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27/01/2023 | CANADA | N°2023CSC3

Canada | Canada, Cour suprême, 27 janvier 2023, R. c. Hilbach, 2023 CSC 3


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : R. c. Hilbach, 2023 CSC 3

 

 
Appel entendu : 22 mars 2022
Jugement rendu : 27 janvier 2023
Dossier : 39438


 
Entre :
 
Sa Majesté le Roi
Appelant
 
et
 
Ocean William Storm Hilbach et Curtis Zwozdesky
Intimés
 
- et -
 
Directrice des poursuites pénales, procureur général de l’Ontario, procureur général de la Saskatchewan, Association canadienne des libertés civiles, Association du Barreau canadien et British Columbia Civil Liberties Associatio

n
Intervenants
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer e...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : R. c. Hilbach, 2023 CSC 3

 

 
Appel entendu : 22 mars 2022
Jugement rendu : 27 janvier 2023
Dossier : 39438

 
Entre :
 
Sa Majesté le Roi
Appelant
 
et
 
Ocean William Storm Hilbach et Curtis Zwozdesky
Intimés
 
- et -
 
Directrice des poursuites pénales, procureur général de l’Ontario, procureur général de la Saskatchewan, Association canadienne des libertés civiles, Association du Barreau canadien et British Columbia Civil Liberties Association
Intervenants
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal
 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 111)

La juge Martin (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Brown, Rowe et Kasirer)

 

 

Motifs concordants :
(par. 112 à 113)

La juge Côté

 

 

Motifs conjoints dissidents :
(par. 114 à 165)

Les juges Karakatsanis et Jamal

 
 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
Sa Majesté le Roi                                                                                             Appelant
c.
Ocean William Storm Hilbach et
Curtis Zwozdesky                                                                                               Intimés
et
Directrice des poursuites pénales,
procureur général de l’Ontario,
procureur général de la Saskatchewan,
Association canadienne des libertés civiles,
Association du Barreau canadien et
British Columbia Civil Liberties Association                                          Intervenants
Répertorié : R. c. Hilbach
2023 CSC 3
No du greffe : 39438.
2022 : 22 mars; 2023 : 27 janvier.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal.
en appel de la cour d’appel de l’alberta
                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Traitements ou peines cruels et inusités — Détermination de la peine — Peine minimale obligatoire — Vol qualifié — Accusés déclarés coupables d’une infraction de vol qualifié commis avec une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte et d’une infraction de vol qualifié commis avec une arme à feu ordinaire — Accusés contestant la constitutionnalité de la peine minimale obligatoire de cinq ans d’emprisonnement prescrite pour le vol qualifié commis avec une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte et de la peine minimale obligatoire de quatre ans d’emprisonnement prescrite pour le vol qualifié commis avec une arme à feu ordinaire — Les peines minimales obligatoires constituent‑elles des peines cruelles et inusitées? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 12 — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 344(1)a)(i), a.1).
                    Après avoir commis un vol qualifié dans un dépanneur, H, un Autochtone de 19 ans, a plaidé coupable à une accusation de vol qualifié avec usage d’une arme à feu prohibée en contravention du sous‑al. 344(1)a)(i) du Code criminel. Le sous‑alinéa 344(1)a)(i) prescrit une peine minimale obligatoire de cinq ans d’emprisonnement dans le cas d’une condamnation pour une première infraction de vol qualifié commis avec une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte. Lors de la détermination de la peine, H, s’appuyant sur l’art. 12 de la Charte, a contesté la peine minimale obligatoire, soutenant qu’il s’agissait d’une peine exagérément disproportionnée au regard de sa situation et qu’elle constituait une peine cruelle et inusitée. Le juge chargé de la détermination de la peine a conclu que la peine minimale obligatoire était exagérément disproportionnée et contrevenait à l’art. 12. Il a déterminé qu’une peine de deux ans moins un jour était juste et proportionnée dans le cas de H.
                    Dans une affaire distincte, Z a commis un vol qualifié dans un dépanneur et a reconnu sa culpabilité à une accusation de vol qualifié avec usage d’une arme à feu en contravention de l’al. 344(1)a.1) du Code criminel. À cette époque, l’al. 344(1)a.1) imposait une peine minimale obligatoire de quatre ans d’emprisonnement en cas de déclaration de culpabilité pour vol qualifié lorsqu’une arme à feu ordinaire était utilisée. Lors de la détermination de la peine, Z a présenté, sur le fondement de l’art. 12 de la Charte, une contestation visant la peine minimale obligatoire, s’appuyant sur une série de situations hypothétiques. La juge chargée de la détermination de la peine a conclu que la peine minimale obligatoire n’était pas exagérément disproportionnée dans le cas de Z. Elle a conclu, toutefois, que la peine était exagérément disproportionnée dans des situations hypothétiques raisonnablement prévisibles, et a déclaré l’al. 344(1)a.1) inopérant. Elle a condamné Z à une peine d’emprisonnement de trois ans.
                    Les appels de la Couronne dans les dossiers de H et de Z ont été instruits conjointement. La Cour d’appel a rejeté les appels sur la constitutionnalité des dispositions établissant les peines minimales obligatoires, mais a ajouté un an à la peine de H, concluant qu’un emprisonnement de trois ans était une peine juste et proportionnée. Elle a refusé de modifier la peine de Z. La Couronne interjette appel à la Cour des déclarations d’inconstitutionnalité des dispositions prévoyant les peines minimales obligatoires.
                    Arrêt (les juges Karakatsanis et Jamal sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli.
                    Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Brown, Rowe, Martin et Kasirer : Les peines minimales obligatoires énoncées au sous‑al. 344(1)a)(i) et à l’ancien al. 344(1)a.1) sont constitutionnelles et ne constituent pas des peines cruelles et inusitées.
                    Dans le pourvoi connexe R. c. Hills, 2023 CSC 2, la Cour a confirmé et précisé le cadre d’analyse applicable aux contestations de la constitutionnalité d’une peine minimale obligatoire fondées sur l’art. 12 de la Charte. Conformément à ce cadre, déterminer si les peines minimales obligatoires pour vol qualifié sont exagérément disproportionnées commande une démarche en deux étapes. Le tribunal doit d’abord déterminer ce qui constitue une peine juste et proportionnée pour l’infraction eu égard aux objectifs et principes de détermination de la peine établis par le Code criminel. Le tribunal doit ensuite se demander si la disposition contestée l’oblige à infliger une peine qui est exagérément disproportionnée par rapport à la peine juste et proportionnée. La question de savoir si une peine minimale obligatoire est exagérément disproportionnée dépendra de la portée et de l’étendue de l’infraction, des effets de la peine sur la personne délinquante et de la peine elle‑même et de ses objectifs. Cette évaluation en deux étapes peut se faire en fonction soit a) de la personne délinquante qui comparaît devant le tribunal, soit b) d’une autre personne délinquante dans un cas raisonnablement prévisible.
                    L’autochtonité devrait s’inscrire dans l’analyse de la disproportion exagérée fondée sur l’art. 12. L’alinéa 718.2e) du Code criminel exige l’examen de la situation particulière des personnes délinquantes autochtones relativement à toutes les infractions lors de la détermination de la peine. Les juges chargés de la détermination de la peine doivent tenir compte des facteurs systémiques ou contextuels distinctifs qui peuvent avoir joué un rôle dans le fait que la personne délinquante autochtone se retrouve devant les tribunaux, ainsi que des types de procédures de détermination de la peine et de sanctions qui, dans les circonstances, peuvent être appropriées pour cette personne délinquante. Lorsqu’il entre en jeu, l’al. 718.2e) s’applique à trois différentes parties de l’analyse fondée sur l’art. 12. Premièrement, les tribunaux doivent tenir compte de l’arrêt Gladue lorsqu’ils déterminent la peine de la personne délinquante en cause; l’omission de prendre en considération les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue est une erreur susceptible de mener à la conclusion qu’une peine n’est pas indiquée. Deuxièmement, lorsque les tribunaux élaborent des situations hypothétiques raisonnablement prévisibles, ils peuvent examiner des situations mettant en cause des personnes délinquantes autochtones. Enfin, l’autochtonité est pertinente à la deuxième étape de l’analyse fondée sur l’art. 12. L’appréciation de la question de savoir si une peine minimale obligatoire est exagérément disproportionnée dépend, en partie, de l’effet de la peine sur les personnes délinquantes, notamment les personnes délinquantes autochtones, et du fait qu’elle rend compte d’objectifs pénaux valables et de principes reconnus en matière de détermination de la peine, qui comprennent le cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Gladue pour l’application de l’al. 718.2e).
                    Dans le cas de H, la peine minimale obligatoire de cinq ans prescrite au sous‑al. 344(1)a)(i) ne contrevient pas à l’art. 12 de la Charte. Pour ce qui est de la première étape de l’analyse, soit déterminer ce qui constitue une peine juste et proportionnée pour l’infraction, un emprisonnement de trois ans est une peine juste et proportionnée pour H. Il s’agit du point de départ adopté pour le vol à main armée simple commis dans de petits établissements commerciaux en l’absence de préjudice physique réel. Outre le fait que l’infraction commise par H comportait l’utilisation d’une arme à feu prohibée, elle a aussi causé un préjudice physique aux deux commis du dépanneur. Qui plus est, H a pointé sa carabine sur deux employés. Il était en probation et faisait l’objet d’une ordonnance d’interdiction au moment de l’infraction, et il a impliqué un adolescent de 13 ans dans un crime violent. La peine de deux ans imposée par le juge chargé de la détermination de la peine, qui était inférieure d’une année entière au point de départ, était manifestement non indiquée.
                    Pour ce qui est de la deuxième partie de l’analyse en deux étapes, soit déterminer si une peine est exagérément disproportionnée, la peine minimale obligatoire, bien qu’elle soit sévère et qu’elle frôle la limite, n’est pas exagérément disproportionnée dans le cas de H. Premièrement, pour ce qui est de la portée et de l’étendue de l’infraction, la peine minimale en cause n’a pas une portée large au point d’englober des comportements qui présentent relativement peu de risque de préjudice. La gravité de l’infraction de vol qualifié et la culpabilité des personnes délinquantes qui en sont reconnues coupables sont relativement élevées. Le vol qualifié est une infraction grave en raison de l’actus reus requis, c’est‑à‑dire le recours ou la menace de recours à la violence ou à la force lors du vol ou de la tentative de vol de biens. L’ajout d’une arme à feu à l’équation ne fait qu’accroître la gravité de l’infraction. Les conséquences préjudiciables de l’utilisation d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte lors de la perpétration d’un vol qualifié sont faciles à déterminer : il y a le risque de décès ou de blessures corporelles graves pour les victimes et les passants, et même s’il n’y a pas de coups de feu, l’exposition à cette menace comporte le risque de préjudice psychologique profond. L’usage d’une arme à feu prohibée non chargée ne réduit pas considérablement la gravité de l’infraction, car la présence d’une arme à feu crée une situation extrêmement instable et dangereuse. Les éléments moraux requis pour que la peine minimale s’applique suggèrent un degré relativement élevé de culpabilité. La personne délinquante qui commet un vol qualifié avec une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte doit avoir l’intention de voler et avoir l’intention d’utiliser la violence ou la force (ou de menacer de le faire). L’infraction ne consiste pas en une décision prise par inadvertance de mettre la sécurité du public à risque, mais en un choix conscient de mettre à grand risque la sécurité d’une autre personne. Bien que la situation personnelle de H atténue quelque peu sa culpabilité, les actes qu’il a commis constituent une infraction grave comportant un degré élevé de culpabilité morale.
                    Deuxièmement, pour ce qui est des effets de la peine sur la personne délinquante, une peine d’emprisonnement de cinq ans aurait des répercussions néfastes sur la réinsertion sociale de H, au regard de la conclusion du juge chargé de la détermination de la peine selon laquelle une peine purgée dans un pénitencier accroissait la probabilité que H réintègre le milieu des gangs. Pour bon nombre de personnes délinquantes autochtones, la peine sera plus difficile car celles‑ci sont plus durement touchées par l’incarcération et sont souvent traitées de façon discriminatoire dans les milieux carcéraux. De plus, l’incarcération elle‑même est souvent une façon culturellement inappropriée de sanctionner les actes répréhensibles commis par des personnes délinquantes autochtones. Ces effets doivent avoir beaucoup de poids.
                    Pour ce qui est de la peine et de ses objectifs, les tribunaux doivent d’abord examiner quels objectifs de détermination de la peine le Parlement a priorisés en adoptant la peine minimale obligatoire et, ensuite, se demander si la peine minimale va au‑delà de ce qui est nécessaire pour permettre au Parlement d’atteindre ses objectifs. Dans le cas de H, la décision du Parlement de prioriser la dénonciation et la dissuasion est justifiable. La peine minimale obligatoire vise une conduite qui justifie manifestement la dissuasion et la dénonciation vigoureuse qu’indique une lourde peine d’emprisonnement. Le Parlement peut édicter des peines minimales obligatoires qui indiquent que l’insouciance à l’égard de la vie et de la sécurité d’autrui dans la manipulation d’armes à feu n’est tout simplement pas acceptable. Il y a aussi un besoin de dissuasion générale lorsqu’une personne met en danger la sécurité d’autrui en brandissant une arme à feu. Les gestes de H correspondent précisément à la conduite que le Parlement voulait dissuader. Il y a donc lieu de faire preuve d’une plus grande retenue à l’égard du choix du Parlement de prévoir une peine minimale. De plus, la peine minimale obligatoire dans le cas de H ne déroge pas totalement aux normes de détermination de la peine pour une infraction de cette nature. Bien qu’une peine minimale obligatoire de cinq ans soit supérieure à la peine à laquelle H serait condamné, elle ne dépasse pas de beaucoup ce qui est nécessaire pour que le Parlement atteigne ses objectifs en matière de détermination de la peine. La différence entre la peine minimale obligatoire et la situation particulière de H ne portent pas atteinte aux normes de la décence.
                    Dans le cas de Z, cinq situations hypothétiques ont été présentées. Toutefois, ces situations sont insuffisantes pour établir que l’al. 344(1)a.1) est exagérément disproportionné. La peine minimale obligatoire ne choque pas la conscience ou n’est pas excessive au point de porter atteinte aux normes de la décence. Bien que la peine soit sévère, le seuil élevé de la disproportion exagérée n’est pas atteint.
                    Premièrement, parmi les cinq situations, seules deux sont raisonnablement prévisibles. Les situations raisonnablement prévisibles sont des situations dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elles se produisent, selon le bon sens et l’expérience judiciaire, comme il est indiqué dans l’arrêt Hills. La première situation hypothétique raisonnable porte sur un Autochtone âgé de 21 ans qui souffre d’alcoolisme et est atteint de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale, et qui se trouve dans un état d’ébriété extrême et est couché face contre terre dans un banc de neige lorsqu’une bonne samaritaine s’arrête pour l’aider. Il empoigne la femme, met la main à sa propre ceinture pour lui faire voir un fusil à balles BB et saisit le sac à main de celle‑ci. Le fusil à balles BB fonctionne et est susceptible de crever un œil, mais il n’est pas chargée. La deuxième situation hypothétique raisonnable porte sur un Autochtone âgé de 26 ans, qui souffre de toxicomanie et de schizophrénie et qui a un casier judiciaire peu chargé. Lors d’une rencontre avec son trafiquant de drogue dans un stationnement, il sort un pistolet à air comprimé, le pointe en direction de son trafiquant et prend quelques comprimés de méthamphétamine.
                    De plus, deux situations hypothétiques tirées de décisions publiées sont raisonnablement prévisibles. Les deux affaires portaient sur de jeunes personnes délinquantes impliquées dans des vols qualifiés commis dans des dépanneurs : une Autochtone âgée de 18 ans, qui avait plaidé coupable en tant que participante à un vol qualifié dans un dépanneur, où l’auteur principal de l’infraction avait utilisé une fausse arme à feu; et un jeune délinquant âgé de 18 ans qui avait utilisé un fusil à balles BB pour perpétrer un vol qualifié et qui a plaidé coupable.
                    Quant à la première étape de la démarche, une peine de deux ans à deux ans et demi d’emprisonnement est une peine juste et proportionnée dans ces situations raisonnablement prévisibles. Ces situations comportaient des vols impliquant de la violence dans la rue, une infraction dont la fourchette de peines est d’environ 12 à 18 mois, en plus de l’utilisation d’une arme, en particulier une arme à feu, ce qui est un facteur aggravant. De plus, elles comportaient l’emploi de la force envers la victime, un degré de planification et un casier judiciaire. L’utilisation d’une arme à feu pour régler une dispute liée à la drogue présente aussi un risque grave pour la sécurité publique, une considération qui justifie une lourde peine. Néanmoins, la culpabilité morale des personnes délinquantes est atténuée lorsque des problèmes de santé mentale et de dépendance sous‑tendent leurs gestes, ainsi que tout facteur applicable énoncé dans l’arrêt Gladue.
                    Quant à la deuxième étape de la démarche, le minimum obligatoire n’est pas exagérément disproportionné dans ces situations raisonnablement prévisibles. Pour ce qui est de la portée et de l’étendue de l’infraction, les situations ne démontrent pas que la peine minimale obligatoire ratisse trop large et englobe des personnes délinquantes dont la culpabilité morale est peu élevée. La mens rea et l’actus reus de cette infraction s’appliquent à un ensemble relativement limité de comportements violents, et la personne délinquante doit avoir fait de manière délibérée un acte précis ayant entraîné un préjudice déterminé pour être déclarée coupable. Du point de vue de la sécurité publique, il n’y a pas de différence considérable entre la perpétration d’un vol qualifié avec une arme à feu conventionnelle et une arme à air comprimé. Les situations invoquées par Z n’établissent pas que l’al. 344(1)a.1) s’applique dans des circonstances ne comportant que peu ou pas de danger pour le public ou peu ou pas de faute. Les distinctions entre la létalité des armes à feu en cause, ou la responsabilité en tant que participant, n’établissent pas des degrés de gravité radicalement différents dans le contexte de cette infraction. Dans toutes ces situations, pour voler, une personne délinquante fait le choix conscient de mettre une autre personne à risque de blessures graves et d’un traumatisme psychologique considérable. Toutefois, les effets de la peine sur la personne délinquante sont graves. La situation personnelle de la personne délinquante hypothétique indique que la période d’incarcération exigée par l’al. 344(1)a.1) pourrait vraisemblablement entraîner de graves effets néfastes. Finalement, un examen de la peine et de ses objectifs révèle que l’analyse fondée sur l’al. 344(1)a.1) et celle fondée sur le sous‑al. 344(1)a)(i) sont semblables. Le Parlement a choisi d’imposer la condamnation morale forte qu’une lourde peine d’emprisonnement signale, ce qui est raisonnable vu que le choix des personnes délinquantes de mettre à risque la sécurité publique contrevient aux valeurs morales fondamentales. Il convient donc de faire preuve d’une plus grande déférence à l’égard de la décision du Parlement d’édicter un minimum obligatoire.
                    La juge Côté : Il y a accord avec la majorité quant au dispositif de l’appel. Toutefois, pour les motifs exposés en dissidence dans l’arrêt Hills, il y a désaccord avec le nouveau test à trois étapes élaboré par la majorité relativement à la disproportion exagérée à la seconde étape du cadre d’analyse existant. Il découle de l’application de ce cadre juridique que la peine minimale obligatoire prévue au sous‑al. 344(1)a)(i) et celle prescrite à l’al. 344(1)a.1) ne sont pas excessives au point de porter atteinte aux normes de la décence ou de choquer la conscience des Canadiens.
                    Les juges Karakatsanis et Jamal (dissidents) : Le pourvoi devrait être rejeté. Le sous‑alinéa 344(1)a)(i) et l’al. 344(1)a.1) du Code criminel violent la garantie constitutionnelle contre les peines cruelles et inusitées établie à l’art. 12 de la Charte. Ces peines ne peuvent être sauvegardées par application de l’article premier, et elles devraient être déclarées inopérantes en vertu du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
                    La peine de cinq ans énoncée au sous‑al. 344(1)a)(i) est exagérément disproportionnée dans le cas de H. Le juge chargé de la détermination de la peine a correctement examiné les faits, la jurisprudence ainsi que les objectifs de détermination de la peine pertinents avant de conclure qu’une peine de deux ans moins un jour était juste et proportionnée eu égard à la situation de H. Cette conclusion commande la déférence. Dans la détermination d’une peine juste, les tribunaux ne doivent pas suivre systématiquement des points de départ, éliminer complètement toute perspective de réinsertion sociale ou encore déformer la gravité de l’infraction en écartant des faits pertinents (par exemple le fait que l’arme à feu était chargée ou non). Dans la détermination de la peine de H, le juge a mis en balance les facteurs aggravants importants ainsi que les circonstances personnelles tragiques de celui‑ci, notamment le fait qu’il a été abandonné par ses parents, qu’il a été élevé par ses grands‑parents paternels (tous deux des survivants des pensionnats autochtones) et qu’il a eu une enfance et une adolescence marquées par la pauvreté, une cellule familiale brisée, des abus physiques et une dépendance à des substances. Ces circonstances sont précisément le genre de contexte ou de facteurs systémiques que la Cour a reconnu comme étant atténuants lors de la détermination de la peine, et il est impérieux que les juges chargés de déterminer les peines considèrent de manière appropriée les conditions sociales particulières auxquelles sont exposés les peuples autochtones au Canada. Il choquerait la conscience d’envoyer un jeune délinquant autochtone en prison pendant cinq ans alors que, comme a déterminé le juge de la peine, une telle décision serait préjudiciable tant au délinquant qu’à la société. De plus, une sentence qui représente le double ou presque d’une peine juste est exagérément disproportionnée et viole l’art. 12 de la Charte. Il est difficile de concevoir comment une telle peine ne choquerait pas la conscience des Canadiens. Une peine de cinq ans n’est pas compatible avec une interprétation téléologique de l’art. 12 et ne tient pas non plus compte des profondes conséquences que toute incarcération aurait sur la vie et la liberté d’un délinquant, sans compter les répercussions connexes qu’elle aurait pour ce dernier et sa famille. Même si une peine juste dans le cas de H était une peine de trois ans, une peine de cinq ans serait tout de même exagérément disproportionnée.
                    La peine minimale obligatoire de quatre ans prévue à l’al. 344(1)a.1) est elle aussi exagérément disproportionnée. Elle a une portée inconstitutionnellement large et s’applique de manière prévisible à un large éventail de situations, y compris des cas où le délinquant peut être jeune, être dépendant à des substances ou avoir aidé le délinquant principal ou fait usage d’une arme à feu tel un fusil à balles BB. Infliger cette peine minimale obligatoire dans certaines de ces situations serait excessif au point de porter atteinte aux normes de la décence. Une peine de quatre ans va au‑delà de l’exemple classique d’un vol qualifié commis avec usage d’une arme à feu et vise aussi des conduites moins extrêmes. Bien que la gravité objective d’un vol qualifié perpétré avec une arme à feu soit toujours importante, la gravité de l’infraction commise dépend des circonstances entourant l’infraction et varie considérablement. Un large éventail de personnes commettent des vols à main armée. La prise en considération de telles circonstances et caractéristiques personnelles éclaire sur la portée raisonnablement prévisible du texte de loi et reflète la nature intrinsèquement individualisée de la détermination de la peine et la manière dont la proportionnalité implique une évaluation tant de la gravité de l’infraction que de la culpabilité morale du délinquant. Cela fait en sorte que l’art. 12 tient compte de la composition courante des délinquants du système de justice pénale. Vu la portée de la définition du terme arme à feu (qui inclut les fusils à balles BB, les fusils de paintball et les fusils à clous), la gamme de conduites visées par l’infraction (y compris le degré de participation au crime et la nature de cette participation, le niveau de violence et le niveau de sophistication), ainsi que la fréquence de certaines circonstances personnelles, circonstances qui s’entrecroisent souvent (notamment l’autochtonité, la jeunesse, les dépendances à diverses substances et les efforts de réinsertion sociale), il est raisonnablement prévisible qu’une peine de quatre ans dans un pénitencier constituerait une peine exagérément disproportionnée pour certains délinquants.
Jurisprudence
Citée par la juge Martin
                    Arrêt appliqué : R. c. Hills, 2023 CSC 2; arrêts mentionnés : R. c. Smith, 1987 CanLII 64 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1045; R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773, conf. 2013 ONCA 677, 117 O.R. (3d) 401; R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130; R. c. Morrisey, 2000 CSC 39, [2000] 2 R.C.S. 90; R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96; R. c. McDonald (1998), 1998 CanLII 13327 (ON CA), 40 O.R. (3d) 641; Lapierre c. R., 1998 CanLII 13203 (QC CA), [1998] R.J.Q. 677; R. c. McIvor, 2018 MBCA 29, [2018] 5 W.W.R. 139; R. c. Pelletier (1992), 44 Q.A.C. 168; R. c. Strong (1990), 1990 ABCA 327 (CanLII), 111 A.R. 12; R. c. Nadolnick, 2003 ABCA 363, 339 A.R. 348; R. c. Roberts, 2016 NLTD(G) 18, 377 Nfld. & P.E.I.R. 174; Lafrance c. La Reine, 1973 CanLII 35 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 201; R. c. Dorosh, 2003 SKCA 134, [2004] 8 W.W.R. 613; R. c. Watson, 2008 ONCA 614, 240 O.A.C. 370; R. c. D. (A.), 2003 BCCA 106, 173 C.C.C. (3d) 177; R. c. Covin, 1983 CanLII 151 (CSC), [1983] 1 R.C.S. 725; McGuigan c. La Reine, 1982 CanLII 41 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 284; R. c. Steele, 2007 CSC 36, [2007] 3 R.C.S. 3; R. c. Purcell, 2007 ONCA 101, 220 O.A.C. 207; R. c. Johnas (1982), 1982 ABCA 331 (CanLII), 41 A.R. 183; R. c. Hills, 2020 ABCA 263, 9 Alta. L.R. (7th) 226; R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23; R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206; R. c. Friesen, 2020 CSC 9, [2020] 1 R.C.S. 424; R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433; R. c. Goltz, 1991 CanLII 51 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 485; R. c. Latimer, 2001 CSC 1, [2001] 1 R.C.S. 3; R. c. Wiles, 2005 CSC 84, [2005] 3 R.C.S. 895; Steele c. Établissement Mountain, 1990 CanLII 50 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1385; R. c. Felawka, 1993 CanLII 36 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 199; R. c. Al‑Isawi, 2017 BCCA 163, 348 C.C.C. (3d) 524; R. c. Stewart, 2010 BCCA 153, 253 C.C.C. (3d) 301; R. c. Uniat, 2015 ONCA 197; R. c. Breese, 2021 ONSC 1611; R. c. John, 2016 ONSC 396; R. c. Stoddart, [2005] O.J. No. 6076 (QL), 2005 CarswellOnt 6523 (WL), conf. par 2007 ONCA 139, 221 O.A.C. 108; R. c. Asif, 2020 ONSC 1403; R. c. Charley, 2019 ONSC 6490; Québec (Procureure générale) c. 9147‑0732 Québec inc., 2020 CSC 32; R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500; R. c. Parranto, 2021 CSC 46; R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089; R. c. Jones, 2012 ONCA 609; R. c. Maytwayashing, 2018 MBCA 36; R. c. Agin, 2018 BCCA 133, 361 C.C.C. (3d) 258; R. c. D. (Q.) (2005), 2005 CanLII 30044 (ON CA), 199 C.C.C. (3d) 490; R. c. Marshall, 2015 ONCA 692, 340 O.A.C. 201; R. c. Bellissimo, 2009 ONCA 49; R. c. Brown, 2010 ONCA 745, 277 O.A.C. 233; R. c. Mark, 2018 ONSC 447; R. c. Thavakularatnam, 2018 ONSC 2380; R. c. Lyons, 1987 CanLII 25 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 309; R. c. Smart, 2014 ABPC 175, 595 A.R. 266; R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411; R. c. Link, 2012 MBPC 25, 276 Man. R. (2d) 157; R. c. Delchev, 2014 ONCA 448, 323 O.A.C. 19; R. c. McIntyre, 2019 ONCA 161, 429 C.R.R. (2d) 346; R. c. Wust (1998), 1998 CanLII 5492 (BC CA), 125 C.C.C. (3d) 43; R. c. Bernarde, 2018 NWTCA 7; R. c. Overacker, 2005 ABCA 150, 367 A.R. 250; R. c. Hennessey, 2010 ABCA 274, 490 A.R. 35; R. c. Vu, 2012 CSC 40, [2012] 2 R.C.S. 411; R. c. Thatcher, 1987 CanLII 53 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 652; R. c. Price (2000), 2000 CanLII 5679 (ON CA), 144 C.C.C. (3d) 343; R. c. Church (1985), 7 Cr. App. R. (S.) 370; R. c. Wallace (1973), 1973 CanLII 1434 (ON CA), 11 C.C.C. (2d) 95; R. c. Folino (2005), 2005 CanLII 40543 (ON CA), 77 O.R. (3d) 641; R. c. Dedeckere, 2017 ONCA 799, 15 M.V.R. (7th) 177; R. c. Batisse, 2009 ONCA 114, 93 O.R. (3d) 643; R. c. Anderson, 2014 CSC 41, [2014] 2 R.C.S. 167; R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61; R. c. McMillan, 2016 MBCA 12, 326 Man. R. (2d) 56; R. c. Shi, 2015 ONCA 646.
Citée par la juge Côté
                    Arrêts mentionnés : R. c. Hills, 2023 CSC 2; R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773; R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23; R. c. Smith, 1987 CanLII 64 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1045; R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130.
Citée par les juges Karakatsanis et Jamal (dissidents)
                    R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130; R. c. Hills, 2023 CSC 2; Miller c. La Reine, 1976 CanLII 12 (CSC), [1977] 2 R.C.S. 680; R. c. Hamilton (2004), 2004 CanLII 5549 (ON CA), 72 O.R. (3d) 1; R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433; R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773; R. c. Johnas (1982), 1982 ABCA 331 (CanLII), 41 A.R. 183; R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688; R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23; R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089; R. c. Parranto, 2021 CSC 46; R. c. Friesen, 2020 CSC 9, [2020] 1 R.C.S. 424; R. c. Steele, 2007 CSC 36, [2007] 3 R.C.S. 3; R. c. Covin, 1983 CanLII 151 (CSC), [1983] 1 R.C.S. 725; R. c. Dunn, 2013 ONCA 539, 117 O.R. (3d) 171, conf. par 2014 CSC 69, [2014] 3 R.C.S. 490; R. c. Matwiy (1996), 1996 ABCA 63 (CanLII), 178 A.R. 356; R. c. Smart, 2014 ABPC 175, 595 A.R. 266; R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411; R. c. Link, 2012 MBPC 25, 276 Man. R. (2d) 157.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 12.
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 2 « arme à feu », « voler », 21, 84(1), (3), 85, 117.01(1), 244.2(1)a), (3)b), partie IX, 343, 344, 718, 718.1, 718.2.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52(1).
Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 2022, c. 15.
Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, c. S‑26, art. 76.
Loi sur les armes à feu, L.C. 1995, c. 39, art. 12, 139, 149.
Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002‑156, règle 92.
Doctrine et autres documents cités
Canada. Bureau de l’enquêteur correctionnel. Rapport annuel 2021‑2022, Ottawa, 2022.
Mangat, Raji. More Than We Can Afford : The Costs of Mandatory Minimum Sentencing, Vancouver, British Columbia Civil Liberties Association, 2014.
Manning, Morris, and Peter Sankoff. Manning, Mewett & Sankoff : Criminal Law, 5th ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2015.
Ruby, Clayton C. Sentencing, 10th ed., Toronto, LexisNexis, 2020.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Wakeling, Strekaf et Feehan), 2020 ABCA 332, 14 Alta. L.R. (7th) 245, 394 C.C.C. (3d) 179, [2021] 1 W.W.R. 637, 473 C.R.R. (2d) 107, [2020] A.J. No. 987 (QL), 2020 CarswellAlta 1681 (WL), qui a confirmé la déclaration d’inconstitutionnalité du sous‑al. 344(1)a)(i) du Code criminel et modifié la peine inscrite par le juge Dunlop, 2018 ABQB 526, 75 Alta. L.R. (6th) 359, 414 C.R.R. (2d) 327, [2018] A.J. No. 861 (QL), 2018 CarswellAlta 1350 (WL). Pourvoi accueilli, les juges Karakatsanis et Jamal sont dissidents.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Wakeling, Strekaf et Feehan), 2020 ABCA 332, 14 Alta. L.R. (7th) 245, 394 C.C.C. (3d) 179, [2021] 1 W.W.R. 637, 473 C.R.R. (2d) 107, [2020] A.J. No. 987 (QL), 2020 CarswellAlta 1681 (WL), qui a confirmé la déclaration d’inconstitutionnalité de l’al. 344(1)a.1) du Code criminel et la peine inscrite par la juge Yungwirth, 2019 ABQB 322, 95 Alta. L.R. (6th) 386, [2020] 5 W.W.R. 305, 434 C.R.R. (2d) 45, [2019] A.J. No. 553 (QL), 2019 CarswellAlta 829 (WL). Pourvoi accueilli, les juges Karakatsanis et Jamal sont dissidents.
                    Andrew Barg, pour l’appelant.
                    Paul Moreau, pour l’intimé Ocean William Storm Hilbach.
                    Dane F. Bullerwell et Katherine E. Clackson, en qualité d’amici curiae.
                    Janna A. Hyman, pour l’intervenante la directrice des poursuites pénales.
                    Michael Perlin et Erica Whitford, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
                    Grace Hession David, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.
                    Nader R. Hasan et Ryann Atkins, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
                    Eric V. Gottardi, c.r., et Chantelle van Wiltenburg, pour l’intervenante l’Association du Barreau canadien.
                    Emily MacKinnon, Amanda G. Manasterski et Stephen Armstrong, pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.
                  Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Brown, Rowe, Martin et Kasirer rendu par
 
