COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. A.D.H., 2013 CSC 28, [2013] 2 R.C.S. 269
Date : 20130517
Dossier : 34132
Entre :
Sa Majesté la Reine
Appelante
et
A.D.H.
Intimée
- et -
Procureur général de l'Ontario
Intervenant
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis
Motifs de jugement :
(par. 1 à 76)
Motifs concordants quant au résultat :
(par. 77 à 159)
Le juge Cromwell (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Fish, Abella et Karakatsanis)
Le juge Moldaver (avec l'accord du juge Rothstein)
R. c. A.D.H., 2013 CSC 28, [2013] 2 R.C.S. 269
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
A.D.H. Intimée
et
Procureur général de l'Ontario Intervenant
Répertorié : R. c. A.D.H.
2013 CSC 28
N o du greffe : 34132.
2012 : 11 octobre; 2013 : 17 mai.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis.
en appel de la cour d'appel de la saskatchewan
Droit criminel — Abandon d'enfant — Mens rea — Accouchement dans les toilettes d'un magasin à rayons et nouveau‑né laissé dans la cuvette — Témoignage de l'accusée selon lequel elle ignorait être enceinte et elle avait cru l'enfant mort‑né — Acquittement de l'accusée — L'existence de l'élément de faute doit‑elle être déterminée subjectivement ou objectivement? — Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 , art. 214 « “abandonner” ou “exposer” », 218.
L'accusée, qui ignorait auparavant être enceinte, a accouché pendant qu'elle utilisait les toilettes d'un magasin à rayons. Croyant l'enfant mort‑né, elle a nettoyé la cabine de son mieux, puis elle est partie en laissant l'enfant dans la cuvette. Or, ce dernier était vivant, et des gens se sont rapidement occupés de lui. Conduit à l'hôpital, il a été réanimé et déclaré en bonne santé. On a ultérieurement déterminé que l'accusée était la femme qu'on avait vue entrer aux toilettes puis en sortir au moment des faits. Jointe par les policiers, l'accusée a collaboré sans réserve et a confirmé être la mère de l'enfant. Elle a été accusée d'avoir illicitement abandonné un enfant de moins de 10 ans et d'avoir ainsi mis sa vie en danger, contrairement à l' art. 218 du Code criminel .
Le juge du procès a relevé que l'accusée avait reconnu avoir laissé l'enfant aux toilettes, de sorte qu'elle avait ainsi commis l' actus reus de l'infraction prévue à l' art. 218 . Quant à la mens rea , il a déterminé que la faute devait être subjective et a statué que le ministère public n'avait pas prouvé hors de tout doute raisonnable que l'accusée avait eu l'intention d'abandonner son enfant. Elle ne se savait pas enceinte et avait sincèrement cru avoir donné naissance à un enfant mort‑né. Sa frayeur et son effarement expliquaient son comportement après l'accouchement. Le juge du procès a donc déclaré l'accusée non coupable et rejeté l'accusation pesant contre elle. Les juges majoritaires de la Cour d'appel ont convenu avec lui que la faute devait être subjective pour l'application de l' art. 218 du Code criminel .
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
La juge en chef McLachlin et les juges Fish, Abella, Cromwell et Karakatsanis : Le texte de l' art. 218 du Code criminel ne précise pas la nature de la faute requise, mais interprété dans son contexte global, il permet de conclure que la faute doit être subjective. L'un des volets importants du contexte dans lequel il faut interpréter l' art. 218 consiste dans le vœu présumé du législateur qu'un crime s'accompagne d'une faute subjective. Nul élément du texte ou du contexte de la disposition relative à l'abandon d'enfant ne permet de conclure que le législateur a voulu écarter cette présomption, ce que confirment le libellé et l'objectif de la disposition, ainsi que le régime législatif dans lequel elle s'inscrit. Dans la mesure où l'intention du législateur n'est pas claire, la présomption selon laquelle la faute doit être subjective doit s'appliquer sans réserve en l'espèce. À la limite, l'évolution de la disposition qui crée l'infraction d'abandon d'enfant étaye plutôt cette conclusion.
Il ne fait aucun doute que le législateur a créé l'infraction d'abandon afin de protéger les enfants contre le risque de préjudice, que ce risque se réalise ou non. Vu la grande portée de la responsabilité susceptible de découler de l' art. 218 du Code criminel , l'exigence d'une faute subjective joue un rôle important en faisant en sorte que le droit criminel n'ait pas une portée excessive. Bien que les actes et les personnes visés par cet article soient définis de manière générale, l'application d'une norme subjective fait en sorte que seule soit punie la personne ayant un état d'esprit coupable.
Les termes « abandonner », « exposer » et « volontaire » supposent tous que la faute doit être appréciée subjectivement. Les deux premiers ne s'entendent pas seulement du fait qu'une personne laisse un enfant seul ou n'en prend pas soin, mais supposent qu'elle a aussi conscience du risque couru et, suivant la définition qui figure à l' art. 214 du Code criminel , qu'elle agit en étant consciente des conséquences de l'acte d'abandon ou d'exposition prohibé. En ce qui concerne le mot « wilful » employé dans la version anglaise, il ne figure que dans la définition non exhaustive des verbes « abandonner » et « exposer » pour qualifier l'omission, et l'omission qui peut être qualifiée de « wilful » est à l'antithèse du crime qui consiste seulement dans l'inobservation d'une norme de comportement minimale. De même, l'emploi des mots « pouvant l'exposer » à l' art. 214 et « exposée à l'être » à l' art. 218 n'emporte pas l'application d'une norme objective pour établir l'élément de faute, son but étant seulement de criminaliser la création d'un risque.
À l'inverse, l'absence de certains termes dans le libellé de l' art. 218 du Code criminel et dans le régime législatif auquel il appartient tend sérieusement à indiquer que la faute doit être prouvée selon une norme subjective. Le libellé de la disposition relative à l'abandon d'enfant ne renferme aucun des termes dont se sert habituellement le législateur pour créer une infraction dont la perpétration exige une faute objective. L'interdiction est faite à quiconque, et non seulement à un groupe donné se livrant à une activité réglementée ou ayant un lien précis et défini avec la victime alléguée. Aucun élément du libellé ne donne à penser que le législateur a voulu imposer une norme de diligence minimale d'application uniforme. Nulle mention n'est faite d'un comportement « dangereux », « négligent » ou « raisonnable », ou de l'obligation de prendre des « précautions raisonnables ». Il n'y a pas d'infraction sous‑jacente, et nul préjudice réel n'est requis. La disposition ne crée, ne définit et n'impose rien au‑delà de l'obligation, commune à toutes les infractions criminelles, de ne pas commettre l'acte prohibé. Si l'essence même de l'infraction créée à l' art. 215 réside dans l'omission d'une personne de remplir l'obligation qui lui incombe légalement vis‑à‑vis d'une personne ayant un lien particulier avec elle, ce n'est pas du tout le cas de l'infraction d'abandon d'enfant que prévoit l' art. 218 .
Le libellé, le contexte et l'objet de l' art. 218 du Code criminel militent en faveur du caractère subjectif de la faute requise, de sorte que le juge du procès n'a pas eu tort d'acquitter l'intimée au motif qu'une telle faute n'avait pas été prouvée. La Cour d'appel a eu raison de confirmer l'acquittement.
Les juges Rothstein et Moldaver : L' article 218 a pour objet la protection des enfants. Il vise trois catégories de personnes dans la situation où un enfant de moins de 10 ans court ou est susceptible de courir le risque de mourir ou de subir un préjudice permanent. Il appert d'une démarche axée sur le bon sens que l'infraction est fondée sur une obligation et que la négligence pénale correspond au degré de faute requis pour établir la culpabilité à l'égard des conséquences prohibées. Le libellé de la disposition, son emplacement dans le Code criminel , les articles de doctrine s'y rapportant, son évolution et son historique, ainsi que la gravité du crime qu'elle prévoit et la stigmatisation sociale qui y est associée appuient cette conclusion.
Une fois qu'on reconnaît que, en adoptant l' art. 218 , le législateur a voulu prévenir le comportement dangereux qui, aux yeux de toute personne raisonnable, est susceptible de mettre la vie d'un enfant en danger ou d'exposer l'enfant à un préjudice permanent, le bon sens veut que le législateur n'ait pas voulu mettre à la disposition de l'accusé une multitude de moyens de défense fondés sur ses caractéristiques personnelles. En effet, une telle mesure irait à l'encontre de l'objectif de la disposition qui consiste à établir une norme de conduite minimale applicable à tous, étant donné qu'une infraction pour laquelle la faute doit être prouvée subjectivement emporte la prise en compte des caractéristiques personnelles qui sont de nature à établir l'existence ou l'inexistence d'un élément de l'infraction.
Reconnaître que des personnes déjà tenues de protéger l'enfant tombent sous le coup de l' art. 218 fait ressortir la principale faille de la conclusion selon laquelle chacun des éléments constitutifs de l'infraction requiert une mens rea subjective. Si la plupart des personnes ciblées par la disposition ont l'obligation légale, à la fois préexistante et permanente, de prendre soin d'un enfant de moins de 10 ans, il ne semble guère raisonnable d'apprécier leur intention ( mens rea ) au regard d'une norme de preuve subjective alors que, pour les besoins d'une disposition voisine créant une infraction fondée sur une obligation (l' art. 215 (omission de fournir les choses nécessaires à l'existence)), elles sont soumises à la norme de la négligence pénale suivant l'arrêt R. c. Naglik , [1993] 3 R.C.S. 122. Deux normes s'appliqueraient dès lors, l'une objective sous le régime de l' art. 215 , et l'autre subjective sous le régime de l' art. 218 , deux dispositions dont l'objet est similaire, voire identique.
L' article 218 peut recevoir une interprétation téléologique et harmonieuse de manière à ne s'appliquer qu'aux personnes ayant une obligation, qu'elle soit préexistante et permanente ou qu'elle découle de certaines situations, de protéger un enfant de moins de 10 ans contre le risque de décès ou de préjudice permanent. Toutes ces personnes sont alors dûment soumises à une norme objective en ce qui concerne les conséquences prohibées à l' art. 218 . La définition de l' art. 214 ne devrait viser que trois catégories de personnes : (1) celle qui a l'obligation légale, à la fois préexistante et permanente, de prendre soin de l'enfant, (2) celle qui décide de venir en aide à l'enfant qui court ou qui est susceptible de courir le risque de mourir ou de subir un préjudice permanent et (3) celle qui est à l'origine de cette situation. Pareille interprétation de l' art. 218 répond en bonne partie aux craintes liées à la grande portée de la responsabilité criminelle susceptible de découler de cette disposition.
L' article 218 se trouve à la partie VIII du Code criminel sous la rubrique « Devoirs tendant à la conservation de la vie ». Il prévoit l'une des deux infractions figurant sous cette rubrique, l'autre étant celle créée à l' art. 215 . L'emplacement de l' art. 218 milite jusqu'à un certain point en faveur de l'intention du législateur d'y créer une infraction fondée sur une obligation. Il paraît donc inhabituel que le législateur insère une infraction non fondée sur une obligation à la suite de dispositions qui se rapportent toutes à des obligations. L'idée paraît d'autant plus insolite que l' art. 218 vise la conduite intrinsèquement dangereuse qui met en danger la vie et la sécurité de jeunes enfants sans défense, ou les expose à un tel risque, le genre même de situation qui exige l'établissement d'une norme de conduite minimale applicable à tous et appelle le recours à une norme de faute fondée sur la prévisibilité objective. Aussi, le texte même de l' art. 218 , étayé par le rôle des obligations découlant de certaines situations en droit criminel canadien, par la présence de cet article parmi d'autres dispositions du Code criminel qui créent des infractions fondées sur une obligation et par les articles de doctrine portant sur l' art. 218 , mène à la conclusion que l'infraction d'abandon d'enfant est fondée sur une obligation.
L'historique de l' art. 218 étaye la conclusion que la négligence pénale correspond à l'élément de faute requis pour la perpétration de l'infraction. La disposition n'a jamais renfermé de termes propres à une intention subjective, comme le confirment les premières interprétations anglaises de la disposition créant l'infraction. En outre, ni la stigmatisation sociale liée à l'infraction d'abandon d'enfant, ni la gravité de celle‑ci ne justifient de considérer différemment l'art. 218 de sa disposition apparentée, l' art. 215 (omission de fournir les choses nécessaires à l'existence) lorsque la négligence pénale est tenue pour l'élément de faute requis.
Suivant la norme de la négligence pénale, une erreur de fait commise de bonne foi et de manière raisonnable peut constituer un moyen de défense suffisant. Dès lors, l'application d'une mens rea objective n'a pas pour effet de punir la personne moralement innocente. Dans la présente affaire, le juge du procès a estimé que l'intimée avait sincèrement cru son enfant mort‑né et que cette croyance était raisonnable sur le plan objectif. Il l'a donc acquittée sur le fondement d'une erreur commise de bonne foi et de manière raisonnable.
Jurisprudence
Citée par le juge Cromwell
Arrêt examiné : R. c. Naglik , [1993] 3 R.C.S. 122; arrêts mentionnés : R. c. Daviault , [1994] 3 R.C.S. 63; R. c. L.M. , [2000] O.J. No. 5284 (QL); R. c. C.C.D. , [1998] O.J. No. 4875 (QL); R. c. Reedy (No. 2) (1981), 60 C.C.C. (2d) 104; R. c. McIntosh , [2008] O.J. No. 5742 (QL); R. c. Bokane‑Haraszt , 2007 ONCJ 228 (CanLII); R. c. Christiansen , [1997] O.J. No. 5733 (QL); R. c. R. (J.) , 2000 CarswellOnt 5325; R. c. Gosset , [1993] 3 R.C.S. 76; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) , [1998] 1 R.C.S. 27; Pappajohn c. La Reine , [1980] 2 R.C.S. 120; Sweet c. Parsley , [1970] A.C. 132; Watts c. The Queen , [1953] 1 R.C.S. 505; R. c. Rees , [1956] R.C.S. 640; Beaver c. The Queen , [1957] R.C.S. 531; R. c. Sault Ste‑Marie , [1978] 2 R.C.S. 1299; R. c. Prue , [1979] 2 R.C.S. 547; R. c. Bernard , [1988] 2 R.C.S. 833; R. c. Martineau , [1990] 2 R.C.S. 633; R. c. Théroux , [1993] 2 R.C.S. 5; R. c. Lucas , [1998] 1 R.C.S. 439; R. c. Beatty , 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général) , 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471; R. c. White (1871), L.R. 1 C.C.R. 311; R. c. Downes (1875), 1 Q.B.D. 25; R. c. Senior , [1899] 1 Q.B. 283; R. c. Renshaw (1847), 2 Cox C.C. 285; R. c. Hogan (1851), 2 Den. 277; R. c. Falkingham (1870), L.R. 1 C.C.R. 222; R. c. Boulden (1957), 41 Cr. App. R. 105; Re Davis (1909), 18 O.L.R. 384; R. c. Buzzanga (1979), 25 O.R. (2d) 705; R. c. L.B. , 2011 ONCA 153, 274 O.A.C. 365, autorisation d'appel refusée, [2011] 3 R.C.S. x; R. c. Keegstra , [1990] 3 R.C.S. 697; R. c. Hundal , [1993] 1 R.C.S. 867; R. c. Roy , 2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60; R. c. Finlay , [1993] 3 R.C.S. 103; R. c. DeSousa , [1992] 2 R.C.S. 944; R. c. Creighton , [1993] 3 R.C.S. 3; R. c. Chartrand , [1994] 2 R.C.S. 864; R. c. Anderson , [1990] 1 R.C.S. 265; R. c. J.F. , 2008 CSC 60, [2008] 3 R.C.S. 215; R. c. Holzer (1988), 63 C.R. (3d) 301.
Citée par le juge Moldaver
Arrêt examiné : R. c. Naglik , [1993] 3 R.C.S. 122; arrêts mentionnés : R. c. Hinchey , [1996] 3 R.C.S. 1128; R. c. DeSousa , [1992] 2 R.C.S. 944; R. c. Creighton , [1993] 3 R.C.S. 3; R. c. Lohnes , [1992] 1 R.C.S. 167; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society , [1992] 2 R.C.S. 606; R. c. Browne (1997), 33 O.R. (3d) 775; R. c. Nicholls (1874), 13 Cox C.C. 75; R. c. Instan , [1893] 1 Q.B. 450; R. c. Salmon (1880), 6 Q.B.D. 79; R. c. Coyne (1958), 124 C.C.C. 176; R. c. Miller , [1983] 1 All E.R. 978; R. c. Lucas , [1998] 1 R.C.S. 439; R. c. White (1871), L.R. 1 C.C.R. 311; R. c. Beatty , 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49; R. c. Roy , 2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60; R. c. Senior , [1899] 1 Q.B. 283; R. c. Buzzanga (1979), 25 O.R. (2d) 705; R. c. L.B. , 2011 ONCA 153, 274 O.A.C. 365, autorisation d'appel refusée, [2011] 3 R.C.S. x; Leary c. La Reine , [1978] 1 R.C.S. 29; R. c. George , [1960] R.C.S. 871; R. c. Daviault , [1994] 3 R.C.S. 63; R. c. Daley , 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523.
Lois et règlements cités
Acte concernant les crimes et délits contre les personnes , S.R.C. 1886, ch. 162, art. 20.
Acte concernant les offenses contre la Personne , S.C. 1869, ch. 20, art. 25, 26.
Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , art. 33.1 , partie VIII, 214 « “abandonner” ou “exposer” », 215, 216, 217, 217.1, 218, 219, 220, 221, 266, 269, 298, 300.
Code criminel , S.C. 1953-54, ch. 51, art. 185 « “abandonner” ou “exposer” ».
Code criminel, 1892 , S.C. 1892, ch. 29, art. 209 à 211, 216.
Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d'autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve au Canada , L.C. 2005, ch. 32, art. 11, 12.
Offences against the Person Act, 1861 (R.‑U.), 24 & 25 Vict., ch. 100, art. 27.
Poor Law Amendment Act, 1868 (R.‑U.), 31 & 32 Vict., ch. 122, art. 37.
Prevention of Cruelty to, and Protection of, Children Act, 1889 (R.‑U.), 52 & 53 Vict., ch. 44, art. 1, 18.
Prevention of Cruelty to Children Act, 1894 (R.‑U.), 57 & 58 Vict., ch. 41, art. 1.
