Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Compagnie Plastic Omnium (CPO) SE a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer le rétablissement, à hauteur d'une somme de 18 435 612 euros, du déficit du résultat d'ensemble de son groupe fiscalement intégré au titre de l'exercice clos en 2015.
Par un jugement n° 1808706 du 11 février 2021, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par un recours et un mémoire, enregistrés les 3 juin et 8 novembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 1808706 rendu le 11 février 2021 par le tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de prononcer la réintégration de la somme de 18 435 612 euros dans les résultats imposables de la SA CPO au titre de l'exercice clos en 2015 ;
3°) de réformer en ce sens le jugement attaqué.
Il soutient que :
- l'exclusion d'une filiale non résidente du périmètre de l'intégration fiscale française est compatible avec la liberté d'établissement ; par suite, le groupe français ne peut imputer sur ses résultats d'ensemble les pertes de cette filiale, d'autant que les conditions d'imputation prévues par le régime d'intégration fiscale français ne sont pas remplies en l'espèce ; en jugeant le contraire, le tribunal a entaché sa décision d'erreur de droit ;
- en tout état de cause, les pertes de la filiale belge POA NV ne revêtent pas, en l'espèce, un caractère définitif, dès lors qu'elles découlent de reports opérés sur plusieurs exercices, que les restrictions au transfert de pertes découlant d'une décision de l'Etat de résidence de la filiale sont sans incidence sur le caractère définitif des pertes et que la preuve de l'impossibilité de valoriser ces pertes avant la liquidation n'est pas rapportée ; en jugeant le contraire, le tribunal a entaché sa décision de dénaturation, d'erreur de droit et d'erreur de qualification juridique des faits.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 octobre 2021, la société Compagnie Plastic Omnium SE, représentée par Me Rontani et Me Cadet, avocats, conclut au rejet du recours du ministre.
Elle soutient que les moyens du ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marjanovic ;
- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société de droit français, Plastic Omnium Auto Exteriors SA, détenait depuis l'année 1997 la société de droit belge Plastic Omnium Automotive NV, qui exploitait à Herentals, dans le Royaume de Belgique, une usine de fabrication de pare-chocs approvisionnant principalement, à hauteur de 8 % de son chiffre d'affaires, l'usine du constructeur automobile Opel située à Anvers, dans la même province belge. A la suite de la liquidation de la société Plastic Omnium Automotive NV, intervenue le 22 décembre 2015, la société Compagnie Plastic Omnium SE (CPO), tête du groupe fiscalement intégré auquel appartient la société Plastic Omnium Auto Exteriors SA, a porté en déduction des résultats d'ensemble du groupe au titre de l'exercice clos en 2015, une somme de 18 435 612 euros, correspondant, ainsi qu'exposé dans la mention expresse annexée à sa déclaration de résultats, aux pertes définitives, au sens du point 55 de l'arrêt Marks et Spencer (affaire C-446/03) du 13 décembre 2005 de la Cour de justice des communautés européennes, subies par sa sous-filiale belge. A la suite d'un contrôle sur pièces de son dossier, l'administration fiscale lui a notifié, par proposition de rectification du 16 mai 2017, la remise en cause de cette imputation, sur le fondement des dispositions des articles 209 et 223 A du code général des impôts, avec pour effet de porter de 30 314 261 euros à 11 878 649 euros le montant du déficit reportable déclaré par le groupe. Par un jugement du 11 février 2021, le tribunal administratif de Montreuil, sur demande de la société CPO, lui a accordé " la décharge du rehaussement de sa base imposable d'un montant de 18 435 612 euros " au titre de l'exercice clos en 2015. Par le présent recours, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande régulièrement à la Cour d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement et de prononcer la réintégration de la somme de 18 435 612 euros dans les résultats imposables de la société CPO au titre de l'exercice clos en 2015.
2. D'une part, dans le cadre de l'effet dévolutif, le juge d'appel, qui est saisi du litige, se prononce non sur les motifs du jugement de première instance mais directement sur les moyens mettant en cause la régularité et le bien-fondé des impositions en litige. Par suite, les moyens tirés de ce que le jugement attaqué serait entaché d'erreurs de droit, de dénaturation des pièces du dossier et d'erreur de qualification juridique des faits ne peuvent utilement être invoqués au soutien des conclusions à fin d'annulation dudit jugement.