                  La juge Martin —
I.               Introduction
[1]                             Le présent pourvoi soulève la question de savoir si les peines minimales obligatoires pour vol qualifié prévues au sous‑al. 344(1)a)(i) et à l’al. 344(1)a.1) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, constituent des peines cruelles et inusitées au sens de l’art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. Plus particulièrement, M. Hilbach conteste la peine minimale de cinq ans d’emprisonnement prescrite au sous‑al. 344(1)a)(i) lorsqu’un vol qualifié est commis avec une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte, soutenant qu’il s’agit d’une peine exagérément disproportionnée au regard de sa situation. Monsieur Zwozdesky s’appuie sur une série de situations hypothétiques pour contester la peine minimale de quatre ans d’emprisonnement auparavant prévue à l’al. 344(1)a.1) lorsqu’une arme à feu ordinaire est utilisée. La peine minimale obligatoire prescrite à l’al. 344(1)a.1) a été abrogée après l’instruction du présent pourvoi. Malgré cette modification législative, les présents motifs abordent la peine minimale obligatoire telle qu’elle a été auparavant adoptée.
[2]                             Dans le pourvoi connexe R. c. Hills, 2023 CSC 2, notre Cour a confirmé et précisé le cadre d’analyse applicable aux contestations de la constitutionnalité d’une peine minimale obligatoire fondées sur l’art. 12 de la Charte. La question de savoir si une peine minimale est exagérément disproportionnée dépendra de la portée et de l’étendue de l’infraction, des effets de la peine sur la personne délinquante et de la peine elle‑même et de ses objectifs. À ce chapitre, les caractéristiques classiques des infractions qui se trouvent à l’une ou l’autre des extrémités du spectre peuvent être dégagées et pourraient fournir des indications. Par exemple, certaines infractions, bien que potentiellement très graves, peuvent être commises dans une grande variété de circonstances par un vaste éventail de personnes délinquantes, incluant des circonstances qui sont pratiquement inoffensives et des personnes délinquantes qui sont presque moralement irréprochables. Par conséquent, elles relèvent d’une catégorie d’infractions pour lesquelles les peines minimales obligatoires sont particulièrement susceptibles d’être invalidées sous le régime de l’art. 12 de la Charte parce qu’elles constituent des peines cruelles et inusitées. Il en est ainsi parce que la peine minimale obligatoire prescrite peut, dans certains cas, être si sévère et ses effets si prononcés qu’elle donne lieu à une peine exagérément disproportionnée par rapport à la peine appropriée dans un cas donné (voir, p. ex., Hills; R. c. Smith, 1987 CanLII 64 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1045; R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773; R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130).
[3]                             En revanche, certaines infractions pouvant entraîner de lourdes peines minimales obligatoires, comme un emprisonnement de quatre à cinq ans, sont formulées de façon à ne pas pouvoir être commises dans des situations inoffensives par des personnes délinquantes qui sont presque moralement irréprochables. Au contraire, elles sont presque toujours graves et commises par des personnes délinquantes qui ont un degré élevé de culpabilité morale. Les infractions qui relèvent de cette catégorie sont définies restrictivement, et la portée, l’objet et la mens rea de celles‑ci sont limités. Elles comportent régulièrement des actes de violence, des menaces de violence ou des comportements qui sont fondamentalement dangereux, dans des situations qui donnent lieu à un risque réel de décès ou de graves blessures corporelles. De plus, elles exigent un degré élevé de culpabilité morale de la part des personnes délinquantes, qu’elles soient participantes à l’infraction ou auteures principales de celle‑ci, pour justifier une déclaration de culpabilité.
[4]                             Pour cette catégorie d’infractions, la peine minimale obligatoire peut, si l’on applique les principes ordinaires de détermination de la peine, être considérée comme trop lourde et manifestement non indiquée dans certains cas. Toutefois, pour ces infractions, il y a peu de risques qu’une peine satisfaisant au critère de la disproportion exagérée soit infligée, dans la mesure où la peine minimale obligatoire n’est pas exagérément disproportionnée par rapport aux peines qui seraient appropriées, si l’on applique les principes ordinaires de détermination de la peine, pour une conduite dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle relève de sa portée (voir, p. ex., R. c. Morrisey, 2000 CSC 39, [2000] 2 R.C.S. 90; R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96; R. c. McDonald (1998), 1998 CanLII 13327 (ON CA), 40 O.R. (3d) 641 (C.A.); Lapierre c. R. 1998 CanLII 13203 (QC CA), [1998] R.J.Q. 677 (C.A.); R. c. McIvor, 2018 MBCA 29, [2018] 5 W.W.R. 139).
[5]                             Évidemment, ce ne sont pas toutes les infractions qui relèveront clairement de l’une ou l’autre de ces deux catégories d’infractions et celles‑ci ne sont pas destinées à établir des conditions préalables. Ces catégories peuvent plutôt servir de point de départ pour décider si une peine minimale obligatoire donnée est constitutionnelle ou non.
[6]                             Le présent pourvoi, et le pourvoi connexe, fournissent des exemples classiques de ces deux catégories d’infractions. Dans l’affaire Hills, la disposition contestée imposait une peine minimale obligatoire de quatre ans d’emprisonnement pour une infraction pouvant être commise dans une grande variété de circonstances par un vaste éventail de personnes délinquantes. En revanche, l’infraction dont il est question en l’espèce est définie restrictivement et la portée, l’objet et la mens rea de celle‑ci sont limités. Les peines minimales obligatoires contestées s’appliquent à un comportement qui présente un risque important pour la sécurité des victimes et du public. Le risque de violence et de traumatisme psychologique se rapportant à tout vol qualifié commis avec une arme à feu est élevé. À la différence de l’infraction donnant lieu à la peine minimale obligatoire en cause dans l’affaire Hills, l’éventail de comportements tombant sous le coup du vol qualifié commis avec une arme à feu n’est pas vaste au point où les peines minimales s’appliquent dans des situations qui présentent peu de danger ou qui comportent une faible faute morale.
[7]                             Appliquant le cadre d’analyse de l’arrêt Hills, je conclus que ni le sous‑al. 344(1)a)(i) ni l’ancien al. 344(1)a.1) ne sont exagérément disproportionnés. En édictant les peines minimales obligatoires en cause en l’espèce, le Parlement était libre de prioriser la dissuasion et la dénonciation. En conséquence, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi à l’égard de chacune des dispositions.
II.            Contexte législatif
[8]                              S’appuyant sur l’art. 12 de la Charte, les intimés contestent les peines minimales obligatoires prescrites au sous‑al. 344(1)a)(i) et à l’al. 344(1)a.1) du Code criminel. Les peines minimales obligatoires en cause découlent de la perpétration de l’infraction de vol qualifié en contravention de l’art. 343 du Code criminel. L’article 343 du Code criminel définit quatre manières dont l’infraction de vol qualifié peut être commise :
                    343 Commet un vol qualifié quiconque, selon le cas :
                        a) vole et, pour extorquer la chose volée ou empêcher ou maîtriser toute résistance au vol, emploie la violence ou des menaces de violence contre une personne ou des biens;
                        b) vole quelqu’un et, au moment où il vole, ou immédiatement avant ou après, blesse, bat ou frappe cette personne ou se porte à des actes de violence contre elle;
                        c) se livre à des voies de fait sur une personne avec l’intention de la voler;
                        d) vole une personne alors qu’il est muni d’une arme offensive ou d’une imitation d’une telle arme.
[9]                              Bien qu’il y ait quatre façons dont un vol qualifié peut être commis, les exigences de l’actus reus et de la mens rea confèrent au vol qualifié un caractère plutôt particulier : en tant qu’infraction, il combine une infraction contre les biens et une infraction contre la personne, malgré le fait qu’il figure dans la partie IX du Code criminel, intitulée « Infractions contre les droits de propriété ». En ce qui concerne l’actus reus, l’emploi de la violence ou de la force est une condition préalable à une déclaration de culpabilité au titre des al. 343a) à c), et l’al. 343d) exige que la personne délinquante soit « muni[e] d’une arme offensive ». En outre, trois des quatre façons dont un vol qualifié peut être commis (al. 343a), b) et d)) exigent qu’un vol ait effectivement lieu. Ses éléments tendent donc à restreindre l’infraction à un éventail relativement étroit de comportements graves, qui sont généralement traités sévèrement lors de la détermination de la peine (M. Manning et P. Sankoff, Manning, Mewett & Sankoff : Criminal Law (5e éd. 2015), ¶22.59).
[10]                          En ce qui concerne ses éléments moraux, le vol qualifié comporte une double exigence de mens rea. Premièrement, la personne délinquante doit avoir l’intention d’employer la violence ou la force et, dans le cas de l’al. 343d), elle doit avoir l’intention de porter l’arme offensive en question (R. c. Pelletier (1992), 44 Q.A.C. 168, par. 6-14; R. c. Strong (1990), 1990 ABCA 327 (CanLII), 111 A.R. 12 (C.A.), par. 33; R. c. Nadolnick, 2003 ABCA 363, 339 A.R. 348, par. 21; R. c. Roberts, 2016 NLTD(G) 18, 377 Nfld. & P.E.I.R. 174, par. 152‑154). Deuxièmement, que le vol qualifié ait réellement comporté un vol (al. 343a), b) et d)) ou simplement une intention de voler (al. 343c)), la personne délinquante doit avoir eu la mens rea requise pour le vol, étant donné que l’art. 2 du Code criminel définit « voler » comme « [l]e fait de commettre un vol ». La mens rea exigée pour le vol comprend une intention frauduleuse, l’absence de droit ou d’apparence de droit sur le bien et l’intention de priver le propriétaire de son bien (Lafrance c. La Reine, 1973 CanLII 35 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 201; R. c. Dorosh, 2003 SKCA 134, [2004] 8 W.W.R. 613, par. 14).
[11]                          Hormis l’al. 343d), l’art. 343 ne crée pas d’infraction distincte de « vol à main armée ». Toutefois, lorsqu’une arme à feu est employée dans un vol qualifié commis selon l’une des manières prévues à l’art. 343, le par. 344(1) entre en jeu. Plus précisément, lorsqu’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte est utilisée, la personne délinquante est passible d’une peine d’emprisonnement obligatoire de cinq ans dans le cas d’une première infraction (sous‑al. 344(1)a)(i)). Avant l’adoption des modifications récentes au Code criminel en 2022, lorsque l’arme à feu n’était ni à autorisation restreinte ni prohibée, une peine obligatoire de quatre ans d’emprisonnement s’appliquait (al. 344(1)a.1)) :
                    344 (1) Quiconque commet un vol qualifié est coupable d’un acte criminel passible :
                        a) s’il y a usage d’une arme à feu à autorisation restreinte ou d’une arme à feu prohibée lors de la perpétration de l’infraction, ou s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction et que celle‑ci est perpétrée au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle ou en association avec elle, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant :
                                    (i) de cinq ans, dans le cas d’une première infraction,
                                    (ii) de sept ans, en cas de récidive;
                        a.1) dans les autres cas où il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
                        b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.
[12]                          Une question ayant une incidence sur la portée de la disposition contestée se pose quant à savoir si le par. 344(1) est une disposition créant une infraction ou s’il se rapporte à la seule détermination de la peine (R. c. Watson, 2008 ONCA 614, 240 O.A.C. 370, par. 24; R. c. D. (A.), 2003 BCCA 106, 173 C.C.C. (3d) 177, par. 30). Bien que cette question n’ait pas de conséquences en l’espèce, compte tenu du libellé et des origines de cette disposition, le Parlement semble avoir modelé le par. 344(1) en s’inspirant du par. 85(1) du Code criminel, qui érige en infraction le fait de commettre un acte criminel en utilisant une arme à feu, et du par. 85(3), qui prescrivait auparavant une peine minimale obligatoire d’un an d’emprisonnement. Il s’ensuit que les peines minimales obligatoires prévues au par. 344(1) doivent être interprétées de manière similaire au par. 85(1). Celui-ci est ainsi formulé :
                    Usage d’une arme à feu lors de la perpétration d’une infraction
                    85 (1) Commet une infraction quiconque, qu’il cause ou non des lésions corporelles en conséquence ou qu’il ait ou non l’intention d’en causer, utilise une arme à feu :
                        a) soit lors de la perpétration d’un acte criminel qui ne constitue pas une infraction prévue [à certains articles, y compris à l’article] 344 (vol qualifié) . . .
[13]                          Avant l’adoption de l’art. 344, les poursuites pour vol qualifié commis avec une arme à feu se faisaient généralement en inculpant la personne délinquante d’une infraction principale, par exemple de vol à main armée qui était prévu à l’ancien art. 302, et de l’infraction prévue à l’art. 83 (l’équivalent de l’actuel art. 85, usage d’une arme à feu lors de la perpétration d’une infraction de vol qualifié; voir, p. ex., Lapierre; R. c. Covin, 1983 CanLII 151 (CSC), [1983] 1 R.C.S. 725). Le paragraphe 85(1) a été édicté afin d’imposer des peines sévères pour les infractions couramment commises avec des armes à feu, comme le vol qualifié (par. 85(3) du Code criminel; McGuigan c. La Reine, 1982 CanLII 41 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 284, le juge Dickson (plus tard juge en chef), p. 316‑317 et 319, renvoyant à l’ancien art. 83).
[14]                          Toutefois, en 1995, après l’adoption de l’art. 344, le vol qualifié a été soustrait de la liste des actes criminels pouvant fonder une déclaration de culpabilité au titre du par. 85(1) (Loi sur les armes à feu, L.C. 1995, c. 39, art. 139 et 149). De toute évidence, le Parlement avait conclu qu’une peine encore plus rigoureuse que la peine minimale d’un an prescrite par le par. 85(3) était justifiée lorsqu’une arme à feu était employée pour commettre un vol qualifié. Le texte de l’art. 85 renforce la conclusion voulant que cette disposition ait servi de modèle à l’art. 344, étant donné la similarité du texte des deux dispositions. Plus précisément, il est question, au par. 85(1), de « quiconque [. . .] utilise une arme à feu [. . .] lors de la perpétration d’un acte criminel », tandis que le par. 344(1) s’applique à l’usage d’une arme à feu « lors de la perpétration [du vol qualifié] ».
[15]                        Puisque le Parlement a modelé l’art. 344 en s’inspirant de l’art. 85, l’« usage » d’une arme à feu devrait recevoir la même définition aux art. 344 et 85. Dans l’arrêt R. c. Steele, 2007 CSC 36, [2007] 3 R.C.S. 3, notre Cour a affirmé qu’une personne délinquante « utilise » une arme à feu au sens du par. 85(1) lorsque l’arme est en sa possession physique ou à portée de main, et lorsque « pour faciliter la perpétration d’un crime ou pour prendre la fuite, [elle] révèle par ses propos ou ses gestes la présence réelle d’une arme à feu ou sa disponibilité immédiate » (par. 32 (en italique dans l’original)).
[16]                          L’exigence qu’il y ait « usage » d’une arme à feu restreint davantage la portée du sous‑al. 344(1)a)(i) et de l’al. 344(1)a.1) et ne s’applique que si une arme à feu est utilisée pour menacer de violence ou de force lors d’un vol qualifié. Le simple fait de posséder une arme à feu n’équivaut pas à « utiliser » une arme à feu (Steele, par. 25‑28). Cela empêche, par exemple, l’application des peines minimales obligatoires lorsqu’une personne délinquante avait simplement en sa possession une arme à feu et qu’elle était, en théorie, « muni[e] d’une arme » au sens de l’al. 343d). Qui plus est, l’« usage » suppose un degré de faute subjective. La personne délinquante doit avoir l’intention d’utiliser l’arme à feu pendant qu’elle commet l’infraction ou qu’elle prend la fuite après l’avoir commise (R. c. Purcell, 2007 ONCA 101, 220 O.A.C. 207, par. 16‑18).
[17]                        De plus, l’art. 344 incorpore la définition d’une « arme à feu » dans le Code criminel, ainsi que les expressions « arme à feu prohibée » et « arme à feu à autorisation restreinte ». Une « arme à feu » est définie à l’art. 2 comme étant « [t]oute arme susceptible, grâce à un canon qui permet de tirer du plomb, des balles ou tout autre projectile, d’infliger des lésions corporelles graves ou la mort à une personne ». Les « armes à feu prohibées » et les « armes à feu à autorisation restreinte » sont deux catégories particulières d’armes à feu soumises à une réglementation stricte sous le régime de la Loi sur les armes à feu et du Code criminel. Les armes à feu prohibées comprennent les armes de poing pourvues d’un canon court, les carabines et les fusils de chasse à canon tronqué et les armes à feu automatiques (Code criminel, par. 84(1); Nur, par. 7). La possession d’une arme à feu prohibée est illégale, à moins que la personne possédait l’arme à feu avant l’entrée en vigueur de l’interdiction (Loi sur les armes à feu, art. 12; Nur, par. 7). Les armes à feu à autorisation restreinte sont « [d]angereuses en soi » et « sont couramment utilisées lors de la perpétration d’actes criminels ». Elles s’entendent de toute arme de poing qui n’est pas une arme à feu prohibée, de certaines armes à feu semi‑automatiques et de certaines armes à feu mesurant moins d’une longueur donnée (Nur, par. 7; Code criminel, par. 84(1)).
[18]                          Les armes à feu qui ne sont ni prohibées ni à autorisation restreinte relèvent d’une catégorie résiduelle d’armes à feu dont la possession fait l’objet de moins de contraintes. Cette catégorie résiduelle comprend les armes à feu ordinaires, comme les fusils de chasse, lesquelles sont assujetties au régime de délivrance de permis prévu dans la Loi sur les armes à feu. D’autres sont exclues de l’application de la Loi sur les armes à feu en application du par. 84(3) du Code criminel, en raison de leur vitesse initiale réduite. Parmi les armes à feu exclues, citons les dispositifs à air comprimé comme les fusils de paintball et les armes à balles BB. Ces dispositifs à air comprimé constituent des « armes à feu » au sens où il faut l’entendre pour l’application du Code criminel, puisqu’elles peuvent tout de même causer des lésions corporelles graves (Hills, par. 13‑14). Les distinctions au sein du régime canadien de réglementation des armes à feu sont à la base des arguments avancés par les parties devant notre Cour sur la constitutionnalité des peines minimales obligatoires.
[19]                        Ayant exposé le contexte législatif des peines minimales obligatoires en cause, je me penche maintenant sur les faits et l’historique judiciaire à l’origine du présent pourvoi.
III.         Historique judiciaire et législatif
A.           R. c. Hilbach, Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, 2018 ABQB 526, 75 Alta. L.R. (6th) 359
[20]                          Le 9 juin 2017, M. Hilbach et un complice âgé de 13 ans ont commis un vol qualifié avec une carabine à canon tronqué non chargée dans un dépanneur à Edmonton. Le visage dissimulé, M. Hilbach a pointé la carabine en direction des deux employés et a exigé qu’on lui remette la caisse, tandis que son complice a donné un coup de poing à un des employés et un coup de pied à l’autre. Ils sont partis avec 290 $ en billets de loterie et ont été arrêtés peu de temps après. Au moment de l’infraction, M. Hilbach avait 19 ans, était en probation et faisait l’objet d’une interdiction de possession d’armes à feu, ayant été déclaré coupable et condamné pour plusieurs autres infractions 3 mois plus tôt. En janvier 2018, M. Hilbach a plaidé coupable d’avoir commis un vol qualifié en utilisant une arme à feu prohibée en contravention du sous‑al. 344(1)a)(i) du Code criminel et d’avoir violé le par. 117.01(1) du Code criminel, qui érige en infraction le fait pour quiconque de posséder une arme à feu pendant que cela lui est interdit par une ordonnance judiciaire. Lors de la détermination de la peine, M. Hilbach, s’appuyant sur l’art. 12 de la Charte, a contesté la peine minimale obligatoire de cinq ans prévue au sous‑al. 344(1)a)(i). Monsieur Hilbach a soutenu que la disposition contestée était exagérément disproportionnée dans sa situation particulière en tant que délinquant se trouvant devant le tribunal. 
[21]                          Monsieur Hilbach est Autochtone. Il est membre de la Nation crie d’Ermineskin. Devant le juge chargé de la détermination de la peine, M. Hilbach a déposé un rapport présentenciel et un rapport Gladue, qui indiquait que sa famille avait fréquenté des pensionnats, qu’elle était aux prises avec des problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie et qu’elle éprouvait des difficultés financières. Il a poursuivi ses études jusqu’en 10e année, a travaillé dans l’industrie de la construction et travaillait auprès d’un organisme venant en aide aux adolescents et aux jeunes adultes à risque de faire partie de gangs et de se livrer à des activités criminelles. Il a une fille, qui était âgée de 18 mois au moment de la détermination de la peine. Il a reconnu avoir une dépendance à l’alcool et un casier judiciaire pour plusieurs infractions, notamment profération de menaces, voies de fait, méfait et manquements à un engagement. Son histoire personnelle est marquée par des sévices physiques, de la violence familiale, du chômage chronique et l’appartenance à des gangs.
[22]                          Le juge chargé de la détermination de la peine a déterminé qu’une peine de deux ans moins un jour était juste et proportionnée dans le cas de M. Hilbach. En se demandant s’il y avait disproportion exagérée, le juge chargé de la détermination de la peine a conclu que même si la gravité de l’infraction était élevée et que la dissuasion et la dénonciation étaient importantes, les effets d’une peine d’emprisonnement de cinq ans dans un pénitencier étaient [traduction] « graves », car une peine plus longue accroissait la probabilité « d’une vie de comportement criminel et autres comportements antisociaux » (par. 14). La réinsertion sociale de M. Hilbach était mieux servie par une courte période d’incarcération. En outre, sa jeunesse était un élément atténuant et les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue avaient contribué à l’infraction. Le plus fondamental de ces facteurs était la pauvreté de M. Hilbach, qui l’a poussé à agir comme il l’a fait et était liée à des facteurs systémiques donnant lieu à des revenus plus faibles chez les Autochtones. Le juge chargé de la détermination de la peine était convaincu que ces considérations justifieraient une peine inférieure au point de départ de trois ans établi par la Cour d’appel de l’Alberta pour les simples vols à main armée dans des établissements commerciaux dans l’arrêt R. c. Johnas (1982), 1982 ABCA 331 (CanLII), 41 A.R. 183. Puisqu’une peine de cinq ans représentait plus du double d’une peine juste et proportionnée, et puisqu’une peine d’emprisonnement dans un pénitencier était [traduction] « qualitativement » différente, il a conclu que la peine minimale obligatoire était exagérément disproportionnée (par. 43). La Couronne n’a pas formulé d’arguments fondés sur l’article premier de la Charte, si bien que le juge chargé de la détermination de la peine ne s’est pas penché sur cette question (par. 5).
