R. c. Morrisey, [2000] 2 R.C.S. 90
Marty Lorraine Morrisey Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
et
Le procureur général du Canada, le procureur général
de l’Ontario, le procureur général du Manitoba et
le procureur général de la Colombie-Britannique Intervenants
Répertorié: R. c. Morrisey
Référence neutre: 2000 CSC 39.
No du greffe: 26703.
1999: 9 décembre; 2000: 29 septembre.
Présents: Les juges Gonthier, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie et Arbour.
en appel de la cour d’appel de la nouvelle-écosse
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse (1998), 167 N.S.R. (2d) 43, 502 A.P.R. 43, 124 C.C.C. (3d) 38, 14 C.R. (5th) 365, 53 C.R.R. (2d) 39, [1998] N.S.J. No. 116 (QL), qui a accueilli l’appel formé par le ministère public contre la décision du juge Scanlan (1997), 161 N.S.R. (2d) 91, 477 A.P.R. 91, [1997] N.S.J. No. 356 (QL), qui a invalidé l’al. 220a) du Code criminel. Pourvoi rejeté, sauf pour un aspect de l’ordonnance de la Cour d’appel.
Malcolm S. Jeffcock, pour l’appelant.
Denise C. Smith et Kenneth W. F. Fiske, c.r., pour l’intimée.
Graham R. Garton, c.r., et Theodore K. Tax, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
David Finley, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Deborah L. Carlson, pour l’intervenant le procureur général du Manitoba.
Geoffrey R. Gaul, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.
Version française du jugement des juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie rendu par
Le juge Gonthier —
I. Introduction
1 Un emprisonnement minimal de quatre ans est-il une peine cruelle et inusitée relativement à l’infraction de négligence criminelle causant la mort par suite de l’usage d’une arme à feu? Pour les motifs que je vais exposer, je suis d’avis que non. L’infraction de négligence criminelle causant la mort requiert la preuve d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui — un seuil élevé à franchir. Cette infraction ne vise pas la répression des accidents, ni des simples malchances. Elle punit ceux qui font usage d’une arme à feu d’une manière qui témoigne d’un écart marqué par rapport à la norme de prudence qu’observerait une personne raisonnable, et qui cause ainsi la mort d’autrui. Il ne s’agit pas de situations anodines et le législateur l’a traitée en conséquence.
2 Eu égard à tous les facteurs énoncés dans les arrêts R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045, et R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485, un emprisonnement minimal de quatre ans ne constitue pas une peine exagérément disproportionnée, ni pour le délinquant en cause, ni pour quelque cas hypothétique raisonnable. Par conséquent, je suis d’avis que la peine minimale visée en l’espèce ne porte pas atteinte aux droits garantis par l’art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés et, pour ce motif, le présent pourvoi est rejeté. Cependant, la Cour d’appel a omis de tenir compte de la période d’incarcération de l’appelant jusqu’à son procès et, conformément à l’arrêt de notre Cour R. c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455, 2000 CSC 18, la peine infligée à l’appelant devrait être révisée pour tenir compte de cette période. Cet aspect de la décision du juge du procès est rétabli. En conséquence, je rejetterais le pourvoi à tous égards, hormis cet aspect de l’ordonnance.
II. Les faits
3 Les faits pertinents du présent pourvoi ne sont pas contestés. L’appelant est un ouvrier forestier et travailleur manuel qui habitait avec sa mère à Belmont, en Nouvelle‑Écosse, près de Truro. Au moment de l’infraction, il était âgé de 35 ans et n’avait aucun antécédent judiciaire. De l’âge de 14 ans jusqu’au début de la trentaine, il a souffert d’un problème de consommation d’alcool. Il a cessé de boire lorsqu’il a commencé à fréquenter Anita Teed, la sœur de la victime. Lorsque leur liaison a pris fin, l’appelant a recommencé à boire.
4 Une telle occasion de boire est survenue le 14 mai 1996. Ce jour‑là, l’appelant prenait un verre en compagnie de son ami Adrian Teed et du père de ce dernier, Karl Staples, dans la demeure d’Essie, la mère de M. Teed. Les trois hommes ont quitté la demeure en même temps et se sont rendus au camp des Teed, qui se trouve dans un endroit isolé dans les bois. Là, les trois hommes ont continué à boire et l’appelant a commencé à prendre des médicaments délivrés sur ordonnance, notamment du Valium. Pendant que M. Staples était à l’intérieur de la cabane, l’appelant et M. Teed ont réussi à tronquer le canon d’une carabine. L’appelant a déclaré à M. Teed que cette arme allait servir à commettre un vol, mais il prétend maintenant que, dans les faits, il avait plutôt l’intention de l’utiliser pour se suicider. L’appelant a témoigné qu’il voulait se suicider en raison de la grave dépression qu’il vivait par suite de sa rupture avec Anita, la sœur de M. Teed. Le juge du procès a accepté la thèse suivant laquelle l’appelant était très troublé à l’époque et qu’il était dans un état d’ébriété avancé.
5 Monsieur Teed est resté au camp pendant que l’appelant a ramené M. Staples chez lui. À son retour au camp, l’appelant a trouvé M. Teed étendu sur la couchette supérieure dans la cabane. Tenant la carabine qu’il savait chargée, l’appelant a bondi sur la couchette inférieure pour tenter de secouer M. Teed — soit pour le réveiller, soit pour attirer son attention. Comme cela était prévisible, vu son état d’ébriété, l’appelant a perdu pied en sautant et il est tombé. Le coup est parti et la balle s’est logée dans la tête de M. Teed, le tuant instantanément. L’arme n’était pas susceptible de se décharger en cas d’impact. Il n’y avait aucun élément de preuve indiquant que l’appelant avait l’intention de braquer son arme en direction de la victime.
6 L’appelant a traîné le corps de M. Teed hors de la cabane, jusqu’à un endroit dans le bois situé à environ cinq kilomètres de la cabane, pour ensuite le recouvrir d’une couverture. Il s’est ensuite rendu en auto chez Essie Teed. Il a pointé l’arme en direction de la mère de M. Teed en lui ordonnant de se taire et de s’asseoir. Il lui a dit qu’il avait déjà tué une personne ce soir-là. Madame Teed a réussi à calmer l’appelant, puis elle lui a enlevé la carabine. L’appelant a dit qu’il voulait s’enlever la vie. Pour le calmer davantage, Mme Teed a amené l’appelant voir Anita Teed, la sœur de la victime.
7 Après cette rencontre, Essie Teed a remis la carabine à l’appelant et lui a dit de ne plus revenir avec celle‑ci désormais. L’appelant s’est débarrassé de la carabine en la jetant à la rivière. Le lendemain, il aurait tenté de se suicider en mettant le feu à la cabane tout en demeurant à l’intérieur de celle‑ci. Quarante‑cinq minutes plus tard, il s’est présenté à l’aile psychiatrique d’un hôpital local, où il a avoué avoir tué M. Teed. L’appelant a toujours démontré beaucoup de remords. Au procès, il a plaidé coupable à l’infraction d’avoir causé la mort par négligence criminelle prévue à l’al. 220a) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, et à celle d’avoir braqué une arme à feu sans excuse légitime prévue à l’art. 86 du Code.
8 Anita Teed et Essie Teed ont toutes deux craint pour leur sécurité après cet événement. C’est d’ailleurs sur cet élément que reposait la recommandation qu’a formulée l’agent de probation dans son rapport présentenciel et suivant laquelle la surveillance communautaire ne serait pas une mesure appropriée. L’appelant a été incarcéré pendant cinq mois avant son procès. Lors du prononcé de sa peine, l’appelant a contesté la validité constitutionnelle de la peine minimale d’emprisonnement infligée en application de l’al. 220a) du Code criminel. Le juge du procès a estimé que cette disposition portait atteinte aux droits garantis par l’art. 12 de la Charte et il a condamné l’appelant à deux ans d’emprisonnement relativement au chef d’accusation de négligence criminelle (en tenant compte de la période de détention avant le procès) et à une peine d’emprisonnement d’un an, à purger consécutivement, relativement à l’accusation d’avoir braqué une arme à feu sans excuse légitime. Le ministère public a porté la décision en appel. La Cour d’appel a accueilli l’appel et a infligé à l’appelant une peine d’emprisonnement de quatre ans, sans accorder aucune réduction pour tenir compte de la période de détention avant le procès.
III. Les jugements
A. La Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (1996), 154 N.S.R. (2d) 278
9 Le juge Scanlan a invalidé l’al. 220a) du Code criminel, estimant que cette disposition allait à l’encontre de l’art. 12 de la Charte. Il a examiné le critère applicable à l’égard de l’art. 12 énoncé dans les arrêts Smith et Goltz, précités. Il a décidé qu’une peine minimale d’emprisonnement de quatre ans ne serait pas une peine cruelle et inusitée dans le cas de M. Morrisey. Il a cependant jugé qu’elle aurait constitué une peine cruelle et inusitée dans d’autres affaires de négligence criminelle causant la mort par suite de l’usage d’une arme à feu: R. c. Lefthand (1981), 31 A.R. 459 (C. prov.) (accusé inculpé d’avoir braqué une arme en feu en direction d’autrui); R. c. Saswirsky (1981), 6 W.C.B. 344 (C. cté Ont.); R. c. J.C. (1992), 58 O.A.C. 157; R. c. Bell (1992), 17 B.C.A.C. 36; et R. c. Yun Yin Lee, C. prov. Ont., 8 juin 1981 (affaire résumée à 6 W.C.B. 344.)
10 Le juge Scanlan a fondé sa conclusion que la peine minimale d’emprisonnement de quatre ans prévue à l’égard de l’infraction de négligence criminelle causant la mort était exagérément disproportionnée sur le fait que la preuve de l’intention n’est pas requise pour qu’une personne soit déclarée coupable. Il a estimé qu’il n’était pas nécessaire de rechercher le châtiment dans de tels cas. De plus, il serait impossible de produire un effet de dissuasion spécifique vu l’absence d’intention de la part du délinquant. Malgré l’objectif légitime visé par la mesure législative, soit le fait de forcer les gens à faire preuve de prudence dans l’utilisation des armes à feu, le juge Scanlan a considéré que la peine minimale prévue dépassait les besoins de cet objectif. Ayant conclu que la peine minimale d’emprisonnement portait atteinte aux droits garantis par l’art. 12 de la Charte, le juge Scanlan s’est ensuite demandé si cette atteinte pouvait être justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte. Il a jugé que non et, en conséquence, il a déclaré la disposition contestée invalide.
11 De l’avis du juge Scanlan, une peine d’emprisonnement de trois ans était appropriée en l’espèce et, après avoir réduit cette peine d’une année pour tenir compte des cinq mois passés en détention par l’appelant avant le procès, le juge a condamné ce dernier à une peine de deux ans d’emprisonnement pour l’infraction de négligence criminelle causant la mort. Il lui a en outre infligé une peine additionnelle d’un an, à purger consécutivement, pour avoir braqué sans excuse légitime une arme à feu sur autrui.
B. La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse (1997), 160 N.S.R. (2d) 13
12 La Cour d’appel a ordonné au juge Scanlan d’entendre à nouveau l’affaire, étant donné que le procureur général du Canada n’avait pas été avisé que la constitutionnalité de l’al. 220a) du Code criminel était contestée. Après avoir entendu des plaidoiries additionnelles, le juge Scanlan a confirmé sa décision initiale: (1997), 161 N.S.R. (2d) 91.
C. La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse (1998), 167 N.S.R. (2d) 43
13 Madame le juge Bateman de la Cour d’appel a accueilli l’appel, souscrivant à l’opinion du juge Scanlan que la peine minimale d’emprisonnement de quatre ans ne constituait pas une peine exagérément disproportionnée dans le cas de M. Morrisey. Elle n’était cependant pas prête à accepter que la peine minimale serait exagérément disproportionnée à l’égard des hypothèses examinées par le juge Scanlan. Certains de ces cas, en particulier, ne représentaient pas des hypothèses raisonnables, soit parce que les faits rapportés n’appuieraient pas une déclaration de culpabilité, soit parce que les délinquants étaient dans une situation différente (par exemple un jeune contrevenant).
