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02/06/2020 | BELGIQUE | N°P.20.0485.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 02 juin 2020, P.20.0485.N


N° P.20.0485.N
L. P. Z.,
étrangère, détenue,
demanderesse en cassation,
Me Pauline Delgrange, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
État belge, représenté par le ministre compétent pour l’Asile et la Migration,
partie intervenant d’office,
défendeur en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 28 avril 2020 par la cour d’appel de Gand, chambre des mises en accusation.
La demanderesse invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le

conseiller Steven Van Overbeke a fait rapport.
L’avocat général Alain Winants a conclu.
II. LA DÉCISION ...

N° P.20.0485.N
L. P. Z.,
étrangère, détenue,
demanderesse en cassation,
Me Pauline Delgrange, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
État belge, représenté par le ministre compétent pour l’Asile et la Migration,
partie intervenant d’office,
défendeur en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 28 avril 2020 par la cour d’appel de Gand, chambre des mises en accusation.
La demanderesse invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Steven Van Overbeke a fait rapport.
L’avocat général Alain Winants a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
(...)
Quant à la deuxième branche :
5. Le moyen, en cette branche, est pris de la violation des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 15 de la Constitution : les juges d’appel ont considéré, à tort, que l’arrestation de la demanderesse était légale, alors qu’il n’y a eu ni consentement donné clairement, préalablement, librement et en connaissance de cause pour pénétrer dans l’habitation, ni mandat de perquisition.
6. Il ressort des constatations de l’arrêt et des motifs de l'avis du ministère public qui ont été adoptés par les juges d’appel, que la demanderesse n’avait ni document de séjour ni permis de travail valable et qu’elle a été prise en flagrant délit de travail illégal lors d’un contrôle administratif effectué par la police et l’Office national de sécurité sociale, qu’elle a été privée de liberté puis qu’un ordre de quitter le territoire avec maintien en vue d’éloignement lui a été signifié en application des articles 7, alinéa 1er, 8°, alinéas 2 et 3, et 74/14, § 3, 1°, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. Un tel contrôle ne requiert pas en soi la délivrance d’un mandat de perquisition.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
7. Pour le surplus, le moyen, en cette branche, est déduit de la violation vainement alléguée à la première branche.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est irrecevable.
(...)
Sur le deuxième moyen :
12. Le moyen est pris de la violation des articles 5, § 4, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 62 de la loi du 15 décembre 1980, 1, 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs ainsi que de la méconnaissance de l’obligation générale de motivation : l’arrêt considère, à tort, que la motivation de la décision de maintien est adéquate ; la décision de maintien se fonde exclusivement sur la référence faite à un procès-verbal inexistant, de sorte que sa motivation est erronée et contredit les éléments du dossier administratif ; en outre, l’obligation de motivation matérielle a également été méconnue puisqu’il est inexact qu’un procès-verbal allait être établi par le service Contrôle des lois sociales.
13. Il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que la décision administrative de maintien de la demanderesse en vue de son éloignement du territoire se fondait sur les motifs suivants :
- il existe un risque de fuite ;
- la demanderesse a été prise en flagrant délit de travail illégal ; elle n’était pas en possession d’un permis de travail valable et le service Contrôle des lois sociales allait dresser à sa charge un procès-verbal du chef de travail illégal ;
- ces éléments permettent de conclure que la demanderesse ne se conformera pas à la décision administrative prise à son encontre et qu’il existe de fortes présomptions qu’elle se dérobera aux autorités responsables ;
- il s’ensuit que la demanderesse doit être mise à la disposition de l’Office des étrangers, de manière à faire en sorte qu’elle prenne le prochain vol à destination de la Colombie.
14. La décision de maintien ne se base pas sur la référence faite à un procès-verbal inexistant.
Dans cette mesure, le moyen manque en fait.
15. Si le contrôle de légalité de la décision administrative englobe celui de l’exactitude des motifs de fait sur lesquels elle repose, il ne s’en déduit pas que la juridiction d’instruction doive vérifier si la police a dressé un procès-verbal constatant les faits à l’origine de la décision d’éloignement et de maintien de l’étranger. De la seule circonstance qu’il n’apparait pas du dossier administratif qu’un tel procès-verbal a été établi, il ne résulte pas que l’Office des étrangers n’a pas motivé sa décision, ni que la juridiction d’instruction devait conclure à l’impossibilité d’en vérifier la légalité.
