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23/07/2004 | CANADA | N°2004_CSC_52

Canada | R. c. Mann, 2004 CSC 52 (23 juillet 2004)


R. c. Mann, [2004] 3 R.C.S. 59, 2004 CSC 52

Philip Henry Mann Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Procureur général de l’Ontario,

Association canadienne des chefs de police,

Criminal Lawyers’ Association (Ontario) et

Association canadienne des libertés civiles Intervenants

Répertorié : R. c. Mann

Référence neutre : 2004 CSC 52.

No du greffe : 29477.

2004 : 26 mars; 2004 : 23 juillet*.

Présents : Les juges Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps et Fish.

en appel

de la cour d’appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba, [2002] 11 W.W.R. 435, 166 Man. R. (2d) 260, 169 C.C.C. (...

R. c. Mann, [2004] 3 R.C.S. 59, 2004 CSC 52

Philip Henry Mann Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Procureur général de l’Ontario,

Association canadienne des chefs de police,

Criminal Lawyers’ Association (Ontario) et

Association canadienne des libertés civiles Intervenants

Répertorié : R. c. Mann

Référence neutre : 2004 CSC 52.

No du greffe : 29477.

2004 : 26 mars; 2004 : 23 juillet*.

Présents : Les juges Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps et Fish.

en appel de la cour d’appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba, [2002] 11 W.W.R. 435, 166 Man. R. (2d) 260, 169 C.C.C. (3d) 272, 5 C.R. (6th) 305, 101 C.R.R. (2d) 25, [2002] M.J. No. 380 (QL), 2002 MBCA 121, qui a annulé l’acquittement de l’accusé et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Pourvoi accueilli, les juges Bastarache et Deschamps sont dissidents.

Amanda Sansregret et Bruce F. Bonney, pour l’appelant.

S. David Frankel, c.r., et François Lacasse, pour l’intimée.

Michal Fairburn, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

Greg Preston et Brad Mandrusiak, pour l’intervenante l’Association canadienne des chefs de police.

Maureen D. Forestell, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).

Christopher D. Bredt et Elissa M. Goodman, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.

Version française du jugement des juges Iacobucci, Major, Binnie, LeBel et Fish rendu par

Le juge Iacobucci —

I. Introduction

1 Le présent pourvoi soulève des questions fondamentales concernant le droit des citoyens de circuler dans les rues sans être dérangés par l’État, compte tenu toutefois du rôle nécessaire que joue la police dans les enquêtes criminelles. Nous avons donc en l’espèce une autre occasion d’examiner l’équilibre délicat qui doit être établi pour protéger adéquatement les libertés individuelles et reconnaître comme il se doit des fonctions légitimes de la police.

2 Plus précisément, notre Cour est directement saisie des questions suivantes : (i) Existe‑t‑il, en common law, un pouvoir habilitant les policiers à détenir une personne aux fins d’enquête? (ii) Dans l’affirmative, ces détentions aux fins d’enquête sont‑elles assorties d’un pouvoir de fouille accessoire concomitant, lui aussi reconnu par la common law? En outre, eu égard aux faits du présent pourvoi, je vais répondre aux questions suivantes : (iii) Si un tel pouvoir de détention, de fouille ou de détention et de fouille existe, les policiers étaient‑ils justifiés de l’exercer? (iv) S’il y a eu atteinte aux droits de l’appelant, la preuve recueillie doit-elle être écartée en application du par. 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés.

3 Comme il sera expliqué dans les motifs qui suivent, j’estime qu’en l’espèce les policiers étaient habilités par la common law à détenir l’appelant et à le fouiller à des fins préventives. Toutefois, à l’instar du juge du procès, je suis d’avis que la fouille effectuée par les policiers a dépassé les limites de l’acceptable et que la preuve obtenue de façon inconstitutionnelle a été écartée à bon droit. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir l’acquittement inscrit au procès.

II. Les faits

4 Le 23 décembre 2000, peu avant minuit, deux policiers ont reçu du répartiteur radio un message leur signalant qu’une introduction par effraction était en cours dans un quartier voisin du centre‑ville de Winnipeg. Le suspect était décrit comme étant un homme autochtone âgé de 21 ans, mesurant approximativement 5 pi 8 po, pesant 165 lb et portant un blouson noir à manches blanches; on pensait qu’il s’agissait d’un certain « Zachary Parisienne ».

5 En s’approchant de la scène du crime, les policiers ont aperçu un individu qui marchait tranquillement sur le trottoir. D’après leurs témoignages, cet individu correspondait [traduction] « en tous points » à la description du suspect. Les policiers ont intercepté l’appelant, Philip Mann, et lui ont demandé de s’identifier. Ce dernier a décliné son nom et sa date de naissance aux policiers. Il s’est également plié à une fouille par palpation visant à déterminer s’il était en possession d’une arme dissimulée. L’appelant portait un chandail à poche kangourou. Le policier qui effectuait la fouille a senti un objet mou à l’intérieur de la poche kangourou. Il a glissé sa main dans cette poche et y a trouvé un petit sac en plastique contenant 27,55 grammes de marijuana. Dans une autre poche, il a trouvé un certain nombre de sachets en plastique, deux comprimés de Valium et une carte d’Indien visé par un traité qui confirmait l’identité de l’appelant.

6 L’appelant a subséquemment été arrêté pour possession de marijuana en vue d’en faire le trafic, infraction prévue au par. 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, et on lui a fait la mise en garde habituelle.

III. Les dispositions constitutionnelles pertinentes

7 Charte canadienne des droits et libertés

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires.

10. Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :

a) d’être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention;

b) d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit;

. . .

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

IV. Historique des procédures judiciaires

A. Cour provinciale du Manitoba

8 Au procès, l’avocat de la défense a concédé que, comme l’appelant correspondait « en tous points » à la description de l’auteur de l’infraction, la police avait le pouvoir de l’intercepter aux fins d’enquête. Le juge Conner de la Cour provinciale ne s’est pas demandé si l’appelant avait consenti de façon éclairée à la fouille effectuée sur sa personne.

9 Le juge Conner a conclu que le policier avait été justifié de fouiller l’appelant pour des raisons de sécurité, mais que les circonstances particulières de l’affaire ne justifiaient pas qu’il glisse sa main à l’intérieur de la poche avant du chandail de l’appelant après y avoir senti la présence d’un objet mou. Concluant que le policier était tenu d’avoir [traduction] « une raison de ne pas se limiter à la fouille par palpation », le juge Conner a estimé que rien ne permettait d’inférer qu’il était raisonnable d’examiner l’intérieur de la poche pour des raisons de sécurité. Par conséquent, il a été jugé que la fouille de la poche du chandail de l’appelant contrevenait à l’art. 8 de la Charte. La preuve a donc été écartée en application du par. 24(2) de la Charte, étant donné que son utilisation était susceptible de compromettre l’équité du procès.

B. Cour d’appel du Manitoba (2002), 169 C.C.C. (3d) 272, 2002 MBCA 121

10 En définitive, la Cour d’appel a jugé que la détention et la fouille par palpation étaient autorisées par la loi et que, eu égard aux faits, elles avaient été effectuées de manière non abusive. Le juge Twaddle a annulé l’acquittement et ordonné la tenue d’un nouveau procès.

11 Le juge Twaddle est parti du principe qu’une fouille sans mandat est à première vue abusive et qu’il incombe au ministère public d’en établir le caractère non abusif, selon la prépondérance des probabilités. Il s’est ensuite demandé s’il existait en common law un pouvoir autorisant la détention initiale. Appliquant le critère énoncé dans l’arrêt R. c. Waterfield, [1963] 3 All E.R. 659 (C.C.A.), il a conclu que, à la lumière des faits, la détention était autorisée par la loi. Il a fait remarquer que les circonstances entraient dans le champ général des devoirs d’un policier et que la détention était également justifiée en raison de la similarité entre la description de l’appelant et celle du suspect.

12 Relativement au pouvoir de fouille accessoire à la détention, le juge Twaddle a estimé que, bien que constituant à première vue une atteinte illicite à la liberté de l’appelant, la fouille par palpation représentait néanmoins un exercice justifiable du pouvoir relié aux devoirs des policiers de maintenir l’ordre et de protéger la vie. Le juge Twaddle a refusé d’examiner la question de savoir si les actes accomplis par les policiers pouvaient être justifiés par l’existence d’un motif précis ou concret les autorisant à détenir et fouiller l’appelant.

13 Ayant conclu que le pouvoir de détention et de fouille était autorisé par la loi, le juge Twaddle s’est demandé si la fouille avait été effectuée d’une manière non abusive. Il a estimé que le policier n’avait pas agi abusivement en fouillant l’intérieur de la poche avant du chandail de l’appelant après y avoir constaté la présence d’un objet mou. Le juge Twaddle a fait une distinction entre les fouilles effectuées après une arrestation et les fouilles accessoires à une détention, ces dernières se limitant uniquement à la recherche d’armes.

14 La conclusion du juge Twaddle sur le caractère non abusif de la fouille reposait sur la bonne foi démontrée par les policiers dans l’exécution de la fouille préventive. Le juge a affirmé qu’il n’était pas raisonnable de fouiller l’intérieur de la poche à moins d’avoir d’abord trouvé, pendant la fouille par palpation, un objet constituant une arme ou pouvant en dissimuler une. Toutefois, comme des raisons de sécurité motivent les fouilles par palpation, le juge était réticent à imposer des limites trop strictes à la capacité des policiers de sécuriser les lieux. Il a conclu que les policiers doivent jouir d’une certaine latitude à cet égard, pourvu qu’ils agissent de bonne foi lorsqu’ils procèdent à une fouille dans le but de déceler la présence d’armes. La bonne foi des policiers n’étant pas mise en doute, le juge Twaddle a estimé que l’étendue de la fouille était raisonnable en l’espèce et qu’il n’y avait pas eu atteinte au droit de l’appelant à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives garanti par l’art. 8 de la Charte.

