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01/12/2020 | BELGIQUE | N°P.20.0784.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 01 décembre 2020, P.20.0784.N


N° P.20.0784.N
L. D.,
prévenu,
demandeur en cassation,
Me Karolien Van de Moer, avocat au barreau d’Anvers,
contre
1. FLEXTRONICS CYPRUS ltd, dont le siège est établi à Nicosie (Chypre),
2. FLEXTRONICS LOGISTICS bv, dont le siège est établi à Venray (Pays-Bas),
Me Benjamin Gillard, avocat au barreau de Louvain,
3. FLEXTRONICS BEERSE, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles,
parties civiles,
défenderesses en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 24 juin 2020

par la cour d’appel d’Anvers, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque quatorze moyens dans un mém...

N° P.20.0784.N
L. D.,
prévenu,
demandeur en cassation,
Me Karolien Van de Moer, avocat au barreau d’Anvers,
contre
1. FLEXTRONICS CYPRUS ltd, dont le siège est établi à Nicosie (Chypre),
2. FLEXTRONICS LOGISTICS bv, dont le siège est établi à Venray (Pays-Bas),
Me Benjamin Gillard, avocat au barreau de Louvain,
3. FLEXTRONICS BEERSE, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles,
parties civiles,
défenderesses en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 24 juin 2020 par la cour d’appel d’Anvers, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque quatorze moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 5 novembre 2020, l’avocat général Bart De Smet a déposé des conclusions au greffe.
À l’audience du 1er décembre 2020, le conseiller Erwin Francis a fait rapport et l’avocat général précité ou a conclu.
Le 24 novembre 2020, le demandeur a déposé au greffe de la Cour une note telle que visée à l’article 1107, alinéa 3, du Code judiciaire.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur la recevabilité du pourvoi :
1. Dans la mesure où il est dirigé contre les décisions de l’arrêt acquittant le demandeur des faits mis à sa charge, le pourvoi est irrecevable à défaut d’intérêt.
2. L’arrêt ne contient pas de disposition faisant grief au demandeur pour ce qui concerne les défenderesses 1 et 3.
Dans la mesure où il est dirigé contre ces défenderesses, le pourvoi est irrecevable, à défaut d’intérêt.
Sur le premier moyen :
3. Le moyen est pris de la violation des articles 6, § 1er, et 6, § 3, a, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que de la méconnaissance des principes généraux du droit relatifs au respect des droits de la défense et au droit à un procès équitable : l’arrêt rejette la défense du demandeur selon laquelle l’action publique relative aux préventions A.I, 1, 3, 4, 5 et 6 (faux en écritures) est irrecevable ; il considère que le demandeur a bel et bien connaissance des faits pour lesquels il doit se défendre et que les qualifications juridiques sont suffisamment claires, univoques et détaillées ; la partie poursuivante doit informer la partie poursuivie, dans le plus court délai et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation ; cette information doit être complète et détaillée dans l’acte de saisine ou dans une note jointe et, le cas échéant, il doit y être fait expressément référence à un ou plusieurs procès-verbaux du dossier répressif ; il doit être mentionné pour chaque facture en quoi elle est inexacte ; il ne suffit pas qu’un prévenu ait été « suffisamment » informé des faits pour lesquels il doit se défendre ; la personne poursuivie ne doit pas examiner dans le dossier répressif les faits matériels pour lesquels elle pourrait être poursuivie, a fortiori lorsque la prévention ne fait aucunement référence à un procès-verbal ; le manque de clarté des préventions ne permet pas au demandeur de savoir quels faux lui sont reprochés pour chaque facture ; en réponse à la défense du demandeur, le ministère public a attendu le cours de la procédure devant les premiers juges et les juges d’appel pour donner des explications concernant les factures qualifiées de fausses, lesquelles se sont révélées partielles et insuffisantes ; le demandeur n’a donc été informé ni d’une manière détaillée ni dans le plus court délai de la cause de l’accusation ; en raison notamment du fait que les préventions se rapportent à pas moins de 62 factures, l’arrêt ne peut légalement rejeter la défense du demandeur sur la base des constatations qu’il énonce ; l’arrêt ne peut davantage rejeter cette défense au motif que le demandeur a mené sa défense au fond d’une manière détaillée ; en effet, un prévenu ne peut pleinement se défendre dans les circonstances données et le demandeur a émis des réserves à cet égard.
