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26/04/2018 | FRANCE | N°408049

France | France, Conseil d'État, 1ère et 4ème chambres réunies, 26 avril 2018, 408049


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler la décision du 1er avril 2016 par laquelle le directeur de l'agence Pôle emploi Normandie lui a notifié un trop-perçu d'allocation de solidarité spécifique de 8 090,28 euros pour la période du 1er juillet 2012 au 3 mai 2014 et la décision implicite de rejet de son recours gracieux contre cette décision et, d'autre part, d'enjoindre à Pôle emploi de lui verser la somme de 8 090,28 euros correspondant au montant de la retenue opérée sur son allocation d'aide au retour à

l'emploi en remboursement de cet indu. Par un jugement n° 1601690 du...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler la décision du 1er avril 2016 par laquelle le directeur de l'agence Pôle emploi Normandie lui a notifié un trop-perçu d'allocation de solidarité spécifique de 8 090,28 euros pour la période du 1er juillet 2012 au 3 mai 2014 et la décision implicite de rejet de son recours gracieux contre cette décision et, d'autre part, d'enjoindre à Pôle emploi de lui verser la somme de 8 090,28 euros correspondant au montant de la retenue opérée sur son allocation d'aide au retour à l'emploi en remboursement de cet indu. Par un jugement n° 1601690 du 15 décembre 2016, le tribunal administratif de Caen a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 février et 15 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. A...demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de Pôle Emploi la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 2008-126 du 13 février 2008 ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Dorothée Pradines, auditeur,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Zribi, Texier, avocat de M. B...A...et à la SCP Boullez, avocat de Pôle emploi.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. B...A...a perçu l'allocation de solidarité spécifique du 1er novembre 2010 au 3 mai 2014. À l'occasion d'un réexamen, à sa demande, de ses droits à l'allocation d'aide au retour à l'emploi, le directeur de l'agence de Pôle emploi de Bayeux a constaté qu'il avait exercé une activité de réserviste dans la Marine nationale depuis le 1er janvier 2012. Ayant pris en compte ces périodes d'activité, il a, d'une part, le 1er mars 2016, accordé rétroactivement à M. A...le bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi à compter du 8 janvier 2014 pour un montant de 21 396,12 euros et, d'autre part, le 1er avril 2016, constaté un indu de 8 090,28 euros d'allocations de solidarité spécifique versées durant cette période et décidé de retenir cet indu sur les prochaines allocations de l'intéressé. Le 12 avril 2016, M. A... a perçu une somme de 13 305,84 euros, correspondant à la différence entre ses arriérés d'allocation d'aide au retour à l'emploi et l'indu d'allocation de solidarité spécifique. Il se pourvoit en cassation contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 1er avril 2016 et de la décision implicite par laquelle le directeur général de Pôle emploi a rejeté son recours gracieux présenté le 20 avril 2016.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. En vertu de l'article L. 5312-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, Pôle emploi est une institution nationale publique dotée de la personnalité morale et de l'autonomie financière qui a pour mission de : " 4° Assurer, pour le compte de l'organisme gestionnaire du régime d'assurance chômage, le service de l'allocation d'assurance et, pour le compte de l'Etat ou du Fonds de solidarité prévu à l'article L. 5423-24, le service des allocations de solidarité (...) ". Aux termes de l'article L. 5312-12 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les litiges relatifs aux prestations dont le service est assuré par l'institution, pour le compte de l'organisme chargé de la gestion du régime d'assurance chômage, de l'Etat ou du Fonds de solidarité prévu à l'article L. 5423-24 sont soumis au régime contentieux qui leur était applicable antérieurement à la création de cette institution ". Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 13 février 2008 relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi de laquelle elles sont issues, que le législateur a souhaité que la réforme, qui s'est notamment caractérisée par la substitution de Pôle emploi à l'Agence nationale pour l'emploi et aux associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Assedic), reste sans incidence sur le régime juridique des prestations et sur la juridiction compétente pour connaître du droit aux prestations, notamment sur la compétence de la juridiction judiciaire s'agissant des prestations servies au titre du régime d'assurance chômage. En revanche, un litige relatif aux prestations servies au titre du régime de solidarité relève de la compétence de la juridiction administrative, qu'il porte sur le droit aux prestations ou sur les modalités de leur versement ou, dès lors que n'est pas en cause la régularité d'un acte de poursuite, sur leur récupération en cas d'indu.