B.            R. c. Zwozdesky, Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, 2019 ABQB 322, 95 Alta. L.R. (6th) 386
[23]                          Le 13 septembre 2016, M. Zwozdesky et deux complices masqués ont commis un vol qualifié dans un dépanneur à Caslan, en Alberta. Un des complices a poussé une employée, a pointé un fusil de chasse à canon tronqué dans sa direction et a exigé qu’elle lui remette la caisse. Un coup de feu a été tiré dans une étagère. Monsieur Zwozdesky n’était pas l’auteur principal de l’infraction. Il n’est pas entré dans le dépanneur pendant le vol qualifié, mais il a conduit le véhicule dans lequel ses complices sont montés pour se rendre au dépanneur et pour prendre la fuite. Monsieur Zwozdesky a reconnu sa culpabilité à l’accusation de vol qualifié commis avec une arme à feu en contravention de l’al. 344(1)a.1) du Code criminel et à l’accusation de vol qualifié en contravention de l’al. 344(1)b) du Code criminel découlant d’un deuxième incident. Lors de la détermination de la peine, M. Zwozdesky a présenté, sur le fondement de l’art. 12 de la Charte, une contestation visant la peine minimale obligatoire de quatre ans prévue à l’al. 344(1)a.1).
[24]                          Monsieur Zwozdesky était âgé de presque 56 ans au moment de la détermination de la peine. Il avait neuf années de scolarité et n’avait aucun casier judiciaire. Il a été blessé dans plusieurs accidents de la route, le dernier important s’étant produit en 2000. Par conséquent, il souffrait d’un grave dysfonctionnement cognitif post‑traumatique, de fibromyalgie, d’atteinte nerveuse et de douleur chronique et il était incapable de travailler. Pour traiter sa douleur, il recourait à des médicaments sur ordonnance, ainsi qu’à des drogues illégales dures et douces. Il n’a gardé aucun souvenir du vol qualifié du 13 septembre 2016, car il était sous l’effet de la drogue. La juge chargée de la détermination de la peine a conclu qu’il est possible qu’il ait participé aux vols qualifiés pour satisfaire son besoin de consommation résultant de sa douleur chronique.
[25]                          La juge chargée de la détermination de la peine a conclu que la peine minimale obligatoire contestée n’était pas exagérément disproportionnée dans le cas de M. Zwozdesky, puisqu’une peine de trois à quatre ans était juste et proportionnée eu égard à son infraction. Elle a conclu, toutefois, que la peine minimale obligatoire était exagérément disproportionnée dans des situations hypothétiques raisonnablement prévisibles. Les vols à main armée peuvent être commis dans une grande variété de circonstances et par un large éventail de personnes délinquantes. La peine minimale serait exagérément disproportionnée dans les cas où les personnes délinquantes sont jeunes, autochtones et/ou aux prises avec des problèmes de dépendance. Au soutien de cette conclusion, la juge chargée de la détermination de la peine a fait référence au jugement R. c. Hilbach, 2018 ABQB 526. Comme la Couronne n’a pas fait d’observations fondées sur l’article premier de la Charte, la juge ne s’est pas penchée sur la question de savoir si l’atteinte était justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique et a déclaré l’al. 344(1)a.1) inopérant. Ayant invalidé la disposition établissant la peine minimale obligatoire, elle a condamné M. Zwozdesky à une peine d’emprisonnement de trois ans pour vol qualifié commis avec une arme à feu.
C.            Cour d’appel de l’Alberta, 2020 ABCA 332, 14 Alta. L.R. (7th) 245
[26]                          La Cour d’appel de l’Alberta a instruit conjointement les appels de la Couronne dans les dossiers de M. Hilbach et de M. Zwozdesky. Les juges Strekaf et Feehan, majoritaires, ont rejeté les appels de la Couronne sur la constitutionnalité des dispositions établissant les peines minimales obligatoires, mais ont ajouté un an à la peine de M. Hilbach. Dans sa dissidence, le juge Wakeling a conclu que les deux dispositions prévoyant des peines minimales obligatoires étaient constitutionnelles et que les peines infligées à chacun des délinquants étaient inadéquates.
[27]                          Les juges majoritaires ont conclu qu’une peine de deux ans moins un jour était manifestement non indiquée dans le cas de M. Hilbach et ont plutôt conclu qu’un emprisonnement de trois ans était une peine juste et proportionnée. Une peine de trois ans était le point de départ pour les vols qualifiés commis dans des dépanneurs établi dans l’arrêt Johnas, et une peine de cette durée correspondait à la gravité de l’infraction commise par M. Hilbach. En infligeant une peine inférieure à trois ans d’emprisonnement, le juge chargé de la détermination de la peine a accordé trop d’importance aux facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue applicables à M. Hilbach et n’a pas accordé suffisamment de poids à la dissuasion et à la dénonciation, ainsi qu’aux facteurs aggravants de l’infraction. Cependant, le sous‑al. 344(1)a)(i) demeurait exagérément disproportionné dans le cas de M. Hilbach, puisqu’il empêchait la prise en compte de facteurs atténuants et élevait [traduction] « la dénonciation et la dissuasion au point de minimiser les objectifs de réinsertion sociale, l’imposition d’une sanction juste et les considérations particulières qui s’appliquent aux personnes délinquantes autochtones » (par. 53).
[28]                          Les juges majoritaires ont souscrit à l’opinion de la juge chargée de la détermination de la peine selon laquelle un emprisonnement de trois ans était une peine juste et proportionnée dans le cas de M. Zwozdesky et ils ont refusé de modifier sa peine en conséquence. Toutefois, les juges majoritaires ont aussi convenu que l’al. 344(1)a.1) était exagérément disproportionné dans cinq situations raisonnablement prévisibles, y compris lorsque la personne délinquante est jeune, autochtone, qu’elle souffre de problèmes de santé mentale et de dépendance et qu’elle a commis le vol qualifié avec un pistolet à air comprimé. Dans ces situations, la peine minimale obligatoire est susceptible d’équivaloir à plus du double d’une peine juste et proportionnée. La Couronne n’a pas présenté d’argument pour que la mesure législative soit sauvegardée en vertu de l’article premier de la Charte.
[29]                          Le juge Wakeling, dissident, était d’avis d’annuler les jugements déclarant que le sous‑al. 344(1)a)(i) et l’al. 344(1)a.1) sont exagérément disproportionnés. Il a réitéré son opinion, exprimée dans l’arrêt R. c. Hills, 2020 ABCA 263, 9 Alta. L.R. (7th) 226, selon laquelle la jurisprudence de notre Cour sur l’art. 12 est non fondée et devrait être revue. Néanmoins, le juge Wakeling a fait remarquer qu’il ne s’agit pas [traduction] « d’un de ces cas extraordinaires » (par. 89) qui satisfont au critère de la disproportion exagérée élaboré dans l’arrêt Smith. Le juge Wakeling était en outre d’avis d’accroître la durée des peines de M. Hilbach et de M. Zwozdesky au‑delà des peines minimales obligatoires.
[30]                          En septembre 2021, M. Zwozdesky est décédé après que la Cour a autorisé la Couronne à interjeter appel. Après que les avocats de M. Zwozdesky ont demandé de poursuivre la procédure en application de l’art. 76 de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, c. S‑26, la Cour leur a reconnu la qualité pour agir comme amici curiae en application de la règle 92 des Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002‑156.
D.           Modifications législatives
[31]                        Après que l’autorisation d’appel a été accordée, le Parlement a introduit et adopté la Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 2022, c. 15. La loi a reçu la sanction royale le 17 novembre 2022 et a abrogé la peine minimale obligatoire prévue à l’al. 344(1)a.1). Lorsqu’une arme à feu ordinaire est utilisée pour commettre un vol qualifié, cette infraction n’entraîne plus de peine minimale obligatoire. Bien que je reconnaisse cette modification législative, les présents motifs abordent la disposition telle qu’elle a été promulguée précédemment, avec les peines minimales obligatoires applicables. Les parties n’invoquent pas dans leurs plaidoiries le choix du Parlement d’abroger cette mesure et, pour cette raison, je n’examinerai pas cette question plus attentivement.
IV.         Question en litige
[32]                          La question à trancher dans le présent pourvoi est celle de savoir si les peines minimales obligatoires d’emprisonnement prévues au sous‑al. 344(1)a)(i) et à l’al. 344(1)a.1) du Code criminel contreviennent à l’art. 12 de la Charte.
V.           Analyse
[33]                          Dans les motifs de l’arrêt Hills, rendu simultanément au présent arrêt, notre Cour a réitéré le cadre d’analyse bien établi de l’art. 12 et a donné des précisions quant à la manière dont il s’applique à la contestation d’une disposition prévoyant une peine minimale obligatoire. Je commence par réaffirmer brièvement ces principes avant de les appliquer au présent pourvoi.
A.           Le critère permettant de déterminer s’il y a violation de l’art. 12
(1)         Le cadre d’analyse
[34]                          Déterminer si les peines minimales obligatoires pour vol qualifié sont exagérément disproportionnées commande une démarche en deux étapes. Le tribunal doit d’abord déterminer ce qui constitue une peine juste et proportionnée pour l’infraction eu égard aux objectifs et principes de détermination de la peine établis par le Code criminel (Hills, par. 40; R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, par. 63; R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599, par. 46; Nur, par. 46). Le tribunal doit ensuite se demander si la disposition contestée l’oblige à infliger une peine qui est exagérément disproportionnée par rapport à la peine juste et proportionnée (Hills, par. 40; Bissonnette, par. 63; Nur, par. 46; Smith, p. 1072). Cette évaluation en deux étapes peut se faire en fonction soit (1) de la personne délinquante qui comparaît devant le tribunal, comme ce sera le cas de M. Hilbach, soit (2) d’une autre personne délinquante dans un cas raisonnablement prévisible, comme l’a proposé M. Zwozdesky (Hills, par. 41; Bissonnette, par. 63; Nur, par. 46).
[35]                          Aux deux étapes de l’analyse, les tribunaux sont appelés à être scrupuleux (Hills, par. 50‑52). Faire preuve de rigueur analytique à la première étape, et fixer une peine aussi précisément que possible, assurent que l’exercice comparatif à la deuxième étape ne soit pas faussé. Dans certains cas, l’évaluation de la disproportion exagérée peut être plus apparente lorsque la peine juste fixée à la première étape n’est pas de nature carcérale — par exemple, lorsqu’elle aurait comporté une probation, plutôt que l’emprisonnement, comme c’était le cas dans l’affaire Hills (par. 156). Cependant, le même processus de comparaison fondé sur des principes s’applique lorsque l’on compare des peines d’emprisonnement afin de déterminer si et quand la durée d’une peine carcérale devient exagérément disproportionnée.
[36]                          Le cadre de la deuxième étape de l’analyse fondée sur l’art. 12 est décrit dans le pourvoi connexe Hills à partir du par. 122 et comprend l’examen de la portée et de l’étendue de l’infraction, des effets de celle‑ci sur la personne délinquante et de la peine elle‑même. Un seul élément ou la combinaison de plusieurs d’entre eux peut mener à une conclusion qu’il y a disproportion exagérée. Les peines minimales obligatoires qui visent un éventail de comportements dont la gravité et le degré de culpabilité de la personne délinquante varient sont suspectes sur le plan constitutionnel (Hills, par. 125; Lloyd, par. 24; Boudreault, par. 45; Smith, p. 1078). Plus la portée de l’infraction est large, plus il est probable que la peine minimale obligatoire constitue une peine d’emprisonnement exagérément disproportionnée pour des comportements qui ne comportent qu’un faible risque pour la sécurité publique et une culpabilité morale peu élevée (Hills, par. 125; Nur, par. 83). En pareil cas, la peine minimale risque davantage d’englober des comportements qui sont exagérément disproportionnés.
[37]                          Quant au deuxième élément, le tribunal doit également tenir compte des répercussions que la peine minimale obligatoire peut avoir sur la personne délinquante. Cette analyse requiert l’étude des impacts que peut avoir celle-ci sur la personne délinquante réelle ou raisonnablement prévisible — tant de manière générale qu’en fonction des caractéristiques et qualités qui lui sont propres (Hills, par. 133). Les caractéristiques de la personne délinquante, notamment l’autochtonité, la race, le sexe, l’âge et les facteurs de santé mentale peuvent être pertinentes aux fins de cette analyse (Hills, par. 135).
[38]                          Le troisième volet exige une analyse du châtiment infligé sous forme de peine minimale obligatoire (Hills, par. 138). Le tribunal doit évaluer la sévérité de la peine imposée et déterminer si la sanction prévue va au‑delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du Parlement en matière de détermination de la peine « compte tenu des objectifs pénaux légitimes et du caractère adéquat des solutions de rechange possibles » (Smith, p. 1099‑1100). Le Parlement peut imposer des peines en fonction de ses objectifs pénaux, y compris ceux de la dénonciation et de la dissuasion, dans le respect des limites fixées par la Constitution. Toutefois, aucun objectif particulier de détermination de la peine ne peut être appliqué à l’exclusion de tous les autres (R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, par. 43). La réinsertion sociale doit faire partie du calcul de toutes les sanctions pénales, puisque la sanction qui fait totalement abstraction de la réinsertion est incompatible avec la dignité humaine (Bissonnette, par. 85; Hills, par. 141). Les tribunaux devraient examiner s’il existe des solutions de rechange à la peine obligatoire qui répondraient également aux objectifs du Parlement en matière de détermination de la peine. La peine minimale obligatoire qui ne confère pas au juge le pouvoir discrétionnaire d’infliger une peine autre que l’emprisonnement lorsque cela n’est pas nécessaire sera suspecte sur le plan constitutionnel et nécessitera un examen minutieux (Hills, par. 144). Toutes les peines doivent être examinées à la lumière des principes de parité et de proportionnalité (R. c. Friesen, 2020 CSC 9, [2020] 1 R.C.S. 424, par. 32‑33; Hills, par. 145).
(2)         Les peines minimales obligatoires et les personnes délinquantes autochtones
[39]                        L’alinéa 718.2e) du Code criminel exige l’examen de la situation particulière des personnes délinquantes autochtones relativement à toutes les infractions lors de la détermination de la peine (R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688, par. 93; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433, par. 84‑85). Il prévoit « l’examen, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones, de toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances ». Les principes relatifs à l’examen des rapports Gladue sont établis : ces considérations doivent être appliquées dans tous les cas où elles sont pertinentes, y compris lorsque l’infraction reprochée est grave. Les juges chargés de la détermination de la peine doivent tenir compte des facteurs systémiques ou contextuels distinctifs qui peuvent avoir joué un rôle dans le fait que la personne délinquante autochtone se retrouve devant les tribunaux, ainsi que des types de procédures de détermination de la peine et de sanctions qui, dans les circonstances, peuvent être appropriées pour cette personne délinquante (Ipeelee, par. 59‑60).
[40]                        Certaines parties et certains intervenants ont soulevé des questions portant sur la façon dont l’autochtonité devrait s’inscrire dans l’analyse de la disproportion exagérée fondée sur l’art. 12. Le procureur général de l’Ontario, par exemple, a fait valoir que cette caractéristique devrait être traitée comme une circonstance atténuante [traduction] « générique » qui est exclue du champ des situations hypothétiques raisonnables. Ces arguments ont été rejetés dans l’arrêt Nur, où la Cour a conclu que « l’examen des situations dont il est raisonnablement prévisible qu’elles tombent sous le coup de la loi peut tenir compte des caractéristiques personnelles des personnes auxquelles pourrait s’appliquer la peine minimale obligatoire » (par. 76).
[41]                        Lorsqu’il entre en jeu, l’al. 718.2e) s’applique à trois différentes parties de l’analyse.
[42]                        Premièrement, dans le cadre d’une analyse fondée sur l’art. 12, les tribunaux doivent tenir compte de l’arrêt Gladue lorsqu’ils déterminent la peine de la personne délinquante en cause. L’omission de prendre en considération les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue est une erreur susceptible de mener à la conclusion qu’une peine n’est pas indiquée (Ipeelee, par. 86‑87). Ainsi, lorsque la personne délinquante est autochtone, comme M. Hilbach, le tribunal devra nécessairement tenir compte des principes énoncés dans l’arrêt Gladue afin de fixer une peine qui est juste et proportionnée à la première étape.
[43]                          Deuxièmement, les tribunaux peuvent examiner des situations mettant en cause des personnes délinquantes autochtones en élaborant des situations hypothétiques raisonnablement prévisibles (Hills, par. 86). Étant donné les statistiques sur l’emprisonnement des personnes autochtones, il est raisonnablement prévisible qu’un délinquant hypothétique soit autochtone, et la prise en compte de l’autochtonité d’une personne délinquante hypothétique, dans le contexte d’une situation hypothétique raisonnable, cadre avec les directives législatives impératives données par le Parlement à l’al. 718.2e). Les Autochtones aux prises avec la pauvreté, une situation précaire en matière de logement ou des déficiences et des dépendances comparaissent avec « une régularité effarante devant nos tribunaux provinciaux » et il est donc raisonnablement prévisible qu’ils commettent une infraction (Boudreault, par. 55).
[44]                          Enfin, l’autochtonité est pertinente à la deuxième étape de l’analyse fondée sur l’art. 12. Notre Cour affirme depuis longtemps que l’appréciation de la question de savoir si une peine minimale obligatoire est exagérément disproportionnée dépend, en partie, du fait qu’elle rend compte d’objectifs pénaux valables et de principes reconnus en matière de détermination de la peine (Boudreault, par. 48; Smith, p. 1072; R. c. Goltz, 1991 CanLII 51 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 485, p. 500; R. c. Latimer, 2001 CSC 1, [2001] 1 R.C.S. 3, par. 86; Morrisey, par. 28). Le cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Gladue pour l’application de l’al. 718.2e) est au cœur des principes de détermination de la peine au Canada depuis 1999. La méthodologie prescrite à l’al. 718.2e), ainsi que les normes qu’elle incarne, sont des éléments bien établis de notre jurisprudence en matière de détermination de la peine, tout autant que la parité et la proportionnalité. L’alinéa 718.2e) est nécessairement pertinent dans un cadre d’analyse fondé sur l’art. 12 qui exige que les tribunaux évaluent les effets des peines minimales obligatoires à la lumière des normes et objectifs de détermination de la peine. Qui plus est, comme l’illustre l’arrêt Boudreault, l’incidence d’une peine sur les objectifs du Parlement prévus à l’al. 718.2e) peut justifier l’invalidation d’une peine en application de l’art. 12. Par conséquent, rien ne justifie d’exclure la prise en compte de l’al. 718.2e) du Code criminel à l’une ou l’autre des étapes du cadre d’analyse de la disproportion exagérée.
[45]                          Les types de considérations susceptibles d’être soulevées en application de l’al. 718.2e) dans le cadre de la contestation d’une peine minimale obligatoire fondée sur l’art. 12 comprennent, par exemple, la question de savoir si une mesure probatoire aurait autrement été une solution de rechange valable à l’incarcération en application des principes de l’arrêt Gladue ou, comme dans l’arrêt Boudreault, la question de savoir si les effets d’une peine peuvent être particulièrement sévères lorsque les circonstances touchant les personnes délinquantes autochtones sont prises en compte (par. 94). Notre Cour a reconnu, par exemple, que les personnes délinquantes autochtones sont susceptibles d’être plus fortement affectées par l’incarcération que les personnes délinquantes non autochtones (Gladue, par. 68). Les tribunaux peuvent retenir ces préoccupations comme motifs qui étayent la conclusion qu’une peine minimale est exagérément disproportionnée, gardant à l’esprit qu’une violation de l’art. 12 demeure un critère exigeant et qu’une peine n’est pas exagérément disproportionnée en raison de la présence ou de l’absence d’un seul principe de détermination de la peine.
[46]                        Je me penche maintenant sur les contestations fondées sur l’art. 12 présentées par M. Hilbach et M. Zwozdesky.
B.            Application
[47]                          J’examine d’abord l’appel de M. Hilbach, où il soutient que le sous‑al. 344(1)a)(i) est exagérément disproportionné en ce qui concerne sa propre situation. Je me pencherai ensuite sur le cas de M. Zwozdesky, qui reconnaît la proportionnalité de la peine minimale obligatoire prévue à l’al. 344(1)a.1) à l’égard de sa situation, mais qui invoque une série de situations hypothétiques pour contester la disposition prévoyant la peine minimale obligatoire.
(1)         Application au cas de M. Hilbach
[48]                          La Couronne soutient que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont eu tort de conclure que le sous-al. 344(1)a)(i) était exagérément disproportionné dans le cas de M. Hilbach, car ils ont fait abstraction de la gravité de l’infraction commise par celui-ci et ont omis de reconnaître que la dissuasion et la dénonciation étaient des objectifs pénaux valables en conséquence. Je suis aussi de cet avis. La peine minimale obligatoire à laquelle a été condamné M. Hilbach est une sanction sévère. Toutefois, compte tenu (1)  de la portée et de l’étendue de l’infraction; (2) des effets de la peine sur la personne délinquante; et (3) de la peine elle‑même, je ne suis pas convaincue que la peine minimale obligatoire satisfait au critère exigeant de la disproportion exagérée.
(a)           Un emprisonnement de trois ans est une peine juste et proportionnée pour M. Hilbach
[49]                          Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont infirmé la peine de deux ans moins un jour infligée par le juge chargé de la détermination de la peine et ont plutôt conclu qu’un emprisonnement de trois ans était une peine juste pour M. Hilbach. Aucune des parties ne conteste la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle une peine de trois ans est une peine juste et proportionnée pour M. Hilbach. Aucune situation hypothétique raisonnable n’a été présentée en première instance, et nous n’avons pas à en créer une ici. L’analyse fondée sur l’art. 12 se fera uniquement en fonction des faits du cas de M. Hilbach.
