Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... D... et Mme B... D..., agissant en leur nom propre et pour le compte de leurs enfants mineurs C..., A... et E... D..., ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) Grenoble Alpes à les indemniser des préjudices subis du fait de la prise en charge de M. D... dans cet établissement.
Par un jugement n° 1405731 du 26 juin 2018, le tribunal administratif a condamné le CHU Grenoble Alpes à verser à M. D... la somme de 707 986 euros ainsi qu'une rente annuelle de 42 987 euros jusqu'au 31 décembre 2021, puis, à compter de cette date, une rente annuelle viagère d'un montant de 30 577 euros, à Mme D... la somme de 25 000 euros, et à chacun de leurs enfants la somme de 5 000 euros.
Par un arrêt n° 18LY02614 du 2 juillet 2020, la cour administrative d'appel de Lyon a réformé ce jugement en portant l'indemnisation en capital de M. D... à 715 310,22 euros et en remplaçant les rentes prévues par ce jugement par une rente trimestrielle viagère d'un montant de 6 586,34 euros et par une rente trimestrielle d'un montant de 542,49 euros versée jusqu'aux 62 ans de l'intéressé et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Par une décision n° 443584 du 15 décembre 2021, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté pour M. D..., a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 2 juillet 2020 en tant qu'il statue sur la réparation de la perte de droits à retraite de M. D... et sur l'application des intérêts prévus par l'article 1153 du code civil et a renvoyé dans cette mesure l'affaire devant la même cour.
Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :
Par des mémoires enregistrés le 12 janvier 2022, le 1er février 2022 et le 2 mars 2022, M. D..., représenté par Me Bourgin, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de condamner le CHU Grenoble Alpes à lui verser une rente viagère trimestrielle de 1 866 euros à compter de l'âge de soixante-deux ans ;
2°) de condamner le CHU Grenoble Alpes à lui verser les intérêts sur la somme de 715 310,22 euros, à titre principal, à compter de la consolidation de son état de santé au 31 juillet 2013, à titre subsidiaire, à compter de sa demande initiale du 22 septembre 2014 devant le tribunal administratif de Grenoble, à titre infiniment subsidiaire à compter de sa réclamation indemnitaire du 24 novembre 2015, les intérêts échus étant capitalisés ;
3°) de mettre à la charge du CHU Grenoble Alpes, outre les entiers dépens, la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il se trouve dans l'incapacité de reprendre une quelconque activité professionnelle compte tenu de sa cécité ; il subit ainsi un préjudice en lien avec une perte de droits à la retraite ;
- afin d'indemniser intégralement sa perte de droits à la retraite, il convient de réintégrer à la rente qui a été fixée par l'arrêt du 2 juillet 2020 de la cour administrative d'appel de Lyon la pension versée par l'institution de prévoyance AG2R à hauteur d'un montant mensuel de 676,23 euros, dès lors que cette pension cessera de lui être versée lorsqu'il sera à la retraite ;
- compte tenu de son invalidité, il n'a pas d'autre possibilité que de produire une simulation avec un départ à la retraite à l'âge de 62 ans ; s'il n'avait pas été privé de sa capacité à travailler par l'accident médical fautif, il aurait travaillé jusqu'à l'âge de 67 ans, auquel il aurait pu prétendre à une retraite à taux plein ;
- il percevra une pension nette mensuelle de 829 euros, tenant compte de ses années d'activité jusqu'à l'accident médical et de la pension d'invalidité qu'il perçoit depuis lors, alors qu'il aurait dû percevoir une pension de retraite nette mensuelle de 1 451 euros s'il avait poursuivi son activité salariée, soit une perte mensuelle de 622 euros ; il a ainsi droit au versement d'une rente trimestrielle de 1 866 euros à compter de ses 62 ans ;
- il sollicite l'application des dispositions de l'article 1231-6 du code civil ;
- les sommes allouées par la cour devront produire intérêts au taux légal à compter de la date de consolidation fixée au 31 juillet 2013, date à laquelle l'assureur du CHU Grenoble Alpes avait connaissance de sa créance ;
- subsidiairement, il a droit aux intérêts sur ces sommes à compter de la date de l'enregistrement de sa demande au greffe du tribunal administratif de Grenoble, soit le 22 septembre 2014 ;
- à titre infiniment subsidiaire, il a droit aux intérêts sur ces sommes à compter de sa réclamation indemnitaire préalable du 24 novembre 2015 ;
- il a droit à la capitalisation de ces intérêts, sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil, qu'il avait sollicitée en première instance ; ni le tribunal administratif ni la cour n'ont statué sur ces conclusions.
