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01/12/2020 | BELGIQUE | N°P.20.1159.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 01 décembre 2020, P.20.1159.N


N° P.20.1159.N
K. M.,
personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen,
demandeur en cassation,
Mes Benjamin Gillard, avocat au barreau de Louvain, et Arhan Askarovitch-Egamberdiev, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 16 novembre 2020 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation, statuant comme juridiction de renvoi ensuite de arrêt de la Cour du 31 mars 2020.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifi

ée conforme.
Le conseiller Peter Hoet a fait rapport.
L’avocat général Bart De Smet a...

N° P.20.1159.N
K. M.,
personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen,
demandeur en cassation,
Mes Benjamin Gillard, avocat au barreau de Louvain, et Arhan Askarovitch-Egamberdiev, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 16 novembre 2020 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation, statuant comme juridiction de renvoi ensuite de arrêt de la Cour du 31 mars 2020.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Peter Hoet a fait rapport.
L’avocat général Bart De Smet a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
1. Le moyen est pris de la violation des articles 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 6 du Traité sur l'Union européenne, 6 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 1er, alinéa 3, et 15.2. de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres et 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d’arrêt européen, ainsi que de la méconnaissance des droits de la défense : l’arrêt considère que le juge suédois doit, en tout état de cause, mettre en balance l’objectif visé par la détention et les intérêts du suspect et que l’affirmation du demandeur, qui suppose l’existence d’une obligation de détention à laquelle il est presque impossible d’échapper, repose sur une lecture erronée de la législation, de la doctrine et de la jurisprudence suédoises applicables, telles qu’elles ont été soumises aux juges d’appel ; l’arrêt ne peut toutefois déduire légalement de ce constat que le système suédois en matière de détention provisoire garantirait dans des cas concrets qu’il ne peut être question d’une privation de liberté que lorsque celle-ci s’avère indispensable et qu’il répond ainsi à la condition de nécessité stricte de la détention provisoire découlant de l’article 5, § 1er, de la Convention ; la simple mise en balance des intérêts du suspect et des intérêts de l’autorité ne peut être assimilée à une analyse de nécessité ; en ne reportant pas la cause et en ne demandant pas à l’autorité d’émission de fournir les informations complémentaires précisées dans les conclusions d’appel, l’arrêt méconnait les droits de défense du demandeur ; en effet, il lui devient impossible de faire confirmer par des preuves en provenance des autorités suédoises ce qu’il allègue, à tout le moins, de façon plausible sur pied des informations dont il peut raisonnablement disposer.
2. L’article 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 dispose : « L'exécution d'un mandat d'arrêt européen est refusée dans les cas suivants : … s'il y a des raisons sérieuses de croire que l'exécution du mandat d'arrêt européen aurait pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne concernée, tels qu'ils sont consacrés par l'article 6 du traité sur l'Union européenne.»
3. Il appert de la considération 10 du préambule de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 que la réglementation en matière de mandat d’arrêt européen repose sur un haut degré de confiance entre les Etats membres. Ce haut degré de confiance entre les Etats membres implique une présomption de respect, par l’Etat membre d’émission, des droits fondamentaux visés à l’article 4, 5°, de la loi sur le mandat d’arrêt européen.
4. La juridiction d’instruction apprécie souverainement si les éléments circonstanciés évoqués indiquant un danger manifeste pour les droits fondamentaux de l’intéressé suffisent à renverser cette présomption.
5. Cette appréciation ne doit avoir trait qu’au cas concret de la personne faisant l’objet du mandat d’arrêt européen et non à d’autres cas.
6. Si la juridiction d’instruction s’estime, sur pied des informations contenues dans le dossier et soumises par les parties, suffisamment éclairée sur la portée de la réglementation dans l’Etat d’émission, les dispositions visées au moyen ou les droits de la défense n'obligent pas la juridiction d'instruction à obtenir auprès de l’Etat d’émission des informations complémentaires sur cette réglementation avant de se prononcer sur le motif de refus visé à l'article 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003. Il ne résulte pas de la seule circonstance qu’une doctrine déterminée s’interroge sur la compatibilité du droit de l’Etat d’émission avec l’une des dispositions de la Convention que la juridiction d’instruction soit nécessairement tenue d’obtenir des informations complémentaires sur ce point.
