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17/01/2023 | FRANCE | N°21VE00256

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 17 janvier 2023, 21VE00256


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle la Banque de France a rejeté sa demande de requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, d'autre part, d'enjoindre à la Banque de France de procéder à la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à compter de la date d'effet de ce contrat, à savoir le 22 juillet 2013, et à défaut de réexaminer son

dossier sous astreinte de 200 euros par jour de retard, et enfin de condamner la Banque ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle la Banque de France a rejeté sa demande de requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, d'autre part, d'enjoindre à la Banque de France de procéder à la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à compter de la date d'effet de ce contrat, à savoir le 22 juillet 2013, et à défaut de réexaminer son dossier sous astreinte de 200 euros par jour de retard, et enfin de condamner la Banque de France à lui verser une indemnité de requalification qui ne saurait être inférieure à un mois de traitement, soit 1 641,75 euros, avec intérêts de droit à compter du dépôt de sa demande préalable.

Par un jugement n° 1806843 du 30 novembre 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 29 janvier 2021, M. C... B..., représenté par la S.E.L.A.F.A. Cabinet Cassel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la Banque de France a rejeté sa demande du 26 mai 2018 tendant à la requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ;

3°) d'enjoindre à la Banque de France, à titre principal, de procéder à la requalification du contrat à durée déterminée conclu le 17 juillet 2013 en contrat à durée indéterminée à compter du 22 juillet 2013, date de prise d'effet de ce contrat, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, sous astreinte de deux cents euros par jour de retard à compter du présent arrêt ;

4°) de condamner la Banque de France à lui verser une indemnité de requalification qui ne saurait être inférieure à un mois de traitement, soit 1 641,75 euros, avec intérêts de droit à compter du dépôt de sa demande préalable ;

5°) de condamner la Banque de France à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il aurait dû être recruté sous contrat à durée indéterminée, l'absence de l'agent qu'il a remplacé n'étant pas temporaire au sens du 1° de l'article L. 1242-2 du code du travail ;

- son contrat a excédé les durées légales prévues à l'article L. 1242-8-1 du code du travail ;

- il incombe à l'employeur d'établir la cessation définitive d'activité de l'agent remplacé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 avril 2021, la Banque de France conclut au rejet de la requête et à ce que M. B... soit condamné à lui verser une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code monétaire et financier ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique,

- et les observations de Me Delvolve, pour la Banque de France.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... B... a été recruté par la Banque de France à compter du 22 juillet 2013 en qualité d'agent de surveillance, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée signé le 17 juillet 2013. Par un courrier du 26 mai 2018, reçu le 31 mai suivant, M. B... a présenté une demande de requalification de ce contrat en contrat à durée indéterminée, à laquelle il a été opposée une décision implicite de rejet. M. B... fait appel du jugement du 30 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision implicite par laquelle son employeur a rejeté sa demande de requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, d'autre part, à la requalification de ce contrat en contrat à durée indéterminée, et à la condamnation de la Banque de France à lui verser une indemnité de requalification de son contrat.

Sur la demande de requalification du contrat de travail :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 142-1 du code monétaire et financier : " La Banque de France est une institution dont le capital appartient à l'Etat ". Aux termes de l'article L. 142-9 du même code : " (...) Le conseil général de la Banque de France détermine, dans les conditions prévues par le troisième alinéa de l'article L. 142-2, les règles applicables aux agents de la Banque de France dans les domaines où les dispositions du code du travail sont incompatibles avec le statut ou avec les missions de service public dont elle est chargée. (...) ". Il résulte de ces dispositions que la Banque de France constitue une personne publique chargée par la loi de missions de service public, qui n'a pas cependant le caractère d'un établissement public, mais revêt une nature particulière et présente des caractéristiques propres. Au nombre de ces caractéristiques figure l'application à son personnel des dispositions du code du travail qui ne sont incompatibles ni avec son statut, ni avec les missions de service public dont elle est chargée.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 1242-2 du code du travail : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants : 1° Remplacement d'un salarié en cas : a) D'absence (...) ". Il résulte de ces dispositions que le contrat de travail à durée déterminée étant dérogatoire au droit commun, il appartient à l'employeur, en cas de contestation, de justifier, sous le contrôle du juge, de la réalité et de la légalité du motif du recours à ce type de contrat. Ces dispositions, qui ne sont incompatibles ni avec le statut de la Banque de France, ni avec les missions de service public dont elle est chargée, sont applicables au contrat en litige.

4. Enfin, aux termes de l'article L. 1242-7 du code du travail, dans sa version applicable en l'espèce : " Le contrat de travail à durée déterminée comporte un terme fixé avec précision dès sa conclusion. Toutefois, le contrat peut ne pas comporter de terme précis lorsqu'il est conclu dans l'un des cas suivants : 1° Remplacement d'un salarié absent (...) Le contrat de travail à durée déterminée est alors conclu pour une durée minimale. Il a pour terme la fin de l'absence de la personne remplacée ou la réalisation de l'objet pour lequel il a été conclu ". Aux termes de l'article L. 1242-8 du code du travail, dans sa version applicable au litige : " La durée totale du contrat de travail à durée déterminée ne peut excéder dix-huit mois compte tenu, le cas échéant, du renouvellement intervenant dans les conditions prévues à l'article L. 1243-13. / (...) Ces dispositions ne sont pas applicables au contrat de travail à durée déterminée conclu en application de l'article L. 1242-3. ". S'agissant des contrats conclus pour le remplacement d'un salarié temporairement absent, l'article L. 1243-7 du même code dispose : " Lorsque le contrat de travail à durée déterminée est conclu pour remplacer un salarié temporairement absent ou dont le contrat de travail est suspendu ou pour un remplacement effectué au titre des 4° et 5° de l'article L. 1242-2, le terme du contrat initialement fixé peut être reporté jusqu'au surlendemain du jour où la personne remplacée reprend son emploi. ". L'article L. 1243-5 du même code, dans sa version alors applicable, précise : " Le contrat de travail à durée déterminée cesse de plein droit à l'échéance du terme. (...). ". L'article L. 1244-1 de ce code dispose : " Les dispositions de l'article L. 1243-11 ne font pas obstacle à la conclusion de contrats de travail à durée déterminée successifs avec le même salarié lorsque le contrat est conclu dans l'un des cas suivants : / 1° Remplacement d'un salarié absent ; (...) ".

