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13/12/2022 | FRANCE | N°22NT00343

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 13 décembre 2022, 22NT00343


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 24 mars 2020 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif économique ainsi que la décision du 19 octobre 2020 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a confirmé cette décision.

Par un jugement n° 2005384 du 3 janvier 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 fé

vrier 2022, Mme C..., représentée par Me Peneau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugeme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 24 mars 2020 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif économique ainsi que la décision du 19 octobre 2020 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a confirmé cette décision.

Par un jugement n° 2005384 du 3 janvier 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 février 2022, Mme C..., représentée par Me Peneau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 3 janvier 2022 ;

2°) d'annuler les décisions des 24 mars 2020 et 19 octobre 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué, qui n'a pas analysé certains des éléments qu'elle a soulevés notamment en ce qui concerne le contrat " adulte relais " choisi par l'employeur, est insuffisamment motivé ; l'absence d'analyse par l'inspecteur du travail et la ministre du motif économique et de la menace sur la compétitivité, invoqués par l'association, impliquait en effet l'annulation des décisions contestées ;

- les dispositions de l'article R. 2421-11 du code du travail ont été méconnues dès lors qu'aucun bilan comptable validé par un commissaire au compte, ni aucun registre unique du personnel ne lui a été communiqué en violation du principe du contradictoire ;

- l'inspecteur du travail et la ministre n'ont pas contrôlé la régularité de la procédure suivie en méconnaissance de la circulaire DGT 07/2012 du 30 juillet 2012 relative aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail des salariés protégés et des articles L. 1233-8 et suivants et L. 1233-28 et suivants du code du travail ; ils n'ont pas recherché si les ruptures conventionnelles devaient être prises en compte pour déterminer si l'association devait élaborer un plan de sauvegarde de l'emploi et la procédure d'information et de consultation des représentants du personnel ;

- la réduction des effectifs de l'association pendant 3 mois consécutifs a dépassé 10 salariés de sorte qu'un plan de sauvegarde de l'emploi aurait dû être élaboré ; en effet, en vertu de l'article 12 de l'accord national interprofessionnel de janvier 2008 qui a créé la rupture conventionnelle et de la circulaire DGT n° 2009-04 du 17 mars 2009, lorsqu'elles ont une cause économique, les ruptures conventionnelles doivent être prises en compte pour déterminer la procédure d'information et de consultation des représentants du personnel et les obligations de l'employeur en matière de plan de sauvegarde de l'emploi ; or à la date des ruptures conventionnelles de plusieurs salariés, il existait un motif économique sur l'ensemble de l'association ;

- la perte de marché ne constitue pas un motif économique au sens de l'article L. 1233-3 du code du travail ; les difficultés économiques invoquées par l'association tenant à une baisse de ses résultats d'exploitation, qui au demeurant n'est pas avérée, n'est pas un motif de licenciement visé dans la demande d'autorisation ; la réorganisation prétendue est liée à la perte de marché et à la volonté de diminuer la masse salariale, ce qui atteste que son licenciement n'est pas pour motif économique, d'autant que la décision de rompre les contrats de travail était prise avant l'engagement de la procédure ;

- l'association n'a pas respecté son obligation de recherche de reclassement compte tenu du fait que les postes de coordinateurs de nuit et de correspondants de nuit englobent pour partie les mêmes fonctions et induisent une formation identique ; les postes sur lesquels ont été positionnés les deux coordinateurs de nuit sont en réalité des postes de correspondant de nuit qui auraient dû lui être proposés au même titre que les 3 postes de médiateur social à Nantes et Paris qui lui ont été présentées le 23 janvier 2020 ; au vu du registre unique du personnel, de nombreux postes ouverts au sein du groupe Optima auraient dû être proposés aux salariés licenciés dont elle faisait partie ; l'association ne peut invoquer le fait qu'elle ne remplissait pas les conditions pour occuper un poste en convention " adulte relais " dès lors qu'il en s'agit pas d'une priorité d'emploi à la différence des reclassements destinés à éviter des licenciements ;

- les décisions contestées présentent un lien avec son mandat dans la mesure où son employeur a cherché par tout moyen à la faire partir dès le 13 décembre 2019.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 août 2022, l'association Optima 35, représentée par Me Coudray, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 août 2022, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il s'en rapporte à ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique,