Par des mémoires en défense enregistrés le 25 janvier 2022, le 18 février 2022, le 23 février 2022 et le 7 mars 2022, le CHU Grenoble Alpes, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet des conclusions présentées par M. D....
Il soutient que :
- M. D... n'établit pas la réalité et l'étendue du préjudice de perte de droits à la retraite dont il réclame la réparation ;
- le requérant, qui a été reconnu inapte au travail et perçoit à ce titre une pension d'invalidité, bénéficiera d'une retraite à taux plein dès l'âge de 62 ans ;
- il n'est pas certain que M. D... aurait travaillé jusqu'à l'âge de 67 ans en l'absence d'accident et le montant net de sa pension de retraite dans sa situation actuelle n'est pas précisé ;
- à titre subsidiaire, M. D... pourra prétendre à une pension de retraite à taux plein à l'âge de 62 ans ; la cour ne pourra indemniser la minoration de la pension de retraite au titre de l'incidence professionnelle qu'en allouant à M. D... une somme complémentaire dans la limite de 10 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, incluant donc la réparation du préjudice tiré de la minoration de ses droits à la retraite ;
- M. D... n'est pas fondé à obtenir les intérêts moratoires à compter de la date de consolidation, ni à compter de sa demande indemnitaire préalable dans laquelle ils n'étaient pas demandés, mais seulement à compter de la saisine du tribunal administratif ;
- le requérant n'est pas fondé à obtenir les intérêts sur les indemnités allouées par la cour et relatives aux frais futurs et aux frais non encore engagés ;
- M. D... n'est pas fondé à obtenir la capitalisation des intérêts, qui n'a pas été demandée devant la cour administrative d'appel, l'arrêt étant définitif sur ce point.
Par une lettre du 28 mars 2022, la cour a demandé à M. D..., sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, de produire une estimation de la retraite à taux plein, soit l'équivalent d'une durée de cotisation de 172 trimestres, qu'il percevra dans la situation actuelle, en tenant compte des régimes de base, de retraite complémentaire et d'invalidité.
M. D... a produit le 15 avril 2022 un mémoire et des pièces en réponse à la mesure d'instruction diligentée par la cour.
Un mémoire, enregistré le 4 mai 2022, a été produit pour le CHU Grenoble Alpes et a été communiqué en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.
Un mémoire, enregistré le 5 mai 2022, a été produit pour M. D... et n'a pas été communiqué en application de l'article R. 613-3 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pin, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Harmli, représentant M. D... et de Me Demailly, représentant le CHU Grenoble Alpes.
