Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La fédération nationale des usagers des transports (FNAUT) a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions implicites par lesquelles le préfet de l'Ain et le président de SNCF Réseau ont rejeté sa demande, présentée le 14 janvier 2019, tendant à ce que soient dressés des procès-verbaux de contravention de grande voirie en raison des atteintes portées au domaine public ferroviaire sur la ligne Oyonnax-St-Claude aux passages à niveau n° 87 (PK 102,538) et n° 91 (PK 103, 846) et que les contrevenants soient cités à comparaître devant le tribunal administratif.
Par un jugement n° 1903579 du 26 octobre 2021, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 21 décembre 2021 et le 26 janvier 2023, la FNAUT, représentée par Me Busson, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les décisions par lesquelles le préfet de l'Ain et le président de SNCF Réseau ont rejeté sa demande tendant à ce qu'ils dressent des procès-verbaux de contravention de grande voirie ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Ain et au président de SNCF Réseau de faire dresser ces procès-verbaux et d'engager les poursuites pour contravention de grande voirie, dans le délai d'un mois et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, sur le fondement des articles L. 911-1 et L. 911-3 du code de justice administrative ;
4°) de mettre solidairement à la charge de l'Etat et de SNCF Réseau la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- sa demande dirigée contre SNCF Réseau était recevable, le motif opposé par le tribunal pour rejeter cette demande, tiré de ce que SNCF Réseau ne peut exercer contre elle-même les pouvoirs qui lui sont dévolus en matière de répression des atteintes au domaine public, n'étant pas fondé ;
- la contravention de grande voirie était constituée par application des articles L. 2231-2, L. 2231-7 et L. 2232-1 du code des transports, dès lors que les rails avaient été déposés et remplacés par un enrobé, que ces travaux n'étaient pas nécessaires pour assurer la mise en sécurité du passage à niveau et que de tels travaux n'entrent pas dans les activités normales du gestionnaire de réseau ; la circonstance que ces travaux ne seraient pas un obstacle à la remise en circulation de la ligne est sans incidence sur la qualification de contravention de grande voirie.
Par mémoire enregistré le 3 octobre 2022, la société SNCF Réseau, représentée par Meier-Bourdeau Lécuyer et associés, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la FNAUT la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- c'est à juste titre que le tribunal a rejeté comme irrecevables les conclusions dirigées contre la décision du directeur de SNCF Réseau dans la mesure où une contravention de grande voirie ne peut être constatée à l'égard du propriétaire ou du gestionnaire du domaine public qui dispose d'un titre sur le domaine public et que le procès-verbal constitue un acte de poursuite ;
- subsidiairement, les faits reprochés à SNCF Réseau ne sont pas constitutifs d'une contravention de grande voirie et un intérêt public s'oppose aux poursuites.
Par un mémoire enregistré le 24 novembre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête, qui ne satisfait pas aux exigences de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, est irrecevable ;
- c'est à juste titre que le tribunal administratif de Lyon a considéré que la demande de la FNAUT tendant à ce que la société SNCF Réseau engage contre elle-même des poursuites pour contravention de grande voirie était irrecevable ;
- les travaux en cause, qui présentent un caractère réversible, ont été réalisés dans le cadre des missions de gestionnaire d'infrastructures de SNCF Réseau ; ils poursuivent un but d'intérêt général tenant à la sécurité des usagers de la route.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des transports ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Corvellec,
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;
Une note en délibéré, enregistrée le 31 août 2023, a été présentée pour la FNAUT.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite de travaux réalisés au cours de l'été 2018 sous la maîtrise d'ouvrage de SNCF Réseau au droit des passages à niveau n° 87 et n° 91 de la ligne de chemin de fer reliant Oyonnax à Saint-Claude, la fédération nationale des associations d'usagers des transports (FNAUT) a demandé, par courriers du 14 janvier 2019, au préfet de l'Ain et au président de la société SNCF Réseau de faire dresser un procès-verbal de constatation de contravention de grande voirie à l'encontre des auteurs des atteintes portées au domaine public ferroviaire et de saisir le tribunal administratif de Lyon en application de l'article L. 774-2 du code de justice administrative. Deux décisions implicites de rejet sont nées du silence gardé par ces autorités. Par une décision du 15 avril 2019, la société SNCF Réseau a explicitement rejeté la demande de la FNAUT. La FNAUT relève appel du jugement du 26 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions et à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Ain et au président de SNCF Réseau de faire dresser des procès-verbaux de contravention de grande voirie et d'engager les poursuites pour contravention de grande voirie.
Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les noms et domiciles des parties ".
3. La requête de la FNAUT dirigée contre " l'Etat représenté par le ministre en charge de l'Ecologie " est suffisamment précise quant à l'identification de la partie défenderesse. Si l'adresse du ministère en charge de représenter l'Etat n'est pas précisée, une telle circonstance n'est pas de nature à rendre la requête irrecevable dès lors qu'elle n'a pas fait obstacle à la mise en cause de l'intimé par le greffe de la juridiction. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense doit être écartée.
Sur les conclusions dirigées contre la décision du président de SNCF Réseau :
4. Le tribunal a rejeté comme irrecevable la demande dirigée contre la décision du président de SNCF Réseau au motif que la personne morale gestionnaire du domaine public ne pouvait exercer contre elle-même les pouvoirs qui lui sont dévolus en matière de répression des atteintes domaniales. Toutefois, en se bornant à soutenir que l'identité entre contrevenant et service verbalisateur ne fait pas obstacle à ce qu'une contravention de grande voirie soit constatée, la FNAUT critique le bienfondé de la décision dont elle demande l'annulation, sans contester le motif qui a conduit le tribunal à en déduire l'irrecevabilité de l'action contentieuse.
