N° P.20.0464.N
I. T.,
étranger, détenu,
demandeur en cassation,
Me Katrin Verhaegen, avocat au barreau d’Anvers,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre compétent pour l’Asile et la Migration,
partie intervenant d’office,
défendeur en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 10 avril 2020 par la cour d’appel d’Anvers, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Sidney Berneman a fait rapport.
L’avocat général Alain Winants a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
[…]
Sur le second moyen :
3. Le moyen est pris de la violation des articles 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 7, 71 et 72 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers : les juges d’appel n’ont pas vérifié la possibilité ex nunc de l’existence d’une perspective réelle de procéder à l’éloignement ; de la sorte, ils n’ont pas respecté leur obligation de motivation ; en mettant en balance l’impossibilité temporaire de rapatriement et le risque potentiel pour l’ordre public, les juges d’appel ont apprécié l’opportunité de la mesure et ont outrepassé leurs pouvoirs.
4. Selon l’article 5, § 1er, f, de la Convention, nul ne peut être privé de sa liberté sauf, selon les voies légales, s’il s’agit d’une arrestation ou d’une détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.
5. En vertu de l’article 7, alinéa 5, de la loi du 15 décembre 1980, le ministre ou son délégué peut prolonger, par période de deux mois, le maintien de l’étranger faisant l’objet d’un ordre de quitter le territoire, lorsque les démarches nécessaires en vue de son éloignement ont été entreprises dans les sept jours ouvrables de sa mise en détention, qu’elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu’il subsiste toujours une possibilité de l’éloigner effectivement dans un délai raisonnable.
6. La circonstance qu’il est temporairement impossible de rapatrier dans son pays d’origine un étranger qui a reçu l’ordre de quitter le territoire, eu égard aux mesures adoptées dans le contexte de l’épidémie de coronavirus, n’implique pas que l’éloignement effectif de l’étranger ne puisse avoir lieu dans un délai raisonnable ni qu’il faille mettre fin à la mesure de maintien.
Dans la mesure où il procède d’une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
7. Par adoption des motifs énoncés dans la lettre de l’Office des étrangers du 25 mars 2020, l’arrêt considère que :
- des démarches en vue de l’éloignement du demandeur ont été entreprises très peu de temps après la mesure de maintien ordonnée le 15 janvier 2020, à savoir un examen médical le 15 janvier 2020 en vue de son éloignement et de son séjour en centre fermé et l’obtention d’un laissez-passer le 5 mars 2020 ;
- un nouvel examen médical a été effectué le 13 mars 2020 et un vol réservé le 16 mars 2020 ;
- le demandeur n’apporte aucun élément concret démontrant que la crise du coronavirus s’éternisera au point de rendre impossible son éloignement effectif dans un délai raisonnable ;
- un laissez-passer ayant déjà été délivré, il existe cependant une chance de pouvoir opérer le rapatriement dans un délai raisonnable ;
- si la suspension du trafic aérien est une circonstance externe susceptible de prolonger la détention en vue de l’éloignement, il ne saurait s’en déduire, au moment du prononcé de l’arrêt, qu’un rapatriement s’avérera impossible dans le délai légal ;
- la suspension du trafic aérien est sans lien avec les efforts fournis par les autorités belges en vue de rapatrier le demandeur dans un délai raisonnable ;
- la situation actuelle en Chine indique en outre qu’il existe effectivement une perspective de pouvoir procéder à l’éloignement dans un délai raisonnable et dans le délai de rétention légal, et que le demandeur n’apporte aucun élément laissant supposer le contraire ;
- les démarches nécessaires en vue de l’éloignement ont été entreprises très peu de temps après la décision de maintien prise à l’égard du demandeur et les spéculations quant à la durée de la crise du coronavirus ne rendent pas plausible que l’éloignement soit impossible dans un délai raisonnable ;
- les autorités belges ne sont aucunement obligées de prouver le moment exact auquel les voyages pourront reprendre et il suffit qu’elles aient entrepris rapidement les démarches nécessaires, et qu’il n’existe actuellement aucun élément rendant impossible un éloignement dans le délai légal.
Ainsi, il apparaît que les juges d’appel ont exercé leur contrôle de légalité sans se prononcer sur l’opportunité de la mise en détention du demandeur et ont régulièrement motivé et légalement justifié la décision selon laquelle le maintien du demandeur est conforme aux articles 7, alinéa 5, de la loi du 15 décembre 1980 et 5, § 1er, f, de la Convention.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
8. Pour le surplus, le moyen est dirigé contre des motifs qui n’étayent pas la décision attaquée et ne saurait, par conséquent, entraîner la cassation.
Dans cette mesure, le moyen est irrecevable.
Le contrôle d’office
9. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Peter Hoet, Sidney Berneman, Ilse Couwenberg et Steven Van Overbeke, conseillers, et prononcé en audience publique du douze mai deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Alain Winants, avec l’assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Frédéric Lugentz et transcrite avec l’assistance du greffier Tatiana Fenaux.