Considérant ce qui suit :
1. Le 7 avril 2012, M. D... a subi au CHU Grenoble Alpes une intervention de dérivation du liquide céphalo-rachidien à la suite de laquelle il a présenté une cécité corticale et d'autres séquelles neurologiques. Par un jugement du 26 juin 2018, le tribunal administratif de Grenoble a notamment condamné le CHU Grenoble Alpes à verser à M. D... la somme de 707 986 euros ainsi qu'une rente annuelle de 42 987 euros jusqu'au 31 décembre 2021, puis, à compter de cette date, une rente annuelle viagère d'un montant de 30 577 euros. Par un arrêt du 2 juillet 2020, la cour administrative d'appel de Lyon a réformé ce jugement en substituant à la rente annuelle de 42 987 euros jusqu'au 31 décembre 2021 puis à la rente trimestrielle viagère de 30 577 euros après cette date qu'il prévoyait, une rente trimestrielle viagère d'un montant de 6 586,34 euros au titre de l'assistance future par une tierce personne et une rente trimestrielle complémentaire d'un montant de 542,49 euros versée jusqu'aux 62 ans de l'intéressé, âge auquel il aurait pu prétendre à une pension à taux plein, au titre de ses pertes de revenus professionnels futurs. Par une décision du 10 mars 2021, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a admis les conclusions du pourvoi M. D... dirigées contre cet arrêt en tant qu'il statue sur la réparation de la perte de ses droits à retraite et sur l'attribution des intérêts moratoires ainsi que sur leur capitalisation. Par une décision du 15 décembre 2021, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 2 juillet 2020 en tant qu'il statue sur la réparation de la perte de droits à retraite de M. D... et sur l'application des intérêts prévus par l'article 1153 du code civil. Il a renvoyé l'affaire à la cour dans la limite de la cassation prononcée.
Sur les droits à retraite de M. D... :
2. Aux termes de l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale : " Bénéficient du taux plein même s'ils ne justifient pas de la durée requise d'assurance ou de périodes équivalentes dans le régime général et un ou plusieurs autres régimes obligatoires : (...) 1° ter Les assurés justifiant d'une incapacité permanente au moins égale à un taux fixé par décret, qui atteignent l'âge mentionné à l'article L. 161-17-2 ; 2°) les assurés reconnus inaptes au travail dans les conditions prévues à l'article L. 351-7 ; (...) ". Aux termes de ce dernier article : " Peut être reconnu inapte au travail, l'assuré qui n'est pas en mesure de poursuivre l'exercice de son emploi sans nuire gravement à sa santé et qui se trouve définitivement atteint d'une incapacité de travail médicalement constatée, compte tenu de ses aptitudes physiques et mentales à l'exercice d'une activité professionnelle, et dont le taux est fixé par décret en Conseil d'Etat ". Enfin, aux termes de l'article R. 351-21 du même code : " La définition contenue dans l'article L. 351-7 est applicable à l'inaptitude au sens des articles L. 351-8, L. 357-10 et L. 357-14 et de l'article R. 351-31. Le taux d'incapacité de travail prévu à l'article L. 351-7 est fixé à 50 %. Pour apprécier si le requérant n'est pas en mesure de poursuivre l'exercice de son emploi sans nuire gravement à sa santé, il est tenu compte, lorsque l'intéressé n'exerce aucune activité professionnelle au moment de sa demande, de la dernière activité exercée au cours des cinq années antérieures. Au cas où aucune activité professionnelle n'a été exercée durant cette période, l'inaptitude au travail est appréciée exclusivement par référence à la condition d'incapacité de travail de 50 % médicalement constatée compte tenu des aptitudes physiques et mentales à l'exercice d'une activité professionnelle. (...) ".
3. L'âge auquel l'intéressé aurait pris sa retraite est, en principe, celui auquel il aurait pu prétendre à une pension à taux plein, à moins que l'instruction ne fasse ressortir qu'il l'aurait prise à un âge différent.
4. L'arrêt de la cour du 2 juillet 2020 est devenu définitif en ce qu'il a retenu que M. D..., né le 18 octobre 1975, aurait pris sa retraite à l'âge de 62 ans. M. D... ne peut, dès lors, prétendre à un départ à la retraite à l'âge de 67 ans. Il résulte de la simulation versée au débat que l'intéressé, compte tenu du revenu qu'il tirait de son activité professionnelle en 2012, aurait pu espérer percevoir, s'il avait poursuivi cette activité jusqu'à l'âge de 62 ans, une pension de retraite d'un montant mensuel net de 971 euros. M. D... soutient que le montant brut mensuel des droits à pension qu'il percevra à compter de cet âge peut être évalué à 912 euros, soit un montant mensuel net non sérieusement contesté de 829 euros, conformément à un chiffrage réalisé par le service des pensions et qui prend en considération les régimes de retraite de base, de retraite complémentaire et d'invalidité.
