N° P.20.0320.N
B. S.,
personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt européen, détenu,
demandeur en cassation,
Me Emily De Ceuninck, avocat au barreau de Gand.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 12 mars 2020 par la cour d'appel de Gand, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport.
L'avocat général Alain Winants a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
1. Le moyen est pris de la violation des articles 8.1.e de la décision-cadre du 13 juin 2002 du Conseil relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres et 2, § 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen : l'arrêt complète unilatéralement une lacune dans le mandat d'arrêt européen et modifie unilatéralement les éléments de l'infraction ; le mandat d'arrêt européen ne comporte pas d'indication temporelle précise quant à la commission de l'infraction ; il n'est pas fait mention d'une date de début ou d'un moment spécifique ; de ce fait, l'infraction ne peut pas être définie avec suffisamment de précision dans le temps, ce qui entraîne une insécurité juridique inacceptable pour le demandeur et porte atteinte à ses droits de défense ; il n'appartient pas aux autorités de l'État membre d'exécution, tels le procureur du Roi, le juge d'instruction et la juridiction d'instruction, de se substituer à l'État d'émission ; le mandat d'arrêt européen n'est pas conforme aux dispositions précitées, de sorte que le demandeur doit être immédiatement mis en liberté.
2. Dans la mesure où il est dirigé contre la façon de procéder du ministère public et du juge d'instruction et donc pas contre l'arrêt, le moyen est irrecevable.
3. L'article 2, § 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 prévoit que le mandat d'arrêt européen mentionne le moment de la commission de l'infraction du chef de laquelle il est décerné.
4. Les informations que le mandat d'arrêt européen doit contenir ne sont pas prescrites à peine de nullité. Il suffit que le mandat d'arrêt soit rédigé de telle manière qu'il soit possible à la juridiction d'instruction d'apprécier si les conditions légalement prévues pour son exécution sont respectées.
5. Les dispositions mentionnées au moyen n'empêchent pas la juridiction d'instruction de spécifier le moment de la commission de l'infraction du chef de laquelle le mandat d'arrêt européen a été décerné, en tenant compte d'informations complémentaires fournies par les autorités de l'État d'émission.
6. Dans la mesure où il procède d'autres prémisses juridiques, le moyen manque en droit.
7. Il ressort du procès-verbal de l'audience du 12 mars 2020 qu'après que le conseil du demandeur eut invité la juridiction d'instruction à prendre position concernant l'adaptation de la période infractionnelle, le procureur général a déposé à cette audience un courrier électronique émanant de l'autorité d'émission daté du 10 mars 2020, que la juridiction d'appel en a déduit que le moment de la commission de l'infraction devait être modifié pour couvrir la période comprise entre le 3 février 2018 et le 1er juin 2018 et que la défense a pris connaissance de cette information.
8. Il s'ensuit que la juridiction d'instruction n'a pas adapté unilatéralement le moment de l'infraction fondant le mandat d'arrêt européen.
Dans cette mesure, le moyen manque en fait.
9. Pour le surplus, l'arrêt justifie légalement, par les motifs qu'il contient, la décision qui rejette la violation alléguée par le demandeur.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
10. Le moyen est pris de la violation des articles 6 du traité sur l'Union européenne, 3.1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen : l'arrêt refuse à tort d'appliquer la cause de refus prévue à l'article 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 ; l'absence de maîtrise, à l'heure actuelle, de l'épidémie de coronavirus par les autorités italiennes met directement en péril l'intégrité physique du demandeur, dont il est question à l'article 3.1 de la Charte, ce qui porte indubitablement atteinte aux droits fondamentaux du demandeur tels qu'ils sont confirmés par l'article 6 du traité ; la remise du demandeur à l'Italie compromet également le droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention, en tant que père d'un enfant âgé de deux ans et compagnon d'une partenaire en fin de grossesse ; dans son dossier de pièces déposé à l'audience du 12 mars 2020, le demandeur a renvoyé au dernier rapport journalier de l'Organisation mondiale de la Santé du 11 mars 2020 et à la situation qui prévaut en Italie ; la considération énoncée dans l'arrêt selon laquelle l'Italie adopte des mesures très rigoureuses afin d'endiguer l'épidémie de coronavirus et que cette maladie contagieuse se propage également dans le Royaume et dans toute l'Europe n'est absolument pas corroborée par le dossier de remise et repose sur des informations générales dont les juges d'appel disposent, une argumentation à laquelle le demandeur n'a pas été invité à opposer sa défense ; l'arrêt ne répond pas aux éléments factuels fournis par le demandeur et ne l'invite pas davantage à soumettre des éléments spécifiques concernant la situation de la ville de Gênes.
11. Dans la mesure où il requiert un examen en fait, pour lequel la Cour est sans pouvoir, le moyen est irrecevable.
12. Le juge n'est pas tenu de répondre à des éléments contenus dans les pièces déposées à l'audience.
Dans la mesure où il procède d'une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
13. L'existence de l'épidémie de coronavirus, les mesures adoptées en la matière par les autorités italiennes et belges, ainsi que leur impact sur la société sont des éléments de notoriété publique. Ces éléments sont réputés relever des débats et le juge peut en tenir compte dans son appréciation, sans devoir donner aux parties la possibilité de se défendre sur ce point.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
14. L'article 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 dispose que l'exécution d'un mandat d'arrêt européen est refusée s'il y a des raisons sérieuses de croire que l'exécution du mandat d'arrêt européen aurait pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne concernée, tels qu'ils sont consacrés par l'article 6 du traité sur l'Union européenne.
15. La juridiction d'instruction apprécie en fait s'il existe un danger manifeste pour les droits fondamentaux au sens de l'article 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 et si les éléments renversent la présomption de respect de ces droits dont l'État d'émission bénéficie. Elle apprécie souverainement la valeur probante des éléments de fait régulièrement produits que les parties ont pu contredire.
16. En tant qu'il critique cette appréciation effectuée par la juridiction d'instruction à la lumière de l'allégation du demandeur selon laquelle son intégrité est menacée, le moyen est irrecevable.
17. Lorsqu'elle considère que la personne dont la remise est demandée ne rend pas plausible l'existence d'un risque manifeste d'atteinte à ses droits fondamentaux, la juridiction d'instruction n'est pas tenue d'inviter la personne concernée à fournir de plus amples informations à ce sujet.
Dans la mesure où il procède d'une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
18. Il ne ressort pas des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que le demandeur ait soutenu devant la juridiction d'appel que sa remise violerait les droits garantis par l'article 8 de la Convention. La juridiction d'instruction n'est dès lors pas tenue de tenir compte de cet élément dans l'appréciation de la cause de refus prévue à l'article 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d'office
19. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Peter Hoet, Antoine Lievens, Ilse Couwenberg et Eric Van Dooren, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-quatre mars deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l'avocat général Alain Winants, avec l'assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.