5. Il résulte de la combinaison des dispositions du code du travail citées au point précédent que le contrat de travail à durée déterminée conclu pour le remplacement d'un salarié absent, qui, faute de terme précis, trouve son terme avec la fin de l'absence du salarié remplacé, s'il peut être renouvelé, ne peut en revanche excéder la durée de dix-huit mois prévue par les dispositions de l'article L. 1242-8 du code du travail.

6. Il résulte de l'instruction, notamment des articles 1 et 2 du contrat conclu entre les parties le 17 juillet 2013, que M. B... a été recruté en qualité d'agent de surveillance à la succursale d'Evry de la Banque de France, " en remplacement de M. D... E..., agent de surveillance mis à la disposition d'une instance sociale ". Ce contrat, qui a été conclu pour une durée déterminée, avec prise d'effet à compter du 22 juillet 2013 et pour une durée minimale de six mois, précise explicitement qu'il " prendra fin automatiquement à l'issue de la mise à disposition de M. D... E.... ". Ainsi, ce contrat ne comportait pas de terme précis. Par ailleurs, il est justifié par les pièces produites au dossier que M. D..., qui avait en principe vocation à réintégrer son emploi au sein de la succursale d'Evry à l'issue de sa mise à disposition, a pris sa retraite le 1er septembre 2018, sans reprendre son poste. Cette circonstance a mis fin au contrat de travail de M. B..., par application des dispositions précitées de l'article L. 1242-7 du code du travail, après plus de cinq années d'exécution, sans que le contrat à durée déterminée de l'intéressé n'ait à aucun moment été renouvelé ainsi que le prévoient les dispositions de l'article L. 1244-1 du code du travail. Dans ces conditions, M. B... est fondé à soutenir que l'unique contrat à durée déterminée qu'il a conclu avec la Banque de France a excédé la durée maximale de dix-huit mois fixée par l'article L. 1242-8 du code du travail.

7. Aux termes de l'article L. 1245-1 du même code : " Est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance des dispositions des articles L. 1242-1 à L. 1242-4, (...) L. 1242-8, (...) ".

8. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que la Banque de France a illégalement employé M. B... dans le cadre d'un contrat à durée déterminée. En application des dispositions précitées de l'article L. 1245-1 du code du travail, il y a lieu, ainsi que le demande le requérant, de requalifier le lien contractuel unissant ce dernier à la Banque de France en contrat à durée indéterminée. Par suite, la décision par laquelle la Banque de France a implicitement refusé de faire droit à la demande de requalification qui lui a été adressée par l'intéressé le 26 mai 2018 doit être annulée.

Sur l'octroi d'une indemnité de requalification :

9. Aux termes de l'article L. 1245-2 du code du travail : " Lorsque le conseil de prud'hommes est saisi d'une demande de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, l'affaire est directement portée devant le bureau de jugement qui statue au fond dans un délai d'un mois suivant sa saisine. Lorsque le conseil de prud'hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l'employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire (...) ".

10. Les dispositions de l'article L. 1245-2 du code précité n'étant incompatibles ni avec le statut du personnel de la Banque de France, ni avec les missions de service public dont elle est en charge, sont applicables à M. B.... Par suite, il convient de condamner la Banque de France à verser au requérant la somme de 1 524,89 euros correspondant au montant du salaire mensuel brut figurant dans le contrat de travail, l'intéressé ne justifiant pas avoir effectivement perçu un montant supérieur de rémunération. Cette somme doit être assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2018, date de réception de la demande préalable de M. B... du 26 mai 2018.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Banque de France la somme de 1 500 euros à verser à M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1806843 du 30 novembre 2020 du tribunal administratif de Versailles est annulé.

Article 2 : La décision implicite de refus née du silence gardé par la Banque de France sur la demande de M. B... du 26 mai 2018 tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée est annulée.

Article 3 : La Banque de France versera à M. B... la somme de 1 524,89 euros, à titre d'indemnité de requalification de son contrat, assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2018.

Article 4 : La Banque de France versera une somme de 1 500 euros à M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées par la Banque de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à la Banque de France.

Délibéré après l'audience du 16 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

Mme Bonfils, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 janvier 2023.

La rapporteure,

M.-G. A...Le président,

S. BROTONSLa greffière,

S. de SOUSA

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 21VE00256 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE00256
Date de la décision : 17/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Marie-Gaëlle BONFILS
Rapporteur public ?: Mme VISEUR-FERRÉ
Avocat(s) : SELAFA CABINET CASSEL

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-01-17;21ve00256 ?
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