5. Par suite, la FNAUT n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté ses conclusions dirigées contre les décisions du président de SNCF Réseau.
Sur les conclusions dirigées contre la décision du préfet de l'Ain :
6. Aux termes, d'une part, de l'article L. 2132-2 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les contraventions de grande voirie sont instituées par la loi ou par décret, selon le montant de l'amende encourue, en vue de la répression des manquements aux textes qui ont pour objet, pour les dépendances du domaine public n'appartenant pas à la voirie routière, la protection soit de l'intégrité ou de l'utilisation de ce domaine public, soit d'une servitude administrative mentionnée à l'article L. 2131-1 ".
7. Aux termes, d'autre part, de l'article L. 2232-1 du code des transports, applicable au présent litige : " Les infractions aux dispositions du chapitre Ier sont constatées, poursuivies et réprimées comme en matière de grande voirie. / SNCF Réseau exerce concurremment avec l'Etat les pouvoirs dévolus à ce dernier pour la répression des atteintes à l'intégrité et à la conservation de son domaine public. ". Aux termes de l'article L. 2232-2 du même code : " Les personnes qui contreviennent aux dispositions du présent chapitre sont condamnées à supprimer, dans le délai déterminé par le juge administratif, les ouvrages ou dépôts faits contrairement à ces dispositions. / La suppression a lieu d'office, et le montant de la dépense est recouvré contre eux par voie de contrainte, comme en matière de contributions publiques, s'ils ne se conforment pas à ce jugement ".
8. Parmi les dispositions du chapitre 1er du titre III du livre 2 de la deuxième partie du code des transports auquel son article L. 2232-1 renvoie et qui concernent les mesures relatives à la conservation du domaine public ferroviaire, l'article L. 2231-2, applicable au présent litige, prévoit l'interdiction de " tout dépôt de terre et autres objets quelconques, ainsi que le pacage des bestiaux ".
9. Les autorités chargées de la police et de la conservation du domaine public ferroviaire sont tenues, par application des principes régissant la domanialité publique, de veiller à l'utilisation normale de ce domaine public et d'exercer à cet effet les pouvoirs qu'elles tiennent de la législation en vigueur, y compris celui de saisir le juge des contraventions de grande voirie, pour faire cesser les occupations sans titre et faire réparer les atteintes à l'intégrité de ce domaine. L'obligation ainsi faite à ces autorités trouve sa limite dans les autres intérêts généraux dont elles ont la charge et, notamment, dans les nécessités de l'ordre public. En revanche, ces autorités ne sauraient légalement se soustraire à cette obligation pour des raisons de simples convenances administratives.
10. Il ressort des pièces du dossier que SNCF Réseau a fait procéder au cours de l'été 2018 à des travaux ayant consisté à remplacer par un enrobé les rails et le platelage des passages à niveaux n° 87 et n° 91 de la ligne de chemin de fer reliant Oyonnax à Saint-Claude qui, quoiqu'inutilisée, demeure une dépendance du domaine ferroviaire. De tels travaux constituent des dépôts d'objets sur le domaine public qui peuvent, dès lors qu'ils n'ont pas été entrepris pour assurer le maintien de la dépendance conformément à son affectation et que, même réversibles, ils forment un obstacle à la circulation des trains, être poursuivis sur le fondement de l'article L. 2231-2 précité du code des transports par une contravention de grande voirie, et ce alors même qu'ils ont été commis par le propriétaire et gestionnaire du domaine public ferroviaire.
11. Devant la cour, le ministre fait valoir qu'un motif d'intérêt général justifie l'absence de poursuites à l'encontre de SNCF Réseau, tiré de l'amélioration de la sécurité des usagers de la route aux intersections d'une ligne ferroviaire ne supportant plus aucune circulation. Toutefois, cette ligne n'a pas fait l'objet d'un acte de désaffectation et il ne ressort pas des pièces du dossier que la sécurité de la circulation routière n'aurait pu être assurée en préservant l'intégrité du domaine public ferroviaire, notamment en procédant à la réfection des voies et des platelages existants. Par suite, le motif d'intérêt général opposé par le ministre n'est pas de nature à justifier, en l'espèce, que le préfet se soit soustrait à son obligation de poursuivre cette infraction.
12. Il résulte de ce qui précède que la FNAUT est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande d'annulation de la décision du préfet de l'Ain portant refus de dresser des procès-verbaux et refus d'engager des poursuites à l'encontre de SNCF Réseau.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
13. Eu égard à ses motifs, et en l'absence d'élément indiquant que les infractions en cause auraient cessé, le présent arrêt implique que la préfète de l'Ain fasse dresser des procès-verbaux de ces infractions et les poursuive. Il y a lieu de lui adresser un injonction en ce sens et de lui impartir un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer d'astreinte.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la FNAUT qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à SNCF Réseau la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il en va de même de SNCF Réseau à l'égard de la FNAUT. Il y a lieu, en revanche et dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la FNAUT.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision implicite du préfet de l'Ain portant refus de dresser des procès-verbaux des travaux réalisés aux passages à niveau n° 87 et n° 91 de la ligne de chemin de fer reliant Oyonnax à Saint-Claude et refus d'engager des poursuites à l'encontre de SNCF Réseau est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de l'Ain, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, de faire dresser ces procès-verbaux et de procéder aux poursuites des contraventions de grande voirie ainsi constatées.
Article 3 : Le jugement n° 1903579 du tribunal administratif de Lyon du 26 octobre 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à la FNAUT une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la Fédération nationale des usagers des transports, à SNCF Réseau et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré après l'audience du 31 août 2023, à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président,
Mme Evrard, présidente assesseure,
Mme Corvellec, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 septembre 2023.
La rapporteure,
S. CorvellecLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
M-T. Pillet
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,
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N° 21LY04213