Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Evolupharm a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 31 mai 2018 par laquelle la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) a déclaré l'appareil " Audibest " non susceptible d'être remboursé par l'assurance maladie obligatoire et lui a demandé de retirer toute mention d'un remboursement par l'assurance maladie dans sa communication.
Par un jugement n° 1802488 du 1er avril 2021, le tribunal administratif d'Amiens a annulé le courrier du 31 mai 2018 de la CNAM en tant qu'il demande à la SAS Evolupharm de retirer de sa communication la mention relative au remboursement par l'assurance maladie obligatoire de l'appareil commercialisé sous la marque " Audibest " et a rejeté le surplus des demandes de la société.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er juin 2021 et le 29 avril 2022, la CNAM, représentée par la SCP Foussard-Froger, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a annulé son courrier du 31 mai 2018 en tant qu'il demande à la SAS Evolupharm de retirer de sa communication la mention relative au remboursement par l'assurance maladie obligatoire de son appareil commercialisé sous la marque " Audibest " ;
2°) de rejeter la demande de première instance de la SAS Evolupharm ;
3°) et de mettre à la charge de la SAS Evolupharm une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en raison d'une insuffisance de motivation ;
- le courrier du 31 mai 2018 demandant le retrait de toute mention du caractère remboursable de l'appareil n'est qu'un rappel du droit, non assorti d'une sanction, de sorte qu'il ne peut être regardé comme une décision faisant grief ;
- les refus de remboursement ne sont pas la conséquence de la lettre mais de la simple application de la réglementation, la perte de chiffre d'affaires, alléguée mais non établie, ne résulte pas de cette lettre et la circonstance que le produit ne soit pas remboursable n'interdit pas sa vente ;
- il ne s'agit pas d'une mesure d'ordre général susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir, mais d'un simple échange de correspondance ;
- la CNAM était compétente pour demander le retrait de la mention erronée du caractère remboursable du produit puisque les dispositions de l'article L. 221-3-1 du code de la sécurité sociale l'y habilitaient et que les dispositions de l'article R. 5213-4 du code de la santé publique n'y faisaient pas obstacle ;
- aucun des autres moyens soulevés en première instance et repris en appel par la SAS Evolupharm n'est fondé.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 2 février et 27 mai 2022, la SAS Evolupharm, représentée par Me Sophie Hubert, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) d'annuler la décision du 31 mai 2018 par laquelle la CNAM a déclaré l'appareil " Audibest " non susceptible d'être remboursé par l'assurance maladie obligatoire et lui a demandé de retirer toute mention d'un remboursement par l'assurance maladie dans sa communication ;
3°) et de mettre à la charge de la CNAM une somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés ;
- la lettre du 31 mai 2018 constitue une décision faisant grief dans son ensemble ;
- la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente faute de délégation de signature ou de pouvoir autorisant le docteur A... C... à signer celle-ci et, en tout état de cause, la décision attaquée ne mentionne pas la date de publication de la décision donnant délégation ;
- le dispositif " Audibest ", qui est un appareil d'aide auditive possédant des fonctionnalités limitées mais ne nécessitant pas d'adaptation particulière, n'est pas une audioprothèse relevant de l'article L. 4361-1 du code de la santé publique, ni un simple assistant d'écoute dans la mesure où sa puissance est de 35 dB, mais reste un dispositif médical (" DM ") remboursable ;
- la décision attaquée méconnaît l'article 1er de l'arrêté du 23 avril 2002 relatif aux appareils électroniques de surdité inscrits au chapitre 3 du titre II de la liste des produits et des prestations remboursables prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, l'article 1er de cet arrêté précise clairement que les appareils électroniques correcteurs de surdité sont des dispositifs médicaux au sens de l'article L. 5211-1 du code de la santé publique ;
- le DE17L remplit toutes les conditions pour être inscrit sur la liste des produits remboursables et, en ajoutant une condition liée à l'adaptation de l'appareil pour bénéficier du remboursement, la CNAM ajoute à la loi et à l'arrêté du 23 avril 2002 qui ne prévoient pas une telle condition de remboursement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 23 avril 2002 relatif aux appareils électroniques de surdité inscrits au chapitre 3 du titre II de la liste des produits et des prestations remboursables prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- les conclusions de M. Guillaume Toutias, rapporteur public,
- et les observations de Me Sarah Moscardini, représentant la CNAM.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Evolupharm a pour activité la distribution de produits pharmaceutiques et de dispositifs médicaux, parmi lesquels un appareil correcteur de surdité " DE17L " commercialisé sous la marque " Audibest ". Elle a diffusé, dans sa communication auprès d'officines de pharmacie, l'information selon laquelle cet appareil était remboursable par l'assurance maladie obligatoire. A la suite de remontées d'informations de la part de plusieurs caisses primaires d'assurance maladie, la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) a eu des échanges à ce sujet avec la société Evolupharm. Par une lettre du 31 mai 2018, la CNAM a indiqué à la société qu'en application de la réglementation en vigueur, l'appareil auditif " Audibest " n'était pas remboursable faute d'être inscrit au chapitre 3 du titre II de la liste des produits et prestations (LPP) remboursables par l'assurance maladie prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, lui a demandé en conséquence de retirer toute mention d'un remboursement de cet appareil dans sa communication et lui a indiqué que, si elle le souhaitait, elle pouvait déposer un dossier auprès de la Haute autorité de santé en vue d'une éventuelle inscription de cet appareil sur la liste prévue par l'article L. 165-1 du code précité.
