Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 16 juillet 2018 par laquelle le ministre de l'éducation nationale a prononcé son licenciement pour insuffisance professionnelle.
Par un jugement n° 1808553 du 22 février 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 avril 2022 et 13 février 2023, Mme B..., représentée par Me Lefevre, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 22 février 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 16 juillet 2018 ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale de bien vouloir la réintégrer en reconstituant sa carrière à compter du 16 juillet 2018 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif a omis de répondre au moyen tiré de ce que le ministre n'indiquait pas les motifs pour lesquels sa décision devait s'écarter de l'avis défavorable de la commission administrative paritaire académique ;
- il n'est pas établi que l'auteur de la décision contestée disposait d'une délégation de signature régulière ;
- cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que les rapports sur lesquels elle se fonde présentent un caractère ponctuel et limité et ne sont pas de nature à caractériser son inaptitude à exercer normalement ses fonctions ; en outre, les faits qui lui sont reprochés, qui sont en relation avec l'arrivée d'un nouveau chef d'établissement, ne sont pas de nature à justifier un licenciement pour insuffisance professionnelle ;
- la décision litigieuse est entachée d'un détournement de pouvoir.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 décembre 2022, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.
Il s'en rapporte à ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique,
- et les observations de Me Lefevre, représentant Mme B....
Une note en délibéré, enregistrée le 19 juin 2023, a été produite pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Après avoir exercé pendant de nombreuses années les fonctions de maîtresse auxiliaire chargée d'enseignement en italien dans plusieurs établissements scolaires de la Loire-Atlantique, du Maine-et-Loire et de la Vendée, Mme B... a été reçue à l'examen professionnel du certificat d'aptitude au professorat du second degré (Capes). Elle a été nommée professeure certifiée stagiaire puis titularisée au 1er septembre 2003. Après une première affectation dans un lycée de ..., l'intéressée a obtenu sa mutation dans l'académie de Nantes. A la rentrée 2010, elle a été nommée professeure d'italien au collège ... de ... à raison de 12 heures par semaine. Lors de la fermeture de la classe d'italien de cet établissement, à la rentrée 2016, Mme B... a été affectée au collège ... de ... pour la même quotité de travail, l'intéressée exerçant parallèlement un complément de service dans d'autres établissements scolaires. Par un courrier du 9 février 2018, le recteur de l'académie de Nantes l'a informée qu'il entendait engager à son encontre une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle. L'intéressée a été convoquée devant la commission administrative paritaire académique qui, lors de sa séance du 9 avril 2018, a rendu un avis défavorable à la mesure envisagée. Par un arrêté du 16 juillet 2018, le ministre de l'éducation nationale a cependant prononcé son licenciement pour insuffisance professionnelle. Mme B... a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Nantes. Elle relève appel du jugement rendu le 22 février 2022 par lequel les premiers juges ont rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision ministérielle du 16 juillet 2018.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision contestée :
2. Le licenciement pour inaptitude professionnelle d'un agent public ne peut être fondé que sur des éléments révélant l'inaptitude de l'agent à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé ou correspondant à son grade et non sur une carence ponctuelle dans l'exercice de ses fonctions. Toutefois, une telle mesure ne saurait être subordonnée à ce que l'insuffisance professionnelle ait été constatée à plusieurs reprises au cours de la carrière de l'agent ni qu'elle ait persisté après qu'il a été invité à remédier aux insuffisances constatées. Par suite, une évaluation portant sur la manière dont l'agent a exercé ses fonctions durant une période suffisante et révélant son inaptitude à un exercice normal de ses fonctions est de nature à justifier légalement son licenciement.