- les observations de Me Masroui, substituant Me Peneau, représentant Mme C...,et les observations de Me Saulnier, substituant Me Coudray, représentant l'association Optima 35.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... a été recrutée à compter du 20 mars 2018 par l'association Optima, qui intervient à Rennes, Nantes et en région parisienne, dans le domaine de la médiation sociale urbaine, en liaison avec les collectivités locales et les bailleurs sociaux. Dans ce cadre, l'association avait conclu, jusqu'au 31 décembre 2019, un marché avec quatre bailleurs sociaux rennais et la ville de Rennes pour assurer un service de médiation de nuit. Toutefois, lors du renouvellement de ce marché, son offre n'a pas été retenue. Mme C..., qui exerçait ses fonctions de correspondante de nuit dans l'agglomération rennaise, a alors fait l'objet d'une procédure de licenciement pour motif économique, au même titre que huit autres de ses collègues qui occupaient des fonctions identiques mais ne bénéficiaient pas de la qualité de salariés protégés, contrairement à l'intéressée. Par une décision du 24 mars 2020, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de Mme C.... Par une décision du 19 octobre 2020, la ministre chargée du travail a, sur recours hiérarchique, confirmé cette décision. Mme C..., licenciée à la date du 3 avril 2020, a contesté ces deux décisions devant le tribunal administratif de Rennes. Elle relève appel du jugement du 3 janvier 2022 par lequel le tribunal a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions de l'inspecteur du travail et de la ministre chargée du travail.

Sur la légalité des décisions contestées :

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, est subordonné à une autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : (...) / 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; (...) ". Dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. La sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise peut constituer un motif économique, à la condition que soit établie une menace pour la compétitivité de l'entreprise, laquelle s'apprécie, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe. Une association, même à but non lucratif, est soumise aux mêmes règles dès lors qu'elle intervient dans un domaine concurrentiel.

3. Dans sa demande présentée le 17 février 2020, l'association Optima a sollicité l'autorisation de licencier Mme C... pour motif économique en faisant valoir la perte du marché de médiation de nuit, la situation de sureffectif en l'absence de transfert des contrats des correspondants de nuit affectés en totalité et exclusivement au marché perdu et la nécessité d'une réorganisation interne en vue de sauvegarder sa compétitivité, impliquant le rééquilibrage de marchés, le redéploiement de certaines missions et une nouvelle organisation fonctionnelle impliquant la suppression des postes de correspondant de nuit affectés au marché de la médiation sociale de nuit. Si, ainsi que le soutient la requérante, la perte d'un marché ne saurait à elle seule constituer l'énoncé d'un motif économique au sens de l'article L. 1233-3 du code du travail, la demande d'autorisation formulée par l'association Optima n'est pas, ainsi qu'il vient d'être rappelé, fondée sur cette seule considération mais sur les conséquences que la perte de marché sur le site de Rennes entraînerait sur sa compétitivité. Et il appartenait ainsi à l'administration, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement de Mme C... sur le terrain de la sauvegarde de la compétitivité de l'organisme, de vérifier si le projet de réorganisation invoqué par l'association Optima était nécessaire pour maintenir sa compétitivité.

4. Il est, tout d'abord, constant que le marché conclu par l'association jusqu'au 31 décembre 2019 avec les 4 bailleurs sociaux rennais et la ville de Rennes représentait un chiffre d'affaires de 1 095 927 euros HT et qu'au cours de l'exercice suivant, le site de Rennes a enregistré une baisse de plus de 50 % de son chiffre d'affaires, qui est passé de 1 120 000 euros en 2019 à 511 000 euros en 2020. Toutefois, la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'association doit être apprécier au regard des résultats d'ensemble qu'elle réalise sur les trois sites, évoqués au point 1, sur lesquels elle exerçait son activité. Or il ressort des éléments versés au dossier que si le chiffre d'affaires de l'association a connu une diminution sur la période en cause passant de 4 098 000 euros en 2019 à 3 920 000 euros en 2020, le résultat d'exploitation généré par son activité est resté excédentaire. Et l'association, constituée à but non lucratif, n'apporte aucun autre justificatif de nature à établir la nécessité de procéder aux licenciements des agents concernés pour sauvegarder sa compétitivité, alors qu'il n'est pas établi par les éléments qu'elle avance qu'elle n'aurait pu notamment regagner d'autres parts de marché sur des agglomérations différentes de celle de Rennes. Par suite, faute que soit établie par l'association Optima une menace concrète et avérée pour la sauvegarde de sa compétitivité, Mme C... est fondée à soutenir que l'inspecteur du travail et la ministre du travail ne pouvait autoriser son licenciement à raison du motif économique invoqué par son employeur.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête et notamment sur la régularité du jugement attaqué, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à l'association Optima de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'association Optima le versement à Mme C... de la somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2005384 du tribunal administratif de Rennes en date du 3 janvier 2022 ainsi que les décisions des 24 mars et 19 octobre 2020 de l'inspecteur du travail et de la ministre du travail autorisant l'association Optima à procéder au licenciement de Mme C... sont annulés.

Article 2 : L'association Optima versera à Mme C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de l'association Optima présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., à l'association Optima et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 25 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Coiffet, président,

- Mme Gélard, première conseillère,

- M. Giraud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 décembre 2022.

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. COIFFET

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT00343


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00343
Date de la décision : 13/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. COIFFET
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : PENEAU-MELLET

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-12-13;22nt00343 ?
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