a d’abord examiné [traduction] « si les autorités de l’école agissaient en qualité de mandataires de la police » (par. 10). Ayant conclu que ce n’était pas le cas, il a immédiatement examiné la question du caractère raisonnable de la fouille. Il a estimé qu’étant donné qu’elle avait été effectuée sans autorisation judiciaire préalable, la fouille était abusive prima facie et que toute fouille du sac à dos de A.M. aurait dû être fondée sur des motifs raisonnables de croire qu’on y trouverait la preuve d’une infraction commise par A.M. Par conséquent, il a conclu qu’il y avait eu violation de l’art. 8 de la Charte. Le juge Hornblower a conclu que les éléments de preuve devaient être écartés en application du par. 24(2) de la Charte. Par conséquent, les accusations portées contre A.M. ont été rejetées.
[112] Au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, le juge Armstrong a estimé que l’utilisation de chiens renifleurs à l’école constituait une fouille sans mandat, effectuée au hasard. Il a reconnu que l’utilisation du chien constituait une fouille par la police et a affirmé qu’il y a eu fouille au sens de l’art. 8 lorsque le chien a senti le sac à dos de A.M. Selon le juge Armstrong, [traduction] « il convient de faire preuve à l’égard du sac à dos d’un élève d’un respect à tout le moins égal à celui qui s’impose à l’égard d’un porte‑documents appartenant à un adulte » ((2006), 79 O.R. (3d) 481, par. 49). Il a jugé que, parce qu’elle avait été effectuée sans mandat, la fouille était abusive prima facie. Le juge Armstrong a affirmé que ni la loi ni les politiques en vigueur à l’époque n’autorisaient les fouilles sans mandat effectuées au hasard. Il n’a trouvé aucune erreur dans la décision du juge Hornblower d’écarter les éléments de preuve. Par conséquent, il a rejeté l’appel et confirmé le rejet des accusations.
2. Questions en litige
[113] Dans le présent pourvoi, il s’agit de déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, il y a eu atteinte au droit de A.M. à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives garanti par l’art. 8 de la Charte et, dans l’affirmative, si la preuve obtenue devrait être écartée en application du par. 24(2) de la Charte.
3. Analyse
[114] La disposition de la Charte dont il est question dans le présent pourvoi prévoit ce qui suit :
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
[115] Après avoir résumé les principes juridiques applicables à la demande fondée sur l’art. 8, je les appliquerai à la présente affaire.
3.1 Principes juridiques applicables
[116] Ainsi que je l’ai déjà mentionné, j’ai expliqué de manière plus détaillée dans l’arrêt connexe Kang‑Brown mon interprétation des règles de droit applicables en l’espèce. Dans cet esprit, les principes juridiques fondamentaux permettant de trancher la présente demande fondée sur l’art. 8 peuvent être résumés comme suit :
(1) Pour déterminer si l’art. 8 s’applique, un accusé doit établir que son attente en matière de vie privée était raisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances. Le droit allégué en matière de vie privée doit être défini en termes généraux et neutres.
(2) Si l’art. 8 s’applique, il faut déterminer si la fouille, la perquisition ou la saisie était raisonnable. La poursuite doit démontrer que la fouille était autorisée par la loi, que la loi elle‑même n’avait rien d’abusif et que la fouille n’a pas été effectuée de manière abusive.
(3) Lorsqu’elle invoque les pouvoirs attribués à la police en common law pour justifier la fouille ou la perquisition, la poursuite doit démontrer a) que le policier a agi dans l’exercice d’une fonction légitime lorsqu’il a effectué la fouille, et b) que la fouille équivalait à un exercice justifiable du pouvoir policier lié à cette fonction.
(4) Les motifs que devrait avoir le policier pour que le tribunal conclue qu’une technique d’enquête particulière a été validement utilisée seront fonction de ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances. Les normes applicables peuvent aller de l’absence de motifs et des soupçons raisonnables aux motifs raisonnables de croire que la preuve d’une infraction sera découverte.
[117] Il est donc nécessaire en l’espèce de déterminer si A.M. avait, en matière de vie privée, une attente raisonnable qui entraînait l’application de l’art. 8.
3.2 Application au pourvoi
3.2.1 Détermination du droit allégué de A.M. en matière de vie privée
[118] La principale question dans le présent pourvoi est de savoir si l’utilisation d’un chien renifleur constitue une « fouille » au sens de l’art. 8 de la Charte.
[119] Lorsque les policiers sont entrés dans le petit gymnase de l’école secondaire St. Patrick’s accompagnés de leur chien renifleur, le sac à dos de A.M. était fermé et se trouvait parmi d’autres sacs empilés dans le gymnase. Il est important de souligner que les policiers étaient incapables de détecter par leurs propres sens les odeurs émanant du sac à dos et qu’ils devaient nécessairement avoir recours au chien pour déterminer, le cas échéant, lequel parmi les sacs à dos se trouvant dans le gymnase contenait des substances réglementées. La réaction positive du chien lorsqu’il a reniflé le sac à dos de A.M. a permis aux policiers d’établir avec un degré de fiabilité raisonnablement élevé ce qui se trouvait à l’intérieur du sac à dos. Par conséquent, je n’ai aucune peine à conclure que l’utilisation du chien en l’espèce constituait une fouille au sens empirique du terme. Cependant, A.M. devait établir que l’utilisation du chien constituait, au sens constitutionnel, une « fouille » impliquant l’existence d’une attente raisonnable en matière de vie privée donnant lieu à l’application de la protection prévue à l’art. 8. C’est la question que je vais maintenant examiner.
[120] En termes généraux et neutres, le droit à la vie privée qui est allégué concerne les odeurs imperceptibles pour les humains et émanant du sac à dos que A.M. avait laissé sans surveillance dans un gymnase d’une école.
[121] En l’espèce, aucun droit personnel à la vie privée du genre de celui défini dans R. c. Tessling, [2004] 3 R.C.S. 432, 2004 CSC 67, par. 23, n’est en cause puisque A.M. ne portait pas ou ne transportait pas son sac à dos au moment de la fouille alléguée. En fait, il n’était pas présent lors de la fouille du sac à dos. La situation serait différente si A.M. avait porté le sac lorsque les policiers l’ont vérifié à l’aide du chien renifleur. De plus, le sac à dos en question n’est pas un sac du genre de ceux que les élèves portent en tout temps sur eux, auquel cas la fouille du sac aurait équivalu à une fouille de la personne le portant.
[122] Le droit au respect de la vie privée allégué en l’espèce touche à la fois les renseignements personnels et le lieu. Comme dans Kang‑Brown, les odeurs émanant du sac à dos de A.M. pouvaient divulguer au sujet de ce dernier des détails personnels intimes, notamment s’il avait été en contact récemment avec une substance réglementée, que ce soit en tant que trafiquant de drogues, en tant que consommateur d’une drogue illicite ou consommateur d’une drogue licite (par exemple, de la marijuana utilisée à des fins médicales), ou s’il s’était trouvé en compagnie de consommateurs de drogues.
[123] L’élément relatif au lieu du droit au respect de la vie privée allégué en l’espèce est beaucoup moins important que dans Kang‑Brown. Alors que dans cette affaire, la fouille a eu lieu dans une gare d’autobus, en l’espèce, elle s’est déroulée dans une école. J’examinerai ces facteurs plus à fond un peu plus loin en déterminant si l’attente de A.M. en matière de vie privée était raisonnable.
[124] Après avoir cerné le droit en matière de vie privée allégué dans le cadre du présent pourvoi, je vais maintenant examiner si l’attente de A.M. en matière de vie privée était raisonnable.
3.2.2 Caractère raisonnable de l’attente de A.M. en matière de vie privée
[125] Selon le principal argument que présente le ministère public dans son appel en l’espèce, A.M. n’avait pas d’attente raisonnable en matière de vie privée entraînant l’application de l’art. 8 de la Charte.
