N° P.19.1255.N
E.A.,
prévenu, détenu,
demandeur en cassation,
Me Laurent Van De Keere, avocat au barreau de Gand.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 19 novembre 2019 par la cour d'appel de Gand, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport.
L'avocat général Bart De Smet a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
(…)
Sur la recevabilité du pourvoi :
1. L’arrêt déclare recevable l’opposition formée par le demandeur contre l’arrêt rendu par défaut le 5 février 2019.
Dans la mesure où il est également dirigé contre cette décision, le pourvoi du demandeur n’est pas recevable, à défaut d’intérêt.
Sur le second moyen :
2. Le moyen est pris de la violation des articles 6, 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 203 et 204 du Code d'instruction criminelle : en déclarant le demandeur déchu de son appel parce qu’il n’a pas rempli un formulaire de griefs séparé, l’arrêt méconnait le droit du demandeur à un procès équitable et son droit à l’accès à la justice; un détenu qui, sans l’assistance d’un avocat, fait, en prison, une déclaration d’appel qui indique que ce recours est dirigé contre toutes les dispositions du jugement dont appel, peut raisonnablement s’attendre à ce que son appel soit recevable ; il est trompé dans cette attente raisonnable si son appel est déclaré irrecevable alors qu’il n’a pas été informé des formalités de l’article 204 du Code d'instruction criminelle ; il n’existe aucune obligation légale pour le personnel pénitentiaire d’informer les détenus qui interjettent appel de l’article 204 du Code d’instruction criminelle ; la condition de l’introduction d’un formulaire de griefs séparé dans lequel toutes les dispositions attaquées sont simplement cochées lorsque l’appelant a déjà indiqué dans sa déclaration d’appel vouloir attaquer toutes les dispositions, n’ajoute aucune valeur intrinsèque en vue du but poursuivi par ce formulaire et est, dès lors, une formalité qui n’est pas proportionnée à son but légitime.
3. En vertu de l’article 203, §1er, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, il y a déchéance de l’appel d’un prévenu si la déclaration d’appeler n’a pas été faite au plus tard trente jours après le prononcé d’un jugement rendu contradictoirement. L’article 204 du Code d’instruction criminelle dispose qu’à peine de déchéance de l’appel également, un prévenu doit introduire au même greffe ou au greffe de la juridiction d’appel une requête de griefs qui indique précisément les griefs soulevés contre le jugement, dans le même délai que celui fixé pour faire la déclaration d’appeler, telle que visée à l’article 203.
4. Il résulte de ces dispositions que, selon la volonté du législateur, la juridiction d’appel est, en principe, tenue, hormis en cas de force majeure, de déclarer déchu de son appel le prévenu qui a omis d’introduire une requête de griefs en temps utile.
5. Il suit toutefois de l’article 6, 1er, de la Convention et du droit garanti par cette disposition d’accès à la justice, y compris le droit, qui en est dérivé, de l’accessibilité et de l’effectivité d’un recours, que la juridiction d’appel ne peut appliquer cette sanction que s’il peut être raisonnablement admis qu’un prévenu en détention qui a lui-même formé un appel au moyen d’une déclaration faite auprès du directeur de la prison ou de son délégué, était au courant - ou pouvait l’être – de l’obligation d’introduire une requête de griefs en temps utile.
6. Lorsqu’il n’apparait pas que le prévenu a été informé par le directeur de la prison ou son délégué ou de toute autre manière, de l’obligation d’introduire une requête de griefs, et ce en temps utile, ou que le prévenu a été assisté par un conseil pendant la procédure qui a mené à la décision rendue par défaut contre laquelle il veut interjeter appel ou à l’occasion de l’introduction de ce recours et qu’il peut donc être raisonnablement admis que ce conseil l’a informé en la matière, le juge d’appel ne peut déclarer le prévenu déchu de son appel en raison de l’absence ou de l’introduction tardive d’une requête de griefs.
7. L’arrêt déclare le demandeur déchu de son appel en raison de l’absence d’introduction d’une requête de griefs, sans toutefois constater que le demandeur a été informé de cette obligation d’une manière ou d’une autre ou qu'il a bénéficié de l’assistance d’un conseil au cours de la procédure préalable ou au moment d’interjeter appel. Cette décision n’est pas légalement justifiée.
Dans cette mesure, le moyen est fondé.
Sur les autres griefs :
Il n’y a pas lieu de répondre aux autres griefs qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue ou sans renvoi.
Le contrôle d’office pour le surplus
8. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l’arrêt attaqué, en tant qu’il déclare le demandeur déchu de son appel ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Condamne le demandeur à un dixième des frais de son pourvoi ;
Réserve la décision sur le surplus des frais afin qu’il soit statué sur celui-ci par le juge de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d’appel d’Anvers.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Antoine Lievens, Erwin Francis, Sidney Berneman et Eric Van Dooren, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt octobre deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Bart De Smet, avec l’assistance du greffier Ayse Birant.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Frédéric Lugentz et transcrite avec l’assistance du greffier Tatiana Fenaux.