[50]                          En imposant une peine qui était inférieure d’une année entière au point de départ pour les infractions de cette nature en Alberta, le juge chargé de la détermination de la peine a omis de soupeser adéquatement la gravité de l’infraction et les facteurs aggravants considérables en l’espèce. Comme l’ont affirmé les juges majoritaires (aux par. 11 et 46), l’emprisonnement de trois ans était le point de départ adopté pour le vol à main armée simple commis dans de petits établissements commerciaux [traduction] « qui s’est soldé par un succès modeste, voire nul » et « en l’absence de préjudice physique réel » reconnu dans l’arrêt Johnas, par. 19 (je souligne). Outre le fait que l’infraction commise par M. Hilbach comportait l’utilisation d’une arme à feu prohibée, elle a aussi causé un préjudice physique, puisque son complice a été physiquement violent avec les deux commis du dépanneur au cours du vol qualifié. Qui plus est, M. Hilbach a pointé sa carabine sur deux employés. Il était en probation et faisait l’objet d’une ordonnance d’interdiction au moment de l’infraction. Il a en outre impliqué un adolescent de 13 ans dans un crime violent. Il s’agit là de facteurs aggravants qui pourraient justifier une peine supérieure au point de départ établi dans l’arrêt Johnas. Bien que j’accepte les facteurs atténuants relevés par le juge chargé de la détermination de la peine, je suis d’accord avec les juges majoritaires de la Cour d’appel pour dire qu’une peine inférieure d’une année entière au point de départ établi dans l’arrêt Johnas serait manifestement non indiquée.
(b)         Le minimum obligatoire n’est pas exagérément disproportionné dans le cas de M. Hilbach
[51]                          Notre Cour a affirmé à maintes reprises que le seuil pour établir qu’une peine est exagérément disproportionnée au titre de l’art. 12 est élevé (Lloyd, par. 24). La peine minimale obligatoire ne peut être simplement excessive, non indiquée ou disproportionnée. Elle doit être « excessive au point de porter atteinte aux normes de la décence » (Hills, par. 109, citant Boudreault, par. 45; Lloyd, par. 24, citant Morrisey, par. 26; R. c. Wiles, 2005 CSC 84, [2005] 3 R.C.S. 895, par. 4, citant Smith, p. 1072). Ce n’est que « très rarement » qu’une peine contreviendra à l’art. 12, car le critère auquel il faut satisfaire est « à bon droit strict et exigeant » (Steele c. Établissement Mountain, 1990 CanLII 50 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1385, p. 1417). Tel que je l’explique plus loin, une peine minimale obligatoire de cinq ans, bien qu’elle soit sévère et qu’elle frôle la limite, n’est pas exagérément disproportionnée dans le cas de M. Hilbach. La peine minimale en cause n’a pas une portée large au point d’englober des comportements qui présentent relativement peu de risque de préjudice. Bien que la situation personnelle de M. Hilbach atténue quelque peu sa culpabilité, les actes qu’il a commis constituent une infraction grave comportant un degré élevé de culpabilité morale. Même si les effets de l’emprisonnement sur M. Hilbach, un délinquant autochtone, seront sérieux, une peine d’emprisonnement de cinq ans dans son cas n’est pas totalement en décalage par rapport aux normes de détermination de la peine. Par conséquent, la proportionnalité et la parité ne sont pas compromises comme elles l’étaient dans les affaires Nur, Lloyd et Hills. Les objectifs du Parlement en matière de détermination de la peine et sa décision de prioriser la dénonciation et la dissuasion sont justifiés dans le cas de cette infraction. Il y a donc lieu de faire preuve d’une plus grande retenue à l’égard du choix du Parlement de prévoir une peine minimale.
(i)      La portée et l’étendue de l’infraction
[52]                        Comme notre Cour l’a affirmé à maintes reprises, les peines minimales obligatoires sont plus vulnérables sur le plan constitutionnel lorsqu’elles s’appliquent à une vaste gamme de circonstances (Nur, par. 81‑82; Lloyd, par. 3, 24, 27 et 35‑36). Plus vaste est la portée de l’infraction faisant l’objet de la peine minimale, plus il est probable que la peine minimale imposera une longue peine d’emprisonnement pour un comportement qui présente peu de risques pour le public et comporte une faible faute morale (Hills, par. 125; Nur, par. 83). Par conséquent, le tribunal doit tenir compte du degré variable de la gravité de l’infraction et de la culpabilité en cause et se demander si la peine vise un comportement qui ne justifie pas l’imposition de la peine minimale obligatoire.
[53]                        En l’espèce, l’infraction de vol qualifié ne ratisse pas trop large de façon à englober des comportements qui comportent une faible faute morale ou qui présentent peu de risques pour la sécurité publique. La gravité de l’infraction et la culpabilité des personnes délinquantes qui en sont reconnues coupables sont relativement élevées. D’abord, même lorsqu’il est commis sans arme à feu, le vol qualifié est une infraction grave en raison de l’actus reus requis, c’est‑à‑dire le recours ou la menace de recours à la violence ou à la force lors du vol ou de la tentative de vol de biens. L’ajout d’une arme à feu à l’équation ne fait qu’accroître la gravité de l’infraction. De plus, la simple possession d’une arme à feu ne suffit pas pour conclure à la culpabilité du délinquant. Celui‑ci doit utiliser l’arme à feu lors de la perpétration de l’infraction. Comme l’a écrit notre Cour dans l’arrêt R. c. Felawka, 1993 CanLII 36 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 199, lorsqu’une arme à feu est utilisée pour menacer ou intimider, elle « incarne en soi la menace suprême de mort aux yeux de ceux qui y font face » (p. 211). Les armes à feu prohibées comptent parmi les outils les plus puissants dans la perpétration d’un crime. Par exemple, les carabines à canon tronqué peuvent avoir une force meurtrière, tout en étant plus faciles à dissimuler, à transporter et à manipuler dans des espaces restreints, comme les dépanneurs.
[54]                        Les conséquences préjudiciables de l’utilisation d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte lors de la perpétration d’un vol qualifié sont faciles à déterminer. Il y a le risque de décès ou de blessures corporelles graves pour les victimes et les passants si l’arme est déchargée. Même s’il n’y a pas de coups de feu, l’exposition à cette menace comporte le risque de préjudice psychologique profond. On peut s’attendre à ce que les commis de magasin qui sont victimes d’infractions comme celle perpétrée par M. Hilbach souffrent d’un préjudice psychologique. Dans l’affaire R. c. Al‑Isawi, 2017 BCCA 163, 348 C.C.C. (3d) 524, l’accusé s’était servi d’une fausse arme à feu pour commettre des vols qualifiés dans 10 petites pharmacies et avait été déclaré coupable de 10 chefs de vol qualifié en contravention du par. 85(2) du Code criminel. Cinq des victimes avaient fait état de sentiments d’hypervigilance, de traumatisme et de crainte pour leur sécurité personnelle (par. 29). Outre les menaces immédiates aux victimes, il existe des risques plus larges pour la collectivité. Brandir une arme à feu dans un magasin peut raisonnablement provoquer une réaction de recours à la force, soit par les policiers qui interviennent lors du vol qualifié en cours, soit par des passants qui tentent d’intervenir. Par conséquent, le risque d’escalade de la violence est aigu.
[55]                        L’usage d’une arme à feu prohibée non chargée ne réduit pas considérablement la gravité de l’infraction. La présence d’une arme à feu, même non chargée, [traduction] « crée en elle‑même une situation extrêmement instable et dangereuse » (Al‑Isawi, par. 57 (en italique dans l’original)). Une arme à feu chargée peut facilement être confondue avec une arme à feu non chargée, notamment par les personnes délinquantes elles‑mêmes. En outre, le fait d’accorder une peine à rabais pour avoir brandi une arme à feu non chargée ne tient pas compte du risque bien réel qu’une personne délinquante décharge accidentellement une arme à feu qu’elle croyait non chargée. Il fait également abstraction, pour des raisons pratiques, de la difficulté à prouver si l’arme à feu était chargée ou non, même si l’arme à feu utilisée a été récupérée. Qui plus est, une arme à feu non chargée est utilisée pour la même raison qu’une arme à feu chargée : pour laisser planer « la menace suprême de mort aux yeux de ceux qui y font face » (Felawka, p. 211). Les victimes de vol qualifié ne savent pas si l’arme à feu est chargée ou non. Il en va de même des passants et des policiers qui interviennent lors de vols qualifiés (R. c. Stewart, 2010 BCCA 153, 253 C.C.C. (3d) 301, par. 37; R. c. Uniat, 2015 ONCA 197, par. 5 (CanLII)). Que l’arme à feu ait une force meurtrière au moment de l’infraction ou non, « [l]’utilisation d’une arme à feu lors de la perpétration d’un crime en exacerbe l’effet terrorisant, que l’arme soit vraie ou fausse. Ce but précis demeure dans l’un et l’autre cas » (Steele, par. 23). Par conséquent, le traumatisme psychologique associé à un vol qualifié commis avec une arme à feu non chargée est comparable à celui associé à un vol qualifié commis avec une arme à feu chargée (R. c. Breese, 2021 ONSC 1611, par. 34 (CanLII); R. c. John, 2016 ONSC 396, par. 27 (CanLII); R. c. Stoddart, [2005] O.J. No. 6076 (QL), 2005 CarswellOnt 6523 (WL) (C.S.J.), par. 6, conf. par 2007 ONCA 139, 221 O.A.C. 108; R. c. Asif, 2020 ONSC 1403, par. 40 (CanLII); R. c. Charley, 2019 ONSC 6490, par. 45 (CanLII)). Il en va de même du risque d’escalade de la violence.
[56]                        Les éléments moraux requis pour que le minimum s’applique suggèrent un degré relativement élevé de culpabilité. La personne délinquante qui commet un vol qualifié avec une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte doit avoir l’intention de voler et avoir l’intention d’« utiliser » la violence ou la force (ou de menacer de le faire). Elle doit faire le choix conscient d’avoir recours à la violence ou à la force. Pour que la peine minimale obligatoire s’applique, ce choix s’étend à la décision d’utiliser une arme à feu en particulier pour commettre l’infraction — la personne délinquante doit avoir l’intention d’employer l’arme. L’infraction ne consiste pas en une décision prise par inadvertance de mettre la sécurité du public à risque, mais en un choix conscient de mettre à grand risque la sécurité d’une autre personne.
[57]                        L’infraction a une certaine étendue. À l’extrémité supérieure de l’éventail, l’al. 344(1)a) englobe, par exemple, les personnes délinquantes qui organisent des vols qualifiés complexes et coordonnés dans de grandes institutions en utilisant des armes automatiques et qui causent des blessures graves ou la mort. À l’extrémité inférieure de l’éventail, l’article vise des individus qui, comme M. Hilbach, commettent des vols simples dans des stations‑service en utilisant des armes à feu prohibées non chargées. Les différentes peines plus lourdes que la peine minimale reflètent bien cette échelle de gravité et ces divers degrés de culpabilité. Toutefois, le fil conducteur qui relie chacun de ces cas est l’intention de voler et de profiter de la terreur profonde qu’inspire la menace d’une arme à feu brandie à courte distance. Dans chaque cas, la personne délinquante utilise une arme à feu pour susciter la peur chez sa victime afin d’en tirer un avantage. Bien que la situation personnelle de la personne accusée et les motivations de son comportement varient, ces deux éléments demeurent constants. C’est ce caractère particulier du comportement dont parlait le juge Proulx dans l’affaire Lapierre, qui aggrave l’infraction et expose son auteur à cette peine minimale (p. 684).
[58]                        À la différence des situations hypothétiques examinées dans l’arrêt Nur, les personnes qui contreviennent à l’al. 344(1)a) commettent de [traduction] « vrai[s] crime[s] » (R. c. Nur, 2013 ONCA 677, 117 O.R. (3d) 401, par. 205‑206, conf. par 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773). Il ne s’agit pas d’un cas où l’infraction comporte une culpabilité morale minime, voire nulle, et qui n’expose le public qu’à peu voire pas de danger (Nur, par. 82‑83). Les personnes déclarées coupables en vertu de cet article ne ressemblent pas à l’individu dont il est question dans l’hypothèse proposée dans l’affaire Smith, à savoir un jeune surpris en possession de son premier « joint de mari » alors qu’il rentre au Canada (p. 1053). À la différence de la situation hypothétique invoquée pour invalider la disposition en cause dans l’affaire Hills — à savoir, une situation mettant en cause une jeune personne ayant utilisé un fusil de paintball qui ne pouvait pas perforer le mur d’une résidence ordinaire — il est impossible d’éliminer le caractère immédiat de la menace personnelle qui est inhérent à l’infraction. La nature et la portée de l’infraction exigent la présence de victimes. Dans les faits, il y a deux victimes réelles de l’infraction commise par M. Hilbach. Pour cette raison, il n’a pas été démontré que cette peine minimale obligatoire est si large qu’elle s’étend à des situations qui posent un risque relativement faible de préjudice (comme dans les affaires Smith, Nur, Lloyd ou Hills).
(ii)         Les effets de la peine sur la personne délinquante
[59]                        Le deuxième élément exige que les tribunaux examinent les effets de la peine obligatoire sur la personne délinquante en cause. Si elle a pour effet d’infliger à la personne délinquante des douleurs et des souffrances psychologiques au moyen d’une peine ou d’un traitement dégradant et déshumanisant, la peine est vulnérable sur le plan constitutionnel dans la mesure où elle porte atteinte à la dignité de la personne délinquante (Hills, par. 133; Québec (Procureure générale) c. 9147‑0732 Québec inc., 2020 CSC 32, par. 51).
[60]                        Pour évaluer les effets — et donc les répercussions — qui découlent de la peine prescrite sur la personne délinquante réelle ou hypothétique, le tribunal doit tenir compte des années supplémentaires d’emprisonnement imposées par la peine minimale obligatoire. Toutefois, l’art. 12 suppose une analyse contextuelle et il n’y aucun nombre précis au‑delà ou en deçà duquel une peine devient exagérément disproportionnée. Le tribunal peut tenir compte des conditions de détention de la personne délinquante dans lesquelles elle purgera la peine obligatoire, y compris la question de savoir si la peine minimale obligatoire substitue l’emprisonnement à une mesure probatoire, ainsi que toute caractéristique ou circonstance qui accroît la sévérité de la peine dans le cas de la personne délinquante (Hills, par. 133). Il convient de répéter que l’accent est mis sur la peine, et non sur la possibilité d’une libération conditionnelle dans l’appréciation des effets de la peine minimale (Hills, par. 104, citant Bissonnette, par. 37 et 41, et Nur, par. 98).
[61]                        Le juge chargé de la détermination de la peine a relevé deux effets importants. À cinq ans, la peine minimale obligatoire équivalait à plus du double d’une peine juste et proportionnée. De plus, la peine était pire sur le plan qualitatif, dans la mesure où elle devait être purgée dans un pénitencier.
[62]                        J’accepte la conclusion du juge chargé de la détermination de la peine selon laquelle les effets de la peine minimale obligatoire de cinq ans sont [traduction] « sévères » dans le cas de M. Hilbach. Une peine d’emprisonnement de cinq ans aurait des répercussions néfastes sur la réinsertion sociale de M. Hilbach, au regard de la conclusion du juge chargé de la détermination de la peine selon laquelle une peine purgée dans un pénitencier accroissait la probabilité que M. Hilbach réintègre le milieu des gangs. En l’espèce, il est raisonnable de conclure qu’une peine minimale obligatoire de cinq ans est relativement plus sévère et, comme pour bon nombre de personnes délinquantes autochtones, la peine sera plus difficile pour M. Hilbach en conséquence (Gladue, par. 68). Les personnes délinquantes autochtones sont plus durement touchées par l’incarcération et sont souvent traitées de façon discriminatoire dans les milieux carcéraux. Les Autochtones sont plus susceptibles de subir des incidents de recours à la force dans des pénitenciers fédéraux et ont un accès limité à des programmes adaptés à leur culture (Bureau de l’enquêteur correctionnel, Rapport annuel 2021‑2022 (2022)). De plus, l’incarcération elle‑même est souvent une façon culturellement inappropriée de sanctionner les actes répréhensibles commis par des personnes délinquantes autochtones (Gladue, par. 68).
[63]                        En définitive, ces considérations soutiennent la conclusion selon laquelle une peine juste et proportionnée se situerait en deçà de la peine minimale obligatoire, malgré la violence grave que comporte l’infraction qu’il a commise. Appréciée d’un point de vue purement quantitatif, la période d’emprisonnement qui dépasse une peine juste et proportionnée n’est pas négligeable. De fait, dans l’arrêt Lloyd, notre Cour a invalidé une peine minimale obligatoire d’un an d’emprisonnement (par. 6). Personne ne se porterait raisonnablement volontaire pour une ou deux années de plus en prison que ce qu’un juge considère comme juste, puisque de telles périodes additionnelles d’incarcération donneraient lieu à de grandes difficultés pour la personne délinquante et ses proches. Ces effets doivent donc avoir beaucoup de poids.
(iii)        La peine et ses objectifs
[64]                        Dans ce volet, les tribunaux doivent d’abord examiner quels objectifs de détermination de la peine le Parlement a priorisés en adoptant la peine minimale obligatoire et, ensuite, se demander si la peine minimale va au‑delà de ce qui est nécessaire pour permettre au Parlement d’atteindre ses objectifs (Hills, par. 138). La dénonciation et la dissuasion sont des principes reconnus de détermination de la peine que le Parlement peut utiliser pour exprimer la désapprobation de l’État à l’égard des infractions graves (Hills, par. 139). Bien que les formes de punitions qui font totalement abstraction de la réinsertion sociale soient incompatibles avec la dignité humaine et violent l’art. 12 (Bissonnette, par. 85), aucun objectif de détermination de la peine ne peut être appliqué à l’exclusion de tous les autres (Nasogaluak, par. 43).
[65]                        Dès lors qu’il n’exclut pas complètement la réinsertion sociale de son calcul, le Parlement peut prioriser à juste titre certains objectifs, comme la dénonciation et la dissuasion, plutôt que d’autres lorsqu’il établit une peine minimale. Les peines exemplaires représentent « une déclaration collective [. . .] que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu’elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société » (R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 81). Lorsque les conséquences des infractions contreviennent manifestement au « code des valeurs fondamentales » de la population canadienne et commandent une forte condamnation, notre Cour fait preuve d’une plus grande déférence envers le Parlement lorsqu’il édicte une peine minimale obligatoire qui priorise la dénonciation (Hills, par. 139, citant Morrisey, par. 47). Le besoin de dénonciation est étroitement lié à la gravité de l’infraction (Hills, par. 139, citant Ipeelee, par. 37). De même, bien que la dissuasion à elle seule ne puisse empêcher une peine minimale obligatoire d’être cruelle et inusitée, elle peut « justifier l’infliction d’une peine qui, quoique sévère, se situe à l’intérieur de la fourchette des peines qui ne sont pas cruelles et inusitées » (Morrisey, par. 45).
[66]                        Cela dit, la dissuasion et la dénonciation ne sauraient être priorisées à tout prix. Une telle approche justifierait des peines d’une durée illimitée (Hills, par. 140). Par conséquent, lorsqu’ils évaluent l’objectif pénal valable de la peine minimale obligatoire et son respect des objectifs de détermination de la peine, les tribunaux devraient prendre en considération la mesure dans laquelle la peine contestée adhère aux principes de proportionnalité et de parité (Hills, par. 145).
[67]                        La parité exige « l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables » (al. 718.2b)). Les fourchettes de peines et les points de départ sont des outils utiles dans l’évaluation de la proportionnalité et de la parité, car ils reflètent un consensus judiciaire sur la gravité d’une infraction et aident à réduire les écarts substantiels entre les peines infligées (R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 20, citant R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089, par. 2). Les peines minimales obligatoires, de même que la fourchette de peines énoncée par le Parlement pour des infractions semblables, peuvent elles aussi être utiles dans cette analyse.
[68]                        En l’espèce, le juge chargé de la détermination de la peine a reconnu que même si la dissuasion et la dénonciation sont des considérations importantes, la peine minimale obligatoire accorde beaucoup trop d’importance à ces objectifs par rapport à la réinsertion sociale et aux facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue. Les juges majoritaires de la Cour d’appel étaient du même avis, faisant une analogie avec les suramendes compensatoires dont il était question dans l’arrêt Boudreault.
[69]                        Le juge chargé de la détermination de la peine et les juges majoritaires de la Cour d’appel ont eu tort de conclure qu’il n’y avait aucun objectif pénal valable en l’espèce. La peine minimale obligatoire est en soi davantage axée sur la dissuasion, la dénonciation et le châtiment que sur la réinsertion sociale et d’autres objectifs de détermination de la peine (Nur, par. 44). Par conséquent, la question ne se limite pas à savoir si la peine minimale priorise ces objectifs. Les tribunaux devraient plutôt se demander si la mesure dans laquelle le Parlement a choisi de prioriser la dénonciation et la dissuasion lorsqu’il a établi la peine est justifiée. Dans le cas de M. Hilbach, la décision du Parlement de prioriser la dénonciation et la dissuasion est justifiable.
[70]                        Comme je l’ai souligné, le besoin de dénonciation est étroitement lié à la gravité de l’infraction et à la nécessité de communiquer le fait que notre société condamne les actes qui portent atteinte à nos valeurs morales fondamentales (M. (C.A.), par. 81; Ipeelee, par. 37). Il convient de faire preuve de déférence à l’égard du Parlement lorsqu’il édicte des peines minimales obligatoires exemplaires dans les cas où la conduite, comme le vol à main armée, porte manifestement atteinte à nos valeurs les plus fondamentales.
[71]                        Dans le présent cas, la peine minimale obligatoire vise une conduite qui justifie manifestement la dissuasion et la dénonciation vigoureuse qu’indique une lourde peine d’emprisonnement. Comme l’a reconnu le juge chargé de la détermination de la peine, la dénonciation et la dissuasion étaient des considérations [traduction] « importantes » dans le cas de M. Hilbach, compte tenu de la gravité de l’infraction (par. 20). L’usage d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte lors de la perpétration d’un vol qualifié présente un risque grave pour la sécurité publique. Comme l’a indiqué notre Cour dans l’arrêt Morrisey, le Parlement peut édicter des peines minimales obligatoires qui indiquent que l’insouciance à l’égard de la vie et de la sécurité d’autrui dans la manipulation d’armes à feu n’est « tout simplement pas acceptable » (par. 47 (souligné dans l’original)). Par conséquent, la peine minimale obligatoire s’applique à une catégorie de comportements qui commandent une forte condamnation.