V. Analyse

A. Introduction

15 Comme il a été expliqué plus tôt, pour trancher les questions qui sont en litige dans le présent pourvoi, la Cour doit mettre en balance les droits à la liberté individuelle et au respect à la vie privée d’une part, et l’intérêt de la société à disposer de services efficaces de maintien de l’ordre. Sauf règle de droit à l’effet contraire, les gens sont libres d’agir comme ils l’entendent. En revanche, les policiers (et, d’une manière plus générale, l’État) ne peuvent agir que dans la mesure où le droit les autorise à le faire. La vitalité d’une démocratie ressort de la sagesse manifestée par celle‑ci lors des moments critiques où l’action de l’État intersecte et menace d’entraver des libertés individuelles.

16 Le domaine des enquêtes criminelles est incontestablement celui où ces intérêts entrent le plus fréquemment en collision. Les droits garantis par la Charte n’existent pas dans l’abstrait; ils entrent en jeu pratiquement à toutes les étapes de l’intervention policière. Comme les policiers ont pour mission de protéger la paix publique et d’enquêter sur les crimes, ils doivent être habilités à réagir avec rapidité, efficacité et souplesse aux diverses situations qu’ils rencontrent quotidiennement aux premières lignes du maintien de l’ordre. Malgré l’absence de consensus formel quant à l’existence du pouvoir des policiers de détenir une personne aux fins d’enquête, plusieurs commentateurs signalent que ce pouvoir est utilisé depuis longtemps au Canada en tant que pratique de maintien de l’ordre : voir A. Young, « All Along the Watchtower : Arbitrary Detention and the Police Function » (1991), 29 Osgoode Hall L.J. 329, p. 330; et J. Stribopoulos, « A Failed Experiment? Investigative Detention : Ten Years Later » (2003), 41 Alta. L. Rev. 335, p. 339.

17 Par ailleurs, notre Cour doit agir avec circonspection lorsque l’évolution de questions juridiques complexes requiert l’expérience et l’expertise des législateurs. Comme l’a expliqué la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) aux p. 760‑761 de l’arrêt Watkins c. Olafson, [1989] 2 R.C.S. 750, il est préférable que des modifications substantielles exigeant l’élaboration de règles et de procédures subsidiaires liées à leur mise en œuvre soient apportées par voie de débats parlementaires plutôt que par voie de décisions judiciaires. C’est exactement pour cette raison que j’estime qu’il n’est pas indiqué que la Cour reconnaisse l’existence d’un pouvoir général de détention aux fins d’enquête. Toutefois, la Cour ne peut abdiquer le rôle qui lui incombe de veiller à l’adaptation progressive des règles de common law à l’évolution de la société. En tant que gardiens de ces règles, les tribunaux partagent la responsabilité de faire en sorte que la common law reflète l’état actuel des besoins et des valeurs de la société et leur évolution : R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654, p. 670. En l’espèce, notre devoir consiste à énoncer les règles de common law qui régissent, dans le contexte particulier de la présente affaire, les pouvoirs des policiers en matière de détention aux fins d’enquête.

18 Lorsque, comme c’est le cas dans le présent pourvoi, la règle de common law pertinente a évolué graduellement au fil de décisions judiciaires, les tribunaux sont le cadre indiqué pour reconnaître et arrêter de nouveaux raffinements juridiques en l’absence d’intervention du législateur. Avec le temps, la common law a su ménager prudemment une sphère restreinte d’immixtions étatiques dans les libertés individuelles aux fins de maintien de l’ordre. Le fait de reconnaître aux policiers un pouvoir limité de détention aux fins d’enquête constitue une autre étape dans cette évolution progressive. Certes, le Parlement est libre d’édicter une loi établissant la démarche qu’il juge la meilleure à cet égard, pourvu qu’il se conforme aux exigences primordiales de la Constitution. De même, il est possible que le Parlement veuille instaurer, par voie législative, des pratiques et procédures propres à établir un juste équilibre entre le respect des libertés individuelles et l’intérêt de la société à assurer la sécurité des policiers. Dans l’intervalle, cependant, l’emploi non réglementé des détentions aux fins d’enquête en matière de maintien de l’ordre, le statut juridique incertain de ce type de détention et le risque d’abus que comporte intrinsèquement l’exercice difficilement observable de tels pouvoirs discrétionnaires constituent autant de raisons urgentes pour lesquelles la Cour doit exercer son rôle de gardien de la common law.

19 Au Canada, il a été jugé que le terme « détention » vise un large éventail de contacts entre les policiers et les citoyens. Malgré tout, il est impossible d’affirmer que la police « détient », au sens des art. 9 et 10 de la Charte, tout suspect qu’elle intercepte aux fins d’identification ou même d’interrogation. La personne interceptée est dans tous les cas « détenue » en ce sens qu’elle est « retenue » ou « retardée ». Cependant, les droits constitutionnels reconnus par les art. 9 et 10 de la Charte n’entrent pas en jeu lorsque le retard n’implique pas l’application de contraintes physiques ou psychologiques appréciables. En l’espèce, le juge du procès a conclu que l’appelant avait été détenu par les policiers lorsqu’ils l’ont fouillé. On ne nous a pas demandé de réexaminer cette conclusion et, dans les circonstances, je m’abstiendrai de le faire.

20 Comme toute autre détention, les détentions aux fins d’enquête doivent respecter les dispositions de la Charte. Par exemple, l’art. 9 de la Charte précise que chacun a droit « à la protection contre la détention [. . .] arbitrair[e] ». Il est bien établi qu’une détention légale n’est pas « arbitraire » au sens de cette disposition. Par conséquent, une détention aux fins d’enquête exécutée conformément au pouvoir fondé sur la common law reconnu en l’espèce ne porte pas atteinte aux droits que l’art. 9 de la Charte garantit à la personne détenue.

21 Aux termes de l’al. 10a) de la Charte, « [c]hacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention [. . .] d’être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention. » En conséquence, une personne détenue aux fins d’enquête doit au minimum être informée en langage clair et simple des motifs de la détention.

22 L’alinéa 10b) de la Charte soulève des questions plus complexes. Il consacre le droit du détenu « d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit ». Comme toutes les autres dispositions de la Charte, l’al. 10b) doit être interprété téléologiquement. L’observation des conditions prescrites par cette disposition ne saurait être utilisée comme une excuse pour prolonger indûment et artificiellement une détention qui, comme je le précise plus loin, doit être brève. D’autres aspects de l’al. 10b) qui se présentent dans le contexte des détentions aux fins d’enquête seront à mon avis considérés à une autre occasion. Il ne convient pas de les examiner et d’en décider sans le bénéfice d’un examen approfondi devant les juridictions inférieures, avantage dont nous ne disposons pas dans la présente affaire.

B. L’évolution en common law de la détention aux fins d’enquête

23 Un certain nombre de décisions rendues au fil des années ont abouti à la reconnaissance en faveur des policiers d’un pouvoir limité de détention aux fins d’enquête.

24 Le critère servant à déterminer si un policier a agi conformément aux pouvoirs que lui confère la common law a d’abord été formulé par la Cour d’appel d’Angleterre en matière de juridiction criminelle dans l’arrêt Waterfield, précité, p. 660‑661. Il s’est dégagé de cet arrêt une analyse à deux volets applicable lorsque la conduite du policier constitue à première vue une atteinte illicite à la liberté ou aux biens d’une personne. En pareil cas, le tribunal se demande d’abord si la conduite du policier à l’origine de l’atteinte entre dans le cadre général d’un devoir imposé à ce dernier par une loi ou par la common law. Si cette condition préliminaire a été satisfaite, le tribunal poursuit l’analyse et se demande si cette conduite, bien qu’elle respecte le cadre général du devoir en question, a donné lieu à un emploi injustifiable de pouvoirs afférents à ce devoir.

25 Notre Cour a adopté, précisé puis appliqué progressivement le critère de l’arrêt Waterfield dans plusieurs contextes, notamment les suivants : la légalité — avant l’entrée en vigueur de la Charte — de l’interception au hasard d’automobiles dans le cadre du programme Reduced Impaired Driving Everywhere (R.I.D.E.) (Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2); l’étendue du pouvoir des policiers de procéder à une fouille accessoire à une arrestation légitime (Cloutier c. Langlois, [1990] 1 R.C.S. 158); l’étendue des pouvoirs des policiers d’enquêter sur les appels au 911 (R. c. Godoy, [1999] 1 R.C.S. 311).

26 À la première étape du critère de l’arrêt Waterfield, on reconnaît que les pouvoirs des policiers découlent de la nature et de l’étendue de leurs devoirs, y compris, selon la common law, « le maintien de la paix, la prévention du crime et la protection de la vie des personnes et des biens » (Dedman, précité, p. 32). À la deuxième étape du critère, il faut établir un juste équilibre entre les intérêts qui s’opposent, à savoir les devoirs des policiers et les droits à la liberté qui sont en jeu. Pour appliquer ce volet du critère, il faut

déterminer si une atteinte aux droits individuels est nécessaire à l’accomplissement du devoir des agents de la paix, et si elle est raisonnable, compte tenu des intérêts d’ordre public servis par, d’un côté, la répression efficace des agissements criminels, et de l’autre, le respect de la liberté et de la dignité fondamentale des individus.