14 Les seules hypothèses raisonnables, de l’avis du juge Bateman, étaient les affaires Bell et Saswirsky, précitées. Toutefois, le juge Bateman a estimé qu’un emprisonnement minimal de quatre ans ne serait pas une peine exagérément disproportionnée dans le cas de ces délinquants, puisque leurs gestes illustraient le type de conduite que la loi visait précisément à empêcher. Madame le juge Bateman a conclu que l’al. 220a) ne vise pas les personnes qui ont été impliquées dans de [traduction] «tragiques accidents» ou ont fait preuve d’un «jugement lamentable», mais exige plutôt la preuve d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui, causant ainsi la mort. Il était donc impossible de rattacher à cette exigence la notion de [traduction] «délinquant léger», tel l’importateur fictif d’un seul et unique joint de marijuana dans Smith, précité. En conséquence, Madame le juge Bateman a annulé la décision du juge Scanlan et a condamné l’appelant à une peine minimale d’emprisonnement de quatre ans. Elle n’a accordé aucune réduction de peine pour tenir compte de la période d’incarcération avant le procès.
IV. Les dispositions constitutionnelles et législatives pertinentes
15 Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46
219. (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque:
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir,
montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
220. Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible:
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.
222. (1) Commet un homicide quiconque, directement ou indirectement, par quelque moyen, cause la mort d’un être humain.
. . .
(5) Une personne commet un homicide coupable lorsqu’elle cause la mort d’un être humain:
a) soit au moyen d’un acte illégal;
b) soit par négligence criminelle;
Charte canadienne des droits et libertés
12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.
V. Les questions en litige
16 Le 26 janvier 1999, le Juge en chef a énoncé les questions constitutionnelles suivantes:
(1) L’alinéa 220a) du Code criminel porte-t-il atteinte au droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités reconnu à l’art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés du fait qu’il prévoit une peine d’emprisonnement minimale de quatre ans pour l’infraction de négligence criminelle causant la mort, s’il y a eu usage d’une arme à feu lors de la perpétration de cette infraction?
(2) Si la réponse à la première question est affirmative, l’atteinte peut-elle se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique à titre de limite raisonnable au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
VI. L’analyse
A. La négligence criminelle causant la mort
17 Les jugements dont appel ont souligné l’absence de décisions portant sur des accusations de négligence criminelle causant la mort dans des circonstances où l’accusé a fait usage d’une arme à feu. En effet, on trouve peu de décisions où une personne a été déclarée coupable par un juge ou un jury de l’infraction prévue à l’art. 220 et comportant l’usage d’une arme à feu. Cela est peut‑être en partie dû au fait que ce sont des accusations d’homicide involontaire coupable qui sont portées dans les cas où la négligence criminelle pourrait être en cause, comme ce fut le cas au début de la présente affaire. Pratiquement tous les cas où cela s’est produit sont des affaires où l’accusé a plaidé coupable à l’infraction reprochée et où les faits ont été présentés par voie d’exposé conjoint. Par conséquent, il pourrait être utile d’examiner la norme requise pour obtenir une déclaration de culpabilité à l’infraction prévue à l’al. 220a).
18 En règle générale, les sanctions établies par le législateur dans le Code criminel visent à punir les personnes qui ont non seulement commis un acte fautif, mais qui l’ont commis intentionnellement. Toutefois, même en l’absence de toute intention de produire des conséquences données, le législateur a précisé, à l’art. 219, qu’engagent leur responsabilité criminelle les personnes dont la conduite témoigne d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. Pour que l’accusé soit déclaré coupable de l’infraction prévue à l’art. 220, son insouciance déréglée ou téméraire doit avoir causé la mort d’autrui. Il faut qu’il y ait eu usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction pour que la peine minimale d’emprisonnement de quatre ans soit infligée.
19 La norme à respecter pour obtenir une déclaration de culpabilité à l’infraction prévue à l’al. 220a) est donc plus élevée que celle applicable en matière de négligence au civil. Pour être condamné sous le régime de cette disposition, l’accusé doit avoir eu une conduite constituant une dérogation marquée par rapport à la norme: R. c. Anderson, [1990] 1 R.C.S. 265, à la p. 270. Lorsque le risque de préjudice est très grand, comme c’est le cas dans les affaires de négligence criminelle causant la mort où il y a eu usage d’une arme à feu, il est souvent facile de conclure que l’accusé doit avoir prévu les conséquences: Anderson, à la p. 270. Il n’en demeure pas moins que, dans tous les cas, le ministère public doit prouver davantage que le simple fait qu’une arme a été déchargée, causant la mort. L’alinéa 220a) ne crée pas une infraction de responsabilité absolue. Il exige la preuve d’une conduite constituant une dérogation à ce point marquée par rapport à la conduite d’une personne raisonnablement prudente qu’elle témoigne d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
20 Un bref examen de certains faits tirés des affaires de négligence criminelle dans lesquelles l’accusé a plaidé coupable révèle le type de conduite visée par cette disposition. Par l’examen de ces affaires, je ne suggère aucunement qu’elles sont représentatives de la norme qui doit être respectée afin d’étayer une déclaration de culpabilité; elles sont plutôt simplement indicatives du contexte. Dans l’affaire Bell, précitée, l’accusé avait inséré une cartouche vide dans son arme et avait appuyé sur la détente en pointant l’arme vers l’un de ses amis. Une cartouche chargée s’était accidentellement mêlée aux cartouches vides et le coup est parti, tuant ainsi son ami. Statuant sur l’appel de la peine, la Cour d’appel a souligné la culpabilité morale rattachée au fait de [traduction] «jouer la comédie avec une arme meurtrière» (p. 37). Exemple encore plus grave, dans l’affaire Saswirsky, précitée, un policier s’adonnait à une forme de roulette russe en compagnie de sa petite amie, tout en sachant que l’arme contenait une cartouche chargée mais pensant à tort qu’elle ne se trouvait pas dans la chambre de mise à feu.
21 Dans J.C., précité, un jeune contrevenant a braqué un revolver sur la tête de son ami puis pressé à quatre reprises sur la détente, sachant qu’il n’y avait qu’une seule cartouche dans l’arme. Après avoir appuyé pour la quatrième fois sur la détente, il a ouvert l’arme, frappé sur le dessus du barillet et entendu quelque chose tomber sur le sol. Il a pensé qu’il s’agissait de la cartouche. Il a visé à la tête de son ami puis pressé à nouveau sur la détente. Il y avait une cartouche dans la chambre de mise à feu et il a tué son ami. J.C. pensait avoir vérifié l’arme, mais, dans les faits, il n’avait pas été assez prudent. Dans une autre affaire, un homme en état d’ébriété a abattu un ami, lui aussi ivre, qui lui avait demandé de tirer sur lui, pour voir si cela lui ferait peur (R. c. Davis, [1985] B.C.J. No. 1732 (QL) (C.A.)). Dans une autre affaire, un homme ivre ne s’est pas souvenu qu’il avait chargé son arme et, pour faire peur à son ami, il lui a braqué l’arme au visage et fait «bang» au moment même où il appuyait sur la détente, faisant feu au visage de son ami et le tuant (R. c. Morehouse (1982), 38 N.B.R. (2d) 367 (C.A.)). Ces personnes ont manifesté une irresponsabilité ahurissante en mettant ainsi en danger la vie d’amis et de personnes qui leur étaient chères et ils méritent que leur responsabilité criminelle soit engagée.
22 La disposition relative à la négligence criminelle s’applique également au comportement téméraire des chasseurs. Dans l’affaire R. c. McCrea, [1970] 3 C.C.C. 77 (C.A. Sask.), l’accusé a tiré sur une autoneige Bombardier du ministère des Ressources nationales dans laquelle prenait place la victime. L’accusé a témoigné qu’il pensait avoir vu une [traduction] «bosse» et qu’il avait fait feu avec sa puissante carabine sans savoir ce sur quoi il tirait, tuant ainsi l’autre chasseur. Par conséquent, le jury n’a pas hésité à le déclarer coupable de l’infraction prévue à l’art. 191, devenu plus tard l’art. 220. De même, dans l’affaire R. c. Weber, [1973] 1 W.W.R. 262 (C.A.C.-B.), l’accusé a tiré sur une embarcation en aluminium de 14 pieds, pensant qu’il s’agissait d’un orignal. Une des trois personnes se trouvant dans l’embarcation a été tuée.
23 Dans l’affaire R. c. Stewart, [1993] O.J. No. 954 (QL) (Div. prov.), le juge du procès a donné des exemples de négligence criminelle dans le contexte de la chasse, notamment le fait de [traduction] «tirer en travers d’une route ou à partir d’un véhicule; [. . .] tirer sur des ombres à l’aurore; [. . .] tirer au son du bruissement ou mouvement d’une branche». Essentiellement, le fait de tirer sans avoir au préalable déterminé adéquatement la nature de la cible constitue une dérogation marquée par rapport à la conduite d’un chasseur prudent. Lorsqu’une personne agit ainsi et cause la mort d’autrui, elle engage sa responsabilité criminelle sous le régime de l’al. 220a).
24 Une conduite «raisonnable» ne peut être «déréglée». On ne peut dire d’une personne qu’elle a fait preuve d’une insouciance déréglée ou téméraire si elle a manipulé une arme de manière raisonnable, croyant raisonnablement que celle‑ci n’était pas chargée ou que le coup ne pouvait partir, si l’arme fonctionnait mal ou si elle a eu un accident ordinaire avec l’arme, par exemple si elle l’échappe et que le coup part. L’arrêt Anderson, précité, dans lequel un homme en état d’ébriété ayant brûlé un feu rouge a été acquitté d’une accusation de négligence criminelle causant la mort, n’a pas pour effet d’empêcher la Cour de juger qu’un accident survenu par suite de la manipulation d’une arme à feu et où il y a eu consommation d’alcool ou de drogues illicites est dû à une insouciance déréglée et téméraire objective.
25 L’affaire R. c. Olav D (1986), 1 W.C.B. (2d) 42 (C.U.F. Ont.) est un exemple de cas où un décès causé par suite de l’usage d’une arme à feu ne constituait pas de la négligence criminelle. Le jeune contrevenant accusé croyait raisonnablement que l’arme n’était pas chargée. En outre, il s’est établi une jurisprudence détaillée en matière de chasse, formée de décisions dans lesquelles les juges ont exonéré des personnes qui croyaient raisonnablement qu’elles tiraient sur un animal et non sur un être humain. Le fait qu’un chasseur portait du camouflage aux couleurs d’un orignal a permis d’établir une telle croyance raisonnable dans l’affaire Stewart, précitée, par exemple. Dans cette affaire, le chasseur avait pris ses précautions et commis une erreur raisonnable. La chasse donne lieu à des accidents raisonnables et déraisonnables, tout comme l’usage d’armes à feu peut donner lieu à des accidents raisonnables et déraisonnables dans d’autres contextes. Chacun de ces accidents est tragique, mais ils ne sont pas tous sources de responsabilité criminelle.
B. Les peines cruelles et inusitées
26 L’article 12 de la Charte accorde aux Canadiens et aux Canadiennes une grande protection contre l’infliction de peines qui sont excessives au point d’être incompatibles avec la dignité humaine: Smith, précité, à la p. 1072; Goltz, précité, à la p. 499; R. c. Luxton, [1990] 2 R.C.S. 711, à la p. 724. L’examen du tribunal s’attache non seulement à l’objectif visé par la peine, mais également à l’effet de celle‑ci sur le délinquant en cause. Lorsque la peine est simplement disproportionnée, aucune réparation ne peut être accordée en vertu de l’art. 12. Le tribunal doit plutôt être convaincu que la peine qui a été infligée est exagérément disproportionnée en ce qui concerne ce délinquant, au point où les Canadiens et Canadiennes considéreraient cette peine odieuse ou intolérable. Comme je l’ai dit dans l’arrêt Goltz, à la p. 501, «le critère en question ne permet pas l’invalidation inconsidérée de peines établies par le législateur».
