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10/11/2020 | BELGIQUE | N°P.20.0659.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 10 novembre 2020, P.20.0659.N


N° P.20.0659.N
V. D.,
prévenue,
demanderesse en cassation,
Me Johan Verbist et Beatrix Vanlerberghe, avocats à la Cour de cassation,
contre
1. S. D.,
2. M. G.
3. M. G.,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi en cassation est dirigé contre un arrêt rendu le 27 mai 2020 par la cour d'appel de Gand, chambre correctionnelle.
La demanderesse invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
L'avocat général Bart De Smet a déposé des conclusio

ns reçues au greffe de la Cour le 16 octobre 2020.
À l'audience publique du 10 novembre 2020, le consei...

N° P.20.0659.N
V. D.,
prévenue,
demanderesse en cassation,
Me Johan Verbist et Beatrix Vanlerberghe, avocats à la Cour de cassation,
contre
1. S. D.,
2. M. G.
3. M. G.,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi en cassation est dirigé contre un arrêt rendu le 27 mai 2020 par la cour d'appel de Gand, chambre correctionnelle.
La demanderesse invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
L'avocat général Bart De Smet a déposé des conclusions reçues au greffe de la Cour le 16 octobre 2020.
À l'audience publique du 10 novembre 2020, le conseiller Steven Van Overbeke a fait rapport et l'avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le moyen :
1. Le moyen invoque la violation des articles 418 et 419 du Code pénal, ainsi que la méconnaissance de la notion juridique de « lien de causalité » : les juges d'appel n’ont pas légalement décidé qu'un lien de causalité constant et certain est établi entre la faute de la demanderesse et le décès de l'enfant ; après avoir constaté que l’enfant est, par la faute de la demanderesse, né avec des lésions cérébrales et qu’au moment de l'arrêt du traitement, il avait raisonnablement une chance de survivre avec certes une qualité de vie médiocre, les juges d'appel ont effectivement considéré que le décès de l'enfant est une conséquence de la décision prise par les parents, conjointement avec l'équipe soignante, de ne pas poursuivre les soins intensifs ; ainsi, aucun lien de causalité certain n'est établi entre la faute de la demanderesse et le décès de l'enfant, de sorte que la déclaration de culpabilité de la demanderesse du chef d’homicide involontaire n'est pas légalement justifiée.
2. Le juge ne peut condamner le prévenu du chef d’homicide involontaire que s'il constate avec certitude que, sans le défaut de prévoyance et de précaution reproché à la prévenue, le décès ne serait pas survenu tel qu’il s’est concrètement produit. Bien que le juge se prononce souverainement sur l'existence ou non du lien de causalité entre le défaut de prévoyance et de précaution et le décès, il appartient à la Cour de vérifier s’il a pu légalement déduire des faits qu’il a constatés l'existence ou non d'un tel lien de causalité.
3. La constatation que le décès d'une personne n'est pas la conséquence directe du défaut de prévoyance et de précaution ne suffit pas à acquitter le prévenu du chef d'homicide involontaire. L’infraction d’homicide involontaire visée aux articles 418 et 419 du Code pénal est effectivement établie lorsqu'il est constaté que, sans le défaut de prévoyance et de précaution, la victime n’aurait pas trouvé la mort. La circonstance que le décès de la victime soit la conséquence immédiate d'un événement dans lequel la prévenue n’était pas impliquée et qu'il soit uniquement la conséquence indirecte de son défaut de prévoyance et de précaution n'implique pas qu'il n'y ait pas de lien de causalité certain entre ce défaut et la mort de la victime, et n'affecte donc pas l’infraction d’homicide involontaire.
Dans la mesure où il procède d'une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
4. L’arrêt constate que :
- la demanderesse a fait preuve d'un défaut de prévoyance ou de précaution du fait d’avoir administré, en sa qualité de médecin, une dose de Syntocinon par voie intramusculaire et non par voie intraveineuse lors de l'accouchement qui s’est déroulé sous l'eau et de ne pas avoir procédé de manière continue à un monitoring fœtal par cardiotocographie (CTG) après l’administration du Syntocinon ;
- ce défaut de prévoyance ou de précaution a causé une asphyxie périnatale (manque d'oxygène) et des lésions cérébrales chez l'enfant ;
- en cas de survie de l'enfant, de très graves problèmes étaient à prévoir en raison des lésions cérébrales, notamment une quadriplégie spastique, un retard mental sévère sans évolution et avec une dépendance totale à l'égard de tiers, un risque réel d'altération grave de la vision et de développement de l'épilepsie et, plus généralement, une très mauvaise qualité de vie, la paralysie spastique de tous les membres entraînant des crampes musculaires et de très fortes douleurs ;
- la gravité de ces problèmes a amené les parents à décider, avec l'équipe soignante, de ne pas poursuivre les soins intensifs et d'accepter le décès de l'enfant ;
- l'enfant est mort presque immédiatement après l’arrêt des soins intensifs, quelques jours après sa naissance ;
- le collège d'experts conclut (entre autres) que l'arrêt du traitement est la cause directe de la mort de l'enfant, lequel avait alors une chance raisonnable de survie, bien qu'avec une déficience, mais sans qu’il décède nécessairement ;
- aucun agissement entraînant la mort n’a été activement posé par des tiers ;
- le simple fait que l'enfant aurait pu être maintenu en vie au moyen d'un traitement artificiel très intensif - entraînant des conditions de vie inhumaines pour l'enfant, le choix ayant été posé, après réflexion, d’y renoncer, à juste titre et en l'absence de toute faute - n'affecte pas le lien de causalité entre la faute de la demanderesse et le décès de l'enfant ;
- sans la faute de la demanderesse, le dommage (le décès) ne serait pas survenu tel qu’il s’est produit in concreto ;
- il est ainsi établi que le décès de l'enfant résulte des lésions cérébrales particulièrement graves qu'il a subies en raison du défaut de prévoyance et de précaution imputé à la demanderesse.
De ces considérations, les juges d'appel peuvent légalement déduire qu'il est établi que le décès de l'enfant a été causé en raison du défaut de prévoyance et de précaution de la demanderesse, laquelle est ainsi coupable d'homicide involontaire.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d'office
5. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Antoine Lievens, Erwin Francis, Eric Van Dooren et Steven Van Overbeke, conseillers, et prononcé en audience publique du dix novembre deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Bart De Smet, avec l’assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller François Stévenart Meeûs et transcrite avec l’assistance du greffier Fabienne Gobert.