Dans la mesure où il procède d’une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
16. Les juges d’appel ont pu légalement déduire des motifs précités de la décision administrative de maintien de la demanderesse en vue de son éloignement du territoire, que cette décision est adéquatement motivée, c'est-à-dire qu’elle indique les considérations de droit et de fait lui servant de fondement et contient l’ensemble des éléments devant permettre à la demanderesse de connaître les raisons pour lesquelles elle est maintenue en vue de son éloignement.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen :
(...)
Quant à la seconde branche :
19. Le moyen, en cette branche, est pris de la violation des articles 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 7 de la loi du 15 décembre 1980, ainsi que de la méconnaissance de l’obligation générale de motivation : l’arrêt se borne à examiner si un éloignement est possible d’une manière générale, sans vérifier si cet éloignement peut avoir lieu dans un délai raisonnable ; il doit exister une perspective réaliste d’éloignement dans un délai raisonnable pour que, dès la première décision de maintien, celui-ci soit justifié ; la demanderesse est en détention administrative depuis le 11 mars 2020, le vol prévu a été annulé en raison de la pandémie de covid-19 et la demanderesse a allégué dans ses conclusions la suppression des vols jusqu’au 1er juin 2020 au moins et l’existence de fortes présomptions que cette mesure soit prolongée ; l’arrêt ne se prononce pas quant au délai dans lequel un éloignement pourrait avoir lieu, ne vérifie pas si la détention se justifie par un éloignement effectif dans un délai raisonnable et ne répond pas aux arguments avancés dans les conclusions.
20. Selon l’article 5, § 1er, f), de la Convention, nul ne peut être privé de sa liberté, sauf selon les voies légales et dans des hypothèses bien définies parmi lesquelles celle, visée à l’article 5, § 1er, f), de la même Convention, de l’arrestation ou de la détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.
21. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement, l’étranger faisant l’objet de l’ordre de quitter le territoire en vue d’être reconduit à la frontière en application de l’article 7, alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980 peut être maintenu pendant le temps strictement nécessaire à l’exécution de la mesure, en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite ou lorsque l’étranger évite ou empêche la préparation du retour ou la procédure d’éloignement, et sans que la durée de maintien ne puisse dépasser deux mois.
En application de l’article 7, alinéa 5, de la loi du 15 décembre 1980, le ministre ou son délégué peut prolonger cette détention par période de deux mois, lorsque les démarches nécessaires en vue de son éloignement ont été entreprises dans les sept jours ouvrables de sa mise en détention, qu’elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu’il subsiste toujours une possibilité de l’éloigner effectivement dans un délai raisonnable.
22. Il résulte de ces dispositions qu’un étranger ne peut être maintenu et que sa détention ne peut être prolongée en cas d’impossibilité avérée de l’éloigner effectivement dans un délai raisonnable.
23. La circonstance qu’il est temporairement impossible de rapatrier dans son pays d’origine un étranger qui a reçu un ordre de quitter le territoire, compte tenu des mesures adoptées dans le contexte de l’épidémie de coronavirus, n’implique pas que l’éloignement effectif de l’étranger ne puisse avoir lieu dans un délai raisonnable ni qu’il faille mettre fin à la mesure de maintien. La juridiction n’est, à cet égard, pas tenue de préciser le délai concret dans lequel l’éloignement se déroulera.
Dans la mesure où il est déduit d’une autre prémisse juridique, le moyen, en cette branche, manque en droit.
24. Par les motifs énoncés dans la réponse à la première branche du moyen, les juges d’appel ont considéré que l’éloignement effectif de la demanderesse vers la Colombie dans un délai raisonnable demeure possible et réaliste.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
25. Pour le surplus, il ne ressort pas des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que la demanderesse ait déposé des conclusions devant les juges d’appel à l’audience.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, manque en fait.
Le contrôle d'office
26. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Peter Hoet, Ilse Couwenberg, Eric Van Dooren et Steven Van Overbeke, conseillers, et prononcé en audience publique du deux juin deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Alain Winants, avec l’assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller François Stévenart Meeûs et transcrite avec l’assistance du greffier Tatiana Fenaux.