27 Afin d’analyser adéquatement la contestation d’une peine sur le fondement de l’art. 12, le tribunal doit tenir compte de tous les facteurs contextuels pertinents. Aucun des facteurs énoncés dans Smith ou dans Goltz n’a un caractère prépondérant: voir Goltz, aux pp. 501 et 502. Dans l’arrêt Smith, à la p. 1073, le juge Lamer, plus tard Juge en chef du Canada, a décrit ainsi certains des facteurs pertinents:
En vérifiant si une peine est exagérément disproportionnée, la cour doit d’abord prendre en considération la gravité de l’infraction commise, les caractéristiques personnelles du contrevenant et les circonstances particulières de l’affaire afin de déterminer quelles peines auraient été appropriées pour punir, réhabiliter ou dissuader ce contrevenant particulier ou pour protéger le public contre ce dernier.
28 Dans l’arrêt Goltz, à la p. 500, j’ai également souligné que certains autres facteurs devaient être examinés pour bien saisir le contexte global de la disposition relative à la détermination de la peine: l’effet réel de la peine sur l’individu, les objectifs pénologiques et les principes de détermination de la peine sur lesquels repose la sentence, l’existence de solutions de rechange valables à la peine effectivement infligée et la comparaison avec des peines infligées pour d’autres crimes dans le même ressort. Ces divers facteurs ne sont pas «en soi déterminants pour décider s’il y a disproportion exagérée» (p. 500).
29 Ces facteurs contextuels doivent d’abord être évalués à la lumière des circonstances particulières du délinquant devant le tribunal. Si la peine est exagérément disproportionnée à l’égard de ce délinquant, le tribunal se demande ensuite si la violation de l’art. 12 peut être justifiée au regard de l’article premier de la Charte. Si la peine n’est pas exagérément disproportionnée à l’égard du délinquant en cause, le tribunal est néanmoins tenu d’examiner la validité constitutionnelle de la peine au regard d’hypothèses raisonnables. Si la peine se révèle exagérément disproportionnée dans le contexte d’un cas hypothétique raisonnable, l’article premier est alors le dernier moyen de justifier la disposition relative à la détermination de la peine.
30 En quoi consiste une hypothèse raisonnable? Dans l’arrêt Goltz, à la p. 506, j’ai indiqué que des circonstances hypothétiques raisonnables ne pouvaient être des «situations invraisemblables ou difficilement imaginables». Il ne doit pas s’agir d’«exemples extrêmes ou n’ayant qu’un faible rapport avec l’espèce» (p. 515). L’on ne saurait trop insister sur le caractère raisonnable de l’hypothèse. Dans l’arrêt Smith, la circonstance hypothétique invoquée pour invalider la peine contestée était très réaliste. Dans cet arrêt, la mesure législative en cause établissait la responsabilité criminelle des importateurs de stupéfiants illicites, indépendamment de la quantité importée. La conséquence logique et probable de l’application de cette mesure était que tomberaient dans ses mailles des personnes qu’on ne peut qualifier que de «petits contrevenants» (p. 1080), tels les individus n’ayant importé qu’un seul «joint».
31 Dans l’arrêt Goltz, j’ai précisé que les exemples devraient être des situations qui «pourraient se présenter couramment dans la vie quotidienne» (p. 516). Cette exigence était appropriée dans le cas de l’infraction reprochant à un individu d’avoir conduit pendant qu’il était sous le coup d’une interdiction prononcée en vertu de la Motor Vehicle Act de la Colombie‑Britannique, étant donné que cette loi visait une activité de la vie courante. Il faut reconnaître que les affaires d’homicides résultant de négligence criminelle ne se prêtent pas aisément à une détermination du caractère cruel et inusité de la peine au moyen d’hypothèses raisonnables, puisque cette infraction peut être commise d’un nombre presque infini de façons. De telles hypothèses demeurent néanmoins très utiles afin de déterminer s’il y a eu violation de l’art. 12 en l’espèce.
32 Dans le présent cas, le juge du procès et les juges de la Cour d’appel ont préféré fonder leur analyse sur des décisions existantes au lieu d’imaginer des hypothèses fictives. Je peux comprendre que le juge du procès ait retenu la première méthode; il est incontestable qu’il y a «quelque chose d’artificiel» à se creuser les méninges pour imaginer des hypothèses raisonnables: Smith, le juge McIntyre (dissident), à la p. 1083; R. c. Kumar (1993), 85 C.C.C. (3d) 417 (C.A.C.-B.), à la p. 449. Cependant, comme la Cour d’appel a pu le constater, l’utilisation d’affaires réelles n’est pas non plus sans présenter certaines difficultés. Lorsqu’une personne plaide coupable à une infraction, il est possible que les faits ne soient pas rapportés de manière exacte, faits qui sont d’ailleurs consignés par voie d’exposé conjoint. De plus, une décision judiciaire pourrait également être un de ces cas «limites» qui ne sont pas visés par la méthode énoncée dans l’arrêt Goltz.
33 Une fois de plus, il convient de rappeler que les tribunaux ne doivent tenir compte que des hypothèses qui pourraient raisonnablement se concrétiser. L’homicide est loin d’être un crime fréquent au Canada. Les affaires de négligence criminelle causant la mort où il y a eu usage d’une arme à feu sont encore moins fréquentes. Il convient donc, lorsqu’on élabore des hypothèses à partir de la jurisprudence, de dégager les éléments de ces diverses décisions. Suivant l’arrêt Goltz, les hypothèses doivent être fondées sur des situations «ordinaires» et non sur des cas «extrêmes» ou «invraisemblables». Lorsqu’il est question d’un crime rare et peu courant, il suffit que les hypothèses soient des exemples ordinaires de ce crime plutôt que des exemples de situations courantes de la vie quotidienne. Cependant, lorsqu’ils élaborent des hypothèses, les tribunaux peuvent s’inspirer d’affaires réelles, mais, dans la mesure où il est possible que ces décisions ne soient pas toutes publiées, ils ne sont pas tenus de restreindre leurs hypothèses à celles qui sont mises à leur disposition. Dans l’élaboration d’hypothèses dans le cadre de l’analyse fondée sur l’art. 12, les tribunaux peuvent s’inspirer, avec prudence, des décisions publiées comme point de départ et intégrer des circonstances additionnelles à leur scénario afin de bâtir un modèle approprié, au regard duquel ils peuvent mesurer la sévérité de la peine.
C. La peine prévue à l’al. 220a) est-elle cruelle et inusitée dans le cas du délinquant en cause?
34 Les deux jugements visés par le pourvoi sont d’avis qu’une peine minimale d’emprisonnement de quatre ans ne constituait pas une peine cruelle et inusitée dans le cas de M. Morrisey, ce que ce dernier a lui-même admis. Le juge du procès a déclaré qu’il aurait condamné l’appelant à trois ans d’emprisonnement n’eût été l’existence de la peine minimale, et qu’une année additionnelle n’équivalait pas à son avis à une peine cruelle et inusitée. Bien que je sois d’accord avec ce point de vue, je préfère arriver au même résultat en faisant une analyse complète du contexte, conformément à la démarche énoncée par notre Cour dans les arrêts Goltz et Smith.
(1) La gravité de l’infraction
35 Comme je l’ai exposé, la gravité de l’infraction est le premier facteur à examiner. Pour analyser la gravité de l’infraction, il faut bien comprendre à la fois la nature des actes du délinquant et leurs conséquences: Goltz, aux pp. 510 et 511. Le fait que les actes de l’appelant aient eu des conséquences particulièrement graves pour la victime n’est pas contesté. Monsieur Teed est mort à cause des actes de l’appelant. Il n’y a pas de conséquence plus grave.
36 Le second aspect du facteur de la gravité de l’infraction — la nature des actes commis par le délinquant — a donné plus de souci au juge du procès. Le juge Scanlan a pensé qu’un acte non intentionnel constituait une infraction beaucoup moins grave qu’un acte intentionnel: par. 23. En règle générale, ce point ne saurait être vraiment contesté. Nous reprochons un plus haut degré de culpabilité morale aux personnes qui transgressent intentionnellement les lois qu’à celles qui ne le font pas intentionnellement: voir R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633, à la p. 645. L’analyse ne s’arrête toutefois pas ici. Comme je l’ai expliqué plus tôt, aux par. 17 à 24, le législateur a fixé à un niveau très élevé le seuil qui doit être franchi pour qu’une personne soit déclarée criminellement responsable sous le régime de l’al. 220a). En effet, il faut établir qu’elle a fait preuve d’insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. L’on ne saurait trop insister sur ce dernier élément: l’application de la disposition en cause ne vise pas à faire déclarer coupables les personnes qui causent la mort d’autrui de manière non intentionnelle seulement. En plus de devoir démontrer que la mort a été causée par suite de l’usage d’une arme à feu, le ministère public doit prouver que l’accusé a agi d’une manière qui constitue une dérogation marquée par rapport à la norme suivie par une personne raisonnable. L’accusé doit avoir commis des actes ayant un caractère déréglé ou téméraire justifiant que sa responsabilité criminelle soit engagée.
37 Si l’on tient compte des deux aspects du facteur de la gravité de l’infraction, on constate clairement que l’al. 220a) vise les personnes qui ont commis des infractions particulièrement graves. Les actes entraînant la responsabilité criminelle de leur auteur doivent témoigner d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. Lorsqu’une personne agit ainsi en utilisant une arme à feu et cause la mort d’autrui, elle est alors coupable d’un crime particulièrement grave. Quoique la situation soit tragique autant pour le délinquant que pour la victime, l’infraction n’en demeure pas moins très grave.
(2) Les circonstances particulières de l’affaire et la situation du délinquant
38 Ces deux facteurs exigent l’examen des événements du 14 mai 1996. À cette étape-ci, la cour de révision doit se demander s’il existe des circonstances atténuantes ou aggravantes susceptibles d’influer sur le caractère approprié de la peine: Goltz, précité, aux pp. 512 et 513. En l’espèce, il existe des circonstances de chaque type. L’appelant était dans un état d’ébriété très avancé. En outre, il a pris à la fois des médicaments délivrés sur ordonnance et de l’alcool. Il a apporté une arme chargée à l’intérieur d’une petite cabane. Il était dans un état de détresse psychologique extrême. Dans l’état d’ébriété où il se trouvait, l’appelant a témérairement bondi sur la couchette inférieure d’un lit superposé avec une arme chargée dans les mains et, conséquence prévisible, il a perdu l’équilibre et est tombé. L’arme n’était pas sensible aux impacts, mais le coup est néanmoins parti et M. Teed est mort d’une blessure à la tête. Plutôt que d’appeler la police ou les services ambulanciers, l’appelant a traîné le corps de la victime depuis les lieux du crime — qui ont été qualifiés de [traduction] «scène dont l’horreur dépassait la compréhension» lors du prononcé de la peine — jusque dans les bois pour le dissimuler. Les circonstances entourant la perpétration de cette infraction témoignent clairement de la gravité du crime de l’appelant.
39 Ceci dit, il existe également des circonstances atténuantes. Le juge du procès a souligné que l’appelant n’avait jamais eu de démêlés avec la justice avant cette infraction. L’appelant a éprouvé du remords, non seulement devant le tribunal, mais dès le moment où il a tué M. Teed. Le juge du procès a conclu à la sincérité de son remords. Il a de plus accepté que l’appelant avait reconnu sa responsabilité pour les actes qu’il avait commis. Finalement, le juge du procès a estimé que l’appelant serait en état de travailler et de subvenir à ses besoins dans le futur. Dans le cadre d’un régime traditionnel de détermination de la peine, tous ces facteurs seraient pertinents en vue d’établir une peine appropriée.
