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15/11/2022 | FRANCE | N°21NT03492

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 15 novembre 2022, 21NT03492


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

- Sous le n° 1903689, M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, d'annuler les décisions des 22 janvier et 18 mai 2019 par lesquelles la directrice générale de l'... a prononcé sa suspension temporaire de fonctions et a rejeté implicitement son recours gracieux et, d'autre part, de mettre à la charge de l'établissement une somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

- Sous le n°1904551, M. A... C... a demandé au tribunal

administratif de Rennes, d'une part, d'annuler la décision du 5 juillet 2019 p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

- Sous le n° 1903689, M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, d'annuler les décisions des 22 janvier et 18 mai 2019 par lesquelles la directrice générale de l'... a prononcé sa suspension temporaire de fonctions et a rejeté implicitement son recours gracieux et, d'autre part, de mettre à la charge de l'établissement une somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

- Sous le n°1904551, M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, d'annuler la décision du 5 juillet 2019 par laquelle la directrice générale de ...) a prononcé son licenciement pour insuffisance professionnelle et, d'autre part, de mettre à la charge de l'établissement une somme de 6000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

- Sous le n° 2003626, M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, de condamner ...) à lui verser les sommes de 200 000 euros au titre de sa perte de chance d'achever une carrière dans le secteur public, à l'issue de son licenciement illégal, de 12 000 euros au titre du préjudice tenant à sa difficulté de reclassement professionnel, compte tenu de son âge et du refus du droit à formation qu'il a subi et de 30 000 euros, au titre du préjudice moral subi résultant de son licenciement " abusif et vexatoire " et, d'autre part, de mettre à la charge de l'établissement une somme de 3000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Par un jugement nos 1903689, 1904551, 2003626 du 11 octobre 2021, le tribunal administratif de Rennes a annulé, tout d'abord, les décisions des 22 janvier et 18 mai 2019 par lesquelles la directrice générale de ...) a prononcé la suspension temporaire de fonctions de M. C... et a rejeté implicitement son recours gracieux (article 1er), ensuite, la décision du 5 juillet 2019 de la directrice générale de l'... prononçant son licenciement pour insuffisance professionnelle (article 2), enfin a mis à la charge de ... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des requêtes de M. C... (articles 3 et 4).

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires ou en production de pièces, enregistrés les 13 décembre 2021, 6 mars 2022, 9 et 28 août 2022 et 4 et 5 septembre 2022, M. C... représenté par Me Leclercq, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement nos 1903689, 1904551, 2003626 du 11 octobre 2021 en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner l'... à lui verser les sommes, d'une part, de 58 868,84 euros au titre de l'indemnisation du préjudice résultant du refus de réintégration et du défaut de versement des traitements dus depuis le mois de septembre 2019, d'autre part, à compter du 1er juillet 2022, la somme de 1712 euros à titre de rémunération mensuelle.

3°) de condamner ...) à lui verser les sommes de 200 000 euros au titre du préjudice résultant de sa perte de chance d'achever une carrière dans le secteur public, à l'issue de son licenciement illégal, de 24 000 euros au titre du préjudice tenant à sa difficulté de reclassement professionnel, compte tenu de son âge et du refus du droit à formation qu'il a subi, de 80 000 euros, au titre du préjudice moral subi résultant de son licenciement " abusif et vexatoire " ;

4°) de juger que les sommes précédentes mises à la charge de ...) porteront intérêts et capitalisation ;

5°) de prescrire à ...) de procéder au paiement de la somme totale à laquelle il peut prétendre dans un délai d'un mois suivant la date de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard à liquider au terme d'un délai de 90 jours suivant l'expiration du premier délai ;

6°) de mettre à la charge de ...) une somme de 6000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les conclusions d'appel incident qui tendent à remettre en cause l'appréciation du tribunal sur la légalité des décisions des 22 janvier et 18 mai 2019 de sa suspension puis de son licenciement pour insuffisance professionnelle sont irrecevables ;

- le jugement attaqué qui n'est pas motivé sur la caractérisation de l'insuffisance professionnelle qui lui est reprochée, est entaché d'irrégularité ;

