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11/03/1997 | FRANCE | N°96-82283

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 11 mars 1997, 96-82283


REJET des pourvois formés par :
- X... Alain,
- Y... Louis,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre correctionnelle, en date du 28 mars 1996, qui, pour atteinte à l'autorité de la justice, a condamné le premier à 20 000 francs d'amende et le second à 40 000 francs d'amende.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour Alain X... et pris de la violation des articles 434-25 du Code pénal, 10 de la Convention européenne de sauvegarde des dro

its de l'homme et des libertés fondamentales, 593 du Code de procédure pénale :
...

REJET des pourvois formés par :
- X... Alain,
- Y... Louis,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre correctionnelle, en date du 28 mars 1996, qui, pour atteinte à l'autorité de la justice, a condamné le premier à 20 000 francs d'amende et le second à 40 000 francs d'amende.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour Alain X... et pris de la violation des articles 434-25 du Code pénal, 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Alain X... coupable des faits qui lui étaient reprochés :
" aux motifs que les prévenus ne contestent pas, pour l'un avoir tenu et pour l'autre publié les propos qui leur sont reprochés ; que ces propos présentent un caractère outrancier qui exclut tout rapprochement avec le commentaire technique ou la critique objective d'une décision de justice ; qu'en utilisant la formule " les boeufs-tigres, bêtes comme des boeufs, féroces comme des tigres " pour dépeindre un juge d'instruction et les magistrats d'une chambre d'accusation, les prévenus ne pouvaient ignorer qu'ils jetaient le discrédit sur 2 juridictions et les décisions par elles rendues dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ; qu'ils le pouvaient d'autant moins que l'un des prévenus est le responsable d'un important quotidien local et l'autre auxiliaire de justice ;
" 1° alors que la chambre d'accusation, par un précédent arrêt du 13 octobre 1994, avait stigmatisé l'erreur commise par le magistrat instructeur qui avait appliqué au client du demandeur un régime de garde à vue de 96 heures fondé sur les textes relatifs aux stupéfiants, quand il ne pouvait appliquer qu'un régime de garde à vue de 48 heures ; qu'en critiquant la décision refusant de sanctionner cette erreur, pourtant mise en évidence par la chambre d'accusation, Me X..., loin de mettre en cause l'autorité de la justice, s'est au contraire fié à la portée de la chose jugée par les magistrats de la chambre d'accusation dans leur décision du 13 octobre 1994 ; qu'en décidant cependant que ces propos avaient porté atteinte à l'autorité de la justice, la Cour a violé les textes susvisés ;
" 2° alors que les propos cités par la cour d'appel mettaient en cause uniquement l'attitude des magistrats ayant rendu la décision de refus d'informer et ne tendaient nullement à atteindre la justice en tant qu'institution fondamentale dans son autorité ou son indépendance ; qu'en estimant qu'en utilisant la formule " les boeufs-tigres, bêtes comme des boeufs, féroces comme des tigres ", le demandeur aurait porté atteinte à l'autorité de la justice, la cour d'appel, qui reconnaît, par ailleurs, que cette formule n'a été utilisée que pour parler du juge d'instruction et des magistrats de la chambre d'accusation ayant rendu la décision de refus d'informer, a violé les textes susvisés ;
" 3° alors que la citation de Voltaire s'adressait, ainsi que le rappelait le demandeur, à " des juges qui n'admettaient ni le conflit ni la critique " et non à la justice ; qu'en décidant que cette citation, employée par Me X... uniquement pour critiquer les magistrats ayant rendu la décision de refus d'informer contre un magistrat instructeur, en dépit de l'erreur grossière commise par ce dernier et mise en exergue par une précédente décision de justice, aurait porté atteinte à l'autorité de la justice, la Cour a violé les textes susvisés " ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour Louis Y... et pris de la violation des articles 434-2 du Code pénal, 42 de la loi du 29 juillet 1881, 593 du Code de procédure pénale, 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 38 de la Constitution du 4 octobre 1958, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré les prévenus coupables d'avoir, par écrit, cherché à jeter publiquement le discrédit sur une décision de justice dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ;
" aux motifs que ces propos présentaient un caractère outrancier excluant tout rapprochement avec le commentaire technique ou la critique objective d'une décision de justice ; qu'en utilisant la formule " les boeufs-tigres, bêtes comme des boeufs, féroces comme des tigres ", pour dépeindre un juge d'instruction et les magistrats d'une chambre d'accusation, les prévenus ne pouvaient ignorer qu'ils jetaient le discrédit sur 2 juridictions et les décisions par elles rendues dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ; qu'ils le pouvaient d'autant moins que l'un des prévenus est le responsable d'un important quotidien et l'autre auxiliaire de justice ;