(Cloutier, précité, p. 181‑182)

À cette étape, le tribunal s’attache à la nécessité ou à la justification raisonnable de la conduite du policier dans les circonstances particulières de l’affaire. De façon plus précise, le juge Le Dain a indiqué, à la p. 35 de l’arrêt Dedman, précité, que la nécessité et le caractère raisonnable de l’atteinte à la liberté doivent être évaluées en tenant compte de la nature de la liberté entravée et de l’importance de l’intérêt public servi par cette atteinte.

27 Dans l’arrêt R. c. Simpson (1993), 12 O.R. (3d) 182, la Cour d’appel de l’Ontario a donné des précisions utiles sur ce deuxième volet du critère établi dans l’arrêt Waterfield, concluant à la p. 200 que les détentions aux fins d’enquête ne sont justifiées en common law que [traduction] « dans les cas où l’agent qui procède à la détention a des “motifs concrets” de le faire », concept emprunté à la jurisprudence américaine. Le juge Doherty a défini ainsi la notion de « motifs concrets » à la p. 202 :

[traduction] . . . un ensemble de faits objectivement discernables donnant à l’agent qui exerce la détention un motif raisonnable de soupçonner que la personne détenue est criminellement impliquée dans l’activité faisant l’objet de l’enquête.

Bien qu’étant un critère clairement moins exigeant que les motifs raisonnables et probables requis pour qu’il y ait une arrestation légale (Simpson, précité, p. 203), les motifs concrets constituent eux aussi une norme à la fois objective et subjective (R. c. Storrey, [1990] 1 R.C.S. 241, p. 250; R. c. Feeney, [1997] 2 R.C.S. 13, par. 29).

28 Le juge Doherty a limité la portée des détentions aux fins d’enquête reconnues par la common law en expliquant que l’obligation de disposer de motifs concrets n’était qu’une première étape pour décider en définitive [traduction] « si la détention était justifiée au regard de l’ensemble des circonstances », et qu’elles constituaient ainsi l’exercice légitime des pouvoirs fondés sur la common law reconnus aux policiers dans l’arrêt Waterfield (Simpson, précité, p. 203). La Cour d’appel n’a cependant pas établi de lignes directrices concrètes à l’égard des détentions aux fins d’enquête, laissant ainsi la question de l’application du pouvoir être tranchée selon les circonstances propres à chaque cas.

29 La Cour d’appel du Québec n’a pas jugé nécessaire d’appliquer la doctrine des motifs concrets dans l’arrêt R. c. Murray (1999), 136 C.C.C. (3d) 197. Se fondant sur le critère établi dans l’arrêt Waterfield, le juge Fish a reconnu l’existence en common law d’un pouvoir restreint autorisant les policiers à ériger sans délai des barrages routiers sur une route clairement susceptible d’être empruntée pour fuir les lieux d’un crime grave. Les observations du juge Fish concernant l’exercice de ce pouvoir s’attachent précisément au critère de la nécessité raisonnable eu égard à l’ensemble des circonstances (p. 205). Dans l’arrêt Murray, le barrage routier avait été érigé immédiatement après la commission du crime, uniquement sur une route clairement susceptible d’être empruntée, et ce dans le seul but d’appréhender les auteurs du crime.

30 À la page 202 de l’arrêt Simpson, précité, la Cour d’appel de l’Ontario a jugé que les motifs concrets ne sauraient reposer sur la seule intuition du policier, basée sur son expérience. De fait, dans l’arrêt R. c. Jacques, [1996] 3 R.C.S. 312, les juges majoritaires ont approuvé la méthode d’appréciation de la preuve retenue au par. 24 de l’arrêt Simpson, et le juge Major, dissident sur un autre point, a reconnu au par. 52 que l’expression « motifs raisonnables » de soupçonner était équivalente à la norme des motifs concrets (ou motifs précis). Plus récemment, notre Cour a souscrit à la formulation donnée dans l’arrêt Simpson du deuxième volet du critère de l’arrêt Waterfield, selon laquelle un large éventail de facteurs doivent être pris en considération pour décider si un comportement est justifié en droit criminel, sans toutefois faire état d’aucun pouvoir de détention aux fins d’enquête : voir Godoy, précité, par. 18; R. c. Asante-Mensah, [2003] 2 R.C.S. 3, 2003 CSC 38, par. 75.

31 Comme il a été mentionné précédemment, la norme des motifs concrets examinée dans l’arrêt Simpson a été empruntée à la jurisprudence américaine sur le Quatrième amendement, en l’occurrence la doctrine de [traduction] « l’interpellation et de la fouille sommaire », qui tire son origine de l’arrêt Terry c. Ohio, 392 U.S. 1 (1968). Cette doctrine a été élaborée en tant qu’exception au droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives que garantit le Quatrième amendement, où la détention est considérée comme une « saisie » de la personne. Dans l’arrêt Terry, la Cour suprême des États‑Unis a jugé qu’un policier peut ainsi se saisir d’un individu lorsqu’il a des motifs raisonnables de soupçonner que ce dernier est soit sur le point de se livrer à une activité criminelle soit en train de le faire, il peut lui poser des questions et il peut procéder à une fouille par palpation sommaire de cet individu pour vérifier s’il a des armes sur lui. Il ressort de la jurisprudence subséquente que les tribunaux doivent tenir compte de l’ensemble des circonstances pour décider s’il y a suffisamment de soupçons précis et raisonnables de l’existence d’une activité criminelle pour justifier la saisie (voir United States c. Cortez, 449 U.S. 411 (1981)).

32 La jurisprudence américaine a évolué de façon considérable depuis l’arrêt Terry. Dans Adams c. Williams, 407 U.S. 143 (1972), la cour a élargi le pouvoir des policiers, le rendant applicable non plus seulement aux infractions de violence imminentes mais également aux infractions de possession signalées par des indicateurs fiables. En 1980, dans l’arrêt United States c. Mendenhall, 446 U.S. 544 (1980), la Cour suprême des États‑Unis a élaboré une règle fondée sur l’absence de saisie qui permet de détenir brièvement des personnes qui ne font par ailleurs pas l’objet de soupçons raisonnables. Cinq ans plus tard, dans l’arrêt United States c. Hensley, 469 U.S. 221 (1985), la Cour suprême des États‑Unis a élargi la portée des arrêts Terry et Adams, afin de permettre la détention et l’interrogatoire des personnes soupçonnées d’être impliquées dans des infractions majeures complétées, lorsque les soupçons reposent sur des faits précis et concrets, au motif qu’il est dans l’intérêt général que la police enquête sur les crimes et veille à la protection du public.

33 Pour ce qui est de la terminologie, je préfère l’emploi des termes « motifs raisonnables de détention » à l’expression américaine « motifs concrets », puisque la jurisprudence canadienne a employé la notion de motifs raisonnables dans des situations analogues et fourni des lignes directrices utiles pour décider des questions pertinentes. Comme je vais l’expliquer, les motifs raisonnables se rattachent à l’action policière en cause, à savoir la détention, la fouille ou l’arrestation.

34 Il ressort de la jurisprudence plusieurs principes directeurs régissant l’utilisation du pouvoir des policiers en matière de détention aux fins d’enquête. L’évolution du critère formulé dans l’arrêt Waterfield, de même que l’obligation des policiers de disposer de motifs concrets établie dans l’arrêt Simpson, requiert que les détentions aux fins d’enquête reposent sur des motifs raisonnables. La détention doit être jugée raisonnablement nécessaire suivant une considération objective de l’ensemble des circonstances qui sont à la base de la conviction du policier qu’il existe un lien clair entre l’individu qui sera détenu et une infraction criminelle récente ou en cours. La question des motifs raisonnables intervient dès le départ dans cette détermination, car ces motifs sont à la base des soupçons raisonnables du policier que l’individu en cause est impliqué dans l’activité criminelle visée par l’enquête. Toutefois, pour satisfaire au deuxième volet du critère établi dans l’arrêt Waterfield, le caractère globalement non abusif de la décision de détenir une personne doit également être apprécié au regard de l’ensemble des circonstances, principalement la mesure dans laquelle il est nécessaire au policier de porter atteinte à une liberté individuelle afin d’accomplir son devoir, la liberté à laquelle il est porté atteinte, ainsi que la nature et l’étendue de cette atteinte.

35 Il n’y a pas nécessairement correspondance entre les pouvoirs dont disposent les policiers et les devoirs qui leur incombent. Bien que, suivant la common law, les policiers aient l’obligation d’enquêter sur les crimes, ils ne sont pas pour autant habilités à prendre n’importe quelle mesure pour s’acquitter de cette obligation. Les droits relatifs à la liberté individuelle constituent un élément fondamental de l’ordre constitutionnel canadien. Il ne faut donc pas prendre les atteintes à ces droits à la légère et, en conséquence, les policiers n’ont pas carte blanche en matière de détention. Le pouvoir de détention ne saurait être exercé sur la foi d’une intuition ni donner lieu dans les faits à une arrestation.

C. Pouvoirs de fouille accessoires à une détention aux fins d’enquête

36 Toute fouille accomplie accessoirement dans l’exercice du pouvoir limité des policiers de détenir une personne aux fins d’enquête — qui a été décrit précédemment — constitue nécessairement une fouille sans mandat. De telles fouilles sont présumées abusives à moins qu’elles puissent être justifiées et, partant, jugées non abusives conformément au critère établi dans l’arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265. D’après cet arrêt, une fouille sans mandat est réputée non abusive lorsque les conditions suivantes sont réunies : a) elle est autorisée par la loi; b) la loi elle‑même n’a rien d’abusif; c) la fouille n’a pas non plus été effectuée de manière abusive (p. 278). Il incombe au ministère public d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la fouille effectuée sans mandat était autorisée par une loi non abusive et qu’elle n’a pas été effectuée de manière abusive : R. c. Buhay, [2003] 1 R.C.S. 631, 2003 CSC 30, par. 32.