4. Dans la mesure où il critique l’appréciation souveraine des faits par les juges d’appel ou requiert un examen des faits pour lequel la Cour est sans pouvoir, le moyen est irrecevable.
5. L’article 6, § 3, a, de la Convention dispose que tout accusé a droit à être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui. Cette disposition entend par « la cause » les faits délictueux imputés et par « la nature », la qualification juridique de ces faits.
6. Le juge apprécie souverainement, en se basant sur la qualification des faits dans l’acte de saisine et sur les pièces dont le prévenu a pu prendre connaissance et à propos desquelles il a pu se défendre, quel fait précis constitue l’objet de la prévention et si le prévenu dispose de suffisamment d’informations pour mener sa défense à cet égard.
La Cour vérifie toutefois si le juge ne tire pas de ses constatations des conséquences qui y sont étrangères ou qu’elles ne sauraient justifier.
7. Ni l’article 6, § 1er, ni l’article 6, § 3, a, de la Convention, ni aucun principe général du droit ne subordonne à une quelconque formalité particulière l’information à donner à l’accusé concernant la nature et la cause de l’accusation portée contre lui.
8. Un prévenu ne doit pas être informé jusque dans les moindres détails de la cause de l’accusation portée contre lui. La seule exigence est que les éléments dont il peut raisonnablement disposer lui fournissent suffisamment d’informations pour se défendre comme il se doit contre cette accusation.
9. Il n’est pas requis qu’un acte de saisine fasse expressément référence à des pièces du dossier répressif ni que cet acte informe expressément un prévenu poursuivi du chef de faux entachant plusieurs actes, des inexactitudes précises contenues dans chaque acte ou de la mesure dans laquelle chaque acte est faux.
10. Rien n’empêche qu’au cours de la procédure devant le juge du fond, le ministère public livre, à sa demande ou non, des informations complémentaires sur la cause de l’accusation ni que le juge tienne compte de ces informations pour apprécier si le prévenu a ou non connaissance des éléments précis au sujet desquels il doit se défendre. Le seul fait que ces informations ne soient pas reprises dans l’acte de notification de l’acte de saisine ni communiquées en même temps au prévenu, que la prise de connaissance des informations fasse suite à sa défense ou qu’elle n’ait lieu ou ne soit complétée qu’au cours de la procédure en appel n’implique pas que le prévenu n’a pas été informé dans le plus court délai des motifs de l’accusation portée contre lui. Pour ce faire, il est uniquement requis que le prévenu dispose, après réception de ces informations, du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, comme prévu par l’article 6, § 3, b, de la Convention.
11. Il appartient bien au prévenu, sur la base des énonciations de l’acte de saisine telles qu’éventuellement précisées dans les pièces complémentaires produites, et des éléments du dossier répressif, d’examiner pour quels faits précis il est poursuivi. Le fait que la prévention ne fasse pas référence à un procès-verbal ou que le prévenu soit poursuivi pour un grand nombre d’infractions, est sans incidence à cet égard.
12. Le juge, lorsqu’il apprécie si un prévenu a été informé suffisamment et en temps utile d’une accusation, peut tenir compte, entre autres, de l’ampleur de la défense menée par ce prévenu contre cette accusation.
13. Dans la mesure où il procède d’autres prémisses juridiques, le moyen manque en droit.
14. Par des motifs précis et circonstanciés, l’arrêt (…) considère notamment que :
- le seul fait que l’objet de l’infraction ait été défini de façon générale n’entraîne pas l’irrecevabilité de l’action publique ;
- la qualification des faits dans l’ordonnance de renvoi et dans les pièces du dossier répressif, par ailleurs détaillée dans les notes du ministère public, fait apparaître clairement quels faits précis sont mis à charge du demandeur de même que les qualifications juridiques y afférentes ;
- pour pouvoir infliger une peine au demandeur, le fait de savoir si les mentions dans les factures entachées de faux sont totalement ou partiellement incorrectes n’est pas pertinent.
