Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon à titre principal, d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2021 par lequel le préfet du territoire de Belfort a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de six mois, et enfin, l'a assignée à résidence, ou, à titre subsidiaire, d'annuler la décision portant assignation à résidence.
Par un jugement n° 2102053 du 18 novembre 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 15 novembre 2021 par lesquelles le préfet du territoire de Belfort lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai en fixant le pays de renvoi, a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée de six mois et l'a assignée à résidence et a renvoyé devant une formation collégiale les conclusions de la requête tendant à l'annulation de la décision portant refus de titre de séjour du 15 novembre 2021.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 29 novembre 2021 et le 22 février 2022, Mme B..., représentée par Me Traoré, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 18 novembre 2021 du tribunal administratif de Besançon ;
2°) à titre principal, d'annuler l'arrêté du préfet du territoire de Belfort du 15 novembre 2021 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français avec une interdiction de retour sur le territoire français et assignation à résidence, à titre subsidiaire d'annuler l'assignation à résidence, à titre très subsidiaire d'annuler l'interdiction de retour sur le territoire français ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet du territoire de Belfort de lui délivrer un titre de séjour sous astreinte de cent euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et à titre subsidiaire de l'enjoindre à réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros à verser à son conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ; le premier juge aurait dû vérifier les circonstances de fait et procéder à une analyse individuelle de sa situation ;
- sur la décision portant refus de titre de séjour :
- le préfet a violé les dispositions de l'article 47 du code civil et a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de celles-ci ;
- elle méconnait les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour sur laquelle elle se fonde ;
- sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- sur la décision portant assignation à résidence :
- elle est disproportionnée car elle n'est pas compatible avec sa situation personnelle et professionnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 avril 2022, le préfet du territoire de Belfort conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées le 22 juin 2022, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions à fin d'annulation de la décision de refus de titre de séjour formées par Mme B... dès lors que le jugement attaqué a renvoyé de telles conclusions à une formation collégiale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord de coopération en matière de justice conclu entre la République française et la République de Côte-d'Ivoire le 24 avril 1961 ;
- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ;
- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Roussaux, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... ressortissante ivoirienne, qui déclare être née le 2 mai 2003 et être entrée en France en octobre 2018, a été prise en charge par l'aide sociale à l'enfance du département du Territoire-de-Belfort à compter du 5 novembre 2018. Le 16 avril 2021, l'intéressée a déposé une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 15 novembre 2021, le préfet du territoire de Belfort a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi, lui a fait interdiction de retour sur ce territoire pour une durée de six mois et l'a assignée à résidence. Par un jugement n° 2102053 du 18 novembre 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté les conclusions de la demande de Mme B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 novembre 2021 en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, fixe le pays de destination, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de six mois et l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. La magistrate désignée a également renvoyé à la formation collégiale le surplus des conclusions de la requête de Mme B... et tendant à l'annulation de la décision portant refus de titre de séjour. Mme B... relève appel du jugement n° 2102053 du 18 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.
Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre la décision portant refus de titre de séjour :
2. Par le jugement contesté du 18 novembre 2021, le tribunal administratif de Besançon a exclusivement statué sur les conclusions de la demande de Mme B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 novembre 2021 en tant qu'il lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai en fixant le pays de renvoi, a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée de six mois et l'a assignée à résidence. Par suite, les conclusions de la requête d'appel tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 novembre 2021 en tant qu'il porte refus de titre de séjour, sur lesquelles il a été statué par un jugement distinct, sont irrecevables et doivent être pour ce motif rejetées.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
3. Mme B... soutient que la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale par voie de conséquence de l'illégalité entachant la décision de refus de séjour.
4. Aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur son insertion dans la société française ".
5. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour de plein droit portant la mention " vie privée et familiale ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entre dans les prévisions de l'article L. 421-35 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance. Si ces conditions sont remplies, il ne peut alors refuser la délivrance du titre qu'en raison de la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le juge de l'excès de pouvoir exerce sur cette appréciation un entier contrôle.
6. D'autre part, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil (...) ". L'article L. 811-2 de ce code prévoit que : " La vérification des actes d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
7. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
8. Aux termes du II de l'article 16 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 : " Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet. / La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu (...) ".
