Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif B... d'annuler l'arrêté du 9 février 2023 par lequel le préfet de la Somme a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de sa reconduite à la frontière.
Par un jugement n° 2300607 du 25 mai 2023, le tribunal administratif B... a annulé l'arrêté du 9 février 2023 et enjoint au préfet de la Somme de procéder au réexamen de la situation de Mme A... dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 juin 2023 et des mémoires, enregistrés les 18, 20, 26 septembre et 6 décembre 2023 ainsi que des pièces enregistrées les 1 et 6 février 2024, le préfet de la Somme demande à la cour d'annuler ce jugement.
Il soutient que :
- l'arrêté du 9 février 2023 n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- les juges de première instance ont commis une erreur de droit en inversant la charge de la preuve.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 septembre 2023, et un mémoire, enregistré le 27 novembre 2023, Mme A..., représentée par Me Antoine Tourbier, conclut :
1) à titre principal, au rejet de la requête ;
2) à titre subsidiaire, à l'annulation de l'arrêté du 9 février 2023 du préfet de la Somme et à ce qu'il soit enjoint à ce dernier de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, ou à défaut, de procéder au réexamen de sa situation ;
3) à la mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 13 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée avec effet immédiat en application des articles R. 6111-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 31 août 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Perrin, premier conseiller,
- et les observations de Me Basili, représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 9 février 2023, le préfet de la Somme a refusé à Mme A..., ressortissante guinéenne, un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement. Par un jugement du 25 mai 2023, le tribunal administratif B..., saisi par Mme A..., a annulé cet arrêté. Le préfet de la Somme relève appel de ce jugement.
Sur le moyen d'annulation accueilli par le tribunal administratif B... :
2. Le tribunal administratif B... a considéré que le préfet avait retenu à tort que Mme A... ne pouvait justifier de son état-civil, méconnaissant ainsi les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
3. Aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 (...) ".
4. Aux termes des dispositions de l'article R. 142-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ministère chargé des affaires étrangères et le ministre chargé de l'immigration sont autorisés à mettre en œuvre, sur le fondement du 1° de l'article L. 142-1, un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " VISABIO ". / Ce traitement a pour finalités : / 1° De mieux garantir le droit au séjour des personnes en situation régulière et de lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France, en prévenant les fraudes documentaires et les usurpations d'identité ; / (...) ". Aux termes de l'article R. 142-2 de ce code : " Les données à caractère personnel enregistrées dans le traitement automatisé mentionné à l'article R. 142-1 sont : / 1° Les images numérisées de la photographie et des empreintes digitales des dix doigts des demandeurs de visas / (...) / 2° Les données énumérées à l'annexe 2 communiquées automatiquement par le traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé Réseau mondial visas (...) lors de la demande et de la délivrance d'un visa (...) ". Aux termes de l'article R. 142-3 du même code : " Les données à caractère personnel mentionnées au 1° de l'article R. 142-2 peuvent également être collectées (...) : / 1° Par les chancelleries consulaires et les consulats des autres Etats membres de l'Union européenne ; / (...) ". Enfin, parmi les données énumérées à l'annexe 2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, figurent celles relatives à l'état civil, notamment le nom, la date et le lieu de naissance de l'étranger ainsi que sa nationalité, et celles relatives aux documents de voyage du demandeur de visa ainsi que ses identifiants biométriques.
5. Il résulte de ces dispositions combinées que, lorsqu'après avoir relevé les empreintes digitales d'un ressortissant d'un Etat tiers, une des autorités administratives visées à l'article R. 142-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile consulte la base de données Visabio en vue d'obtenir des données personnelles relatives à celui-ci, ces données sont présumées exactes. Il appartient à l'étranger de renverser cette présomption, notamment par la production du document de voyage au vu duquel l'autorité consulaire a renseigné la base de données Visabio.