Doctrine et autres documents cités
Colvin, Eric, and Sanjeev Anand. Principles of Criminal Law , 3rd ed. Toronto : Thomson Carswell, 2007.
Côté, Pierre‑André, avec la collaboration de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat. Interprétation des lois , 4 e éd. Montréal : Thémis, 2009.
Cross, Rupert. Statutory Interpretation , 3rd ed. by John Bell and George Engle. London : Butterworths, 1995.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes , 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.
Grand Robert de la langue française (en ligne), « abandonner », « déserter », « exposer ».
Manning, Morris, and Peter Sankoff. Manning, Mewett & Sankoff : Criminal Law , 4th ed. Markham, Ont. : LexisNexis, 2009.
Ormerod, David. Smith and Hogan's Criminal Law , 13th ed. Oxford : Oxford University Press, 2011.
Oxford English Dictionary , 2nd ed. Oxford : Clarendon Press, 1989.
Roach, Kent. « Common Law Bills of Rights as Dialogue Between Courts and Legislatures » (2005), 55 U.T.L.J. 733.
Roach, Kent. Criminal Law , 5th ed. Toronto : Irwin Law, 2012.
Stuart, Don. Canadian Criminal Law : A Treatise , 6th ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 2011.
Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes , 4th ed. Markham, Ont. : Butterworths, 2002.
Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes , 5th ed. Markham, Ont. : LexisNexis, 2008.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Saskatchewan (les juges Richards, Smith et Ottenbreit), 2011 SKCA 6, 366 Sask. R. 123, 266 C.C.C. (3d) 101, 81 C.R. (6th) 303, [2011] 6 W.W.R. 10, 506 W.A.C. 123, [2011] S.J. No. 5 (QL), 2011 CarswellSask 10, qui a confirmé l'acquittement prononcé par le juge Gabrielson, 2009 SKQB 261, 335 Sask. R. 173, 68 C.R. (6th) 74, [2009] S.J. No. 362 (QL), 2009 CarswellSask 388. Pourvoi rejeté.
Beverly L. Klatt et W. Dean Sinclair , pour l'appelante.
Valerie N. Harvey , pour l'intimée.
Gillian Roberts et Jamie Klukach , pour l'intervenant.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Fish, Abella, Cromwell et Karakatsanis rendu par
Le juge Cromwell —
I. Survol et question en litige
[1] L'infraction criminelle est généralement constituée d'un acte prohibé (l' actus reus ) et de l'élément de faute requis (la mens rea ). Le pourvoi porte sur l'infraction d'abandon d'enfant que prévoit l' art. 218 du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 (« Code »). La disposition criminalise l'acte d'abandonner ou d'exposer un enfant de moins de 10 ans de manière que sa vie soit effectivement mise en danger (ou exposée à l'être), ou que sa santé soit effectivement compromise de façon permanente (ou exposée à l'être). (Le texte intégral de la disposition est reproduit en annexe.) Le litige a pour objet l'élément moral de l'infraction : la faute doit‑elle être appréciée subjectivement ou objectivement?
[2] Une histoire bouleversante, qui s'est heureusement bien terminée, est à l'origine de l'instance. L'intimée, qui ne se savait pas enceinte, a donné naissance à un garçon dans les toilettes d'un magasin Wal‑Mart. Croyant l'enfant mort, elle est partie en le laissant dans la cuvette, après avoir nettoyé la cabine de son mieux. Des gens se sont rapidement occupés du nouveau‑né, qui était vivant, et tout porte à croire que ce dernier est aujourd'hui un petit garçon bien portant. Le juge du procès a cru l'intimée lorsqu'elle a affirmé n'avoir appris sa grossesse qu'à la naissance de l'enfant et avoir cru que celui‑ci était mort lorsqu'elle l'avait laissé aux toilettes. Ainsi, la question qui importe en l'espèce est celle de savoir si l'existence de l'élément de faute requis doit être déterminée en fonction de ce que l'intimée savait réellement ou de ce qu'une personne raisonnable aurait su et fait.
[3] En règle générale, lorsque l'élément de faute est apprécié subjectivement, on s'attache à ce dont l'accusé avait réellement conscience : savait‑il que l'abandon de l'enfant compromettrait sa vie ou sa santé? Si, comme elle le prétend, l'intimée croyait l'enfant mort lorsqu'elle l'a abandonné, elle ignorait que son abandon risquait de compromettre sa vie ou sa santé. Toujours en règle générale, lorsque l'élément de faute est apprécié objectivement, on ne se demande pas ce que l'accusé savait réellement, mais bien si une personne raisonnable s'étant trouvée dans la même situation aurait eu conscience du risque et si le comportement de l'accusé s'écarte de façon marquée de ce qu'une personne raisonnable aurait fait. Dès lors, si le tribunal est convaincu qu'une personne raisonnable aurait eu conscience du risque que présentait l'abandon de l'enfant dans les circonstances et qu'il conclut que le comportement de l'accusé s'écarte de façon marquée de celui auquel on se serait attendu d'une personne raisonnable, l'élément de faute requis est établi même si, dans les faits, l'accusé n'a pas eu conscience du risque.
[4] La question à trancher est donc la suivante :
• L' article 218 du Code exige‑t‑il, comme le prétend l'intimée, la preuve que l'accusé savait que les actes d'abandon ou d'exposition reprochés faisaient en sorte que la vie de l'enfant soit effectivement mise en danger ou exposée à l'être ou que sa santé soit effectivement compromise de façon permanente ou exposée à l'être? Ou, comme le prétend le ministère public, l'élément de faute est‑il établi par la preuve que le comportement de l'accusé s'écarte de façon marquée de celui auquel on s'attendrait d'une personne raisonnable se trouvant dans la même situation et que le risque pour la vie ou la santé de l'enfant constituait une conséquence prévisible par une telle personne?
[5] Comme je l'explique ci‑après, je conviens avec l'intimée que le juge du procès et les juges majoritaires de la Cour d'appel ont eu raison d'appliquer une norme subjective. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi du ministère public.
II. Faits et historique judiciaire
A. Aperçu des faits
[6] Le 21 mai 2007, dans les toilettes d'un magasin Wal‑Mart, des femmes ont remarqué une mare de sang sur le plancher de l'une des cabines et ont entendu une jeune femme — l'intimée — geindre à l'intérieur. Elles ont alerté le personnel du magasin, mais lorsqu'une gérante adjointe a demandé à la jeune femme comment elle allait, celle‑ci a répondu que tout allait bien.
[7] Peu de temps après, une cliente a dit avoir vu le bras d'un bébé dépasser de la cuvette dans la cabine qu'avait utilisée la jeune femme. D'autres clientes avaient alors vu le bébé, mais toutes l'avaient cru mort. Lorsque le gérant du magasin est entré dans les toilettes pour voir ce qui se passait, il a remarqué qu'une des jambes du bébé s'était mise à bouger. Il a retiré le bébé de la cuvette. Une équipe d'intervention d'urgence a été appelée. Le bébé, A.J.H., a été transporté à l'hôpital, où il a été réanimé et déclaré en pleine santé.
[8] Après que la police eut transmis aux différents médias les bandes vidéo des caméras de surveillance du magasin, on a déterminé que l'intimée était celle qui était entrée aux toilettes et en était sortie au moment des faits. Lorsque la police a communiqué avec elle, l'intimée a collaboré sans réserve et confirmé être la mère de l'enfant. Elle a été accusée d'avoir abandonné illicitement un enfant de moins de 10 ans et d'avoir ainsi mis sa vie en danger, contrairement à l' art. 218 du Code .
[9] L'intimée, qui avait alors 22 ans et vivait avec son petit ami et leur bébé, S.K., a témoigné à son procès. Avant la naissance d'A.J.H., elle avait pris du poids et avait donc fait trois tests de grossesse maison, tous négatifs. Elle ne croyait pas être enceinte car elle avait eu ses règles tous les mois avant la naissance. À son arrivée au magasin Wal‑Mart, elle s'est sentie mal et s'est donc rendue aux toilettes. À son étonnement, elle a accouché une minute ou deux plus tard. Elle n'a pas essayé de prendre le bébé, car il était tout bleu et elle le croyait mort. Effrayée, elle a décliné les offres d'aide et s'est abstenue de dire à quiconque ce qui s'était passé. Après avoir tenté d'éponger le sang répandu par terre, elle est retournée à la voiture de son ami.
[10] Lorsqu'elle a appris que les policiers la recherchaient, l'intimée a dit à sa mère que c'était elle la femme qui avait accouché dans le magasin. Lorsqu'elle a su que le bébé était vivant, elle a voulu le voir sans délai. L'enfant vit aujourd'hui avec sa grand‑mère maternelle, et l'intimée lui rend visite presque tous les jours. L'intimée a déclaré qu'il lui avait fallu cinq ou six mois pour se rendre compte qu'elle était enceinte de son deuxième enfant, S.K.
B. Cour du Banc de la Reine , 2009 SKQB 261, 335 Sask. R. 173 (le juge Gabrielson)
[11] Le juge du procès relève que l'intimée a reconnu avoir laissé son enfant dans les toilettes du magasin Wal‑Mart, de sorte qu'elle a ainsi commis l' actus reus de l'infraction prévue à l' art. 218 . S'agissant de l'élément de faute, le juge du procès opine que la faute doit être subjective. Il formule donc comme suit la question à trancher : [ traduction ] « . . . l'accusée [. . .] a‑t‑elle eu l'intention d'abandonner A.J.H., le nouveau‑né, ou, consciente des faits et des circonstances, a‑t‑elle fait preuve d'insouciance, ou a‑t‑elle ignoré volontairement ces faits et ces circonstances » (par. 15)?
[12] Le juge du procès répond par la négative et conclut que le ministère public n'a pas prouvé hors de tout doute raisonnable que l'intimée avait eu l'intention d'abandonner son enfant (par. 23-26). Le témoignage de l'accusée était digne de foi. Elle ne savait pas qu'elle était enceinte et elle croyait sincèrement avoir accouché d'un enfant mort‑né. Sa frayeur et son effarement expliquaient son comportement ultérieur. Le juge du procès se fonde également sur le témoignage du D r Simpson selon lequel, [ traduction ] « [c]omme l'accusée ignorait sa grossesse et que la naissance est survenue prématurément et rapidement, on peut concevoir que l'accusée ait cru l'enfant mort et qu'elle ait été effrayée ou en proie à la panique, qu'elle n'ait pas demandé d'aide et qu'elle ait quitté immédiatement les lieux » (par. 24). Le juge du procès déclare donc l'intimée non coupable et rejette l'accusation (par. 26).
C. Cour d'appel , 2011 SKCA 6, 366 Sask. R. 123 (les juges Richards, Smith et Ottenbreit)
[13] Le juge Richards (avec l'accord de la juge Smith) convient avec le juge du procès que l' art. 218 du Code exige la preuve d'une faute subjective, ce que confirme son analyse détaillée du libellé et du contexte de la disposition. Le juge Ottenbreit conclut pour sa part qu'il y a lieu d'appliquer une norme objective, mais qu'une erreur de fait commise de bonne foi et de manière raisonnable peut constituer un moyen de défense. Il estime que l'intimée a agi sur le fondement de la croyance erronée mais raisonnable que son enfant était mort et il conclut que le verdict d'acquittement du juge du procès doit être confirmé pour ce motif.
III. Résumé des thèses des parties
[14] Le ministère public appelant soutient que l'élément de faute de l'infraction d'abandon d'enfant doit être apprécié [ traduction ] « objectivement » en fonction de ce qu'on appelle la norme de la « négligence pénale », tandis que l'intimée prétend que l'existence de cet élément doit être appréciée subjectivement, comme l'affirment le juge du procès et les juges majoritaires de la Cour d'appel.
[15] Suivant la norme de la négligence pénale, le ministère public doit en l'espèce prouver deux choses pour établir l'élément de faute : premièrement, qu'une personne raisonnable s'étant trouvée dans la même situation aurait pu prévoir que les actes de l'intimée mettraient l'enfant en danger et, deuxièmement, que le comportement de l'intimée s'écartait de façon marquée de celui auquel on se serait attendu d'une personne raisonnable dans les mêmes circonstances. La négligence pénale correspond à l'élément de faute requis aux fins de l'infraction prévue à l' art. 215 du Code , qui consiste à ne pas fournir à un enfant les choses nécessaires à son existence, et le ministère public affirme que la même norme s'applique en l'espèce à l'égard de la faute.
[16] Par ailleurs, établir l'élément de faute requis selon une norme subjective pour les besoins de l'infraction prévue par l' art. 218 du Code exige tout au moins de prouver que l'accusée a agi avec insouciance, c'est‑à‑dire qu'elle a persisté dans sa conduite malgré sa conscience du risque. Bien entendu, la faute subjective peut également s'entendre d'autres états d'esprit, dont l' intention que certaines conséquences s'ensuivent, le fait de savoir que ces conséquences s'ensuivront ou l' aveuglement volontaire , soit l'omission délibérée de s'enquérir des conséquences alors qu'on sait qu'il faudrait le faire. Or, en l'espèce, le risque couru (« [est] exposée à l'être ») fait partie des conséquences mentionnées dans la définition de l'infraction, à savoir mettre « effectivement » la vie de l'enfant en danger ou l'y « expos[er] » ou compromettre « effectivement » et de façon permanente sa santé, ou l'y « exposer ». Puisque la définition de l'infraction englobe la notion de risque pour la vie ou la santé, une norme subjective exige du ministère public qu'il démontre que l'accusée a tout au moins agi avec insouciance, c'est‑à‑dire qu'elle était consciente du risque pour la vie ou la santé de l'enfant. (Il lui suffirait par ailleurs d'établir l'aveuglement volontaire, mais celui‑ci n'a pas été invoqué en l'espèce. La question de l'intoxication volontaire ne se pose pas non plus et n'a donc pas été abordée. Il ne me paraît ni nécessaire ni souhaitable de conjecturer sur les différentes questions qui se poseraient si ce moyen de défense avait été opposé à la perpétration alléguée de cette infraction d'intention générale. Mentionnons simplement, à titre d'exemple, qu'il faudrait alors déterminer entre autres si le raisonnement suivi dans l'arrêt R. c. Daviault , [1994] 3 R.C.S. 63, vaut, si son application différerait ou devrait différer selon que la perpétration de l'infraction suppose une faute subjective ou objective et si l'infraction d'abandon d'enfant tombe sous le coup de l'exclusion du moyen de défense de l'intoxication volontaire que prévoit le par. 33.1(3) du Code relativement aux infractions dont l'un des éléments constitutifs est l'atteinte ou la menace d'atteinte à l'intégrité physique d'une personne.)
[17] L'intimée fait valoir subsidiairement que même si la faute requise est de nature objective, le pourvoi doit malgré tout être rejeté parce qu'elle a agi sur la foi d'une erreur de fait raisonnable, à savoir que l'enfant était mort lorsqu'elle l'a laissé au magasin. Point n'est besoin de statuer sur cette prétention vu ma conclusion que la faute requise est subjective et que, par conséquent, le juge du procès n'a pas eu tort d'acquitter l'intimée au motif que l'élément de faute requis n'avait pas été établi.
IV. Analys e
A. Introduction
[18] Notre Cour ne s'est jamais penchée sur l'élément de faute requis dans le cas d'un abandon d'enfant, et les quelques décisions d'autres tribunaux sur le sujet ne règlent pas la question. La norme subjective a été retenue dans certaines affaires : R. c. L.M ., [2000] O.J. No. 5284 (QL) (C.J.), par. 49; R. c. C.C.D. , [1998] O.J. No. 4875 (QL) (C.J. (Div. prov.)), par. 24‑30; R. c. Reedy (No. 2) (1981), 60 C.C.C. (2d) 104 (c.j.c.j.c.d. Ont.), p. 106‑108. Dans d'autres, le tribunal a eu recours à une norme objective ou ne s'est pas prononcé clairement sur la norme applicable : R. c. McIntosh , [2008] O.J. No. 5742 (QL) (C.J.), par. 32‑33; R. c. Bokane‑Haraszt , 2007 ONCJ 228 (CanLII), par. 25‑26; R. c. Christiansen , [1997] O.J. No. 5733 (QL) (C.J. (Div. prov.)), par. 8 et 18‑19; R. c. R. (J.) , 2000 CarswellOnt 5325 (C.J.).
[19] Puisque la jurisprudence actuelle ne permet pas de trancher, il nous faut « dégager l'intention du législateur, eu égard à l'objet de la disposition et aux principes applicables d'interprétation des lois » : R. c. Gosset , [1993] 3 R.C.S. 76, p. 89. Par conséquent, nous devons interpréter les termes utilisés dans la loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, son objet et l'intention du législateur : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) , [1998] 1 R.C.S. 27, p. 41 (citant E. Driedger, Construction of Statutes (2 e éd. 1983), p. 87).
B. Interprétation législative et norme applicable en matière de faute
[20] Il est souvent difficile de dégager l'intention du législateur en ce qui concerne l'élément de faute d'un crime. Le libellé d'infractions dont on reconnaît depuis longtemps que la perpétration exige une faute subjective ne l'indique pas expressément, et même lorsque le législateur précise quelle norme s'applique, il ne le fait pas de manière uniforme : M. Manning et P. Sankoff, Manning, Mewett & Sankoff : Criminal Law (4 e éd. 2009), p. 148-149. Les tribunaux doivent donc inférer la nature de l'élément de faute, et ils le font souvent : voir, p. ex., Pappajohn c. La Reine , [1980] 2 R.C.S. 120, le juge Dickson (plus tard Juge en chef), p. 146; Sweet c. Parsley , [1970] A.C. 132 (H.L.), lord Reid, p. 148; K. Roach, Criminal Law (5 e éd. 2012), p. 163‑164.
[21] À mon sens, il s'agit en l'espèce d'un tel cas. Le libellé de la disposition ne précise pas la nature de la faute requise, mais interprété dans son contexte global, il étaye la conclusion que la faute doit être subjective. J'entreprends mon analyse en me penchant sur une présomption importante qui s'applique en l'espèce à l'intention du législateur, puis j'examinerai l'objet et le texte de la disposition, ainsi que le régime législatif établi. Ce faisant, j'expliquerai pourquoi il faut à mon avis rejeter la thèse du ministère public selon laquelle la norme de la négligence pénale s'applique à l'infraction.