[126] À mon avis, tant le juge du procès que la Cour d’appel ont commis une erreur en n’examinant pas la question préliminaire, à savoir si A.M. avait une attente raisonnable en matière de vie privée qui entraînait l’application de l’art. 8 de la Charte. Au procès, le juge Hornblower n’a pas examiné si une attente raisonnable en matière de vie privée était en jeu. Il a plutôt simplement supposé que c’était le cas. La Cour d’appel n’a pas corrigé cette erreur de droit. Le juge Armstrong a dit simplement : [traduction] « Je ne crois pas qu’il soit nécessaire en l’espèce de décider si les activités des policiers antérieures à la fouille du sac à dos constituaient une fouille au sens de l’art. 8. À mon avis, il y a eu fouille au sens de l’art. 8 de la Charte lorsque le chien a reniflé le sac à dos de A.M. et que l’agent Callander a ensuite fouillé le sac » (par. 45).
[127] Il est nécessaire de déterminer si, compte tenu de l’ensemble des circonstances, y compris les facteurs pertinents examinés dans R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495, R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128, par. 45, et Tessling, par. 32, l’utilisation du chien pour renifler le sac à dos de A.M. mettait en cause une attente raisonnable de ce dernier en matière de vie privée. Ni le juge du procès ni la Cour d’appel n’ont effectué cette analyse. Il est donc nécessaire pour notre Cour de le faire.
[128] La question cruciale dans le cadre du présent pourvoi est de savoir si A.M. avait une attente raisonnable en matière de vie privée en ce qui concerne les odeurs, imperceptibles pour les humains, qui émanaient du sac à dos laissé sans surveillance dans un gymnase de l’école. À cette fin, il faut examiner si A.M. avait une attente subjective en matière de vie privée et si son droit au respect de sa vie privée était objectivement raisonnable. Dans Kang‑Brown, par. 140, j’ai dressé une liste non exhaustive des facteurs permettant d’effectuer cet examen :
(i) la présence de l’accusé au moment de la prétendue fouille ou perquisition;
(ii) l’objet de la prétendue fouille ou perquisition :
a) la propriété et l’usage historique de l’objet;
b) la question de savoir si l’objet était à la vue du public;
c) la question de savoir si l’objet avait été abandonné;
d) dans le cas où l’objet est un renseignement, la question de savoir si des tiers possédaient déjà ce renseignement et, dans l’affirmative, si le renseignement en question était visé par une obligation de confidentialité;
(iii) le lieu où la prétendue fouille ou perquisition a été effectuée :
a) la propriété, la possession, le contrôle ou l’utilisation du lieu où la prétendue fouille ou perquisition a été effectuée;
b) l’habilité à régir l’accès au lieu, y compris le droit d’y laisser entrer ou d’en exclure autrui;
c) la notification de la possibilité que des fouilles ou perquisitions soient effectuées dans ce lieu;
(iv) la technique d’enquête utilisée pour effectuer la prétendue fouille ou perquisition :
a) la question de savoir si la technique policière a porté atteinte au prétendu droit à la vie privée;
b) la question de savoir si le renseignement obtenu lors de la prétendue fouille ou perquisition révélait des détails intimes sur le mode de vie de l’accusé ou des renseignements d’ordre biographique le concernant.
[129] À mon avis, A.M. n’avait en l’espèce aucune attente subjective en matière de vie privée. Les parents et les élèves savaient qu’il existait un problème de drogues, que la politique de tolérance zéro en matière de drogues était en vigueur et que des chiens renifleurs pouvaient être utilisés. Des chiens avaient effectivement été utilisés à quelques reprises pour déterminer s’il y avait des stupéfiants à l’école. A.M. n’a produit aucun élément de preuve pour réfuter ces faits. Le mépris de la politique de l’école ne doit pas être confondu avec une attente en matière de vie privée. Certes, la politique de l’école doit être appliquée de manière à respecter les attentes légitimes en matière de vie privée. Cependant, les moyens qu’a utilisés et fait connaître l’école ont réduit considérablement l’attente subjective de A.M. en matière de vie privée, comme ce fut le cas pour le programme R.I.D.E. en cause dans Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2, p. 28-29.
[130] En outre, de nombreux facteurs permettent de conclure que l’attente de A.M. en matière de vie privée n’était pas objectivement raisonnable.
[131] Il y a tout d’abord le lieu où la fouille a été effectuée, une école où il existe un problème connu de consommation de drogues par les élèves tant sur le terrain de l’école qu’à l’extérieur. Dans M. (M.R.), où il était question de la fouille corporelle d’un élève par un représentant de la direction de l’école, le juge Cory, s’exprimant au nom de la majorité, a statué que l’attente raisonnable en matière de vie privée d’un élève est sérieusement réduite pendant qu’il se trouve à l’école :
. . . l’attente raisonnable en matière de vie privée d’un élève à l’école est sûrement moindre que celle qu’il aurait dans d’autres circonstances. Les élèves savent que leurs enseignants et autres autorités scolaires ont la responsabilité de procurer un environnement sûr et de maintenir l’ordre et la discipline dans l’école. Ils doivent savoir que cela peut parfois commander la fouille d’élèves et de leurs effets personnels de même que la saisie d’articles interdits. Un élève ne peut pas raisonnablement s’attendre à être exempté de telles fouilles. L’attente raisonnable en matière de vie privée d’un élève dans l’environnement scolaire est donc sérieusement réduite. [par. 33]
Ce commentaire du juge Cory devient encore plus important lorsqu’il s’agit d’une fouille non corporelle, comme c’est le cas en l’espèce où il est question d’un sac à dos laissé sans surveillance dans les locaux d’une école. A.M. n’avait pas le droit de contrôler l’accès à l’école et, contrairement à la situation dans M. (M.R.), les policiers s’y trouvaient avec la permission (et à la demande) du directeur de l’école en vue de faciliter l’atteinte des objectifs en matière disciplinaire de l’école dans sa lutte contre un problème de drogue systématique. Les chiens ont servi à la fouille des locaux et non à celle des élèves. Dans de telles circonstances, l’attente objective en matière de vie privée à l’égard d’un sac à dos laissé sans surveillance dans l’école est non seulement sérieusement réduite mais extrêmement faible.
[132] Il convient de souligner qu’il existe un lien clair entre le milieu scolaire, étroitement réglementé, et la fouille qui a eu lieu à l’école. Le Code de conduite (2001) de la province, mis en place en application de la Loi sur l’éducation, L.R.O. 1990, ch. E.2, reconnaît que « les drogues illicites créent une dépendance et constituent un danger pour la santé » et demande aux écoles de l’Ontario de « collabor[er] avec la police » pour contrer ce problème (p. 3). L’école a pris des mesures disciplinaires contre A.M. parce que des drogues ont été trouvées dans son sac à dos. L’agent Callander a déclaré que les policiers de Sarnia ne se présentent pas dans une école avec leur chien renifleur sans y avoir été invités par la direction de l’école (d.a., p. 78). Il convient également de souligner qu’en l’espèce, ni les policiers ni la direction de l’école n’ont agi sur le fondement d’une simple « supposition fondée sur leur expérience » ou d’une « intuition ». Au contraire, la direction de l’école a invité les policiers pour donner suite à ce qu’elle a estimé être, à juste titre, des inquiétudes valables exprimées par des parents d’élèves et des voisins de l’école. Les responsables de l’école ont compté en l’espèce sur la collaboration de la police pour garantir aux élèves et au personnel un milieu sûr et favorable à l’apprentissage.
[133] En raison du problème de drogues qui existait dans cette école, il était essentiel que la direction prenne des mesures de contrôle plus serrées. La grande publicité dont a fait l’objet la politique de tolérance zéro et les mesures prises dans le passé pour la faire appliquer nous rappellent le commentaire du juge Le Dain, dans Dedman (p. 36), selon lequel « la grande publicité donnée à la nature du programme » R.I.D.E. visant à intercepter les véhicules au hasard afin de détecter les conducteurs dont les facultés sont affaiblies avait tendance « à minimiser [. . .] [les effets psychologiques du programme] en plus d’être un aspect nécessaire de son caractère dissuasif ».
