N° P.17.0023.N
I. et II.
R. J.,
prévenu et partie civile,
demandeur en cassation,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. F. A.,
prévenu et partie civile,
2. AXA, société anonyme,
parties civiles,
défendeurs en cassation,
Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un jugement rendu le 1er décembre 2016 par le tribunal correctionnel du Limbourg, division Hasselt.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport.
L'avocat général délégué Alain Winants a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le moyen :
1. Le moyen invoque la violation des articles 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 2 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 204 du Code d'instruction criminelle : le jugement attaqué déclare, à tort, le demandeur déchu de son appel parce qu'il a envoyé le formulaire de griefs au greffe par télécopie, et donc sans la signature originale ; l'article 204 du Code d'instruction criminelle n'exclut pas ce mode d'envoi ; la thèse selon laquelle une copie d'une signature par télécopie n'est pas une signature valable et qu'une télécopie ne peut, en raison de ses propriétés techniques, comporter une signature originale, est obsolète ; une signature apposée « d'origine » n'offre au final pas plus de certitude que la signature sur une télécopie ; de plus, la signature n'est pas prescrite à peine de nullité ; déclarer l'appel déchu par le motif admis par le jugement attaqué implique une restriction du droit à un double degré de juridiction qui ne sert aucun objectif légal, à tout le moins il n'existe pas de rapport raisonnable entre les moyens employés et l'objectif poursuivi.
2. Le droit à l'accès à un tribunal garanti par l'article 6, § 1er , de la Convention, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, n'empêche pas les États membres d'assortir l'introduction de recours de conditions, pour autant que celles-ci servent un objectif légitime et qu'il existe une proportion raisonnable entre les conditions imposées et l'objectif poursuivi.
Ces conditions ne peuvent avoir pour conséquence de porter substantiellement atteinte au droit d'introduire un recours. Dans le cadre de leur application, le juge ne peut faire preuve ni d'un formalisme excessif tel qu'il soit porté atteinte au caractère équitable de la procédure, ni d'une souplesse exagérée telle que les conditions imposées en perdent leur objet.
3. L'article 204 du Code d'instruction criminelle dispose :
« À peine de déchéance de l'appel, la requête indique précisément les griefs élevés, y compris les griefs procéduraux, contre le jugement et est remise, dans le même délai et au même greffe que la déclaration visée à l'article 203. Elle est signée par l'appelant, son avocat ou tout autre fondé de pouvoir spécial. Dans ce dernier cas, le pouvoir est annexé à la requête.
Cette requête peut aussi être remise directement au greffe du tribunal ou de la cour où l'appel est porté.
Un formulaire dont le modèle est déterminé par le Roi peut être utilisé à cette fin.
La présente disposition s'applique également au ministère public. »
Le formulaire de griefs visé à l'article 204, alinéa 3, du Code d'instruction criminelle a été établi par l'arrêté royal du 18 février 2016 portant exécution de l'article 204, alinéa 3, du Code d'instruction criminelle.
4. Il résulte du texte de l'article 204 du Code d'instruction criminelle et de sa genèse légale qu'en instaurant l'obligation d'indiquer précisément les griefs élevés contre le jugement rendu en première instance, le législateur a pour but de voir traiter plus efficacement les affaires pénales en degré d'appel et veut particulièrement éviter une charge de travail et des frais inutiles en ne soumettant plus à la juridiction d'appel des décisions non contestées. L'obligation d'indiquer précisément les griefs force l'appelant à réfléchir à l'opportunité d'interjeter appel et à ses conséquences, et l'intimé peut immédiatement discerner quelles décisions du jugement rendu en première instance sont contestées et sur quoi devra porter sa défense en appel.
5. Ce sont les griefs indiqués par l'appelant dans sa requête ou dans le formulaire de griefs qui déterminent la saisine de la juridiction d'appel.
6. La certitude qui doit régner sur le fait que les griefs précis élevés dans l'écrit visé à l'article 204 du Code d'instruction criminelle émanent de l'appelant ou de son conseil, eu égard aux conséquences juridiques de ces griefs, ne requiert pas que cet écrit comporte une signature originale de l'appelant ou son conseil. Cette certitude est également acquise lorsque l'écrit dans lequel figure la signature attribuée à l'appelant ou à son conseil est télécopié en temps utile et qu'il n'est pas contesté que la signature est bien celle de l'appelant ou de son conseil.
7. L'arrêt qui déclare le demandeur déchu de son appel parce qu'il a télécopié le formulaire de griefs au greffe et que le formulaire de griefs portant sa signature originale n'a pas été reçu en temps utile, ne justifie pas légalement cette décision.
Dans cette mesure, le moyen est fondé.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse le jugement attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement cassé ;
Réserve la décision sur les frais afin qu'il soit statué sur ceux-ci par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause au tribunal correctionnel du Limbourg, siégeant en degré d'appel, autrement composé.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Paul Maffei, président, Filip Van Volsem, Peter Hoet, Antoine Lievens et Erwin Francis, conseillers, et prononcé en audience publique du quatre avril deux mille dix-sept par le président Paul Maffei, en présence de l'avocat général délégué Alain Winants, avec l'assistance du greffier Frank Adriaensen.
Traduction établie sous le contrôle du président de section Benoît Dejemeppe et transcrite avec l'assistance du greffier Tatiana Fenaux.
Le greffier, Le président de section,