37 Dans le présent pourvoi, notre Cour est appelée pour la première fois à examiner la question de savoir si une fouille effectuée accessoirement à une détention aux fins d’enquête est autorisée par la loi. À la base de cet examen est le besoin de mettre en balance des intérêts opposés, les attentes raisonnables d’une personne en matière de respect de sa vie privée d’une part, et la sécurité des policiers d’autre part. Dans le contexte d’une arrestation, notre Cour a conclu que les policiers peuvent procéder sans mandat à des fouilles pour chercher des armes ou pour préserver des éléments de preuve : R. c. Golden, [2001] 3 R.C.S. 679, 2001 CSC 83, par. 95. Dans les motifs qui suivent, je vais m’interroger sur l’existence en common law d’un pouvoir de fouille accessoire à une détention aux fins d’enquête, et le cas échéant sur l’étendue de ce pouvoir. D’entrée de jeu, je souligne l’importance de maintenir une distinction entre les fouilles accessoires à une arrestation et les fouilles accessoires à une détention aux fins d’enquête. Ces dernières ne sauraient être utilisées par les policiers pour récolter les fruits d’une fouille sans mandat sans devoir effectuer une arrestation légale fondée sur des motifs raisonnables et probables, et elles ne diminuent d’aucune façon l’obligation des policiers d’obtenir un mandat de perquisition lorsque cela est possible.

38 Je m’appuie sur le critère établi dans Waterfield, examiné précédemment, pour reconnaître qu’il existe en common law un pouvoir de fouille accessoire à une détention aux fins d’enquête. L’application du premier volet du critère établi dans l’arrêt Waterfield révèle que l’atteinte se rattache clairement à un devoir entrant dans le cadre général des devoirs imposés par une loi ou reconnus par la common law. Le devoir en question est la protection de la vie et des biens, qui était également en cause dans l’arrêt Dedman, précité, p. 32.

39 L’analyse fondée sur l’arrêt Waterfield requiert ensuite que la conduite à l’origine de l’atteinte découle de l’emploi justifié d’un pouvoir policier relié au devoir général de procéder à une fouille pour protéger la vie et les biens. En d’autres termes, la fouille doit être raisonnablement nécessaire. Les facteurs qui doivent être pris en compte ici sont notamment le devoir dont s’acquitte le policier, la mesure dans laquelle l’atteinte à la liberté individuelle est nécessaire à l’accomplissement de ce devoir, l’importance que présente l’accomplissement de ce devoir pour l’intérêt public, la nature de la liberté à laquelle on porte atteinte, ainsi que la nature et l’étendue de l’atteinte : Dedman, précité, p. 35‑36.

40 Le devoir général des policiers de protéger la vie peut, dans certaines circonstances, faire naître le pouvoir de procéder à une fouille par palpation accessoire à une détention aux fins d’enquête. Un tel pouvoir de fouille n’existe pas de manière autonome; le policier doit croire, pour des motifs raisonnables, que sa propre sécurité ou celle d’autrui est menacée. Je rejette la suggestion voulant que le pouvoir de détention aux fins d’enquête justifie une fouille accessoire en toutes circonstances : voir S. Coughlan, « Search Based on Articulable Cause : Proceed with Caution or Full Stop? » (2002), 2 C.R. (6th) 49, p. 63. La décision du policier de procéder à une fouille doit également être raisonnablement nécessaire eu égard à l’ensemble des circonstances. Des inquiétudes — vagues ou inexistantes — en matière de sécurité ne sauraient justifier une telle décision, et la fouille ne peut reposer sur l’instinct ou une simple intuition.

41 Aux États‑Unis, plusieurs décennies de jurisprudence ont permis de déterminer les circonstances susceptibles de justifier une fouille préventive. Dans l’arrêt Terry, précité, p. 27, la Cour suprême des États‑Unis a soigneusement limité ce pouvoir de fouille, tirant à cet égard la conclusion suivante :

[traduction] . . . il convient de reconnaître aux policiers un pouvoir étroitement circonscrit d’assurer leur protection en procédant à une fouille non abusive pour vérifier la présence d’armes, lorsqu’ils ont des raisons de croire qu’ils sont en présence d’un individu armé et dangereux, peu importe qu’ils possèdent ou non des motifs probables d’arrêter l’individu relativement à la commission d’un crime.

Le policier ne doit pas exercer ce pouvoir uniquement en suivant son intuition, mais il doit plutôt agir à partir d’inférences raisonnables et précises fondées sur les faits connus se rapportant à la situation. De plus, la fouille ne doit pas être plus envahissante que ce qui est raisonnablement requis pour découvrir la présence d’armes (p. 29).

42 Dans l’arrêt Minnesota c. Dickerson, 508 U.S. 366 (1993), la Cour suprême des États‑Unis était saisie d’une affaire similaire à celle qui nous intéresse. Dans cet arrêt, un individu qui venait de sortir d’une fumerie de crack bien connue et avait changé de direction en apercevant un policier a été poursuivi par ce policier puis soumis à une fouille par palpation. Le policier a senti une petite masse dans la poche du veston de l’individu et a supposé qu’il s’agissait probablement de crack. Il a glissé sa main à l’intérieur de la poche et constaté que ses soupçons étaient fondés. La Cour suprême des États‑Unis a refusé que le crack soit utilisé en preuve, affirmant que l’étendue de la fouille avait excédé le but préventif de celle‑ci. La nature préventive de ces fouilles a été confirmée plus récemment par la U.S. Second Circuit Court of Appeals dans U.S. c. Casado, 303 F.3d 440 (2002), où la preuve de la contrebande a été jugée inadmissible parce que le policier n’avait pas effectué une première fouille par palpation moins envahissante avant de mettre sa main à l’intérieur de la poche du veston du détenu (p. 449).

43 L’importance des mesures visant à assurer la sécurité du policier a été reconnue dans des remarques incidentes formulées par notre Cour dans R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615. Les policiers s’exposent quotidiennement à de nombreux risques dans le cours de leurs fonctions de maintien de l’ordre, et ils ont droit d’accomplir leur travail en sachant que ces risques sont, dans toute la mesure du possible, réduits au minimum. Comme l’a souligné la juge L’Heureux‑Dubé à la p. 185 de l’arrêt Cloutier, précité, la fouille par palpation constitue un « mécanisme relativement peu intrusif » qui ne dure « que quelques secondes ». Lorsqu’un policier a des motifs raisonnables de croire que sa sécurité est menacée, il peut soumettre le détenu à une fouille par palpation préventive. La fouille doit être fondée sur des faits objectivement discernables afin d’éviter une « recherche à l’aveuglette » motivée par des facteurs discriminatoires et non pertinents.

44 La conclusion qu’il existe en common law un pouvoir limité de procéder à une fouille préventive n’écarte pas la nécessité d’appliquer le critère établi dans l’arrêt Collins pour déterminer si la fouille sans mandat est constitutionnellement valide au regard de l’art. 8 de la Charte. Rappelons ce critère : la fouille doit être autorisée par une loi non abusive et ne doit pas avoir été effectuée de manière abusive. En raison de la condition relative au caractère non abusif de la fouille, le deuxième volet du critère établi dans l’arrêt Waterfield recoupe nécessairement le troisième facteur énoncé dans l’arrêt Collins. Il faut que le policier ait eu des motifs raisonnables de procéder à la fouille avant que l’on puisse s’interroger sur le caractère globalement non abusif de la fouille eu égard à l’ensemble des circonstances.

45 En résumé, comme il a été expliqué plus tôt, les policiers peuvent détenir une personne aux fins d’enquête s’ils ont des motifs raisonnables de soupçonner, à la lumière de toutes les circonstances, que cette personne est impliquée dans un crime donné et qu’il est nécessaire de la détenir. En outre, le policier qui possède des motifs raisonnables de croire que sa sécurité ou celle d’autrui est menacée peut soumettre la personne qu’il détient à une fouille par palpation préventive. Tant la détention que la fouille par palpation doivent être effectuées de manière non abusive. À cet égard, je souligne que les détentions effectuées aux fins d’enquête doivent être brèves et que les personnes détenues n’ont pas l’obligation de répondre aux questions du policier. Il convient de distinguer les détentions aux fins d’enquête ainsi que le pouvoir de fouille préventive y afférent des arrestations et du pouvoir de fouille y afférent, situation qui ne se présente pas en l’espèce.

VI. Application aux faits de l’espèce

46 Après avoir énoncé les considérations pertinentes, je vais maintenant me demander si la détention et la fouille de l’appelant ont satisfait en l’espèce aux normes applicables.

47 Les policiers avaient des motifs raisonnables de détenir l’appelant. Il correspondait étroitement à la description du suspect transmise par le répartiteur radio et il se trouvait à seulement deux ou trois pâtés de maisons de la scène du crime. Ces facteurs ont amené les policiers à soupçonner raisonnablement que l’appelant avait été impliqué dans des activités criminelles récentes et qu’il devait à tout le moins faire l’objet d’une enquête plus approfondie. La présence d’une personne dans un quartier dit à criminalité élevée n’est pertinente qu’en ce qu’elle témoigne du fait que cette personne se trouvait à proximité du lieu du crime. Le fait qu’un quartier possède un taux de criminalité élevé ne constitue pas en soi une raison de détenir quelqu’un.