C. Le contexte général
[22] J'examine trois éléments du contexte général de la disposition créant l'infraction d'abandon d'enfant : la présomption que le législateur a voulu l'application d'une norme subjective, l'évolution de la disposition et, enfin, son objet.
1. L'intention présumée du législateur
[23] Le vœu présumé du législateur qu'un crime s'accompagne d'une faute subjective constitue un volet important du contexte dans lequel nous devons interpréter l' art. 218 . Notre Cour a énoncé ce principe d'interprétation et y a recouru à nombre d'occasions : voir, p. ex., Watts c. The Queen , [1953] 1 R.C.S. 505, p. 511; R. c. Rees , [1956] R.C.S. 640, p. 652; Beaver c. The Queen , [1957] R.C.S. 531, p. 542‑543; R. c. Sault Ste-Marie , [1978] 2 R.C.S. 1299, p. 1303 et 1309‑1310; R. c. Prue , [1979] 2 R.C.S. 547, p. 551 et 553; R. c. Bernard , [1988] 2 R.C.S. 833, p. 871; R. c. Martineau , [1990] 2 R.C.S. 633, p. 645; R. c. Théroux , [1993] 2 R.C.S. 5, p. 18; R. c. Lucas , [1998] 1 R.C.S. 439, par. 64. Selon moi, l'énoncé classique est celui du juge Dickson (plus tard Juge en chef) au nom de la Cour dans Sault Ste-Marie :
Dans le cas de crimes véritables, il existe la présomption que nul ne doit être tenu responsable de son acte illicite, s'il est fait sans mens rea . . .
. . . Dans le cas d'une infraction criminelle, le ministère public doit établir un élément moral, savoir que l'accusé qui a commis l'acte prohibé l'a fait intentionnellement ou sans se soucier des conséquences, en étant conscient des faits constituant l'infraction ou en refusant volontairement de les envisager. L'élément moral exigé pour qu'il y ait [déclaration de culpabilité] exclut la simple négligence. Dans le contexte d'une poursuite criminelle, est innocente aux yeux de la loi la personne qui néglige de demander les renseignements dont s'enquerrait quelqu'un de raisonnable et de prudent ou qui ne connaît pas des faits qu'elle devrait connaître. [Renvois omis; p. 1303 et 1309‑1310.]
[24] Le ministère public soutient néanmoins qu'on ne saurait présumer que telle est l'intention du législateur car le principe ne s'applique pas toujours. Il signale en effet que, dans le Code , de nombreuses infractions n'exigent pas de faute subjective et que la symétrie parfaite entre l'élément de faute et les conséquences prohibées n'est pas une condition absolue. À mon sens, toutefois, les éléments qu'il avance ne réfutent pas l'existence de l'intention présumée du législateur. Ils montrent seulement que la présomption ne détermine pas invariablement l'issue de l'interprétation qui tient compte de tout le contexte de la disposition et de l'objet de celle‑ci.
[25] Les présomptions d'intention du législateur n'équivalent pas à des règles d'application automatique. Il s'agit plutôt de principes d'interprétation. Elles ne dictent pas à elles seules le résultat de l'interprétation, mais énoncent plutôt les principes généraux qui président à celle‑ci. Comme le fait remarquer la professeure Sullivan, les présomptions d'intention du législateur, comme celle considérée en l'espèce, permettent au tribunal de reconnaître des valeurs importantes et de les intégrer au contexte juridique dans lequel une loi est rédigée puis doit être interprétée. Ces valeurs guident le tribunal dans l'interprétation d'une loi et se révèlent importantes en présence d'interprétations contradictoires : R. Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4 e éd. 2002), p. 365.
[26] Le professeur Côté précise la manière dont ces présomptions peuvent éclairer le contexte juridique dans lequel une loi a été rédigée. Il s'exprime comme suit : « Les présomptions d'intention du législateur, dans une certaine mesure, font partie du contexte d'énonciation des textes législatifs en ce sens qu'elles représentent des idées qu'on peut supposer présentes à l'esprit de l'auteur du texte et que ce dernier a dû présumer suffisamment connues de son auditoire pour se justifier de n'en pas parler » : P.-A. Côté, en collaboration avec S. Beaulac et M. Devinat, Interprétation des lois (4 e éd. 2009), p. 510‑511; voir aussi R. Cross, Statutory Interpretation (3 e éd. 1995), sous la dir. de J. Bell et G. Engle, p. 165‑167, et K. Roach, « Common Law Bills of Rights as Dialogue Between Courts and Legislatures » (2005), 55 U.T.L.J. 733. Il faut considérer que le législateur sait que cette présomption s'appliquera sauf intention contraire ressortant de la loi.
[27] Présumer le caractère subjectif de la faute requise lorsque plusieurs interprétations s'opposent traduit une valeur importante qui sous‑tend notre droit criminel. On a judicieusement parlé de l'un des « principes présumés régir la justice pénale » : R. c. Beatty , 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49, la juge Charron, par. 22‑23. Bien que la présomption doive céder le pas à l'intention différente clairement exprimée par le législateur — ce qui se produit fréquemment —, elle introduit néanmoins une valeur importante dans notre droit criminel, à savoir que la personne moralement innocente ne doit pas être punie. Nul ne l'a peut‑être jamais aussi bien exprimé que le juge Dickson dans Pappajohn , p. 138‑139 :
Notre système de justice criminelle repose sur le principe qu'un homme ne peut être déclaré coupable et se voir imposer une peine, à moins que la perpétration du crime ne découle d'un acte volontaire. [. . .] Le Parlement peut, bien sûr, en termes exprès, créer des infractions criminelles pour lesquelles une intention coupable n'est pas un élément essentiel. De même, la mens rea n'est pas requise pour un grand nombre d'infractions créées par la loi relativement au bien‑être, à la santé et à la sécurité publique. Sous réserve de ces exceptions, la poursuite doit établir la mens rea, c'est‑à‑dire un état d'esprit positif, comme l'intention malveillante, ou la connaissance du caractère fautif de l'acte, ou l'indifférence insouciante quant à ses conséquences.
[28] Vue sous cet angle, la présomption d'une faute de nature subjective n'est pas une règle d'interprétation obsolète qui va à l'encontre de l'interprétation législative moderne maintes fois avalisée par la Cour. Au contraire, elle fait partie du contexte qui, suivant l'approche moderne, doit être examiné.
[29] Comme je l'explique plus loin, nul élément du libellé ou du contexte de l'infraction d'abandon d'enfant ne permet de conclure que le législateur a voulu l'application d'une autre norme de faute que la subjective. En fait, le texte et l'objet de la disposition, ainsi que le régime législatif établi, étayent le point de vue selon lequel la faute doit être subjective. Dans la mesure où l'intention du législateur n'est pas claire, en l'espèce la présomption selon laquelle la faute doit être subjective doit s'appliquer sans réserve.
2. L'évolution législative
[30] L'évolution et l'historique législatifs constituent souvent des éléments importants du contexte à considérer pour interpréter une loi selon la démarche moderne d'interprétation : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général) , 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, par. 43. Le ministère public a exposé en détail les origines anglaises de l'actuel art. 218 et son évolution au Canada. Toutefois, je ne me penche que brièvement sur ce point car, à mon avis, ces données ne contribuent guère à la résolution de la question en litige.
[31] Il appert que, dès le début, deux interdictions s'appliquaient, l'une visant l'abandon ou l'exposition d'un enfant qui met sa vie en danger ou qui compromet sa santé, et l'autre liée au manquement à l'obligation de fournir à autrui les choses nécessaires à l'existence, dans le cadre de certaines relations.
[32] L'infraction d'abandon semble avoir pour origine l'art. 27 de la loi anglaise intitulée The Offences against the Person Act, 1861 , 24 & 25 Vict., ch. 100, qui a créé l'infraction mineure d'abandon ou d'exposition illicite d'un enfant de moins de deux ans [ traduction ] « de manière à mettre sa vie en danger ou à compromettre sa santé de façon permanente, ou à l'exposer à ces risques ». Les premières décisions rendues ne précisent pas si la faute doit être subjective ou objective, mais elles donnent à penser qu'elle serait subjective : voir, p. ex., R. c. White (1871), L.R. 1 C.C.R. 311, le juge en chef Bovill, p. 313, et le juge Blackburn, p. 314.
[33] L'infraction d'omission de fournir les choses nécessaires à l'existence semble s'originer de la loi anglaise intitulée The Poor Law Amendment Act, 1868 , 31 & 32 Vict., ch. 122. Suivant l'art. 37 de cette loi, commettait une infraction le père ou la mère qui [ traduction ] « néglig[eait] délibérément de fournir à son enfant âgé de moins de quatorze ans et dont il avait la garde, la nourriture, les vêtements, les soins médicaux ou l'hébergement dont il avait besoin, de manière à compromettre gravement la santé de l'enfant ou à l'exposer à ce risque ». La faute nécessaire à la perpétration de cette infraction paraît être objective : R. c. Downes (1875), 1 Q.B.D. 25 , le baron Bramwell, p. 30.
[34] Le législateur anglais semble avoir regroupé les deux infractions à l'article premier de la Prevention of Cruelty to, and Protection of, Children Act, 1889 , 52 & 53 Vict., ch. 44, qui a remplacé l'art. 37 de la Poor Law Amendment Act,1868 (lequel était lui‑même abrogé par l'art. 18 de la loi de 1889). Aux termes de l'article premier, commettait une infraction mineure toute personne de plus de 16 ans qui, ayant la garde d'un garçon de moins de 14 ans ou d'une fille de moins de 16 ans, ou en assurant la surveillance, maltraitait, négligeait, abandonnait ou exposait [ traduction] « délibérément » l'enfant de manière à lui causer des souffrances inutiles ou à compromettre sa santé. Là encore, la nature de la faute n'est pas très claire. Dans R. c. Senior , [1899] 1 Q.B. 283, le tribunal a approuvé les directives données au jury qui semblaient ne privilégier ni une norme objective ni une norme subjective.
[35] Au Canada, l'infraction d'abandon et celle d'omission de fournir les choses nécessaires à l'existence ont toujours fait l'objet de dispositions distinctes. L'infraction d'abandon d'enfant a vu le jour en 1869 : Acte concernant les offenses contre la Personne , S.C. 1869, ch. 20, art. 26. L'infraction d'omission de fournir les choses nécessaires à l'existence était prévue à l'art. 25 de cette loi et pouvait être perpétrée par une personne ayant une « obligation légale » envers une autre. Entre 1869 et 1892, la disposition créant l'infraction d'abandon ne faisait état d'aucune obligation : Acte concernant les offenses contre la Personne (1869), art. 26; Acte concernant les crimes et délits contre les personnes , S.R.C. 1886, ch. 162, art. 20. Il ressort donc de l'évolution législative initiale que la disposition n'a pas créé une infraction fondée sur une obligation, ce qui porte à croire qu'une intention subjective était requise.
[36] En 1892, les deux infractions ont été incorporées à la première version du Code ( Code criminel, 1892 , S.C. 1892, ch. 29). L'infraction d'abandon se trouvait à l'art. 216, et celle d'omission de fournir les choses nécessaires à l'existence, aux art. 209 à 211. La disposition relative à l'abandon s'apparentait alors à celle qui existe actuellement. Toutefois, elle ne visait que les enfants de moins de deux ans dont la vie était mise en danger ou la santé irrémédiablement compromise, alors que la disposition actuelle s'applique dès qu'il y a risque de tels préjudices. Une définition non exhaustive des verbes « abandonner » et « délaisser » a été ajoutée en 1892. [Le verbe « délaisser » a ultérieurement été remplacé par « exposer »; dans la version anglaise, le verbe « expose » a toujours été employé.] Le législateur a renvoyé à une obligation pour la première fois, mais seulement en liaison avec une omission. Suivant leur définition, « abandonner » et « délaisser » comprennent « l'omission volontaire de prendre soin d'un enfant de la part d'une personne légalement tenue de le faire ».
[37] Aux termes de la définition non exhaustive ajoutée en 1892, les verbes s'entendaient également de « toute manière de [. . .] traiter [l'enfant] de nature à le laisser exposé à quelque danger sans protection ». L'emploi de l'expression « de nature à » ne me paraît pas très révélateur, mais, à la limite, on pourrait inférer de l'expression équivalente anglaise « calculated to » que la faute devait être subjective. D'ailleurs, dans la décision anglaise White mentionnée précédemment, le tribunal semble avoir exigé la preuve d'une faute subjective pour établir la perpétration de l'infraction anglaise équivalente à notre infraction d'abandon. En 1954, les mots « de nature à » ont été remplacés par « exposée à l'être », de sorte que le texte de la disposition était le même que celui d'aujourd'hui : Code criminel , S.C. 1953‑54, ch. 51, art. 185. Je n'accorde pas beaucoup d'importance à cette modification. Selon le Grand Robert de la langue française (en ligne), « de nature à » et « exposée à l'être » sont équivalents et, selon l' Oxford English Dictionary (2 e éd. 1989), « calculated to » et « likely to » (employé en anglais pour rendre « exposée à l'être ») pouvaient, surtout aux 18 e et 19 e siècles, être employés l'un pour l'autre. Quoi qu'il en soit, les deux expressions sont compatibles avec l'intention du législateur d'exiger la preuve d'une faute subjective, bien qu'on puisse voir dans l'emploi des mots « de nature à » (« calculated to ») l'exigence d'une intention spécifique et dans l'emploi des mots « exposée à l'être » (« likely to ») l'exigence d'une intention générale.
[38] Tout bien considéré, j'estime que, à la limite, l'évolution de la disposition prévoyant l'infraction d'abandon d'enfant étaye la thèse de l'application d'une norme subjective et non objective.
3. Objet et portée de l'infraction
[39] Il ne fait aucun doute que le législateur a créé l'infraction d'abandon afin de protéger les enfants contre le risque de préjudice, que ce risque se réalise ou non. Avant la création de l'infraction d'abandon d'enfant en 1861, un préjudice devait être infligé pour qu'il ait sanction : R. c. Renshaw (1847), 2 Cox C.C. 285; R. c. Hogan (1851), 2 Den. 277. Le nouveau crime créé a comblé ce qu'on tenait pour une lacune en punissant la personne qui exposait un enfant à un risque : R. c. Falkingham (1870), L.R. 1 C.C.R. 222; White .
[40] La portée de la responsabilité susceptible de découler de l' art. 218 du Code est donc très grande, un grand nombre de personnes et d'actes étant visés. Ce ne sont pas seulement les personnes qui ont un lien de parenté avec l'enfant ou des obligations envers lui, ni même celles qui assurent la surveillance de l'enfant au moment des faits, qui peuvent être tenues responsables sous le régime de la disposition. De plus, un très large éventail d'actes est visé par les verbes « abandonner » et « exposer », lesquels ont un sens étendu et ne sont pas définis de façon exhaustive dans le Code .
[41] Vu la grande portée de la responsabilité susceptible de découler de l' art. 218 du Code , l'exigence d'une faute subjective joue un rôle important en faisant en sorte que le droit criminel n'ait pas une portée excessive. Bien que les actes et les personnes visés par cet article soient définis de manière générale, l'application d'une norme subjective fait en sorte que seule soit punie la personne ayant un état d'esprit coupable.
D. Le libellé des dispositions
[42] Le libellé des dispositions est reproduit en annexe. Trois points principaux se dégagent de l'examen attentif du libellé des dispositions et du régime législatif qu'elles établissent. Premièrement, les termes « abandonner », « exposer » et « volontaire » supposent que la faute doit être appréciée subjectivement. Deuxièmement, l'emploi des mots « exposée à l'être » dans ce contexte ne permet pas de conclure que la faute doit être appréciée objectivement. Troisièmement, l'absence de certains termes dans le libellé de l' art. 218 du Code et dans le régime législatif auquel il appartient tend sérieusement à indiquer que la faute doit être prouvée selon une norme subjective.
1. L'emploi des termes « abandonner », « exposer » et « volontaire » indique que la faute doit être subjective
[43] Les mots « abandonner » et « exposer » ne sont pas définis de manière exhaustive à l' art. 214 du Code ; leur sens grammatical ordinaire vaut donc toujours pour leur interprétation. Tous deux suggèrent que la personne est consciente des conséquences de son acte. La version en ligne du Grand Robert de la langue française , par exemple, donne la définition suivante du verbe « abandonner » : « Quitter, laisser définitivement (qqn dont on doit s'occuper, envers qui on est lié) [. . .] Déserter . . . ».
[44] Le même dictionnaire définit « exposer » (au sens d'exposer quelqu'un à quelque chose) comme suit : « Exposer quelqu'un à un péril, à un danger. . . . »; abandonner un enfant à la mort.
[45] Il vaut également la peine de mentionner la définition du mot « déserter » : « Renier, trahir [. . .] une cause, une religion, un parti [. . .] Déserter qqn ».
[46] Je conviens avec le juge Richards que les mots « abandonner » et « exposer » dénotent à première vue, et à eux seuls, une faute subjective : C.A., par. 59. Il ne s'agit pas seulement de laisser l'enfant seul ou de ne pas en prendre soin, mais d'avoir aussi conscience du risque couru. De plus, cette interprétation s'accorde parfaitement avec la définition non exhaustive des mots « abandonner » ou « exposer » qui figure à l' art. 214 du Code et qui, nous l'avons vu précédemment, suppose que la personne agit en étant consciente des conséquences de l'acte d'abandon ou d'exposition prohibé. La jurisprudence va par ailleurs dans le même sens. Comme l'indique la cour dans L.M ., « abandonner » s'entend de [traduction] « laisser un enfant à son sort », ce qui suppose la connaissance des conséquences de l'acte ou l'insouciance à l'égard de celles‑ci : par. 28 et 47; voir également, p. ex., R. c. Boulden (1957), 41 Cr. App. R. 105 , p. 110; Re Davis (1909), 18 O.L.R. 384, p. 387. C'est là un des éléments qui, dans Reedy (No. 2) , ont amené la cour à conclure que la faute doit être subjective (p. 107).