[72]                        La dissuasion générale a également un rôle à jouer en l’espèce. Comme l’a reconnu notre Cour dans l’arrêt Morrisey, « [l]e besoin de dissuasion générale ne saurait être contesté » lorsqu’une personne met en danger la sécurité d’autrui en brandissant une arme à feu (par. 46). À l’instar de la peine obligatoire minimale dans cette affaire, la peine minimale en l’espèce « exige que les personnes qui ont une arme à feu dans les mains fassent preuve de prudence en la manipulant » (Morrisey, par. 46). Bien que l’arrêt Smith indique qu’il n’est pas vraiment nécessaire de punir le « petit » délinquant pour dissuader l’auteur d’infractions graves (à la p. 1080), il n’y a pas de « petits » délinquants dans la façon dont l’entendait notre Cour dans les arrêts Nur, Smith et Lloyd. Les gestes de M. Hilbach, par exemple, correspondent précisément à la conduite que le Parlement voulait dissuader. Par conséquent, la dissuasion générale peut justifier une peine qui est plus sévère mais qui se situe tout de même dans l’éventail des peines qui ne sont pas cruelles et inusitées (Morrisey, par. 45; Nur, par. 45).
[73]                        Ma conclusion selon laquelle le Parlement pouvait prioriser la dissuasion et la dénonciation en l’espèce est conforme à la jurisprudence en matière de détermination de la peine portant sur le vol qualifié, qui confirme l’importance de ces objectifs dans la détermination de la peine pour cette infraction (C. C. Ruby, Sentencing (10e éd. 2020), §23.494). Elle est également compatible avec l’importance accrue qu’accordent les tribunaux à ces objectifs dans la détermination de la peine lorsqu’une arme à feu est utilisée pour commettre des actes de violence interpersonnelle (voir, p. ex., R. c. Jones, 2012 ONCA 609, par. 12 (CanLII); R. c. Maytwayashing, 2018 MBCA 36, par. 40 (CanLII); R. c. Agin, 2018 BCCA 133, 361 C.C.C. (3d) 258, par. 67; R. c. D. (Q.) (2005), 2005 CanLII 30044 (ON CA), 199 C.C.C. (3d) 490 (C.A. Ont.), par. 78; R. c. Marshall, 2015 ONCA 692, 340 O.A.C. 201, par. 49; R. c. Bellissimo, 2009 ONCA 49, par. 5 (CanLII); R. c. Brown, 2010 ONCA 745, 277 O.A.C. 233, par. 13‑14). Dans ce contexte, les tribunaux ont insisté sur le besoin de dénonciation et de dissuasion, à la fois pour signifier l’aversion de notre société à l’égard de la violence liée aux armes à feu et pour communiquer aux délinquants éventuels qu’une peine importante accompagne l’usage d’une arme à feu pour commettre des actes de violence (D. (Q.), par. 77‑78; Jones, par. 12; R. c. Mark, 2018 ONSC 447, par. 24 (CanLII); R. c. Thavakularatnam, 2018 ONSC 2380, par. 21 (CanLII)).
[74]                        Dans le cas de délinquants comme M. Hilbach, dont la culpabilité morale est réduite en raison, par exemple, de retards de développement ou d’un trouble lié à la consommation d’une substance, la peine minimale obligatoire de cinq ans peut excéder ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du Parlement en matière de détermination de la peine (Hills, par. 138). Dans le cas de M. Hilbach, une peine de détention minimale de cinq ans est une sanction sévère compte tenu de sa situation personnelle.
[75]                        Néanmoins, le juge chargé de la détermination de la peine n’a pas tenu compte du fait que la présente affaire se distingue des affaires Nur, Smith et Lloyd dans la mesure où une lourde peine d’emprisonnement est une peine proportionnée dans le cas de M. Hilbach. En effet, comme je l’ai fait remarquer, la défense ne conteste pas le fait que l’emprisonnement de trois ans est une peine juste. Par conséquent, contrairement aux affaires Nur, Smith et Lloyd, la peine minimale obligatoire en l’espèce n’impose pas une longue peine d’emprisonnement, la sanction « de dernier recours », lorsqu’une telle peine ne serait pas par ailleurs possible, ou même courante. Les peines minimales obligatoires sont nécessairement plus vulnérables lorsqu’elles remplacent une peine de probation par de longues périodes d’emprisonnement. Bien qu’il demeure néanmoins important de comparer deux peines comportant de longues périodes d’emprisonnement, il peut être plus difficile d’établir qu’il y a disproportion exagérée dans la présente situation que dans celles en cause dans les affaires Nur et Lloyd.
[76]                        La peine minimale obligatoire pour vol qualifié commis avec une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte dans le cas de M. Hilbach ne déroge pas totalement aux normes de détermination de la peine pour une infraction de cette nature. Tout d’abord, les peines inférieures à deux ans d’emprisonnement sont relativement rares en cas de vol qualifié, qui n’emporte pas de peine minimale obligatoire lorsqu’il est commis sans arme ou avec une arme autre qu’une arme à feu (Ruby, §23.498). Lorsqu’une arme (autre qu’une arme à feu) est utilisée pour la perpétration d’un vol qualifié dans un établissement commercial, comme c’est le cas en l’espèce, la limite inférieure se situe dans la fourchette d’un an ou deux, l’échelon du milieu se situant entre trois et cinq ans et la limite supérieure étant d’environ huit ans (Ruby, §§23.521, 23.528 et 23.532). Même sans peine minimale obligatoire, la fourchette de peines pour vol qualifié commis avec une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte serait plus élevée, car l’usage d’une arme aussi dangereuse représente un facteur aggravant. Par conséquent, bien que l’on puisse soutenir qu’une peine minimale obligatoire de cinq ans est supérieure à la peine à laquelle M. Hilbach serait condamné et à la limite inférieure qui serait probablement établie par ailleurs, la peine minimale ne dépasse pas de beaucoup ce qui est nécessaire pour que le Parlement atteigne ses objectifs en matière de détermination de la peine.
[77]                        Par conséquent, le cas de M. Hilbach ne démontre pas que la peine minimale obligatoire déroge au principe de parité dans la même mesure que les peines minimales dans les affaires Smith, Nur, Lloyd et Hills. Comme je l’ai mentionné, de lourdes peines d’emprisonnement de plusieurs années sont la norme pour cette infraction. Cela permet de distinguer la présente affaire de l’arrêt Nur, où la peine minimale obligatoire en cause imposait des peines d’emprisonnement de trois ans pour ce qui était essentiellement des infractions réglementaires, un résultat qui « déroge[ait] totalement » aux pratiques de détermination de la peine pour de telles infractions (par. 83). On ne peut affirmer que, comme dans l’arrêt Nur, il y a une [traduction] « discordance totale » entre le minimum obligatoire et le comportement de M. Hilbach (par. 83). Compte tenu du lien entre la parité et la proportionnalité, ce qui précède appuie la conclusion selon laquelle la peine minimale en l’espèce n’est pas exagérément disproportionnée.
[78]                        En outre, la peine minimale obligatoire en l’espèce n’est pas entièrement analogue aux suramendes compensatoires obligatoires examinées dans l’arrêt Boudreault. Dans cette affaire, les suramendes compensatoires obligatoires avaient pour objectifs pénaux de recueillir des fonds pour les services aux victimes et d’accroître la responsabilisation des personnes délinquantes envers les victimes et la collectivité en général (par. 62). Ni l’un ni l’autre de ces objectifs pénaux n’étaient susceptibles d’être atteints dans le cas de personnes délinquantes impécunieuses ou démunies, qui étaient sans le sou (par. 63). En l’espèce, il n’est pas improbable que les objectifs pénaux associés au minimum obligatoire soient atteints, dans la mesure où le comportement de M. Hilbach correspond précisément à ce que le Parlement entendait dénoncer et dissuader. Qui plus est, la proportionnalité et la parité étaient compromises dans une plus grande mesure dans l’affaire Boudreault, car les suramendes imposaient en réalité des peines d’une durée indéterminée à des personnes délinquantes impécunieuses, bien que de telles sanctions soient réservées aux pires personnes délinquantes du Canada (par. 79). Le minimum en l’espèce s’harmonise davantage avec les normes de détermination de la peine pour une infraction de cette nature.
[79]                        Cela dit, comme dans l’affaire Boudreault, la peine minimale ne contribue pas à la réalisation de l’intention du Parlement de résoudre le grave problème de la surreprésentation des Autochtones en prison, consacrée à l’al. 718.2e). Elle ne favorise pas non plus l’objectif de réinsertion sociale. Une peine qui nuit à la capacité de M. Hilbach d’éviter la vie de gang, et qui accroît la probabilité qu’il récidive en conséquence, ne favorise pas la réinsertion sociale. Bien que la peine minimale ne contribue peut‑être pas à la réinsertion sociale de M. Hilbach, je ne crois pas que la peine minimale fait complètement abstraction de la réinsertion sociale en tant que principe de détermination de la peine (Hills, par. 34). Le Parlement n’a pas choisi une peine minimale qui priorise la dénonciation et la dissuasion à l’exclusion de la réinsertion sociale dans le cas de M. Hilbach.
[80]                        Même en examinant ses effets sous l’angle de l’al. 718.2e), je suis incapable de conclure que la peine minimale va au‑delà de ce qui est nécessaire pour que le Parlement atteigne ses objectifs au point où elle fait totalement abstraction de la réinsertion sociale et porte atteinte à la dignité humaine. Comme je l’ai fait remarquer, le Parlement était justifié de prioriser la dénonciation et la dissuasion plutôt que la réinsertion sociale, vu la nature de cette infraction. Qui plus est, bien que la peine minimale s’écarte des principes de parité et de proportionnalité dans le cas de M. Hilbach, il n’en résulte pas une peine qui est exagérément disproportionnée par rapport aux normes de détermination de la peine pour cette infraction.
[81]                        Je réitère que la disproportion exagérée est évaluée selon un seuil élevé : la peine doit être « excessive au point de porter atteinte aux normes de la décence » (Hills, par. 109, citant Boudreault, par. 45; Lloyd, par. 24, citant Morrisey, par. 26; Wiles, par. 4, citant Smith, p. 1072). Ce n’est que « très rarement » que l’on peut qualifier ainsi une peine, puisque la norme est « à bon droit strict[e] et exigeant[e] » et censée exprimer une certaine déférence à l’égard du Parlement lorsqu’il élabore des dispositions en matière de détermination de la peine (Hills, par. 115, citant Steele c. Établissement Mountain, p. 1417). La norme de la disproportion exagérée au titre de l’art. 12 n’exige pas que les peines soient « parfaitement adaptées aux nuances morales qui caractérisent chaque crime et chaque délinquant » (R. c. Lyons, 1987 CanLII 25 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 309, p. 344‑345). La différence entre la peine minimale obligatoire et la situation particulière de M. Hilbach ne « port[e pas] atteinte aux normes de la décence ». Conclure que la peine minimale obligatoire de cinq ans est exagérément disproportionnée dans la situation de M. Hilbach saperait la norme élevée au cœur de la jurisprudence de notre Cour portant sur l’art. 12.
[82]                        Pour ces motifs, la peine minimale obligatoire de cinq ans prescrite au sous‑al. 344(1)a)(i) ne contrevient pas à l’art. 12 de la Charte. Puisque M. Hilbach ne propose pas de situations hypothétiques raisonnablement prévisibles où le sous‑al. 344(1)a)(i) serait exagérément disproportionné, je passe maintenant à la contestation de l’al. 344(1)a.1) présentée par M. Zwozdesky.
(2)         Application au cas de M. Zwozdesky
[83]                        Les amici curiae pour M. Zwozdesky concèdent que la peine minimale obligatoire contestée n’était pas exagérément disproportionnée dans son cas. Ils présentent plutôt cinq situations où, soutiennent‑ils, la peine minimale obligatoire prévue à l’al. 344(1)a.1) est exagérément disproportionnée. La Couronne fait valoir que plusieurs de ces situations ne sont pas raisonnablement prévisibles et que, de toute façon, elles ne démontrent pas que le minimum est exagérément disproportionné. Au soutien de ses prétentions, la Couronne s’appuie sur les mêmes préoccupations que celles qu’elle soulève dans le cas de M. Hilbach, invoquant la gravité de l’infraction et le besoin connexe de dénonciation et de dissuasion.
[84]                        Les situations présentées par les amici font état de circonstances qui ne sont pas abordées dans le cas de M. Hilbach, y compris la responsabilité des parties, les vols qualifiés non planifiés ou impulsifs et l’usage d’armes à air comprimé. Bien que ces circonstances comportent un degré de gravité et de culpabilité moindres par rapport au cas de M. Hilbach, elles sont insuffisantes pour établir que l’al. 344(1)a.1) est exagérément disproportionné. Le Parlement peut à juste titre prioriser la dissuasion et la dénonciation dans ces circonstances également et, comme dans le cas de M. Hilbach, celles‑ci ne démontrent pas qu’une peine d’emprisonnement de quatre ans pour vol qualifié commis avec une arme à feu déroge totalement aux normes de détermination de la peine. Je me penche d’abord sur les situations présentées par les amici de M. Zwozdesky.
(a)           Quelles situations raisonnablement prévisibles font intervenir la disposition prévoyant la peine minimale obligatoire contestée?
[85]                        Les amici présentent cinq situations détaillées où le minimum obligatoire serait exagérément disproportionné. Dans chaque situation, la personne délinquante a plaidé coupable à une infraction de vol qualifié commis avec une arme à feu. Les situations sont les suivantes :
(1)                  Éric, un chasseur « crétin » âgé de 18 ans, affronte deux autres chasseurs en train de dépecer un cerf sur son terrain, qu’il soupçonne de braconnage sur la foi de « potins de la ville » à propos d’un des chasseurs. Les intrus ont des vignettes pour le cerf. Éric lève sa carabine en direction des chasseurs, sans toutefois les viser directement. Les deux chasseurs choisissent de laisser le cerf et Éric finit de le dépecer et l’apporte chez lui.
(2)                  Danielle, une jeune toxicomane de la rue âgée de 19 ans, est victime de traite en vue du commerce du sexe par son petit ami. Celui‑ci porte une arme à feu — elle le sait, car il l’a récemment utilisée pour la menacer. Ils décident de voler à l’étalage du fromage et des rasoirs dans une épicerie. Lorsqu’ils sont interceptés par un gardien de sécurité, Danielle crie : « Dégagez de notre chemin — il a un fusil! ». Le fusil n’est pas montré, mais les policiers le trouvent à la ceinture du petit ami lorsque le couple est arrêté par la suite.
(3)                  Chahid, un jeune de 19 ans réfugié d’un pays en guerre, a des difficultés d’apprentissage et souffre d’un syndrome de stress post‑traumatique. Lors d’une promenade à pied, son ami s’approche de deux personnes à un arrêt d’autobus, il leur fait voir qu’il a une arme de poing à la ceinture et les somme de lui remettre leur téléphone cellulaire, ce qu’ils font. Chahid ignorait jusqu’à ce moment que son ami avait une arme à feu et il ignorait aussi que celui-ci avait planifié un vol qualifié. Néanmoins, il [traduction] « fait nerveusement le guet ». Il se trouve que des policiers sont à proximité et s’apprêtent à intervenir. Chahid dit à son ami de s’enfuir, mais les deux sont arrêtés. Lors de la détermination de la peine, Chahid a terminé ses études secondaires, il est inscrit dans un programme postsecondaire de formation professionnelle et il subvient à ses besoins en effectuant des travaux manuels. Une peine de plus de six mois le mettrait à risque d’expulsion. Il plaide coupable à titre de participant à l’infraction.
(4)                  Brian, un Autochtone âgé de 21 ans qui souffre d’alcoolisme et est atteint de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale, se trouve dans un état d’ébriété extrême et est couché face contre terre dans un banc de neige lorsqu’une bonne samaritaine s’arrête pour l’aider. Il empoigne la femme, met la main à sa propre ceinture pour lui faire voir une arme à balles BB et saisit le sac à main de celle‑ci. L’arme à balles BB fonctionne et est susceptible de crever un œil, mais elle n’est pas chargée.
(5)                  Adam, un Autochtone âgé de 26 ans, souffre de toxicomanie et de schizophrénie et a un casier judiciaire peu chargé. Lors d’une rencontre avec son trafiquant de drogue dans un stationnement, il sort un pistolet à air comprimé, le pointe en direction de son trafiquant et prend quelques comprimés de méthamphétamine. Avant la détermination de la peine, il reçoit un traitement pour la schizophrénie et sa toxicomanie.
[86]                        Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu que parmi les cinq situations, les cas d’Adam et de Brian étaient des situations hypothétiques raisonnablement prévisibles pour l’application d’une analyse fondée sur l’art. 12 et que les autres ne l’étaient pas. Je suis aussi de cet avis. Le cas de Brian s’inspire d’un délinquant « véritable », dont les faits sont relatés dans le jugement R. c. Smart, 2014 ABPC 175, 595 A.R. 266. Pour ce qui est d’Adam, le vol qualifié commis à l’égard d’un trafiquant de drogue est une situation raisonnablement prévisible. Que cette infraction soit commise par une personne souffrant de problèmes de santé mentale et de toxicomanie est manifestement prévisible. Bien qu’il puisse être relativement peu courant d’utiliser un pistolet à air comprimé pour commettre cette infraction, ces armes sont sans aucun doute utilisées dans les vols qualifiés (voir, par exemple, R. c. Lodoen, instruit en même temps que l’appel dans l’affaire Johnas).
[87]                          Les situations mettant en cause Éric, Danielle et Chahid ne sauraient être considérées comme des hypothèses raisonnables. Comme leur nom l’indique, les situations raisonnablement prévisibles sont des situations dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elles se produisent, selon le bon sens et l’expérience judiciaire (Nur, par. 74). Voici les caractéristiques d’une hypothèse raisonnable énoncées dans l’arrêt Hills, par. 77 :
(i)                     L’hypothèse doit être raisonnablement prévisible;
(ii)                  Les cas répertoriés peuvent être pris en considération dans l’analyse;
(iii)               La situation hypothétique doit être raisonnable eu égard à l’étendue des actes visés par l’infraction en question;
(iv)                 Les caractéristiques personnelles peuvent être prises en compte pourvu qu’elles ne soient pas adaptées pour créer des exemples invraisemblables ou n’ayant qu’un faible rapport avec l’espèce;
(v)                  Le processus accusatoire est la meilleure façon de mettre à l’épreuve les hypothèses raisonnables.
[88]                          Comme l’a réitéré notre Cour dans l’arrêt Hills, il ne faut pas que les situations hypothétiques raisonnables soient « invraisemblables ou difficilement imaginables », ni des « exemples extrêmes ou n’ayant qu’un faible rapport avec l’espèce » (Hills, par. 78, citant Morrisey, par. 30, citant Goltz, p. 506 et 515). Les caractéristiques personnelles comme l’âge, l’autochtonité, les problèmes de santé mentale et la dépendance sont susceptibles d’être pertinentes, car elles sont communes aux personnes délinquantes qui se retrouvent devant les tribunaux canadiens. Toutefois, il faut se garder d’utiliser ces caractéristiques pour constituer une personne délinquante le plus sympathique possible (Hills, par. 91; Nur, par. 75). Selon le bon sens et l’expérience judiciaire, les personnes délinquantes qui n’ont que des caractéristiques personnelles atténuantes sont rares et il est encore plus improbable de voir de telles personnes délinquantes dans les situations les plus improbables relevant de la portée d’une infraction. Superposer les facteurs atténuants et forcer le sens de chaque élément constitutif d’une infraction produisent une situation hypothétique qui est fantaisiste et non raisonnablement prévisible (Hills, par. 91). Les tribunaux ne sont pas tenus de se pencher sur chacune des hypothèses présentées par les avocats s’ils estiment que certaines ne sauraient être considérées comme des situations « raisonnablement prévisibles ».
[89]                          Bien que relevant en théorie de la portée de l’al. 344(1)a.1), la situation d’Éric est invraisemblable et constitue un cas limite. Quant à Chahid, sa situation satisfait tout juste au critère d’une personne qui a aidé à la perpétration d’une infraction ou qui l’a encouragée en application du par. 21(1) du Code criminel et force le sens des éléments constitutifs de l’infraction (R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411, par. 18). Cette situation implique un comportement qui ne tomberait probablement pas sous le coup de la disposition. Dans l’affaire Hills, la Cour a conclu que, bien qu’on puisse étudier la portée de l’infraction pour en déterminer l’étendue, il n’est pas utile de mettre à l’épreuve chaque élément constitutif de l’infraction (par. 83). Les situations mettant en cause Danielle et Chahid superposent de multiples caractéristiques personnelles atténuantes et les cas d’application les plus inusités de l’infraction afin de créer la « personne délinquante la plus sympathique ». Ces situations hypothétiques servent davantage à démontrer « l’imagination des avocats » qu’à cerner la véritable portée de la disposition (Hills, par. 83). Il n’est guère utile d’évaluer la disposition contestée en fonction de situations farfelues reposant sur l’idée selon laquelle les situations imaginées pourraient se produire un jour. Par conséquent, les situations impliquant Éric, Danielle et Chahid ne sont pas raisonnablement prévisibles.
[90]                        Les juges majoritaires ont également conclu que deux situations hypothétiques tirées de décisions publiées, R. c. Link, 2012 MBPC 25, 276 Man. R. (2d) 157, et Lodoen, étaient raisonnablement prévisibles. Les deux affaires portaient sur de jeunes délinquants impliqués dans des vols qualifiés commis dans des dépanneurs. L’affaire Link concernait une Autochtone âgée de 18 ans, qui avait plaidé coupable en tant que participante à un vol qualifié dans un dépanneur, où l’auteur principal de l’infraction avait utilisé une fausse arme à feu (par. 1 et 7‑22). Le délinquant dans l’affaire Lodoen était un jeune âgé de 18 ans qui avait utilisé un fusil à balles BB pour perpétrer un vol qualifié et qui a plaidé coupable (Johnas, par. 68). Ni l’affaire Link ni l’affaire Lodoen ne mettaient en cause la peine minimale dont il est question en l’espèce. Je reconnais qu’elles sont prévisibles, pourvu qu’elles soient modifiées pour relever de la portée des peines minimales.
(b)         Une peine de deux ans à deux ans et demi d’emprisonnement est une peine juste et proportionnée dans les situations raisonnablement prévisibles
[91]                        Cela m’amène aux peines justes et proportionnées pour Adam, Brian et les personnes délinquantes dans les situations qui s’inspirent des affaires Link et Lodoen. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu qu’une peine juste et proportionnée dans les situations raisonnablement prévisibles indiquées plus tôt serait un emprisonnement d’environ deux ans (par. 70). Ni la Couronne ni la défense ne contestent la conclusion des juges majoritaires sur ce point. Pour ma part, je ne vois pas non plus de raison d’intervenir.