Synthèse
Formation : Chambre 2n - tweede kamer
Numéro d'arrêt : P.20.0659.N
Date de la décision : 10/11/2020
Type d'affaire : Droit pénal - Droit civil

Analyses

L'infraction d'homicide involontaire est établie lorsqu'il est constaté que, sans le défaut de prévoyance et de précaution, la victime n'aurait pas trouvé la mort; la circonstance que le décès de la victime est la conséquence immédiate d'un événement dans lequel le prévenu n'était pas impliqué et qu'il est uniquement la conséquence indirecte de son défaut de prévoyance et de précaution n'implique pas qu'il n'y ait pas de lien de causalité certain entre ce défaut et la mort de la victime, et n'affecte donc pas l'infraction d'homicide involontaire (1). (1) Voir les concl. du MP publiées à leur date dans AC.

COUPS ET BLESSURES. HOMICIDE - INVOLONTAIRES - Lien de causalité entre le défaut de prévoyance ou de précaution et le décès - Lien de causalité certain - Décès comme conséquence indirecte d'une faute - Théorie de l'équivalence des conditions - Application - RESPONSABILITE HORS CONTRAT - CAUSE - Cause (directe ou indirecte) - Homicide involontaire - Lien de causalité certain - Décès comme conséquence indirecte d'une faute - Théorie de l'équivalence des conditions - Application [notice1]


Références :

[notice1]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 418 et 419 - 01 / No pub 1867060850


Composition du Tribunal
Président : JOCQUE GEERT
Greffier : VANDEN BOSSCHE KRISTEL, BIRANT AYSE
Ministère public : DE SMET BART
Assesseurs : VAN VOLSEM FILIP, HOET PETER, LIEVENS ANTOINE, FRANCIS ERWIN, BERNEMAN SIDNEY, COUWENBERG ILSE, VAN DOOREN ERIC, VAN OVERBEKE STEVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-11-10;p.20.0659.n ?

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