[47] À l'appui de sa thèse d'une faute objective, le ministère public soutient que la définition non exhaustive des verbes « abandonner » et « exposer » que l'on trouvait dans le Code de 1892 (reprise à l' art. 214 du Code actuel) provient vraisemblablement des décisions anglaises Falkingham et White . Même si elles peuvent très bien être à l'origine des définitions, ces décisions n'étayent pas la thèse du ministère public. Dans les deux affaires, des éléments établissaient la commission d'une faute subjective. Dans White , la preuve était claire. L'accusée avait intentionnellement et sciemment abandonné et exposé l'enfant en ayant conscience du risque couru. Dans Falkingham , la preuve révélait à tout le moins l'insouciance ou l'aveuglement volontaire : de connivence avec une autre femme qui avait par la suite été accusée elle aussi d'abandon d'enfant, une mère avait mis son enfant dans un panier qu'elle avait ensuite expédié par train au père de l'enfant sans informer les employés du transporteur ferroviaire de ce que contenait le colis. L'accusée avait « emballé » l'enfant avec soin, dit au commis de faire très attention au colis et apposé à celui‑ci la mention [traduction] « manipuler avec soin, livrer sans délai » (p. 223), des précautions qui trahissaient sa conscience du risque couru.
[48] La notion de conscience du risque ou d'insouciance à l'égard de celui‑ci se dégage du sens ordinaire des mots « abandonner » et « exposer », ainsi que de la définition non exhaustive qu'en donne la loi.
[49] En ce qui concerne le mot « wilful » employé dans la version anglaise de la définition de l'art. 214 des mots « abandonner » ou « exposer » (et rendu par le terme « volontaire » en français), le juge Richards, au nom des juges majoritaires de la Cour d'appel, accorde une importance considérable à son emploi à l' art. 214 lorsqu'il conclut au caractère subjectif de la faute requise. L'emploi de ce mot est souvent (mais pas toujours) un bon indice que l'intention est requise : voir, p. ex., l'analyse dans R. c. Buzzanga (1979), 25 O.R. (2d) 705 (C.A.), p. 715‑717; R. c. L.B. , 2011 ONCA 153, 274 O.A.C. 365, par. 108‑109, autorisation d'appel refusée, [2011] 3 R.C.S. x; Manning, Mewett & Sankoff : Criminal Law , p. 149‑150. Certes, l'adjectif n'est employé que dans la définition non exhaustive des verbes « abandonner » et « exposer » et seulement pour qualifier l'omission, mais je conviens avec le juge Richards que l'omission qui peut être qualifiée de « wilful » est l'antithèse du crime qui consiste seulement dans l'inobservation d'une norme de comportement minimale. Si le législateur avait voulu qu'« abandonner » et « exposer » s'entendent de la simple inobservation d'une norme de comportement raisonnable, il ne serait pas logique d'exiger que ce non‑respect soit « wilful » : C.A., par. 66‑67.
2. L'emploi du mot « likely » en anglais (« pouvant [l'exposer] », en français) n'indique pas que la faute doit être objective
[50] Pour conclure que la faute doit seulement être objective, le juge Ottenbreit accorde un poids considérable à l'emploi du mot « likely » (« pouvant [l'exposer] », en français) dans le second élément de la définition non exhaustive d'« abandonner » ou d'« exposer » à l' art. 214 (al. b ) de la définition) : « dealing with a child in a manner that is likely to leave that child exposed to risk », soit en français « [le] fait de traiter un enfant d'une façon pouvant l'exposer à des dangers . . . ». Il dit en effet que [traduction] « [l]es mots “ in a manner [. . .] likely ” [. . .] évoquent une norme de conduite établie par la société plutôt qu'une norme de conduite personnelle » (par. 32). Or, je ne crois pas que l'utilisation du mot « likely » dans ce contexte permette de conclure que le législateur a voulu que la faute soit objective, et ce, pour deux raisons.
[51] Premièrement, pour rendre « likely », les expressions « pouvant l'exposer » et « exposée à l'être » sont respectivement employées, dans la version française, à l' art. 214 (définition d'« abandonner » ou d'« exposer ») et à l' art. 218 . La version française suggère donc que le législateur s'attache davantage au résultat du comportement qu'à la norme de diligence. Les équivalents anglais « likely to leave [. . .] exposed » et « likely to be » vont dans le même sens. Deuxièmement, je le répète, l'infraction d'abandon d'enfant vise à criminaliser la création du risque de préjudice; elle interdit d'exposer ou d'abandonner un enfant de manière que sa vie ou sa santé soit gravement compromise, même si aucun préjudice n'est infligé dans les faits. Cette interprétation est compatible avec le courant bien établi selon lequel le droit criminel peut fort bien avoir pour objet de prévenir le risque de préjudice grave : voir, p. ex., R. c. Keegstra , [1990] 3 R.C.S. 697, p. 776; Lucas , par. 83. L'emploi des mots « pouvant l'exposer » dans la définition de l' art. 214 et « exposée à l'être » dans la disposition qui crée l'infraction elle‑même ( art. 218 ) est compatible avec cet objectif de prévention. Il en va de même de leurs équivalents anglais « likely to leave [. . .] exposed » et « likely to be ». L'objectif poursuivi en criminalisant la création d'un risque de préjudice grave n'est pas du tout incompatible avec l'exigence d'une faute subjective, qui suppose la connaissance réelle du risque de préjudice, et l'arrêt Lucas le confirme clairement.
[52] Ce dernier arrêt porte sur l'élément de faute de l'infraction prévue à l' art. 300 du Code qui consiste à publier un libelle diffamatoire. Suivant l' art. 298 , le libelle diffamatoire s'entend d'une « matière publiée [. . .] de nature à nuire à la réputation de quelqu'un ». La Cour a statué que l'élément de faute de l'infraction exige la preuve que les accusés savaient que la matière publiée était diffamatoire, autrement dit qu'elle était « de nature à nuire à la réputation de quelqu'un » : le juge Cory, par. 30 et 67‑68. Elle conclut donc que l'emploi des mots « de nature à nuire à la réputation de quelqu'un » fait en sorte qu'une faute subjective doit être prouvée, c'est‑à‑dire que les accusés connaissaient réellement le risque d'atteinte à la réputation.
[53] Je conclus donc que l'emploi des mots « pouvant l'exposer » à l' art. 214 et « exposée à l'être » à l' art. 218 n'emporte pas l'application d'une norme objective pour établir l'élément de faute. À mon avis, ces termes renvoient à une norme de conduite non pas sociale, mais personnelle. Comme dans Lucas , l'emploi de ces mots (et de « likely » en anglais) vise seulement à criminaliser la création d'un risque, et l'élément de faute requis peut englober la connaissance de ce risque.
3. L'absence de certains termes dans le texte et dans le régime établi par le Code indique que la faute doit être subjective
[54] À mon sens, l' absence de certains termes dans le texte de la disposition et dans les dispositions voisines permet de conclure que la faute doit être subjective.
a) Les termes absents du libellé de la disposition
[55] Assurément, le législateur peut créer et crée des infractions criminelles dont la perpétration exige une faute objective plutôt que subjective. La formulation des dispositions qui créent ces infractions jette un certain éclairage sur la terminologie alors employée. Selon moi, le libellé de la disposition relative à l'abandon d'enfant ne renferme aucun des termes dont se sert habituellement le législateur pour créer une infraction dont la perpétration exige une faute objective.
[56] Je ferai brièvement état de cinq types principaux d'infractions que prévoit le Code et qui appellent une faute objective, puis je comparerai leur libellé avec celui de l' art. 218 afin d'étayer ma conclusion selon laquelle la perpétration de l'infraction que crée ce dernier article exige une faute subjective. Je préciserai ensuite les raisons pour lesquelles je rejette la thèse du ministère public voulant que la négligence pénale doive s'appliquer à cette infraction parce qu'elle s'applique à celle prévue à l' art. 215 , à savoir l'omission de fournir les choses nécessaires à l'existence.
[57] Examinons d'abord la catégorie des infractions de conduite dangereuse. Dans R. c. Hundal , [1993] 1 R.C.S. 867, la Cour a conclu que l'élément de faute de l'infraction de conduite dangereuse s'entendait d'un comportement qui représentait un « écart marqué » par rapport au comportement qu'aurait une personne raisonnable dans les mêmes circonstances. (Voir également les arrêts plus récents Beatty et R. c. Roy , 2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60.) Plusieurs considérations ont justifié l'adoption d'une norme objective et non subjective : la conduite d'un véhicule automobile est une activité réglementée à laquelle une personne décide de se livrer, elle fait appel aux réflexes et le texte de la disposition créant l'infraction s'attache à la façon de conduire. Tous ces éléments portent à croire que le législateur a voulu imposer une norme de diligence minimale d'application uniforme. Le juge Cory affirme entre autres que « les titulaires de permis choisissent de se livrer à l'activité réglementée qu'est la conduite d'un véhicule automobile. Ils assument ainsi une responsabilité envers tous les autres membres du public qui circulent sur les chemins » : Hundal , p. 884 (je souligne). Le juge Cory fait observer que le libellé de la disposition crée l'infraction de conduire « d'une façon dangereuse pour le public, compte tenu de toutes les circonstances », ce qui appelle l'application d'une norme objective : « On ne peut comparer la “façon de conduire” qu'à une norme de comportement raisonnable » (p. 885). Dans le cas de la conduite dangereuse, le libellé et la nature de la disposition créant l'infraction, ainsi que d'autres éléments, militaient clairement en faveur d'une faute objective. Or, aucune de ces considérations ne vaut dans le cas de l'infraction prévue à l' art. 218 .
[58] Passons maintenant à la deuxième catégorie, celle des infractions axées sur le comportement négligent, tel l'entreposage négligent d'armes à feu. Dans R. c. Finlay , [1993] 3 R.C.S. 103, la Cour a conclu que la négligence réprimée par la disposition ne pouvait être appréciée selon une norme subjective. Le ministère public devait prouver qu'une arme à feu avait été utilisée, portée, manipulée, expédiée ou entreposée « d'une manière négligente ou sans prendre suffisamment de précautions à l'égard de la sécurité d'autrui ». L'emploi des mots « négligente » et « suffisamment de précautions » militait clairement en faveur d'une appréciation objective de la faute (p. 114‑115). Or, l' art. 218 ne renferme pas de termes apparentés.
[59] Une troisième catégorie d'infractions est celle des infractions sous‑jacentes, tels l'homicide involontaire coupable résultant d'un acte illégal et l'infliction illégale de lésions corporelles, nécessitant la perpétration d'un autre acte illégal. La Cour a statué qu'il fallait établir l'élément moral de l'infraction sous‑jacente, mais uniquement la prévisibilité objective du préjudice en ayant découlé : voir, p. ex., R. c. DeSousa , [1992] 2 R.C.S. 944 (infliction illégale de lésions corporelles); R. c. Creighton , [1993] 3 R.C.S. 3 (homicide involontaire coupable résultant d'un acte illégal). Sans reprendre les motifs détaillés de ces deux arrêts, soulignons simplement que, dans le cas de ces infractions, la perpétration de l'infraction sous‑jacente a des conséquences réelles et graves. Le juge Sopinka a affirmé ce qui suit dans DeSousa (p. 967), propos que la juge McLachlin a rappelés dans Creighton (p. 55) : « Le droit dans ce domaine repose sur le principe implicite qu'il est acceptable d'établir une distinction quant à la responsabilité criminelle entre des actes également répréhensibles en fonction du préjudice qui est effectivement causé. » Ce principe ne s'applique pas à l' art. 218 ; il n'y a pas d'infraction sous‑jacente, et point n'est besoin de montrer que l'abandon d'enfant a réellement causé un préjudice.
[60] Je signale à ce sujet que le ministère public a soutenu en cour d'appel que l'emploi du mot « illicitement » à l' art. 218 visait à faire tacitement de la violation de l' art. 215 une infraction sous‑jacente à celle d'abandon d'enfant. Je ne partage pas cet avis. Je conviens plutôt avec le juge Richards que le mot « illicitement » employé à l' art. 218 est un terme superfétatoire repris du texte original de l' Acte concernant les offenses contre la Personne (1869), art. 26 : voir, p. ex., R. c. Chartrand , [1994] 2 R.C.S. 864, p. 886-887. La perpétration d'une infraction prévue par l' art. 215 ou d'une autre infraction n'est pas nécessaire aux fins d'obtenir une déclaration de culpabilité d'abandon d'enfant. L' article 218 a une plus grande portée que l' art. 215 , lequel ne s'applique qu'à certaines personnes. Conclure qu'une déclaration de culpabilité fondée sur l' art. 218 est tributaire d'une déclaration de culpabilité prenant appui sur l' art. 215 revient à faire abstraction du mot « [q]uiconque » employé à l' art. 218 , à priver de sens l'al. b ) de la définition de l' art. 214 et à rendre l' art. 218 redondant en ce que son objet est alors exactement le même que celui de l' art. 215 . L' article 218 ne prévoit pas une peine plus lourde et ne constitue donc pas simplement une disposition plus sévère que l' art. 215 , contrairement, par exemple, à l'infliction illégale de lésions corporelles (art. 269, emprisonnement maximal de 10 ans), qui est une version plus grave de l'infraction de voies de fait (art. 266, emprisonnement maximal de 5 ans).
[61] Il convient également de mentionner les infractions relatives à la négligence criminelle : voir, p. ex., les art. 219, 220 et 221. Est coupable de négligence criminelle la personne qui « montre une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui » (art. 219). Le libellé de cette disposition a suscité bien des débats au chapitre de l'élément de faute requis. L'emploi du mot « négligence » pour désigner l'infraction suppose l'application de la norme objective qu'appelle le mot « négligence » en responsabilité civile délictuelle. Par contre, on pourrait considérer que l'expression « insouciance déréglée ou téméraire » renvoie à la connaissance réelle du risque créé, de sorte que la faute serait subjective : voir R. c. Anderson , [1990] 1 R.C.S. 265, p. 269‑270. La Cour a finalement décidé que ni la preuve de l'intention, ni celle de la prévision réelle d'une conséquence prohibée n'étaient nécessaires. La négligence criminelle exige en fait un écart marqué et important par rapport à la conduite d'une personne raisonnablement prudente dans des circonstances où l'accusé soit a eu conscience d'un risque grave et évident sans pour autant l'écarter, soit ne lui a accordé aucune attention : R. c. J.F ., 2008 CSC 60, [2008] 3 R.C.S. 215, par. 7‑11.
[62] À mon avis, cette conception de la faute dans le contexte d'une infraction de négligence criminelle ne permet pas de conclure que la faute visée par la disposition relative à l'abandon d'un enfant — l'infraction considérée en l'espèce — doit elle aussi être appréciée objectivement. Contrairement aux infractions de négligence criminelle, celle prévue à l' art. 218 n'est pas formulée de manière à viser une conduite assujettie à une norme sociale plutôt qu'à une appréciation individuelle des circonstances.
[63] Je passe maintenant à la cinquième et dernière catégorie, sur laquelle le ministère public s'appuie d'ailleurs grandement dans son argumentation, celle de l'infraction fondée sur une obligation créée à l' art. 215 du Code . L'analyse de cette catégorie et de la thèse du ministère public requiert un examen approfondi du régime établi par le Code , de même que de l'arrêt R. c. Naglik , [1993] 3 R.C.S. 122.
b) Le régime établi par le Code
[64] Les articles 215 , 216 , 217 et 217.1 énoncent diverses obligations, dont celles de fournir les choses nécessaires à l'existence et d'apporter une connaissance, une habileté et des soins raisonnables lors de l'administration d'un traitement chirurgical ou médical. Toutefois, l' art. 215 est le seul qui créée une infraction, soit celle d'omettre, dans certaines circonstances, de fournir les choses nécessaires à l'existence. Dans l'arrêt Naglik , la Cour a conclu que la faute qui sous‑tend cette infraction est objective et le ministère public appelant soutient qu'il en va de même pour l'infraction d'abandon d'enfant prévue à l' art. 218 .
[65] En toute déférence, l'argument ne me convainc pas. L'infraction prévue à l' art. 215 est formulée de manière tout à fait différente de celle qui est créée à l' art. 218 et qui nous occupe en l'espèce. Le raisonnement suivi dans l'arrêt Naglik ne vaut pas à l'égard de cette dernière infraction. Il milite en fait en faveur de l'exigence d'une faute subjective pour l'application de l' art. 218 . Enfin, le fait que les deux infractions ont des objets différents étaye en outre ce point de vue.
[66] Examinons d'abord ce qui distingue le libellé des deux dispositions. Contrairement à l'infraction d'abandon d'enfant créée à l' art. 218 , celle prévue à l' art. 215 et qui consiste à ne pas fournir les choses nécessaires à l'existence — l'infraction en cause dans Naglik — est formulée de façon à s'entendre de l'omission de s'acquitter d'obligations légales précises. Qui plus est, chacune de ces obligations légales découle du lien existant entre la personne qui a l'obligation et celle qui en bénéficie. (Le texte de l' art. 215 est reproduit en annexe.)
[67] L'infraction prévue à l' art. 215 vise donc essentiellement à imposer des obligations en fonction de l'existence de liens déterminés. Dans l'arrêt Naglik, qui retient clairement cette prémisse, le juge en chef Lamer dit ce qui suit :
En ce qui concerne le texte de [l']article [215], bien qu'on n'y retrouve aucune expression du genre « aurait dû savoir » indiquant l'intention du législateur d'établir une norme objective de faute, le fait qu'il y est question de l'omission de remplir une « obligation » donne à entendre que la conduite de l'accusé dans des circonstances particulières est à apprécier selon une norme objective, c'est‑à‑dire une norme de la société. La notion d'obligation évoque une exigence sociale minimale fixée à l'égard d'une conduite donnée : comme dans le domaine de la négligence civile, une obligation serait vide de sens si chacun en définissait le contenu selon ses croyances et ses priorités personnelles. La conduite de l'accusé devrait en conséquence s'apprécier en fonction d'une norme objective ou d'une norme de la société afin de donner effet à la notion d'« obligation » à laquelle a recouru le législateur. [p. 141]
[68] Le ministère public soutient que ce raisonnement vaut également pour l' art. 218 car l'infraction qui y est créée peut aussi être commise par une personne qui omet de remplir l'obligation légale de prendre soin d'un enfant. Je ne suis pas d'accord. Si l'essence même de l'infraction créée à l' art. 215 réside dans l'omission d'une personne de remplir l'obligation qui lui incombe légalement vis‑à‑vis d'une personne ayant un lien particulier avec elle, ce n'est pas du tout le cas de l'infraction que prévoit l' art. 218 , soit l'abandon d'enfant. C'est pourquoi le raisonnement qui sous‑tend l'arrêt Naglik ne saurait valoir en l'espèce. L'infraction que crée l' art. 218 peut être commise par « [q]uiconque »; elle ne vise pas que la personne ayant un lien particulier avec une autre ou une obligation légale précise. La notion d'obligation n'est pertinente aux fins de l'infraction d'abandon d'enfant qu'en liaison avec l'omission dont fait mention la définition non exhaustive des termes « abandonner » ou « exposer » (« l'omission volontaire, par une personne légalement tenue de le faire, de prendre soin d'un enfant » : al. a ) de la définition de l' art. 214 . À mon avis, l'emploi des mots « légalement tenue » en liaison avec les omissions visées par la disposition donne simplement effet au principe de common law voulant qu'une omission n'engage généralement pas la responsabilité criminelle, sauf obligation légale d'agir préexistante : voir, p. ex., Roach (2012), p. 115; D. Stuart, Canadian Criminal Law : A Treatise (6 e éd. 2011), p. 95. Par conséquent, le renvoi de l'al. a ) de la définition de l' art. 214 à une obligation fait en sorte que seule soit visée l'omission de s'acquitter d'une obligation légale envers un enfant. Or, l'infraction d'abandon d'enfant n'impose pas une telle obligation légale. La personne qui n'a pas cette obligation légale peut être tenue responsable, mais seulement pour une action concrète, ce qui est entre autres confirmé par l'expression « du fait de traiter » employée à l'al. b ) de la définition de l' art. 214 .
