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12/10/2022 | FRANCE | N°22MA00032

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 12 octobre 2022, 22MA00032


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... B..., M. G... A..., Mme J... B... épouse de Lesquen et M. C... de Lesquen ont demandé au tribunal administratif de Bastia, à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 24 décembre 2015 déclarant d'utilité publique les travaux de prélèvement et de dérivation des eaux au captage des sources de Ghjuvan Marcu et de Casale 1 et 2, instaurant des périmètres de protection et autorisant l'utilisation de l'eau en vue de la consommation humaine sur le ter

ritoire de la communauté de communes du Sartenais Valinco, à titre subsidiair...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... B..., M. G... A..., Mme J... B... épouse de Lesquen et M. C... de Lesquen ont demandé au tribunal administratif de Bastia, à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 24 décembre 2015 déclarant d'utilité publique les travaux de prélèvement et de dérivation des eaux au captage des sources de Ghjuvan Marcu et de Casale 1 et 2, instaurant des périmètres de protection et autorisant l'utilisation de l'eau en vue de la consommation humaine sur le territoire de la communauté de communes du Sartenais Valinco, à titre subsidiaire, d'annuler pour excès de pouvoir l'article 4-2 de cet arrêté instaurant un périmètre de protection rapprochée.

Par un jugement n° 1600308 du 15 février 2018, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 18MA01492 du 14 janvier 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par Mme B... et autres contre ce jugement.

Par une décision n° 439424 du 30 décembre 2021, le Conseil d'Etat a, d'une part, annulé cet arrêt en tant qu'il rejette les conclusions de Mme B... et autres dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Bastia du 15 février 2018 en tant qu'il rejette leurs conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 24 décembre 2015 en tant qu'il instaure un périmètre de protection rapprochée et, d'autre part, renvoyé l'affaire dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Marseille.

Procédure devant la Cour :

Par une lettre du 17 janvier 2022, la Cour a informé les parties de la possibilité pour elles de produire des observations à la suite de la décision de renvoi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 avril 2022, le ministre des solidarités et de la santé persiste dans ses écritures produites avant renvoi de l'affaire, en ajoutant que la mise en place d'un unique périmètre de protection immédiate est en l'espèce insuffisante pour assurer efficacement la protection des captages en cause contre une pollution par les pesticides.

Par des mémoires, enregistrés le 10 mai et le 20 juin 2022, Mme B..., Mme B..., épouse de Lesquen, M. de Lesquen, et Mme E... A... agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de ses enfants, I... et F..., représentés par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, persistent dans leurs précédentes conclusions, présentées avant renvoi de l'affaire.

Ils précisent que :

- l'arrêté en litige, pris en son article 4-2, n'est pas motivé en fait, et méconnaît donc l'exigence formelle qui s'impose à lui en ce qu'il porte atteinte à leur droit de propriété, impose des sujétions et constitue une mesure de police ;

- ce moyen de forme est recevable, puisque l'un des deux défendeurs a admis que les requérants avaient déjà exposé des moyens de légalité externe ;

- l'erreur de droit censurée par la décision du Conseil d'Etat en annulant l'arrêt de la Cour, affecte également le jugement attaqué qui ne pourra qu'être à son tour censuré ;

- en l'espèce, conformément à l'interprétation donnée par le Conseil d'Etat de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique, l'instauration d'un périmètre de protection rapprochée, sur plus de 60 hectares qui plus est, n'est ni nécessaire ni proportionnée, dans la mesure où la qualité de l'eau est bonne et tout à fait préservée, et s'avère ainsi entachée d'erreur d'appréciation, justifiant l'annulation totale de l'arrêté en litige, à tout le moins celle de son article 4-2 ;

- le " bilan des analyses Granace sur 10 ans " produit par le ministre en cause d'appel ne démontre ni la nécessité ni le caractère proportionné de la servitude, les prélèvements correspondants ayant été effectués sur des sites sans rapport avec les sources des requérants, alors que les terres couvertes par le périmètre en litige ne sont pas exploitées, de sorte que les pesticides qui y auraient été retrouvés sont sans lien avec ces terres et que, à supposer établi un risque de pollution aux pesticides, l'interdiction des activités notamment agricoles sur leurs terres est inutile ;

- le périmètre de protection rapprochée est d'autant moins justifié que le débit des sources en cause est très faible ;

- c'est à l'administration qu'il revient de démontrer la nécessité et le caractère proportionné du périmètre de protection rapprochée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2022, la communauté de communes du Sartenais Valinco Taravo (CCSVT), représentée par Me Celli, conclut dans le même sens que ses écritures présentées avant renvoi.