3. D'autre part, l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, stipule que : " Dans le cadre des dispositions visées ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre. La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 48, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux ". Selon l'article 48 du même traité, devenu l'article 54 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Les sociétés constituées en conformité de la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de la Communauté sont assimilées, pour l'application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des États membres ".
4. Si, dans son arrêt du 25 février 2010 X Holding BV (affaire C-337/08), la Cour de justice de l'Union européenne a interprété ces stipulations comme ne s'opposant pas par principe, au regard de la nécessité de préserver la répartition du pouvoir d'imposition entre les Etats membres, à la législation d'un Etat membre qui ouvre la possibilité, pour une société mère, de constituer une entité fiscale unique avec ses seules filiales résidentes, à l'exclusion des filiales non-résidentes, dès lors que les bénéfices de celles-ci ne sont pas soumis à la loi fiscale de cet Etat membre, la restriction à la liberté d'établissement qui en découle doit cependant, sous réserve du cas où les limitations à la déduction des pertes subies dans l'Etat de résidence de la filiale procèderaient uniquement de la législation applicable dans cet Etat, être regardée, à la lumière des points 55 à 64 de l'arrêt A/S Bevola, Jens W. Trock ApS c/ Skatteministeriet (affaire C-650/16) du 12 juin 2018 et du point 56 de l'arrêt Marks et Spencer précité, comme disproportionnée dans le cas où les autorités fiscales de l'Etat de résidence de la société mère s'appuient sur la législation dudit Etat pour refuser à cette dernière la déduction de pertes définitives, telles que définies au point 55 du même arrêt, subies par une filiale non résidente. Par ailleurs, s'il s'évince des points 25 à 33 de l'arrêt Skatteverket c/ Holmen AB (affaire C-608/17) du 19 juin 2019 que la notion de pertes définitives d'une filiale non-résidente, au sens du point 55 de l'arrêt Marks et Spencer, ne s'applique pas, en principe, à une sous-filiale, il en va toutefois différemment dans le cas où, comme en l'espèce, la société s'interposant entre la sous-filiale et la société mère demandant un dégrèvement de groupe est résidente du même Etat que cette dernière.
5. Il s'ensuit, en premier lieu, que le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'est pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article 223 A du code général des impôts, qui excluent les filiales non-résidentes du champ du régime de l'intégration fiscale, lequel constitue l'unique dispositif national permettant l'imputation sur les résultats d'une société mère de pertes subies par ses filiales, feraient par principe obstacle à la déduction en France de pertes subies par une filiale non-résidente, y compris dans l'hypothèse où elles entreraient dans les prévisions du point 55 de l'arrêt Marks et Spencer précité, à savoir lorsqu'il est démontré, d'une part, que cette filiale a épuisé les possibilités de prise en compte des pertes qui existent dans son Etat de résidence au titre de l'exercice fiscal concerné par la demande de dégrèvement ainsi que des exercices fiscaux antérieurs, le cas échéant au moyen d'un transfert de ces pertes à un tiers ou de l'imputation desdites pertes sur des bénéfices réalisés par la filiale au cours d'exercices antérieurs, et, d'autre part, qu'il n'existe pas de possibilité pour que les pertes de la filiale étrangère puissent être prises en compte dans son Etat de résidence au titre des exercices futurs soit par elle-même, soit par un tiers, notamment en cas de cession de la filiale à celui-ci. En outre, et dès lors qu'il s'évince du point 56 du même arrêt Marks et Spencer précité que le droit reconnu à la société mère de déduire les pertes de ses filiales non-résidentes qui remplissent les conditions rappelées ci-dessus découle directement des stipulations précitées des articles 49 et 54 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le ministre de l'économie, des finances et de la relance ne peut utilement s'opposer à la déduction des pertes en litige en excipant de la circonstance qu'elles ne répondraient pas aux conditions d'imputation applicables dans le cadre du régime français d'intégration fiscale, notamment s'agissant de l'impossibilité de déduire des déficits subis avant l'entrée dans le groupe fiscalement intégré.