[69] Les brèves remarques de Stuart (p. 96) et de Roach (2012) (p. 116) sur l'infraction d'abandon d'enfant n'appuient pas la thèse que l'élément de faute de l'infraction doit être établi de manière objective. Elles soulignent plutôt, comme je le dis précédemment, que la notion d'obligation ne vaut, aux fins de cette infraction, qu'en liaison avec une omission. Dans leur traité, Manning et Sankoff se disent d'avis que l'infraction créée à l' art. 218 est [ traduction ] « totalement superflue » (p. 826), ce avec quoi je ne suis pas d'accord pour les motifs exposés précédemment. Signalons que dans certaines des affaires qu'ils citent, des parents ont été reconnus coupables d'abandon d'enfant parce qu'ils avaient sciemment laissé leur enfant dans des circonstances où celui‑ci était exposé à un risque : p. 827, notes 155‑156; Christiansen , par. 8; R. c. Holzer (1988), 63 C.R. (3d) 301 (C.B.R. Alb.), p. 303.
[70] En outre, il me semble que la formulation nettement différente de l' art. 218 , d'une part, et de l'infraction fondée sur une obligation prévue à l' art. 215 , d'autre part, permet de conclure que l'infraction prévue à l' art. 218 est différente. Il appert de l' art. 215 que, lorsqu'il veut fonder une infraction sur le manquement à une obligation, le législateur recourt au libellé qui s'impose, ce qui n'est pas du tout le cas à l' art. 218 .
[71] La formulation et le libellé distincts de la disposition relative à l'abandon d'enfant écartent également l'idée que son emplacement dans la même partie du Code que les articles qui créent des obligations légales (c.-à-d. les art. 215 à 217.1 ) est déterminant quant à la nature de l'élément de faute requis. L'emplacement d'une disposition dans le Code ou les éléments constitutifs des infractions créées par les autres dispositions de la même partie du Code permettent rarement d'établir la nature de la faute requise et ils ne sont d'aucune utilité en l'espèce : voir, p. ex., Pappajohn , p. 146. Même si l' art. 218 figure à la rubrique « Devoirs tendant à la conservation de la vie », il est le seul des cinq articles de la rubrique dont la note marginale — « Abandon d'un enfant » — ne renferme pas le mot « obligation » ou « devoir ». Et s'il faut en conclure quelque chose, c'est que la disposition se distingue des autres.
[72] L'infraction d'abandon d'enfant prévoit la même échelle de peines que celle d'omettre de fournir les choses nécessaires à l'existence créée à l' art. 215 et dont la perpétration suppose une faute objective. L'échelle des peines est cependant peu révélatrice de l'élément de faute requis. La négligence criminelle ayant causé la mort, une infraction punissable de l'emprisonnement à perpétuité et dont la perpétration exige la preuve d'une faute objective, en est l'exemple patent. À l'opposé, le vol d'un bien dont la valeur est d'au plus cinq mille dollars, punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, exige non seulement une faute subjective, mais aussi une intention spécifique. Le fait que d'autres infractions punissables d'un emprisonnement d'une durée égale ou supérieure requièrent seulement une faute objective n'aide en rien à définir la faute applicable à l'infraction d'abandon d'enfant.
c) Conclusion sur le libellé de la disposition et le régime établi par le Code
[73] En résumé, aucune des considérations qui ont amené la Cour à adopter une norme de faute objective pour les catégories d'infractions examinées précédemment ne vaut pour l'infraction d'abandon d'enfant prévue à l' art. 218 . L'interdiction est faite à quiconque, et non seulement à un groupe donné se livrant à une activité réglementée ou ayant un lien précis et défini avec la victime alléguée. Aucun élément du libellé ne donne à penser que le législateur a voulu imposer une norme de diligence minimale d'application uniforme. Nulle mention n'est faite d'un comportement « dangereux », « négligent » ou « raisonnable », ou de l'obligation de prendre des « précautions raisonnables ». Il n'y a pas d'infraction sous‑jacente, et nul préjudice réel n'est requis. La disposition ne crée, ne définit et n'impose rien au‑delà de l'obligation, commune à toutes les infractions criminelles, de ne pas commettre l'acte prohibé.
[74] Je conclus que tant les éléments présents à l' art. 218 du Code et ses dispositions connexes que ceux qui en sont absents étayent solidement la thèse selon laquelle la faute doit être subjective.
E. Conclusion
[75] À mon avis, le libellé, le contexte et l'objet de l' art. 218 du Code militent en faveur du caractère subjectif de la faute requise. Par conséquent, le juge du procès n'a pas eu tort d'acquitter l'intimée au motif qu'une telle faute n'avait pas été prouvée. La Cour d'appel a eu raison de confirmer l'acquittement.
V. Dispositif
[76] Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
Version française des motifs des juges Rothstein et Moldaver rendus par
Le juge Moldaver —
I. Introduction
[77] L' article 218 du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 (« Code »), criminalise le fait d'abandonner ou d'exposer un enfant de moins de 10 ans de manière que la vie de cet enfant soit effectivement mise en danger ou exposée à l'être, ou que sa santé soit effectivement compromise de façon permanente ou exposée à l'être. Le pourvoi a trait à l'élément moral (ou mens rea ) lié aux conséquences prohibées de l'abandon ou de l'exposition, à savoir le risque de décès de l'enfant ou de préjudice permanent à sa santé. Plus précisément, faut‑il apprécier subjectivement la faute, c'est‑à‑dire déterminer si l'accusé savait bel et bien que l'abandon de l'enfant mettrait sa vie ou sa santé en danger, ou faut‑il l'apprécier objectivement et se demander si une personne raisonnable s'étant trouvée dans la même situation aurait su que l'abandon de l'enfant mettrait sa vie ou sa santé en danger? Malgré les origines lointaines de cette infraction — et son objectif fondamental de protéger les plus vulnérables d'entre nous —, il s'agit d'un sujet sur lequel la Cour ne s'est pas encore prononcée.
[78] J'ai eu l'occasion de lire les motifs des juges majoritaires, rédigés par le juge Cromwell, qui exposent les faits et l'historique judiciaire. Comme la majorité, je suis d'avis de confirmer l'acquittement de l'intimée, mais pour d'autres motifs.
[79] Mon collègue estime que l' art. 218 exige la prévision subjective des conséquences qui s'ensuivent ou qui sont susceptibles de s'ensuivre pour l'enfant de l'abandon ou de l'exposition de ce dernier. Suivant cette interprétation, pour justifier une déclaration de culpabilité, le ministère public est tenu d'établir entre autres qu'en abandonnant ou en exposant l'enfant, l'accusé a prévu qu'il lui ferait courir un risque de décès ou de préjudice permanent, ou qu'il l'exposerait à ce risque, et qu'il a persisté malgré tout, sans se soucier des conséquences.
[80] En toute déférence, je ne crois pas que la disposition commande l'application d'une norme de preuve aussi stricte pour établir la faute liée aux conséquences prohibées, ni que pareille interprétation concorde avec l'intention du législateur.
[81] L' article 218 a essentiellement pour objet de protéger les enfants. Il vise à soustraire une catégorie de personnes (les enfants de moins de 10 ans) à deux risques précis (le décès ou le préjudice permanent) qui découlent ou qui sont susceptibles de découler de l'abandon ou de l'exposition. Comme je l'explique ci‑après, il cible trois catégories de personnes dans la situation où un enfant de moins de 10 ans court ou est susceptible de courir le risque de mourir ou de subir un préjudice permanent : (1) celle qui a l'obligation légale, à la fois préexistante et permanente, de prendre soin de l'enfant, (2) celle qui, dans cette situation, décide de venir en aide à l'enfant et (3) celle qui est à l'origine de la situation.
[82] Suivant cette interprétation de l' art. 218 qui est à mon sens la bonne, la négligence pénale suffit pour établir la faute requise par la disposition en ce qui a trait aux conséquences de l'abandon ou de l'exposition d'un enfant. Dès lors, le ministère public doit établir qu'une personne raisonnable aurait prévu que sa conduite faisait courir ou était susceptible de faire courir à l'enfant un risque de décès ou de préjudice permanent, et que la conduite de l'accusé représente un écart marqué par rapport à ce dont on se serait attendu d'une personne raisonnable dans les circonstances.
[83] Les méthodes d'interprétation législative reconnues appuient la conclusion que la négligence pénale correspond à l'élément de faute requis à l'égard des conséquences prohibées à l' art. 218 du Code . Afin d'étayer ma thèse, je me propose maintenant d'étudier le texte de l' art. 218 , son historique, le point de vue des auteurs et la jurisprudence de la Cour. De plus, je compte faire appel au simple bon sens. En effet, lorsqu'on renonce à recourir mécaniquement et souvent en fonction du résultat recherché aux méthodes d'interprétation apparemment innombrables et parfois contradictoires, le recours au bon sens peut se révéler et se révèle généralement être la meilleure option. C'est assurément le cas en l'espèce, comme je l'explique plus loin.
II. Analyse
A. Les éléments constitutifs de l'infraction d'abandon d'enfant
[84] Comme dans le cas de toute infraction, pour que l'accusé soit déclaré coupable de l'infraction prévue à l' art. 218 , le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l'infraction. Voici d'ailleurs le texte intégral de la disposition :
218. [Abandon d'un enfant] Quiconque illicitement abandonne ou expose un enfant de moins de dix ans, de manière que la vie de cet enfant soit effectivement mise en danger ou exposée à l'être, ou que sa santé soit effectivement compromise de façon permanente ou exposée à l'être est coupable :
a ) soit d'un acte criminel passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans;
b ) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d'un emprisonnement maximal de dix‑huit mois.
Aux fins de l'application de l' art. 218 , l' art. 214 du Code définit comme suit les mots « abandonner » et « exposer » :
214. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.
« abandonner » ou « exposer » S'entend notamment :
a ) de l'omission volontaire, par une personne légalement tenue de le faire, de prendre soin d'un enfant;
b ) du fait de traiter un enfant d'une façon pouvant l'exposer à des dangers contre lesquels il n'est pas protégé;
[85] Il convient de signaler que l'infraction prévue à l' art. 218 ne s'entend pas de l'acte d'abandon ou d'exposition dans l'abstrait, ni même de l'abandon ou de l'exposition de n'importe quel enfant. Elle s'entend de l'abandon ou de l'exposition d'un enfant de moins de 10 ans de manière à lui faire courir certains risques. L'infraction est donc constituée de trois éléments distincts :
1. l'acte d'abandon ou d'exposition,
2. d'un enfant de moins de 10 ans,
3. de manière que la vie de cet enfant soit effectivement mise en danger ou exposée à l'être, ou que sa santé soit effectivement compromise de façon permanente ou exposée à l'être.
[86] D'aucuns les ont appelés « acte », « circonstances » et « conséquences ». Voir D. Ormerod, Smith and Hogan's Criminal Law (13 e éd. 2011), p. 56. L'acte, à savoir l'abandon ou l'exposition, s'entend de la conduite que le législateur vise à réprimer en raison de sa nature ou de ses conséquences. Les circonstances, à savoir l'âge de l'enfant (moins de 10 ans), circonscrivent la conduite en précisant certaines données ou certaines conditions qui doivent être réunies. Enfin, les conséquences, à savoir le risque pour la vie ou la santé de l'enfant, s'entendent du résultat que le législateur cherche à empêcher. Il importe de réduire une infraction à ses différentes composantes car, comme le fait remarquer le professeur Ormerod, [ traduction ] « à chacun des éléments constitutifs peut correspondre un élément moral différent » (p. 56), ce qui est le cas de l' art. 218 . Pour les motifs que j'expose ci‑après, il faut donc établir une distinction entre l'acte, ses circonstances et ses conséquences pour déterminer la mens rea que commande l'infraction.
[87] La mens rea d'une infraction [ traduction ] « n'existe pas indépendamment de tout contexte ou dans l'abstrait; elle doit plutôt être mise en relation avec certaines conséquences ou circonstances » (K. Roach, Criminal Law (5 e éd. 2012), p. 164). En règle générale, un élément moral, qu'il soit subjectif ou objectif, correspond à chacun des éléments constitutifs d'un crime, qu'il s'agisse de l'acte, de ses circonstances ou de ses conséquences. Par exemple, comme le troisième élément de l' art. 218 nécessite que la vie ou la santé de l'enfant soit effectivement mise en danger ou exposée à l'être, sauf exception, un quelconque élément moral, subjectif ou objectif, doit correspondre à l'état d'esprit de l'accusé quant au risque couru par l'enfant.
[88] En outre, il vaut la peine de rappeler qu'il se peut fort bien que certains éléments moraux d'une infraction doivent être appréciés subjectivement et que d'autres doivent l'être objectivement. S'exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour dans R. c. Hinchey , [1996] 3 R.C.S. 1128, par. 80, la juge L'Heureux‑Dubé a disconvenu qu'« une infraction doit être soit subjective soit objective, sans moyen terme ». Selon elle,
la mens rea d'une infraction donnée se compose de l'ensemble de ses divers éléments de faute. Le simple fait que la plupart des infractions criminelles exigent un certain élément subjectif ne signifie pas que chacun des éléments de l'infraction exige un tel état d'esprit. [Souligné dans l'original; par. 80.]
Il faut donc se garder d'affirmer qu'une infraction criminelle exige simplement une mens rea subjective ou objective, car ce serait [ traduction] « ne brosser qu'une partie du tableau » (Roach, p. 164). Une « démarche plus précise » requiert que l'on relie chacun des éléments matériels à l'élément moral correspondant (p. 164). Il faut dès lors déterminer quel élément moral correspond à chacun des trois éléments matériels de l'infraction d'abandon d'enfant que sont l'acte, ses circonstances et ses conséquences.
[89] Passons à la présomption selon laquelle le législateur veut que la perpétration d'une infraction criminelle requiert la commission d'une faute subjective. Mon collègue analyse la question en profondeur et conclut que
la présomption d'une faute de nature subjective n'est pas une règle d'interprétation obsolète qui va à l'encontre de l'interprétation législative moderne maintes fois avalisée par la Cour. Au contraire, elle fait partie du contexte qui, suivant l'approche moderne, doit être examiné. [par. 28]
[90] Je n'en disconviens pas, mais il faut considérer la présomption dans sa juste perspective. Dans leur traité, Morris Manning et Peter Sankoff affirment ce qui suit :
[ traduction ] Quoique son application soit généralement fondée, même [la présomption d'une mens rea subjective] peut être mal interprétée. La faute subjective est manifestement la norme privilégiée, mais elle ne vaut pas toujours pour chacun des éléments de l'infraction et elle prête particulièrement à controverse lorsqu'il s'agit de la prévisibilité de certaines conséquences . [Je souligne.]
( Manning, Mewett & Sankoff : Criminal Law (4 e éd. 2009), p. 153)
[91] La mise en garde des auteurs est justifiée. Il ressort des jugements de la Cour rendus dans la foulée de l'arrêt R. c. DeSousa , [1992] 2 R.C.S. 944, que le droit criminel peut à juste titre « établir une distinction quant à la responsabilité criminelle entre des actes également répréhensibles en fonction du préjudice qui est effectivement causé » (p. 967). Ainsi, dans le cas d'une infraction comportant une infraction « sous‑jacente », la loi n'exige la mens rea subjective que pour l'acte, mais admet la mens rea objective pour les conséquences de cet acte. Comme le dit avec justesse la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) dans R. c. Creighton , [1993] 3 R.C.S. 3 , p. 54, « [l]es conséquences peuvent être importantes ».
[92] Mais, de façon plus générale, la mens rea requise à l'égard des conséquences d'un acte n'est pas objective que dans le cas d'une infraction comportant une infraction sous‑jacente. Une interprétation aussi restrictive « [ne serait] [. . .] pas compatible avec la façon dont notre Cour a défini les normes de faute » ( Hinchey , par. 81). En définitive, la « question de savoir quels crimes peuvent légitimement comporter des éléments de faute objectifs [. . .] dépendra souvent du libellé de l'article en cause ainsi que de son objet et du contexte législatif » (par. 83). Dans cette optique, la Cour a estimé, dans certains cas où il n'y avait pas d'infraction sous‑jacente, que la mens rea liée aux conséquences de l'acte devait être établie objectivement. Voir, p. ex., R. c. Lohnes , [1992] 1 R.C.S. 167 (faire du tapage); R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society , [1992] 2 R.C.S. 606 (complot pour empêcher ou diminuer indûment la concurrence); R. c. Naglik , [1993] 3 R.C.S. 122 (omission de fournir les choses nécessaires à l'existence).
[93] Le même raisonnement vaut en l'espèce. Pour les motifs exposés ci‑après, le libellé de l' art. 218 , son objet et son contexte mènent à la conclusion que la mens rea doit être appréciée objectivement en ce qui concerne le troisième élément de l'infraction, à savoir les conséquences de l'abandon ou de l'exposition de l'enfant.