L'établissement public ajoute que :

- le moyen tiré du défaut de motivation en fait de l'arrêté en litige, au visa de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, est nouveau en appel et, par suite, irrecevable et, en tout état de cause, non fondé ;

- l'interprétation que les appelants donnent de la décision de renvoi et de ses motifs est erronée, dès lors que, en application des deux premiers alinéas de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique, dans sa version en vigueur au jour de l'arrêté en litige, l'acte de déclaration d'utilité publique doit par principe instaurer deux périmètres de protection, un périmètre de protection immédiate et un périmètre de protection rapprochée et peut, le cas échéant, en créer un troisième, le périmètre de protection éloignée ;

- les autres moyens d'appel ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 11 mai 2022 la clôture d'instruction a été fixée au 13 juin 2022, à 12 heures, puis reportée au 20 juin 2022 à 12 heures, par ordonnance du 13 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution du 4 octobre 1958, et notamment son préambule ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code de la santé publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

- la décision n° 2020-883 QPC du 12 février 2021.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- et les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 24 décembre 2015, le préfet de la Corse-du-Sud a déclaré d'utilité publique, au profit de la communauté de communes du Sartenais Valinco (CCSV), les travaux de dérivation des eaux des sources de Ghjuvan Marcu et de Casale 1 et 2, situées sur le territoire des communes de Foce-Bilzece et de Granace, à titre de régularisation, ainsi que l'instauration des périmètres de protection de ces points d'eau, a autorisé l'utilisation de l'eau de ces sources pour l'alimentation en eau potable de la CCSV et, enfin, a déclaré cessibles les parcelles nécessaires à la constitution du périmètre de protection immédiate. Par un jugement du 15 février 2018, le tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande de Mme H... B... et autres tendant à l'annulation de cet arrêté. Par un arrêt n° 18MA01492 du 14 janvier 2020, la Cour a rejeté l'appel de Mme B... et autres contre ce jugement. Mais par une décision n° 439424 du 30 décembre 2021, le Conseil d'Etat a, d'une part, annulé cet arrêt en tant qu'il rejette les conclusions de Mme B... et autres dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Bastia du 15 février 2018 en tant qu'il rejette leurs conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 24 décembre 2015 en tant qu'il instaure un périmètre de protection rapprochée et, d'autre part, renvoyé l'affaire dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Marseille.

Sur l'étendue du litige :

2. Par l'arrêté du 24 décembre 2015, le préfet de la Corse-du-Sud a, sur le fondement de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique, déclaré d'utilité publique les travaux de dérivation des eaux des sources de Ghjuvan Marcu et de Casale 1 et 2, situées sur le territoire des communes de Foce-Bilzece et de Granace, à titre de régularisation. En outre, conformément aux dispositions du même texte et au vu de l'enquête parcellaire à laquelle il a été procédé à cet effet, ledit arrêté a fixé les limites parcellaires, d'une part, du périmètre de protection immédiate de ces source, destiné à être acquis par la communauté de communes et, d'autre part, du périmètre de protection rapprochée des mêmes sources, faisant l'objet de diverses servitudes qu'il a définies. Ainsi, cet arrêté porte à la fois déclaration d'utilité publique, arrêté de cessibilité et institution de servitudes.

3. Il résulte du dispositif de la décision de renvoi précitée, ainsi que des motifs qui en sont le soutien nécessaire, que la Cour se trouve ressaisie des seules conclusions de Mme B... et autres relatives à l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 24 décembre 2015, pris en son article 4-2 en tant qu'il institue un périmètre de protection rapprochée et les servitudes d'intérêt général qui y sont attachées.