- que sur le fond, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la décision du 5 juillet 2019 de la directrice générale de ... prononçant son licenciement pour insuffisance professionnelle, bien qu'intervenue sur une procédure irrégulière, était justifiée ;

- les fonctions qu'il lui a été demandé d'accomplir sont étrangères à celles figurant sur sa fiche de poste et ne peuvent être retenues au titre d'une quelconque insuffisance professionnelle ; ainsi du nettoyage des sanitaires, de la distribution des outils et des postes de propreté des pensionnaires, de l'encadrement de ces derniers à la place de certains moniteurs défaillants et de l'inspection du dortoir des filles ; sa fiche de poste excluait des travaux tels que ceux qui lui ont été imposés et sur l'accomplissement desquels ... comme le jugement attaqué se sont fondés pour retenir une insuffisance professionnelle ; les griefs retenus sont en rapport avec des tâches étrangères à ses fonctions telles qu'elles sont énoncées dans sa fiche de poste ;

- qu'il est victime d'une discrimination dans l'accès à la formation, la décision du 5 juillet 2019 méconnaissant l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 ; alors qu'il disposait déjà d'une formation en électricité, il a fait l'objet d'une discrimination dans l'accès à une formation complémentaire par le refus de ... de lui permettre de suivre cette formation en un lieu non éloigné ;

- il est victime de harcèlement moral ;

- il conteste son inaptitude professionnelle alors qu'il lui a été demandé d'accomplir des tâches étrangères à sa fiche de poste telle qu'elle résulte de l'avenant de 2012 à son CDI ; la décision contestée est entachée d'un vice de procédure ; il s'agit en réalité d'une sanction disciplinaire déguisée en licenciement pour insuffisance professionnelle.

Par un mémoire en défense et d'appel incident, enregistré le 31 août 2022, ...), représenté par Me Bertrand, conclut :

- au rejet de la requête de M. C... ;

- par la voie de l'appel incident à l'annulation du jugement du 11 octobre 2021 en tant qu'il a annulé les décisions des 22 janvier et 18 mai 2019 par lesquelles la directrice générale de ... a suspendu M. C... et a prononcé son licenciement pour insuffisance professionnelle ;

- et demande à la cour de mettre à la charge de M. C... une somme de 3000 euros à verser à ... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés et que le tribunal a commis une erreur d'appréciation en estimant que la décision du 18 mai 2019 prononçant le licenciement pour insuffisance professionnelle était entachée d'illégalité pour méconnaissance des droits de la défense.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré du litige distinct constitué en l'espèce par les conclusions présentées comme un appel incident.

Un mémoire en réponse au moyen relevé d'office a été présenté le 17 octobre 2022 pour l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi.

Un mémoire en réponse au moyen relevé d'office a été présenté le 17 octobre 2022 pour M. C....

Vu :

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n°86-83 du 17 janvier 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique,

- et les observations de Me Leclercq, représentant M. C..., et de Me Bichy substituant Me Bertrand, représentant ...).

Une note en délibéré, enregistrée le 25 octobre 2022, a été produite pour l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... a intégré le 20 novembre 2006 ...) - centre de ... dans les ... -, qui est un établissement public administratif de l'Etat, en qualité de moniteur chef de groupe sur la base d'un contrat qui a été renouvelé jusqu'au 19 novembre 2012. Par un avenant à son contrat du 1er avril 2010, il a été affecté sur le poste de gestionnaire HCCA (habillement, campement, couchage, ameublement). Cet agent a ensuite, le 20 novembre 2012, vu son contrat transformé en un contrat à durée indéterminée sur le même poste. A compter du 1er août 2015, en raison d'une réorganisation des centres et de la suppression du poste de gestionnaire de matériel, M. C... a été affecté sur le poste d'agent de maintenance. M. C... a été suspendu de ses fonctions par une décision du 22 janvier 2019 de la directrice générale de cet établissement, mesure qui est restée sans suite disciplinaire. Son recours gracieux a été rejeté implicitement. Enfin, par une décision du 5 juillet 2019 de la même autorité, son licenciement pour inaptitude professionnelle a été prononcé.