B. Bon sens et abandon d'enfant
[94] Comme le fait observer le professeur Don Stuart, [ traduction ] « [l]a question de l'état d'esprit coupable a fait couler beaucoup d'encre, plus que toute autre question en droit criminel positif » ( Canadian Criminal Law : A Treatise (6 e éd. 2011), p. 167). Un « nombre ahurissant de variations terminologiques » et « d'acrobaties sémantiques » confondent les tribunaux et les auteurs (p. 167). Malheureusement, la présente affaire ne fait pas exception. Avant de passer à l'interprétation de la disposition, il importe selon moi de réfléchir un instant à l'infraction que crée la disposition à interpréter.
[95] Je le répète, l' art. 218 a pour objet de protéger les enfants, ceux de moins de 10 ans qui ne peuvent se débrouiller seuls et qui, pour cette raison, font partie des membres les plus vulnérables de la société. À n'en pas douter, il est risqué d'abandonner ou d'exposer un enfant de moins de 10 ans. Nulle personne sensée n'affirmerait le contraire. En raison du danger inhérent, le législateur a criminalisé l'abandon et l'exposition d'un enfant sans défense, mais seulement lorsqu'ils font courir ou sont susceptibles de faire courir à l'enfant un risque de décès ou de préjudice permanent. Autrement dit, l' art. 218 témoigne de la volonté du législateur de contraindre certaines personnes à prendre soin d'un jeune enfant dans certaines situations qui menacent sa vie ou sa santé. Afin de protéger les jeunes enfants, la disposition établit donc une norme de conduite minimale applicable à tous.
[96] Une fois qu'on reconnaît que, en adoptant l' art. 218 , le législateur a voulu prévenir le comportement dangereux qui, aux yeux de toute personne raisonnable, est susceptible de mettre la vie d'un enfant en danger ou d'exposer l'enfant à un préjudice permanent, je ne vois pas pourquoi le législateur aurait voulu permettre en même temps à l'accusé d'invoquer une multitude de moyens de défense fondés sur ses caractéristiques personnelles. En effet, cela aurait été contradictoire avec l'objectif de la disposition qui consiste à établir une norme de conduite minimale applicable à tous, étant donné qu'une infraction pour laquelle la faute doit être prouvée subjectivement emporte la prise en compte des caractéristiques personnelles qui sont de nature à établir l'existence ou l'inexistence d'un élément de l'infraction ( Creighton , p. 63). L'âge, le tempérament, le développement mental, l'expérience, le discernement et l'instruction entreraient tous en ligne de compte pour déterminer si l'accusé était conscient du risque de préjudice que comportait l'acte foncièrement dangereux qu'est l'abandon ou l'exposition d'un enfant sans défense. Il serait particulièrement inquiétant d'offrir ainsi un moyen de défense au parent fautif ou au gardien irresponsable qui, à cause de son intoxication, ne pouvait pas prévoir ou n'a pas prévu les conséquences possibles de sa conduite dangereuse, qu'il s'agisse de laisser un enfant dans une voiture verrouillée une chaude journée d'été ou de le livrer aux éléments une froide nuit d'hiver.
[97] Je ne saurais convenir que, en adoptant l' art. 218 , le législateur a voulu établir un régime qui va ainsi à l'encontre du but recherché. Il serait contraire au bon sens que le législateur fasse preuve d'une telle indifférence à l'égard de la vie et de la sécurité d'enfants innocents.
[98] Ces observations n'ont rien de nouveau. On n'a qu'à se reporter à la dernière affaire où la Cour s'est prononcée sur la faute exigée aux fins d'une disposition du Code criminel sur la protection des enfants pour étayer la thèse de l'application d'une norme de preuve objective dans ce contexte. Dans Naglik , la Cour s'est penchée sur la nature de la faute exigée pour l'application de l' art. 215 , une disposition apparentée à l' art. 218 qui réprime le défaut de fournir les choses nécessaires à l'existence. Aucun des juges de la Cour alors saisis n'a mis en doute la nécessité d'une norme de preuve objective. Tous ont d'ailleurs reconnu que ne pas appliquer une norme objective irait à l'encontre de l'objet de la disposition. Même le juge en chef Lamer, qui aurait été enclin à tenir compte de certaines caractéristiques personnelles, a affirmé catégoriquement qu'une norme subjective était insoutenable dans le contexte :
L' article 215 a en effet pour but l'établissement d'un niveau minimal uniforme de soins à fournir pour les personnes auxquelles il s'applique. Or, cela ne peut se réaliser que si ceux auxquels incombe l'obligation sont tenus de respecter dans leur conduite une norme de la société plutôt qu'une norme personnelle . [Je souligne; soulignement dans l'original omis; p. 141.]
S'exprimant au nom des juges majoritaires sur ce point, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) est allée plus loin en concluant que les caractéristiques personnelles telles que la « jeunesse, [le] degré d'expérience [et le] degré d'instruction » ne jouent pas lorsqu'il s'agit de statuer sur l'existence de la faute qu'exige la perpétration de ce genre d'infraction (p. 148). Soit dit en tout respect, j'estime qu'il en va de même pour l' art. 218 .
C. L' article 218 crée une infraction fondée sur une obligation
[99] Pour répondre à la question principale que pose le pourvoi, j'estime que l' art. 218 crée une infraction fondée sur une obligation, au même titre que sa disposition apparentée, l' art. 215 . Certes, le libellé de l' art. 218 n'est pas aussi explicite que celui de l' art. 215 , et il faut pousser l'analyse pour déterminer le véritable objet de l' art. 218 et les personnes auxquelles il s'applique. Or, si l'infraction prévue à l' art. 218 est fondée sur une obligation, le raisonnement à l'issue duquel la Cour conclut, dans Naglik , que la négligence pénale correspond à l'élément de faute requis à l' art. 215 vaut tout autant pour l' art. 218 sur les plans logique et jurisprudentiel. C'est en fait aussi simple que cela.
[100] Comme je le dis précédemment, je suis convaincu que trois catégories de personnes sont visées à l' art. 218 dans la situation où un enfant de moins de 10 ans court ou est susceptible de courir le risque de mourir ou de subir un préjudice permanent :
1. celle qui a l'obligation légale, à la fois préexistante et permanente, de prendre soin de l'enfant;
2. celle qui, dans cette situation, décide de venir en aide à l'enfant;
3. celle qui est à l'origine de la situation.
Voici quel est mon raisonnement.
(1) Le libellé des art. 214 et 218
[101] Considérons la première catégorie susmentionnée. Bien que l' art. 218 du Code ne fasse pas lui‑même mention de la personne légalement tenue de prendre soin de l'enfant de moins de 10 ans, l' art. 214 , qui définit de manière non exhaustive les termes « abandonner » et « exposer » employés à l' art. 218 , le fait expressément. Suivant l'al. a ) de la définition, « abandonner » ou « exposer » s'entend notamment de « l'omission volontaire, par une personne légalement tenue de le faire , de prendre soin d'un enfant ».
[102] Vu ce libellé, le champ d'application de l' art. 218 englobe à l'évidence une multitude de personnes légalement tenues de prendre soin d'un enfant de moins de 10 ans, y compris les parents, les parents d'accueil et les gardiens, soit les gens les plus susceptibles de commettre l'infraction en raison du rôle central qu'ils jouent dans la vie d'un enfant. Une fois ce fait reconnu comme je crois qu'il doit l'être, je ne vois pas de quelle manière ni pour quelles raisons on pourrait soutenir que l'infraction n'est pas « fondée sur une obligation ».
[103] Reconnaître que des personnes déjà tenues de protéger l'enfant tombent sous le coup de l' art. 218 fait ressortir la principale faille de la conclusion selon laquelle chacun des éléments constitutifs de l'infraction requiert une mens rea subjective. En somme, si la plupart des personnes ciblées par l' art. 218 ont déjà l'obligation légale permanente de prendre soin d'un enfant de moins de 10 ans, il ne semble guère raisonnable ou juste d'apprécier leur intention ( mens rea ) au regard d'une norme de preuve subjective alors que, pour les besoins d'une disposition voisine créant une infraction fondée sur une obligation (l' art. 215 ), elles sont soumises à la norme de la négligence pénale (voir Naglik ). Manifestement, deux normes s'appliqueraient dès lors, l'une objective sous le régime de l' art. 215 , et l'autre subjective sous le régime de l' art. 218 , deux dispositions dont l'objet est similaire, voire identique, à savoir protéger les mêmes enfants, assujettir les mêmes personnes à une obligation et prévenir les mêmes conséquences.
[104] On peut être tenté de justifier cette dualité de normes par un élément distinctif important de l' art. 218 , c'est-à-dire son application à la personne qui a déjà l'obligation légale permanente de prendre soin d'un enfant de moins de 10 ans et , suivant l'al. b ) de la définition d'« abandonner » ou d'« exposer » de l' art. 214 , à la personne qui n 'est pas assujettie à une telle obligation. Ce volet de la définition vise la personne qui « trait[e] un enfant d'une façon pouvant l'exposer à des dangers contre lesquels il n'est pas protégé », ce qui, à première vue, peut être interprété comme étant susceptible d'être le fait d'un grand nombre de personnes qui n'ont pas d'obligation préexistante vis‑à‑vis de l'enfant [1] .
[105] On peut justifier la thèse d'une différence cruciale établie par l'al. b ) en faisant valoir que le législateur a choisi la meilleure des deux seules solutions qui s'offraient quant à la mens rea . Il aurait pu, pour les besoins de l' art. 218 , assujettir à une norme objective la personne ayant une obligation préexistante permanente (aux fins de l'harmonisation avec l' art. 215 ) et à une norme subjective la personne visée à l'al. b ) (afin de restreindre la portée de la responsabilité criminelle). Or, le résultat — une même infraction criminelle assujettissant la preuve de l'élément moral à des normes différentes selon qu'une personne plutôt qu'une autre est l'auteur du même acte coupable — est tout à fait étranger à notre droit criminel. Le législateur n'a certainement pas voulu qu'il en soit ainsi. La seule autre solution serait peut‑être alors de permettre que la personne assujettie à une obligation préexistante permanente bénéficie de l'application de la norme subjective, plus stricte, même s'il y avait alors dualité de normes. On peut soutenir que, de la sorte, la personne tombant sous le coup de l'al. b ) de la définition de l' art. 214 ne serait pas considérée à tort comme un criminel. C'est là ce que préconisent les juges majoritaires.
[106] Soit dit en tout respect, je préfère ne pas faire mienne une différence de traitement aussi marquée. Heureusement, je n'ai pas à le faire, car il existe une troisième possibilité. L' article 218 peut — et doit selon moi — recevoir une interprétation téléologique et harmonieuse de manière à ne s'appliquer qu'aux personnes ayant une obligation, qu'elle soit préexistante et permanente ou qu'elle découle de certaines situations , de protéger un enfant de moins de 10 ans contre le risque de décès ou de préjudice permanent. Toutes ces personnes sont alors dûment soumises à une norme objective en ce qui concerne les conséquences prohibées à l' art. 218 . Je m'explique.
[107] L'alinéa b ) de la définition de l' art. 214 est manifestement rédigé de manière générale. Les mots « du fait de traiter un enfant » peuvent vouloir dire bien des choses, mais que faut‑il y voir? À mon sens, ils sont censés englober les actes d'une personne qui agit concrètement pour remédier à une situation ou les actes d'une personne qui crée une situation où l'enfant court ou est susceptible de courir le risque de mourir ou de subir un préjudice permanent, ce qui correspond aux deuxième et troisième catégories de personnes susmentionnées. De telles personnes, dans certaines situations , ont l'obligation de prendre des mesures raisonnables pour protéger la vie de l'enfant et assurer sa sécurité au cours de leur intervention ponctuelle auprès de celui‑ci.
[108] Les faits de l'espèce offrent un bon exemple. Le gérant du magasin a contracté une obligation envers l'enfant, A.J.H., lorsqu'il l'a retiré de la cuvette. Comme il a pris une mesure concrète pour venir en aide à l'enfant, il a contracté l'obligation de prendre des mesures raisonnables pour lui éviter tout autre préjudice. Toutefois, ni la gérante adjointe, ni les clients du magasin n'ont contracté pareille obligation car ils ne sont pas intervenus directement auprès de l'enfant. Par conséquent, ils n'ont pas « trait[é] » l'enfant au sens de l' art. 214 .
[109] Les obligations qui découlent de certaines situations et qui s'apparentent à celle dont je fais état dans les présents motifs sont loin d'être étrangères au Code . Les articles 216 , 217 et 217.1 du Code me confortent en l'espèce dans cette opinion. Chacun renvoie à une obligation légale de la personne qui entreprend d'accomplir quelque chose en prenant une mesure concrète. Par exemple, l' art. 217 dispose :
217. Quiconque entreprend d'accomplir un acte est légalement tenu de l'accomplir si une omission de le faire met ou peut mettre la vie humaine en danger.
[110] Comme les termes employés à l'al. b ) de la définition d'« abandonner » ou d'« exposer » de l' art. 214 , l'expression « entreprend d'accomplir un acte » utilisée à l' art. 217 peut avoir une très grande portée. Le droit criminel ne l'a toutefois pas permis, et ce, à juste titre. Voici ce que fait remarquer la juge Abella (maintenant juge de notre Cour) dans R. c. Browne (1997), 33 O.R. (3d) 775 (C.A.) :
[ traduction ] Il ne fait aucun doute que le spectre des interprétations possibles va de la [simple] affirmation à la promesse [formelle]. J'estime toutefois que, pour décider qu'une conduite engage la responsabilité criminelle, nous devons fixer un seuil à partir duquel l'infliction d'une sanction pénale est justifiée. [. . .] C'est dans ce contexte qu'il faut interpréter le mot « entreprend » employé à l' art. 217 . La barre doit être suffisamment haute pour que des conséquences pénales aussi graves soient justifiées. La seule utilisation de termes dénotant le caractère volontaire d'un acte ne saurait faire naître l'obligation légale. En général, mais pas nécessairement, il doit y avoir une sorte d'engagement auquel une personne a pu raisonnablement se fier. [Je souligne; p. 779-780.]
[111] À mon avis, cette conclusion de la juge Abella sur l'application de l' art. 217 permet d'interpréter correctement l'al. b ) de la définition de l'art. 214 de façon à n'imposer l'obligation d'agir raisonnablement qu'à la personne qui, par des mesures concrètes, entreprend de protéger un enfant contre la mort ou le préjudice permanent (la seconde catégorie susmentionnée). Qui plus est, point n'est besoin de faire entorse à la logique pour conclure que « traiter » un enfant au sens de l'al. b ) de la définition de l' art. 214 ne peut également être le fait que de la personne qui met l'enfant dans une situation où il risque de mourir ou de subir un préjudice permanent (la troisième catégorie de personnes).
[112] Lorsque, avec le recul, on considère la vue d'ensemble, la notion selon laquelle les actes concrets d'une personne peuvent emporter une obligation dans certaines situations est bien connue en common law. Comme le font remarquer les professeurs Colvin et Anand, [ traduction ] « trois catégories d'obligations d'agir assez bien établies » existent de longue date ( Principles of Criminal Law (3 e éd. 2007), p. 141). La première, que l'on connaît bien, est celle des obligations liées aux « rapports généraux en matière de soins et de protection » comme celles visées à l'al. a ) de la définition de l' art. 214 . La deuxième correspond aux obligations découlant d'« engagements précis d'agir » (voir, p. ex., R. c. Nicholls (1874), 13 Cox C.C. 75; R. c. Instan , [1893] 1 Q.B. 450). La troisième est celle des obligations découlant du « fait d'être à l'origine de la situation dangereuse » (voir, p. ex., R. c. Salmon (1880), 6 Q.B.D. 79; R. c. Coyne (1958), 124 C.C.C. 176 (C.S.N.‑B. (Div. app.)); R. c. Miller , [1983] 1 All E.R. 978 (H.L.)). Voir aussi Ormerod, p. 70‑75, qui retient les trois catégories suivantes : [ traduction ] « liens parentaux et autres », « engagements pris de plein gré » et « création d'une situation dangereuse ». Ces trois catégories d'obligations correspondent précisément aux trois catégories de personnes qui, selon moi, tombent sous le coup de l' art. 218 . Certes, les infractions de common law ne font pas partie du droit criminel canadien mais, à mon sens, le libellé de l'al. b ) de la définition de l' art. 214 instancie — à l'instar des art. 216 , 217 et 217.1 — les deuxième et troisième catégories reconnues depuis longtemps en common law, mais dans le cas des jeunes enfants.
[113] L'interprétation que je préconise répond en bonne partie aux craintes liées à l'étendue de la responsabilité criminelle susceptible d'être engagée sous le régime de l' art. 218 . Le spectre de la responsabilité criminelle que l'infraction est susceptible d'emporter n'est pas trop large. En fait, l'interprétation que je privilégie est peut‑être plus stricte que celle retenue par les juges majoritaires, qui ne délimite pas la conduite assimilable au « fait de traiter » un enfant. Toutes autres choses étant égales par ailleurs, il m'est donc impossible de convenir que la portée de l'infraction justifie l'application d'une norme de prévisibilité subjective des conséquences prohibées à l' art. 218 .
(2) Le régime législatif
[114] Je relève par ailleurs que l' art. 218 se trouve à la partie VIII du Code sous la rubrique « Devoirs tendant à la conservation de la vie ». Il prévoit l'une des deux infractions figurant sous cette rubrique, l'autre étant celle créée à l' art. 215 . J'estime que l'emplacement de l' art. 218 milite jusqu'à un certain point en faveur de l'intention du législateur d'y créer une infraction fondée sur une obligation.
[115] Dans son ouvrage intitulé Sullivan on the Construction of Statutes (5 e éd. 2008), la professeure Ruth Sullivan, une sommité dans le domaine de l'interprétation des lois, fait remarquer que [ traduction] « l'intitulé des rubriques peut être révélateur de l'intention du législateur et pris en compte aux fins d'interprétation » (p. 394). Voir aussi R. c. Lucas , [1998] 1 R.C.S. 439, par. 47. Il convient de citer ce qu'elle dit au sujet des dispositions regroupées sous une même rubrique :
[ traduction] L es dispositions réunies sous une même rubrique sont présumées être liées entre elles d'une façon particulière , porter sur un même sujet ou avoir le même objet, ou encore, partager une même caractéristique. [Je souligne; p. 396.]