15. Par l’ensemble de ces motifs, l’arrêt peut légalement considérer que la manière dont les faits des préventions A.I., 1, 3, 4, 5 et 6 sont qualifiés ne rend pas l’action publique irrecevable en raison d’une violation des droits de défense ou du droit à un procès équitable du demandeur.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
16. Le moyen est pris de la violation des articles 196 et 197 du Code pénal : l’arrêt déclare le demandeur coupable de faux en écritures concernant 16 factures, faisant l’objet des préventions A.I, 1, 3, 4, 5 en 6 ; l’infraction de faux est instantanée ; des circonstances telles l’acceptation ou le refus ultérieurs de la facture par le destinataire n’ont pas pour conséquence qu’un tel écrit qui, au moment de la dissimulation éventuelle de la vérité et donc avant son contrôle, n’avait aucune valeur probante sociale, devienne en fin de compte un écrit protégé par la loi pénale ; les factures précitées contiennent un descriptif des services fournis, de sorte que la personne compétente au sein de la société destinataire de la facture pouvait les contrôler et, ensuite, les accepter ou les rejeter; l’arrêt (…) considère que les factures s’imposent à la foi publique et qu’il était impossible de contrôler si elles étaient correctes parce que le demandeur était responsable non seulement de l’établissement mais aussi de l’approbation des factures, qu’aucune prestation sous-jacente n’était indiquée en détail, que les factures ont été inscrites dans la comptabilité pour justifier des transactions et qu’il existe toujours des instances en charge du contrôle de factures ; l’arrêt ne peut légalement déduire de ces motifs que les factures constituent des écrits protégés par la loi pénale ; lorsque la personne compétente au sein de l’institution destinataire de la facture pour contrôler celle-ci est également responsable des factures émises au sein de la société ayant établi la facture et que la facture décrit les prestations facturées, cette personne est bien placée pour procéder au contrôle et les prestations fournies ne doivent pas toujours être détaillées dans la facture, de sorte que, au moment de l’établissement de la facture et de la dissimilation alléguée de la vérité, la facture n’avait aucune valeur probante sociale ; le traitement comptable ultérieur et l’éventuel contrôle ultérieur par des instances publiques ne peuvent transformer a posteriori la facture en un écrit protégé par la loi.
17. Le faux en écritures visé aux articles 193, 196, 213 et 214 du Code pénal consiste, en ce que, avec une intention frauduleuse ou à dessein de nuire, la réalité est dissimulée, d’une manière déterminée par la loi, dans un écrit protégé par la loi, alors qu’il peut en résulter un préjudice.
Un écrit protégé par la loi est un écrit pouvant faire preuve dans une certaine mesure, c’est-à-dire s’imposer à la foi publique, de sorte que l’autorité ou les particuliers qui en prennent connaissance ou auxquels il est présenté peuvent être convaincus de la réalité de l’acte ou du fait juridique constaté par cet écrit ou sont en droit de lui accorder foi.
18. Un écrit qui n’acquiert valeur probante qu’après acceptation par le destinataire ne s’impose généralement pas à la foi publique. Toutefois, il en va autrement lorsque le contrôle par le destinataire des mentions figurant dans l’écrit est impossible ou lorsque ce contrôle a été rendu impossible par l’intervention de l’émetteur.
19. Il s’ensuit qu’une facture constitue bien un écrit protégé lorsque celui qui l’a établi sait, au moment où il impute des prestations non-fournies, que cette facture ne peut en réalité être contrôlée parce qu’il en assure lui-même le contrôle pour le destinataire. En ce cas, il importe peu de savoir dans quelle mesure les prestations facturées sont indiquées de manière détaillée, dès lors qu’aucun contrôle objectif de ces mentions n’est possible.