48 En outre, il existait des motifs raisonnables justifiant de soumettre l’appelant à une fouille préventive. Il était logiquement possible que l’appelant, qui était soupçonné d’avoir tout juste commis une introduction par effraction, fut en possession d’outils utilisés pour commettre l’infraction et pouvant servir d’armes. De plus, la rencontre est survenue peu de temps après minuit et il n’y avait personne d’autre aux alentours. Dans l’ensemble, le policier était fondé à procéder à une fouille par palpation préventive.

49 Pose problème la décision du policier de ne pas se limiter à la fouille par palpation initiale, mais de glisser sa main à l’intérieur de la poche du vêtement de l’appelant après y avoir senti la présence d’un objet qui, reconnaît‑on, était mou. Le juge du procès a conclu que le policier n’avait aucun motif raisonnable le justifiant de glisser sa main dans la poche du vêtement. Cet aspect plus envahissant de la fouille constitue une violation abusive des attentes raisonnables de l’appelant en matière de respect de sa vie privée à l’égard du contenu de ses poches. Le juge du procès a tiré la conclusion de fait suivante : [traduction] « rien ne [permettait au policier] d’inférer qu’il était raisonnable, pour des raisons de sécurité, de ne pas se limiter à la fouille par palpation ». La Cour d’appel n’a pas témoigné toute la déférence requise à l’égard de cette importante conclusion, qui reposait dans une large mesure sur la crédibilité des témoins, aspect qui relève strictement du juge du procès en l’absence d’erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33. Qui plus est, le ministère public ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait été satisfait au troisième volet du critère établi dans l’arrêt Collins, à savoir que la fouille n’avait pas été effectuée de manière abusive.

50 La saisie de la marijuana se trouvant sur l’appelant était illégale en l’espèce. Il faut donc se demander, conformément au par. 24(2) de la Charte, si cet élément de preuve peut être utilisé.

VII. L’utilisation de la preuve

51 Récemment, dans l’arrêt Buhay, précité, notre Cour a réexaminé l’analyse en trois temps qui permet de décider si l’utilisation d’un élément de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice au sens du par. 24(2).

52 Dans cette analyse, le tribunal s’attache d’abord à l’équité du procès. Comme l’a expliqué notre Cour au par. 34 de l’arrêt R. c. Law, [2002] 1 R.C.S. 227, 2002 CSC 10, le facteur clé dans cette partie de l’analyse est « la nature de la preuve obtenue et celle du droit violé ». Le juge du procès a commis une erreur de droit dans son appréciation de l’effet de l’utilisation de l’élément de preuve sur l’équité du procès. La marijuana n’a pas été obtenue en mobilisant l’appelant contre lui‑même. Ce dernier n’a pas été « mobilisé contre lui‑même ou forcé de fournir, au profit de l’État, des éléments de preuve sous forme de déclarations ou de substances corporelles » : R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607, par. 73; Buhay, précité, par. 49.

53 Dans la deuxième étape de l’analyse, le tribunal examine la gravité de l’atteinte. De nombreux facteurs sont pris en compte dans ce volet de l’analyse, notamment la question de savoir si l’atteinte a été commise de bonne foi ou de mauvaise foi, le caractère envahissant de la fouille, les attentes de l’intéressé en matière de respect de sa vie privée à l’égard de l’endroit fouillé et l’existence ou non de motifs raisonnables. À mon avis, l’examen de ces facteurs révèle un mépris intolérablement grave des droits garantis à l’appelant par l’art. 8.

54 Le juge du procès a conclu que le policier ne s’était pas limité à une fouille préventive lorsqu’il a glissé sa main à l’intérieur de la poche du vêtement de l’appelant. Dès ce moment, la fouille a changé d’objet. Elle a cessé d’être axée sur des considérations de sécurité pour viser plutôt la détection et la cueillette d’éléments de preuve, devenant ainsi une fouille effectuée en vue de trouver des preuves, et ce en l’absence de motifs raisonnables et probables. Les motifs exposés par le juge du procès pour exclure la preuve sont brefs mais révélateurs :

[traduction] À mon avis, il fallait que le policier ait une raison de ne pas se limiter à la fouille par palpation, un indice qu’il aurait pu donner pour justifier le fait d’avoir glissé sa main dans la poche du vêtement de M. Mann, fut‑ce la curiosité lorsqu’il a dit s’être demandé de quoi il s’agissait, cette chose qu’il a décrite comme étant un objet mou. Rien ne me permet d’inférer qu’il était raisonnable, pour des raisons de sécurité, de ne pas se limiter à la fouille par palpation.

55 La Cour d’appel a admis les éléments de preuve après avoir conclu que le policier les avait recueillis en agissant de bonne foi. Cependant, notre Cour a indiqué que « la bonne foi ne peut être invoquée lorsqu’une atteinte à la Charte découle d’une erreur déraisonnable d’un agent de police ou de la méconnaissance de l’étendue de son pouvoir » (Buhay, précité, par. 59, citant J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), p. 450). J’estime que la Cour d’appel a commis une erreur en admettant les éléments de preuve sur la base de la bonne foi du policier. La bonne foi n’est qu’un des facteurs de l’analyse et elle doit être examinée en corrélation avec d’autres facteurs touchant à la gravité de l’atteinte.

56 Bien que, comme l’a fait remarquer notre Cour dans l’arrêt Cloutier, précité, p. 185, une fouille par palpation soit une procédure peu envahissante, la fouille de la poche intérieure du vêtement de l’appelant doit être mise en balance avec l’absence de tout motif raisonnable la justifiant. Les gens ont, quant aux poches de leurs vêtements, une attente raisonnable en matière de respect de leur vie privée. En l’espèce, la fouille a excédé ce qui était nécessaire pour atténuer les inquiétudes relatives à la sécurité du policier et révèle une atteinte grave au droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives garanti à l’appelant.

57 Le dernier facteur consiste à se demander si l’exclusion de la preuve déconsidérerait l’administration de la justice. Dans la présente affaire, il fait peu de doute que la marijuana saisie constitue l’essentiel de la preuve de la Couronne contre l’appelant. L’exclusion de cet élément affaiblirait considérablement la preuve à charge, voire la réduirait à néant. La possession de marijuana en vue d’en faire le trafic demeure une infraction grave, malgré la poursuite des débats sur l’étendue du préjudice associé à la consommation de cette substance : R. c. Malmo‑Levine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74, par. 60 et 153. Quoi qu’il en soit, un élément de preuve qui n’a pas été obtenu en mobilisant l’accusé contre lui‑même et qui est essentiel à la poursuite ne doit pas nécessairement être admis : Buhay, précité, par. 71. Tout comme il n’existe pas de règle d’exclusion automatique, il n’y a pas non plus de règle d’inclusion automatique. Dans cette partie de l’analyse, il faut s’attacher à mettre en balance l’intérêt de l’État à découvrir la vérité d’une part et l’intégrité du système judiciaire d’autre part. La nature des droits fondamentaux en cause et l’absence de fondement raisonnable justifiant la fouille tendent à indiquer que l’inclusion de la preuve déconsidérerait l’administration de la justice.

58 L’analyse fondée sur le par. 24(2) a été résumée ainsi par notre Cour dans l’arrêt Buhay, précité, par. 72 :

La cour d’appel doit décider si, compte tenu de tous les facteurs, la décision du juge du procès d’exclure la preuve, après avoir conclu que son utilisation aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice, était raisonnable.

59 La norme de contrôle applicable à la décision du juge du procès d’écarter ou non un élément de preuve en application du par. 24(2) a également été examinée dans l’arrêt Buhay, précité, par. 42‑47. La décision du juge du procès sur la question de savoir si l’utilisation d’un élément de la preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice appelle à la déférence, puisqu’elle est fondée sur des facteurs qui ressortent des témoignages. Notre Cour a à maintes reprises réitéré l’importance de témoigner de la déférence envers les décisions rendues par les juridictions inférieures dans le contexte du par. 24(2) : voir R. c. Duguay, [1989] 1 R.C.S. 93, p. 98; R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755, p. 783; R. c. Belnavis, [1997] 3 R.C.S. 341, par. 35; Buhay, précité, par. 44. La décision d’écarter un élément de preuve doit être raisonnable. La cour de révision ne modifiera pas la conclusion du juge du procès sur l’application du par. 24(2) « en l’absence d’une “erreur manifeste quant aux principes ou aux règles de droit applicables” ou d’une “conclusion déraisonnable” » (Law, précité, par. 32).

60 Le juge du procès a déclaré que la preuve était inadmissible pour le motif que son utilisation compromettait l’équité du procès. Il a commis une erreur en invoquant ce motif. Toutefois, sa décision d’écarter cette preuve était fondée.

VIII. Conclusion

61 Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler l’arrêt de la Cour d’appel du Manitoba et de rétablir l’acquittement.

Version française des motifs des juges Bastarache et Deschamps rendus par

La juge Deschamps (dissidente) —

I. Introduction

62 J’ai eu l’avantage de lire les motifs de mon collègue le juge Iacobucci et je souscris en principe à son analyse sur la question de l’existence d’un pouvoir de détention en common law. J’ai toutefois des réserves quant à la terminologie qu’il adopte pour formuler les conditions nécessaires pour donner naissance à ce pouvoir et à l’étendue de la fouille accessoire à ce pouvoir. Par ailleurs, bien que, à l’instar de mon collègue, je conclue que la fouille de l’appelant était contraire à l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, je ne puis accepter qu’il s’agit d’une atteinte telle que l’utilisation des éléments de preuve obtenus par le policier en l’espèce est « susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ». Pour ces motifs, je ne peux souscrire à la conclusion à laquelle en vient mon collègue.