[116] Sans accorder trop de poids à la proximité des art. 218 et 215 , ce dernier créant clairement une infraction fondée sur une obligation, je lui reconnais une certaine importance. Rappelons que l' art. 218 est regroupé avec d'autres dispositions (les art. 216 , 217 et 217.1 ) qui imposent des obligations légales dans certaines circonstances. De toute évidence, l' art. 218 fait partie de dispositions dont le dénominateur commun est la notion sous‑jacente d'« obligation ». Il paraît donc inhabituel que, sans raison apparente, le législateur insère une infraction non fondée sur une obligation à la suite de dispositions qui se rapportent toutes à des obligations. L'idée paraît d'autant plus insolite que l' art. 218 vise la conduite intrinsèquement dangereuse qui met en danger la vie et la sécurité de jeunes enfants sans défense, ou les expose à un tel risque, le genre même de situation qui, à mon sens, exige l'établissement d'une norme de conduite minimale applicable à tous et appelle le recours à une norme de faute fondée sur la prévisibilité objective.
[117] L'absence du mot « obligation » à l' art. 218 s'explique selon moi par le fait que cette disposition vise principalement des actions, et l' art. 215 , des omissions. Il n'est pas question de parents qui omettent de « ne pas abandonner » leurs enfants ou de « ne pas les exposer » au risque de mourir ou de subir un préjudice permanent. L'élément essentiel de l' art. 218 réside non pas dans l'omission de l'accusé de faire ce qu'il est légalement tenu de faire (même si l'al. a ) de la définition de l' art. 214 tient compte d'une telle situation), mais dans l'accomplissement d'un acte intrinsèquement dangereux, à savoir l'abandon ou l'exposition d'un enfant sans défense au risque qu'il meure ou qu'il subisse un préjudice permanent.
(3) La doctrine
[118] Enfin, je constate que la doctrine sur l'infraction d'abandon ou d'exposition d'enfant créée à l' art. 218 du Code est peu abondante, mais que celle qui existe penche en faveur d'une infraction fondée sur une obligation.
[119] Dans son traité, le professeur Stuart opine que l'infraction d'abandon d'enfant est fondée sur une obligation, bien que celle‑ci ne soit pas énoncée dans le texte qui crée l'infraction. Elle fait partie selon lui des [ traduction ] « [i]nfractions dont la perpétration peut s'entendre d'une omission, mais qui ne créent pas d'obligation légale d'agir, de sorte que l'obligation légale en cause doit être trouvée ailleurs que dans la disposition qui crée l'infraction » (p. 96). Deux types d'infractions sont en cause, et le premier englobe l'abandon d'enfant :
[ traduction ] En premier lieu, il y a l'infraction prévue par le Code et qui se rapporte à une obligation non définie. Il s'agit par exemple de infraction de permettre une évasion en omettant d'accomplir « un devoir légal » ( al. 146 a ) ), de celle de commettre une nuisance publique en omettant d'accomplir « une obligation légale » ( article 180 ) et de celle d' abandonner un enfant en omettant d'en prendre soin alors qu'on est « légalement ten[u] de le faire » ( articles 214 et 218 ). [Je souligne; p. 96.]
[120] Comme je l'explique précédemment, limiter l'application de l' art. 218 aux seules personnes ayant une obligation préexistante permanente ne saurait s'appuyer sur le seul texte de la disposition, étant donné l'al. b ) de la définition d'« abandonner » ou d'« exposer » de l' art. 214 . Le professeur Stuart me semble néanmoins soutenir plus modérément que l' art. 218 vise ces personnes, du moins en partie, et qu'il crée donc effectivement une infraction fondée sur une obligation.
[121] Aussi, le professeur Roach explique que même si une omission ne peut généralement pas constituer l' actus reus d'une infraction, l'omission d'agir le peut lorsqu'une personne a une [ traduction ] « obligation légale donnée d'agir » (p. 115-116). Il assimile ensuite l'abandon d'enfant à une infraction fondée sur une obligation :
[ traduction ] Il y a obligation de faire preuve de diligence raisonnable dans l'administration d'un traitement médical ou dans l'accomplissement d'autres actes légaux susceptibles de mettre la vie d'autrui en danger. Manque à cette obligation la personne qui donne du sang en se sachant atteinte du VIH. Constitue également une infraction le défaut de diligence raisonnable dans la manipulation d'explosifs, la désobéissance à une ordonnance judiciaire, le refus de prêter main‑forte à un agent de la paix malgré sa demande, l' abandon d'un enfant , la négligence à se procurer de l'aide lors de la naissance d'un enfant, l'omission d'arrêter son véhicule lors d'un accident auquel on est partie, l'omission de prendre soin d'animaux et l'omission de prendre des mesures pour protéger une ouverture dans la glace ou une excavation accessible. [Notes de bas de page omises; je souligne; p. 116.]
[122] Enfin, à la p. 826 de leur traité, Manning et Sankoff jettent un regard sombre sur l' art. 218 , qu'ils jugent [ traduction ] « totalement superflu » en ce qu'« il semble impossible de concevoir une situation où l'abandon ne constituerait pas également une omission de fournir les choses nécessaires à l'existence [suivant l' art. 215 ] ». Je rappelle que leur analyse ne prend pas du tout en compte l'al. b ) de la définition d'« abandonner » ou d'« exposer » de l' art. 214 , et je m'abstiens de me prononcer sur la thèse selon laquelle l' art. 218 serait superflu. Toutefois, ces considérations mises à part, comme ils estiment que l' art. 218 est entièrement subsumé sous l' art. 215 , qui crée de l'avis de tous une infraction fondée sur une obligation, les auteurs reconnaissent forcément que l'infraction prévue à l' art. 218 est elle aussi fondée sur une obligation.
(4) Conclusion sur la nature de l' art. 218 : une infraction fondée sur une obligation
[123] En résumé, le texte même de l' art. 218 , étayé par le rôle des obligations découlant de certaines situations en droit criminel canadien, la présence de cet article parmi d'autres dispositions du Code qui créent des infractions fondées sur une obligation et les articles de doctrine portant sur l' art. 218 , mène à la conclusion que l'infraction d'abandon d'enfant est fondée sur une obligation. La disposition vise trois catégories de personnes dans la situation où un enfant de moins de 10 ans court ou est susceptible de courir le risque de mourir ou de subir un préjudice permanent. Il s'agit premièrement, suivant l'al. a ) de la définition de l' art. 214 , de la personne qui a l'obligation préexistante permanente de prendre soin de l'enfant, deuxièmement, suivant l'al. b ), de la personne qui, dans cette situation, « trait[e] » l'enfant en prenant une mesure concrète pour lui venir en aide et, troisièmement, toujours suivant l'al. b ), de la personne qui « trait[e] » l'enfant en le plaçant dans cette situation.
[124] En gardant cela présent à l'esprit, je reviens au libellé de l' art. 218 , en particulier aux termes employés relativement aux conséquences. C'est l'élément moral lié à ces conséquences qui fait l'objet du pourvoi :
218. Quiconque illicitement abandonne ou expose un enfant de moins de dix ans, de manière que la vie de cet enfant soit effectivement mise en danger ou exposée à l'être, ou que sa santé soit effectivement compromise de façon permanente ou exposée à l'être . . .
[125] Ce libellé qu'il nous incombe aujourd'hui d'interpréter présente une ressemblance frappante avec celui de l' art. 215 , la disposition apparentée qui porte sur l'omission de fournir les choses nécessaires à l'existence et que la Cour a interprétée dans Naglik . Rappelons que, selon la Cour, la mens rea requise pour l'application de l'élément pertinent de l' art. 215 doit être établie de manière objective. Dans des motifs unanimes sur ce point, le juge en chef Lamer s'est demandé (p. 143), de manière théorique, « [q] uels éléments de l'infraction doivent être objectivement prévisibles? », et il a conclu qu'il s'agissait de ceux soulignés dans l'extrait suivant du deuxième sous-alinéa de l' art. 215 :
(2) Commet une infraction quiconque, ayant une obligation légale au sens du paragraphe (1), omet, sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe, de remplir cette obligation, si :
a ) à l'égard d'une obligation imposée . . .
(ii) ou bien l'omission de remplir l'obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou expose, ou est de nature à exposer, à un péril permanent la santé de cette personne . . .
[126] De toute évidence, les termes pertinents employés dans les deux dispositions sont d'une ressemblance frappante. Si, comme je tente de le démontrer, l'infraction créée par l' art. 218 est fondée sur une obligation, le débat est clos, car nul principe ou précédent ne justifie de rompre avec la règle énoncée dans Naglik. Le raisonnement de la Cour en ce qui concerne l' art. 215 vaut tout autant pour l' art. 218 et il est illogique que l'élément moral requis pour le risque créé par l'abandon d'un enfant ne doive pas être établi de manière objective. Mais ce n'est pas tout, d'autres considérations me confortent cependant dans mon opinion.
D. L'historique législatif confirme l'application d'une norme objective à l'égard des conséquences prohibées
[127] On peut faire remonter les origines de l' art. 218 à la loi intitulée The Offences against the Person Act, 1861 , 24 & 25 Vict., ch. 100, où le précurseur de l'actuel art. 218 se trouve à l'art. 27 et comporte en regard la note marginale suivante : [ traduction ] « Exposer un enfant de manière que sa vie soit mise en danger ». Voici l'extrait pertinent de la disposition :
[traduction]
27. Quiconque abandonne ou expose illégalement un enfant âgé de moins de deux ans, par lequel fait la vie de cet enfant est mise en danger, ou la santé de cet enfant est ou sera vraisemblablement compromise pour toujours, est coupable de délit . . .
[128] Je souligne les mots [ traduction ] « par lequel fait » qui, à mon sens, signifient « de sorte que », les deux expressions n'étant généralement guère associées à la prévisibilité subjective. Ce n'est sûrement pas involontaire. La Loi est truffée de termes comme [traduction] « sciemment », « de façon malveillante » et « dans l'intention », qui traduisent habituellement l'exigence d'une mens rea subjective.
[129] En 1869, le Parlement du Canada a édicté l' Acte concernant les offenses contre la Personne , S.C. 1869, ch. 20, dont l'art. 26 reprenait essentiellement le libellé de l'art. 27 de la loi anglaise :
26. Quiconque abandonne ou expose illégalement un enfant âgé de moins de deux ans, par lequel fait la vie de cet enfant est mise en danger, ou la santé de cet enfant a été ou sera vraisemblablement compromise pour toujours, est coupable de délit . . .
[130] Le premier Code criminel du Canada est entré en vigueur en 1893 ( Code criminel, 1892 , S.C. 1892, ch. 29). Le législateur a créé plusieurs infractions fondées sur une obligation sous la rubrique « Devoirs tendant à la conservation de la vie », dont l' art. 216 auquel était accolée la note marginale « Délaisser un enfant âgé de moins de deux ans ». En voici le texte :
216. Est coupable d'un acte criminel et passible de trois ans d'emprisonnement, quiconque abandonne ou délaisse illégalement un enfant âgé de moins de deux ans, par lequel fait la vie de cet enfant est mise en danger, ou sa santé est irrémédiablement compromise.
2. Les expressions « abandonner » et « délaisser » comprennent l'omission volontaire de prendre soin d'un enfant de la part d'une personne légalement tenue de le faire, et toute manière de le traiter de nature à le laisser exposé à quelque danger sans protection.
[131] À l'évidence, le premier paragraphe de la disposition reprend essentiellement le texte de l'art. 26 de l' Acte concernant les offenses contre la Personne . Le second est nouveau et s'apparente beaucoup aux actuels al. a ) et b ) de la définition d'« abandonner » ou d'« exposer » de l' art. 214 , à une importante exception près. La seconde partie du par. 216(2) renvoie à « toute manière de [. . .] traiter [l'enfant] de nature à le laisser exposé à quelque danger sans protection », et l'actuel al. b ) de la définition de l' art. 214 , au « fait de traiter un enfant d'une façon pouvant l'exposer à des dangers contre lesquels il n'est pas protégé ». Bref, les mots « pouvant l'exposer » (« likely to leave [. . .] exposed ») ont remplacé l'expression « de nature à le laisser exposé » (« calculated to leave [. . .] exposed »). Le changement peut paraître très significatif à nos yeux actuels, surtout en anglais, mais il faut se garder de confondre le sens que ces expressions avaient alors et celui qu'elles ont aujourd'hui. Comme le font remarquer les juges majoritaires, « calculated to » et « likely to » étaient synonymes aux 18 e et 19 e siècles [2] . La mutation a coïncidé avec l'adoption d'une nouvelle version du Code ( Code criminel , S.C. 1953-54, ch. 51, art. 185), et la volonté de moderniser la terminologie employée en constitue sans doute la meilleure explication. La professeure Sullivan fait d'ailleurs observer qu'une telle révision peut avoir pour objet [ traduction ] « d'assurer la clarté, l'uniformité et la lisibilité » de la loi en cause, de sorte que « des termes désuets soient remplacés » (p. 653‑654). Le libellé des dispositions criminalisant l'abandon, soit les actuels art. 214 et 218 , n'a pas été modifié depuis.
[132] Outre le texte même de la disposition, ses premières interprétations judiciaires peuvent contribuer à l'interprétation de l'actuel art. 218 . L'arrêt de principe britannique R. c. White (1871), L.R. 1 C.C.R. 311, a été rendu dans une affaire où un père avait omis d'assumer la garde de son enfant de neuf mois que son épouse, dont il était séparé, avait laissé sur la route devant chez lui en lui enjoignant de s'en occuper. Le père a été accusé puis déclaré coupable sous le régime de l'art. 27 de la loi intitulée The Offences against the Person Act, 1861 , et la déclaration de culpabilité a été confirmée en appel.
[133] L'arrêt White ne mentionne pas que la mens rea doit être subjective pour établir la perpétration de l'infraction d'abandon. Il donne plutôt à penser le contraire, comme en témoigne l'extrait suivant de l'opinion du juge en chef Bovill, à laquelle souscrivent les quatre autres juges :
[ traduction ] Au lieu de protéger l'enfant et de répondre à ses besoins comme il était tenu de le faire, [le père] l'a laissé par terre, d'abord à sa porte, puis sur la voie publique, insuffisamment vêtu, à un moment de l'année où la mort de l'enfant aurait pu en résulter . [Je souligne; p. 313.]
Les termes employés par le juge en chef Bovill militent selon moi en faveur de la prévisibilité objective (la mort aurait pu en résulter), et non de la prévision subjective ( savait que la mort pourrait en résulter).
[134] Je reconnais que, dans une opinion distincte, le juge Blackburn s'exprime d'une manière qui laisse entendre que, aux fins de l'infraction d'abandon, il doit y avoir prévision subjective :
[ traduction ] . . . la loi impose [au père] l'obligation stricte de protéger l'enfant. Lorsque celui‑ci est laissé dans une situation dangereuse, alors que le père le sait et qu'il est pleinement en mesure d'écarter le danger, et qu'il manque à son obligation de protéger l'enfant et le laisse exposé au danger, je crois qu'il y a de sa part délaissement et abandon. [p. 314]
Je ne conclus pas de cet extrait qu'il doit y avoir prévision subjective pour qu'il y ait abandon. En fait, suivant l'appréciation des faits du juge Blackburn, le père savait clairement que la vie de l'enfant était en danger, mais n'a rien fait. Je n'irais pas jusqu'à dire — et je ne dis pas — qu'on ne peut déclarer coupable de l'infraction prévue à l' art. 218 la personne qui, de fait, prévoit subjectivement le risque que l'enfant meure ou subisse un préjudice permanent. Ce n'est toutefois pas la même chose que de tenir la prévision subjective pour un élément essentiel de l'infraction. Lorsque la perpétration de l'infraction est établie, suivant une norme objective à tout le moins, la preuve d'une mens rea subjective suffit à justifier une déclaration de culpabilité. Voir R. c. Beatty , 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49, par. 47; R. c. Roy , 2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60, par. 38.
[135] Pour conclure sur ce point, il est révélateur que la disposition ne renferme pas de termes susceptibles d'indiquer que la prévisibilité des conséquences prohibées doit être appréciée subjectivement. Comme je le mentionne précédemment, l'expression « de nature à le laisser exposé » a été remplacée dans le Code criminel de 1953‑1954 par les mots « pouvant l'exposer ». Par ailleurs, l'âge de l'enfant protégé est passé de deux à dix ans, et à l'expression « par lequel fait » a succédé l'expression équivalente « de manière que ». Si le législateur avait voulu préciser que l'élément de faute requis résidait dans la prévision subjective, il aurait pu le faire lors de la révision du texte de la disposition en substituant les mots « sachant que » à l'expression « de manière que » employée à l' art. 218 , et en remplaçant « de nature à le laisser exposé » par « qu'il sait l'exposer ou susceptible de l'exposer » à l'al. b ) de la définition de l' art. 214 . Comme le signale la professeure Sullivan, [ traduction ] « [o]n présume que le législateur s'exprime le plus possible de façon simple, directe et concise » (p. 207). Or, au lieu de recourir à ce qui aurait constitué une modification assez simple, le législateur a conservé la portée initiale de la disposition dont on considérait, comme je tente de le démontrer, qu'elle exigeait la prévisibilité objective, et non la prévision subjective, des conséquences prohibées.
E. La stigmatisation sociale liée à l'infraction et la gravité de celle‑ci militent en faveur de la prévisibilité objective des conséquences prohibées
[136] J'aborde enfin deux autres considérations qui étayent la conclusion que la négligence pénale constitue l'élément de faute requis pour l'application de l' art. 218 : la stigmatisation sociale résultant de l'infraction d'abandon d'enfant et la gravité du crime. Comme le fait observer la juge McLachlin au nom des juges majoritaires dans Creighton , p. 46, la mens rea d'une infraction doit en refléter la gravité. La stigmatisation sociale et la peine encourue donnent une idée de la gravité de l'infraction.