[134] A.M. ainsi que tous les autres élèves et le personnel enseignant de l’école ont bénéficié d’un milieu où ils sont dans une large mesure à l’abri des drogues illicites et des problèmes qu’elles entraînent. À cet égard, la situation dans une école, qui constitue un milieu réglementé pour le bénéfice de ceux qui la fréquentent, se compare — tout en s’en distinguant — à celle que l’on trouve dans un palais de justice, où les attentes en matière de vie privée qu’a une personne à l’égard de ses effets personnels sont très faibles : voir R. c. Campanella (2005), 75 O.R. (3d) 342 (C.A.), par. 17, 19, 20 et 24.
[135] Le milieu contrôlé que l’on trouve dans l’enceinte d’une école peut également se comparer au contexte douanier. Dans Simmons, le juge en chef Dickson a affirmé que les attentes raisonnables en matière de vie privée sont moindres aux douanes que dans la plupart des autres situations, parce que l’État a tout intérêt à faire appliquer les lois sur les douanes dans l’intérêt de la sécurité du public et parce que les attentes des gens en matière de vie privée sont bien moindres. Selon le juge en chef Dickson :
[L]es gens ne s’attendent pas à traverser les frontières internationales sans faire l’objet d’une vérification. Il est communément reconnu que les États souverains ont le droit de contrôler à la fois les personnes et les effets qui entrent dans leur territoire. On s’attend à ce que l’État joue ce rôle pour le bien‑être général de la nation. Or, s’il était incapable d’établir que tous ceux qui cherchent à traverser ses frontières ainsi que leurs effets peuvent légalement pénétrer dans son territoire, l’État ne pourrait pas remplir cette fonction éminemment importante. Conséquemment, les voyageurs qui cherchent à traverser des frontières internationales s’attendent parfaitement à faire l’objet d’un processus d’examen. [Je souligne; p. 528.]
[136] On demande également aux écoles d’assurer la sécurité de leurs élèves et de leurs employés. Les élèves s’attendent parfaitement à ce que les autorités scolaires s’acquitteront de cette fonction primordiale. En l’espèce, les attentes raisonnables en matière de vie privée des élèves de l’école étaient même encore moindres puisqu’ils connaissaient bien la politique de tolérance zéro en place à l’école et les moyens employés dans le passé pour faire respecter cette politique. Comme le juge en chef Dickson l’a fait remarquer dans Simmons (p. 526), la méthode contextuelle permettant de déterminer le caractère raisonnable d’une fouille au sens de l’art. 8 a été établie dans l’arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, dans lequel le juge Dickson (alors juge puîné) a affirmé ce qui suit aux p. 159‑160 :
La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ne vise qu’une attente raisonnable. Cette limitation du droit garanti par l’art. 8, qu’elle soit exprimée sous la forme négative, c’est‑à‑dire comme une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies « abusives », ou sous la forme positive comme le droit de s’attendre « raisonnablement » à la protection de la vie privée, indique qu’il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d’assurer l’application de la loi. [Je souligne; soulignement dans l’original omis.]
[137] Un deuxième facteur qui me permet de conclure que l’attente de A.M. en matière de vie privée n’était pas objectivement raisonnable est le fait qu’il n’était pas présent au moment de la fouille. J’ajouterai qu’étant donné qu’aucun des élèves ne se trouvait dans le gymnase de l’école au moment de la fouille, il n’y avait aucun risque qu’une réaction positive erronée du chien renifleur devant un sac à dos porté par un élève puisse entraîner une fouille corporelle — plus envahissante — de l’élève.
[138] Le fait que le sac à dos de A.M. a non seulement été laissé sans surveillance, mais qu’il était placé bien en vue constitue un troisième facteur. Rien n’indique que le sac à dos ait été abandonné; néanmoins, l’utilisation d’un chien renifleur lorsqu’un sac laissé sans surveillance est placé bien en vue constitue une procédure moins envahissante que lorsqu’on y a recours pour un sac qui est soit porté ou transporté par une personne, soit gardé à l’abri des regards dans un casier verrouillé.
[139] Le fait que la technique d’enquête utilisée était relativement peu envahissante constitue un quatrième facteur. Il est vrai que le chien a été en mesure de détecter la présence de drogues à l’intérieur du sac à dos de A.M., mais il a pu le faire sans qu’il soit nécessaire d’ouvrir le sac à dos. De plus, le chien était dressé uniquement pour détecter des drogues et chercher des personnes. Il ne pouvait donc transmettre d’autres informations que la présence de drogues. Ainsi, l’utilisation d’un chien renifleur dans les circonstances constituait une technique d’enquête moins envahissante que ne l’aurait été l’ouverture du sac à dos de A.M. sans qu’un chien renifleur n’ait auparavant réagi positivement à la présence de drogues.
[140] L’utilisation d’un chien renifleur comme technique d’enquête ne constituait pas une atteinte déraisonnable au droit de A.M. au respect de sa vie privée étant donné que son droit au respect des renseignements personnels le concernant était très limité à l’école. J’estime par conséquent, compte tenu de l’ensemble des circonstances, que A.M. n’avait pas une attente raisonnable en matière de vie privée entraînant l’application de l’art. 8.
3.2.3 Caractère raisonnable de la fouille
[141] Puisque je suis d’avis que A.M. n’avait pas une attente raisonnable en matière de vie privée entraînant l’application de l’art. 8 de la Charte, il n’est pas nécessaire de déterminer si la fouille était raisonnable.
[142] De plus, puisque A.M. n’avait pas à l’égard de son sac à dos une attente raisonnable en matière de vie privée justifiant l’application de l’art. 8 de la Charte, et puisque les policiers se trouvaient légitimement à l’école avec la permission du directeur, et qu’ils avaient l’obligation d’enquêter sur les crimes et de les prévenir, les policiers n’avaient besoin d’aucun motif visant une personne en particulier pour avoir recours à leur chien renifleur comme ils l’ont fait en l’espèce.
3.2.4 Commentaires additionnels
[143] J’ai eu l’occasion de lire les motifs du juge Binnie. Je désire ajouter les commentaires suivants.
[144] Au paragraphe 86 de ses motifs, le juge Binnie fait remarquer qu’aucune preuve de la fiabilité des chiens renifleurs n’a été fournie en l’espèce. Il met ensuite en doute la fiabilité de ces chiens en général et s’appuie sur les données recueillies par l’ombudsman de la Nouvelle‑Galles‑du‑Sud, Review of the Police Powers (Drug Detection Dogs) Act 2001 (2006), et conclut comme suit au par. 87 : « [l]’utilisation de chiens renifleurs comporte de nombreuses variables. » Avec égards, cette incursion dans la fiabilité du chien utilisé en l’espèce n’est pas justifiée. Au procès, on a considéré que les chiens renifleurs sont en général fiables. Cette fiabilité a été reconnue tant pour expliquer leur utilisation très répandue que parce qu’elle appuie l’argument selon lequel l’utilisation de ces chiens devrait être acceptée comme outil d’enquête valable. Cette Cour doit confiner sa décision en l’espèce aux faits présentés et acceptés au procès. Il n’est pas opportun que notre Cour tienne compte de son propre chef du manque de fiabilité des chiens renifleurs et, ce faisant, qu’elle suppose que le chien utilisé aurait été mal dressé.
3.2.5 Paragraphe 24(2)
[145] Il est inutile d’examiner s’il y a lieu d’écarter les éléments de preuve en application du par. 24(2) de la Charte puisque aucune violation d’un droit garanti par la Charte n’a été démontrée.
4. Conclusion
[146] Les écoles sont des lieux d’enseignement, mais cet enseignement permettra‑t‑il aux élèves d’améliorer leur sort et celui de notre société libre et démocratique, ou les écoles deviendront‑elles des endroits où les élèves se retrouveront pris au piège de la drogue, des gangs, de la violence et d’autres comportements antisociaux? Il est crucial de reconnaître que l’on ne peut pas raisonnablement dissocier le phénomène des drogues à l’école du problème de la violence physique qui va de pair avec le trafic, l’achat et la consommation de drogues. Notre droit criminel, les lois sur l’éducation et les politiques des conseils scolaires reconnaissent que les élèves sont particulièrement vulnérables aux dangers des drogues illicites, des dangers immédiats si directs et si graves qu’on ne saurait les dissocier des risques que représentent, par exemple, les armes pour la société. Introduire les drogues à l’école équivaut à introduire une substance toxique dans un milieu par ailleurs sécuritaire. Les drogues ne sont pas seulement littéralement et directement toxiques, elles sont également indirectement toxiques si l’on considère le mal et la violence qui vont de pair avec la production, le trafic et la consommation des drogues. Comme ces drogues sont faciles à dissimuler et que, souvent, elles ne dégagent aucune odeur susceptible d’être détectée par l’odorat humain, les autorités scolaires sont tout à fait impuissantes à lutter contre la possession et le trafic de drogues dans ces établissements d’enseignement sans l’aide de policiers et de chiens renifleurs bien dressés.