[92]                        Les infractions commises par Adam et Brian comportaient des vols impliquant de la violence dans la rue, une infraction dont la fourchette de peines est d’environ 12 à 18 mois. Bien entendu, l’utilisation d’une arme, en particulier une arme à feu, est un facteur aggravant dans chaque cas. L’infraction commise par Brian comportait aussi l’emploi de la force envers la victime, tandis que dans le cas d’Adam, l’infraction comportait un degré plus important de planification. Il avait aussi un casier judiciaire. Qui plus est, dans le cas d’Adam, l’utilisation d’une arme à feu pour régler une dispute liée à la drogue présente un risque grave pour la sécurité publique, une considération qui justifie une lourde peine (R. c. Delchev, 2014 ONCA 448, 323 O.A.C. 19, par. 20). Cela pourrait justifier des peines qui dépassent considérablement cette fourchette. Néanmoins, la culpabilité morale des deux délinquants est atténuée en raison des problèmes de santé mentale et de dépendance qui sous‑tendaient leurs gestes, ainsi que de tout facteur applicable énoncé dans l’arrêt Gladue. Par conséquent, je conviens qu’une peine d’environ deux ans serait juste et proportionnée dans ces cas.
[93]                        Les situations qui s’inspirent des affaires Link et Lodoen justifieraient de façon similaire des peines d’environ 18 mois à 2 ans d’emprisonnement. Il s’agit dans les deux cas de vols qualifiés commis dans des dépanneurs impliquant de jeunes délinquants qui en étaient à leur première infraction, de sorte que le point de départ de trois ans établi dans l’arrêt Johnas s’applique. Alors que la délinquante dans l’affaire Link s’était vu infliger une peine avec sursis de 18 mois, l’infraction comportait l’utilisation d’une fausse arme à feu (par. 120). Qui plus est, la juge chargée de la détermination de la peine a conclu qu’aucune faute ne pouvait être imputée à l’accusée dans l’utilisation de l’arme à feu, car cette dernière était [traduction] « bouleversée et surprise quand une arme a été montrée » (par. 117). Une peine d’emprisonnement aurait donc été justifiée si Mme Link avait pris part au vol qualifié sachant qu’une véritable arme à feu serait utilisée. L’affaire Lodoen s’est soldée par une peine de 18 mois (par. 70). Dans l’hypothèse où l’arme correspond à la définition d’une arme à feu, une peine supérieure à 18 mois peut être justifiée, puisqu’il s’agit d’un facteur aggravant. Ainsi, une peine d’environ 18 mois à 2 ans serait appropriée.
(c)           Le minimum obligatoire n’est pas exagérément disproportionné dans les situations raisonnablement prévisibles
[94]                        Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu que l’al. 344(1)a.1) était exagérément disproportionné dans les cas d’Adam et de Brian, ainsi que dans les situations similaires aux affaires Link et Lodoen, soulignant que la peine minimale représentait plus du double d’une peine juste et proportionnée. À mon avis, les juges majoritaires sont dans l’erreur. Comme dans le cas du sous‑al. 344(1)a)(i), compte tenu (1) de la portée et de l’étendue de l’infraction, (2) des effets de la peine sur la personne délinquante; et (3) de la peine et de ses objectifs, la peine minimale obligatoire de quatre ans pour vol qualifié ne « porte pas atteinte aux normes de la décence ».
[95]                        Pour ce qui est de la portée et de l’étendue de l’infraction, comme dans le cas de M. Hilbach, les situations présentées ici ne démontrent pas que la peine minimale obligatoire ratisse trop large et englobe des personnes délinquantes dont la culpabilité morale est peu élevée. Monsieur Zwozdesky soulève trois principaux facteurs qui rendent ces situations relativement moins graves en comparaison au cas de M. Hilbach : elles concernent des pistolets à air comprimé, elles sont non planifiées (comme dans le cas de Brian) et elles mettent en cause des personnes participant à l’infraction (comme dans le cas de Mme Link). À mon avis, aucune de ces considérations n’établit que le minimum est si vaste qu’il s’applique dans des circonstances qui comportent peu de faute et peu de danger.
[96]                        Les cours d’appel provinciales ont confirmé à plusieurs reprises la constitutionnalité des peines minimales obligatoires pour le vol qualifié, même dans le cas de personnes accusées inspirant la sympathie, parce que la mens rea et l’actus reus de cette infraction s’appliquent à un ensemble relativement limité de comportements violents et que la personne délinquante doit avoir fait de manière délibérée un acte précis ayant entraîné un préjudice déterminé pour être déclarée coupable (Hills, par. 131; R. c. McIntyre, 2019 ONCA 161, 429 C.R.R. (2d) 346; McIvor; Lapierre; R. c. Wust (1998), 1998 CanLII 5492 (BC CA), 125 C.C.C. (3d) 43 (C.A. C.‑B.); McDonald; R. c. Bernarde, 2018 NWTCA 7). De plus, dans l’arrêt McDonald, le juge Rosenberg a conclu qu’une peine de quatre ans constituerait probablement une peine manifestement non indiquée dans le cas de l’accusé en cause selon la norme de contrôle judiciaire en appel. Toutefois, la peine n’atteignait pas le seuil élevé permettant de conclure qu’elle était exagérément disproportionnée, car le Parlement pouvait réprimer par des peines sévères les infractions liées aux armes à feu. Le juge Rosenberg a conclu que, compte tenu de la gravité objective de l’infraction, une peine d’emprisonnement de quatre ans ne choquait pas la conscience et ne portait pas atteinte aux normes de la décence (p. 666 et 669).
[97]                        Le vol qualifié constitue une infraction grave, même s’il est commis sans arme, étant donné que l’infraction comporte le recours ou la menace de recours à la violence dans le vol de biens. Qui plus est, chacune des situations comporte l’utilisation d’une arme à feu. Comme nous l’avons vu, une « arme à feu » dans ce contexte comprend les carabines et les fusils de chasse ordinaires visés par le régime de délivrance de permis instauré par la Loi sur les armes à feu, de même que les dispositifs munis d’un canon qui peuvent être achetés sans permis, par exemple les armes à air comprimé comme les fusils à balles BB et les pistolets à air comprimé. Néanmoins, pour constituer une arme à feu, au fond, ces dispositifs doivent pouvoir infliger des lésions corporelles graves, comme crever l’œil d’une personne. Comme je l’ai souligné dans le cas de M. Hilbach, l’utilisation d’une arme à feu « incarne en soi la menace suprême de mort aux yeux de ceux qui y font face » (Felawka, p. 211). Cela est également vrai lorsqu’une arme à feu ordinaire est utilisée, par exemple une carabine ou un fusil de chasse. Bien qu’une carabine à air comprimé ne soit peut‑être pas susceptible de causer une blessure mortelle, la personne délinquante qui utilise une telle arme pour intimider autrui exploite la peur que provoquent les armes à feu conventionnelles et, à tout le moins, menace d’infliger des blessures graves. Je ne suis pas convaincue que puisque la peine minimale s’applique lorsque la personne délinquante ne fait qu’utiliser une arme à feu, par opposition à une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte, il y a peu de risque pour la sécurité publique.
[98]                        Il est important d’examiner l’infraction du point de vue des victimes dans les situations présentées par M. Zwozdesky. En l’espèce, il y a toujours une personne exposée à un risque sérieux de blessure, peu importe qu’une arme à feu conventionnelle ou à air comprimé soit utilisée. Pour les victimes, le risque de blessure physique grave subsiste lorsque des armes à air comprimé sont utilisées au cours d’un vol qualifié, un risque qui n’est pas présent dans le cas des fausses armes à feu. Qui plus est, le risque de traumatisme psychologique que peut susciter l’utilisation d’une carabine à air comprimé demeure semblable à celui que peut susciter une arme à feu conventionnelle. Comme l’a conclu la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt Al‑Isawi, [traduction] « le fait qu’une personne délinquante se serve d’une vraie ou d’une fausse arme à feu ne change rien au préjudice causé à la victime, qui ne verra pas la différence » (par. 39). Je ne suis pas convaincue que les victimes d’un vol qualifié, comme dans les cas d’Adam et de Brian, auront normalement la présence d’esprit de distinguer une carabine à air comprimé d’une carabine conventionnelle, pas plus qu’elles pourront faire la distinction entre un fusil de chasse chargé ou non. Il y a, en conséquence, le risque d’escalade de la violence, car une telle menace mortelle apparente risque d’engendrer une réaction dangereuse chez les passants et les policiers qui interviennent dans un incident. Par conséquent, du point de vue de la sécurité publique, il n’y a pas de différence considérable entre la perpétration d’un vol qualifié avec une arme à feu conventionnelle et une arme à air comprimé.
[99]                        La menace constante pour les victimes et la sécurité publique distingue cette infraction de celle en cause dans l’arrêt Hills. Un élément essentiel du vol qualifié commis avec ou sans arme à feu est le recours à la violence réelle ou à la menace de violence contre une personne lors de la perpétration de l’infraction. Le fait que la menace est immédiate distingue l’infraction de la situation hypothétique évoquée dans l’affaire Hills. La personne délinquante doit avoir l’intention de faire naître la peur dans le cœur de sa victime. La personne délinquante a choisi d’utiliser une arme à feu, sachant qu’elle peut en tirer un avantage appréciable en raison de la peur universelle que suscitent les armes à feu chez les gens. Lorsqu’on évalue la gravité de l’infraction, on ne saurait minimiser ou négliger la menace pour les victimes et le public dans ces situations.
[100]                     En outre, la culpabilité au cœur de cette infraction ne diffère pas profondément de celle qu’implique l’infraction visée au sous‑al. 344(1)a)(i) et est la même pour toutes les personnes accusées de cette infraction. Pour que l’al. 344(1)a.1) s’applique, la personne délinquante doit avoir l’intention de voler et avoir l’intention de recourir à la violence ou à la force (ou de menacer d’y avoir recours). La personne délinquante doit également avoir l’intention d’utiliser l’arme à feu. Par conséquent, un choix conscient de menacer la sécurité d’une personne à l’aide d’une arme à feu doit être fait. Cela est vrai que l’infraction soit perpétrée ou non à l’aide d’une arme à feu conventionnelle ou à air comprimé. À l’instar du cas de M. Hilbach, bien qu’il y ait sans aucun doute des circonstances personnelles atténuantes qui réduisent la culpabilité de la personne délinquante dans les situations présentées par M. Zwozdesky, il subsiste un degré essentiel de faute découlant du choix de menacer la sécurité d’autrui.
[101]                     Monsieur Zwozdesky soulève néanmoins la possibilité que la culpabilité des participants à l’infraction soit moindre, citant en exemple l’affaire Link. Cependant, je ne suis pas convaincue que l’affaire Link illustre l’idée que la faute morale des participants à l’infraction est moindre que celle des auteurs principaux. La question de savoir si le rôle de la personne délinquante à titre de personne qui a aidé à la perpétration de l’infraction ou qui l’a encouragée représente un facteur atténuant dans la détermination de la peine dépend fortement du contexte (R. c. Overacker, 2005 ABCA 150, 367 A.R. 250, par. 23‑26; R. c. Hennessey, 2010 ABCA 274, 490 A.R. 35, par. 47). Une peine à rabais accordée uniquement parce qu’une personne a aidé à la perpétration d’une infraction ou l’a encouragée irait à l’encontre de l’objet des dispositions concernant la responsabilité des participants à l’art. 21, lequel fait en sorte que « [q]uel que soit le rôle joué, la responsabilité criminelle est la même » (R. c. Vu, 2012 CSC 40, [2012] 2 R.C.S. 411, par. 58 (je souligne), citant R. c. Thatcher, 1987 CanLII 53 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 652, p. 689‑690). Lorsque l’auteur principal de l’infraction et la personne qui l’a aidé à la commettre ou l’a encouragé à le faire ont des antécédents judiciaires différents, ou lorsqu’il y a des circonstances aggravantes, comme un comportement agressif, qui s’appliquent à l’auteur principal de l’infraction mais pas à la personne qui l’a aidé à la commettre ou l’a encouragé à le faire, la peine de cette dernière peut être moins sévère que celle infligée à l’auteur principal (McIvor, par. 29; R. c. Price (2000), 2000 CanLII 5679 (ON CA), 144 C.C.C. (3d) 343 (C.A. Ont.), par. 54‑56). Toutefois, ils sont tenus conjointement responsables de la perpétration de l’infraction initiale. En principe et en règle générale, conclure autrement encouragerait les personnes délinquantes à aider à la perpétration d’infractions ou à l’encourager. Par conséquent, restreindre l’application de la peine minimale aux personnes qui aident à la perpétration d’infractions ou qui l’encouragent n’est pas suffisant pour en établir l’inconstitutionnalité.
[102]                     Pour que l’al. 344(1)a.1) s’applique, la personne qui aide à la perpétration de l’infraction ou qui l’encourage comme le prévoit le par. 21(1) doit avoir connaissance ou son équivalent de l’utilisation de l’arme à feu. Comme je l’ai fait remarquer, l’art. 344 s’inspire de l’art. 85 du Code criminel. Rien dans le libellé de l’art. 344 n’indique que le Parlement avait l’intention d’étendre son application aux personnes délinquantes dont la culpabilité est moindre que celle requise pour une déclaration de culpabilité en application de l’art. 85. Les « règles habituelles de la complicité » des parties sous le régime de l’art. 21 s’appliquent à l’art. 85 (Steele, par. 33; voir aussi McGuigan, p. 307‑308). Par conséquent, dans une situation comme celle de l’affaire Link, la personne qui aide à la perpétration de l’infraction doit avoir l’intention d’aider l’auteur principal en sachant (ou, du moins, en ignorant volontairement) que ce dernier avait l’intention d’utiliser l’arme à feu pour commettre le vol qualifié (Briscoe, par. 15‑18). Autrement dit, une personne doit consciemment choisir de fournir de l’aide à l’auteur principal tout en ayant la connaissance ou son équivalent qu’une arme à feu est utilisée. Pour cette raison, la délinquante inconsciente dans l’affaire Link n’était pas passible de la peine minimale. Lorsque cet élément est établi, je ne suis pas convaincue que la culpabilité de la personne délinquante soit moindre. À titre de participant à l’infraction, la personne qui aide à sa perpétration bénéficie de la menace de violence engendrée par l’arme à feu. Celle‑ci offre à chaque partie une protection et assure la collaboration des victimes, un résultat qui profite à la personne qui aide à la perpétration de l’infraction et qui l’encourage tout autant qu’à son auteur principal. 
[103]                     De plus, sans l’apport de chaque participant, le vol qualifié n’aurait pas pu avoir lieu, un résultat qui justifie de traiter de la même façon les auteurs principaux de l’infraction et les personnes qui aident à sa perpétration. Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel anglaise,
                    [traduction] dans le cas d’un crime de ce genre, il n’y a pas de distinction à faire [dans la détermination de la peine] entre ceux qui ont effectivement recours à la violence et ceux qui se tiennent à l’écart et qui, même s’ils n’ont pas recours à la violence, sont prêts à s’enfuir en voiture, à kidnapper ou à accomplir toute autre tâche pouvant être de mise. Si la Cour ou un juge de première instance se penche sur un cas de vol à main armée dans une banque commis avec une arme à feu ou des barres de fer, ou d’un fourgon de sécurité transportant de grandes quantités de billets vers une succursale d’une banque, il ne s’arrête normalement pas pour se demander si un prévenu en particulier a effectivement braqué le caissier ou le garde, s’il avait une arme à feu ou une barre de fer ou s’il était le conducteur se tenant à l’extérieur prêt à s’enfuir en voiture. Tous sont également coupables, car si chacun n’avait pas joué son rôle, le crime n’aurait pas pu être perpétré.
                    (R. c. Church (1985), 7 Cr. App. R. (S.) 370, p. 372)
[104]                     Monsieur Zwozdesky se fonde également sur la possibilité que des vols qualifiés soient non planifiés. Dans le cas de Brian, par exemple, l’intention de commettre l’infraction n’a été formée que lorsque la bonne samaritaine a tenté de lui offrir de l’aide. Le degré de planification de l’infraction peut être un facteur aggravant dans la détermination de la peine. Dans le cas de Brian, toutefois, l’absence de planification ne saurait être assimilée à une absence de culpabilité. La situation comporte le recours intentionnel à la force, le vol d’un sac à main et la menace de violence par le délinquant en brandissant un fusil à balles BB, qu’il avait choisi de porter sur lui en public. Ce que Brian a en commun avec toutes les autres personnes délinquantes accusées en vertu de cet article, c’est qu’il a vu l’occasion de bénéficier financièrement de la peur qu’une autre personne avait des armes à feu et qu’il en a profité. En conséquence, l’élément essentiel de la culpabilité que j’ai mentionné plus tôt s’applique également à Brian. Cette situation est, encore une fois, un cas où la personne délinquante choisit de menacer la sécurité d’autrui en utilisant une arme à feu.
[105]                     Pour ces motifs, les situations invoquées par M. Zwozdesky n’établissent pas que l’al. 344(1)a.1) s’applique dans des circonstances ne comportant que peu ou pas de danger pour le public ou peu ou pas de faute. Je ne suis pas convaincue que les distinctions entre la létalité des armes à feu en cause, ou la responsabilité en tant que participant, établissent des degrés de gravité radicalement différents dans le contexte de cette infraction. Au fond, dans toutes ces situations, pour voler, une personne délinquante fait le choix conscient de mettre une autre personne à risque de blessures graves et d’un traumatisme psychologique considérable. Comme l’infraction commise par M. Hilbach, il s’agit de « vrai[s] crime[s] ».
[106]                     Les effets de la peine sur la personne délinquante sont graves. Dans le cas des personnes délinquantes autochtones, les effets sont susceptibles d’être aussi graves que la peine minimale obligatoire en question dans le cas de M. Hilbach. Ces effets, comme dans le cas de M. Hilbach, sont importants et on ne saurait en faire abstraction ou les minimiser. Comme le souligne la Cour dans l’arrêt Hills, les jeunes personnes délinquantes sont souvent victimes d’intimidation, sont susceptibles d’être recrutées par des gangs et risquent davantage de se retrouver placées en isolement (par. 165). Une peine d’emprisonnement peut représenter un châtiment plus sévère pour la personne accusée atteinte d’une maladie mentale que pour les autres. Les tribunaux ont indiqué que les personnes incarcérées n’ont pas nécessairement accès à des soins appropriés pendant leur incarcération et que, pour certaines personnes délinquantes atteintes de troubles mentaux, toute période d’incarcération peut être extrêmement nuisible à leur état mental (R. c. Wallace (1973), 1973 CanLII 1434 (ON CA), 11 C.C.C. (2d) 95 (C.A. Ont.), p. 100; R. c. Folino (2005), 2005 CanLII 40543 (ON CA), 77 O.R. (3d) 641 (C.A.), par. 29‑32). La situation personnelle de la personne délinquante hypothétique indique que la période d’incarcération exigée par l’al. 344(1)a.1) pourrait vraisemblablement entraîner de graves effets néfastes.
[107]                     Un examen de la peine et de ses objectifs révèle que l’analyse fondée sur l’al. 344(1)a.1) et celle fondée sur le sous‑al. 344(1)a)(i) sont semblables. Le Parlement a choisi d’imposer la condamnation morale forte qu’une lourde peine d’emprisonnement signale, ce qui est raisonnable vu que le choix des personnes délinquantes de mettre à risque la sécurité publique contrevient aux valeurs morales fondamentales. Il convient donc de faire preuve d’une plus grande déférence à l’égard de la décision du Parlement d’édicter un minimum obligatoire. Comme dans le cas de M. Hilbach, la dissuasion générale a un rôle, car « [l]e besoin de dissuasion générale ne saurait être contesté » lorsqu’une personne met en danger la sécurité d’autrui en brandissant une arme à feu (Morrisey, par. 46). Cependant, il est vrai que la priorité qu’accorde le Parlement à la dissuasion générale déroge plus sérieusement aux normes de détermination de la peine dans le cas de délinquants qui, comme Adam, souffrent de troubles mentaux, parce que ces types de délinquants ne sont pas de bons candidats lorsque l’on cherche à dissuader d’autres personnes (Ruby, §5.316; R. c. Dedeckere, 2017 ONCA 799, 15 M.V.R. (7th) 177, par. 14; R. c. Batisse, 2009 ONCA 114, 93 O.R. (3d) 643, par. 38). De toute manière, en définitive, la peine minimale ne « déroge [pas] totalement » aux normes de détermination de la peine pour cette infraction, compte tenu des fourchettes de peines examinées plus tôt en ce qui concerne le vol qualifié. Toutefois, comme il est indiqué dans les motifs dissidents, la peine minimale obligatoire correspond en fait au double de ce qui serait une peine juste et proportionnée pour les personnes délinquantes hypothétiques si la peine obligatoire n’était pas appliquée.
[108]                     Néanmoins, comme pour le sous‑al. 344(1)a)(i), l’absence de lien entre la peine minimale obligatoire et la situation personnelle des délinquants en l’espèce ne rend pas la peine exagérément disproportionnée. Je le répète, la norme de la disproportion exagérée est un critère rigoureux qui ne s’applique que dans de rares cas. Si la peine en question était évaluée selon la norme applicable en appel, je serais d’avis que la peine minimale de quatre ans est manifestement non indiquée dans le cas des hypothèses raisonnables proposées par M. Zwozdesky. Toutefois, je ne suis pas convaincue que la peine minimale obligatoire en l’espèce « choqu[e] la conscience » (Lloyd, par. 33) ou est « excessive au point de porter atteinte aux normes de la décence » (Hills, par. 109, citant Boudreault, par. 45; Lloyd, par. 24, citant Morrisey, par. 26; Wiles, par. 4, citant Smith, p. 1072). Bien que la peine soit sévère, le seuil élevé de la disproportion exagérée n’est pas atteint en l’espèce. Pour ces motifs, je suis convaincue que la peine minimale obligatoire de quatre ans d’emprisonnement ne contrevient pas à l’art. 12 de la Charte.
[109]                     Ayant conclu que ni l’une ni l’autre des peines minimales obligatoires ne contrevient à l’art. 12 de la Charte, il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir si la violation peut se justifier au regard de l’article premier.
C.            Conclusion
[110]                     Le pourvoi de la Couronne est accueilli. Les peines minimales obligatoires énoncées au sous‑al. 344(1)a)(i) et à l’ancien al. 344(1)a.1) sont constitutionnelles et ne constituent pas des peines cruelles et inusitées. Les jugements de la Cour d’appel sur ce moyen sont annulés. Il n’est pas nécessaire de rendre une ordonnance à l’égard de la peine de M. Zwozdesky, vu le décès de celui‑ci.
[111]                     Pour ce qui est de la peine de M. Hilbach, je suis d’avis qu’il convient en l’espèce de surseoir à l’exécution de la portion de la peine postérieure à l’appel. C’est ce que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont décidé de faire. Dans les rares cas où les juridictions d’appel ont imposé des peines d’emprisonnement conformément aux dispositions obligatoires du Code criminel, y compris des peines minimales obligatoires, elles ont sursis à l’exécution de la portion de la peine postérieure à l’appel. Un sursis de la peine postérieure à l’appel peut être prononcé lorsqu’il y a un retard atténuant dans le processus judiciaire, particulièrement au stade de l’appel, en l’absence de toute faute de la personne délinquante (R. c. Anderson, 2014 CSC 41, [2014] 2 R.C.S. 167; R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61; R. c. McMillan, 2016 MBCA 12, 326 Man. R. (2d) 56; R. c. Shi, 2015 ONCA 646). Étant donné que plus de quatre ans se sont écoulés depuis que M. Hilbach s’est vu infliger sa peine, je suis convaincue que tel est le cas en l’espèce.
Version française des motifs rendus par
 