II. Motifs concrets et motifs raisonnables justifiant de détenir une personne

63 Le juge Iacobucci est d’avis que, dans la formulation de la norme qui doit être respectée pour que naisse le pouvoir de détention reconnu par la common law, il faut préférer l’expression « motifs raisonnables de détention » à l’expression « motifs concrets » (par. 33). Je ne partage pas cette opinion. La notion de « motifs concrets » (ou « motifs précis ») est un critère avec lequel les tribunaux canadiens sont familiers et qu’ils éprouvent peu de difficulté à appliquer. Depuis l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario R. c. Simpson (1993), 12 O.R. (3d) 182, ce critère a été adopté par de nombreuses juridictions inférieures dans l’ensemble du Canada, y compris les cours d’appel de trois autres provinces en plus de l’Ontario (voir R. c. Davis (2004), 346 A.R. 141, 2004 ABCA 33; R. c. Campbell (2003), 175 C.C.C. (3d) 452, 2003 MBCA 76; R. c. Bernard, [2003] J.Q. no 5394 (QL)). En outre, comme le souligne mon collègue, ce critère est utilisé aux États‑Unis depuis près de 40 ans (voir Terry c. Ohio, 392 U.S. 1 (1968)), fait qui renforce mon opinion selon laquelle il constitue une norme utile et pratique.

64 De plus, les problèmes associés à la solution retenue par les juges majoritaires se révèlent plus importants que les désavantages de l’expression « motifs concrets ». L’expression « motifs raisonnables » a traditionnellement été utilisée pour décrire la norme qui doit être satisfaite pour faire naître le pouvoir d’arrêter un suspect (voir, par exemple, les art. 494, 495 et 504 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46). L’emploi de cette expression dans le présent contexte pourrait amener à conclure erronément que le degré de justification requis à l’égard d’une détention est le même qu’à l’égard d’une arrestation. Il ne saurait en être ainsi. Cette situation contrecarrerait l’objectif même du pouvoir détention reconnu par la common law, à savoir doter les policiers de pouvoirs plus limités et moins envahissants pour s’acquitter de leur tâche dans les cas où ils ne possèdent pas de motifs suffisants pour effectuer une arrestation, c’est‑à‑dire en l’absence de « motifs raisonnables ».

III. L’étendue du pouvoir de fouille accessoire à une détention

65 Je partage l’opinion des juges majoritaires selon laquelle il existe en common law un pouvoir de fouille accessoire à une détention, pouvoir dont l’applicabilité est déterminée au moyen du critère énoncé dans l’arrêt R. c. Waterfield, [1963] 3 All E.R. 659 (C.C.A.). Je tiens toutefois à ajouter que je ne crois pas qu’une telle fouille doive toujours être liée à des considérations touchant à la sécurité du policier. En l’espèce, la sécurité était le seul motif soulevé par l’intimée. D’autres circonstances peuvent cependant justifier le recours à une fouille accessoire à une détention.

66 L’arrêt R. c. Murray (1999), 36 C.C.C. (3d) 197, de la Cour d’appel du Québec constitue un bon exemple d’une fouille accessoire à une détention qui n’était pas motivée par des préoccupations de sécurité et qui a été jugée valide. Dans cette affaire, trois individus avaient commis un vol qualifié. Les policiers, qui avaient érigé un barrage routier sur un pont susceptible d’être emprunté par les suspects pour fuir les lieux du crime, arrêtaient tous les véhicules pouvant cacher trois personnes. L’intimé, qui conduisait une camionnette, a été l’une des personnes interceptées et interrogées. Une bâche de camion tendue couvrait l’espace de chargement du véhicule. Croyant que les personnes soupçonnées d’avoir commis le vol pouvaient être cachées sous la bâche, le policier l’a retirée et a découvert des cigarettes de contrebande. Appliquant le critère énoncé dans l’arrêt Waterfield, le juge Fish (maintenant juge de notre Cour) a conclu que le policier avait validement exercé le pouvoir de fouille accessoire à une détention reconnu par la common law. Il dit ceci, à la p. 212 :

[traduction] Une fouille accessoire à la détention constitue un exercice valide des pouvoirs reconnus aux policiers par la common law.

La fouille doit viser un objectif valable, comportant un lien logique avec les buts visés par la détention initiale. Elle doit en outre être raisonnablement nécessaire (1) pour recueillir une preuve non conscrite, (2) pour protéger les policiers ou le public d’un danger imminent, ou (3) pour chercher et saisir toute chose qui pourrait mettre en danger les policiers, le détenu ou le public, ou qui pourrait faciliter une évasion.

67 Je souscris à ces propos. À mon avis, toute fouille accessoire à une détention doit comporter un lien logique avec l’objectif de la détention initiale et être raisonnablement nécessaire pour assurer la sécurité des policiers ou du public, pour préserver des éléments de preuve ou pour empêcher l’évasion d’un prévenu. Je n’écarte pas la possibilité que d’autres objectifs puissent être acceptables selon les circonstances.

68 Cela dit, je tiens à réitérer l’opinion que j’ai exprimée précédemment : comme le critère applicable pour justifier une détention est moins exigeant que celui applicable à une arrestation, le pouvoir de fouille est moins étendu dans le premier cas que dans le second. Par conséquent, la découverte d’éléments de preuve (par opposition à la préservation de tels éléments) ne pourrait être invoquée comme objectif pour justifier une fouille accessoire à une détention aux fins d’enquête. De telles fouilles ne peuvent être effectuées qu’avec un mandat ou en vertu du pouvoir de fouille accessoire à une arrestation reconnu par la common law (voir Cloutier c. Langlois, [1990] 1 R.C.S. 158, p. 182; R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607, par. 27; et R. c. Caslake, [1998] 1 R.C.S. 51, par. 15). En outre, comme je l’ai mentionné plus tôt, les fouilles accessoires à une détention doivent être raisonnablement nécessaires à l’enquête et non pas seulement y être liées rationnellement (comme c’est la norme pour les fouilles accessoires à une arrestation : Caslake, précité, par. 19). Enfin, il importe de mentionner qu’une fouille ayant un caractère envahissant peut être acceptable dans le contexte d’une arrestation mais s’avérer inacceptable dans le contexte d’une détention.

69 L’intimée n’a pas établi que la fouille effectuée dans la présente affaire avait été motivée par le besoin d’assurer la sécurité des policiers ou du public, de préserver des éléments de preuve ou d’empêcher l’appelant de s’enfuir. Le juge Conner de la Cour provinciale semble plutôt avoir estimé que la fouille de la poche du vêtement de l’appelant était uniquement le fruit de la « curiosité ». En conséquence, à l’instar des juges majoritaires, je n’ai aucune difficulté à conclure que la fouille à laquelle a été soumis l’appelant en l’espèce était illégale.

IV. Le paragraphe 24(2) de la Charte

70 Comme l’a récemment affirmé notre Cour dans les arrêts R. c. Buhay, [2003] 1 R.C.S. 631, 2003 CSC 30, par. 41, et R. c. Law, [2002] 1 R.C.S. 227, 2002 CSC 10, par. 33, le tribunal doit prendre en considération les trois facteurs suivants pour décider s’il y a lieu d’exclure des éléments de preuve en application du par. 24(2) de la Charte : (1) l’effet de l’utilisation de la preuve sur l’équité du procès à venir; (2) la gravité de la conduite de la police; (3) l’effet de l’exclusion de la preuve sur l’administration de la justice. Tout comme les juges majoritaires, j’estime que la preuve dont il est question en l’espèce n’a pas été recueillie en mobilisant l’accusé contre lui‑même. En conséquence, l’utilisation de cette preuve n’était pas susceptible de compromettre l’équité du procès. Toutefois, je ne peux me rallier à la conclusion des juges majoritaires selon laquelle les deuxième et troisième facteurs justifient néanmoins d’écarter la preuve, ni à leur démarche générale relativement à la déférence requise à l’égard des constatations du juge du procès sur l’application du par. 24(2).

71 S’exprimant pour la Cour dans l’arrêt Buhay, précité, par. 52, la juge Arbour a indiqué que les facteurs qui doivent être pris en compte dans la deuxième partie de l’analyse fondée sur le par. 24(2) (la gravité de la violation) sont notamment : la bonne foi des policiers, l’urgence ou la nécessité d’intervenir, la possibilité d’obtenir la preuve par d’autres moyens, auquel cas l’inobservation de la Charte serait flagrante et injustifiée, le caractère envahissant de la fouille, les attentes de la personne en matière de respect de sa vie privée à l’égard du lieu où s’effectue la fouille et l’existence de motifs raisonnables et probables.

72 Cette liste ne se voulait pas exhaustive. Néanmoins, je considère que bon nombre des facteurs énumérés précédemment étayent la conclusion que nous ne sommes pas en présence d’une violation grave. Je tiens également à formuler quelques commentaires sur la manière dont certains de ces facteurs devraient être appliqués par les tribunaux dans l’analyse fondée sur le par. 24(2).

73 Le policier qui a procédé à la fouille en l’espèce n’a pas agi de mauvaise foi. Aucune preuve n’indique qu’il savait qu’il outrepassait ses pouvoirs. Il n’est pas approprié de qualifier l’erreur du policier de déraisonnable, comme le font les juges majoritaires (par. 55). La simple « curiosité », pour reprendre le terme utilisé par le juge Conner pour décrire la situation, n’est pas nécessairement assimilable à de la mauvaise foi.

74 De plus, il est difficile de comprendre comment le critère de l’existence d’autres moyens d’obtenir la preuve peut s’appliquer dans un cas comme l’espèce où les policiers ont trouvé, au cours d’une fouille, des éléments de preuve qu’ils ne cherchaient pas et qu’ils ne s’attendaient pas à découvrir. Quoi qu’il en soit, même si ce facteur s’appliquait ici, je ne peux imaginer d’autre moyen licite que le policier aurait pu utiliser pour obtenir la preuve et dont l’inutilisation en l’espèce aurait rendu sa conduite flagrante et injustifiable.