7. Pour l’appréciation précitée, la Cour vérifie si le juge ne tire pas de ses constatations des conséquences sans lien avec elles ou qu’elles ne sauraient justifier.
8. En ce qui concerne la violation alléguée des droits fondamentaux du demandeur découlant de la prétendue non-conformité de sa détention provisoire en Suède avec l'article 5.1 de la Convention, les juges d'appel statuent de la manière suivante :
- le chapitre 24, section 1, du Code suédois de procédure pénale fixe les conditions de placement en détention provisoire d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction ;
- à la lecture de cette législation, telle que communiquée par les parties, il appert tout d’abord que la détention provisoire n’est possible que lorsque l’infraction dont l’intéressé est suspecté, est passible d’une peine maximale d’au moins un an de détention ;
- ensuite, la législation suédoise distingue les infractions pour lesquelles la loi prévoit une peine minimale de moins de deux ans d’emprisonnement et les infractions passibles d’une peine minimale de deux ans ou plus ;
- pour la première catégorie, la détention provisoire n’est possible que si l’intéressé présente des risques de fuite, de récidive ou d’entrave à l’enquête ;
- pour la seconde catégorie, en l’espèce celle du demandeur, ces trois conditions non-cumulatives ne sont pas valables, mais bien celle selon laquelle cette personne est maintenue en détention, à moins que la détention ne soit manifestement pas justifiée ;
- pour les deux catégories, une détention provisoire ne peut être infligée que si le motif de la détention l'emporte sur la violation ou le préjudice des intérêts du suspect ou de tiers ;
- il appert de ce qui précède que, contrairement à ce que le demandeur soutient, la détention provisoire pour la plus lourde des deux catégories d’infraction n’est aucunement un automatisme et que le juge doit mettre en balance l’objectif visé par la détention et les intérêts visés du suspect ;
- l’on part uniquement de la présomption qu’en cas d’infractions plus graves, il existe, en règle, un danger de fuite, de collusion ou de poursuite des activités criminelles ;
- l’allégation du demandeur, selon laquelle il existe une obligation de détention à laquelle il est quasiment impossible d’échapper, repose donc sur une lecture erronée des législation, doctrine et jurisprudence suédoises applicables, telles que soumises à la chambre des mises en accusation ;
- il appert d’un arrêt cité du 19 décembre 1985 que la Haute Cour de Justice pèse individuellement les critères d’application à la catégorie inférieure, même concernant la catégorie la plus grave d’infraction.
9. L’arrêt considère en outre que :
- en droit suédois, la délivrance d’un mandat d’arrêt européen en vue de poursuites pénales repose nécessairement sur la décision prise par une instance judiciaire de placer l’intéressé en détention provisoire ;
- à la prise d’une telle décision, la proportionnalité de cette mesure est invariablement évaluée ;
- l’examen de la proportionnalité effectué par le juge dans le cadre de l’examen de la nécessité de la détention provisoire aura trait notamment à l’émission d’un mandat d’arrêt européen ;
- en droit suédois, une personne recherchée sur pied d’un mandat d’arrêt européen sans limitation dans le temps a le droit de faire appel de la décision ordonnant sa détention provisoire, même après la délivrance du mandat d’arrêt européen et après son arrestation dans l’Etat d’exécution.
Par l’ensemble de ces motifs, les juges d’appel ont indiqué que le système suédois répond à la condition de la nécessité stricte visée à l’article 5, § 1er, de la Convention. Sur pied de l’ensemble de ces motifs, l’arrêt peut légalement décider que les juges d’appel ont été suffisamment informés et que demander des informations complémentaires aux autorités suédoises n’est dès lors pas nécessaire, et qu’aucune méconnaissance des droits du demandeur garantis par l'article 5 de la Convention n'est perceptible.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
10. Le moyen est pris de la violation des articles 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 6 du traité sur l’Union européenne, 6 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, 1er, alinéa 3, de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 et 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 : l’arrêt décide, à tort, que l’impossibilité, en droit suédois, de libérer sous conditions une personne placée en détention provisoire qui est suspectée d’une infraction passible d’une peine de prison de deux ans minimum, ne méconnaît aucun droit fondamental, dans la mesure où une remise en liberté est possible sans conditions ; partant, il décide, à tort, que l’exécution du mandat d’arrêt européen délivré à l’encontre du demandeur ne doit pas être refusée ; à tout le moins, les dispositions mentionnées du droit suédois et leur interprétation par l’arrêt posent question sur la compatibilité de l’impossibilité d’une remise en liberté sous conditions avec les dispositions internationales visées au moyen.