5. Toutefois, le CHU Grenoble Alpes fait valoir que M. D... est en droit, en application des dispositions combinées du 1° ter et du 2° de l'article L. 351-8 et des articles L. 351-7 et R. 351-21 du code de la sécurité sociale, de bénéficier d'une retraite à taux plein même s'il ne remplit pas la condition de durée d'assurance dès lors qu'il aura atteint l'âge légal de départ à la retraite, soit 62 ans. M. D... ne conteste pas entrer dans le champ d'application de ces articles. Malgré une mesure d'instruction diligentée le 22 mars 2022 par la cour, M. D... s'est borné à produire des chiffrages prévisionnels de la pension de retraite qu'il percevra à l'âge de 62 ans ne tenant pas compte du versement d'une retraite à taux plein. En outre, il résulte de l'une des évaluations de retraite produites que M. D... a élevé trois enfants et est susceptible, à ce titre, de bénéficier d'une majoration de sa pension. Dans ces conditions, M. D... n'établit pas qu'il subira une perte de droits à pension au regard de la pension mensuelle nette de 971 euros qu'il aurait perçue s'il avait poursuivi son activité professionnelle jusqu'à l'âge de 62 ans et n'est, dès lors, pas fondé à demander à être indemnisé à ce titre.
Sur les intérêts moratoires et leur capitalisation :
6. Les intérêts moratoires dus en application des dispositions de l'article 1153 du code civil, repris à l'article 1231-6 du même code, lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine.
7. Il suit de là que M. D... n'est pas fondé à demander que les intérêts qui lui sont dus courent à compter de la date de consolidation de son état de santé, fixée au 31 juillet 2013, laquelle est antérieure à l'enregistrement le 22 septembre 2014 de sa demande indemnitaire au greffe du tribunal administratif de Grenoble ainsi qu'à la réclamation préalable présentée par l'intéressé, qui été réceptionnée par le CHU Grenoble Alpes le 26 novembre 2015.
8. Par suite, les intérêts au taux légal afférents aux sommes que le CHU Grenoble Alpes a été condamné à verser à M. D... par l'arrêt de la cour du 2 juillet 2020 sont dus à compter du 22 septembre 2014, date de la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif, pour les seules indemnités réparant les préjudices personnels de M. D... et pour les dépenses qu'il a exposées avant cette date. Pour les dépenses exposées entre le 22 septembre 2014 et le 2 octobre 2020, les intérêts courent à compter des dates auxquelles elles ont été exposées.
9. Contrairement à ce que soutient le CHU Grenoble Alpes, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Si, à la date où elle est demandée, les intérêts sont dus depuis moins d'une année, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. M. D..., qui a réitéré ses conclusions dans un mémoire enregistré au greffe de la cour le 12 janvier 2022, avait demandé la capitalisation des intérêts, pour la première fois, le 22 septembre 2014 au tribunal administratif de Grenoble. Il y a ainsi lieu de capitaliser les intérêts au 22 septembre 2015, date à laquelle une année d'intérêts a été due, et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHU Grenoble Alpes une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. D... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Les indemnités réparant des préjudices personnels et des dépenses exposées avant le 22 septembre 2014 porteront intérêts au taux légal à compter de cette date. Celles réparant des dépenses exposées entre le 22 septembre 2014 et le 2 octobre 2020 porteront intérêts à compter des dates auxquelles ces dépenses ont été exposées. Les intérêts dus au 22 septembre 2015 et à chaque échéance annuelle ultérieure seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement n° 1405731 du 26 juin 2018 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le CHU Grenoble Alpes versera à M. D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. D... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... D..., au centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère et à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.
Délibéré après l'audience du 12 mai 2022, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Gayrard, président assesseur,
M. Pin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juin 2022.
Le rapporteur,
F.-X. Pin
Le président,
F. PournyLa greffière,
F. Abdillah
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de la prévention, en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY04129