4. Il suit de là que les moyens des appelants qui consistent, d'une part, à remettre en cause la régularité de l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique, compte tenu de la composition du dossier d'enquête publique et des réponses données par le commissaire enquêteur aux observations de Mme B..., ainsi que l'utilité publique du projet, et d'autre part, à se plaindre de l'absence de notification à Mme B... et son fils de l'avis d'enquête publique et de l'arrêté en litige, qui ont été expressément écartés par la partie de l'arrêt de la Cour devenue irrévocable après la décision de cassation partielle du Conseil d'Etat, et qui ne se rattachent pas à l'arrêté litigieux en tant qu'il institue le périmètre de protection rapprochée et les servitudes y afférentes, sont sans incidence sur la solution du présent litige.

Sur les écritures présentées par MM. I... et F... A..., enfants de M. G... A... et son épouse :

5. Si, par un mémoire enregistré au greffe de la Cour le 15 octobre 2019, MM. I... et F... A..., agissant par l'intermédiaire de Mme A..., épouse de M. G... A... et représentante légale, ont déclaré intervenir volontairement au soutien de l'appel formé par Mme B... et autres, afin de reprendre l'instance d'appel également engagée par leur père, M. G... A..., décédé le 15 janvier 2019, ils doivent être regardés, en réalité, compte tenu de ces circonstances, comme ayant la qualité de partie appelante dans l'instance.

Sur la légalité de l'arrêté du 24 décembre 2015 en tant qu'il a instauré un périmètre de protection rapprochée :

En ce qui concerne la légalité externe :

6. Aux termes de l'alinéa 1er de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979, dont les dispositions ont été reprises au premier alinéa de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. ".

7. L'arrêté qui, en application des dispositions de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique, institue un périmètre de protection rapprochée et détermine lui-même les servitudes, applicables au sein de ce périmètre, interdisant ou réglementant toutes sortes d'installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux, sans se borner à permettre l'application d'une réglementation préexistante, revêt un caractère réglementaire. Ni l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 ni aucun autre texte ou principe n'imposent de motiver un tel arrêté, qui ne constitue pas une décision individuelle défavorable. Il s'ensuit que Mme B... et autres ne peuvent utilement se plaindre dans le dernier état de leurs écritures, en invoquant les dispositions de la loi du 11 juillet 1979, du défaut de motivation en fait de l'arrêté en litige.

En ce qui concerne la légalité interne :

S'agissant des règles de droit applicables à l'arrêté en litige :

8. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique : " En vue d'assurer la protection de la qualité des eaux, l'acte portant déclaration d'utilité publique des travaux de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines mentionné à l'article L. 215-13 du code de l'environnement détermine autour du point de prélèvement un périmètre de protection immédiate dont les terrains sont à acquérir en pleine propriété, un périmètre de protection rapprochée à l'intérieur duquel peuvent être interdits ou réglementés toutes sortes d'installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux et, le cas échéant, un périmètre de protection éloignée à l'intérieur duquel peuvent être réglementés les installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols et dépôts ci-dessus mentionnés. " Le deuxième alinéa de cet article, dans sa version en vigueur à la date d'édiction de l'arrêté contesté, prévoit toutefois que " Lorsque les conditions hydrologiques et hydrogéologiques permettent d'assurer efficacement la préservation de la qualité de l'eau par des mesures de protection limitées au voisinage immédiat du captage, l'acte portant déclaration d'utilité publique peut n'instaurer qu'un périmètre de protection immédiate. ". Le troisième alinéa, devenu aujourd'hui le cinquième alinéa, dispose que : " Lorsque des terrains situés dans un périmètre de protection immédiate appartiennent à une collectivité publique, il peut être dérogé à l'obligation d'acquérir les terrains visée au premier alinéa par l'établissement d'une convention de gestion entre la ou les collectivités publiques propriétaires et l'établissement public de coopération intercommunale ou la collectivité publique responsable du captage ".