Sur le jugement du tribunal administratif de Caen :

3. En premier lieu, la circonstance que la décision implicite rejetant le recours préalable obligatoire de M. A...s'était substituée à la décision du 1er avril 2016 lui notifiant le trop-perçu d'allocation de solidarité spécifique en litige ne faisait pas obstacle à ce que le tribunal administratif prenne en considération, à titre d'éléments de fait, les motifs de cette décision du 1er avril 2016. Par suite, le tribunal a pu, sans erreur de droit, prendre en compte ces motifs pour juger que, contrairement à ce que soutenait le requérant, son activité de réserviste dans la Marine nationale pouvait être regardée comme une activité professionnelle salariée et que l'indu qui lui avait été notifié résultait d'une exacte application des dispositions conduisant à une telle qualification.

4. En deuxième lieu, en jugeant que les conditions de recouvrement de l'indu étaient sans incidence sur le bien fondé de celui-ci, le tribunal administratif n'a pas relevé d'office un moyen qu'il aurait été tenu de communiquer aux parties sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative mais s'est borné à exercer son office en répondant au moyen qu'il estimait soulevé devant lui au soutien de la contestation par M. A...de l'indu mis à sa charge. Toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. A..., qui contestait tant l'indu que ses modalités de recouvrement, ne soulevait pas un tel moyen mais soutenait que, dès lors qu'il contestait le bien-fondé de l'indu d'allocation de solidarité spécifique mis à sa charge, Pôle emploi n'avait pu légalement décider que cet indu serait récupéré par retenue sur ses prochaines allocations. M. A...est, par suite, fondé à soutenir que, en interprétant ses conclusions comme tendant uniquement à contester l'indu mis à sa charge, le tribunal s'est mépris sur la portée de ses écritures et a entaché son jugement d'insuffisance de motivation en ne se prononçant pas sur sa contestation des modalités de récupération de l'indu.

5. Il en résulte que M. A...n'est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque qu'en tant qu'il a omis de statuer sur ses conclusions relatives aux modalités de recouvrement de l'indu mis à sa charge résultant de la décision rejetant sur ce point son recours gracieux dirigé contre la décision du 1er avril 2016.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans la mesure de la cassation prononcée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Aux termes de l'article L. 5426-8-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " Pour le remboursement des allocations, aides, ainsi que de toute autre prestation indûment versées par l'institution prévue à l'article L. 5312-1, pour son propre compte, pour le compte de l'Etat, du fonds de solidarité prévu à l'article L. 5423-24 ou des employeurs mentionnés à l'article L. 5424-1, l'institution peut, si le débiteur n'en conteste pas le caractère indu, procéder par retenues sur les échéances à venir dues à quelque titre que ce soit. Le montant des retenues ne peut dépasser un plafond dont les modalités sont fixées par voie réglementaire, sauf en cas de remboursement intégral de la dette en un seul versement si le bénéficiaire opte pour cette solution ". L'article L. 5426-8-2 du même code, dans sa rédaction alors applicable, prévoit que Pôle emploi peut, pour le remboursement des mêmes allocations, aides ou prestations indûment versées, " dans les délais et selon les conditions fixés par voie réglementaire, et après mise en demeure, délivrer une contrainte qui, à défaut d'opposition du débiteur devant la juridiction compétente, comporte tous les effets d'un jugement et confère le bénéfice de l'hypothèque judiciaire ".

8. Il résulte de ces dispositions que Pôle emploi ne peut légalement récupérer des sommes indument versées à un allocataire au titre de l'allocation de solidarité spécifique en procédant par retenues sur des échéances à venir lorsque le débiteur conteste le caractère indu des sommes ainsi recouvrées, seule la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 5426-8-2 du code du travail étant alors possible.

9. Il ressort des pièces du dossier que, par la décision attaquée rejetant le recours gracieux de M.A..., le directeur de l'agence Pôle emploi de Normandie a confirmé sa décision de récupérer l'indu d'allocation de solidarité spécifique mis à la charge de ce dernier par retenues sur ses " prochaines allocations ", alors que l'intéressé contestait, dans son recours, le caractère indu des allocations versées. Par suite, M. A...est fondé à soutenir que Pôle emploi n'a pu légalement décider que l'indu d'allocation de solidarité spécifique serait récupéré par retenue sur ses prochaines allocations. La décision implicite de rejet de son recours gracieux contre la décision du 1er avril 2016 du directeur de l'agence Pôle emploi de Normandie doit, par suite, être annulée en tant qu'elle porte sur les modalités de récupération de l'indu, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête tendant aux mêmes fins.

10. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'enjoindre à Pôle emploi de rembourser à M. A...la somme de 8 090,28 euros correspondant au montant de la retenue opérée irrégulièrement pour récupérer l'indu d'allocation de solidarité spécifique mis à sa charge, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Pôle emploi une somme de 1 500 euros à verser à M.A..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions de Pôle emploi tendant à obtenir une somme au titre des mêmes dispositions ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 15 décembre 2016 est annulé en tant qu'il n'a pas statué sur les conclusions de M. A...relatives aux modalités du recouvrement de l'indu mis à sa charge résultant de la décision rejetant sur ce point son recours gracieux dirigé contre la décision du 1er avril 2016.