40 Tout compte fait, je ne suis pas convaincu que les circonstances atténuantes l’emportent sur les circonstances aggravantes en l’espèce. Je ne suis pas non plus persuadé que les circonstances atténuantes enlèvent quoi que ce soit à la gravité de l’infraction. Le remords manifesté par l’appelant n’a rien d’étonnant, compte tenu de la nature de l’infraction. Personne ne prétend que l’appelant avait l’intention de tuer M. Teed; la malice n’a été ni alléguée, ni démontrée. Dans ces circonstances, le remords est un sentiment prévisible. L’absence de casier judiciaire n’a rien de surprenant non plus, vu la nature de l’infraction. Puisque la personne qui agit de façon criminellement négligente ne désire pas les conséquences de ses actes, ceux‑ci ne relèvent généralement pas d’un comportement ou d’une carrière criminels. Je doute sincèrement qu’il y ait beaucoup de criminels de carrière dont les activités soient le fruit de négligence criminelle. Finalement, bien que pertinentes, les perspectives d’emploi ne peuvent à elles seules permettre de décider de la validité constitutionnelle de la peine infligée.
(3) L’effet réel de la peine sur le délinquant
41 Dans l’application de ce facteur, le tribunal doit se demander de quelle manière le délinquant sera personnellement touché par la peine qui lui est infligée dans les faits. La nature de la peine, sa durée ainsi que les conditions dont elle est assortie sont des aspects pertinents de cet examen: Smith, à la p. 1073; Goltz, aux pp. 513 et 514. La possibilité pour l’intéressé de profiter de permissions de sortir avec escorte ou de purger sa peine de façon discontinue est également pertinente dans le cadre de cet examen: Goltz, à la p. 514. Dans l’affaire R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, au par. 62, le juge en chef Lamer a dit que «l’octroi de la libération conditionnelle représente une modification des conditions aux termes desquelles la peine imposée par le tribunal doit être purgée» (soulignement supprimé). Par conséquent, la possibilité de bénéficier de la semi‑liberté et de la libération conditionnelle totale est un autre élément pertinent: Luxton, précité, à la p. 725; R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, aux pp. 339 à 343. Bref, ce facteur exige que la cour de révision saisisse bien quel effet aura la peine, telle qu’elle sera purgée dans les faits.
42 Une peine d’emprisonnement de quatre ans dans un pénitencier fédéral est indubitablement une peine sévère. Cependant, cette sévérité ne constitue pas en soi une peine cruelle et inusitée. Comme l’a signalé avec justesse le procureur général du Canada, aucune sanction particulière n’a été créée à l’égard de ces délinquants. En outre, il convient de souligner que les personnes déclarées coupables de négligence criminelle causant la mort par suite de l’usage d’une arme à feu et condamnées à une peine d’emprisonnement de quatre ans seront admissibles à la libération conditionnelle après 16 mois, sauf ordonnance contraire du juge du procès: Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, par. 120(1); Code criminel, art. 743.6. La semi‑liberté pourrait être octroyée après 10 mois: Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, al. 119(1)c). Le paragraphe 121(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition traite de la question de la contrainte excessive causée par l’incarcération et de celle liée aux problèmes de santé physique ou mentale. De plus, il convient de souligner que, dans l’arrêt Wust, précité, notre Cour a décidé que la période d’incarcération avant le procès pouvait être considérée pour réduire la durée de la peine minimale imposée. Tous ces facteurs ont pour effet d’atténuer la sévérité de la peine infligée à l’appelant.
(4) Les objectifs pénologiques et les principes de détermination de la peine
43 Ces facteurs sont analysés afin de déterminer si le législateur répondait à un problème urgent et si sa réponse repose sur des principes reconnus en matière de détermination de la peine. L’intimée et les intervenants ont présenté de nombreux arguments sur la nécessité d’adopter une démarche unifiée à l’égard des crimes liés à l’usage des armes à feu. Bien qu’il soit vrai que, en général, le nombre de décès liés à l’usage des armes à feu ait baissé de façon constante depuis les années 1970, certaines statistiques sont néanmoins révélatrices. En 1995 seulement, il y a eu 49 «accidents» mortels causés par une arme à feu et 145 homicides impliquant l’usage d’une arme à feu: K. Hung, Statistiques sur les armes à feu (1999), tableau 14. Le nombre de décès accidentels causés par une arme à feu au Canada est demeuré relativement constant depuis 1979. Il est incontestable que le législateur a le droit de prendre des mesures appropriées pour répondre au problème urgent de la mortalité liée à l’usage des armes à feu, compte tenu particulièrement du fait qu’il s’agit d’un problème grave depuis plus de 20 ans. De plus, il convient que le législateur décourage l’utilisation négligente des armes à feu en général, car, comme l’a indiqué le juge Cory dans l’affaire R. c. Felawka, [1993] 4 R.C.S. 199, à la p. 211, l’arme à feu incarne toujours «la menace suprême de mort aux yeux de ceux qui y font face».
44 Il va de soi que le législateur ne peut prendre de telles mesures qu’en conformité avec les principes existants de détermination de la peine. Le principe fondamental en la matière est la proportionnalité: Code criminel, art. 718.1; R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, 2000 CSC 5, au par. 54. Ce principe constitue l’essence même de l’analyse fondée sur l’art. 12. Les autres principes de détermination de la peine énoncés par le législateur à l’art. 718 et reconnus par notre Cour dans les arrêts R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, aux par. 42 et 43, et Proulx, précité, sont notamment l’isolement des délinquants du reste de la société, la dissuasion — générale et spécifique — , le châtiment, la réinsertion sociale, les principes de justice corrective fondés sur la réparation des torts causés et les mesures visant à faire prendre conscience aux délinquants de leur responsabilité à l’égard des torts qu’ils ont causés aux victimes et à la collectivité.
45 En toute déférence, le juge du procès a trop insisté sur l’absence de tout besoin de dissuasion spécifique pour ce crime, alors que la Cour d’appel a pour sa part trop insisté sur le besoin de dissuasion générale. La présence ou l’absence de l’un ou l’autre des principes de détermination de la peine ne devrait jamais être déterminante à cette étape-ci de l’analyse fondée sur l’art. 12. Le seul fait qu’une peine vise un objectif de dissuasion générale ne saurait l’empêcher d’avoir un caractère cruel et inusité. Toutefois, ce facteur demeure pertinent lorsque le tribunal examine la fourchette des peines acceptables au regard de l’art. 12. La dissuasion générale peut justifier l’infliction d’une peine qui, quoique sévère, se situe à l’intérieur de la fourchette des peines qui ne sont pas cruelles et inusitées. De plus, cet objectif pourrait possiblement servir de justification dans l’analyse fondée sur l’article premier s’il devait être nécessaire de justifier une violation de l’art. 12, mais ce n’est pas le cas en l’espèce.
46 L’idéal serait d’instaurer, à l’égard de ce crime, un régime de peine minimale qui vise à la fois tous les objectifs traditionnels de détermination de la peine, mais une telle mesure n’est pas nécessaire pour respecter l’art. 12. Comme l’a dit le juge La Forest dans l’affaire Lyons, précitée, à la p. 329, «l’importance respective de la prévention, de la dissuasion, du châtiment et de la réinsertion sociale variera selon la nature du crime et la situation du délinquant». Je suis convaincu que la disposition législative en cause résiste à la contestation de sa constitutionnalité, même si la peine infligée vise davantage les objectifs de dissuasion générale, de dénonciation et de châtiment que les objectifs de réinsertion sociale et de dissuasion spécifique. En d’autres mots, la peine est acceptable au regard de l’art. 12 tout en ayant un effet de dissuasion générale puissant et salutaire. Le besoin de dissuasion générale ne saurait être contesté. La disposition en cause exige que les personnes qui ont une arme à feu dans les mains fassent preuve de prudence en la manipulant. Elle est compatible avec la jurisprudence relative à l’usage des armes à feu: R. c. Pettigrew (1990), 56 C.C.C. (3d) 390 (C.A.C.-B.), à la p. 398. Le fait pour le délinquant de ne pas avoir fait preuve de prudence aura des conséquences tragiques non seulement pour la victime, mais également pour le délinquant lui‑même.
47 Qui plus est, la peine minimale en cause vise l’objectif de dénonciation qui, dans M. (C.A.), précité, au par. 81, a été décrit par le juge en chef Lamer comme étant «une déclaration collective, ayant valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu’elle a porté atteinte au code de valeurs fondamentales de notre société». L’un des éléments les plus importants de notre code des valeurs fondamentales est le respect de la vie. Bien que la négligence criminelle causant la mort implique un degré moindre de culpabilité morale que le meurtre, elle n’en est pas moins une conduite moralement coupable justifiant le législateur de prescrire qu’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui n’est tout simplement pas acceptable.
48 Finalement, les peines minimales tendent à la réalisation de l’objectif de châtiment. Dans l’affaire M. (C.A.), au par. 79, notre Cour a reconnu l’importance du châtiment afin de sanctionner la culpabilité morale du délinquant. Le châtiment correspond à «l’obligation fondamentale que la peine infligée soit «juste et appropriée» eu égard aux circonstances». Cette idée est pertinente dans le contexte de la décision de confirmer la validité de l’application d’une peine minimale à l’égard de l’infraction de négligence criminelle causant la mort lorsqu’il y a usage d’une arme à feu. Cette peine minimale force le contrevenant à reconnaître le tort qu’il a causé et inflige une sanction proportionnelle à ce tort.
(5) Les autres facteurs
49 L’avocat de l’appelant n’a pas présenté d’autres arguments tendant à étayer le caractère cruel et inusité de la peine minimale. Aucune solution de rechange valable n’a été avancée. Il n’a pas été démontré que, par comparaison avec d’autres crimes dans le même ressort, la peine en litige serait cruelle et inusitée. En fait, si l’on considère la nature du tort causé par l’appelant, il est à tout le moins possible de prétendre que son crime est plus grave que d’autres crimes pour lesquels la peine infligée est la même, par exemple le vol qualifié avec usage d’une arme à feu. Du point de vue du tort causé, le crime de l’appelant est beaucoup plus grave. Comme je suis d’avis que les jugements dont appel ont eu raison de juger que la peine minimale prévue ne constitue pas une peine cruelle et inusitée dans le cas de l’appelant, il est maintenant nécessaire d’examiner les situations hypothétiques prises en considération par le juge du procès pour invalider l’al. 220a).
D. Les hypothèses raisonnables
50 Les hypothèses invoquées par le juge du procès étaient des situations concrètes, tirées de décisions publiées. Comme je l’ai expliqué précédemment, ces décisions soulèvent certains problèmes intrinsèques, puisqu’elles reposent sur des éléments de preuve communiqués par voie d’exposé conjoint des faits. De plus, il est permis de se demander si toutes les décisions prises en considération par le juge du procès sont des exemples ordinaires d’affaires fondées sur l’al. 220a). Finalement, l’issue de chacune de ces affaires dépend des faits qui lui sont propres et fait intervenir des considérations à un degré de spécificité que n’envisageait d’aucune façon l’arrêt Smith, précité. Compte tenu de tous ces facteurs, je suis réticent à faire une analyse au cas par cas des circonstances particulières dans lesquelles se trouvait chacun des individus qui ont plaidé coupable à cette infraction. La méthode appropriée consisterait plutôt à concevoir des circonstances imaginables, qui pourraient se présenter couramment, tout en maintenant un degré de généralité propre à l’infraction en cause. Il convient de se rappeler que, dans l’arrêt Smith, l’hypothèse n’était fondée que sur deux facteurs: d’une part, il s’agissait d’un délinquant qui n’en était qu’à sa première infraction et, d’autre part, le délinquant n’aurait importé qu’un seul joint.
51 Il me semble qu’il y a deux types de situations qui surviennent couramment et peuvent être dégagées des décisions publiées. Le premier type de situations est celui des personnes qui s’amusent avec une arme. Le contrevenant croit, déraisonnablement, que le coup ne partira pas. Il braque l’arme vers une autre personne et appuie sur la détente, tuant ainsi cette personne. Parmi les situations de ce type, mentionnons le jeu de la roulette russe (Saswirsky et J.C., précités) et le fait de feindre de tirer sur un ami pour l’effrayer (Davis et Morehouse, précités).