9. Le paragraphe III de l'article 61 de la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé a notamment modifié le deuxième alinéa de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique et ajouté un troisième alinéa nouveau pour prévoir qu'il y a lieu d'instaurer un simple périmètre de protection immédiate lorsque les conditions hydrologiques et hydrogéologiques permettent d'assurer efficacement la préservation de la qualité de l'eau par des mesures de protection limitées au voisinage immédiat du captage ainsi qu'en cas de captages d'eau d'origine souterraine dont le débit exploité est inférieur, en moyenne annuelle, à 100 mètres cubes par jour. Si le paragraphe IX du même article 61 a précisé que ces nouvelles dispositions ne s'appliquaient pas aux captages d'eau pour lesquels un arrêté d'ouverture d'une enquête publique relative à l'instauration d'un périmètre de protection avait été publié à la date de publication de la loi, le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 2020-883 QPC du 12 février 2021 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les requérants, a déclaré inconstitutionnel ce paragraphe à compter de la publication de sa décision, applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date, au motif que, en faisant dépendre l'application du nouveau régime institué par le paragraphe III de l'existence ou non d'un arrêté d'ouverture d'une enquête publique relative à l'instauration d'un périmètre de protection à la date de publication de la loi, le législateur avait établi entre les propriétaires de terrains situés à proximité de captages d'eau une différence de traitement méconnaissant le principe d'égalité.

10. Il résulte de ce qui précède que si, eu égard aux effets de la décision du Conseil constitutionnel du 12 février 2021, les nouvelles dispositions de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique issues de la loi du 24 juillet 2019 s'appliquent à tous les actes portant déclaration d'utilité publique de travaux de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines pris postérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi, ces dispositions ne s'appliquent pas aux actes pris antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, et donc à l'arrêté en litige, contrairement à ce qu'affirment les appelants, dans le dernier état de leurs écritures, en renvoyant à ces dispositions pour se prévaloir du faible débit des sources concernées par le périmètre de protection en litige.

S'agissant des moyens d'appel :

11. En premier lieu, eu égard à l'office du juge d'appel, qui est appelé à statuer d'une part, sur la régularité de la décision des premiers juges et d'autre part, sur le litige qui a été porté devant eux, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait commis la même erreur de droit que celle ayant justifié la cassation partielle de l'arrêt de la Cour du 14 janvier 2020 est inopérant.

12. En deuxième lieu, il résulte des termes mêmes des deux premiers alinéas de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique que la possibilité pour l'autorité compétente de n'instaurer qu'un périmètre de protection immédiate autour du ou des points de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines n'est ouverte que si les conditions hydrologiques et hydrogéologiques permettent d'assurer efficacement la préservation de la qualité de l'eau par des mesures de protection limitées au voisinage immédiat du captage. C'est donc à tort que les appelants soutiennent, d'une part, que, compte tenu de l'atteinte au droit de propriété qui en résulte, le périmètre de protection rapprochée n'est nécessaire et légal que si les conditions hydrologiques et hydrogéologiques ne permettent pas d'assurer efficacement la préservation de la qualité de l'eau par des mesures de protection limitées au voisinage immédiat du captage, et d'autre part, qu'il revient à l'autorité administrative compétente pour instituer ce périmètre de rapporter la preuve de la nécessité du principe et de l'étendue de ce dernier.

13. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier, et plus spécialement du dossier d'enquête publique comportant le rapport du cabinet d'études techniques appliquées, que si compte tenu de la situation et de l'environnement des sources de Casale et de Ghjuvan Marcu, aucune pollution grave n'est susceptible de se produire malgré les trois types de risques de pollution existant dans le secteur et tenant à la divagation des animaux, au captage vraisemblablement très superficiel des trois sources, et à un mélange des eaux souterraines et eaux superficielles, ce même document souligne la vulnérabilité de l'aquifère à une pollution issue de la surface, liée à la constitution des terrains du bassin versant des sources et du captage, lesquels se caractérisent par un sol " squelettique et discontinu ", la présence d'un réseau de fissures, une altération du socle et la discontinuité de la nappe. Il résulte d'ailleurs du document intitulé " Bilan des analyses Granace sur 10 ans ", produit par le ministre au soutien de ses dernières écritures d'appel, issu, ainsi que ce document le précise lui-même, du système d'information du ministère chargé de la santé et de ses services en région et département dédié au stockage organisé de l'information sanitaire sur les eaux, et non sérieusement contesté par les appelants, qu'a pu être détectée une pollution aux pesticides en 2011 et en 2013 aux sources Casale 1 et 2, et en 2011 à la source Giovan Marcu. En outre, les pièces du dossier montrent que c'est après traitement que l'eau brute issue de ces sources est conforme aux normes en vigueur et susceptible d'être proposée à la consommation humaine. Dans ces conditions qui mettent au jour une vulnérabilité des sols à une pollution de surface sur l'étendue du périmètre de protection rapprochée en litige, soit quelque 62 hectares, il ne ressort pas des éléments de l'instance que la seule institution, par l'arrêté attaqué, sur la parcelle B 24, d'abord d'un périmètre de protection immédiate autour de la source Ghjuvan Marcu, d'une contenance de 440 m2 et clôturé, dont la maîtrise foncière doit revenir à la communauté de communes, et ensuite, de périmètres de protection de même nature autour des deux autres sources, sur 1 280 m2 chacun, permettrait de garantir efficacement la préservation de la qualité de l'eau par des mesures de protection limitées au voisinage immédiat du captage, comme le soutiennent les appelants.

