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14/01/2020 | BELGIQUE | N°P.19.1305.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 14 janvier 2020, P.19.1305.N


N° P.19.1305.N
M. B.,
interné,
demandeur en cassation,
Me Peter Verpoorten, avocat au barreau d'Anvers.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 17 décembre 2019 par le tribunal de l'application des peines néerlandophone de Bruxelles, chambre de protection sociale.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric Van Dooren a fait rapport.
L'avocat général délégué Bart De Smet a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
[...]
Sur le

premier moyen :
2. Le moyen est pris de la violation de l'article 5.1, e, de la Convention de sauveg...

N° P.19.1305.N
M. B.,
interné,
demandeur en cassation,
Me Peter Verpoorten, avocat au barreau d'Anvers.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 17 décembre 2019 par le tribunal de l'application des peines néerlandophone de Bruxelles, chambre de protection sociale.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric Van Dooren a fait rapport.
L'avocat général délégué Bart De Smet a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
[...]
Sur le premier moyen :
2. Le moyen est pris de la violation de l'article 5.1, e, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : après avoir révoqué sa libération à l'essai, le jugement décide de remettre le demandeur en détention sans procéder à une évaluation de son état mental actuel et sans ordonner une expertise médicale à cette fin.
À titre subsidiaire, la Cour est invitée à poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante : « La loi du 5 mai 2014 relative à l'internement viole-t-elle l'article 5.1, e, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lu en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que toute mesure de privation de liberté d'un aliéné doit être précédée d'une appréciation de la maladie mentale existante, effectuée sur la base d'un rapport médical objectif, mais que la loi relative à l'internement ne le prévoit pas dans le cadre de la procédure de révocation d'une libération à l'essai ? »
3. L'article 5.1, de la Convention dispose : « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : [...] e) s'il s'agit de la détention régulière (...) d'un aliéné (...). »
Il résulte de cette disposition conventionnelle que :
- la privation de liberté d'un aliéné n'est régulière que lorsque (a) il ressort d'une expertise objective et médicale que la personne concernée souffre d'un trouble mental réel et permanent, (b) la nature de ce trouble justifie sa privation de liberté et (c) la privation de liberté ne se prolonge pas au-delà de ce qui est nécessaire ;
- l'évaluation susmentionnée tient compte non seulement d'éléments d'ordre purement médical mais également du danger que la personne représente pour la société ;
- lorsqu'un aliéné privé de liberté recouvre la santé, il doit, en principe, être libéré.
4. En vertu de l'article 9, § 2, de la loi du 5 mai 2014, l'internement n'est possible, en principe, qu'après la réalisation d'une expertise psychiatrique médicolégale visée à l'article 5 de cette loi ou l'actualisation d'une expertise précédente.
En tant que juridiction pluridisciplinaire et spécialisée, la chambre de protection sociale assure l'exécution de la décision d'internement. Elle statue, selon les procédures détaillées dans la loi du 5 mai 2014, sur le placement et le transfèrement de la personne internée, l'octroi de permissions de sortie, la détention limitée, la surveillance électronique, la libération à l'essai et la libération anticipée en vue de l'éloignement du territoire ou en vue de la remise, ainsi que sur la libération définitive. La loi du 5 mai 2014 prévoit un suivi périodique par la chambre de protection sociale dans le cadre duquel des avis sont systématiquement recueillis, notamment, sur l'état mental de l'interné. La chambre peut également ordonner une expertise psychiatrique médicolégale complémentaire au cours de l'organisation ultérieure de l'internement.
Il s'ensuit que la privation de liberté en cas d'internement n'est possible que sur la base d'un rapport psychiatrique et que l'état mental de l'intéressé doit faire l'objet d'un suivi périodique pendant la privation de liberté.
5. En vertu de l'article 59, 3°, de la loi du 5 mai 2014, le ministère public peut saisir la chambre de protection sociale en vue d'obtenir la révocation de la modalité accordée, telle la libération à l'essai, lorsque les conditions particulières imposées ne sont pas respectées.
L'article 60, § 1er, de la loi du 5 mai 2014 dispose qu'en cas de révocation, notamment, de la libération à l'essai, la personne internée est immédiatement placée au sein d'un établissement visé à l'article 3, 4°, b), c) et d) désigné par la chambre de protection sociale.
6. Ni ces dispositions ni aucune disposition conventionnelle ou autre disposition légale ne requièrent qu'une personne internée dont la libération à l'essai est révoquée pour non-respect des conditions particulières qui lui ont été imposées soit admise dans un établissement visé ci-dessus, après évaluation de son état mental par un expert médical.