52 La seconde situation hypothétique tirée des décisions publiées est celle de l’expédition de chasse qui tourne au drame. Il s’agit du cas du délinquant qui, chassant en forêt, aperçoit un objet. Il n’est pas certain de l’identité de l’objet ou croit de façon tout à fait déraisonnable qu’il s’agit d’un animal sauvage. Dans les deux cas, l’objet en question est en réalité un autre être humain. Le chasseur tire en direction de l’objet et tue cette autre personne (McCrea et Weber, précités).
53 Je suis d’avis que, dans l’un et l’autre de ces cas hypothétiques, une peine minimale d’emprisonnement de quatre ans ne serait pas une peine cruelle et inusitée pour de tels délinquants. Parmi les situations hypothétiques examinées, les plus extrêmes sont peut-être celles concernant les personnes qui s’amusent avec des armes à feu. De telles armes ne sont pas des jouets. Aucune erreur n’est permise lorsqu’on appuie sur la détente. Si l’arme est chargée, il existe une probabilité suffisante que toute personne se trouvant dans la ligne de tir soit tuée. Le besoin de dissuasion générale est aussi (sinon plus) grand dans le cas des délinquants hypothétiques qui s’amusent avec des armes que dans celui des personnes comme l’appelant. Compte tenu de la gravité de l’infraction, l’objectif de dénonciation et les principes de justice punitive, auxquels l’infliction d’une peine minimale d’emprisonnement permet de satisfaire, s’appliquent également à cette situation hypothétique. Dans de telles circonstances, il ne fait aucun doute que la peine minimale de quatre ans est tout aussi appropriée qu’elle l’est dans le cas de l’appelant.
54 En outre l’existence de la peine minimale de quatre ans transmet un message aux personnes qui sont dans une situation où elles risquent de causer du tort à autrui, savoir qu’elles doivent faire preuve de prudence en manipulant leurs armes. Un accident de chasse est si vite arrivé. Lorsque des personnes chassant avec des armes à feu se tiennent à proximité l’une de l’autre, chacune d’elles doit redoubler de prudence pour éviter de causer du tort aux autres. Par conséquent, lorsqu’ils chassent, les chasseurs ne doivent appuyer sur la détente de leur arme que s’ils ont la conviction raisonnable que leur cible n’est pas un autre être humain. Les personnes qui utilisent des armes à feu doivent faire preuve d’une vigilance accrue et, alors que la société pourrait s’attendre à ce que ces personnes prennent de leur propre chef des précautions, elles ne le font malheureusement pas toujours. Le législateur a donc envoyé un message supplémentaire: l’omission de faire preuve de prudence est passible de sanctions criminelles sévères. La peine infligée exprime la dénonciation de la société, eu égard à la gravité du crime; elle apporte une mesure de justice punitive à la famille de la victime et à la collectivité en général, en plus de servir l’objectif de dissuasion générale qui est d’éviter que d’autres personnes agissent de façon aussi téméraire à l’avenir.
E. Conclusion au sujet de la peine cruelle et inusitée
55 La peine minimale d’emprisonnement de quatre ans que doit purger l’appelant n’est pas une peine cruelle et inusitée. Dans les circonstances du présent cas, il est clair que l’appelant a eu une conduite criminelle particulièrement grave. La peine infligée à l’appelant sert des objectifs pénologiques légitimes et repose sur des principes reconnus de détermination de la peine. L’effet de cette peine sur l’appelant est atténué par le fait que celle-ci donne ouverture à la libération conditionnelle et qu’elle est réduite pour tenir compte de la période d’incarcération avant le procès. En outre, la peine ne porte atteinte à la Charte dans aucun des scénarios hypothétiques raisonnables qui ont été soumis à la Cour.
56 Par conséquent, je suis d’avis qu’il n’y pas d’atteinte à l’art. 12. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les arguments fondés sur l’article premier avancés par les parties. Il est de plus inutile de s’interroger sur l’applicabilité des exemptions constitutionnelles, compte tenu particulièrement du fait que l’appelant lui‑même a concédé qu’une peine minimale d’emprisonnement de quatre ans ne serait pas exagérément disproportionnée dans son cas particulier.
F. La période d’incarcération avant le procès
57 Depuis l’audition du pourvoi de l’appelant, notre Cour a eu l’occasion de se prononcer sur le bien-fondé de la prise en considération de la période d’incarcération avant le procès dans le cas des peines minimales obligatoires. Dans l’arrêt Wust, précité, notre Cour a jugé que, dans les affaires qui s’y prêtent, les peines minimales d’emprisonnement peuvent être réduites pour tenir compte de telles périodes de détention. En l’espèce, lorsque le juge du procès a invalidé l’al. 220a) du Code criminel, il a tenu compte des cinq mois passés en détention par l’appelant avant son procès en établissant la peine. Le juge du procès a réduit d’une année la peine infligée à l’appelant pour tenir compte de cette période de cinq mois, prenant en considération le fait que ce dernier avait plaidé coupable dès le départ. Conformément à la norme de contrôle applicable en appel qui a été énoncée dans l’affaire Proulx, précitée, au par. 131, et dans l’arrêt Wust, je suis d’avis que le fait d’avoir accordé une réduction de la peine ne constituait pas une erreur justifiant d’infirmer la décision. Une réduction d’une année pour les cinq mois d’incarcération avant le procès n’est pas manifestement inappropriée. Par conséquent, j’estime que l’appelant doit purger la peine minimale d’emprisonnement de quatre ans, réduite de la période d’une année soustraite pour tenir compte de l’incarcération avant le procès.
VII. Le dispositif
58 En conséquence, le pourvoi est rejeté, à l’égard des questions constitutionnelles. La peine minimale d’emprisonnement de quatre ans pour négligence criminelle causant la mort par suite de l’usage d’une arme à feu ne constitue pas une peine cruelle et inusitée. L’arrêt de la Cour d’appel est confirmé à cet égard. Cependant, l’ordonnance du juge du procès concernant la période d’incarcération avant le procès est rétablie. L’appelant est condamné à trois ans d’emprisonnement pour l’infraction prévue à l’al. 220a), peine fixée en tenant compte des cinq mois d’incarcération avant le procès. Par conséquent, je répondrais ainsi aux questions constitutionnelles:
(1) L’alinéa 220a) du Code criminel porte-t-il atteinte au droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités reconnu à l’art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés du fait qu’il prévoit une peine d’emprisonnement minimale de quatre ans pour l’infraction de négligence criminelle causant la mort, s’il y a eu usage d’une arme à feu lors de la perpétration de cette infraction?
Réponse: Non.
(2) Si la réponse à la première question est affirmative, l’atteinte peut-elle se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique à titre de limite raisonnable au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
Réponse: Vu la réponse donnée à la première question constitutionnelle, il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.
Version française des motifs des juges McLachlin et Arbour rendus par
Le juge Arbour —
I. Introduction
59 Dans le présent pourvoi, l’appelant attaque, en vertu de l’art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, la constitutionnalité de l’al. 220a) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, qui prescrit l’application d’une peine d’emprisonnement minimale obligatoire de quatre ans à quiconque est déclaré coupable de négligence criminelle causant la mort par suite de l’usage d’une arme à feu. J’ai lu les motifs du juge Gonthier et je souscris à son opinion selon laquelle il n’a pas été porté atteinte à l’art. 12 de la Charte au regard du premier volet de l’analyse constitutionnelle. De fait, cette conclusion est conforme aux décisions des deux juridictions inférieures et à la thèse de l’appelant: la peine obligatoire de quatre ans n’est pas excessive ou exagérément disproportionnée au point de constituer une peine cruelle et inusitée dans le cas du délinquant en cause, dans les circonstances particulières de la présente affaire.
60 Cependant, c’est à l’égard du second volet de l’analyse — au cours duquel on examine, à la lumière d’hypothèses raisonnables, la constitutionnalité de la disposition relative à la détermination de la peine — que je suis en désaccord avec les motifs de mon collègue. Comme l’infraction de négligence criminelle causant la mort par suite de l’usage d’une arme à feu est essentiellement tributaire des faits de chaque affaire, je ne saurais conclure que la peine minimale de quatre ans n’est pas exagérément disproportionnée à l’égard de «quelque» cas hypothétique raisonnable que ce soit. Mon collègue est en mesure de tirer cette conclusion principalement parce qu’il a restreint l’analyse relative à l’hypothèse raisonnable aux «circonstances imaginables, qui pourraient se présenter couramment, tout en maintenant un degré de généralité propre à l’infraction en cause» (par. 50). J’estime que cette démarche est inappropriée et, de fait, inapplicable à l’infraction dont nous sommes saisis, et ce pour plusieurs motifs.
61 Tout d’abord, l’analyse ne peut être restreinte à l’infraction particulière établie à l’al. 220a) du Code. Il y a beaucoup de recoupements entre certains homicides coupables qui ne constituent pas des meurtres, tels l’homicide involontaire coupable résultant d’un acte illégal et l’homicide involontaire coupable résultant de la négligence criminelle. En outre, il n’existe aucune différence entre l’infraction reprochée en l’espèce et l’homicide involontaire coupable résultant de négligence criminelle. Si on lit l’al. 222(5)b) du Code criminel en corrélation avec l’art. 234, on voit clairement que l’infraction de négligence criminelle causant la mort est un type d’homicide involontaire coupable; voir également R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3, aux pp. 41 et 42, le juge McLachlin (maintenant Juge en chef du Canada). Par souci de commodité, je reproduis ci‑après les dispositions pertinentes:
220. Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible:
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;...
222. (1) Commet un homicide quiconque, directement ou indirectement, par quelque moyen, cause la mort d’un être humain.
. . .
(4) L’homicide coupable est le meurtre, l’homicide involontaire coupable ou l’infanticide.
(5) Une personne commet un homicide coupable lorsqu’elle cause la mort d’un être humain:
a) soit au moyen d’un acte illégal;
b) soit par négligence criminelle;
. . .
234. L’homicide coupable qui n’est pas un meurtre ni un infanticide constitue un homicide involontaire coupable.
236. Quiconque commet un homicide involontaire coupable est coupable d’un acte criminel passible:
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
62 Les circonstances du présent pourvoi illustrent concrètement ce recoupement: l’accusé a d’abord été inculpé d’homicide involontaire coupable, mais rien au dossier n’explique pourquoi il a été renvoyé à procès pour négligence criminelle causant la mort plutôt que pour le chef d’accusation initial. Ce fait est toutefois sans conséquence, puisque les deux chefs d’accusation sont entièrement interchangeables. Cette constatation est également appuyée par d’autres affaires, par exemple R. c. Collins, [1999] O.J. No. 2437 (QL) (C.S.J.), qui indiquent que l’infraction de manipulation ou d’usage d’une arme à feu de manière négligente prévue au par. 86(2) est une infraction moindre et incluse par rapport à celle de négligence criminelle causant la mort, la distinction étant fonction de la mesure dans laquelle la conduite de l’accusé déroge à la norme requise. L’équivalence entre les deux infractions ressort en outre des dispositions relatives à la détermination de la peine des al. 220a) et 236a), qui prescrivent l’application d’une peine minimale obligatoire de quatre ans d’emprisonnement tant pour l’infraction de négligence criminelle causant la mort que pour celle d’homicide involontaire coupable, s’il y a eu usage d’une arme à feu.
63 Deuxièmement, comme il a été reconnu dans l’arrêt Creighton, à la p. 48, et comme en attestent les affaires publiées, l’homicide involontaire coupable peut se produire dans des circonstances des plus diverses. Cela se reflète dans le très large éventail de peines infligées à l’égard de cette infraction. On n’exagère pas la diversité des circonstances donnant lieu à l’infraction d’homicide involontaire coupable en signalant que c’est uniquement à l’égard de cette infraction qu’on peut s’attendre à voir les peines appropriées aller du sursis au prononcé de la peine jusqu’à l’emprisonnement à perpétuité. Dans l’arrêt R. c. Gregor (1953), 31 M.P.R. 99, à la p. 101, la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (en banc), à l’instar de nombreux autres tribunaux avant et après elle, a reconnu qu’il existait un large éventail de peines appropriées pour l’homicide involontaire coupable:
[traduction] Il est possible d’affirmer, à propos de l’homicide involontaire coupable, que l’éventail juridique des peines qu’il est possible d’infliger est très large, ce qui le distingue sur ce point des autres crimes. Il existe des cas d’homicide involontaire coupable où la ligne de démarcation entre le crime et l’accident est ténue et où une peine d’emprisonnement de quelques mois est appropriée. Par contre, il y a des cas où la peine appropriée atteint l’autre extrémité juridique, soit l’emprisonnement à perpétuité, ou s’en approche. Les divers cas se caractérisent par des faits tout aussi variés que les pensées et les actes de l’être humain, et il est toujours difficile de déterminer la sanction qu’il convient d’infliger dans les circonstances d’une affaire donnée. Aucune décision ne peut constituer un modèle parfait pour une autre.