[147] Les drogues étaient très répandues à l’école secondaire St. Patrick’s. Une politique de tolérance zéro en matière de drogues y était appliquée; les parents et les élèves avaient été informés de l’existence de cette politique et savaient qu’elle serait mise en application à l’aide de chiens renifleurs. Le jour en question, comme à d’autres occasions, les policiers se sont présentés à l’école et, avec la permission du directeur de l’école, ils ont utilisé leur chien pour vérifier le sac à dos que A.M. avait laissé sans surveillance dans le gymnase de l’école. Ce n’est qu’une fois que le chien renifleur eut réagi positivement à la présence d’une substance désignée que les policiers ont ouvert le sac à dos non identifié et y ont trouvé des drogues ainsi qu’une pièce d’identité de A.M. Dans les circonstances, A.M. n’a pas établi l’existence d’une attente raisonnable en matière de vie privée qui empêcherait l’utilisation d’un chien renifleur.
[148] La présente affaire démontre l’importance de trancher la question préliminaire de savoir si un accusé avait en matière de vie privée une attente raisonnable qui entraînait l’application de l’art. 8 de la Charte avant de soumettre prématurément la technique d’enquête utilisée par la police à une analyse complète au regard de l’art. 8. À mon avis, le droit au respect de la vie privée que touchait l’utilisation d’un chien renifleur pour vérifier le cas du sac à dos de A.M. laissé sans surveillance dans un gymnase d’école où ne se trouvait aucun élève était si infime qu’il n’entraînait pas, dans les circonstances de l’espèce, l’application de l’art. 8 de la Charte.
[149] Ayant conclu que A.M. n’avait pas une attente raisonnable en matière de vie privée entraînant l’application de l’art. 8 de la Charte, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.
Version française des motifs rendus par
[150] Le juge Bastarache (dissident) — A.M. a été accusé de possession de psilocybine (champignons magiques) et de possession de marijuana en vue d’en faire le trafic. Les policiers ont découvert les drogues dans le sac à dos de A.M. après qu’un chien policier dressé pour détecter la présence de drogues l’eut reniflé. La fouille a eu lieu à l’école secondaire St. Patrick’s que fréquentait A.M. Dans le présent pourvoi, il s’agit principalement de déterminer si l’utilisation d’un chien renifleur constituait une fouille raisonnable au sens de l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés et, dans la négative, si les éléments de preuve devraient être écartés en application du par. 24(2).
[151] Dans les motifs qui suivent, j’applique les principes que j’ai exposés dans l’arrêt connexe R. c. Kang‑Brown, [2008] 1 R.C.S. 456, 2008 CSC 18. Dans cet arrêt, j’ai insisté sur le rôle important que peuvent jouer les chiens renifleurs dans la prévention du crime et la dissuasion des criminels, et j’ai conclu que le recours à ces chiens est approprié, sous réserve de certaines conditions, lorsque la police a des motifs raisonnables de soupçonner la présence de substances illicites. Dans certains cas, ces soupçons viseront une personne en particulier, ainsi qu’il a été démontré dans Kang‑Brown. Dans d’autres cas, toutefois, la police aura des soupçons raisonnables non pas au sujet d’une personne bien précise mais plutôt au sujet d’un lieu ou d’une activité en particulier. Dans certaines circonstances, ces soupçons généraux pourront justifier les fouilles au hasard de sacs ou de bagages. En l’absence de directives claires du législateur quant aux soupçons raisonnables qui justifieront le recours à des chiens renifleurs, les tribunaux doivent trancher cette question au cas par cas en mettant en balance l’importance de protéger le droit des individus au respect de leur vie privée et l’intérêt public que servent la prévention du crime et les enquêtes sur les activités criminelles.
[152] À mon avis, l’utilisation de chiens renifleurs lors d’une fouille effectuée au hasard dans une école secondaire peut se justifier par l’existence de soupçons généraux raisonnables. Les écoles constituent un milieu particulier où la prévention du crime prend une plus grande importance et où il convient, lorsque l’équilibre requis est assuré, de tenir compte de la nécessité de protéger les enfants contre la propagation de la drogue. Cela ne signifie toutefois pas que les policiers peuvent, quand cela leur convient, entrer dans une école et y effectuer une fouille ou une perquisition au motif que l’on peut y trouver de la drogue n’importe quand. Les soupçons raisonnables exigent plus qu’une simple intuition. En outre, il doit exister un lien temporel entre les soupçons et la fouille — les policiers ne peuvent pas justifier le recours aléatoire à des chiens renifleurs en invoquant des soupçons qui existaient il y a déjà plusieurs mois.
[153] En l’espèce, l’utilisation du chien renifleur ne s’appuyait pas sur des soupçons raisonnables et actuels. Par conséquent, la fouille était abusive au sens de l’art. 8 de la Charte. Toutefois, les éléments de preuve découverts dans le sac à dos de A.M. auraient néanmoins dû être admis en preuve au procès. Le paragraphe 24(2) de la Charte prévoit que des éléments de preuve ne seront écartés que dans les cas où leur admission est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice; leur admission en l’espèce n’aurait pas un tel effet. Par conséquent, je suis d’avis que le pourvoi doit être accueilli pour l’unique motif que les éléments de preuve contre A.M. auraient dû être admis en preuve au procès malgré la violation des droits qui lui sont garantis par l’art. 8.
I. Faits
[154] Les faits essentiels de la présente affaire peuvent être résumés brièvement. Le 7 novembre 2002, des policiers sont arrivés à l’école secondaire St. Patrick’s et ont demandé la permission de procéder à une fouille dans l’école pour déterminer s’il s’y trouvait de la drogue. Le directeur, M. Bristo, a consenti à la fouille et a ordonné aux élèves de demeurer dans leurs classes pendant que les policiers effectuaient, à l’aide d’un chien renifleur, la fouille de trois classes et de plusieurs casiers dans les corridors. M. Bristo a ensuite dit aux policiers qu’ils devraient fouiller le gymnase où se trouvaient plusieurs sacs d’école alignés contre un mur. Le chien policier, Chief, a reniflé les sacs et a signalé la présence de drogues dans l’un de ceux‑ci. Un policier a ensuite fouillé ce sac et y a trouvé plusieurs sachets contenant de la marijuana, dix champignons magiques ainsi que des accessoires servant à la consommation de drogues. Il a également trouvé une pièce d’identité indiquant que le sac appartenait à A.M, qui a par la suite été arrêté et inculpé.
[155] L’école St. Patrick’s applique une politique de tolérance zéro en matière de possession et de consommation de drogues à l’école. Les parents et les élèves sont mis au courant de cette politique et ils sont également informés que l’école peut avoir recours à des chiens policiers s’ils sont disponibles. M. Bristo est devenu directeur de l’école en septembre 2000; il a alors communiqué avec la police pour leur donner une « invitation permanente » à venir effectuer des fouilles à l’école chaque fois que les ressources disponibles le permettaient. Lors de son témoignage, M. Bristo a déclaré que, même si des parents et des voisins de l’école lui avaient signalé dans le passé que des activités liées à la drogue se déroulaient dans l’école et aux abords de celle‑ci, il ne possédait [traduction] « aucun élément d’information » au sujet de la présence éventuelle de drogues dans l’école le jour même de la fouille. On pouvait cependant [traduction] « supposer sans risque d’erreur qu’il pourrait y en avoir ».