3. Il ressort des pièces du dossier qu'à compter de sa mutation au collège ... de ... à la rentrée de 2010, les évaluations professionnelles de Mme B... ont pointé ses carences dans la gestion de ses classes. Il lui était notamment reproché de ne pas parvenir à s'imposer vis à vis de ses élèves. Les inspections réalisées les 18 mars 2011, 15 avril 2013, 28 janvier 2014 par le même inspecteur (inspecteur d'académie-inspecteur pédagogique régional) confirment les difficultés de l'enseignante à maintenir le calme dans ses classes et à asseoir son autorité. Sans nier les griefs formulés à son encontre, l'intéressée souligne cependant que ses évaluations annuelles professionnelles au titre des années 2003 à 2010, alors qu'elle était affectée dans un lycée général et technologique de ..., n'ont révélé aucun problème spécifique. Son investissement ainsi que la qualité de ses cours y étaient en effet reconnus ainsi qu'en atteste notamment l'inspection dont elle a fait l'objet le 14 novembre 2007. L'inspecteur a en effet alors relevé les nombreuses qualités de cette enseignante, dynamique, sachant établir un bon contact avec sa classe et faisant participer ses élèves. Il constatait qu'elle savait varier les activités, maîtrisait pleinement une " stratégie pédagogique inventive et très méthodique " et avait recours à une technique de questionnement très pertinente. Mme B... met également en avant, à juste titre, le fait qu'alors même qu'elle connaissait des difficultés dans le premier établissement situé à ..., on l'a affectée, lors de la fermeture de la classe d'italien, dans un établissement réputé plus " difficile ", classé en réseau d'éducation prioritaire (REP). Il est constant que l'intéressée, au même titre d'ailleurs que ses collègues, était alors confrontée à des élèves perturbateurs, remettant en cause l'autorité de leurs professeurs, et peu motivés par les enseignements qui leur étaient dispensés en italien. En outre, si la requérante reconnaît qu'elle a bénéficié d'un accompagnement par un autre professeur en langues étrangères et de formations complémentaires, elle fait valoir sans être véritablement contredite, que les punitions qu'elle infligeait à ses élèves ou les mesures disciplinaires qu'elle tentait de mettre en place n'étaient pas soutenues par les chefs d'établissements, ce qui fragilisait son autorité vis-à-vis des élèves. De plus, il ne ressort pas des pièces du dossier que la manière de servir de Mme B..., qui dispensait simultanément des cours dans un collège à ... puis un lycée à ... à raison de 6 et 7 ,5 heures par semaine, au titre du complément de service, n'aurait pas donné entière satisfaction dans ces établissements où elle dispensait un tiers de ces cours. Par ailleurs, si le recteur indiquait en première instance que seul un inspecteur était spécialisé en italien pour la zone géographique en cause et était en mesure d'évaluer les compétences de l'intéressée, il est constant qu'il n'a fait procéder à aucune inspection par un inspecteur général, laquelle aurait permis d'avoir une autre approche de la manière de servir de cette professeure, qui justifiait de plus d'une trentaine d'années d'expérience. Enfin, il ressort des pièces du dossier que, lors de sa séance du 9 avril 2018, les membres de la commission administrative paritaire académique se sont prononcés, par 18 voix, contre le licenciement pour insuffisance professionnelle de Mme B.... Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la requérante est fondée à soutenir que la décision contestée du ministre de l'éducation nationale en date du 16 juillet 2018 est entachée d'une erreur d'appréciation.
4. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, et notamment celui relatif à la régularité du jugement attaqué, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. L'annulation de la décision du 16 juillet 2018, implique qu'il soit enjoint au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse de procéder, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, à la réintégration de Mme B... dans les fonctions de professeure certifiée d'italien.
Sur les frais liés au litige :
6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1808553 du tribunal administratif de Nantes du 22 février 2022 ainsi que la décision du 16 juillet 2018 par laquelle le ministre de l'éducation nationale a licencié Mme B... pour insuffisance professionnelle sont annulés.
Article 2 : L'Etat (ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse) réintègrera Mme B... dans les fonctions de professeure certifiée d'italien dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Délibéré après l'audience du 16 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juillet 2023.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
P. BONNIEU
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 22NT01179