                  La juge Côté —
[112]                     Je souscris au dispositif de ma collègue la juge Martin en ce qui concerne l’appel interjeté par la Couronne. Cependant, pour les motifs que j’expose en dissidence dans l’affaire connexe R. c. Hills, 2023 CSC 2, je dois, avec égards, exprimer mon désaccord quant au nouveau test à trois étapes qu’elle élabore relativement à la disproportion exagérée à la seconde étape du cadre d’analyse établi dans l’arrêt R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773, et confirmé récemment dans R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, par. 63.
[113]                     Appliquant ce cadre juridique déjà établi, je suis d’accord pour dire que la peine minimale obligatoire prévue au sous‑al. 344(1)a)(i) et celle prescrite à l’ancien al. 344(1)a.1) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, n’atteignent pas le seuil élevé requis pour les qualifier de peines cruelles et inusitées. Bien qu’elles puissent potentiellement être excessives dans certaines situations raisonnablement prévisibles, ces peines ne sont pas excessives au point de « porter atteinte aux normes de la décence » (R. c. Smith, 1987 CanLII 64 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1045, p. 1072) ou de « choquer la conscience des Canadiens » (R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130, par. 33). J’accueillerais l’appel.
Version française des motifs rendus par
 
                  Les juges Karakatsanis et Jamal —
[114]                     Les peines minimales obligatoires reflètent la décision du Parlement que certains crimes sont si graves qu’une sanction minimum doit être infligée, indépendamment des circonstances particulières de l’infraction ou de son auteur. Lorsqu’une telle peine existe, les tribunaux n’ont pas le pouvoir discrétionnaire d’imposer une peine moindre.
[115]                     Toutefois, les peines minimales obligatoires font l’objet d’un examen rigoureux au regard de l’art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, disposition qui garantit à chacun le « droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités ». Elles sont davantage vulnérables sur le plan constitutionnel lorsqu’elles s’appliquent à une infraction qui peut être perpétrée de diverses façons, suivant une vaste gamme de circonstances et par un large éventail de personnes (R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130, par. 3). De telles dispositions seront inconstitutionnelles lorsqu’elles sont, ou pourraient être dans des situations raisonnablement prévisibles, exagérément disproportionnées à ce qui serait par ailleurs une peine juste dans les circonstances.
[116]                     Dans le présent pourvoi et dans le pourvoi connexe R. c. Hills, 2023 CSC 2, un total de trois peines minimales obligatoires sont en litige. Nous souscrivons aux motifs de notre collègue la juge Martin dans l’affaire Hills. L’alinéa 244.2(3)b) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, qui impose l’infliction d’une peine minimale obligatoire de quatre ans à quiconque est déclaré coupable d’avoir déchargé intentionnellement une arme à feu en direction d’un lieu, en contravention de l’al. 244.2(1)a), viole l’art. 12 de la Charte et n’a pas été justifié suivant l’article premier de celle‑ci.
[117]                     Cependant, nous ne sommes pas d’accord avec la conclusion de notre collègue sur la constitutionnalité des dispositions en cause dans le présent pourvoi : le sous‑al. 344(1)a)(i) du Code criminel, qui prévoit une peine minimale obligatoire de cinq ans dans le cas d’une première infraction de vol qualifié, s’il y a usage d’une arme à feu à autorisation restreinte ou d’une arme à feu prohibée; et l’al. 344(1)a.1) du Code criminel, qui prescrit une peine minimale obligatoire de quatre ans applicable en cas de vol qualifié s’il y a usage d’une arme à feu. Nous soulignons que le Parlement a récemment abrogé l’al. 344(1)a.1) (Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 2022, c. 15).
[118]                     Le vol à main armée est une infraction grave, qui commande en général une peine à purger dans un pénitencier. À notre avis, toutefois, les peines minimales obligatoires prévues par ces deux dispositions déploient un large filet inconstitutionnel, qui capture dans ses mailles des situations raisonnablement prévisibles à l’égard desquelles ces peines minimales obligatoires seraient exagérément disproportionnées. Dans ces situations, les peines minimales obligatoires sont « excessive[s] au point de porter atteinte aux normes de la décence » (Lloyd, par. 24 et 87, citant Miller c. La Reine, 1976 CanLII 12 (CSC), [1977] 2 R.C.S. 680, p. 688, le juge en chef Laskin), et violent ainsi la garantie constitutionnelle contre les peines cruelles et inusitées établie à l’art. 12 de la Charte. Ces peines ne sauraient être sauvegardées par application de l’article premier, et elles devraient par conséquent être déclarées inopérantes.
[119]                     En conséquence, nous rejetterions le pourvoi formé par la Couronne.
I.               Contexte
A.           Ocean William Storm Hilbach
[120]                     Monsieur Hilbach est un Autochtone de la Nation crie d’Ermineskin. Alors qu’il avait 19 ans et n’avait pas d’argent pour voyager de la ville à sa réserve, lui et son complice âgé de 13 ans ont commis un vol qualifié dans un dépanneur en faisant usage d’une carabine à canon sciée non chargée. Monsieur Hilbach s’est couvert le visage avec sa chemise et a pointé l’arme à feu en direction de deux commis du magasin, leur demandant de l’argent. Son complice a donné un coup de poing à l’un des commis et un coup de pied à l’autre. Ils se sont enfuis avec 290 $ en billets de loterie et ont été appréhendés peu après.
[121]                     Monsieur Hilbach a plaidé coupable à des accusations de vol qualifié avec usage d’une arme à feu prohibée ou d’une arme à feu à utilisation restreinte (al. 344(1)a)), et de possession d’une arme à feu pendant que cela lui était interdit (par. 117.01(1)). Le juge chargé de la détermination de la peine a estimé que, dans le cas de M. Hilbach, une peine juste et appropriée était un emprisonnement de deux ans moins un jour. Il a conclu que la peine minimale obligatoire de cinq ans prévue au sous‑al. 344(1)a)(i) était exagérément disproportionnée eu égard aux circonstances de M. Hilbach et contrevenait à l’art. 12 de la Charte, parce qu’elle était plus de deux fois plus longue qu’une peine juste et qu’elle serait purgée dans un établissement fédéral plutôt que provincial. Par conséquent, il a déclaré la disposition inopérante (2018 ABQB 526, 75 Alta. L.R. (6th) 359).
[122]                     La Cour d’appel a accueilli en partie l’appel interjeté par la Couronne. Elle a jugé que la peine infligée à M. Hilbach n’était pas juste et elle y a substitué une peine de trois ans relativement à l’accusation de vol qualifié. La Cour d’appel a néanmoins conclu que la peine minimale obligatoire de cinq ans serait exagérément disproportionnée dans le cas de M. Hilbach et violait l’art. 12. Elle ne pouvait être sauvegardée par application de l’article premier, et elle a en conséquence été déclarée inopérante (2020 ABCA 332, 14 Alta. L.R. (7th) 245).
B.            Curtis Zwozdesky
[123]                     Au moment de l’infraction, M. Zwozdesky était âgé de 53 ans, sans emploi et aux prises avec des dépendances aux drogues. Il était le « conducteur de la voiture des fuyards » lors de deux vols qualifiés commis dans des dépanneurs ruraux en Alberta. Durant le premier vol qualifié, il est entré dans le dépanneur puis est retourné à sa voiture. Peu de temps après, ses complices sont entrés dans le dépanneur, munis d’un fusil de chasse modifié. L’un des complices a pointé l’arme en direction de la commis, lui a demandé de déposer de l’argent dans un sac et il a tiré sur une étagère avec le fusil. Personne n’a été blessé. L’autre vol qualifié a eu lieu une semaine plus tard. Monsieur Zwozdesky a attendu dans la voiture pendant que les deux délinquants principaux sont entrés dans le magasin, ont brandi un fusil de chasse et ont aspergé un commis de gaz poivré avant de s’enfuir avec en mains de l’argent comptant et des cigarettes.
[124]                     Monsieur Zwozdesky a confessé aux policiers et plaidé coupable à un chef de vol qualifié avec usage d’une arme à feu (al. 344(1)a.1)), et à un chef de vol qualifié simple (al. 344(1)b)).
[125]                     La juge chargée de la détermination de la peine a conclu que la peine obligatoire de quatre ans prescrite par l’al. 344(1)a.1) ne serait pas exagérément disproportionnée dans le cas de M. Zwozdesky. Toutefois, en considérant d’autres cas d’application raisonnablement prévisibles du texte de loi, elle a fait observer qu’un vol qualifié à main armée peut être commis suivant une grande variété de circonstances, notamment par de jeunes délinquants agissant de manière impulsive, par des délinquants ayant des problèmes de santé mentale et par des délinquants jouant un rôle périphérique dans la perpétration de l’infraction. Raisonnant que la peine minimale obligatoire pourrait constituer une peine cruelle et inusitée à l’égard de délinquants dans des situations raisonnablement prévisibles, et qu’elle ne pouvait être sauvegardée par application de l’article premier, la juge a déclaré l’al. 344(1)a.1) inopérant (2019 ABQB 322, 95 Alta. L.R. (6th) 386).
[126]                     Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont été d’accord pour dire que l’al. 344(1)a.1) pourrait entraîner l’infliction de peines exagérément disproportionnées et ont rejeté l’appel de la Couronne.
II.            Analyse
[127]                     Monsieur Hilbach a contesté la peine minimale obligatoire de cinq ans applicable en cas de vol qualifié commis avec usage d’une arme à feu à autorisation restreinte ou d’une arme à feu prohibée (sous‑al. 344(1)a)(i)), tandis que M. Zwozdesky a contesté la peine minimale obligatoire de quatre ans applicable en cas de vol qualifié commis avec usage d’une arme à feu sans restrictions (al. 344(1)a.1)). À notre avis, les deux dispositions violent l’art. 12 de la Charte. Pour décider si une peine minimale obligatoire viole ou non l’art. 12 de la Charte, les tribunaux procèdent à une analyse en deux étapes (Hills, par. 40).
[128]                     Premièrement, le tribunal doit déterminer ce qui constitue une peine proportionnée à l’égard de l’infraction, en tenant compte des objectifs et des principes de détermination de la peine prévus par le Code criminel, y compris le principe fondamental de détermination de la peine énoncée à l’art. 718.1 : « La peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant ». Dans l’appréciation de la gravité d’une infraction, le tribunal peut prendre en compte les conséquences des agissements du délinquant sur les victimes et la sécurité publique, le préjudice causé par l’infraction et, dans certains cas, les motivations du contrevenant (Hills, par. 58). Le tribunal doit mesurer le degré de responsabilité du délinquant en évaluant « les éléments constitutifs essentiels de l’infraction, notamment sa mens rea, la conduite de la personne délinquante dans la perpétration de l’infraction, le mobile qui a poussé la personne délinquante à commettre l’infraction et les aspects du vécu de cette personne qui renforcent ou diminuent sa responsabilité individuelle à l’égard du crime, y compris sa situation personnelle et sa capacité mentale » (Hills, par. 58, citant R. c. Hamilton (2004), 2004 CanLII 5549 (ON CA), 72 O.R. (3d) 1 (C.A.), par. 91; R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599, par. 68; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433, par. 73).
[129]                     Deuxièmement, le tribunal doit se demander si la peine minimale prescrite l’oblige à infliger une peine qui est exagérément disproportionnée à la peine qui serait par ailleurs juste. Pour décider si la peine minimale obligatoire est exagérément disproportionnée, le tribunal doit examiner « trois éléments cruciaux » : (1) la portée de l’infraction; (2) les effets de la peine sur le délinquant, « tant de façon générale qu’en fonction des caractéristiques et qualités qui [lui] sont propres »; (3) la sanction, y compris l’équilibre atteint par ses objectifs (Hills, par. 122‑138).
[130]                     Si le tribunal conclut que la peine n’est pas exagérément disproportionnée à l’égard du délinquant en cause, il doit ensuite se demander si elle serait disproportionnée dans d’autres situations raisonnablement prévisibles (R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773, par. 65).
[131]                     Considérés en application de ce cadre d’analyse, ni le sous‑al. 344(1)a)(i) ni l’al. 344(1)a.1) ne résistent au contrôle de leur constitutionnalité. Le juge de la peine a correctement examiné les faits, la jurisprudence ainsi que les objectifs de détermination de la peine pertinents avant de conclure qu’une peine de deux ans moins un jour était juste et proportionnée eu égard à la situation de M. Hilbach. Cette conclusion commande la déférence. Dans la détermination d’une peine juste, les tribunaux ne doivent pas suivre systématiquement des points de départ, éliminer complètement toute perspective de réinsertion sociale ou encore déformer la gravité de l’infraction en écartant des faits pertinents ( p.  ex. le fait que l’arme à feu était chargée ou non). Qui plus est, que la peine juste soit deux ans ou — comme le conclut notre collègue — trois ans, une sentence qui représente le double ou presque de cette peine est exagérément disproportionnée et viole l’art. 12 de la Charte.
[132]                     La peine minimale obligatoire prévue à l’al. 344(1)a.1) est elle aussi exagérément disproportionnée. Elle a une portée inconstitutionnellement large et s’applique de manière prévisible à un large éventail de situations, y compris des cas où le délinquant peut être jeune, être dépendant à des substances ou avoir aidé le délinquant principal ou fait usage d’une arme à feu tel un fusil à balles BB. Infliger la peine minimale obligatoire dans certaines de ces situations serait excessif au point de porter atteinte aux normes de la décence et, en conséquence, serait inconstitutionnel (voir Lloyd, par. 24 et 87).
[133]                     Ni l’une ni l’autre des dispositions ne peuvent être sauvegardées par application de l’article premier.
[134]                     Nous allons examiner tour à tour chacune des dispositions.
A.           Sous‑alinéa 344(1)a)(i) du Code criminel
[135]                     Le sous‑alinéa 344(1)a)(i) s’applique lorsque le délinquant commet un vol qualifié en faisant usage d’une arme à feu à utilisation restreinte ou d’une arme à feu prohibée. Le présent pourvoi soulève la question de savoir si une peine de cinq ans est exagérément disproportionnée à l’égard de M. Hilbach ou d’un autre délinquant se trouvant dans une situation raisonnablement prévisible. Nous souscrivons aux décisions des deux juridictions inférieures et concluons qu’elle le serait dans le cas de M. Hilbach. Il n’est par conséquent pas nécessaire d’examiner d’autres cas d’application raisonnablement prévisibles du texte de loi.
[136]                     Nous allons maintenant nous pencher sur ce que serait la peine juste dans le cas de M. Hilbach. Bien que les deux juridictions inférieures aient été d’accord pour dire qu’une peine minimale obligatoire de cinq ans était exagérément disproportionnée au regard de ce qui constituait la peine juste pour M. Hilbach, elles ont divergé d’opinions quant à ce que serait une peine juste. Le juge de la peine a conclu qu’un emprisonnement de deux ans moins un jour était une peine juste, par référence au point de départ de trois ans en ce qui concerne les vols qualifiés commis dans des dépanneurs mentionné dans R. c. Johnas (1982), 1982 ABCA 331 (CanLII), 41 A.R. 183 (C.A.), par. 19; tandis que la Cour d’appel a pour sa part statué qu’une peine de trois ans était une peine juste, mettant davantage l’accent sur la dénonciation et la dissuasion. Comme nous l’expliquerons, nous ne voyons aucune raison de modifier l’appréciation qu’a faite le juge de la peine.
[137]                     La gravité du crime est évidente à la lumière des circonstances, un fait que n’a pas manqué de constater le juge de la peine. Il a souligné que M. Hilbach avait commis une [traduction] « infraction violente grave » qui avait « le potentiel de causer des torts considérables » et qui aurait un impact durable sur les victimes et la communauté en général (par. 9). Il a également reconnu que le casier judiciaire de M. Hilbach et les violations par ce dernier de ses conditions de probation et de l’ordonnance lui interdisant d’avoir des armes à feu en sa possession étaient d’importants facteurs aggravants dans la détermination de la peine (par. 10 et 12‑13). Ces éléments faisaient de la dénonciation et de la dissuasion des [traduction] « considérations importantes » (par. 20).
[138]                     Le juge de la peine a mis en balance ces considérations et les circonstances personnelles tragiques de M. Hilbach. Abandonné en très bas âge par ses parents, M. Hilbach a été élevé par ses grands‑parents paternels, tous deux des survivants des pensionnats autochtones. Son enfance et son adolescence ont été marquées par la pauvreté, une cellule familiale brisée, des abus physiques et une dépendance à des substances. Ces circonstances ont façonné le cours de la vie de M. Hilbach, et il en est de même pour ce qui est du crime qu’il a commis. À titre d’exemple, la conduite de M. Hilbach a été causée par la pauvreté — il avait besoin d’argent pour rentrer chez lui dans la réserve, mais il n’en avait pas (par. 35). Comme l’a fait observer le juge de la peine, [traduction] « ses antécédents personnels, familiaux et communautaires ont joué un rôle dans les actions qu’il a accomplies ce jour‑là » (par. 35).
[139]                     Ces circonstances sont précisément le genre de contexte ou de facteurs systémiques que notre Cour a reconnu comme étant atténuants lors de la détermination de la peine (Ipeelee, par. 73; R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688). La pauvreté endémique régnant dans les réserves, pauvreté qui est intimement liée à un historique de colonialisme, est une cause fréquente de la criminalité autochtone (Gladue, par. 65). À mesure que continue de monter en flèche le nombre de délinquants autochtones détenus au Canada, il est impérieux que les juges chargés de déterminer les peines considèrent de manière appropriée les conditions sociales particulières auxquelles sont exposés les peuples autochtones au Canada (voir R. Mangat, More Than We Can Afford :  The Costs of Mandatory Minimum Sentencing (2014), p. 30‑34; m. interv., Association du Barreau canadien, par. 24). Le juge de la peine n’a pas commis d’erreur en le faisant.
[140]                     Le juge de la peine a également considéré à juste titre les effets qu’aurait la peine sur le délinquant et conclu que [traduction] « toute période d’incarcération aura un impact profond sur M. Hilbach », en raison de sa jeunesse et de ses antécédents d’affiliation à des gangs (par. 14). En d’autres termes, une peine de cinq ans dans un pénitencier nuirait à la réinsertion sociale de M. Hilbach, en plus d’avoir des conséquences contre‑productives pour la sécurité publique en définitive. Bien que la réinsertion sociale ne soit pas un principe de justice fondamentale, l’écarter entièrement de l’analyse peut entraîner une disproportion exagérée. Comme a jugé à l’unanimité notre Cour dans R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, « [p]our respecter la dignité humaine » — et de ce fait l’art. 12 de la Charte —, « le Parlement doit laisser la porte entrouverte à la réhabilitation, même dans les cas où cet objectif revêt une importance minime » (par. 85). Lorsqu’une peine minimale obligatoire compromet les perspectives de réinsertion sociale au lieu de les favoriser — comme a conclu le juge de la peine en l’espèce —, le résultat est une sanction qui déroge à un précepte de base de notre système de justice criminelle : le respect de la dignité humaine inhérente à chaque individu (Bissonnette, par. 87‑88). Et il choquerait tout simplement la conscience d’envoyer un jeune délinquant autochtone en prison pendant cinq ans alors que, selon le juge de la peine, une telle décision serait préjudiciable tant au délinquant qu’à la société (par. 14 et 21).
[141]                     La Cour d’appel a toutefois conclu que le juge de la peine a commis une erreur de principe en omettant d’accorder suffisamment de poids à la dénonciation et à la dissuasion, et en insistant trop sur les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue (par. 49). La cour a conclu qu’une peine juste était un emprisonnement de trois ans, lorsque le poids approprié était attribué à ces facteurs (par. 50).