Il est demandé de poser la question préjudicielle suivante à la Cour de justice de l’Union européenne: “L'impossibilité, en droit suédois, pour une personne soupçonnée d'une infraction pour laquelle aucune peine inférieure à deux ans d'emprisonnement n'est prévue et qui est placée en détention provisoire à cette fin, d'être libérée sous conditions, est-elle compatible avec l’article 1er, alinéa 3, décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002, lue en combinaison avec l’article 6 du Traité sur l’Union européenne, l’article 6 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ?”
11. L’article 5.1.c de la Convention dispose : “Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : c) s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci.”
L’article 5.3 de la Convention dispose : “Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1er, c, du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience.”
12. Il résulte de ces dispositions qu'il est requis qu'une autorité judiciaire décide si, au regard des dispositions conventionnelles précitées et du droit national, la détention provisoire est et demeure légale et nécessaire et si sa durée est encore raisonnable. Un système dans lequel le simple fait d'être soupçonné d'avoir commis une infraction donnée rend la détention provisoire obligatoire est contraire à ces dispositions. Il ne découle toutefois pas de ces dispositions qu'un suspect devrait avoir un droit absolu à la libération sous conditions ou sous caution.
Déduit d’une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
13. Comme l’indique la réponse au premier moyen, la juridiction d’instruction apprécie souverainement si les éléments circonstanciés évoqués indiquant un danger manifeste pour les droits fondamentaux de l’intéressé suffisent à renverser la présomption précitée de confiance entre Etats membres. La Cour se borne à vérifier si le juge ne déduit pas de ses constatations des conséquences sans lien avec elles ou qu’elles ne sauraient justifier.
14. L’arrêt apprécie comme suit la méconnaissance invoquée des droits fondamentaux du demandeur découlant de l’impossibilité d’être libéré sous conditions :
- en supposant que la doctrine citée et le bref extrait des travaux préparatoires reflètent l'opinion générale des juristes suédois et correspondent à la jurisprudence suédoise dominante, il doit être constaté qu'aucune méconnaissance d'un droit fondamental ne peut en être déduite ;
- il est uniquement affirmé pour la catégorie la plus grave d’infractions qu’une libération assortie d’une interdiction de quitter le pays ou l’obligation de se présenter à la police à des moments précis n’est pas une alternative légale à la détention ;
- il n’est toutefois pas prétendu qu’une libération sous conditions est exclue, mais uniquement qu’en cas de libération éventuelle, aucune condition ne peut plus être imposée ;
- il y a lieu de renvoyer au fait qu’une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen sans limitation dans le temps peut introduire un recours contre la décision imposant la détention provisoire et qu’au moment de statuer sur ce recours, le juge suédois examinera la proportionnalité de la délivrance du mandat d’arrêt européen et le cas échéant libérera l’intéressé sans imposer de condition complémentaire.
Sur la base de ces motifs, les juges d’appel ont pu légalement décider que l’impossibilité alléguée de libération sous conditions ne méconnaît pas les droits fondamentaux du demandeur.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
15. La question préjudicielle qui, ainsi qu’il appert de ce qui précède, repose sur une prémisse juridique erronée, n’est pas posée.
Le contrôle d’office
16. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Peter Hoet, Erwin Francis, Sidney Berneman et Ilse Couwenberg, conseillers, et prononcé en audience publique du premier décembre deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Bart De Smet, avec l’assistance du greffier délégué Ayse Birant.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Tamara Konsek et transcrite avec l’assistance du greffier Fabienne Gobert.


Synthèse
Formation : Chambre 2n - tweede kamer
Numéro d'arrêt : P.20.1159.N
Date de la décision : 01/12/2020
Type d'affaire : Droit pénal - Autres - Droit international public

Composition du Tribunal
Président : JOCQUE GEERT
Greffier : VANDEN BOSSCHE KRISTEL, BIRANT AYSE
Ministère public : DE SMET BART
Assesseurs : VAN VOLSEM FILIP, HOET PETER, LIEVENS ANTOINE, FRANCIS ERWIN, BERNEMAN SIDNEY, COUWENBERG ILSE, VAN DOOREN ERIC, VAN OVERBEKE STEVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-12-01;p.20.1159.n ?

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