6. En deuxième lieu, il s'évince des points 41 à 45 de l'arrêt Skatteverket c/ Holmen AB précité que la circonstance que les pertes constatées lors de la liquidation trouveraient leur origine dans des exercices antérieurs est sans incidence sur leur caractère définitif ou non à cette date, pour l'application de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et ce quand bien même elles n'auraient pas été regardées comme définitives à la clôture de l'un ou l'autre de ces exercices. Par suite, le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'est pas fondé à soutenir que les pertes litigieuses de la sous-filiale Plastic Omnium Automotive NV ne revêtiraient pas un caractère définitif, au sens du point 55 de l'arrêt Marks et Spencer précité, au motif qu'elles résultent d'un déficit d'exploitation cumulé depuis l'exercice clos en 2010 et reporté jusqu'à sa liquidation le 22 décembre 2015.
7. En troisième lieu, si les dispositions de l'article 207 du code des impôts sur le revenu applicable dans le Royaume de Belgique prévoient que les pertes professionnelles antérieures ne sont pas déductibles des bénéfices imposables de la période au cours de laquelle intervient une prise ou un changement du contrôle d'une société, ni d'aucune autre période imposable ultérieure, ces dispositions ne visent que les modifications du contrôle d'une société qui ne répondent pas à des " besoins légitimes de caractère financier ou économique ". Ainsi, elles ne font obstacle à l'imputation de pertes antérieures que dans l'hypothèse où l'acquisition d'une société procèderait de considérations exclusivement fiscales. Par suite, et dès lors qu'aucun élément de l'instruction ne permet de considérer que le report de pertes en litige aurait procédé de telles considérations, et contrairement à ce que soutient le ministre de l'économie, des finances et de la relance, lesdites dispositions sont sans incidence sur l'appréciation du caractère définitif des pertes litigieuses de la sous-filiale Plastic Omnium Automotive NV, qui ne peuvent être regardées comme procédant de l'effet de la loi fiscale belge.
8. Enfin, si les points 42 et 43 de l'arrêt Skatteverket c/ Holmen AB (affaire C-608/17) et 30 et 31 de l'arrêt Skatteverket c/ Memira Holding AB (affaire C-607/17), rendus tous deux le 19 juin 2019, précisent que, dans l'hypothèse où une cession de la filiale non-résidente est effectuée ou envisagée avant sa liquidation, il appartient à la société mère qui entend déduire les pertes définitives de cette filiale de justifier, outre que les autres conditions mentionnées au point 55 de l'arrêt Marks et Spencer sont par ailleurs réunies, de l'impossiblité que ces pertes soient utilisées par un tiers, notamment dans le cas où la cession serait opérée à un prix intégrant la valeur fiscale desdites pertes, cette exigence n'a d'autre objet que de permettre d'exclure tout risque de double déduction des pertes concernées, et non d'imposer à la société mère de démontrer qu'il lui était impossible de les céder à un tiers avant la liquidation de sa filiale. Dès lors, le moyen tiré par le ministre de l'économie, des finances et de la relance de ce que la société CPO ne rapporterait pas la preuve de l'impossibilité " absolue " de valoriser les pertes de sa sous-filiale en les cédant à un tiers est inopérant et doit être écarté comme tel. En tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que la société Plastic Omnium Automotive NV, dissoute en 2015, et qui ne disposait plus d'aucun élément d'actif, aurait pu faire l'objet d'une reprise ou d'une transformation de nature à permettre le transfert ou le report des pertes en litige, lesquelles doivent dès lors être regardées comme définitives.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance, par les moyens qu'il soulève, n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande de la société Compagnie Plastic Omnium SE.
D E C I D E :
Article 1er : Le recours du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejeté.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société Compagnie Plastic Omnium SE.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Marjanovic, président assesseur,
- Mme Boizot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 15 décembre 2023.
Le rapporteur,
V. MARJANOVICLe président,
S. CARRERE
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA03001