64 Troisièmement, même lorsqu’on limite la gamme des comportements aux cas où la mort résulte de l’usage criminellement négligent d’une arme à feu, il reste encore une grande variété de comportements visés par l’interdiction. Par conséquent, le fait de limiter l’analyse constitutionnelle de notre Cour aux hypothèses raisonnables fondées uniquement sur deux situations type, soit la chasse et les personnes «qui s’amusent avec une arme à feu», me semble aller à l’encontre de la nature même de l’infraction, en plus de dénaturer la question de savoir s’il se produira, dans l’avenir, une situation où la peine minimale obligatoire de quatre ans sera exagérément disproportionnée et contreviendra de ce fait à l’art. 12.
65 Essentiellement, j’estime qu’il est impossible d’imaginer, avec toute l’abondance de détails factuels requise, les nombreuses situations différentes susceptibles de donner lieu à une accusation d’homicide involontaire coupable, même en limitant les scénarios factuels aux homicides involontaires coupables résultant de la négligence criminelle et de l’usage d’une arme à feu. En outre, je suis d’avis que les cas réels, traitant de situations qui sont effectivement survenues, doivent être considérés comme des hypothèses raisonnables aux fins de l’analyse fondée sur l’art. 12, même si leur caractère est inusité. Si l’art. 12 avait été soulevé dans l’une des décisions publiées et que la peine avait été jugée exagérément disproportionnée à l’égard du délinquant en cause, celle‑ci aurait dû être déclarée inconstitutionnelle, peu importe le caractère inusité des faits de l’affaire. De même, si une telle affaire devait se présenter dans l’avenir — où le tribunal ne saurait conclure à l’invraisemblance de la situation puisqu’elle serait déjà survenue dans le passé — le même résultat devrait prévaloir.
66 Dans l’état actuel du droit, si une peine minimale est, dans un cas donné, jugée exagérément disproportionnée en vertu du premier volet de l’analyse constitutionnelle fondée sur l’art. 12, la disposition créant cette peine obligatoire est invalidée parce qu’elle porte atteinte à l’art. 12. Cette approche a été élaborée dans des affaires où l’infraction commandant l’application de la peine minimale était très différente de celle en litige dans la présente affaire. J’estime que, pour donner effet au désir explicite du législateur de hausser les peines applicables aux infractions relatives aux armes à feu, tout en reconnaissant qu’il est inévitable qu’une peine de quatre ans sera exagérément disproportionnée à l’égard d’au moins certaines déclarations de culpabilité pour homicide involontaire coupable qui seront plausiblement prononcées dans le futur, une approche différente s’impose en l’espèce. Par conséquent, je confirmerais la constitutionnalité de l’al. 220a) de façon générale, tout en écartant son application dans une affaire ultérieure si la peine minimale était jugée exagérément disproportionnée à l’égard de ce futur délinquant. Je suis donc d’avis de rejeter le présent pourvoi et je propose l’application d’une méthode plus individualisée en ce qui a trait aux futures contestations de l’al. 220a) fondées sur l’art. 12.
II. Analyse
67 Puisque mon collègue le juge Gonthier a déjà fait état des faits du présent dossier et des décisions des juridictions inférieures, il n’est pas nécessaire de le faire ici. Je vais plutôt procéder directement à ma propre analyse.
68 Dans ses motifs (au par. 50), mon collègue reconnaît que l’issue des affaires invoquées par le juge du procès dépendait des faits propres à chacune, atteignant un degré de spécificité que n’envisageait d’aucune façon l’approche relative à l’art. 12 énoncée dans l’arrêt R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045. Je suis d’accord avec cette observation. Cependant, aller plus loin et avancer que les décisions publiées doivent servir uniquement de guide général a pour effet de supprimer le degré de spécificité qui caractérise cette infraction et qui, à mon avis, commande le maintien, pour ce crime, d’une détermination individualisée de la peine. Il va de soi, en l’espèce, que la détermination individualisée de la peine doit être faite non seulement eu égard aux circonstances de l’infraction et à la situation du délinquant, mais également en conformité avec la garantie constitutionnelle prévue à l’art. 12 ainsi qu’avec les paramètres qu’a fixés le législateur en codifiant les principes de détermination de la peine à la partie XXIII du Code, et en prescrivant la peine minimale obligatoire à l’al. 220a).
69 Lorsque je dis être préoccupée par le fait que le tribunal ne saurait être en mesure d’imaginer toutes les hypothèses raisonnables dans lesquelles la présente peine minimale pourrait contrevenir à l’art. 12, je ne veux pas laisser entendre que toutes les peines minimales obligatoires risquent de porter atteinte à l’art. 12 de la Charte. Le juge Lamer, plus tard Juge en chef du Canada, a déclaré dans l’arrêt Smith, précité, à la p. 1077, qu’«[u]ne peine minimale obligatoire d’emprisonnement n’est manifestement pas cruelle et inusitée en soi». Quoique les peines minimales obligatoires dérogent aux principes généraux de détermination de la peine exprimés dans le Code, en particulier au principe fondamental de la proportionnalité (art. 718.1), la norme constitutionnelle exige leur maintien même si elles sont manifestement inappropriées, tant qu’elles ne sont pas exagérément disproportionnées par rapport à la juste sanction qu’auraient par ailleurs commandée les circonstances particulières de l’infraction et la situation particulière du délinquant en cause.
70 Lorsque le législateur a adopté la Loi sur les armes à feu, L.C. 1995, ch. 39, il a prescrit l’application d’une peine minimale obligatoire de quatre ans à l’égard de plusieurs infractions liées aux armes à feu en plus l’infraction de négligence criminelle causant la mort par suite de l’usage d’une arme à feu (al. 220a)): homicide involontaire coupable (al. 236a)); tentative de meurtre (al. 239(a)); décharge intentionnelle d’une arme à feu (art. 244); agression sexuelle armée (al. 272(2)a)); agression sexuelle grave (al. 273(2)a)); enlèvement (al. 279(1.1)a)); prise d’otage (al. 279.1(2)a)); vol qualifié (al. 344a)) et extorsion (al. 346(1.1)a)). L’introduction d’une peine minimale obligatoire à l’égard de ces crimes s’inscrivait dans la stratégie globale du gouvernement fédéral en matière de contrôle des armes à feu, et elle reflète l’intention du législateur de décourager l’utilisation des armes à feu à des fins criminelles: Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), [2000] 1 R.C.S. 783, 2000 CSC 31, au par. 20; voir également l’arrêt R. c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455, 2000 CSC 18, au par. 32. Par la confirmation de la validité d’un rigoureux critère d’application de l’art. 12 dans sa jurisprudence relative à cette disposition, notre Cour a également souligné l’importance de s’en remettre aux peines établies par le législateur: R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485, à la p. 501, le juge Gonthier; Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385, à la p. 1417, le juge Cory. De plus, comme l’a signalé à notre Cour le procureur général du Canada dans son argumentation écrite, certaines des peines minimales obligatoires de quatre ans prévues par la Loi sur les armes à feu ont été contestées pour des motifs d’ordre constitutionnel et leur validité a été confirmée.
71 À titre d’exemple, il a été jugé que l’al. 344a) du Code (vol avec usage d’une arme à feu) ne portait pas atteinte à l’art. 12: R. c. Wust (1998), 125 C.C.C. (3d) 43 (C.A.C.‑B.), inf. pour d’autres motifs, [2000] 1 R.C.S. 455, 2000 CSC 18; R. c. McDonald (1998), 127 C.C.C. (3d) 57 (C.A. Ont.); R. c. Lapierre (1998), 123 C.C.C. (3d) 332 (C.A. Qué.). De même, il a été jugé que l’al. 279(1.1)a) du Code (enlèvement perpétré en utilisant une arme à feu) ne contrevenait pas à l’art. 12: R. c. Mills (1999), 133 C.C.C. (3d) 451 (C.A.C.‑B.). En outre, la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick a estimé que la peine minimale de quatre ans prévue à l’al. 244b) du Code (décharge d’une arme à feu avec l’intention de mettre en danger la vie d’autrui) ne violait pas l’art. 12: R. c. Roberts (1998), 199 R.N.‑B. (2e) 387. Finalement, en ce qui a trait à l’al. 236a) du Code (homicide involontaire coupable commis au moyen d’une arme à feu), un tribunal a jugé que la peine minimale obligatoire de quatre ans était conforme à l’art. 12: R. c. Hainnu, [1998] N.W.T.J. No. 101 (QL) (C.S.).
72 Cependant, par contraste avec l’affaire Hainnu, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a conclu que la peine minimale prévue à l’al. 236a) contrevenait à l’art. 12 de la Charte dans R. c. Bill (1997), 13 C.R. (5th) 103, et (1998), 13 C.R. (5th) 125; appel de la déclaration de culpabilité accueilli et nouveau procès ordonné (1999), 123 B.C.A.C. 159, absence d’examen de la constitutionnalité de la disposition relative à la détermination de la peine. Dans l’arrêt Bill, l’accusé, un Canadien d’origine autochtone, a, alors qu’il était en état d’ébriété, apporté une carabine chargée sur les lieux d’un affrontement entre un groupe de personnes et sa famille, dans l’intention de faire peur aux membres du groupe pour qu’ils déguerpissent. Au cours de l’affrontement, l’arme s’est déchargée, tuant un des hommes présents. Le juge Taylor a fait, au sujet de l’infraction d’homicide involontaire coupable, les observations suivantes qui, à mon avis, s’appliquent tout autant à l’infraction de négligence criminelle causant la mort (13 C.R. (5th) 103, aux pp. 114 et 119):
[traduction] Contrairement à la plupart des comportements prohibés par le Code criminel, l’infraction d’homicide involontaire coupable peut résulter d’un éventail presque infini de comportements. On parle souvent de l’homicide involontaire coupable comme étant l’infraction qui va de situations frôlant l’accident à celles frôlant le meurtre, et les circonstances qui mènent à une déclaration de culpabilité relativement à cette infraction sont presque comme des flocons de neige, c’est‑à‑dire qu’elles possèdent toutes une structure fondamentale, mais se caractérisent par une infinité de détails au sein de cette structure. L’infraction d’homicide involontaire coupable nécessite uniquement la perpétration d’un homicide illégal, ce qui signifie en termes simples un homicide qui survient lors de la perpétration d’un acte illégal ou qui résulte de la négligence criminelle. Par conséquent, l’infraction d’homicide involontaire coupable peut passer d’une extrémité du spectre — savoir les cas où il suffit que soit absente l’intention de causer la mort — , à l’autre extrémité — savoir les cas où l’infraction s’approche du simple accident. Voilà pourquoi aucune peine minimale n’est ordinairement prescrite à l’égard de l’homicide involontaire coupable.
. . .
L’homicide involontaire coupable ne ressemble en rien à la tentative de meurtre, au vol qualifié, à l’agression sexuelle ou à la plupart des autres infractions que j’ai mentionnées précédemment et à l’égard desquelles le législateur a fixé une peine minimale de quatre ans lorsqu’une arme à feu a été utilisée au cours de la perpétration de l’infraction. Dans ces infractions, la raison même pour laquelle le contrevenant possède une arme à feu est un dessein illicite: l’intention de commettre un meurtre, un vol ou une agression sexuelle. À l’opposé, lorsqu’une arme à feu sert à la perpétration de l’infraction d’homicide involontaire coupable, il est possible qu’il n’y ait pas d’intention subjective illégale, puisque l’homicide involontaire coupable peut être le résultat d’une témérité purement objective. Je souligne que, dans ces circonstances, l’efficacité du principe de dissuasion est quelque peu diminuée.
