N° P.20.0304.N
F. D.,
prévenu,
demandeur en cassation,
Me Tom Bauwens, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
1. S. S.,
2. J. J.,
parties civiles,
défenderesses en cassation,
Me Dimitri de Béco, avocat au barreua de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 24 février 2020 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque sept moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Steven Van Overbeke a fait rapport.
L’avocat général Bart De Smet a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
[…]
Sur le premier moyen :
2. Le moyen est pris de la violation de l’article 204 du Code d’instruction criminelle : les juges d’appel n’ont pas légalement constaté que le ministère public avait indiqué précisément des griefs dans son formulaire de griefs et n’ont pas légalement justifié leur décision que l’appel formé par le ministère public était recevable ; le formulaire de griefs introduit par le ministère public ne comportait aucune coche en regard des rubriques « Procédure », « Culpabilité », « Peine et/ou mesure » et « Action civile », mais mentionnait seulement sous la rubrique « Autres » que le ministère public suivait l’appel formé par les défenderesses ; cela ne constitue pas un appel autonome, dès lors que les juges d’appel ont déclaré l’appel des défenderesses irrecevable, dans la mesure où il était dirigé contre les dispositions pénales du jugement.
3. Il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que :
- le 13 décembre 2018, les défenderesses ont déposé une déclaration d’appel contre toutes les dispositions du jugement du 23 novembre 2018 ;
- à la même date, les défenderesses ont déposé différents formulaires de griefs dont elles avaient coché les rubriques « Culpabilité » et « Action civile » et dans lesquels elles indiquaient ne pas être d’accord avec l’acquittement du demandeur du chef des préventions A à G incluse et avec le fait que le tribunal se déclarait incompétent pour connaître de l’action civile et déclarait non fondée la demande d’indemnité réclamée sur la base de la prévention H ;
- le 17 décembre 2018, le ministère public a déposé une déclaration d’appel contre le même jugement et un formulaire de griefs dont il avait coché la rubrique « Autres » en apportant les mentions suivantes : « Précision : le ministère public suit l’appel interjeté » et « Motifs : eu égard à l’appel introduit et au formulaire de griefs déposé par [les défenderesses] (…), le ministère public suit l’appel intenté et interjette appel en ce qui concerne l’acquittement prononcé au bénéfice [du demandeur] » ;
- l’arrêt déclare les appels des défenderesses irrecevables dans la mesure où ils sont dirigés contre les dispositions pénales et ne reçoit pas l’appel accessoire du ministère public en ce qui concerne les dispositions civiles contestées par les défenderesses ;
- les juges d’appel ont décrété le désistement du ministère public et des défenderesses de leurs appels respectifs concernant les dispositions relatives aux préventions F et G ;
- l’arrêt reçoit les appels des défenderesses concernant les préventions A, B, C, D, E et H et ne les déclare pas atteints par la déchéance et fait de même pour l’appel du ministère public concernant les préventions A, B, C, D et E.
4. La circonstance qu’un appel du ministère public est irrecevable dans la mesure où il suit les griefs d’une partie civile et concerne les dispositions civiles du jugement n’a pas pour effet que l’appel au plan pénal formé par le ministère public soit irrecevable, pour autant qu’il ressorte du formulaire de griefs introduit par celui-ci qu’il a également élevé des griefs au pénal.
Dans la mesure où il procède d’une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
5. Il appartient à la juridiction d’appel de déterminer la portée de l’appel et donc sa saisine sur la base, d’une part, du contenu de la déclaration d’appel et, d’autre part, des griefs formulés conformément à l’article 204 du Code d’instruction criminelle. La Cour vérifie si la juridiction d’appel ne déduit pas de ses constatations des conséquences qui y sont étrangères ou qu’elles ne sauraient justifier.
6. L’arrêt ne constate pas qu’il ressort du formulaire de griefs du ministère public que celui-ci se limite à suivre l’appel formé par les défenderesses. L’arrêt (p.6, avant-dernier alinéa ; p.7, troisième alinéa) considère, par contre, qu’il ressort du formulaire de griefs introduit par le procureur du Roi que le ministère public interjette également appel en ce qui concerne l’acquittement du demandeur, que cela constitue un appel autonome et que les griefs ont donc été précisément indiqués.