2. Sous les nos 1903689 et 1904551, M. C... a, les 17 juillet et 8 septembre 2019, respectivement demandé au tribunal administratif de Rennes, d'annuler les décisions de suspension puis de licenciement prises à son encontre. Sous le n° 2003626, il a également saisi cette juridiction d'une demande tendant à la condamnation de ... à lui verser la somme de 200 000 euros au titre de sa perte de chance d'achever une carrière dans le secteur public, de 12 000 euros au titre du préjudice tenant à la difficulté, compte tenu de son âge et du refus du droit à formation qu'il a subi, de reclassement professionnel et enfin la somme de 30 000 euros au titre du préjudice moral subi résultant de son licenciement " abusif et vexatoire ". Dans chacune de ces instances, il a respectivement demandé le versement des sommes de 1800 euros, 6000 euros et 3000 euros au titre des frais d'instance engagés.

3. Après jonction, le tribunal administratif de Rennes a, par un jugement nos 1903689, 1904551, 2003626 du 11 octobre 2021, d'une part, annulé pour vice de procédure les décisions des 22 janvier et 18 mai 2019 par lesquelles la directrice générale de ... a prononcé la suspension temporaire de fonctions de M. C... et rejeté implicitement son recours gracieux (article 1er), ainsi que, pour le même motif tiré de l'omission de transmettre à l'intéressé l'intégralité des treize témoignages retenus à son encontre, la décision du 5 juillet 2019 prononçant son licenciement pour insuffisance professionnelle (article 2) et a mis à la charge de ... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3). Cependant le tribunal, au motif que " l'insuffisance des capacités professionnelles du requérant justifiait la mesure qui a été prise " à son encontre, a rejeté le surplus des conclusions des requêtes de M. C... et, en particulier, ses prétentions indemnitaires (article 4).

4. M. C... demande à la cour d'annuler le jugement du 11 octobre 2021 en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires. ..., quant à lui, conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demande l'annulation du jugement en tant qu'il a annulé les décisions des 22 janvier et 18 mai 2019 prononçant la suspension temporaire de fonctions de M. C... et rejetant implicitement son recours gracieux ainsi que la décision du 5 juillet 2019 prononçant le licenciement de cet agent pour insuffisance professionnelle.

Sur l'appel incident de ... :

5. Le tribunal administratif de Rennes a, par les articles 2 et 3 du jugement attaqué, annulé respectivement les décisions des 22 janvier et 18 mai 2019 et la décision du 5 juillet 2019 de licenciement pour insuffisance professionnelle de M. C..., entachées d'un vice de procédure, et par son article 4, a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par M. C.... Ce dernier, par la requête visée ci-dessus, demande à la cour l'annulation de ce jugement dans cette mesure. Les conclusions, enregistrées après le délai d'appel, par lesquelles ... conteste l'annulation des décisions de suspension et de licenciement pour insuffisance professionnelle de M. C... des 22 janvier et 5 juillet 2019, doivent regardées comme un appel incident dirigé contre les articles 1er et 2 du jugement du 11 octobre 2021. Ces conclusions soulèvent un litige différent de celui qui résulte de l'appel principal de M. C.... Dès lors, elles ne sont pas recevables et doivent être rejetées.

Sur la régularité du jugement attaqué :

6. Pour estimer que, bien qu'entaché d'un vice de procédure, le licenciement pour inaptitude professionnelle de M. C... était justifié au fond et rejeter ses conclusions indemnitaires, les premiers juges se sont bornés, sans davantage de précisions, à indiquer au point 13 du jugement attaqué que " l'insuffisance des capacités professionnelles du requérant justifiait la mesure qui a été prise " et ce, alors que sa manière de servir et son comportement professionnel, discutés longuement par les parties, fondent la décision de licenciement pour inaptitude professionnelle prise à son encontre. Les premiers juges ont ainsi, comme le soutient le requérant, entaché sur ce point le jugement attaqué d'une insuffisante motivation. Le jugement nos 1903689, 1904551, 2003626 du 11 octobre 2021 qui, dans son article 4 rejette les conclusions indemnitaires de M. C..., est ainsi entaché d'irrégularité sur ce point, et doit, en conséquence, être annulé dans cette mesure.

7. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions indemnitaires présentées par M. C....

Sur la responsabilité de ... :

8. M. C... soutient que c'est à tort que ses demandes indemnitaires ont été rejetées dès lors que son insuffisance professionnelle ne pouvait justifier son licenciement et que, à cet égard, il lui a été demandé d'accomplir des tâches étrangères à sa fiche de poste. Il soutient également être victime de harcèlement moral et d'une sanction disciplinaire déguisée.

9. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des insuffisances relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour apprécier à ce titre l'existence d'un lien de causalité entre les préjudices subis par l'agent et l'illégalité commise par l'administration, le juge peut rechercher si, compte tenu des insuffisances de l'agent et de la nature de l'illégalité entachant la sanction, la même décision, ou une décision emportant les mêmes effets, aurait pu être légalement prise par l'administration.

10. Aux termes de l'article 45-2 du décret du 15 février 1988 relatif aux agents contractuels de l'Etat : " L'agent contractuel peut être licencié pour un motif d'insuffisance professionnelle (...) ".

11. Le licenciement pour inaptitude professionnelle d'un agent public ne peut être fondé que sur des éléments révélant l'inaptitude de l'agent à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé ou correspondant à son grade et non sur une carence ponctuelle dans l'exercice de ces fonctions. Toutefois, une telle mesure ne saurait être subordonnée à ce que l'insuffisance professionnelle ait été constatée à plusieurs reprises au cours de la carrière de l'agent ni qu'elle ait persisté après qu'il ait été invité à remédier aux insuffisances constatées. Par suite, une évaluation portant sur la manière dont l'agent a exercé ses fonctions durant une période suffisante et révélant son inaptitude à un exercice normal de ses fonctions est de nature à justifier légalement son licenciement.

12. Il résulte de l'instruction que la décision du 5 juillet 2019 de la directrice générale de ... portant licenciement pour insuffisance professionnelle de M. C... est fondée sur cinq griefs retenus à l'encontre de cet agent : - les refus répétés de formalisation - le refus de suivre la formation habilitation électrique sous un prétexte médical alors non justifié - des difficultés informatiques - des difficultés relationnelles prégnantes se manifestant par des postures " jugeantes " et dénigrantes à l'égard de ses collègues et des " volontaires à l'insertion ", usagers du service public, des sautes d'humeur pouvant être violentes, mais également un ton inadapté envers des collègues - enfin, un refus de s'inscrire dans une dynamique de solidarité et continuité du service ".

13. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'avait déjà été relevée dans le compte rendu d'entretien professionnel établi au titre de l'année 2016 l'absence par cet agent de formalisation de ses travaux conduisant à l'impossibilité pour le chef de service de suivre son activité, de l'accompagner dans les tâches à accomplir et de prioriser les demandes d'intervention. Le même constat a de nouveau été effectué, avec les mêmes conséquences, lors de l'entretien professionnel au titre de l'année 2018, étant précisé que la proposition d'objectif - énoncée en 2016 et 2017 - de tenir un tableau d'avancement des demandes d'intervention, du délai indicatif de traitement et de la date de réalisation a été rejetée par l'intéressé. Il résulte de ce qui précède que ce premier grief doit être regardé comme matériellement avéré.

14. En deuxième lieu, il résulte également de l'instruction que, malgré des rappels en 2017 et 2018, M. C..., qui doit être titulaire de l'habilitation électrique BS (Basse tension), requise par sa fiche de poste d'agent de maintenance produite au dossier, ne s'était pas rendu, sans justificatif, à une formation se déroulant à Compiègne. Des formations ont ensuite été recherchées à Saint-Brieuc, plus proche de son domicile, mais il ne ressort pas des éléments du dossier que cet agent aurait donné suite à cette obligation de formation ou produit alors un certificat médical ou tout document établissant son empêchement, alors que, reconnu travailleur handicapé, la seule restriction à l'emploi mentionné à son avis d'aptitude versé au dossier est relative au port de charges de plus de 10 kgs. Ce second grief retenu dans la décision de licenciement doit être regardé comme établi.