73 Dans l’examen de la constitutionnalité de la peine, le juge Taylor a estimé que l’emprisonnement minimal de quatre ans prévu à l’al. 236a) serait une peine exagérément disproportionnée à l’égard de l’accusé, invalidant en conséquence la peine en application du premier volet de l’analyse fondée sur l’art. 12. Le juge Taylor a accordé une importance toute particulière à l’obligation prévue à l’al. 718.2e) du Code, soit d’examiner toutes les sanctions substitutives applicables, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones (p. 117).
74 Avant l’adoption des modifications à la Loi sur les armes à feu prescrivant l’application de peines minimales obligatoires à l’égard des infractions d’homicide involontaire coupable et de négligence criminelle causant la mort lorsqu’il y a usage d’une arme à feu, notre Cour a reconnu l’importance de la souplesse dans la détermination de la peine appropriée pour l’infraction d’homicide involontaire coupable. Dans l’arrêt Creighton, précité, à la p. 48, le juge McLachlin a fait les observations suivantes relativement au caractère inapproprié d’une peine minimale pour l’infraction d’homicide involontaire coupable:
[Le meurtre] entraîne une peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité tandis que l’homicide involontaire coupable ne comporte aucune peine minimale. Cela est bien. Puisque l’homicide involontaire coupable peut se commettre dans des circonstances des plus diverses, il doit y avoir souplesse quant aux peines. C’est à juste titre, par exemple, qu’un homicide non intentionnel commis lors de la perpétration d’une infraction mineure donne lieu à une peine beaucoup moins sévère que celle entraînée par l’homicide non intentionnel perpétré dans des circonstances témoignant d’une conscience du risque de mort qui reste juste en deçà de ce qu’il faudrait pour conclure à l’existence de l’intention requise pour un meurtre. Tout cela pour dire que la peine peut être adaptée pour tenir compte du degré de faute morale chez le contrevenant, et c’est ce qui se passe dans les faits.
Même si les arrêts Creighton et Bill traitaient d’homicide involontaire coupable résultant d’un acte illégal, plutôt que d’homicide involontaire coupable résultant de la négligence criminelle, les propos du juge McLachlin trouvent néanmoins écho dans le présent pourvoi, qui porte sur la constitutionnalité de la peine minimale obligatoire prescrite à l’égard d’un type d’homicide involontaire coupable, la négligence criminelle causant la mort.
75 Dans la mesure du possible, les peines minimales obligatoires doivent être interprétées conformément aux principes généraux de détermination de la peine énoncés, en particulier, aux art. 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel: Wust (C.S.C.), précité, au par. 22. En établissant une peine minimale, particulièrement lorsque celle‑ci ne représente qu’une fraction de la peine maximale applicable à l’infraction, le législateur n’a pas complètement écarté le principe de la proportionnalité, ni l’obligation, énoncée à l’al. 718.2b), d’infliger des peines semblables à des délinquants semblables pour des infractions semblables dans des circonstances semblables. Par conséquent, je suis d’avis que les peines minimales obligatoires prescrites pour les infractions liées aux armes à feu doivent servir de plancher haussant les peines généralement imposées et fixant ainsi une nouvelle sanction minimale applicable au délinquant dit «le moins répréhensible» dont la conduite est visée par ces dispositions. Le minimum obligatoire ne doit pas devenir la peine usuelle infligée à tous les délinquants, à la seule exception du délinquant de la pire espèce qui commet l’infraction dans les circonstances les plus odieuses. Cette approche aurait non seulement pour effet de contrecarrer l’intention qu’avait le législateur en édictant ces mesures législatives particulières, mais contreviendrait en outre aux principes généraux de détermination de la peine qui visent à instaurer un régime juste et équitable de détermination de la peine et ainsi à contribuer à la réalisation des objectifs visés par l’infliction de sanctions criminelles.
76 À mon avis, conformément aux indications données par la jurisprudence de notre Cour, l’approche qu’il convient d’adopter pour déterminer la validité constitutionnelle des peines minimales obligatoires consiste à donner effet à l’intention du législateur d’augmenter les peines généralement imposées, sauf lorsque l’impossibilité faite par la loi d’infliger des peines inférieures au minimum prescrit porte atteinte au droit garanti par l’art. 12 de la Charte, dans les cas où le respect de la sanction minimale obligatoire entraînerait l’infliction d’une peine qui serait non seulement inappropriée — ce qui est autorisé par la Constitution — mais qui serait de surcroît exagérément disproportionnée par rapport à la sanction qui serait appropriée. La recherche de la peine appropriée n’est pas une tâche effectuée dans l’abstrait. Elle se base dans une large mesure sur les diverses peines infligées jusque‑là à des délinquants dans une situation analogue et, pour cette raison, elle évolue au fil du temps et pourrait en venir à refléter l’augmentation générale des peines entraînée par l’application appropriée des peines minimales obligatoires prescrites pour certains types d’infractions. À cet égard, je suis en désaccord avec le juge Quinn qui, dans R. c. Scozzafava, [1997] O.J. No. 5804 (QL) (Div. gén.), une affaire d’homicide involontaire perpétré avec l’usage d’une arme à feu, a affirmé, au par. 33, que l’existence de la peine minimale de quatre ans ne devrait pas se traduire par une augmentation générale proportionnelle des peines, par rapport à l’éventail des peines infligées dans les décisions antérieures à 1996.
77 Ces effets à la hausse ressortent déjà de façon évidente des peines infligées dans les décisions dont a fait état mon collègue le juge Gonthier à titre de «contexte» pour la conduite visée à l’al. 220a). Par exemple, dans certaines vieilles affaires de chasse, les peines prononcées en cas de déclaration de culpabilité étaient relativement légères par rapport à la peine minimale prescrite actuellement. Dans R. c. McCrea, [1970] 3 C.C.C. 77 (C.A. Sask.), un chasseur qui, n’ayant pas identifié adéquatement sa cible, avait tiré sur un autre chasseur et l’avait tué, a été condamné à verser une amende de 2 000 $ ou, à défaut de paiement, à un an de prison. Puis, dans R. c. Weber, [1973] 1 W.W.R. 262 (C.A.C.‑B.), un chasseur qui avait tué une personne assise dans une embarcation qu’il avait prise à tort pour un orignal a été condamné à une peine d’emprisonnement de neuf mois. Dans R. c. Lefthand (1981), 31 A.R. 459 (C. prov.), l’accusé, qui participait à une excursion de chasse et était en état d’ébriété au moment de l’infraction, a été inculpé d’avoir braqué une arme à feu sur une autre personne en contravention du par. 84(1) (aujourd’hui le par. 87(1)), même si cette personne avait été tuée lorsque l’arme s’est déchargée. Même si le délinquant était passible d’une peine maximale d’emprisonnement de cinq ans, le juge a choisi de surseoir au prononcé de la peine et d’imposer une période de deux ans de probation. Il convient de souligner que l’appelant a soumis l’affaire Lefthand et d’autres décisions analysées ci‑dessous à titre d’exemples d’hypothèses raisonnables propres à démontrer que, si la peine minimale obligatoire était appliquée dans ces circonstances, elle porterait atteinte au droit garanti par l’art. 12.
78 Dans le second type d’hypothèses raisonnables — que le juge Gonthier a qualifiées d’affaires où l’accusé s’amusait avec une arme à feu de manière irresponsable — , les peines reflètent également la perception de ce qui constituait une peine appropriée avant l’entrée en vigueur de la Loi sur les armes à feu. Aussi récemment qu’en 1992, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a accueilli un appel de la peine infligée à un accusé qui, après avoir braqué une arme en direction d’un groupe d’amis et fait feu, croyant que l’arme contenait des cartouches vides, avait tué une des personnes du groupe. Une peine d’emprisonnement de 18 mois a été substituée à la peine initiale de trois ans pour l’infraction de négligence criminelle causant la mort: R. c. Bell (1992), 17 B.C.A.C. 36. En Ontario, la Cour d’appel a confirmé la validité d’une peine de 18 mois de garde en milieu ouvert infligée à un jeune contrevenant qui avait tué un ami en jouant à la roulette russe: R. c. J.C. (1992), 58 O.A.C. 157. Finalement, dans R. c. Saswirsky (1981), 6 W.C.B. 344 (C. cté Ont.), un policier qui avait tué sa petite amie en jouant à la roulette russe a été condamné à un an d’emprisonnement après avoir été déclaré coupable de négligence criminelle causant la mort.
79 L’affaire R. c. Yun Ying Lee, C. prov. Ont., 8 juin 1981, résumée à 6 W.C.B. 344, également invoquée par l’appelant, est particulièrement instructive. Dans cette affaire, une femme en visite chez des parents se faisait photographier avec son neveu de sept ans en tenant une arme qui, à son insu, avait été chargée plus tôt dans la journée. Elle a braqué l’arme sur l’enfant et a appuyé sur la détente, tuant l’enfant. Bien que l’accusée ait plaidé coupable à l’accusation de négligence criminelle causant la mort, le ministère public a présenté les circonstances factuelles au tribunal en interrogeant le policier chargé de l’enquête, lequel a été contre‑interrogé par l’avocat de l’accusée. Le tribunal a jugé que, par son comportement, l’accusée avait fait preuve d’insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. Cependant, le juge ayant estimé qu’il ne convenait pas, dans les circonstances de l’affaire, d’accorder une importance prépondérante aux principes de détermination de la peine que sont la dissuasion et la réinsertion sociale, l’accusée a bénéficié d’un sursis au prononcé de la peine et a été autorisée à retourner à Hong Kong, sa ville natale, où elle pouvait continuer à élever ses trois enfants.
80 Sans être assujetti aux restrictions découlant de l’existence d’une peine minimale obligatoire, mais étant néanmoins saisi d’une infraction punissable d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité (voir Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 203), le juge du procès a estimé que la peine appropriée ne commandait pas l’infliction d’une période d’emprisonnement. Dans un tel cas, à mon avis, une peine d’emprisonnement de quatre ans ne serait pas seulement inappropriée, elle serait exagérément disproportionnée par rapport à la peine appropriée et donc inconstitutionnelle.
81 L’affaire Yun Ying Lee ne décrit pas une situation difficilement imaginable ou ayant peu de chances de se produire. Par exemple, dans une affaire plus récente, R. c. Ball, [1993] O.J. No. 3207 (QL) (Div. gén.), l’accusé a sans le vouloir tué son ami en manipulant de manière imprudente une arme, ne sachant pas qu’elle était chargée. Il a été déclaré coupable d’homicide involontaire coupable résultant d’un acte illégal, mais s’est vu accorder, dans les circonstances, un sursis au prononcé de la peine et 200 heures de travaux communautaires.
82 Comme je l’ai indiqué dès le début, j’estime qu’il surviendra inévitablement des cas où un emprisonnement minimal de quatre ans pour cette infraction sera une peine exagérément disproportionnée. Étant donné que l’effet à la hausse du plancher obligatoire augmentera vraisemblablement toutes les peines infligées à l’égard de cette infraction, il est possible d’affirmer qu’il surviendra moins de cas où l’infliction d’une peine de quatre ans sera exagérément disproportionnée et, de ce fait, inconstitutionnelle. Néanmoins, compte tenu de la diversité des comportements visés par l’interdiction, je suis d’avis qu’il continuera de s’en présenter. Je ne vois pas l’utilité de tenter de concevoir un scénario factuel qui illustrerait le point où il y aurait disproportion exagérée. Ce ne serait possible qu’en injectant à l’hypothèse un haut degré de spécificité, ce qui aurait pour effet d’élargir le recours à cette technique jurisprudentielle au‑delà de l’objet pour lequel elle a été conçue à l’origine.