6. Mme A..., qui admet être entrée au Portugal munie d'un passeport qui n'était pas le sien, se prévaut des mentions de sa carte d'identité ainsi que d'une copie de son acte de naissance et d'un jugement supplétif qui indiquent qu'elle est née le 7 septembre 2004. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la consultation du système automatisé de traitement des données Visabio a révélé que l'intéressée était connue sous l'identité de Mme C... A..., née le 7 septembre 1999 à Labé en Guinée. Il ressort par ailleurs des articles 175, 179 et 192 du code civil de Guinée que les mentions de son extrait d'acte de naissance n'ont pas été reproduites de façon littérale contrairement à ce qu'exigent les dispositions du code civil guinéen. Compte tenu de ces éléments, la production par Mme A... d'une carte d'identité consulaire, qui n'est pas un acte d'état-civil, et d'un jugement consulaire ne démontre pas sa minorité. De même, la circonstance qu'elle ait été placée, le 31 janvier 2019, à l'aide sociale à l'enfance par le juge des enfants B..., qui n'est pas un juge de l'état-civil, ne permet pas d'établir la minorité de l'appelante. Dès lors, le préfet de la Somme a pu, à juste titre, en se fondant sur des éléments propres à la situation de Mme A... et non sur des considérations générales d'une mauvaise tenue de l'état-civil en Guinée, estimer que les données figurant dans le système de traitement Visabio permettaient de renverser la présomption d'authenticité qui s'attache aux actes d'état-civil étrangers, pour déterminer la date de naissance de l'intéressée et lui refuser un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Le préfet de la Somme est par suite fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif B... a annulé son arrêté du 9 février 2023.
8. Il y a lieu pour la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant la juridiction administrative.
Sur les autres moyens soulevés par Mme A... :
9. En premier lieu, l'arrêté en cause vise les textes dont il fait application et comporte les considérations de fait qui en constituent le fondement. Il n'avait pas à indiquer de manière exhaustive l'ensemble des éléments afférents à la situation personnelle et familiale de Mme A..., mais en mentionne les éléments pertinents et indique notamment qu'elle allègue avoir été confiée à l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de 16 ans, qu'elle avait sollicité un visa long séjour auprès des autorités portugaises, qu'elle n'établit pas être âgée de moins de dix-huit ans à la date à laquelle elle a été placée à l'aide sociale à l'enfance, qu'elle est célibataire et ne démontre pas être dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine ni être exposée à des peines ou traitements contraires à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation ne peut qu'être écarté.
10. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A... déclare être entrée en France le 15 janvier 2019. Elle souligne son intégration du fait de son inscription à l'école d'infirmier, la présence de sa sœur et d'attaches importantes sur le territoire français. Toutefois, même si l'intéressée a obtenu son baccalauréat technologique en juin 2023 avec la mention assez bien, l'appelante ne produit aucun élément précis et étayé démontrant l'importance de ses attaches privées en France, à la date de la décision. Dans ces conditions, le préfet n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux motifs des décisions. Par suite, ce moyen doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Somme est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif B..., d'une part, a annulé son arrêté du 9 février 2023 refusant de délivrer un titre de séjour à Mme A..., lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi, d'autre part, lui a enjoint de procéder à un nouvel examen de la situation de l'intéressée, enfin, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle. Par ailleurs, le présent arrêt n'implique aucune mesure particulière d'exécution. Les conclusions à fins d'injonction de Mme A... sont donc rejetées. Enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée à ce titre par Mme A....
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2300607 du 25 mai 2023 du tribunal administratif B... est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par Mme A... tant devant le tribunal administratif B... que devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Somme, à Mme C... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Tourbier.
Délibéré après l'audience publique du 18 avril 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Denis Perrin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mai 2024.
Le rapporteur,
Signé : D. PerrinLa présidente de chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au préfet de la Somme et au ministre de l'intérieur et des outres-mers en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en cheffe,
La greffière
Nathalie Roméro
N°23DA01108 2