75 Pour ce qui est du caractère envahissant, je tiens à préciser que la fouille ne doit pas être appréciée dans l’abstrait, mais plutôt par comparaison à ce qui aurait été acceptable dans les circonstances. Cette conclusion découle du fait que, à cette étape de l’analyse, le tribunal détermine la gravité de la violation de la Charte et non la gravité de la fouille elle‑même. Si le policier était légalement justifié de procéder à une fouille par palpation en l’espèce, je vois mal comment le petit geste additionnel qu’il a posé en cédant inconsciemment à la curiosité et en glissant sa main à l’intérieur de la poche kangourou du chandail de l’appelant peut suffire à déplacer la violation survenue dans la présente affaire à l’extrémité du spectre où l’on trouve les atteintes « graves ». La partie licite de la fouille, c’est‑à‑dire lorsque le policier a touché la personne de l’appelant, était beaucoup plus envahissante que la partie illicite de la fouille, à savoir l’introduction de la main à l’intérieur de la poche ouverte du chandail de l’appelant.

76 Quant au degré de respect de sa vie privée auquel l’appelant était raisonnablement justifié de s’attendre lors de l’événement en question, j’estime qu’il faut tenir compte du fait que la fouille a eu lieu tard le soir (vers minuit) et dans un [traduction] « quartier où le taux de criminalité est élevé », à environ deux pâtés de maisons de l’endroit où l’introduction par effraction a été commise. L’attente en matière de respect de la vie privée dans des endroits publics fréquemment patrouillés par des policiers est moindre qu’à la maison ou au travail, par exemple.

77 Enfin, bien que la situation n’ait peut‑être pas été « urgente », et bien que les policiers n’aient peut‑être pas disposé de « motifs raisonnables et probables », l’application de tous les autres facteurs susmentionnés ne permet pas, à mon avis, de conclure que nous sommes en présence d’une violation très grave.

78 En ce qui concerne la troisième étape de l’analyse fondée sur le par. 24(2), je suis en désaccord avec la conclusion des juges majoritaires selon laquelle l’inclusion de la preuve en l’espèce déconsidérerait l’administration de la justice. En toute déférence, je crois que c’est plutôt l’exclusion de cette preuve qui mènerait à ce résultat. Comme l’a affirmé notre Cour dans les arrêts Law et Buhay, précités, la troisième étape de l’analyse fondée sur le par. 24(2) porte essentiellement sur l’importance de l’élément de preuve litigieux pour la preuve de la Couronne et sur la gravité de l’infraction. Comme le souligne le juge Iacobucci au par. 57, « il fait peu de doute que la marijuana saisie constitue l’essentiel de la preuve de la Couronne contre l’appelant ». La marijuana et les « sachets » saisis par les policiers dans la présente affaire constituent la seule preuve indiquant que l’accusé avait la drogue en sa possession et entendait la vendre dans un proche avenir. En outre, la jurisprudence de notre Cour étaye solidement l’opinion selon laquelle la possession de marijuana en vue d’en faire le trafic (par opposition à la simple possession) constitue une infraction « grave » pour l’application du par. 24(2) de la Charte (voir R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3, p. 34; R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281, p. 295; R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223, p. 241 et 261; R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8, par. 31). Tout récemment dans l’arrêt Buhay, précité, affaire portant (comme en l’espèce) sur une accusation de possession d’un sac contenant de la marijuana en vue d’en faire le trafic, la juge Arbour a écrit ceci au nom de la Cour, au par. 68 :

En l’espèce, la déclaration de culpabilité dépendait de la recevabilité de la preuve. Celle‑ci était donc essentielle à la poursuite. Dans Kokesch, précité, p. 34, le juge Sopinka dit ceci au sujet de la gravité de l’infraction :

Les infractions dont l’appelant est inculpé sont graves, bien que les infractions relatives aux stupéfiants tels que le chanvre indien soient généralement considérées comme moins sérieuses que celles qui concernent des drogues « dures » comme la cocaïne et l’héroïne.

Ces facteurs militent en faveur de l’utilisation de la preuve. [Je souligne.]

79 En terminant, je ne partage pas l’opinion des juges majoritaires selon laquelle la déférence que commandent les conclusions du juge du procès sur l’application du par. 24(2) soutient le résultat auquel ils arrivent en l’espèce. La conclusion tirée par le juge Conner de la Cour provinciale au sujet du par. 24(2) reposait entièrement sur le fait que, à son avis, les éléments de preuve litigieux [traduction] « ont été obtenus en mobilisant l’accusé contre lui‑même », de telle sorte que leur utilisation aurait compromis « l’équité du procès » suivant le premier volet du critère décrit plus tôt. Les juges majoritaires rejettent explicitement, avec raison selon moi, cette conclusion au motif qu’il s’agit d’une erreur de droit. Comme leur analyse est axée sur l’application des deuxième et troisième volets de l’examen fondé sur le par. 24(2) (que n’a par ailleurs aucunement abordés le juge Conner), il m’est difficile de voir en quoi ils témoignent de la déférence envers les conclusions du juge du procès.

V. Conclusion

80 Le présent pourvoi soulève d’importantes questions que notre Cour n’avait pas examinées directement. À l’exception des réserves que j’ai exprimées précédemment, je souscris aux conclusions des juges majoritaires quant à l’existence en common law d’un pouvoir autorisant les policiers à détenir et à fouiller une personne lorsqu’ils ont des motifs concrets de croire que celle‑ci a participé ou participera à la perpétration d’une infraction criminelle. Pour ce qui est de l’application du par. 24(2) aux éléments de preuve recueillis par les policiers, non seulement ces éléments n’ont‑ils pas été obtenus en mobilisant l’accusé contre lui‑même, mais les policiers les ont trouvés au cours d’une fouille qui, même si elle était illégale, était par ailleurs si intimement liée à une fouille légale qu’elle n’a constitué qu’une violation minime. Vu ces conclusions et l’importance des éléments pour la preuve de la Couronne relativement à une grave accusation, je ne suis pas convaincue que leur utilisation serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Par conséquent, je rejetterais le présent pourvoi.

Pourvoi accueilli, les juges Bastarache et Deschamps sont dissidents.

Procureurs de l’appelant : Legal Aid Manitoba, Winnipeg; Phillips, Aiello, Winnipeg.

Procureur de l’intimée : Procureur général du Canada, Vancouver.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Ministère du Procureur général, Toronto.

Procureur de l’intervenante l’Association canadienne des chefs de police : Edmonton Police Service, Edmonton.

Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario) : Cavalluzzo Hayes Shilton McIntyre & Cornish, Toronto.

Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Borden Ladner Gervais LLP, Toronto.

* Une requête en nouvelle audition a été rejetée le 28 octobre 2004. Ce jugement a modifié le par. 40 de la version française. La modification a été incorporée dans les présents motifs. Le juge Iacobucci n’a pas pris part à la nouvelle audition.


Synthèse
Référence neutre : 2004 CSC 52 ?
Date de la décision : 23/07/2004
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et l’acquittement est rétabli

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Fouilles, perquisitions et saisies - Interception et détention par des policiers s’approchant de la scène d’un crime d’une personne correspondant à la description du suspect - Policier sentant un objet mou dans la poche de cette personne lors de la fouille par palpation - Policier glissant la main dans cette poche et y trouvant de la marijuana - Personne accusée de possession de marijuana en vue d’en faire le trafic - La fouille de la poche de cette personne était‑elle abusive? - Dans l’affirmative, l’élément de preuve doit‑il être écarté? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 24(2).

Droit criminel - Détention aux fins d’enquête - Pouvoir de fouille accessoire à la détention aux fins d’enquête - Existe‑t‑il, en common law, un pouvoir habilitant les policiers à détenir une personne aux fins d’enquête? - Dans l’affirmative, existe‑t‑il, en common law, un pouvoir de fouille accessoire à une détention aux fins d’enquête?.

Police - Pouvoirs des policiers - Détention aux fins d’enquête - Fouille accessoire aux détentions pour fins d’enquête - Étendue de la fouille.

Deux policiers s’approchant de la scène d’une introduction par effraction ont aperçu M qui marchait tranquillement sur le trottoir. Ce dernier correspondait à la description du suspect. Ils l’ont intercepté. M s’est identifié et s’est plié à une fouille par palpation visant à déterminer s’il était en possession d’une arme dissimulée. Le policier qui effectuait la fouille a senti un objet mou à l’intérieur de la poche de M. Il a glissé sa main dans cette poche et y a trouvé un petit sac en plastique contenant de la marijuana. Dans une autre poche, il a trouvé un certain nombre de sachets en plastique. M a été arrêté et accusé de possession de marijuana en vue d’en faire le trafic. Le juge du procès a conclu que la fouille de la poche de M avait contrevenu à l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il a estimé que le policier avait été justifié de fouiller l’appelant pour des raisons de sécurité, mais que rien ne permettait d’inférer qu’il était raisonnable d’examiner l’intérieur de la poche pour des raisons de sécurité. La preuve a été écartée en application du par. 24(2) de la Charte, son utilisation étant susceptible de compromettre l’équité du procès, et l’accusé a été acquitté. La Cour d’appel a annulé l’acquittement et ordonné la tenue d’un nouveau procès, concluant que la détention et la fouille par palpation étaient autorisées par la loi et n’étaient pas abusives dans les circonstances.

Arrêt (les juges Bastarache et Deschamps sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli et l’acquittement est rétabli.