" alors, d'une part, que, l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantit à toute personne la liberté d'expression sans autres restrictions, concernant le pouvoir judiciaire, que celles édictées pour en garantir l'autorité et l'impartialité ; que cet instrument de portée internationale est supérieur à la loi nationale qui ne peut, en aucun cas, en restreindre la portée ; qu'ainsi le fait d'écrire dans un commentaire destiné aux lecteurs d'un quotidien, à propos d'une décision de justice, que l'attitude intellectuelle des magistrats qui l'avaient rendue rappelait à son auteur une expression forgée par Voltaire pour décrire cette figure de l'injustice judiciaire orchestrée au XVIIIe siècle par des juges qui n'admettaient ni le conflit, ni la critique " les boeufs-tigres, bêtes comme des boeufs, féroces comme des tigres " constitue l'expression d'une opinion que tout citoyen est en droit d'émettre publiquement et librement à propos des magistrats ayant rendu une décision apparaissant injuste et partiale, sans s'exposer à des poursuites pénales ; qu'en ne recherchant pas si la décision de refus d'informer ne constituait pas, compte tenu des circonstances dans lesquelles elle avait été rendue, une décision partiale justement critiquée par le commentaire litigieux, qui était précisément destiné à dénoncer la partialité dont M. Z... a fait l'objet et donc à garantir l'impartialité du pouvoir judiciaire, la cour d'appel a violé de façon flagrante l'article 10 de la Convention précitée ;
" alors, d'autre part, que les textes répressifs sont d'interprétation stricte ; que le délit prévu et réprimé par l'article 434-25 du Code pénal doit exclusivement viser à jeter le discrédit sur un acte ou une décision de justice et à atteindre la justice elle-même, en tant qu'institution, dans son autorité ou son indépendance, à l'exclusion des individus qui la rendent ; que le fait d'avoir publié un commentaire d'une ordonnance de non-informer rendue par des magistrats à propos desquels a été utilisée la formule célèbre de Voltaire " les boeufs-tigres, bêtes comme des boeufs, féroces comme des tigres " pour qualifier l'attitude intellectuelle desdits magistrats ne caractérise nullement une volonté de jeter le discrédit sur la justice et de l'atteindre, en tant qu'institution au sens du texte précité, dans son autorité et son indépendance ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait la chambre d'accusation a violé ce texte par fausse application " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, dans le journal " Le Quotidien " daté du 25 janvier 1995, a été publié en page 6 un article consacré à une décision rendue la veille par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion qui, dans une procédure suivie contre personne non dénommée sur la plainte de Patrice Z..., avait confirmé l'ordonnance de refus d'informer du juge d'instruction ; que, sous cet article intitulé " le Temgesic devant la chambre d'accusation ; le refus d'informer confirmé ", et dans une rubrique dite " Les Réactions ", a été reproduite la déclaration suivante de l'avocat du demandeur, Me Alain X... :
" En refusant catégoriquement d'instruire, le juge d'instruction saisi de la plainte et la chambre d'accusation entendent édicter un principe jurisprudentiel dangereux pour l'avenir de la République :
un magistrat est irresponsable pénalement même s'il est démontré que celui-ci a violé de façon manifeste la loi et porté atteinte à la liberté de la personne ;
" C'est en ce sens qu'une telle décision constitue outrageusement un véritable déni de justice ;
" Une telle attitude intellectuelle n'est pas sans me rappeler Voltaire qui avait forgé une expression pour décrire cette figure de l'injustice judiciaire orchestrée au XVIIIe siècle par des juges qui n'admettaient ni le conflit, ni la critique : les boeufs-tigres, bêtes comme des boeufs, féroces comme des tigres " ;
Qu'à la suite de ces déclarations le procureur de la République a, par actes en date des 25 et 28 avril 1995, fait citer devant le tribunal correctionnel Louis Y..., directeur de la publication du journal, du chef d'atteinte à l'autorité de la justice, et Alain X..., pour complicité de ce délit ; que les prévenus ont été relaxés par le tribunal ;
Attendu que, pour retenir les prévenus dans les liens de la prévention, les juges du second degré se prononcent par les motifs reproduits aux moyens ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, qui caractérisent en tous ses éléments constitutifs l'infraction prévue par l'article 434-25 du Code pénal, lequel ne heurte pas les dispositions conventionnelles invoquées, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Qu'en effet, si l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en son premier paragraphe, reconnaît à toute personne le droit à la liberté d'expression, ce texte prévoit, en son second paragraphe, que l'exercice de cette liberté, comportant des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent dans une société démocratique des mesures nécessaires, notamment, pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ; que tel est précisément l'objet de l'article 434-25 du Code pénal ;
Que, par ailleurs, les déclarations incriminées entrent dans les prévisions de cet article, dès lors que, en mettant en cause en termes outranciers l'impartialité des juges ayant rendu la décision critiquée et en présentant leur attitude comme une manifestation de " l'injustice judiciaire ", leur auteur, excédant les limites de la libre critique permise aux citoyens, a voulu atteindre dans son autorité, par-delà les magistrats concernés, la justice, considérée comme une institution fondamentale de l'Etat ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 96-82283
Date de la décision : 11/03/1997
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 10 - 2 - Liberté d'expression - Atteinte à l'autorité de la justice - Discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle.