II. Analyse
A) Attente raisonnable en matière de vie privée
[156] Les activités de la police ne sont considérées comme une fouille ou une perquisition au sens de l’art. 8 de la Charte que si elles frustrent une attente raisonnable en matière de vie privée (R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8, par. 11). Cette attente peut varier selon la « nature de ce qu’on veut protéger, les circonstances de l’ingérence de l’État et l’endroit où celle‑ci se produit, et selon les buts de l’ingérence » (R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20, p. 53); de plus, l’attente doit être évaluée à la lumière de « l’ensemble des circonstances » (R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128).
[157] À mon avis, A.M. avait une attente raisonnable, quoique limitée, en matière de vie privée à l’égard de son sac à dos lorsque le chien l’a reniflé. Les sacs à dos des élèves contiennent souvent de nombreux articles personnels et je suis disposé à conclure que A.M., comme les autres élèves qui fréquentent une école secondaire, s’attendait subjectivement à ce que le contenu de son sac soit privé. Ainsi que je l’ai mentionné dans Kang‑Brown, il est important de souligner, d’un point de vue objectif, que l’odeur qu’a détectée le chien ne pouvait pas être détectée par les humains et que sa détection a fourni des informations directes sur le contenu du sac à dos. En reniflant le sac, le chien a donc révélé au sujet de A.M. et de ses choix personnels des « renseignements personnels d’ordre biographique » auxquels l’État n’aurait pu autrement avoir accès.
[158] Par ailleurs, j’estime que l’attente raisonnable de A.M. quant au respect de sa vie privée concernant le contenu de son sac à dos n’a pas disparu parce que A.M. ne portait pas son sac au moment où la fouille a été effectuée. Il n’est pas nécessaire qu’une personne ait la possession physique d’un objet pour qu’il soit possible de conclure à l’existence d’une attente raisonnable en matière de vie privée (R. c. Buhay, [2003] 1 R.C.S. 631, 2003 CSC 30, et R. c. Law, [2002] 1 R.C.S. 227, 2002 CSC 10); et rien n’indique en l’espèce que A.M. avait abandonné son sac à dos. Au contraire, il ressort de la preuve que les responsables de l’école ont vraisemblablement obligé A.M. et ses camarades de classe à laisser leurs sacs sans surveillance dans le gymnase au moment où la fouille a commencé : [traduction] « un cours se déroulait à cet endroit lorsque tout cela [la fouille] a été annoncé. Mais, d’après ce que je me rappelle, les élèves n’étaient pas dans le gymnase [au moment de la fouille]. Je ne peux pas dire avec certitude où on leur avait dit de se rendre » (d.a., p. 65 (je souligne)). Peu importe l’endroit où l’on a ordonné à A.M. et à ses camarades de classe de se rendre après que la fouille eut été annoncée, il est clair selon moi que ces élèves n’avaient pas abandonné leurs sacs à dos en les laissant dans le gymnase ce jour‑là. De plus, je considère que l’élève d’une école secondaire qui, comme ses camarades de classe, laisse son sac sans surveillance continue d’avoir une attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard du contenu de son sac. Par conséquent, l’existence d’une attente à la fois objective et subjective en matière de vie privée a été établie.
[159] L’attente raisonnable de A.M. en matière de vie privée est cependant réduite parce que la fouille à l’aide du chien renifleur s’est déroulée à l’école. Les écoles sont des milieux très réglementés où la menace que posent les armes dangereuses et les drogues illicites doit être prise très au sérieux par les autorités scolaires qui ont la responsabilité de maintenir un milieu d’apprentissage efficace et sûr. Les élèves sont conscients de l’importance que la société en général et les administrateurs scolaires accordent au milieu scolaire et ils ont en conséquence une attente réduite en matière de vie privée. Notre Cour a bien souligné l’existence de cette attente réduite dans R. c. M. (M.R.), [1998] 3 R.C.S. 393 :
. . . l’attente raisonnable en matière de vie privée d’un élève à l’école est sûrement moindre que celle qu’il aurait dans d’autres circonstances. Les élèves savent que leurs enseignants et autres autorités scolaires ont la responsabilité de procurer un environnement sûr et de maintenir l’ordre et la discipline dans l’école. Ils doivent savoir que cela peut parfois commander la fouille d’élèves et de leurs effets personnels de même que la saisie d’articles interdits. Un élève ne peut pas raisonnablement s’attendre à être exempté de telles fouilles. L’attente raisonnable en matière de vie privée d’un élève dans l’environnement scolaire est donc sérieusement réduite. [par. 33]
[160] Je conclus donc que, même si A.M. avait une attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard de son sac à dos, cette attente était sérieusement réduite parce que la fouille a été effectuée dans une école. Il n’est pas nécessaire que le droit à la vie privée soit du plus haut degré pour que la garantie de l’art. 8 s’applique (Buhay, par. 22); toutefois, l’étendue du droit sera prise en considération dans le reste de l’analyse (M. (M.R.), par. 34).
B) Fouille raisonnable autorisée par la common law
(1) Obligation légale des policiers
[161] Les policiers ont reçu une invitation générale leur permettant de se présenter n’importe quand à l’école secondaire St. Patrick’s pour y chercher de la drogue quand ils avaient les ressources nécessaires à leur disposition. La fouille effectuée le 7 novembre 2002 avait pour but d’identifier les personnes qui avaient en leur possession des drogues illicites afin de préserver la sécurité à l’école; cette mesure fait donc partie des pouvoirs attribués à la police pour assurer le maintien de la paix et la prévention du crime (Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2, p. 32; R. c. Mann, [2004] 3 R.C.S. 59, 2004 CSC 52, par. 26).
(2) Nature de la fouille
[162] Dans Kang‑Brown, j’ai précisé de nombreuses caractéristiques qui font en sorte que la fouille de sacs effectuée à l’aide de chiens renifleurs constitue une atteinte minimale à l’attente raisonnable d’une personne en matière de vie privée. Il s’agit notamment du fait que la fouille est effectuée rapidement et ne cause donc pas trop d’inconvénients à la personne, le fait que la seule information que transmet le chien renifleur est la présence ou l’absence de drogues, et le fait que la présence de drogues peut être signalée d’une manière qui n’a absolument rien de menaçant. En l’espèce, il est également important de mentionner que A.M. n’était même pas présent lorsque la fouille a été effectuée et qu’il n’y a donc eu aucune atteinte à son intégrité corporelle ni création d’une situation humiliante ou embarrassante.
C) Norme à suivre pour procéder à la fouille
[163] J’ai conclu dans Kang‑Brown que la fouille de bagages à l’aide de chiens renifleurs serait réputée raisonnable si elle était fondée sur des soupçons raisonnables. À mon avis, cette norme moins exigeante pour procéder à une fouille est appropriée étant donné l’important potentiel préventif de l’utilisation de chiens renifleurs et l’atteinte minimale qu’entraînent les fouilles de cette nature. J’ai en outre conclu que, dans certains cas, il serait approprié pour les policiers de fonder cette fouille non pas sur les soupçons spécifiques concernant une personne en particulier, mais plutôt sur les soupçons généraux que suscitent une activité ou un endroit en particulier. Même si cela n’était pas nécessaire pour l’issue du pourvoi dans Kang‑Brown, j’ai conclu qu’une gare d’autobus constitue un exemple d’un lieu où il est raisonnable pour les policiers d’avoir recours à des chiens renifleurs lors de fouilles effectuées au hasard lorsqu’ils ont des soupçons généraux au sujet de la présence de drogues, à la condition que des voyageurs raisonnablement informés soient au courant de la possibilité de fouilles au hasard à l’aide de chiens.
[164] À mon avis, les écoles constituent un autre milieu où il convient d’appliquer dans les cas de fouilles au hasard de sacs la norme moins exigeante des soupçons raisonnables généraux. J’en arrive à cette conclusion après avoir mis en balance l’intérêt du public à prévenir et empêcher la présence de la drogue dans les écoles et le droit des élèves d’être à l’abri de l’ingérence de l’État. La recherche d’un équilibre entre le droit à la protection de la vie privée et la répression du crime est toujours à la base de l’analyse que requiert l’art. 8 et elle doit être effectuée chaque fois que le tribunal est appelé à examiner le caractère raisonnable d’une procédure policière (R. c. Tessling, [2004] 3 R.C.S. 432, 2004 CSC 67, par. 17‑18; Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, p. 159‑160; R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281, p. 293).