Dans la mesure où il s’appuie sur une lecture erronée de l’arrêt, le moyen manque en fait.
7. Les griefs sont précisément indiqués au sens de l’article 204 du Code d’instruction criminelle lorsqu’ils permettent de déterminer avec certitude les éléments de la décision entreprise dont l’appelant demande la réformation et ainsi l’étendue de la saisine en degré d’appel. À cette fin, l’appelant peut utiliser le formulaire de griefs visé à l’article 204, alinéa 3, du Code d’instruction criminelle, qui a été établi par l’arrêté royal du 18 février 2016 portant exécution de l’article 204, alinéa 3, du Code d’instruction criminelle, tel que modifié par l’arrêté royal du 23 novembre 2017 remplaçant l’annexe de l’arrêté royal du 18 février 2016 portant exécution de l’article 204, alinéa 3, du Code d’instruction criminelle.
Ce formulaire de griefs pré-imprimé comporte une liste de griefs (« procédure », « culpabilité », « peine et/ou mesure », « action civile » et « autres ») qu’il est possible de préciser. Il mentionne également que l’utilisateur du formulaire doit cocher la case applicable « le cas échéant » et l’invite à indiquer l’élément concerné de la décision et à résumer les raisons de sa contestation.
Si une rubrique n’a pas été cochée sur le formulaire de griefs, cela ne signifie pas qu’aucun grief n’est élevé concernant la rubrique en question lorsqu’il ressort des autres mentions apportées sur le formulaire de griefs que celui-ci comporte effectivement un grief précis concernant l’élément de la décision entreprise visé dans la rubrique non cochée.
Dans la mesure où il procède d’une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
8. Eu égard aux motifs énoncés ci-dessus, le juges d’appel ont légalement justifié leur décision que l’appel du ministère public contre l’acquittement du demandeur du chef des préventions A, B, C, D et E est recevable et qu’il n’est pas atteint par la déchéance.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
9. Pour le surplus, le moyen critique l’appréciation souveraine des faits par les juges d’appel ou impose à la Cour un examen des faits pour lequel elle est sans pouvoir.
Dans cette mesure, le moyen est irrecevable.
Sur le deuxième moyen pris dans son ensemble :
10. Le moyen, en sa première branche, est pris de la violation des articles 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 14, § 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 3, 6.1 et 6.2 de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales, ainsi que de la méconnaissance du principe général du droit relatif à la présomption d’innocence et du principe suivant lequel le doute profite au prévenu (« in dubio pro reo ») ; les juges d’appel ont postulé une présomption de culpabilité, laquelle figure dans l’arrêt avant les considérations ayant conduit à la décision de culpabilité, et ont interprété les éléments du dossier répressif d’une manière révélatrice d’une vision étriquée.
Le moyen, en sa seconde branche, est pris de la violation des articles 6.1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 14, § 1er, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que de la méconnaissance du principe général du droit relatif à l’impartialité du juge ; l’arrêt ne décide pas avec l’impartialité requise et témoigne d’un parti pris en ignorant ou en balayant chaque élément probant qui ne conforte pas la déclaration de culpabilité.
11. Le respect du principe général du droit relatif à la présomption d’innocence, qui lie le juge appelé à statuer sur le fondement de l’accusation, s’apprécie en considérant la procédure dans son ensemble, ce qui inclut l’intégralité du jugement ou de l’arrêt prononçant la culpabilité. Il ne peut se déduire de la simple circonstance que le texte du jugement ou de l’arrêt présente la décision portant sur la culpabilité du prévenu avant les motifs étayant cette décision qu’il y aurait eu méconnaissance de la présomption d’innocence.