Dès lors que l'intéressé a été interné sur la base d'un rapport d'expertise psychiatrique et que son état mental a fait l'objet d'un suivi au cours de l'organisation ultérieure de l'internement, la chambre de protection sociale est en mesure d'apprécier, en connaissance de cause, son état mental au moment de la révocation et de son placement.
Déduit d'une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
7. La situation dans laquelle se trouve une personne internée qui s'est vu accorder une libération à l'essai, révoquée pour non-respect des conditions imposées, et qui, en conséquence, est placée au sein d'un établissement visé ci-dessus, n'est, dès lors, pas comparable à celle d'un autre aliéné qui est privé de sa liberté.
Il n'y a donc pas lieu de poser la question préjudicielle.
Sur le deuxième moyen :
8. Le moyen est pris de la violation des articles 3 et 5.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 2 de la loi du 5 mai 2014 relative à l'internement : en révoquant la libération à l'essai du demandeur et en ordonnant sa détention au sein de l'établissement pénitentiaire de Merksplas, de Turnhout ou d'Anvers, le jugement viole les droits du demandeur ; la privation de liberté du demandeur n'est régulière que si celui-ci est admis dans un délai raisonnable au sein d'un établissement adéquat, ce qu'une prison n'est pas, de sorte qu'il est également question de traitement inhumain ; le demandeur est en prison depuis la première décision d'internement du 22 juin 2010, donc depuis deux mille cent septante-neuf jours au moins ; le demandeur n'a donc pas été admis au sein d'un établissement adéquat dans le délai raisonnable de quatre mois.
9. Il résulte de l'article 5.1, e, de la Convention que, lorsqu'un malade mental a commis des faits punissables ayant conduit à son internement, sa privation de liberté est régulière s'il est placé dans un délai raisonnable au sein d'un établissement adéquat où des soins adaptés lui sont prodigués.
10. En tant que juridiction pluridisciplinaire et spécialisée, la chambre de protection sociale doit surveiller les modalités d'exécution des décisions d'internement dans le respect du cadre conventionnel et légal applicable. Il appartient à cette chambre de veiller au placement de l'interné, dans un délai raisonnable, au sein d'un établissement adéquat où il recevra les soins les plus appropriés. Cette règle s'applique dans la même mesure aux personnes internées qui ont déjà bénéficié, en une ou plusieurs occasions, de modalités d'exécution, telle une libération à l'essai, mais qui sont remises en détention en raison du non-respect de conditions.
11. Le caractère raisonnable de ce délai, qui ne saurait s'exprimer en termes absolus, dépend notamment de la nature de la maladie mentale, des méthodes de traitement possibles et de celles ayant, le cas échéant, déjà été prodiguées à l'interné par le passé, de la manière dont l'exécution d'un précédent internement s'est déroulée, de la disponibilité des équipements adaptés aux besoins spécifiques de l'interné et de la disposition de l'interné à coopérer aux traitements proposés.
12. Le point de départ de l'appréciation de ce délai raisonnable est le moment où la personne internée est à nouveau détenue, pour non-respect des conditions imposées, dans un établissement au sein duquel elle ne reçoit pas les soins appropriés. Cette appréciation ne doit pas nécessairement tenir compte de précédentes périodes de détention dépourvues de soins appropriés, antérieures à la remise en détention.
13. Le moyen, qui est entièrement déduit de la prémisse qu'un séjour de plus de quatre mois au sein d'une section de défense sociale, en tenant compte de précédentes périodes de séjour au sein d'un tel établissement, implique automatiquement le dépassement du délai raisonnable de placement dans un établissement adéquat, manque en droit.
Sur le troisième moyen :
14. Le moyen est pris de la violation des articles 782 et 785 du Code judiciaire : le jugement n'a pas été signé par un des trois juges ni par le greffier, mais ne porte pas la mention que ceux-ci étaient dans l'impossibilité de le faire.
15. L'omission alléguée dans le moyen peut être réparée conformément à l'article 788 du Code judiciaire, applicable en matière répressive. Pareille réparation opère rétroactivement, même si elle est postérieure à un pourvoi en cassation exercé contre le jugement.
16. Il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que l'omission critiquée au moyen a entre-temps été réparée en application de l'article 788 du Code judiciaire.
Le moyen est irrecevable, à défaut d'intérêt.
Le contrôle d'office
17. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Erwin Francis, Sidney Berneman, Ilse Couwenberg et Eric Van Dooren, conseillers, et prononcé en audience publique du quatorze janvier deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l'avocat général Alain Winants, avec l'assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.