9. Enfin, l'article 20 de l'accord de coopération en matière de justice conclu entre la République française et la République de Côte-d'Ivoire le 24 avril 1961 précise que : " Par acte de l'état civil (...), il faut entendre : / Les actes de naissances (...) / Les transcriptions des ordonnances, jugements ou arrêts en matière d'état civil (...) ". L'article 21 de cet accord prévoit que : " Seront admis, sans légalisation, sur les territoires respectifs de la République française et de la République de Côte d'Ivoire les documents suivants établis par les autorités administratives et judiciaires de chacun des deux Etats : / Les expéditions des actes de l'état civil ; (...) Les documents énumérés ci-dessus devront être revêtus de la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer et, s'il s'agit d'expéditions, être certifiés conformes à l'original par ladite autorité. En tout état de cause, ils seront établis matériellement de manière à faire apparaître leur authenticité ".
10. Pour refuser la délivrance d'un titre de séjour à Mme B..., le préfet du territoire de Belfort a opposé à l'intéressée qu'elle ne justifiait pas, au regard des pièces fournies, avoir été confié à l'aide sociale à l'enfance au plus tard le jour de ses seize ans.
11. Il ressort des pièces du dossier que pour établir son identité, Mme B... a produit, à l'appui de sa demande de titre de séjour, un extrait du registre des actes d'état civil pour l'année 2020 n° 584, rédigé par un officier d'état civil de la commune de Kongasso, une copie intégrale du registre des actes de l'état civil de la commune de Kongasso pour l'année 2020, un duplicata d'un certificat de nationalité ivoirienne délivré le 14 décembre 2020 par le tribunal de première instance de Yopougon, un passeport ordinaire biométrique délivré le 5 juillet 2021 par les autorités ivoiriennes. Enfin, elle a également produit devant le tribunal un jugement supplétif établi le 12 novembre 2020 par le tribunal de première instance de Daloa. Il ressort des deux rapports rédigés le 3 mai et le 23 septembre 2021, que les services de la police aux frontières de Pontarlier ont émis un avis défavorable sur la valeur probante des documents présentés par Mme B... et l'impossibilité de déterminer l'origine de ces documents en se fondant, en particulier, sur le caractère aisément imitable des cachets humides et secs qui présentent des anomalies telles que des erreurs de transcription ainsi que sur la circonstance que ces documents n'étaient pas légalisés.
12. Pour contester l'authenticité de ces actes, le préfet du territoire de Belfort s'est fondé sur ces rapports de la police aux frontières pour en conclure que l'ensemble des documents présentés par la requérante révélaient des erreurs rédhibitoires et présentaient des contradictions. Toutefois, la requérante a produit devant le tribunal administratif une expédition du jugement supplétif avec la signature du greffier en chef de la section du tribunal de Seguela. Bien que produit postérieurement à la décision contestée, ce jugement supplétif qui doit être admis sans légalisation en application de l'article 21 de l'accord franco-ivoirien précité, a été communiqué au préfet qui n'a pas émis d'observations sur ce document. Par ailleurs, les circonstances que les cachets humides présentent des anomalies ne sauraient suffire à établir que ces actes d'état civil seraient irréguliers, falsifiés ou inexacts. Dans ces conditions, le préfet du territoire de Belfort ne renverse pas la présomption de validité qui s'attache, en vertu notamment de l'article 47 du code civil, aux mentions contenues dans les actes d'état civil produits et ne pouvait en conséquence rejeter sa demande de titre de séjour en considérant que ces documents n'étaient pas probants.
13. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que le préfet du territoire de Belfort a méconnu les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et à invoquer par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision de refus de séjour à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
14. Par suite, Mme B... est fondée à demander l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, ainsi que par voie de conséquence celles portant interdiction de retour sur le territoire français et assignation à résidence doivent également par voie de conséquence être annulées.
15. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens tirés de l'irrégularité du jugement, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions, portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de renvoi, prononçant à son encontre une interdiction de retour d'une durée de six mois et l'assignant à résidence.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
16. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13, et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".
17. L'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français n'implique pas que le préfet du territoire de Belfort délivre à Mme B... le titre de séjour qu'elle a sollicité, mais seulement qu'il réexamine sa situation. Il y a lieu de lui enjoindre de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
18. Il y a lieu en applications des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me Traoré, conseil de Mme B....
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 18 novembre 2021 du tribunal administratif de Besançon et les décisions du 15 novembre 2021 par lesquelles le préfet du territoire de Belfort a fait obligation à Mme A... C... B... de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée de six mois et l'a assigné à résidence sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du territoire de Belfort de procéder au réexamen de la situation de Mme B... dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir.
Article 3 : L'Etat versera à Me Traoré une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du territoire de Belfort.
Délibéré après l'audience du 28 juin 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Grossrieder, présidente,
- Mme Roussaux, première conseillère,
- Mme Picque, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juillet 2022.
La rapporteure,
Signé : S. RoussauxLa présidente,
Signé : S. GrossriederLa greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
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N° 21NC03080