15. En revanche, la maîtrise des outils informatiques par l'intéressé, dont l'insuffisance est relevée dès 2010, puis en 2012 et, enfin, en 2015 lors de la réorganisation des centres et de la suppression du poste de gestionnaire de matériel au sein de ... n'est pas requise par la fiche de poste " Agent de maintenance ". Le grief ne saurait, dès lors, être retenu à l'encontre de l'agent. Il en va de même du grief énoncé dans la décision contestée en ce qu'il retient " un refus par cet agent de s'inscrire dans une dynamique de solidarité et de continuité de service ", compte tenu des incertitudes sur le sens à donner à l'objectif ainsi formulé et assigné à l'agent et du fait qu'il n'est étayé par aucun élément. Enfin, si les pièces du dossier permettent d'établir effectivement l'existence, dès l'année 2015, de difficultés relationnelles, et, après une amélioration notée en 2016, que cet agent a été de nouveau alerté quant à sa posture en 2017 et 2018 par sa supérieure hiérarchique avec laquelle les relations sont difficiles, en raison d' " un tempérament entier et un mode d'expression parfois dur avec ses collègues compte tenu de ses convictions éducatives ", et d'" une posture souvent offensive et des sautes d'humeur ", ces éléments doivent cependant être relativisés. En effet, le compte-rendu d'entretien professionnel (CREP) établi au mois d'avril 2018 note les progrès accomplis par M. C... dans son attitude, en indiquant que s'il a " encore des sautes d'humeur, elles sont moins récurrentes. ". Ce même document ajoute que " les relations dans le service sont saines et propices à un travail constructif, quelle que soit la personne et sa fonction " et invite enfin l'agent à " dupliquer cette attitude avec l'ensemble des agents du centre ". Par ailleurs, contrairement à ce que retient la décision de licenciement, il ne ressort d'aucune pièce du dossier l'existence de difficultés relationnelles à l'égard des " volontaires à l'insertion ", usagers du service public. Enfin, l'incident du 5 décembre 2018, qui a conduit ... à retenir comme fautif un comportement formellement inadapté et inapproprié, voire trivial, de M. C..., qui n'est pas un agent d'encadrement, à l'encontre de certains de ses collègues et à prendre une décision de suspension, d'ailleurs non suivie de procédure disciplinaire, ne peut être retenu comme un grief venant au soutien de la décision litigieuse de licenciement pour insuffisance professionnelle.

16. Il résulte de ce qui a été dit aux points 12, 13 et 14 que seuls les griefs tenant au refus répété de formalisation et à l'absence de formation d'habilitation électrique de M. C... sont établis par les pièces du dossier. En revanche, il n'est pas établi par les éléments du dossier que ces deux griefs ont conduit à des dysfonctionnements significatifs dans le service alors qu'il convient de relever que la directrice de ... mentionnait en observations du CREP 2019, le 9 avril 2018, que cet agent " avait toutes les qualités requises pour son poste et faisait preuve d'efficacité ". Dans ces conditions, l'insuffisance professionnelle de cet agent, qui travaille pour ... depuis le mois de novembre 2006 et dont le contrat à durée déterminée a été transformé en contrat à durée indéterminée au mois de novembre 2012, ne peut être regardée comme caractérisée. M. C... est ainsi fondé à soutenir que la mesure de licenciement qui a été prise n'était pas justifiée par son insuffisance professionnelle. Eu égard au motif ainsi retenu, cette illégalité fautive commise par ... engage la responsabilité de cet établissement à l'égard de M. C... et lui ouvre droit à réparation.