Dans la mesure où il procède d’une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
20. Il ressort des motifs sur la base desquels l’arrêt (…) déclare le demandeur coupable des préventions A, B et C.I à C.III, demeurées établies et adaptées, que le demandeur savait d’emblée que le contrôle des factures dans lesquelles il a frauduleusement inscrit des prestations indues effectuées par lui-même ou des tiers, était impossible car il était lui-même en charge de l’acceptation et du paiement de ces factures. L’arrêt peut légalement déduire de ces motifs que ces factures s’imposaient à la foi publique.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
21. Pour le surplus, le moyen est dirigé contre des motifs surabondants et est irrecevable.
(…)
Sur le quatrième moyen :
28. Le moyen est pris de la violation de l’article 496 du Code pénal : l’arrêt considère que le demandeur a été l’auteur d’une manœuvre frauduleuse déterminante, notamment parce que, étant l’un des vendeurs d’actions de Waegener International AG et de la société anonyme Waegener Group, il a indiqué oralement aux acheteurs, au cours des négociations ayant précédé la remise de fonds, qu’il réinvestirait immédiatement dans la société les fonds à remettre ; il ne s’agit toutefois pas d’une manœuvre frauduleuse, puisque faire croire oralement à un usage ultérieur des fonds à remettre constitue exclusivement une affirmation mensongère, non associée à des actes extrinsèques conférant de la crédibilité à cette affirmation mensongère.
29. L’escroquerie consiste à se faire remettre ou délivrer l’une des choses visées à l’article 496 du Code pénal, soit en faisant usage de faux noms ou de fausses qualités, soit en employant des manœuvres frauduleuses, dans le but de s’approprier une chose appartenant à autrui.
30. Les manœuvres frauduleuses sont des moyens trompeurs consistant en des agissements extrinsèques ou accompagnés de tels agissements, en vue de la remise ou de la livraison de la chose.
Par conséquent, de simples allégations mensongères ne constituent des manœuvres frauduleuses que si elles sont accompagnées d’agissements extrinsèques qui leur confèrent une certaine crédibilité. De tels actes peuvent notamment consister en des pratiques qui, considérées dans leur ensemble et non chacune séparément, ont été déterminantes pour la délivrance subséquente de sommes d’argent.
31. En outre, les manœuvres frauduleuses doivent, en principe, précéder la remise ou la délivrance, parce qu’elles doivent être déterminantes pour celles-ci. Ceci n’empêche toutefois pas que des manœuvres frauduleuses puissent également résulter d’un ensemble de faits montés de toutes pièces, en partie avant et en partie après la remise ou la délivrance de la chose. C’est notamment le cas lorsqu’une personne fait une promesse mensongère pour convaincre un tiers de lui remettre des fonds, puis conclut avec ce tiers, au terme de cette remise, une convention qui confère à cette promesse un surcroît de crédibilité. En effet, ces comportements sont constitutifs d’une seule et même mise en scène.
32. L’arrêt (…) considère qu’en l’espèce, il ne s’agit pas seulement de pures affirmations ou prédictions mensongères et que l’objectif était de mettre en place tout un système visant à convaincre les acheteurs d’acheter des actions au prix de 3.000.000,00 euros alors qu’en réalité, elles n’avaient aucune valeur. Le carnet de commande truffé d’inexactitudes, de même que la fausse comptabilité de la société anonyme Waegener R&D qui ont été produits, ont donné lieu à des prévisions mensongères sur les attentes commerciales de la société. Le demandeur a ensuite promis d’établir une convention par laquelle il s’engagerait à investir la contre-valeur des actions dans la société anonyme Waegener Group. Il n’en a toutefois jamais eu l’intention alors qu’il savait que cet élément était déterminant pour les acheteurs. Une fois les fonds reçus, les conventions du 5 janvier 2012 ont été conclues pour la vente d’actions et le réinvestissement des fonds. Hormis quelques paiements destinés à ne pas susciter la méfiance des acheteurs, le demandeur s’est approprié les fonds reçus. Ainsi, l’arrêt considère donc que tous les agissements précités, qui étaient pour partie antérieurs et pour partie postérieurs à la remise des fonds, ont constitué une même mise en scène ou construction par laquelle les affirmations mensongères se sont bel et bien matérialisées par des pièces inexactes et que toute cette mise en scène constitue la manœuvre frauduleuse visée à la prévention B.I.2. Cette décision est légalement justifiée.