1° ATTEINTE A L'ACTION DE JUSTICE - Discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle - Convention européenne des droits de l'homme - Article 10 - paragraphe 2.

1° Si l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en son paragraphe 1er, reconnaît à toute personne le droit à la liberté d'expression, ce texte prévoit, en son paragraphe 2, que l'exercice de cette liberté, comportant des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent dans une société démocratique des mesures nécessaires, notamment, pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ; que tel est précisément l'objet de l'article 434-25 du Code pénal.

2° ATTEINTE A L'ACTION DE JUSTICE - Discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle - Atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance - Nécessité.

2° L'article 434-25 du Code pénal, qui réprime le fait de chercher à jeter le discrédit publiquement, par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, exige que cette action ait été accomplie " dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance ". Entrent dans les prévisions de cet article des déclarations qui, en mettant en cause, en termes outranciers, l'impartialité des juges ayant rendu la décision critiquée et en présentant leur attitude comme une manifestation de "l'injustice judiciaire", ont excédé les limites de la libre critique permise aux citoyens et voulu atteindre dans son autorité, par-delà les magistrats concernés, la justice considérée comme une institution fondamentale de l'Etat(1).


Références :

1° :
1° :
2° :
Code pénal 434-25
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 10

Décision attaquée : Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (chambre correctionnelle), 28 mars 1996

CONFER : (2°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1961-05-15, Bulletin criminel 1961, n° 257, p. 494 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1964-02-27, Bulletin criminel 1964, n° 77, p. 177 (rejet)

arrêt cité ;

Chambre criminelle, 1965-02-11, Bulletin criminel 1965, n° 48, p. 105 (rejet), et les arrêts cités ;

Chambre criminelle, 1974-12-03, inédit, (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 11 mar. 1997, pourvoi n°96-82283, Bull. crim. criminel 1997 N° 96 p. 318
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1997 N° 96 p. 318

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Milleville, conseiller doyen faisant fonction.
Avocat général : Avocat général : M. Cotte.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Desportes.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Boré et Xavier, la SCP Lesourd.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1997:96.82283
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