83 En termes généraux, j’estime qu’un contexte dans lequel des peines exagérément disproportionnées risquent d’être infligées est, par exemple, celui de la violence conjugale, comme l’a suggéré le professeur T. L. Quigley de l’Université de la Saskatchewan dans son témoignage devant le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles à propos des peines minimales obligatoires prévues par le projet de loi C‑68, la Loi sur les armes à feu (Délibérations du comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, fascicule no 60, le 19 octobre 1995, à la p. 60:34). Le professeur Quigley a affirmé que, dans le cas d’une femme victime de violence conjugale qui finit par réagir contre son agresseur et le tue, pour être ensuite accusée de négligence criminelle causant la mort ou d’homicide involontaire coupable, [traduction] «[i]l peut y avoir des circonstances où une peine de quatre années de prison [. . .] serait manifestement disproportionnée». De fait, la récente affaire R. c. Ferguson, [1997] O.J. No. 2488 (QL) (Div. gén.), impliquait une accusée qui avait intentionnellement fait feu sur son époux violent pendant qu’il était étendu sur un canapé. Des accusations de meurtre ont été portées contre l’accusée, qui a été déclarée coupable d’homicide involontaire coupable et, eu égard aux circonstances de l’affaire, condamnée à une peine d’emprisonnement avec sursis de deux ans moins un jour. Puisque l’infraction avait eu lieu avant l’édiction de la Loi sur les armes à feu, le juge a estimé que la peine minimale obligatoire prévue à l’al. 236a) pour l’infraction d’homicide involontaire coupable par suite de l’usage d’une arme à feu ne s’appliquait pas (au par. 124).
84 En outre, les affaires R. c. D.E.C., [1995] B.C.J. No. 1074 (QL) (C.S.), et R. c. Chivers, [1988] N.W.T.R. 134 (C.S.), mettaient elles aussi en cause des femmes battues qui ont été déclarées coupables d’homicide perpétré avec une arme à feu et qui ont reçu un sursis au prononcé de la peine assorti d’une période de probation. Le syndrome de la femme battue ne constituait pas un moyen de défense complet à l’encontre de l’accusation, mais il a néanmoins été pris en considération comme circonstance atténuante au moment de la détermination de la peine.
85 Dans d’autres affaires traitant du syndrome de la femme battue et d’homicides commis avec une arme à feu, les tribunaux ont infligé des peines d’emprisonnement relativement courtes. À titre d’exemple, dans R. c. Pettigrew (1990), 56 C.C.C. (3d) 390 (C.A.C.‑B.), l’accusée a été déclarée coupable d’homicide involontaire coupable résultant d’un acte illégal après avoir accidentellement fait feu sur son époux endormi pendant qu’elle tentait de vider une arme. Bien que l’accusée ait été en état d’ébriété au moment de l’infraction, le tribunal a reconnu qu’elle avait un long passé de violence aux mains de son époux et qu’elle avait tenté de vider l’arme parce qu’elle craignait pour sa sécurité et celle de ses enfants. Elle a été condamnée à six mois d’incarcération, suivis de 12 mois de probation.
86 Un autre type de situation où l’on pourrait conclure que la peine minimale obligatoire de quatre ans prévue à l’al. 220a) contrevient à l’art. 12 est le cas des policiers ou des gardiens de sécurité qui doivent porter des armes à feu dans le cadre de leur emploi et qui, dans l’exercice de leurs fonctions, causent négligemment la mort d’autrui avec leur arme. Il va de soi que ces personnes sont tenues par la loi à une norme de prudence élevée dans l’usage et la manipulation de leurs armes à feu; cependant, il est néanmoins possible d’imaginer que, dans certaines circonstances, un emprisonnement de quatre ans pourrait constituer une peine cruelle et inusitée.
87 Par exemple, un policier a été déclaré coupable de négligence criminelle causant la mort après avoir abattu la victime au cours d’un affrontement entre des manifestants autochtones et la police provinciale en septembre 1995: R. c. Deane, [1997] O.J. No. 3578 (QL) (Div. prov.). Le juge Fraser a infligé une peine d’emprisonnement avec sursis de deux ans moins un jour, à purger au sein de la collectivité, en vertu de la disposition qui venait d’être édictée et autorisait ce genre de peine: art. 742.1 du Code criminel, ajouté par L.C. 1995, ch. 22, art. 6. Le juge Fraser a souligné que si l’infraction avait été perpétrée en septembre 1994, l’accusé n’aurait pas pu bénéficier d’une peine d’emprisonnement avec sursis, et, de même, que si elle avait été commise en septembre 1996, après l’entrée en vigueur des modifications à la Loi sur les armes à feu, l’accusé aurait été passible d’une peine minimale obligatoire de quatre ans, ce qui aurait fait obstacle à l’octroi de l’emprisonnement avec sursis. Fait intéressant, le juge Fraser s’est posé la question de savoir [traduction] «si le législateur s’était demandé s’il était équitable d’assujettir des accusés tels que les policiers ou les gardiens, qui ont des raisons légitimes d’avoir une arme à feu en leur possession, à la même peine minimale prévue par la loi que les autres personnes qui ne sont pas tenues de porter une arme dans le cadre de leur emploi» (par. 21).
88 Quoique je me sois référée à ces scénarios hétéroclites inspirés d’affaires réelles, je ne veux aucunement préjuger de ce qui constituerait une peine appropriée et constitutionnellement valide dans l’un ou l’autre de ces cas. La jurisprudence démontre que les principes et la pratique en matière de détermination de la peine rejettent les approches de compartimentation et privilégient une décision qui tienne compte des circonstances particulières de chaque affaire.
89 L’approche adoptée par mon collègue le juge Gonthier a consisté à considérer certaines affaires réelles comme des cas «limites» non visés par l’approche établie dans l’arrêt Goltz, précité (voir les motifs du juge Gonthier, au par. 32). À mon avis, le problème qui se pose est que la confirmation de la constitutionnalité de l’al. 220a) pour ce motif fait dépendre la constitutionnalité de cette disposition essentiellement du moment où l’affaire est soumise au tribunal. La validité de la disposition sera confirmée jusqu’à ce qu’elle soit contestée dans un cas «limite», ou à tout le moins dans un cas qui aura été perçu comme étant trop marginal pour constituer une hypothèse raisonnable, mais lorsque ce cas se présentera, l’article sera invalidé en application du premier volet de l’analyse établie dans les arrêts Smith et Goltz, situation qui profitera vraisemblablement aux affaires subséquentes. Selon cette approche, il n’est pas clair non plus s’il faut interdire à une personne de contester à nouveau la constitutionnalité de l’article parce que son cas à elle, ou une variante de celui‑ci, a été considéré comme une hypothèse raisonnable par une cour d’appel ou par notre Cour, et a été jugé ne pas constituer une violation de l’art. 12. Un autre problème est l’incertitude touchant la valeur de la décision en tant que précédent applicable à l’égard de tous les types de cas qui n’ont tout simplement pas été envisagés comme des hypothèses raisonnables: voir les motifs du juge Gonthier, au par. 55.
90 Ces considérations n’étaient pas pressantes dans les affaires antérieures, tels les arrêts Smith et Goltz, précités, puisque les types d’infractions en cause comportaient moins de variables et donnaient ouverture à un éventail moins large de peines. Malgré tout, dans l’arrêt Smith, le juge McIntyre a rédigé une vigoureuse dissidence indiquant qu’il désapprouvait le recours à des hypothèses raisonnables dans le cadre de la contestation constitutionnelle d’une peine en vertu de l’art. 12. Le juge McIntyre a reconnu qu’il convenait de permettre aux parties de contester la validité constitutionnelle de mesures législatives qui ne portent pas directement atteinte à leurs droits, dans le but de protéger les droits de tiers qui ne sont peut‑être pas en mesure de contester la législation eux-mêmes, et dont les droits pourraient être affectés, ou qui pourraient être «inhibés» dans l’exercice de ces droits, si les mesures inconstitutionnelles n’étaient pas contestées (aux pp. 1084 et 1085). Cependant, dans l’arrêt Smith, le juge McIntyre n’aurait pas autorisé des parties à invoquer les droits de tiers hypothétiques pour appuyer leur contestation lorsque la loi attaquée «n’interdit à personne d’exercer une activité protégée par la Constitution» (p. 1085).
III. Conclusion
91 Dans l’arrêt Smith, où il avait été admis qu’une peine de huit ans était appropriée dans le cas de l’appelant, notre Cour a jugé, à partir d’une hypothèse raisonnable, que la peine minimale obligatoire de sept ans prévue au par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, ch. N‑1, violait l’art. 12. Par la suite, l’appelant s’est vu infliger une nouvelle peine, de six ans celle‑là, par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, puisque la peine originale, bien que considérée appropriée à l’époque, avait néanmoins été influencée par [traduction] l’«atmosphère créée par la disposition établissant la peine minimale»: R. c. Saulnier (1987), 21 B.C.L.R. (2d) 232, à la p. 244, le juge Seaton.
92 Dans le cas présent, le juge du procès a exprimé l’avis qu’un emprisonnement de trois ans était une peine appropriée. Non seulement suis-je d’avis qu’une peine d’emprisonnement de quatre ans n’est pas exagérément disproportionnée dans les circonstances, mais j’estime également que, même si par suite d’une application stricte des arrêts Smith et Goltz la disposition devait être invalidée du fait que cette peine risque d’être exagérément disproportionnée dans une affaire tout à fait différente dans le futur, il ne conviendrait pas de réduire la peine infligée. Il est loisible au législateur de dicter l’éventail des peines applicables à l’égard de toute infraction, sous réserve seulement des limites établies par la Constitution, en l’espèce la limite imposée par l’art. 12 de la Charte. À mon avis, les tribunaux doivent donner effet aux directives du législateur intimant d’appliquer le plancher prescrit comme peine minimale pour l’infraction, sauf dans les cas où une telle sanction serait exagérément disproportionnée à l’égard d’un délinquant donné.
93 Pour certaines infractions, il est possible aux tribunaux de déterminer une fois pour toutes, avec suffisamment de certitude, si la peine minimale obligatoire est inacceptable sur le plan constitutionnel et, dans l’affirmative, dans quels cas cela se produira. Cela s’est déjà vu dans certaines décisions antérieures de notre Cour. Je ne crois pas que nous soyons en présence d’une tel cas. À mon avis, si notre Cour ne faisait que confirmer la disposition pour les motifs exposés par mon collègue, une telle décision porterait préjudice aux intérêts d’un éventuel accusé qui voudrait démontrer qu’un emprisonnement de quatre ans serait une peine exagérément injuste dans son cas, sans apporter quelque bénéfice sur le plan jurisprudentiel, que ce soit du point de vue de la certitude ou autrement.
94 Dans les cas d’homicide involontaire coupable où la mort a été causée par négligence criminelle et où il y a eu usage d’une arme à feu, je suis d’avis qu’il convient de considérer que la peine minimale obligatoire s’applique dans tous les cas, sauf lorsque son application serait inconstitutionnelle. En un sens, au lieu se lancer à la de recherche de la peine appropriée, le juge qui détermine la peine commence par appliquer la peine minimale obligatoire, sauf s’il est convaincu que cette peine est exagérément disproportionnée dans les circonstances particulières de l’affaire. À mon avis, cette approche est davantage conforme au désir du législateur de voir augmenter le nombre et la durée des peines d’emprisonnement infligées pour ce type d’infraction, tout en donnant effet à l’obligation qui incombe au législateur d’agir à l’intérieur des limites fixées par la Constitution.
95 Pour ces motifs, je rejetterais le pourvoi.
Pourvoi rejeté, sauf en ce qui concerne la peine de l’accusé, qui est réduite pour tenir compte de la période qu’il a passée sous garde avant son procès.
Procureur de l’appelant: Malcolm S. Jeffcock, Truro (Nouvelle-Écosse).
Procureur de l’intimée: Le procureur général de la Nouvelle-Écosse, Halifax.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada: Le sous-procureur général du Canada, Ottawa.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario: Le ministère du Procureur général, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Manitoba: Le ministère de la Justice, Winnipeg.
Procureurs de l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique: Peter W. Ewert et Geoffrey R. Gaul, Victoria.