Le moyen ne peut être accueilli.
(…)
Sur le neuvième moyen :
Quant à la première branche :
49. Le moyen, en cette branche, est pris de la violation de l’article 505, alinéa 1er, 3° et 4°, du Code pénal: l’arrêt considère que le retrait par le demandeur d’une somme de 1.000.000,00 euros d’un compte bancaire établi à son nom au moyen d’un chèque bancaire tiré sur lui-même, de même que le dépôt subséquent de ce chèque sur un compte également établi à son nom dans une autre banque, constituent la deuxième ou troisième infraction de blanchiment ; ce comportement ne constitue cependant pas en soi une dissimulation, ni quant à l’intention ni quant à l’acte posé, alors que tel est pourtant l’élément central de ces infractions ; il s’agit dans les deux cas d’un compte bancaire établi au nom du même titulaire et le retrait ne s’effectue pas en liquide mais par chèque bancaire à son nom, et ces transactions bancaires sont donc effectuées en toute transparence, sont entièrement traçables et permettent de remonter au titulaire du compte, à la personne qui a effectué le retrait et au bénéficiaire du chèque émis, soit toujours la même personne, sans aucune dissimulation ni déguisement.
50. L’article 505, alinéa 1er, 3°, du Code pénal punit ceux qui auront converti ou transféré des choses visées à l’article 42, 3°, dans le but de dissimuler ou de déguiser leur origine illicite ou d’aider toute personne qui est impliquée dans la réalisation de l’infraction d’où proviennent ces choses, à échapper aux conséquences juridiques de ses actes.
L’article 505, alinéa 1er, 4°, du Code pénal, punit ceux qui auront dissimulé ou déguisé la nature, l’origine, l’emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété des choses visées à l’article 42, 3°, alors qu’ils connaissaient ou devaient connaître l’origine de ces choses au début de ces opérations.
51. Le procédé utilisé par le demandeur, mentionné ci-dessus, n’implique pas nécessairement qu’il n’a pas pu adopter le comportement incriminé par les dispositions précitées avec l’intention requise par chacune d’elles. Il appartient par contre au juge du fond d’apprécier, sur base des agissements concrets du prévenu, si les éléments constitutifs de ces infractions sont présents pour ce qui le concerne.
La Cour vérifie toutefois que le juge ne tire pas de ses constatations des conséquences qui leur sont étrangères ou qu’elles ne sauraient justifier.
52. L’arrêt (…) considère, entre autres :
- « Les transactions suivantes, telles que poursuivies sous D.III, concernent des transferts ou conversions d’avantages patrimoniaux illégaux obtenus par [le demandeur] au moyen de l’infraction déclarée établie sous B.1.2, qu’il a réalisés avec l’intention de dissimuler ou de déguiser l’origine illégale des fonds, ou d’aider l’auteur à se soustraire aux conséquences juridiques de ses actes. L’origine illégale des sommes d’argent obtenues au moyen de l’infraction B.1.2 a été dissimulée ou déguisée par toutes ces transactions » ;
- « Par ce transfert d’avantages patrimoniaux illégaux en émettant un chèque pour ensuite attendre trois jours avant de verser l’argent sur un autre compte personnel [du demandeur], [le demandeur] a agi avec l’intention de dissimuler la provenance illégale de la somme d’argent ou d’aider l’auteur à se soustraire aux conséquences de ses actes. Bien évidemment, cet agissement consiste à dissimuler sciemment et volontairement l’origine illégale, la provenance et la propriété de cette somme en tant qu’avantage patrimonial illégal, et dans ce cadre, il est établi que [le demandeur] en connaissait l’origine illégale avant d’effectuer le transfert. Le procédé suivi par [le demandeur] démontre son intention frauduleuse en l’espèce, également pour les transactions subséquentes. S’il avait voulu agir de la sorte en toute sincérité et transparence, comme il l’affirme dans ses conclusions d’appel de synthèse, il aurait simplement viré les 1.000.000,00 EUR d’un compte à l’autre. Par le procédé utilisé (émission d’un chèque, attente de 3 jours puis versement sur un autre compte), il a justement tout fait pour dissimuler tout lien entre les transactions, et il a ainsi été dissimulé que les 1.000.000,00 EUR crédités le 09.01.2012 sur le compte en banque 320-0682380-55, établi au nom [du demandeur], provenaient de l’escroquerie commise au préjudice [des défenderesses 1 et 2]. L’intention frauduleuse [du demandeur] est établie à cet égard ».