14. En quatrième lieu, compte tenu des finalités poursuivies par l'arrêté en litige, de la vulnérabilité des sols concernés par le périmètre de protection rapprochée à la pollution de surface et de la proximité des sources concernées, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en assortissant ce périmètre de mesures propres à prévenir des risques de pollution, liés à l'activité agricole, ainsi qu'à l'entretien des parcelles de nature agricole et forestière, sur une superficie de près de 62 hectares, le préfet aurait édicté des servitudes qui ne seraient pas nécessaires ou qui seraient inadaptées aux buts en vue desquels elles ont été instituées. La circonstance que les parcelles ainsi grevées de ces servitudes, dont la vocation agricole n'est pas contestée, ne seraient plus exploitées depuis longtemps, n'est pas de nature à remettre en cause le principe et l'étendue du périmètre en litige. Le moyen tiré de l'erreur d'appréciation ne peut donc être accueilli.

15. En dernier lieu, et d'une part, Mme B... et autres ne peuvent utilement prétendre, sur le fondement des dispositions de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et de citoyen, que l'arrêté en litige porterait une atteinte excessive à leur droit de propriété dès lors que celui-ci, en ce qu'il institue un périmètre de protection rapprochée et crée des servitudes d'intérêt général, n'emporte aucune privation de propriété.

16. D'autre part, la protection de la qualité des eaux destinées à l'alimentation des collectivités humaines constitue un objectif d'intérêt général qui justifie l'institution de servitudes publiques, consistant en l'interdiction ou la réglementation de toutes sortes d'installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux, sur des terrains situés de manière rapprochée par rapport au point de prélèvement, en vue de constituer le périmètre de protection rapprochée d'une superficie plus importante que celle du périmètre de protection immédiate. En se bornant à dénoncer, sans autre précision, l'ampleur du périmètre de protection rapprochée, d'une contenance de 62 hectares, ainsi que le nombre des restrictions et interdictions qui y sont attachées, et le défaut de justification de chacune d'elles, les appelants, qui admettent eux-mêmes que leurs parcelles ne sont plus exploitées, ne justifient pas que l'atteinte ainsi portée à leur droit de propriété, même constitué par les sources d'eau elles-mêmes dont ils n'indiquent pas faire un usage déterminé, serait excessive au regard des buts en vue desquels elles ont été édictées, notamment la volonté d'éviter la détérioration de la qualité de l'eau par le phénomène de migration souterraine de substances polluantes. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... et autres ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 24 décembre 2015 en tant qu'il institue un périmètre de protection rapprochée et les servitudes y attachées.

Sur les frais liés au litige :

18. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à chaque partie la charge de ses frais d'instance.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... et autres est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la communauté de communes du Sartenais Valinco Taravo présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administratives sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... B..., Mme J... B... épouse de Lesquen, M. C... de Lesquen, Mme E... A... et MM. Antoine-Marc A... et F... A..., au ministre de la santé et de la prévention et à la communauté de communes du Sartenais Valinco.

Copie en sera adressée au président du conseil exécutif de la collectivité de Corse.

Délibéré après l'audience du 20 septembre 2022, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 octobre 2022.

N° 22MA000322


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA00032
Date de la décision : 12/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Expropriation pour cause d'utilité publique - Notions générales - Notion d'utilité publique - Existence - Eaux.

Expropriation pour cause d'utilité publique - Règles générales de la procédure normale.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : CELLI

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-10-12;22ma00032 ?
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