Synthèse
Formation : Chambre 2n - tweede kamer
Numéro d'arrêt : P.19.1305.N
Date de la décision : 14/01/2020
Type d'affaire : Droit civil - Droit pénal - Droit international public

Analyses

Ni les articles 9, § 2, 59, 3°, et 60, § 1er, de la loi du 5 mai 2014 relative à l'internement ni une quelconque disposition conventionnelle ou autre disposition légale ne requièrent qu'une personne internée, dont la libération à l'essai est révoquée pour non-respect des conditions particulières qui lui ont été imposées, ne puisse être admise que dans un établissement visé à l'article 3, 4°, b), c) et d) de ladite loi, après évaluation de son état mental par un expert médical, dès lors que l'intéressé a été interné sur la base d'une expertise psychiatrique et que son état mental a fait l'objet d'un suivi au cours de l'organisation ultérieure de l'internement; la situation de révocation de la libération à l'essai d'une personne internée pour non-respect des conditions n'est donc pas comparable à celle d'un autre aliéné qui est privé de sa liberté.

MALADE MENTAL - Internement - Remise en détention - Absence de rapport médical - Conséquence - DEFENSE SOCIALE - MODALITES D'EXECUTION DE L'INTERNEMENT - Remise en détention - Absence de rapport médical - Conséquence [notice1]

Lorsqu'un malade mental a commis des faits punissables ayant conduit à son internement, sa privation de liberté est régulière s'il est placé dans un délai raisonnable au sein d'un établissement adéquat où des soins adaptés lui sont prodigués; il revient à la chambre de protection sociale, en tant que juridiction pluridisciplinaire et spécialisée, de veiller au placement de l'interné, dans un délai raisonnable, au sein d'un établissement adéquat où il recevra les soins les plus appropriés et cette règle s'applique également aux personnes internées dont la libération à l'essai est révoquée pour non-respect des conditions imposées.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 5 - Article 5, § 1er - Article 5, § 1er, e - Aliéné - Etablissement adapté - Critères [notice3]

Le caractère raisonnable du délai de placement d'une personne internée au sein d'un établissement adapté où les soins appropriés lui seront dispensés ne peut s'exprimer en termes absolus, mais dépend notamment de la nature de la maladie mentale, des méthodes de traitement possibles et de celles ayant, le cas échéant, déjà été prodiguées à l'interné par le passé, de la disponibilité des équipements adaptés aux besoins spécifiques de l'interné et de la disposition de l'interné à coopérer aux traitements proposés; le point départ de l'appréciation de ce délai raisonnable est le moment où l'interné est à nouveau détenu, pour non-respect des conditions imposées, dans un établissement au sein duquel il ne reçoit pas les soins appropriés, sans qu'il faille tenir compte de périodes de détention dépourvues de soins appropriés antérieures à cette nouvelle mise en détention (1). (1) Cass. 7 janvier 2020, RG P.19.1276.N, Pas. 2020, n° 13.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 5 - Article 5, § 4 - Aliéné - Délai raisonnable - Critères [notice4]

L'omission de signature d'un jugement de la chambre de protection sociale par un des trois juges et par le greffier, alors qu'il n'est pas fait mention de leur impossibilité de signer, peut être réparée sur les conclusions écrites du ministère public conformément à l'article 788 du Code judiciaire, applicable en matière répressive; pareille réparation opère rétroactivement, même si elle est postérieure à un pourvoi en cassation exercé contre le jugement (1). (1) Cass. 16 octobre 2002, RG P.02.0683.F, Pas. 2002, n° 543 ; Cass. 15 octobre 1976, Pas. 1977, 199, R.W. 1976-1977, 940.

JUGEMENTS ET ARRETS - MATIERE REPRESSIVE - Divers - Internement - Signature du jugement - Omission - Réparation de l'omission - Portée [notice5]


Références :

[notice1]

Loi - 05-05-2014 - Art. 9, § 2, 59, 3°, et 60, § 1er - 11 / No pub 2014009316

[notice3]

Traité ou Convention internationale - 04-11-1950 - Art. 5, § 1er, e - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

Loi - 05-05-2014 - Art. 2 - 11 / No pub 2014009316

[notice4]

Traité ou Convention internationale - 04-11-1950 - Art. 3 et 5, § 1, e - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

Loi - 05-05-2014 - Art. 2 - 11 / No pub 2014009316

[notice5]

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 782, 785 et 788 - 01 / No pub 1967101052


Composition du Tribunal
Président : VAN VOLSEM FILIP
Greffier : VANDEN BOSSCHE KRISTEL
Ministère public : WINANTS ALAIN, DE SMET BART
Assesseurs : LIEVENS ANTOINE, FRANCIS ERWIN, BERNEMAN SIDNEY, COUWENBERG ILSE, VAN DOOREN ERIC

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-01-14;p.19.1305.n ?

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