17. En revanche, en troisième et dernier lieu, si M. C... se plaint également d'être victime de harcèlement moral de la part de sa cheffe de service qui l'aurait sollicité pour effectuer des tâches ne relevant pas de ses attributions et d'une discrimination du fait de son handicap en méconnaissance de l'article 6 alinéa 2 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, les quelques éléments de fait avancés par le requérant ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence de telles situations à l'origine d'un quelconque préjudice lui ouvrant droit à réparation. L'instruction ne révèle pas davantage, contrairement à ce qui est allégué par le requérant, que son employeur aurait méconnu ou fait obstacle, de façon fautive, à son droit à la formation.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne le préjudice financier

18. Ainsi que rappelé au point 9, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.

19. Il résulte de l'instruction, d'une part, que M. C... percevait une rémunération mensuelle de 1664,13 euros avant son licenciement et, d'autre part, que depuis la date d'effet de la mesure d'éviction du service litigieuse, le 9 septembre 2019, et jusqu'à la date du présent arrêt, il n'a pas exercé d'activité lui procurant une rémunération à raison de son travail. Dans ces conditions, il y a lieu de fixer l'indemnité due à ce titre à la somme arrondie demandée de 58 000 euros qui sera mise à la charge de ....

En ce qui concerne le préjudice moral :

20. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. C... pendant toute sa période d'éviction illégale en fixant sa réparation à la somme de 3000 euros, mise à la charge de ....

En ce qui concerne les autres préjudices invoqués :

21. L'annulation d'une décision évinçant illégalement un agent public implique, outre la réintégration juridique rétroactive de cet agent à la date de la décision d'éviction illégale, entraînant la reconstitution de sa carrière et la régularisation de ses droits sociaux, sa réintégration effective dans l'emploi qu'il occupait avant son éviction illégale ou dans un emploi équivalent à celui-ci. Dans ces conditions, M. C... n'est pas fondé à demander la condamnation de ... à l'indemniser des préjudices, évalués respectivement à 200 000 et 24 000 euros, résultant de la perte de chance d'achever une carrière d'agent public et de la difficulté à pouvoir se reclasser professionnellement compte tenu de son âge. Dans ces conditions, les circonstances que l'intéressé ait pu bénéficier d'appréciations professionnelles très positives soulignant la confiance de sa hiérarchie, la qualité de son travail, son adaptabilité, sa compétence et sa disponibilité, à l'occasion de ses différents entretien d'évaluation sont sans incidence.

22. Il résulte de ce qui a été dit aux points 17 à 20 que ... est condamné à verser à M. C... les sommes de 58 000 euros et 3000 euros en réparation des préjudices financier et moral subis. L'indemnité totale de 61 000 euros mises à la charge de ... portera, ainsi que demandé en cause d'appel, intérêts aux taux légal à compter du 24 avril 2020, date de réception par l'établissement de la réclamation préalable indemnitaire présentée par M. C.... Les intérêts seront capitalisés à compter du 24 avril 2021, date à laquelle une année d'intérêt était due, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

23. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, d'une part, que le jugement nos 1903689, 1904551, 2003626 du 11 octobre 2021 doit être annulé en ce que, dans son article 4, il rejette les conclusions indemnitaires de M. C..., d'autre part, que ... est condamné à verser à M. C... la somme totale de 61 000 euros, augmentée des intérêts légaux et de leur capitalisation dans les conditions rappelées au point précédent.

Sur les frais liés au litige :

24. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par ..., partie qui succombe, doivent, dès lors, être rejetées. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ... le versement à M. C... de la somme de 1500 euros sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : Les conclusions d'appel incident présentées par ... sont rejetées.

Article 2 : Le jugement nos 1903689, 1904551, 2003626 du 11 octobre 2021 est annulé en ce que, dans son article 4, il rejette les conclusions indemnitaires de M. C....

Article 3 : ... est condamné à verser à M. C... la somme totale de 61 000 euros.

Article 4 : La somme de 61 000 euros sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 avril 2020 et de leur capitalisation à compter du 24 avril 2021 puis à chaque échéance annuelle.

Article 5 : Le surplus des conclusions indemnitaires présentées par M. C... devant le tribunal ainsi que le surplus des conclusions de sa requête d'appel sont rejetés.

Article 6 : ... versera à M. C... une somme de 1500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à ...) et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 21 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président,

- M. Coiffet, président assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2022.

Le rapporteur,

O. B...Le président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°21NT03492 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT03492
Date de la décision : 15/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : BERTRAND

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-11-15;21nt03492 ?
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