Dans la mesure où il procède d’une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
12. Par les motifs retenus dans l’arrêt (p.8-18, n° 4-10), les juges d’appel ont, sans violer les dispositions citées au moyen et sans méconnaître les principes généraux du droit qui y sont énoncés, légalement justifié leur décision que le demandeur est coupable des faits qui font l’objet des préventions A, B, C, D et E.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
13. Pour le surplus, le moyen critique l’appréciation souveraine des faits par les juges d’appel ou impose à la Cour un examen des faits pour lequel elle est sans pouvoir.
Dans cette mesure, le moyen est irrecevable.
Sur le troisième moyen :
14. Le moyen est pris de la violation des articles 152, § 1er, alinéa 3, 189 et 209bis du Code d’instruction criminelle : c’est à tort que les juges d’appel n’ont pas écarté d’office les conclusions des défenderesses déposées le 4 novembre 2019 ; alors que deux délais pour conclure leur avaient été accordés, à savoir le 31 octobre 2019 et le 13 décembre 2019, les défenderesses n’ont déposé leurs premières conclusions que le 4 novembre 2019, sans qu’il apparaisse que le demandeur ait marqué son accord à l’égard de ce dépôt tardif.
15. Il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que :
- à l’audience d’introduction du 4 juin 2019, des délais pour conclure ont été établis et la cause a été fixée à l’audience du 7 janvier 2020, les défenderesses s’étant vu accorder deux délais pour conclure, à savoir le 31 octobre 2019 et le 13 décembre 2019, et le demandeur deux délais pour conclure fixés respectivement au 29 novembre 2019 et au 31 décembre 2019 ;
- chacune des défenderesses a déposé des conclusions au greffe le 4 novembre 2019 ;
- le demandeur a déposé des conclusions au greffe le 27 décembre 2019 ;
- la cause a été examinée et prise en délibéré à l’audience du 7 janvier 2020, sans qu’aucune des parties ou leurs conseils formulent d’observations sur le dépôt des conclusions.
16. Les conclusions qui ont été déposées pour les défenderesses au greffe le 4 novembre 2019, soit avant l’expiration du dernier délai pour conclure accordé aux défenderesses, fixé au 13 décembre 2019, ont été déposées en temps opportun.
Dans la mesure où le moyen suppose que les conclusions déposées pour les défenderesses le 4 novembre 2019 l’ont été tardivement, le moyen manque en fait.
17. Sauf en cas d’abus de procédure et sans préjudice de l’application de l’article 152, § 2, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle, la simple circonstance qu’une partie au procès à laquelle plusieurs délais pour conclure ont été accordés en application de l’article 152, § 1er, du même code n’utilise pas le(s) premier(s) délai(s) pour conclure n’a pas pour effet que cette partie au procès ne puisse pas utiliser les délais pour conclure subséquents ou ultimes qui lui ont été accordés.
Dans la mesure où il procède d’une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
[…]
Sur le septième moyen :
25. Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 195, alinéa 1er, et 211 du Code d’instruction criminelle : l’arrêt n’énonce pas la disposition légale appliquée, qui décrit la circonstance aggravante de l’infraction dont le demandeur a été déclaré coupable, à savoir l’article 377 du Code pénal ; le jugement dont appel, auquel l’arrêt se réfère pour les dispositions légales appliquées, se borne en effet à mentionner les articles 372, 375, 398, 405bis et 405ter du Code pénal.
26. Lorsque la peine prononcée est la même que celle portée par la loi qui s’applique à l’infraction, nul ne peut, en application de l’article 422 du Code d’instruction criminelle, demander la cassation du jugement ou de l’arrêt, au seul motif qu’il y a eu erreur dans la citation du texte de la loi.
27. Par appropriation des dispositions légales énoncées dans le jugement entrepris, l’arrêt comporte notamment la mention des articles 372 et 375 du Code pénal. Ces dispositions justifient légalement la peine infligée au demandeur.
Le moyen est irrecevable, à défaut d’intérêt.
Le contrôle d’office
28. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais ;
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Peter Hoet, Antoine Lievens, Ilse Couwenberg et Steven Van Overbeke, conseillers, et prononcé en audience publique du neuf juin deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Bart De Smet, avec l’assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller François Stévenart Meeûs et transcrite avec l’assistance du greffier Tatiana Fenaux.