Synthèse
Formation : Chambre 2n - tweede kamer
Numéro d'arrêt : P.20.0485.N
Date de la décision : 02/06/2020
Type d'affaire : Droit administratif - Droit international public

Analyses

La privation de liberté d’un étranger qui n’avait ni document de séjour ni permis de travail valable et qui a été pris en flagrant délit de travail illégal lors d’un contrôle administratif mené par la police et l’Office national de sécurité sociale, qui a été privée de liberté et auquel un ordre de quitter le territoire avec maintien en vue d’éloignement a été signifié en application des articles 7, alinéa 1er, 8°, alinéas 2 et 3, et 74/14, § 3, 1°, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, ne requiert pas la délivrance d’un mandat de perquisition.

ETRANGERS - Privation de liberté - Eloignement du territoire - Contrôle administratif mené par la police et l’Office national de sécurité sociale - Prise en flagrant délit de travail illégal - Légalité

Si le contrôle de légalité de la décision administrative englobe celui de l’exactitude des motifs de fait sur lesquels elle repose, il ne s’en déduit pas que la juridiction d’instruction doive vérifier si la police a dressé un procès-verbal constatant les faits à l’origine de la décision d’éloignement et de maintien de l’étranger; de la seule circonstance qu’il n’apparait pas du dossier administratif qu’un tel procès-verbal a été établi, il ne résulte pas que l’Office des étrangers n’a pas motivé sa décision, ni que la juridiction d’instruction devait conclure à l’impossibilité d’en vérifier la légalité (1). (1) Cass. 9 décembre 2015, RG P.15.1497.F, Pas. 2015, n° 735.

ETRANGERS - Privation de liberté - Séjour illégal - Motivation de la décision - Dossier administratif - Portée - Conséquence

Il résulte des dispositions de l’article 7, alinéas 3 et 5, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, que l’étranger faisant l’objet d’un ordre de quitter le territoire en vue d’être reconduit à la frontière peut être maintenu pendant le temps strictement nécessaire à l’exécution de la mesure, sans que la durée de maintien ne puisse dépasser deux mois, et que le ministre ou son délégué peut prolonger cette détention par période de deux mois lorsque les démarches nécessaires en vue de son éloignement ont été entreprises dans les sept jours ouvrables de sa mise en détention, qu’elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu’il subsiste toujours une possibilité de l’éloigner effectivement dans un délai raisonnable; il résulte de ces dispositions qu’un étranger ne peut être maintenu et que sa détention ne peut être prolongée en cas d’impossibilité avérée de l’éloigner effectivement dans un délai raisonnable, mais la circonstance qu’il est temporairement impossible de rapatrier dans son pays d’origine un étranger qui a reçu un ordre de quitter le territoire, compte tenu des mesures adoptées dans le contexte de l’épidémie de coronavirus, n’implique pas que l’éloignement effectif de l’étranger ne puisse avoir lieu dans un délai raisonnable ni qu’il faille mettre fin à la mesure de maintien et la juridiction n’est, à cet égard, pas tenue de préciser le délai concret dans lequel l’éloignement se déroulera (1). (1) Cass. 12 mai 2020, RG P.20.0464.N, Pas. 2020, n° 289.

ETRANGERS - Loi du 15 décembre 1980 - Article 7, alinéas 3 et 5 - Étranger faisant l'objet d'un ordre de quitter le territoire - Détention - Prolongation de la mesure - Conditions de prolongation - Impossibilité temporaire d’éloigner l’étranger - Épidémie de coronavirus - Portée - Conséquence - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 5 - Article 5, § 1er - Article 5, § 1er, f) - Droit à la liberté et à la sûreté - Loi du 15 décembre 1980 - Article 7, alinéas 3 et 5 - Étranger faisant l'objet d'un ordre de quitter le territoire - Détention - Prolongation de la mesure - Conditions de prolongation - Impossibilité temporaire de procéder à l'éloignement de l'étranger - Épidémie de coronavirus - Portée - Conséquence


Composition du Tribunal
Président : VAN VOLSEM FILIP
Greffier : VANDEN BOSSCHE KRISTEL
Ministère public : WINANTS ALAIN
Assesseurs : HOET PETER, FRANCIS ERWIN, COUWENBERG ILSE, VAN DOOREN ERIC, VAN OVERBEKE STEVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-06-02;p.20.0485.n ?

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