Par ces motifs, l’arrêt peut légalement considérer que le demandeur a commis l’infraction visée à l’article 505, alinéa 1er, 3° et 4°, du Code pénal.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la deuxième branche :
53. Le moyen, en cette branche, est pris de la violation de l’article 505, alinéa 1er, 3° et 4°, du Code pénal: l’arrêt qualifie explicitement de conversion, au sens de l’article 505, alinéa 1er, du Code pénal, le retrait d’un montant de 1.000.000 d’euros d’un compte bancaire au moyen d’un chèque bancaire, suivi du versement des fonds représentés par ce chèque bancaire au crédit d’un autre compte bancaire ; une telle conversion consiste à convertir des avantages patrimoniaux infractionnels en d’autres valeurs ou devises ; le retrait de fonds d’un compte bancaire, non en liquide mais par chèque bancaire, et le dépôt subséquent des fonds sur un autre compte ne constitue pas une conversion au sens de la disposition légale précitée, parce que les fonds des deux comptes concernés et du chèque demeurent de la monnaie scripturale et ne sont pas convertis en numéraire.
54. Par les motifs indiqués dans la réponse à la première branche du moyen, l’arrêt ne limite pas les agissements répréhensibles de la prévention D.III, qu’il déclare établie, à la conversion d’avantages patrimoniaux illégaux, mais y inclut également leur transfert, soit en l’espèce le déplacement de fonds d’un compte à l’autre.
Le moyen, en cette branche, est déduit d’une lecture incomplète de l’arrêt et, dès lors, manque en fait.
(…)
Sur le dixième moyen :
Quant à la première branche :
57. Le moyen, en cette branche, est pris de la violation de l’article 491 Code pénal : l’arrêt déclare, à tort, que le demandeur s’est rendu coupable de la prévention C.I, au préjudice des sociétés anonymes Waegener R&D et Waegener Group ; il considère que l’approbation de ces agissements par le conseil d’administration n’exclut pas l’existence d’un abus de confiance et que l’approbation par le conseil d’administration, dans lequel le demandeur avait une voix très importante, n’exonère pas de la responsabilité pénale ; le conseil d’administration de la société anonyme est l’organe d’administration mais aussi de représentation de cette société, qui a le pouvoir d’aliéner entièrement ou partiellement le patrimoine social ; si l’ensemble du conseil d’administration approuve certaines transactions, la société, c’est-à-dire le propriétaire des fonds, exécutera les transactions financières en vertu de cette approbation, de sorte qu’en l’absence de possession précaire, l’infraction d’abus de confiance au sens de l’article 491 du Code pénal est exclue.
58. Les motifs critiqués de l’arrêt (…) n’ont pas trait à la société anonyme Waegener R&D mais uniquement à la société Waegener Group. Ces motifs ne révèlent pas davantage que l’ensemble du conseil d’administration ait approuvé les transferts d’argent.
Dans la mesure où il s’appuie sur une lecture erronée de l’arrêt, le moyen, en cette branche, manque en fait.
59. Vu le principe de l’autonomie du droit pénal, il appartient au juge pénal d’établir qui, au sein de la société, a réellement détourné ou dissipé frauduleusement les choses visées à l’article 491 du Code pénal. Le juge n’est, à cet égard, pas nécessairement lié par les pouvoirs que le droit des sociétés attribue formellement à un organe de la société tel que le conseil d’administration ni par les conséquences patrimoniales qui en découleraient. Dès lors, le juge peut, sur la base des faits qu’il constate souverainement, considérer qu’une personne physique a commis l’infraction d’abus de confiance au préjudice de la société, que la transaction financière constituant l’objet de l’infraction soit couverte ou non par une décision de son conseil d’administration.
