Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 3 avril 2020 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.
Par un jugement n° 2005093 du 10 janvier 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 10 mars 2022 et un mémoire en réplique enregistré le 13 octobre 2022, M. D... représenté par Me Bennouna, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 10 janvier 2022 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler la décision du 3 avril 2020 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'instruction est entachée d'un défaut de respect du contradictoire dès lors que l'inspectrice du travail n'a pas attendu ses observations complémentaires pour prendre sa décision ;
- la matérialité des faits n'est pas établie ; le doute doit en conséquence lui profiter ;
- la décision attaquée est entachée d'erreur d'appréciation dès lors qu'existe un lien entre la demande de licenciement et ses relations conflictuelles avec ses collègues syndicalistes.
Par des mémoires enregistrés le 29 avril 2022 et le 8 novembre 2022, la société Transports rapides automobiles, représentée par Me Blanc de la Naulte, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au ministre du travail qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. D... a produit un mémoire enregistré le 12 novembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- et les conclusions de Mme Pena, rapporteur public.
- les observations de Me Bennouna, représentant M. D..., et les observations de Me Dube, représentant la société Transports rapides automobiles.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... a été recruté comme conducteur-receveur par la société Transports Rapides Automobiles (T.R.A.) en 2003. Il a été élu membre titulaire du comité économique et social lors des élections du 3 décembre 2019 et était à compter du 8 janvier 2020 représentant du Syndicat du Transport nouvellement constitué. Par un courrier du 19 février 2020, la société T.R.A. a sollicité l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire. M. D... relève appel du jugement du 10 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision du 3 avril 2020 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail : " (...) le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié ".
3. M. D... soutient que la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie et que le doute doit en conséquence lui profiter. Il ressort des pièces du dossier que pour établir la matérialité de l'unique grief retenu par l'inspectrice du travail et tiré de ce que M. D... aurait les 23 et 26 décembre 2019 proféré des insultes et menaces de mort à l'encontre de sa collègue, Mme A..., la société T.R.A. a produit trois attestations de collègues relatant avoir été témoins à différentes reprises d'injures et menaces proférées par M. D... contre Mme A..., un courriel adressé le 8 janvier 2020 par Mme A... à la directrice des ressources humaines de la société dans lequel elle se plaint des insultes et menaces proférées par M. D... à son égard et d'appels anonymes reçus en pleine nuit, ainsi que la main courante déposée par cette dernière le 29 janvier 2020. Il ressort toutefois des pièces du dossier que ni la main courante de Mme A..., qui ne désigne pas nommément M. D... comme son agresseur, ni le courriel adressé par Mme A... elle-même à la directrice des ressources humaines, ne sont revêtus de force probante. Il ressort également des pièces du dossier que les attestations produites par l'employeur de M. D... émanent, d'une part, de l'oncle de Mme A... qui aurait identifié sa voix au téléphone alors qu'il aurait été mis en conférence téléphonique par Mme A..., d'autre part, de deux collègues, M. A... et M. B..., dont le récit des faits ne comporte, pour la première, qu'une indication très imprécise de leur déroulement " entre le 23 et le 26 décembre 2019 " et pour la seconde, aucune indication de la date, des lieux ou des circonstances des faits rapportés. Ainsi, et alors même qu'elles ne sont pas des témoignages anonymes, ces attestations sont insuffisamment circonstanciées et précises et ne permettent pas, en particulier, de lever le doute sur le fait qu'une autre personne aurait pu se faire passer pour M. D... au téléphone, comme l'a relevé l'inspectrice du travail elle-même dans un courriel du 26 mars 2020.
4. Il ressort en outre des pièces du dossier que la totalité des attestations produites émanent de salariés syndiqués au sein de l'UNSA dont Mme A... est la responsable au sein de l'entreprise et ont été établies le 27 janvier 2020 et le 1er février 2020, dans un contexte syndical extrêmement conflictuel depuis la désignation de M. D..., le 8 janvier 2020, comme représentant d'une nouvelle section syndicale au sein de l'entreprise (Syndicat des transports).
5. Il résulte de ce qui précède que, comme le soutient M. D... qui conteste les faits, la matérialité du grief n'est pas suffisamment établie et que le doute doit profiter au salarié. En conséquence et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 3 avril 2020 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement.
Sur les frais de l'instance :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. D..., qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à la société Transports Rapides Automobiles la somme qu'elle demande au titre des frais de l'instance. Il y a lieu, en revanche, de condamner cette dernière à verser à M. D... la somme de 1 500 euros au titre de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2005093 du 10 janvier 2022 du tribunal administratif de Montreuil et la décision du 3 avril 2020 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé le licenciement de M. D..., sont annulés.
Article 2 : La société Transports Rapides Automobiles versera à M. D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la société Transports Rapides Automobiles.
Délibéré après l'audience publique du 15 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente assesseure,
- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 06 décembre 2022.
La rapporteure,
M. JULLIARDLe président,
I. LUBEN
La greffière,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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