[165] La présence accrue de drogues dans les écoles constitue une tendance préoccupante. Le législateur a traduit son inquiétude au sujet de cette tendance dans divers textes législatifs. La Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, prévoit que le fait de se trouver à l’intérieur d’une école ou près d’une école constitue une circonstance aggravante dans la détermination de la peine à infliger pour une infraction liée aux drogues (sous‑al. 10(2)a)(iii)). La Loi sur l’éducation, L.R.O. 1990, ch. E‑2, oblige les autorités scolaires à suspendre les élèves trouvés en possession de drogues illicites (par. 306(1), disposition 2) et à renvoyer ceux qui font le trafic de drogues (par. 309(1), disposition 5). Notre Cour a également reconnu la gravité du problème que constitue la présence de drogues dans le réseau scolaire. Dans M. (M.R.), le juge Cory, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a estimé que la présence de plus en plus répandue de substances illicites dans le milieu scolaire représente une menace pour la capacité des enseignants et des administrateurs de s’occuper de l’éducation des enfants de notre pays :
Au cours des dernières années, il y a eu accroissement en nombre et en gravité des problèmes qui menacent la sécurité des élèves et la tâche fondamentalement importante de l’enseignement. La possession de drogues illicites et le port d’armes dangereuses dans les écoles sont devenus si répandus qu’ils menacent la capacité des responsables d’une école de remplir leur devoir de maintenir un environnement sûr et ordonné. [par. 36]
[166] Dans M. (M.R.), les juges majoritaires de notre Cour ont décidé que la fouille d’un élève de treize ans par le directeur‑adjoint était raisonnable même si elle n’était pas autorisée en vertu d’un mandat. La fouille a été effectuée en présence d’un policier après que plusieurs élèves eurent indiqué que l’adolescent en cause avait probablement de la drogue sur lui. On a trouvé de la marijuana. En concluant que la fouille était raisonnable, la Cour a souligné qu’il était nécessaire, pour protéger les élèves et créer une atmosphère ordonnée propice à l’acquisition de connaissances, de laisser aux autorités scolaires un pouvoir discrétionnaire et une latitude raisonnables. Il était également approprié d’appliquer la norme modifiée étant donné l’attente moindre des élèves en matière de vie privée pendant qu’ils se trouvent à l’école.
[167] Bien que la Cour ait ensuite conclu dans M. (M.R.) que la nature particulière du milieu scolaire n’autorise pas la police (ou les mandataires de la police) à procéder à une fouille sans mandat, cette conclusion s’appliquait spécifiquement aux fouilles traditionnelles effectuées par la police (M. (M.R.), par. 56). Ainsi que nous l’avons vu, la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur se distingue des autres formes de fouilles effectuées par la police en raison de son caractère peu envahissant. La norme applicable aux autres formes de fouilles effectuées dans des écoles par la police ne s’applique donc pas nécessairement aux fouilles effectuées à l’aide de chiens.
[168] À mon avis, l’importance primordiale de réprimer dans les écoles les activités liées à la drogue, la nature très réglementée du milieu scolaire, l’attente réduite des élèves en matière de vie privée pendant qu’ils se trouvent à l’école et le caractère peu envahissant des fouilles effectuées à l’aide de chiens renifleurs sont autant d’éléments qui permettent de conclure que les policiers peuvent avoir recours à des chiens renifleurs pour effectuer des fouilles dans des écoles lorsqu’ils peuvent raisonnablement soupçonner que s’y déroulent des activités liées à la drogue. De plus, j’estime qu’il est illogique de conclure que les administrateurs scolaires ou les policiers doivent avoir des soupçons portant sur une personne en particulier avant de pouvoir effectuer des fouilles à l’aide de chiens renifleurs dans des écoles. Il faudrait alors obtenir des informations au sujet d’un élève en particulier avant même que la fouille puisse être effectuée, de sorte que les fouilles ne viseraient que des personnes bien précises. Une telle approche ne tient pas compte du fait que, dans de nombreux cas, les autorités scolaires seront conscientes de l’existence d’un problème de drogue dans l’école sans savoir quels élèves exactement sont susceptibles d’avoir en leur possession des substances illicites un jour donné.
[169] Les soupçons raisonnables au sujet de la présence de drogues dans une école peuvent être fondés sur des tuyaux que donnent des membres de la collectivité, des parents ou d’autres élèves, et il n’est pas raisonable de supposer que ces personnes seront toujours en mesure d’identifier les individus qu’elles croient être impliqués. Il se peut également que la découverte sur le terrain de l’école d’accessoires facilitant la consommation de drogues soit à l’origine de soupçons raisonnables. Encore une fois, bien que la découverte de tels articles puisse suffire à susciter des soupçons raisonnables quant à la présence de drogues, il sera souvent impossible de déterminer, avant qu’une fouille soit effectuée, qui a de la drogue en sa possession. En fait, la véritable raison pour laquelle les chiens renifleurs sont si efficaces dans le milieu scolaire est qu’ils sont en mesure de déterminer avec exactitude l’endroit où se trouve la drogue. Le directeur de l’école secondaire St. Patrick’s a déclaré ce qui suit :
[traduction] [M]ême si le personnel est vigilant, les enfants qui se livrent à ce type d’activité ne veulent pas être pris. Ils s’efforcent de cacher des objets aux abords de l’édifice ou de les dissimuler sur eux. La possibilité que des policiers viennent à l’école avec des chiens, qui sont spécialement dressés, nous permet de fouiller l’immeuble très très rapidement. Parce que, lorsque les chiens viennent à l’école, il faut environ deux heures tout au plus [. . .] vous pouvez donc agir très rapidement et très efficacement parce que les chiens sont vraiment très bien dressés.
(d.a., p. 46)
En obligeant les autorités scolaires ou les policiers à savoir exactement où se trouve la drogue avant que la fouille soit effectuée, on diminue considérablement les avantages que comporte cette technique de fouille.
[170] Ainsi que je l’ai mentionné dans Kang‑Brown, une fouille effectuée au hasard sur le fondement de soupçons généraux offre aussi l’avantage de ne pas être ciblée. Cela réduit les risques qu’il y ait profilage abusif et atténue l’embarras lié au fait d’être fouillé. Les élèves d’une école dans laquelle une fouille au hasard est effectuée à l’aide de chiens savent qu’ils ne sont pas visés spécifiquement et qu’aucun soupçon particulier ne pèse sur eux; par conséquent, aucun élève n’a à se sentir embarrassé parce qu’il est visé par une enquête.
[171] Par ailleurs, j’estime qu’il est de la plus haute importance de tenir compte des répercussions considérables que les fouilles effectuées au hasard dans des écoles à l’aide de chiens renifleurs peuvent avoir sur la prévention des problèmes de drogues à ces endroits. La grande efficacité et la très grande fiabilité des fouilles effectuées à l’aide de chiens renifleurs représentent une véritable menace pour les personnes qui cherchent à introduire des drogues dans nos écoles. En fait, la simple possibilité qu’une fouille de ce genre puisse être faite est susceptible de dissuader certains trafiquants de drogues potentiels de courir le risque de se faire prendre. À mon avis, c’est l’étendue et l’efficacité de la fouille qui créent la menace et ont un effet dissuasif. En limitant à des personnes bien déterminées les fouilles effectuées à l’aide de chiens renifleurs, on réduit en conséquence l’effet préventif de ce genre de fouilles dans un milieu où la prévention devrait être primordiale.
[172] Cela ne signifie toutefois pas que la police doit être en mesure d’effectuer en tout temps et dans n’importe quelle école des fouilles au hasard à l’aide de chiens. Ainsi que je l’ai déjà mentionné, les élèves continuent d’avoir une attente raisonnable en matière de vie privée pendant qu’ils se trouvent à l’école et l’intérêt du public dans la prévention et la détection du crime à l’aide de chiens renifleurs doit être soupesé au regard du droit à la vie privée des élèves. C’est pourquoi il doit exister, avant qu’une fouille puisse être effectuée, des motifs raisonnables de soupçonner que des activités liées à la drogue se déroulent à l’école. De plus, il ne suffit pas que la fouille soit fondée sur des soupçons ayant existé à un moment ou à un autre dans le passé; au contraire, il doit exister un lien temporel entre les soupçons raisonnables à l’origine de la fouille et la fouille elle‑même.