Dans la mesure où il est déduit d’une autre prémisse juridique, le moyen, en cette branche, manque en droit.
Quant à la deuxième branche :
60. Le moyen, en cette branche, est pris de la violation de l’article 491 du Code pénal : l’arrêt considère que, si les transactions indiquées dans la prévention C.I ont été inscrites au débit des comptes courants des sociétés anonymes Waegener R&D ou Waegener Group, il n’en résulte pas d’impossibilité de détourner ou de dissiper celles-ci au sens de l’article 491 du Code pénal, dès lors que le demandeur n’avait aucunement l’intention d’apurer réellement le débit de son compte courant et qu’il a ainsi agi frauduleusement, faisant disparaître l’argent du patrimoine de la société au moment de de la dépense ; l’enregistrement correct des transactions financières, effectué par un administrateur de société, en débit de son compte courant dans la société, ne signifie pas qu’un actif social et donc une partie du patrimoine de cette société ait été détourné ou dissipé ; par cette opération, ce compte courant présente en effet un solde débiteur par lequel la société obtient une créance sur son administrateur pour le montant enregistré, et cet administrateur a une dette vis-à-vis de la société ; ainsi, rien dans le patrimoine de la société n’est dissipé ni détourné ; par le motif que le demandeur n’avait aucunement l’intention de réellement apurer le débit de son compte courant, l’arrêt confond l’élément moral de l’abus de confiance qu’est l’intention frauduleuse et son élément matériel qu’est le détournement ou la dissipation ; par l’inscription au débit de son compte courant, la société acquiert en effet une créance sur son administrateur, laquelle est un élément de l’actif, quelle que soit l’intention de ce dernier.
61. L’abus de confiance requiert, en tant qu’élément constitutif matériel, un détournement ou une dissipation. Un détournement tel que visé ici est l’appropriation de ce qui a été confié à titre précaire. Ce détournement peut consister dans le fait que l’administrateur d’une société s’approprie personnellement des fonds de la société. Le fait que l’administrateur enregistre dans sa comptabilité cette appropriation en tant que dette contractée vis-à-vis de la société, ne porte pas préjudice audit élément constitutif de l’infraction, lorsque l’administrateur, au moment de l’appropriation, sait qu’il ne pourra pas apurer cette créance. Dans ce cas, il se borne en effet à remplacer une composante réelle de l’actif de la société, soit l’argent détourné, par une composante fictive, soit une créance irrécouvrable de la société sur lui-même. Un tel procédé vise uniquement à dissimuler la nature réelle du détournement matériel et est étranger à l’intention frauduleuse de l’administrateur.
Le moyen qui, en cette branche, procède d’une autre prémisse juridique, manque en droit.
(…)
Le contrôle d’office
89. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Peter Hoet, Erwin Francis, Sidney Berneman et Ilse Couwenberg, conseillers, et prononcé en audience publique du premier décembre deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Bart De Smet, avec l’assistance du greffier délégué Ayse Birant.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Eric de Formanoir et transcrite avec l’assistance du greffier Tatiana Fenaux.


Synthèse
Formation : Chambre 2n - tweede kamer
Numéro d'arrêt : P.20.0784.N
Date de la décision : 01/12/2020
Type d'affaire : Droit international public - Autres - Droit pénal

Composition du Tribunal
Président : JOCQUE GEERT
Greffier : VANDEN BOSSCHE KRISTEL, BIRANT AYSE
Ministère public : DE SMET BART
Assesseurs : VAN VOLSEM FILIP, HOET PETER, LIEVENS ANTOINE, FRANCIS ERWIN, BERNEMAN SIDNEY, COUWENBERG ILSE, VAN DOOREN ERIC, VAN OVERBEKE STEVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-12-01;p.20.0784.n ?

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