Article 2 : La décision implicite de rejet du recours gracieux de M. A...contre la décision du 1er avril 2016 du directeur de l'agence Pôle emploi de Normandie est annulée en tant qu'elle porte sur les modalités de récupération de l'indu.

Article 3 : Il est enjoint à Pôle emploi de reverser à M. A...la somme de 8 090,28 euros correspondant au montant de la retenue opérée irrégulièrement pour la récupération de l'indu d'allocation de solidarité spécifique mis à sa charge, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 4 : Pôle emploi versera à M. A...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de M. A...est rejeté.

Article 6 : Les conclusions de Pôle emploi présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. B... A...et à Pôle emploi.


Synthèse
Formation : 1ère et 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 408049
Date de la décision : 26/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

COMPÉTENCE - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - COMPÉTENCE DÉTERMINÉE PAR DES TEXTES SPÉCIAUX - LITIGES RELATIFS AUX PRESTATIONS SERVIES PAR PÔLE EMPLOI AU TITRE DU RÉGIME DE SOLIDARITÉ [RJ1].

17-03-01 Il résulte des articles L. 5312-1 et L. 5312-12 du code du travail, éclairés par les travaux préparatoires de la loi n° 2008-126 du 13 février 2008 de laquelle ils sont issus, que le législateur a souhaité que la réforme, qui s'est notamment caractérisée par la substitution de Pôle emploi à l'Agence nationale pour l'emploi et aux associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Assedic), reste sans incidence sur le régime juridique des prestations et sur la juridiction compétente pour connaître du droit aux prestations, notamment sur la compétence de la juridiction judiciaire s'agissant des prestations servies au titre du régime d'assurance chômage. En revanche, un litige relatif aux prestations servies au titre du régime de solidarité relève de la compétence de la juridiction administrative, qu'il porte sur le droit aux prestations ou sur les modalités de leur versement ou, dès lors que n'est pas en cause la régularité d'un acte de poursuite, sur leur récupération en cas d'indu.

TRAVAIL ET EMPLOI - POLITIQUES DE L'EMPLOI - INDEMNISATION DES TRAVAILLEURS PRIVÉS D'EMPLOI - 1) ORDRE DE JURIDICTION COMPÉTENT POUR CONNAÎTRE DES LITIGES RELATIFS AUX PRESTATIONS SERVIES PAR PÔLE EMPLOI AU TITRE DU RÉGIME DE SOLIDARITÉ - ORDRE ADMINISTRATIF [RJ1] - 2) MODALITÉS DE RÉCUPÉRATION DES SOMMES INDÛMENT VERSÉES AU TITRE DE L'ASS LORSQUE LE DÉBITEUR CONTESTE LE CARACTÈRE INDU DE CES SOMMES - RETENUE SUR LES ÉCHÉANCES À VENIR - ABSENCE - MISE EN OEUVRE DE L'ART - L - 5426-8-2 DU CODE DU TRAVAIL - EXISTENCE.

66-10-02 1) Il résulte des articles L. 5312-1 et L. 5312-12 du code du travail, éclairés par les travaux préparatoires de la loi n° 2008-126 du 13 février 2008 de laquelle ils sont issus, que le législateur a souhaité que la réforme, qui s'est notamment caractérisée par la substitution de Pôle emploi à l'Agence nationale pour l'emploi et aux associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Assedic), reste sans incidence sur le régime juridique des prestations et sur la juridiction compétente pour connaître du droit aux prestations, notamment sur la compétence de la juridiction judiciaire s'agissant des prestations servies au titre du régime d'assurance chômage. En revanche, un litige relatif aux prestations servies au titre du régime de solidarité relève de la compétence de la juridiction administrative, qu'il porte sur le droit aux prestations ou sur les modalités de leur versement ou, dès lors que n'est pas en cause la régularité d'un acte de poursuite, sur leur récupération en cas d'indu.,,,2) Il résulte des articles L. 5426-8-1 et L. 5426-8-2 du code du travail que Pôle emploi ne peut légalement récupérer des sommes indument versées à un allocataire au titre de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) en procédant par retenues sur des échéances à venir lorsque le débiteur conteste le caractère indu des sommes ainsi recouvrées, seule la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 5426-8-2 du code du travail étant alors possible.


Références :

[RJ1]

Rappr. TC, 7 avril 2014, Mme,c/ Pôle emploi Languedoc-Roussillon et Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRRECTE) Languedoc-Roussillon, n° 3946, T. pp. 574-892-893.


Publications
Proposition de citation : CE, 26 avr. 2018, n° 408049
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Dorothée Pradines
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini
Avocat(s) : SCP ZRIBI, TEXIER ; SCP BOULLEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:408049.20180426
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