Les juges Iacobucci, Major, Binnie, LeBel et Fish : Les policiers étaient habilités à détenir M aux fins d’enquête et à le soumettre à une fouille par palpation pour assurer leur sécurité, mais la fouille des poches de M était injustifiée et la preuve découverte dans celles‑ci doit être écartée.

Bien qu’il n’existe pas de pouvoir général de détention aux fins d’enquête, les policiers peuvent détenir une personne aux fins d’enquête s’ils ont des motifs raisonnables de soupçonner, à la lumière de toutes les circonstances, que cette personne est impliquée dans un crime donné et qu’il est raisonnablement nécessaire de la détenir suivant une considération objective des circonstances. Parmi ces circonstances, mentionnons la mesure dans laquelle il est nécessaire au policier de porter atteinte à une liberté individuelle afin d’accomplir son devoir, la liberté à laquelle il est porté atteinte, ainsi que la nature et l’étendue de cette atteinte. Une personne détenue aux fins d’enquête doit au minimum être informée en langage clair et simple des motifs de la détention. Une détention aux fins d’enquête exécutée conformément au pouvoir fondé sur la common law reconnu en l’espèce ne porte pas atteinte aux droits que l’art. 9 de la Charte garantit à la personne détenue. Les détentions effectuées aux fins d’enquête doivent être brèves et l’observation des conditions prescrites par l’al. 10b) ne saurait être utilisée comme une excuse pour prolonger indûment et artificiellement de telles détentions. Les personnes détenues aux fins d’enquête n’ont pas l’obligation de répondre aux questions des policiers. Le policier qui possède des motifs raisonnables de croire que sa sécurité ou celle d’autrui est menacée peut soumettre la personne qu’il détient à une fouille par palpation préventive. Il convient de distinguer les détentions aux fins d’enquête ainsi que le pouvoir de fouille préventive y afférent des arrestations et du pouvoir de fouille y afférent.

En l’espèce, la saisie de la marijuana a contrevenu à l’art. 8 de la Charte. Les policiers possédaient des motifs raisonnables de détenir M et d’effectuer une fouille préventive, mais ils n’avaient aucun motif raisonnable de fouiller la poche de M. Cet aspect plus envahissant de la fouille a constitué une violation abusive des attentes raisonnables de M en matière de respect de sa vie privée à l’égard du contenu de ses poches. Qui plus est, le ministère public ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la fouille n’avait pas été effectuée de manière abusive.

La preuve doit être écartée en application du par. 24(2) de la Charte. Comme la marijuana n’avait pas été obtenue en mobilisant M contre lui‑même, le juge du procès a commis une erreur en déclarant la preuve inadmissible pour le motif que son utilisation compromettait l’équité du procès, mais sa décision d’écarter cette preuve était fondée. La fouille a excédé ce qui était nécessaire pour atténuer les inquiétudes relatives à la sécurité du policier et révèle une atteinte grave au droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives garantie à M. Lorsque le policier a glissé sa main à l’intérieur de la poche du vêtement de M, la fouille a changé d’objet. Elle a cessé d’être axée sur des considérations de sécurité pour viser plutôt la détection et la cueillette d’éléments de preuve, devenant ainsi une fouille effectuée en vue de trouver des preuves, et ce en l’absence de motifs raisonnables et probables. Bien qu’une fouille par palpation soit une procédure peu envahissante, la fouille de la poche intérieure du vêtement de M doit être mise en balance avec l’absence de tout motif raisonnable la justifiant. La bonne foi du policier n’est qu’un des facteurs de l’analyse. Elle doit être examinée en corrélation avec d’autres facteurs touchant à la gravité de l’atteinte et elle ne peut être invoquée lorsque la violation de la Charte découle d’une erreur déraisonnable d’un agent de police ou de la méconnaissance de l’étendue de son pouvoir. Enfin, bien que l’exclusion de la preuve affaiblisse considérablement la preuve de la Couronne contre l’appelant, voire la réduise à néant, et que la possession de marijuana en vue d’en faire le trafic soit une infraction grave, la nature des droits fondamentaux en cause et l’absence de fondement raisonnable justifiant la fouille tendent à indiquer que l’inclusion de la preuve déconsidérerait l’administration de la justice.

Les juges Bastarache et Deschamps (dissidents) : Il existe en common law un pouvoir autorisant les policiers à détenir et à fouiller une personne lorsqu’ils ont des motifs concrets de croire que celle‑ci a participé ou participera à la perpétration d’une infraction criminelle. Dans la formulation de la norme qui doit être respectée pour que naisse le pouvoir de détention reconnu par la common law, il faut préférer l’expression « motifs concrets » à l’expression « motifs raisonnables de détention ». Il s’agit d’un critère avec lequel les tribunaux canadiens sont familiers et qu’ils éprouvent peu de difficulté à appliquer. Facteur plus important, l’emploi de l’expression « motifs raisonnables » pourrait amener à conclure erronément que le degré de justification requis à l’égard d’une détention est le même qu’à l’égard d’une arrestation, situation qui contrecarrerait l’objectif même du pouvoir de détention reconnu par la common law. Toute fouille accessoire à une détention doit comporter un lien logique avec l’objectif de la détention initiale et être raisonnablement nécessaire pour assurer la sécurité des policiers ou du public, pour préserver des éléments de preuve ou pour empêcher l’évasion d’un prévenu. Selon les circonstances, d’autres objectifs pourraient être acceptables. Comme le pouvoir de fouille accessoire à une détention est moins étendu que le pouvoir de fouille accessoire à une arrestation, l’objectif consistant à découvrir des éléments de preuve d’un crime ne saurait justifier une fouille accessoire à une détention aux fins d’enquête.

Bien que la fouille de la poche du vêtement de M ait violé l’art. 8 de la Charte, la preuve ne devrait pas être écartée en application du par. 24(2). Premièrement, la preuve recueillie par les policiers n’a pas été obtenue en mobilisant M contre lui‑même et son utilisation ne compromettrait pas l’équité du procès. Deuxièmement, il n’y a pas eu violation grave de la Charte. La fouille a été exécutée de bonne foi et les éléments de preuve ont été trouvés au cours d’une fouille qui était si intimement liée à une fouille légale qu’elle n’a constitué qu’une violation minime. Troisièmement, M est accusé d’une infraction grave et les éléments recueillis sont essentiels à la preuve de la Couronne. En l’espèce, c’est l’exclusion de la preuve, et non son inclusion, qui déconsidérerait l’administration de la justice.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Mann

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Iacobucci
Arrêts mentionnés : R. c. Waterfield, [1963] 3 All E.R. 659
Watkins c. Olafson, [1989] 2 R.C.S. 750
R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654
Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2
Cloutier c. Langlois, [1990] 1 R.C.S. 158
R. c. Godoy, [1999] 1 R.C.S. 311
R. c. Simpson (1993), 12 O.R. (3d) 182
R. c. Storrey, [1990] 1 R.C.S. 241
R. c. Feeney, [1997] 2 R.C.S. 13
R. c. Murray (1999), 136 C.C.C. (3d) 197
R. c. Jacques, [1996] 3 R.C.S. 312
R. c. Asante‑Mensah, [2003] 2 R.C.S. 3, 2003 CSC 38
Terry c. Ohio, 392 U.S. 1 (1968)
United States c. Cortez, 449 U.S. 411 (1981)
Adams c. Williams, 407 U.S. 143 (1972)
United States c. Mendenhall, 446 U.S. 544 (1980)
United States c. Hensley, 469 U.S. 221 (1985)
R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265
R. c. Buhay, [2003] 1 R.C.S. 631, 2003 CSC 30
R. c. Golden, [2001] 3 R.C.S. 679, 2001 CSC 83
Minnesota c. Dickerson, 508 U.S. 366 (1993)
U.S. c. Casado, 303 F.3d 440 (2002)
R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615
Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33
R. c. Law, [2002] 1 R.C.S. 227, 2002 CSC 10
R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607
R. c. Malmo‑Levine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74
R. c. Duguay, [1989] 1 R.C.S. 93
R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755
R. c. Belnavis, [1997] 3 R.C.S. 341.
Citée par la juge Deschamps (dissidente)
R. c. Simpson (1993), 12 O.R. (3d) 182
R. c. Davis (2004), 346 A.R. 141, 2004 ABCA 33
R. c. Campbell (2003), 175 C.C.C. (3d) 452, 2003 MBCA 76
R. c. Bernard, [2003] J.Q. no 5394 (QL)
Terry c. Ohio, 392 U.S. 1 (1968)
R. c. Waterfield, [1963] 3 All E.R. 659
R. c. Murray (1999), 136 C.C.C. (3d) 197
Cloutier c. Langlois, [1990] 1 R.C.S. 158
R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607
R. c. Caslake, [1998] 1 R.C.S. 51
R. c. Buhay, [2003] 1 R.C.S. 631, 2003 CSC 30
R. c. Law, [2002] 1 R.C.S. 227, 2002 CSC 10
R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3
R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281
R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223
R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 9, 10a), b), 24.
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 494, 495, 504.
Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, art. 5(2).
Doctrine citée
Coughlan, Steve. « Search Based on Articulable Cause : Proceed with Caution or Full Stop? » (2002), 2 C.R. (6th) 49.
Sopinka, John, Sidney N. Lederman and Alan W. Bryant. The Law of Evidence in Canada, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1999.
Stribopoulos, James. « A Failed Experiment? Investigative Detention : Ten Years Later » (2003), 41 Alta. L. Rev. 335.
Young, Alan. « All Along the Watchtower : Arbitrary Detention and the Police Function » (1991), 29 Osgoode Hall L.J. 329.

Proposition de citation de la décision: R. c. Mann, 2004 CSC 52 (23 juillet 2004)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2004-07-23;2004.csc.52 ?
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