[137] La stigmatisation sociale qui est associée à l'abandon d'enfant ne peut être considérée — et, à mon avis, elle ne le doit pas — différemment de celle qui résulte de l'omission de fournir les choses nécessaires à l'existence (l'infraction visée par la disposition apparentée qu'est l' art. 215 ) lorsque la négligence pénale est tenue pour l'élément de faute requis. En effet, comme je le mentionne précédemment, Manning et Sankoff affirment à la p. 826 de leur traité que l'infraction d'abandon d'enfant est [ traduction ] « totalement superflue » étant donné son chevauchement avec celle que constitue l'omission de fournir les choses nécessaires à l'existence et que prévoit l' art. 215 du Code :
[ traduction ] Puisque les « choses nécessaires à l'existence » englobent le toit et la protection contre les préjudices, il semble impossible de concevoir une situation où l'abandon ne constituerait pas également une omission de fournir les choses nécessaires à l'existence.
[138] Qu'ils aient entièrement raison ou non, ces auteurs m'incitent à conclure que les art. 215 et 218 doivent être considérés sur un pied d'égalité au regard de la stigmatisation sociale. Ils le sont certainement pour ce qui est de la gravité. Les deux infractions sont punissables d'un emprisonnement maximal de cinq ans (par voie de mise en accusation) et de 18 mois (par voie de procédure sommaire).
[139] Autrement dit, si le législateur avait voulu intégrer à l' art. 218 une norme de prévisibilité subjective, le degré de culpabilité morale serait forcément plus élevé que celui requis pour justifier une déclaration de culpabilité sous le régime de l' art. 215 , pour lequel la prévisibilité doit seulement être objective. Si telle était l'intention du législateur, on pourrait à bon droit s'attendre, selon moi, à ce qu'une peine plus sévère reflète la culpabilité morale accrue. Mais il n'en est rien [3] . J'en conclus que les deux infractions comportent le même degré de culpabilité morale et que leur perpétration exige donc le même degré de faute morale.
[140] Enfin, sans vouloir minimiser la nature et la sévérité des peines prévues aux art. 215 et 218 , les infractions créées par ces articles sont loin d'être comparables à celles dont la Cour a statué qu'elles supposaient une prévisibilité objective, dont l'homicide involontaire coupable et certains cas de conduite dangereuse causant la mort, lesquels rendent passible d'une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité.
F. Les autres éléments de l'infraction
[141] Rappelons que l'infraction d'abandon d'enfant comporte trois éléments distincts : l'acte (l'abandon ou l'exposition), les circonstances (un enfant de moins de 10 ans) et les conséquences (le risque qu'un préjudice soit infligé à l'enfant). Mon analyse s'est attachée jusqu'à présent au troisième élément, et je passe maintenant aux premier et deuxième éléments, que j'examine successivement.
(1) La définition d'« abandonner » ou d'« exposer » et la diversion causée par l'emploi du mot « volontaire »
[142] Bien que l' art. 218 ne renferme aucun terme qui soit de nature à rendre l'intention subjective, à l'al. a ) de la définition d'« abandonner » ou d'« exposer » de l' art. 214 , l'adjectif « volontaire » qualifie le mot « omission ». Hélas, l'intérêt porté à l'emploi de cet adjectif a en grande partie détourné l'attention de la fonction réelle ce mot dans le texte de l' art. 218 . Quel que soit le sens du mot « volontaire », il joue dans l'interprétation du premier élément de l'infraction (l'abandon ou l'exposition). Il a peu d'utilité, à supposer même qu'il en ait, pour interpréter le troisième élément (le risque pour l'enfant).
[143] Dès 1898, dans l'arrêt R. c. Senior , [1899] 1 Q.B. 283, le juge en chef lord Russell de Killowen s'est penché sur le sens du mot « wilfully » (en français, « volontairement ») employé à l'art. 1 de la Prevention of Cruelty to Children Act, 1894 , 57 & 58 Vict., ch. 41, qui, entre autres, criminalisait le fait d'agresser, de maltraiter, de négliger, d'abandonner ou d'exposer [ traduction ] « volontairement » un enfant de moins de 16 ans « d'une manière pouvant lui causer des souffrances inutiles ou compromettre sa santé ». Le juge en chef a affirmé ce qui suit aux p. 290-291 :
[ traduction ] Qu'on les considère de pair ou, conformément aux directives du savant juge au jury, qu'on les considère séparément, les mots « négliger volontairement » employés dans la loi ont un sens très clair. L'adverbe « volontairement » veut que l'acte soit commis délibérément et intentionnellement, et non accidentellement ou par inadvertance, de sorte que l'acte « s'accompagne » de l'état d'esprit correspondant. [Je souligne.]
[144] Les tribunaux et les auteurs reconnaissent de nos jours que le mot « wilful » (en français, « volontaire ») peut être utilisé pour désigner un acte voulu ou délibéré, un acte qui [ traduction ] « s'accompagne » de l'état d'esprit correspondant. Voir, p. ex., R. c. Buzzanga (1979), 25 O.R. (2d) 705 (C.A.), p. 715‑717; R. c. L.B. , 2011 ONCA 153, 274 O.A.C. 365, par. 108‑109, autorisation d'appel refusée, [2011] 3 R.C.S. x; Manning et Sankoff, p. 149‑150.
[145] À mon avis, il appert de la juste interprétation de l' art. 214 que le mot « volontaire » qui y est employé ne renvoie pas à l'intention de faire survenir les conséquences prohibées à l' art. 218 . Il qualifie plutôt l'« omission » visée à l'al. a ) de la définition d'« abandonner » ou d'« exposer », de sorte que l'on réprime un acte [ traduction ] « commis délibérément et intentionnellement, et non accidentellement ou par inadvertance », pour reprendre les propos du juge en chef lord Russell.
[146] Pour employer des termes plus contemporains, l'intention fondamentale ou le caractère volontaire suffisent pour établir l'élément moral minimal de l'infraction d'abandon ou d'exposition. Cette conclusion est indépendante de celle voulant que la norme de la négligence pénale s'applique au troisième élément constitutif de l' art. 218 , et s'harmonise parfaitement avec elle. Ce serait une erreur que de confondre les deux.
(2) L'âge de l'enfant
[147] Enfin, je passe à la deuxième composante de l'infraction, l'âge de l'enfant, lequel ne fait pas l'objet du litige, étant manifeste et les parties reconnaissant que le nouveau‑né d'A.D.H. avait moins de 10 ans. Néanmoins, dans la mesure où l'âge de l'enfant correspond aux circonstances de l'infraction, et non à ses conséquences, et vu l'absence d'indice que le législateur a voulu assujettir cette composante à une norme de preuve objective, j'aurais tendance à conclure qu'il faut établir la faute s'y rapportant de manière subjective. Toutefois, comme la Cour n'a pas à se prononcer sur ce point, je n'en dis pas davantage.
G. Quelques réflexions sur l'intoxication comme moyen de défense
[148] Comme je l'indique précédemment, je crains qu'une interprétation de l' art. 218 exigeant la prévision subjective des conséquences n'offre un moyen de défense au parent fautif ou au gardien irresponsable qui, à cause de son intoxication, ne pouvait prévoir ou n'a pas prévu les conséquences possibles de sa conduite dangereuse. Bien qu'aucune partie ne soulève ce point dans son argumentation, je crois que les répercussions de l'une ou l'autre des interprétations d'une disposition législative font nécessairement partie de l'analyse contextuelle globale à laquelle nous nous livrons. On ne peut — et on ne doit pas — en faire abstraction au motif que les faits d'une affaire ne s'y prêtent pas.
[149] Les juges majoritaires concluent que l' art. 218 prévoit une infraction d'« intention générale » (par. 16). J'aurais pourtant cru que l'arrêt Hinchey nous avait fait dépasser la logique binaire voulant que les infractions soient d'intention spécifique ou d'intention générale [4] . La présente affaire fait ressortir la justesse de l'approche de la Cour dans cet arrêt, car la difficulté tient essentiellement à ce que l'infraction créée à l' art. 218 , que l'on adhère à la thèse des juges majoritaires ou à la mienne, ne s'insère pas — et ne peut en fait s'insérer — parfaitement dans la catégorie des infractions d'intention générale ni dans celle des infractions d'intention spécifique. Tenter de l'insérer dans l'une ou l'autre des catégories revient à faire ce que les tribunaux font depuis trop longtemps : qualifier l'infraction en péchant par excès de généralisation et de simplification.
[150] Le renvoi des juges majoritaires à l'arrêt R. c. Daviault , [1994] 3 R.C.S. 63, et à l' art. 33.1 du Code n'apaise pas mes craintes. D'abord, Daviault ne porte que sur l'intention fondamentale ou le caractère volontaire nécessaire pour que l'acte soit intentionnel, ce que le juge Cory qualifie d'« élément moral minimal requis par l'infraction d'intention générale » (p. 87 (je souligne)). L'arrêt R. c. Daley , 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523, rendu subséquemment, confirme que l'« intoxication extrême » reconnue comme moyen de défense dans Daviault s'entend seulement de celle qui « exclut tout caractère volontaire et qui, de ce fait, constitue un moyen de défense exonérant totalement de toute responsabilité criminelle » (par. 43 (je souligne)). Dans Daviault , la Cour ne se prononce donc pas sur la question de savoir si l'intoxication sans automatisme peut soulever un doute raisonnable quant à la prévision subjective des conséquences par l'accusé, le critère d'application de l' art. 218 selon les juges majoritaires.
[151] Deuxièmement, si l' art. 33.1 du Code s'applique à l' art. 218 , il a pour effet d'écarter le moyen de défense reconnu dans Daviault , mais seulement dans la mesure où l'accusé « n'avait pas l' intention générale ou la volonté requise pour la perpétration de l'infraction ». À supposer, aux fins du débat, que l' art. 33.1 s'applique bel et bien à l' art. 218 , il ne nous apprend rien sur l'interaction entre l'intoxication comme moyen de défense et la prévision subjective des conséquences. Je le rappelle, Daviault n'intéresse que l'intention fondamentale ou le caractère volontaire requis pour commettre un acte intentionnel. J'estime donc, en toute déférence, qu'il importe peu de savoir si l' art. 33.1 s'applique ou non à l' art. 218 .
H. Conclusion
[152] L' article 218 a pour objet la protection des enfants. Il vise trois catégories de personnes dans la situation où un enfant de moins de 10 ans court ou est susceptible de courir le risque de mourir ou de subir un préjudice permanent. Il appert de l'examen du libellé de la disposition, de son évolution, de son historique, de la gravité du crime et de la stigmatisation sociale qui y est associée que l'infraction repose sur une obligation et que la négligence pénale correspond au degré de faute requis pour établir la culpabilité à l'égard des conséquences prohibées.
[153] Au vu de cette conclusion, je m'empresse d'ajouter que la négligence pénale suppose une faute bien réelle et qu'il ne s'agit pas du tout de punir la personne « moralement innocente ». Même si cette norme peut être moins stricte que celle de la faute subjective quant à chacun des éléments du crime, elle n'a pas pour effet de punir une personne qui commet une simple négligence. Comme l'affirme la juge Charron dans Beatty , par. 34 :
S'il faut considérer comme une infraction criminelle chaque écart par rapport à la norme civile, quelle qu'en soit la gravité, on risque de ratisser trop large et de qualifier de criminelles des personnes qui en réalité ne sont pas moralement blâmables.
C'est pourquoi le critère objectif « exige la preuve d'un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans les circonstances » : ibid. , par. 36 (en italique dans l'original).
[154] Une norme objective n'a pas non plus pour effet de punir la personne qui agit en croyant de bonne foi, mais à tort, que sa conduite n'est pas dangereuse dans les circonstances, à condition que sa croyance soit raisonnable. Toujours dans Beatty , la juge Charron fait la synthèse suivante aux par. 37‑38 :
Toutefois, comme l'état mental de l'accusé est pertinent dans une affaire criminelle, il faut modifier le critère objectif pour accorder à l'accusé le bénéfice de tout doute raisonnable relatif à la question de savoir si une personne raisonnable aurait apprécié le risque ou encore aurait pu faire quelque chose pour éviter de créer le danger et l'aurait fait. . .
. . . Dans le même ordre d'idées, une erreur de fait raisonnable peut constituer un moyen de défense suffisant si, compte tenu de la perception raisonnable des faits par l'accusé, son comportement était conforme à la norme de diligence requise.
[155] Ce que le critère écarte c'est la prise en compte des caractéristiques personnelles de l'accusé, hormis son incapacité à prendre conscience du risque. Son application ne permet pas non plus à une personne en état d'ivresse ou d'intoxication d'échapper à toute responsabilité au motif qu'elle n'était pas en mesure de prévoir, ou qu'elle n'a pas prévu, les conséquences probables de ses actes. En toute déférence, il devrait en être ainsi. L'application de la norme de la négligence pénale aux faits de l'espèce montre comment elle peut soustraire la personne moralement innocente à la responsabilité criminelle.
III. Application aux faits
[156] Le juge du procès a conclu que l'intimée, A.D.H., croyait sincèrement son enfant mort‑né. Pour ce faire, il a admis le caractère précipité et prématuré de la naissance. Il a également tenu pour avérées la stupéfaction et la frayeur d'A.D.H. au moment des faits, ainsi que la couleur bleue du nouveau‑né et son immobilité. À son avis, le témoignage du D r Simpson et ceux d'autres personnes qui avaient elles aussi cru l'enfant mort étayaient objectivement la croyance d'A.D.H. (2009 SKQB 261, 335 Sask. R. 173).
[157] À partir des conclusions de fait du juge du procès, le juge Ottenbreit, de la Cour d'appel, a conclu qu'A.D.H. devait être acquittée. Selon lui, elle croyait [ traduction ] « non seulement de bonne foi, mais aussi de manière raisonnable dans les circonstances » (2011 SKCA 6, 366 Sask. R. 123, par. 38), avoir donné naissance à un enfant mort‑né. Je suis du même avis.
[158] Compte tenu de l'ensemble des circonstances, le fait qu'A.D.H. a abandonné son enfant et l'a exposé au risque de mourir ou de subir un préjudice permanent n'était pas moralement blâmable. Elle avait donc droit à l'acquittement.
[159] Je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi.
ANNEXE
Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C-46
214. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.
« abandonner » ou « exposer » S'entend notamment :
a ) de l'omission volontaire, par une personne légalement tenue de le faire, de prendre soin d'un enfant;
b ) du fait de traiter un enfant d'une façon pouvant l'exposer à des dangers contre lesquels il n'est pas protégé.
. . .
215. (1) [ Devoir de fournir les choses nécessaires à l'existence] Toute personne est légalement tenue :
a ) en qualité de père ou de mère, de parent nourricier, de tuteur ou de chef de famille, de fournir les choses nécessaires à l'existence d'un enfant de moins de seize ans;
b ) de fournir les choses nécessaires à l'existence de son époux ou conjoint de fait;
c ) de fournir les choses nécessaires à l'existence d'une personne à sa charge, si cette personne est incapable, à la fois :
(i) par suite de détention, d'âge, de maladie, de troubles mentaux, ou pour une autre cause, de se soustraire à cette charge,
(ii) de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence.
(2) [Infraction] Commet une infraction quiconque, ayant une obligation légale au sens du paragraphe (1), omet, sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe, de remplir cette obligation, si :
a ) à l'égard d'une obligation imposée par l'alinéa (1) a ) ou b ) :
(i) ou bien la personne envers laquelle l'obligation doit être remplie se trouve dans le dénuement ou dans le besoin,
(ii) ou bien l'omission de remplir l'obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou expose, ou est de nature à exposer, à un péril permanent la santé de cette personne;
b ) à l'égard d'une obligation imposée par l'alinéa (1) c ), l'omission de remplir l'obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou cause, ou est de nature à causer, un tort permanent à la santé de cette personne.
(3) [Peine] Quiconque commet une infraction visée au paragraphe (2) est coupable :
a ) soit d'un acte criminel passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans;
b ) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d'un emprisonnement maximal de dix‑huit mois.
(4) [Présomptions] Aux fins des poursuites engagées en vertu du présent article :
a ) [Abrogé, 2000, ch. 12, art. 93]
b ) la preuve qu'une personne a de quelque façon reconnu un enfant comme son enfant, constitue, en l'absence de toute preuve contraire, une preuve que cet enfant est le sien;
c ) la preuve qu'une personne a omis, pendant une période d'un mois, de pourvoir à l'entretien d'un de ses enfants âgé de moins de seize ans constitue, en l'absence de toute preuve contraire, une preuve qu'elle a omis, sans excuse légitime, de lui fournir les choses nécessaires à l'existence;
d ) le fait qu'un époux ou conjoint de fait ou un enfant reçoit ou a reçu les choses nécessaires à l'existence, d'une autre personne qui n'est pas légalement tenue de les fournir, ne constitue pas une défense.
. . .
218. [Abandon d'un enfant] Quiconque illicitement abandonne ou expose un enfant de moins de dix ans, de manière que la vie de cet enfant soit effectivement mise en danger ou exposée à l'être, ou que sa santé soit effectivement compromise de façon permanente ou exposée à l'être est coupable :
a ) soit d'un acte criminel passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans;
b ) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d'un emprisonnement maximal de dix‑huit mois.
Pourvoi rejeté.
Procureur de l'appelante : Procureur général de la Saskatchewan, Regina.
Procureur de l'intimée : Saskatchewan Legal Aid Commission, Prince Albert.
Procureur de l'intervenant : Procureur général de l'Ontario, Toronto.
[1] Pour simplifier ci-après, je renvoie simplement à la « définition de l' art. 214 ».
[2] Ce que confirme le texte français de la disposition de 1892 où « de nature à [. . .] laisser » correspond à « calculated to leave ».
[3] La Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d'autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve au Canada , L.C. 2005, ch. 32, art. 11 et 12, a eu pour effet d'harmoniser les peines prévues aux art. 215 et 218 .
[4] Il y a plus de trente ans, dans Leary c. La Reine , [1978] 1 R.C.S. 29, le juge Dickson (plus tard Juge en chef), dissident, reconnaissait que la dichotomie entre intention spécifique et intention générale confondait juges et avocats depuis son introduction au Canada dans l'arrêt R. c. George , [1960] R.C.S. 871. Selon lui, la difficulté résidait dans le fait qu'« il n'existe pas, et [qu']il n'a jamais existé, de critère juridique approprié pour distinguer un type de crimes de l'autre » (p. 40). Dans des commentaires qui s'accordent bien avec Hinchey , il recommande de ne pas s'arrêter aux étiquettes, qui sont « à la fois dénuée[s] de sens et inintelligible[s] », et de s'attacher aux « élément[s] menta[ux] que le ministère public doit [effectivement] prouver » (p. 42-43).