[173] Dans Kang‑Brown, j’ai conclu que la police a toujours raison de soupçonner la présence de drogue dans les aéroports, les gares d’autobus et les gares ferroviaires de notre pays. Ces soupçons sont à l’origine de l’opération Jetway, un programme spécial que la GRC a mis sur pied afin précisément de tenter de réduire l’utilisation de nos réseaux de transport public pour le transport de substances illicites. À mon avis, il n’y a pas lieu de conclure que des soupçons de ce genre existent à l’égard de toutes les écoles. S’il est vrai que la présence de drogues à l’école constitue un problème qui ne cesse de s’aggraver au Canada, je ne suis pas disposé à conclure que les autorités scolaires et la police ont toujours raison de soupçonner qu’il sera possible de trouver des drogues en tout temps et dans n’importe quelle école. Tirer une telle conclusion en l’absence d’autres éléments de preuve à cet égard aurait pour effet de faire perdre tout son sens à la norme des soupçons raisonnables et de porter sérieusement atteinte aux droits des jeunes de ce pays.
[174] Comme il n’existe pas à l’égard des écoles des soupçons constants et généraux, il est essentiel que chaque fouille effectuée au hasard à l’aide de chiens renifleurs puisse se justifier par des motifs permettant de soupçonner qu’il sera possible de trouver de la drogue à l’endroit précis et au moment précis où la fouille est effectuée.
[175] Bien qu’il soit nécessaire que la fouille effectuée dans une école à l’aide d’un chien renifleur se fonde sur des motifs raisonnables de soupçonner qu’il sera possible de trouver de la drogue sur les lieux au moment où la fouille se déroule, je reconnais qu’il est irréaliste de s’attendre à ce que cette fouille soit effectuée à l’instant même où les soupçons raisonnables prennent naissance. Une telle norme ne tient pas compte du fait que, lorsqu’elles reçoivent des informations au sujet de la présence de drogues sur les lieux, les autorités de l’école peuvent avoir besoin de temps pour se consulter avant de décider de la façon de procéder. Il est également illogique de supposer qu’un tuyau donné au sujet de la présence de drogues ne suscitera des motifs raisonnables que pendant une heure, un jour ou une semaine après qu’il a été fourni. La durée des soupçons dépendra en grande partie de la nature des informations reçues et de l’existence d’indices additionnels confirmant que des drogues sont encore présentes à l’école. Dans chaque cas, la question essentielle est celle de savoir s’il existe des motifs suffisants de soupçonner la présence de drogues au moment où la fouille est effectuée. À mon avis, la direction d’une école qui reçoit des informations concernant la présence de drogues dans l’école devrait procéder de la manière suivante :
1. La direction de l’école doit s’assurer que les informations à l’origine des soupçons raisonnables sont dignes de foi. Ces informations peuvent provenir de diverses sources, ou d’une combinaison de sources, notamment d’un ou de plusieurs élèves, d’observations faites par un enseignant ou un directeur, de tuyaux fournis par des parents ou des membres de la collectivité, ou d’une preuve matérielle confirmant la présence de drogues à l’école.
2. Une fois qu’elle considère dignes de foi les informations reçues au sujet de la présence de drogues à l’école, la direction de l’école peut déterminer la meilleure stratégie pour régler le problème. Il peut lui être nécessaire à cette fin de collaborer avec la police et les organismes de lutte contre l’alcoolisme et la toxicomanie, ainsi que l’exige le Code de conduite (2001) des écoles de l’Ontario (adopté en vertu du par. 301(1) de la Loi sur l’éducation).
3. Dans certaines situations, les soupçons raisonnables peuvent être tels que la direction de l’école souhaite inviter la police à effectuer une fouille au hasard à l’école. Compte tenu des ressources dont dispose la police, il est irréaliste de supposer qu’une fouille pourra être effectuée le jour même où une telle invitation est faite. C’est pourquoi il est permis aux directions des écoles d’inviter de façon générale les policiers à venir en tout temps à l’école pour y effectuer des fouilles.
4. Lorsque la police a les ressources nécessaires pour effectuer une fouille, la direction de l’école doit déterminer si elle a encore des motifs raisonnables de soupçonner la présence de drogues sur les lieux. Une fouille ne peut pas être effectuée sur le fondement de soupçons raisonnables qui existaient dans le passé, et la direction de l’école doit être convaincue qu’elle a des motifs raisonnables et actuels de soupçonner que de la drogue pourra être trouvée sur les lieux le jour même de la fouille.
[176] Avec égards, j’estime qu’il n’est pas important de faire une distinction entre une fouille effectuée à l’initiative de la direction d’une école qui demande l’aide de la police et une fouille effectuée à l’initiative de la police qui demande l’aide de la direction d’une école. Il n’est pas non plus nécessaire de se lancer dans une analyse approfondie de l’« invitation générale ». Dans chaque cas, les intéressés s’efforcent de collaborer pour garantir aux élèves un milieu sûr en empêchant la vente et la consommation de drogues. Il importe que la fouille ne soit effectuée que lorsque des soupçons raisonnables peuvent être établis et ont un lien temporel avec la fouille en cause.
[177] La procédure suggérée ci‑dessus permet d’assurer un juste équilibre entre l’intérêt du public d’empêcher que des activités liées à la drogue se déroulent dans nos écoles et le droit à la vie privée des élèves. En permettant que des fouilles soient effectuées au hasard lorsqu’il existe des soupçons raisonnables et actuels, on s’assure que les élèves ne font pas l’objet d’atteintes injustifiées à leur vie privée tout en préservant le rôle très utile que jouent les fouilles effectuées à l’aide de chiens renifleurs pour prévenir et décourager la présence de drogues dans les écoles.
[178] Enfin, je souhaite répéter la conclusion que j’ai tirée dans Kang‑Brown selon laquelle on ne saurait effectuer des fouilles au hasard à l’aide de chiens renifleurs que s’il est établi que des gens raisonnablement bien informés auraient su qu’elles pouvaient avoir lieu. Bien qu’il ne devienne pas acceptable, en raison de cette connaissance, de fonder une fouille sur des soupçons raisonnables généraux (cette question devant être tranchée au cas par cas en fonction des facteurs applicables), il s’agit d’une condition préalable essentielle pour conclure qu’une fouille effectuée au hasard est raisonnable au sens de l’art. 8 de la Charte.
[179] En l’espèce, je suis convaincu que les élèves de l’école secondaire St. Patrick’s avaient été suffisamment informés de la possibilité qu’une fouille puisse être effectuée au hasard à l’aide d’un chien renifleur. Ils avaient clairement la connaissance requise. L’école applique une politique de tolérance zéro en matière de drogues et le juge du procès a déterminé que les élèves étaient au courant de cette politique et qu’ils savaient qu’elle pouvait être appliquée à l’aide de chiens dressés pour détecter la présence de drogues ((2004), 120 C.R.R. (2d) 181, 2004 ONCJ 98, par. 5).
[180] Il n’y a cependant aucune preuve que la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur qui a permis aux policiers d’arrêter A.M. se fondait sur des motifs raisonnables et actuels de soupçonner que des drogues pourraient être découvertes. Je reconnais que le directeur de l’école secondaire St. Patrick’s s’inquiétait de la présence de drogues dans son école, mais une simple inquiétude ne suffit pas pour justifier une fouille au hasard. Il ne suffit pas non plus que l’école ait reçu dans le passé des appels de parents et de voisins de l’école au sujet de la consommation de drogues. Le directeur Bristo a déclaré qu’il ignorait que la police projetait de fouiller l’école le 7 novembre 2002 (d.a., p. 47) et, ce qui est important, lorsqu’on lui a demandé s’il savait qu’il pouvait y avoir des drogues à l’école le jour en question, il a répondu [traduction] « Je n’en savais rien. On peut supposer sans risque d’erreur qu’il pourrait y en avoir » (d.a., p. 49 (je souligne)). Le juge du procès a conclu en se fondant sur ces réponses que la direction de l’école n’avait rien d’autre qu’une [traduction] « supposition raisonnablement fondée sur l’expérience » (par. 16) selon laquelle il y aurait des drogues à l’école le jour de la fouille et je souscris à cette conclusion. Il ressort de même de la preuve que les policiers eux‑mêmes n’étaient pas directement au courant de la présence possible de drogues à l’école le jour où ils ont effectué la fouille (d.a., p. 84). Selon les policiers, la fouille n’a été effectuée qu’à la demande du directeur de l’école (d.a., p. 77). En conséquence, il n’y avait pas, comme cela était requis, de soupçons généraux et il faut donc conclure que la fouille contrevenait à l’art. 8 de la Charte.