[142]                     Cependant, « une cour d’appel ne peut intervenir simplement parce qu’elle aurait attribué un poids différent aux facteurs pertinents » (R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089, par. 49; voir aussi Lloyd, par. 52‑53). Nous sommes d’accord pour dire que la dénonciation et la dissuasion sont des considérations importantes, mais il n’y a pas de raison de modifier la conclusion du juge de la peine selon laquelle l’infliction d’une peine d’emprisonnement de deux ans à un délinquant ayant commis une première infraction servirait ces objectifs. De fait, comme l’a souligné notre Cour dans Bissonnette, « les objectifs de dénonciation et de dissuasion ne sont pas mieux servis par l’infliction de peines excessives » (par. 94). De plus, dans l’arrêt Boudreault, la Cour a reconnu que la dénonciation et la dissuasion ne devraient pas être élevées au‑dessus du principe de proportionnalité, des objectifs de réinsertion sociale, ainsi que de l’intention du législateur, énoncée à l’al. 718.2e) du Code criminel, de remédier à la surreprésentation des peuples autochtones dans la population carcérale (par. 81‑83). Nous nous en remettons à la discrétion du juge de la peine en ce qui concerne les objectifs de détermination de la peine énoncés à l’art. 718 à prioriser ( p. ex. la dénonciation, la dissuasion et la réinsertion sociale) — ainsi que le poids à attribuer aux principes secondaires de détermination de la peine mentionnés à l’art. 718.2 (p. ex. l’harmonisation et la modération) (Lacasse, par. 54‑55). Nous ne sommes pas persuadés qu’il a commis une erreur dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.
[143]                     Notre collègue n’est pas d’accord. Elle accepte qu’une peine de trois ans, ou d’une durée plus longue, serait une peine juste et conclut que le juge de la peine a fait erreur en imposant une peine qui était inférieure d’une année entière au point de départ pour les infractions de cette nature (par. 50-51). Cependant, les points de départ ne répondent pas à la question clé à cette première étape, question qui est la suivante, pour reprendre les termes utilisés par notre collègue: « . . . quelle est précisément la peine juste pour cette personne délinquante en particulier? » (Hills, par. 64). De plus, les points de départ sont des outils, non des carcans (R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 37; R. c. Friesen, 2020 CSC 9, [2020] 1 R.C.S. 424, par. 36‑37; Lacasse, par. 57). L’existence d’un écart par rapport à un point de départ — « peu importe l’ampleur de l’écart » — ne justifie pas en soi l’intervention d’une cour d’appel (Parranto, par. 29). En appliquant par défaut le point de départ établi dans Johnas, l’approche de notre collègue s’écarte de la jurisprudence récente de la Cour, c’est‑à‑dire des arrêts Parranto, Friesen et Lacasse.
[144]                     Notre collègue souligne également que « [l]’usage d’une arme à feu prohibée non chargée ne réduit pas considérablement la gravité de l’infraction » (par. 55). Bien que l’utilisation d’une arme à feu non chargée ne permette pas de réduire considérablement la gravité d’une infraction — puisque dans les deux cas l’arme inspire la peur et est utilisée comme outil de contrainte —, les deux situations ne sont pas équivalentes sur le plan de gravité ou de la culpabilité morale. L’utilisation d’une arme à feu non chargée présente nécessairement un risque beaucoup moins grave pour la sécurité publique. Il est de loin plus répréhensible d’entrer dans un espace public avec une arme à feu chargée, étant donné que cela suggère une intention de recourir au besoin à une force létale. Les deux situations ne sauraient être assimilées aux fins de détermination de la peine.
[145]                     Même si notre collègue et la Cour d’appel ont raison et qu’une peine juste dans le cas de M. Hilbach est une peine de trois ans, nous sommes malgré tout d’avis, à l’instar de la Cour d’appel, qu’une peine de cinq ans était exagérément disproportionnée (par. 54). La conclusion contraire de notre collègue est, soit dit en tout respect, intenable. Il est difficile de concevoir comment une peine représentant près du double de la durée d’une peine proportionnée ne choquerait pas la conscience des Canadiens. Cela n’est pas compatible avec une interprétation téléologique de l’art. 12 et ne tient pas non plus compte des profondes conséquences que toute incarcération aurait sur la vie et la liberté d’un délinquant, sans compter les répercussions connexes qu’elle aurait pour ce dernier et sa famille.
[146]                     En définitive, nous ne modifierions pas la décision selon laquelle une peine de cinq ans purgée dans un pénitencier serait exagérément disproportionnée dans les circonstances. Comme la peine minimale obligatoire serait inconstitutionnelle dans le cas de M. Hilbach, il n’est pas nécessaire d’examiner des cas d’application raisonnablement prévisibles du texte de loi.
B.            L’alinéa 344(1)a.1) du Code criminel
[147]                     La peine minimale obligatoire de quatre ans prévue à l’al. 344(1)a.1) est d’infligée lorsqu’un délinquant commet un vol qualifié en faisant usage d’une arme à feu à autorisation restreinte ou d’une arme à feu prohibée. Tant devant la Cour d’appel que devant notre Cour, M. Zwozdesky a concédé qu’une peine de quatre ans était juste dans son cas. En conséquence, la question consiste à se demander si une peine de quatre ans est exagérément disproportionnée dans d’autres situations raisonnablement prévisibles. Nous concluons qu’elle l’est.
[148]                     Une peine de quatre ans va au‑delà de l’exemple classique d’un vol qualifié commis avec usage d’une arme à feu et vise aussi des conduites moins extrêmes. L’alinéa 344(1)a.1) exige que le délinquant fasse « usage » de l’arme à feu lors de la perpétration de l’infraction. Dans R. c. Steele, 2007 CSC 36, [2007] 3 R.C.S. 3, la Cour a fait observer que le mot « utilise » (« usage » dans la loi actuelle), dans le contexte d’autres infractions liées aux armes à feu, a été interprété comme englobant une vaste gamme de conduites, y compris le fait de décharger l’arme à feu, de la braquer ou même de simplement révéler sa présence par des propos (par. 27). Pour qu’il y ait « usage », il n’est pas nécessaire que des munitions soient accessibles pour l’arme à feu en question (R. c. Covin, 1983 CanLII 151 (CSC), [1983] 1 R.C.S. 725, p. 730), ni que le délinquant ait l’arme en sa possession physique, en autant que celle-ci est à portée de main (Steele, par. 32).
[149]                     En outre, les armes à feu ne sont pas toutes hautement réglementées. La définition du terme « arme à feu » vise tout dispositif susceptible — grâce à un canon qui permet de tirer un projectile — de percer un œil, critère servant à déterminer si l’arme à feu peut infliger des lésions corporelles graves ou la mort (R. c. Dunn, 2013 ONCA 539, 117 O.R. (3d) 171, par. 40, conf. par 2014 CSC 69, [2014] 3 R.C.S. 490). Cette définition inclut des armes à feu — tels les fusils à balles BB, les fusils de paintball ou même les fusils à clous — que l’on peut se procurer relativement facilement dans des commerces de proximité.
[150]                     En conséquence, bien que la gravité objective d’un vol qualifié perpétré avec une arme à feu soit toujours importante, la gravité de l’infraction commise — qui dépend des circonstances entourant l’infraction — varie considérablement (voir Friesen, par. 96). Par exemple, tout comme l’al. 344(1)a.1) vise les délinquants brandissant un fusil de chasse qui envahissent un domicile et cambriolent ses occupants (R. c. Matwiy (1996), 1996 ABCA 63 (CanLII), 178 A.R. 356 (C.A.)), il viserait aussi un délinquant armé d’un fusil à balles BB qui soutire le sac à main d’une étrangère (motifs de la C.A., par. 64; voir aussi R. c. Smart, 2014 ABPC 175, 595 A.R. 266).
[151]                     De plus, un large éventail de personnes commettent des vols à main armée. À une extrémité du spectre, on trouve les criminels endurcis qui, animés par la cupidité et le mépris pour l’autorité, organisent en série des vols qualifiés complexes, sans se laisser dissuader par les sanctions pénales. À l’autre extrémité du spectre, on trouve le délinquant qui a eu une enfance tragique et dont c’est la première infraction, et qui, poussé par une dépendance aux drogues, commet un seul et unique vol qualifié afin d’assouvir son besoin d’une dose rapide, puis se réinsère avec succès dans la société avant la détermination de sa peine. Une peine de quatre ans purgée dans un pénitencier peut être proportionnée, ou même clémente, dans le premier exemple, alors qu’elle peut fort bien être exagérément disproportionnée dans le second.
[152]                     La prise en considération de telles circonstances et caractéristiques personnelles éclaire sur la portée raisonnablement prévisible du texte de loi (Hills, par. 58‑61). Cela reflète la nature intrinsèquement individualisée de la détermination de la peine et la manière dont la proportionnalité implique une évaluation tant de la gravité de l’infraction que de la culpabilité morale du délinquant (Nur, par. 43).
[153]                     Une telle approche reflète également le sens commun. Vu l’énorme surreprésentation des Autochtones au sein de notre système de justice pénale, les affaires impliquant de tels délinquants sont, logiquement, des situations raisonnablement prévisibles (Hills, par. 86‑87). De fait, les peines minimales obligatoires ont une incidence disproportionnée sur les délinquants autochtones (Mangat, p. 30‑34). De même, les délinquants qui sont pauvres, dans une situation précaire en matière de logement, aux prises avec des problèmes de dépendances ou de santé mentale, ou handicapées « comparaissent avec une régularité effarante devant nos tribunaux provinciaux » (Boudreault, par. 49‑55). La prise en considération de ces caractéristiques personnelles permet de faire en sorte que l’application de l’art. 12 de la Charte tienne compte de la composition courante des délinquants du système de justice pénale (m. interv., Association du Barreau canadien, par. 24).
[154]                     Cela dit, le type de délinquants se trouvant dans des situations prévisibles qu’un tribunal peut prendre en compte ne doit pas être déraisonnablement élargi au point de créer des situations invraisemblables (Nur, par. 73‑76). Des situations hypothétiques extrêmement détaillées, comme celles avancées par M. Zwozdesky, sont pour cette raison inutiles en définitive. Des lois ne devraient pas être invalidées sur la base de conjectures. Toutefois, pour autant que de tels exemples sont raisonnables, cet examen est un aspect central de l’analyse : le fait d’évaluer la portée raisonnablement prévisible d’une peine donnée permet de s’assurer que personne n’est assujetti à une loi inconstitutionnelle, mesure qui, à son tour, permet réaliser l’objectif de l’art. 12.
[155]                     Les circonstances particulières de M. Hilbach constituent un exemple de situation hypothétique raisonnable. Sa déclaration de culpabilité en vertu du sous‑al. 344(1)a)(i) est plus grave parce qu’il y a eu usage d’une arme à feu prohibée. Mais malgré cela, le juge de la peine a conclu qu’une peine juste aurait été un emprisonnement de deux ans moins un jour — la moitié de la peine obligatoire de quatre ans prévue à l’al. 344(1)a.1), qui aurait été purgée dans un pénitencier fédéral. Même si nous acceptions la conclusion de notre collègue et de la Cour d’appel portant qu’une peine de trois ans aurait été juste, il s’ensuit que M. Hilbach aurait dû se voir infliger une peine moins lourde s’il avait fait usage d’une arme à feu sans restrictions et avait été déclaré coupable en vertu de l’al. 344(1)a.1). Bien que le tribunal « n’a[it] pas à attribuer à la peine ou à la fourchette de peines des valeurs précises, spécialement dans le cas d’une situation hypothétique raisonnable revêtant un degré élevé de généralité », il lui est utile de « considérer, ne serait‑ce qu’implicitement, l’échelle générale des peines qui sont appropriées » (Lloyd, par. 23). Tout au plus, une peine à purger dans une maison de correction aurait été une peine juste pour M. Hilbach s’il avait commis son acte criminel avec une arme à feu sans restrictions. Il en résulte qu’une peine minimale obligatoire de quatre ans serait plus que simplement excessive dans les circonstances.
[156]                     De surcroît, il n’est pas rare que des crimes, tel le vol qualifié, soient commis par plus d’un délinquant — il suffit de penser, par exemple, au « conducteur de la voiture des fuyards » (comme c’est le cas en l’espèce) ou au « guetteur ». Et, parce que « [l]e droit criminel canadien ne fait pas de distinction entre l’auteur principal d’une infraction et les participants à l’infraction pour déterminer la responsabilité criminelle » (R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411, par. 13), quiconque aide ou encourage l’auteur principal est coupable de la même infraction et passible de la même peine minimale obligatoire. C’est le cas même si l’aide ou l’encouragement n’était pas planifié ou important.
[157]                     Il est possible que les personnes qui aident et encouragent quelqu’un à commettre une infraction n’aient pas automatiquement droit à un rabais sur la durée de leur peine. Cependant, du seul fait qu’une partie est criminellement responsable de la même infraction que l’auteur principal ne signifie pas qu’elle mérite la même peine. Comme toujours, ce qui constitue une peine proportionnée dépendra des circonstances (Hills, par. 58), de façon plus particulière du degré de participation du délinquant. La prise en considération de cet élément contextuel dans la détermination de la peine ne mine pas les dispositions relatives aux participants à une infraction, pas plus qu’elle n’incite des délinquants à aider ou à encourager la perpétration de crimes. Au contraire, elle est conforme au principe fondamental de détermination de la peine énoncée à l’art. 718.1 : une peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.
[158]                     La Cour d’appel dans l’affaire Hilbach souligne que la responsabilité secondaire élargit énormément la portée de l’infraction, et révèle encore plus l’infirmité constitutionnelle de l’al. 344(1)a.1) (par. 61 et 68). Nous sommes d’accord pour dire que l’affaire R. c. Link, 2012 MBPC 25, 276 Man. R. (2d) 157, illustre bien ce fait.
[159]                     Madame Link, une Autochtone, avait à peine 18 ans et aucun casier judiciaire lorsqu’elle a accepté de participer à un vol qualifié dans un dépanneur. Aux prises avec des dépendances à l’alcool et aux drogues depuis l’âge de 13 ans, ces problèmes l’ont amenée à s’acoquiner avec un [traduction] « groupe d’amis destructeurs » (par. 32). Au moment de l’infraction, elle était sans domicile et, pour emprunter ses propres mots, elle [traduction] « volait pour survivre » (par. 53). À l’insu de Mme Link, son complice avait en sa possession une imitation d’arme de poing qu’il a pointée vers un employé pendant le vol qualifié. Elle a continué à remplir son sac de cartouches de cigarettes après que l’arme a été pointée. L’employée l’a décrite comme étant une [traduction] « complice, peut‑être? » et « agitée, pas vraiment impliquée » (par. 15). Elle a collaboré avec les policiers, exprimé des remords et repris sa vie en main après l’événement. Le juge de la peine l’a condamnée à huit mois d’emprisonnement avec sursis.
[160]                     La Couronne plaide que l’affaire Link n’est pas un exemple d’application raisonnablement prévisible du texte de loi : l’al. 344(1)a.1) ne s’appliquait pas, car une imitation d’arme de poing n’est pas une « arme à feu », et Mme Link ne savait pas, avant le vol qualifié, que son complice avait l’arme à feu sur lui. À notre avis, cet argument rate la cible. La question consiste à se demander si les caractéristiques et la conduite du délinquant peuvent aider le tribunal dans son examen des circonstances raisonnablement prévisibles. Bien que certains éléments aggravants aient pu être absents dans les circonstances de Mme Link, nous sommes d’accord pour dire que la peine infligée dans son cas éclaire sur la nature de l’infraction de vol qualifié à main armée, la large fourchette de peines infligées à l’égard de cette infraction et les types de personnes qui la commettent.
[161]                     Qu’il ait été possible ou non d’établir l’intention coupable ou qu’il s’agisse d’une véritable arme de poing ou d’une imitation, les circonstances de l’affaire Link ne sont pas invraisemblables. Qui plus est, la différence entre une imitation d’arme de poing et une véritable arme de cette nature ne saurait expliquer le large écart qui existe entre une peine de huit mois purgée dans la communauté et une peine de quatre ans purgée dans un pénitencier. Le cas de Mme Link est une autre illustration qui démontre qu’une peine purgée dans une maison de correction — voire une peine moindre — aurait pu être une sanction proportionnée suivant l’al. 344(1)a.1). Une peine de quatre ans dans un établissement fédéral serait exagérément disproportionnée en comparaison.
[162]                     Vu la portée de la définition du terme arme à feu (qui inclut les fusils à balles BB, les fusils de paintball et les fusils à clous), la gamme de conduites visées par l’infraction (y compris le degré de participation au crime et la nature de cette participation, le niveau de violence et le niveau de sophistication), ainsi que la fréquence de certaines circonstances personnelles, circonstances qui s’entrecroisent souvent (notamment l’autochtonité, la jeunesse, les dépendances à diverses substances et les efforts de réinsertion sociale), il est raisonnablement prévisible qu’une peine de quatre ans dans un pénitencier constituerait une peine exagérément disproportionnée pour certains délinquants.
[163]                     En conséquence, sur la base de l’application raisonnablement prévisible du texte de loi, nous souscrivons à la conclusion des juridictions inférieures selon laquelle la peine minimale obligatoire prévue à l’al. 344(1)a.1) contrevient à l’art. 12 de la Charte.
C.            Article premier
[164]                     La Couronne n’a avancé aucun argument fondé sur l’article premier de la Charte et ne s’est donc pas acquittée du fardeau qui lui incombait de justifier la violation de l’art. 12. Les dispositions en cause ne peuvent pas être sauvegardées par application de l’article premier.
III.         Dispositif
[165]                     Par conséquent, nous déclarerions le sous‑al. 344(1)a)(i) et l’al. 344(1)a.1) inopérants en application du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Nous rejetterions le pourvoi formé par la Couronne et confirmerions les ordonnances rendues par la Cour d’appel.
                    Pourvoi accueilli, les juges Karakatsanis et Jamal sont dissidents.
                    Procureur de l’appelant : Alberta Crown Prosecution Service — Appeals and Specialized Prosecutions Office, Calgary.
                    Procureurs de l’intimé Ocean William Storm Hilbach : Moreau & Company, Edmonton.
                    Procureur de l’intervenante la directrice des poursuites pénales : Service des poursuites pénales du Canada, Winnipeg.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Ministère du Procureur général, Bureau des avocats de la Couronne — Droit criminel, Toronto.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan : Ministry of Justice and the Attorney General for Saskatchewan, Regina.
                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Stockwoods, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante l’Association du Barreau canadien : Peck and Company, Vancouver.
                    Procureurs de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association : Osler, Hoskin & Harcourt, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : 2023CSC3 ?
Date de la décision : 27/01/2023

Analyses

infractions — qualifiés — détermination — exagérément disproportionnées — minimales obligatoires — emprisonnement — personnes délinquantes — Hills — feu prohibées — juges chargés — gravité — armes — armée — proportionnée — tribunaux — Parlement


Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : Hilbach
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 27 janvier 2023, R. c. Hilbach, 2023 CSC 3


Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2023
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2023-01-27;2023csc3 ?

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