D) Admission des éléments de preuve
[181] Le paragraphe 24(2) de la Charte exige un examen de l’admissibilité des éléments de preuve obtenus en violation de droits individuels garantis par la Charte. Les éléments de preuve ne seront écartés que s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice (Law; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607). Les facteurs à examiner pour prendre cette décision peuvent être regroupés en trois catégories :
(1) l’effet de l’utilisation de la preuve sur l’équité du procès à venir; (2) la gravité de la conduite de la police; (3) l’effet de l’exclusion de la preuve sur l’administration de la justice. Au procès, les juges sont tenus de prendre ces trois facteurs en considération.
(Law, par. 33, s’appuyant sur Collins.)
(1) L’équité du procès
[182] La notion d’équité du procès s’attache aux effets continus de l’auto‑incrimination et lorsque « l’accusé, en violation de ses droits garantis par la Charte, est forcé de s’incriminer sur l’ordre de l’État au moyen d’une déclaration, de l’utilisation de son corps ou de la production de substances corporelles », l’utilisation de la preuve ainsi obtenue porterait généralement atteinte à l’équité du procès (Stillman, par. 80). Il s’agit de ce que l’on appelle la preuve « obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même » (Law, par. 34, citant Stillman, par. 80).
[183] Toutefois, lorsque la preuve, comme en l’espèce, n’est pas obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même parce qu’elle existait indépendamment de l’atteinte et qu’elle n’émanait pas de l’accusé, son utilisation ne touchera pas l’équité du procès (Buhay, par. 50, citant Stillman et Evans).
(2) La gravité de la violation
[184] La gravité de la violation est évaluée en fonction de « la question de savoir si elle a été commise de bonne foi ou par inadvertance ou si elle est de pure forme, ou encore s’il s’agit d’une violation délibérée, volontaire ou flagrante » : R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, p. 652. Il y a lieu de déterminer également si l’atteinte a été motivée par une situation d’urgence ou de nécessité et de tenir compte du caractère envahissant de la fouille ainsi que des attentes de la personne en matière de vie privée (Buhay, par. 52).
[185] Le juge du procès a estimé que cette violation [traduction] « doit être considérée comme mineure » (par. 22) et je souscris à sa conclusion. Il est révélateur que la fouille se soit déroulée dans un milieu où l’attente en matière de vie privée est réduite et que la fouille elle‑même ait été peu envahissante. Il est également révélateur que les policiers aient effectué la fouille en collaboration avec le directeur de l’école et qu’ils aient cru que celui‑ci les y avaient autorisés. L’agent McCutchen a déclaré qu’il croit comprendre que les policiers répondent aux demandes des écoles afin de les [traduction] « aider » lorsqu’il y a un problème de drogues. Il a estimé avoir effectué des fouilles à l’aide de chiens renifleurs dans 140 écoles au cours de ses dix années au sein de l’unité canine de la Police provinciale de l’Ontario (d.a., p. 74). L’agent Callander a lui aussi participé à la fouille à l’école St. Patrick’s. Il fait partie du service de police de Clearwater depuis 27 ans et il a déclaré que les fouilles de cette nature étaient [traduction] « pratique courante » (d.a., p. 79) et étaient effectuées à la demande des directeurs d’école (d.a., p. 79). À mon avis, ces témoignages permettent de conclure que les policiers ayant participé à la fouille ignoraient que l’utilisation de chiens renifleurs pour fouiller l’école dans les circonstances de l’espèce contrevenait à la Charte en l’absence de motifs raisonnables de soupçonner que des drogues y seraient découvertes.
[186] Il ressort également de la preuve que la direction de l’école ignorait que de telles fouilles contrevenaient à la Charte. Le directeur de l’école secondaire St. Patrick’s a déclaré qu’il estime être obligé par la Loi sur l’éducation de maintenir à l’école un environnement sûr et ordonné (d.a., p. 47) et qu’il a besoin de la collaboration de la police pour découvrir la drogue qui se trouve dans l’édifice (d.a., p. 45). Il a ajouté que, même s’il ne peut choisir arbitrairement un casier ou un sac et le fouiller sans [traduction] « autre motif » (d.a., p. 59), les policiers n’ont pas besoin, pour effectuer une fouille, de lui fournir d’autres informations spécifiques indiquant que celle‑ci est nécessaire (d.a., p. 53). Selon le directeur, l’arrangement qu’il avait conclu avec la police et qui s’appliquait lorsque le sac de A.M. a été fouillé permettait qu’une fouille au hasard soit effectuée en tout temps à l’aide de chiens renifleurs; la seule restriction était la disponibilité des ressources policières (d.a., p. 53).
[187] Ces éléments de preuve permettent d’établir que la violation de la Charte en l’espèce n’était ni délibérée ni volontaire. La direction de l’école et les policiers ont agi de bonne foi lors de la fouille effectuée à l’aide du chien renifleur et, par conséquent, j’estime que la violation a été commise par inadvertance. Combiné à l’attente réduite en matière de vie privée et au caractère peu envahissant de la fouille, ce facteur m’amène à conclure que la violation n’était pas grave.
(3) L’effet de l’exclusion de la preuve sur la considération dont jouit l’administration de la justice
[188] La dernière étape de l’analyse que requiert le par. 24(2) consiste à examiner si l’exclusion de la preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Il est généralement nécessaire à cette fin de déterminer « si les éléments de preuve obtenus de façon inconstitutionnelle constituent une partie vitale de la preuve du ministère public et, d’autre part, lorsqu’il n’y a pas atteinte à l’équité du procès, sur la gravité de l’accusation sous‑jacente » (Law, par. 39).
[189] Il est clair que les éléments de preuve obtenus grâce à la fouille sont nécessaires pour établir le bien‑fondé des accusations portées contre A.M. et qu’ils constituent donc une partie vitale de la preuve du ministère public. De plus, les accusations de trafic de stupéfiants portées contre A.M. sont graves et le fait que l’infraction ait été commise dans une école constitue un facteur aggravant.
[190] À mon avis, tous les facteurs susmentionnés favorisent l’admission des éléments de preuve. La fouille n’a pas été effectuée sur le fondement de motifs raisonnables de soupçonner que des drogues seraient découvertes, mais elle a été faite de bonne foi. La fouille était peu envahissante et elle s’est déroulée dans un milieu où l’attente en matière de vie privée était réduite. Les éléments de preuve n’ont pas été obtenus en mobilisant l’accusé contre lui‑même et ils ne portent pas atteinte à l’équité du procès. Par conséquent, j’estime que l’exclusion de la preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice et que le juge du procès a commis une erreur en refusant de l’admettre au procès.
[191] Pour ces raisons, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi pour l’unique motif que les éléments de preuve contre A.M. auraient dû être admis au procès.
Pourvoi rejeté, les juges Bastarache, Deschamps et Rothstein sont dissidents.
Procureur de l’appelante : Service des poursuites pénales du Canada, Calgary.
Procureur de l’intimé : Walter Fox, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec : Procureur général du Québec, Québec.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.
Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario) : Sack Goldblatt Mitchell, Toronto.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : McCarthy Tétrault, Toronto.
Procureurs de l’intervenante St. Clair Catholic District School Board : Shibley Righton, Toronto.
Procureur de l’intervenante Canadian Foundation for Children, Youth and the Law (Justice for Children and Youth) : Canadian Foundation for Children, Youth and the Law, Toronto.