2. La SAS Evolupharm a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 31 mai 2018 par laquelle la CNAM a déclaré l'appareil " Audibest " non susceptible d'être remboursé par l'assurance maladie obligatoire et lui a demandé de retirer toute mention d'un remboursement par l'assurance maladie dans sa communication. La CNAM relève appel du jugement du 1er avril 2021 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a annulé le courrier du 31 mai 2018 de la CNAM en tant qu'il demande le retrait de la communication par la SAS Evolupharm de la mention relative au remboursement par l'assurance maladie obligatoire de son appareil commercialisé sous la marque " Audibest " et rejeté le surplus des conclusions de la société.
Sur la régularité du jugement :
3. En se bornant à relever au point 3 du jugement qu'à " la suite de la communication aux parties du moyen susceptible d'être relevé d'office par le tribunal, la CNAM a présenté des observations sur celui-ci sans toutefois justifier, notamment au regard des dispositions de l'article R. 5213-4 du code de la santé publique, des dispositions textuelles lui conférant la compétence matérielle pour demander à la société requérante de retirer de sa communication la mention relative au remboursement par l'assurance maladie obligatoire de son appareil ", sans répondre au moyen de la CNAM faisant valoir que la compétence conférée au directeur général de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) par l'article R. 5213-4 du code de la santé publique n'était pas exclusive de la compétence du directeur général de la CNAM pour effectuer une telle démarche, le tribunal administratif d'Amiens a insuffisamment motivé son jugement. Celui-ci doit, par suite, être annulé.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la SAS Evolupharm devant le tribunal administratif d'Amiens.
Sur la légalité de la décision de la CNAM en date du 31 mai 2018 :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la CNAM :
5. Le courrier du 31 mai 2018, en tant qu'il porte sur le rappel des dispositions générales du chapitre 3 du titre II de la liste des produits et des prestations (LPP) définissant les modalités de prise en charge des appareils de correction auditive par l'assurance maladie obligatoire et des dispositions de l'article L. 4361-1 du code de la santé publique relatif aux prothèses auditives relevant du monopole des audioprothésistes, pour indiquer qu'aucune aide auditive commercialisée en distribution libre et ne nécessitant aucune prestation ne peut être remboursée par l'assurance maladie obligatoire, comme c'est le cas de l'appareil " Audibest ", se borne à rappeler les dispositions applicables et ne constitue pas, dans cette mesure, une décision faisant grief. En revanche, le même courrier du 31 mai 2018, en tant qu'il demande à la SAS Evolupharm de retirer de sa communication toute mention du remboursement de son appareil, ne se contente pas d'informer la SAS Evolupharm sur l'état du droit ou de la mettre en garde mais adresse à la société une demande rédigée sous la forme d'une obligation de faire et doit être regardé dans cette mesure comme une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Par suite, il y a lieu d'admettre la fin de non-recevoir soulevée par la CNAM en tant qu'elle porte sur le rappel de la réglementation applicable, et de l'écarter en tant qu'elle porte sur la demande de retrait de la mention du caractère remboursable du produit.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation de la demande de retrait de la mention du caractère remboursable de l'appareil " Audibest " :
6. En premier lieu, le rappel par la CNAM de la réglementation relative au remboursement figurant dans la lettre du 31 mai 2018 n'ayant pas de caractère décisoire, les moyens développés par la SAS Evolupharm au sujet du caractère remboursable de son appareil auditif sont sans incidence sur la solution du présent litige. En outre, la perte de chiffre d'affaires qu'elle allègue ne présente aucun lien de causalité direct avec la lettre qui lui a été adressée, à laquelle elle a indiqué ne pas déférer.
7. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 5213-5 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut, dans les conditions fixées à l'article L. 5312-4-1, mettre en demeure la personne concernée de retirer la publicité, de présenter ses observations et de régulariser la situation, au besoin en assortissant cette mise en demeure d'une astreinte. Elle peut prononcer une interdiction de la publicité, après que l'entreprise concernée a été mise en demeure ". Aux termes de l'article L. 5213-7 du même code : " Les modalités d'application du présent chapitre sont fixées par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 5213-2 du même code : " La publicité pour un dispositif médical auprès des professionnels de santé est adaptée à ses destinataires. Elle (...) comporte au moins les informations suivantes : (...) 8° La situation du dispositif médical au regard du remboursement par les organismes d'assurance maladie et, le cas échéant, les conditions de prescription et d'utilisation auxquelles a été subordonnée son inscription sur la liste mentionnée à l'article L. 765-1 du code de la sécurité sociale, pour la destination faisant l'objet de la publicité ; (...) ". Aux termes de l'article R. 5213-4 de ce code : " Lorsqu'il constate que la diffusion d'une publicité pour un dispositif médical, qui ne relève pas des dispositions des articles R. 5213-5 à R. 5213-11, se déroule dans des conditions contraires aux dispositions de l'article L. 5213-2 et de la présente section, le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut mettre en demeure la personne au profit de laquelle la publicité est diffusée, dans un délai déterminé qui ne peut être inférieur à un mois, de régulariser la situation et de retirer la publicité jusqu'à sa mise en conformité. La régularisation peut impliquer la modification du contenu de la publicité ou des destinataires de celle-ci et éventuellement la diffusion d'un rectificatif. / La mise en demeure est adressée par tout moyen permettant de rapporter la preuve de la date de sa réception et avise l'intéressé de sa possibilité de présenter, dans le délai mentionné à l'alinéa précédent, ses observations écrites ou orales. / La mise en demeure peut être assortie d'une astreinte journalière due, selon le cas, jusqu'à la régularisation ou au retrait de la publicité. Son montant ne peut dépasser le montant fixé au deuxième alinéa de l'article L. 5421-9. / Si la mise en demeure est restée sans suite à l'expiration du délai imparti, le directeur général peut interdire la poursuite et la diffusion ultérieure de la publicité. Il en informe l'intéressé par tout moyen permettant de rapporter la preuve de la date de réception. Cette mesure d'interdiction est publiée sur le site internet de l'agence ".
8. D'autre part, aux termes de l'article L. 221-3-1 du code de la sécurité sociale, relatif à la CNAM : " (...) Le directeur général dirige l'établissement et a autorité sur le réseau des caisses locales. Il est responsable de leur bon fonctionnement. A ce titre, il prend toutes décisions nécessaires et exerce toutes les compétences qui ne sont pas attribuées à une autre autorité. (...) Il est notamment chargé pour ce qui concerne la gestion de la caisse nationale et du réseau des caisses régionales, locales et de leurs groupements : (...) 3° De prendre les mesures nécessaires à l'organisation et au pilotage du réseau des caisses du régime général (...) / Le directeur général prend les décisions nécessaires au respect des objectifs de dépenses fixés par le Parlement (...) ".
9. Il résulte des dispositions précitées des articles L. 5213-5, R. 5213-2 et R. 5213-4 du code de la santé publique, d'une part, que la mention du caractère remboursable de l'appareil auditif doit être regardée comme ayant un caractère publicitaire et, d'autre part, que la compétence pour mettre en demeure une personne concernée de retirer une publicité et régulariser la situation a été attribuée par le législateur à l'ANSM, selon une procédure contradictoire définie à l'article L. 5312-4-1 de ce code. Dès lors, si les dispositions précitées de l'article L. 221-3-1 du code de la sécurité sociale donnent compétence au directeur général de la CNAM pour prendre les mesures utiles à une pratique uniforme des caisses primaires d'assurance maladie en matière de remboursement des produits de la société requérante, elles ne lui donnent pas compétence pour aller au-delà d'un simple rappel de la réglementation à l'égard de destinataires extérieurs aux caisses. La CNAM n'avait ainsi pas compétence pour enjoindre à la SAS Evolupharm de retirer une mention publicitaire figurant sur un produit.
10. Il résulte de ce qui précède que la SAS Evolupharm est fondée à demander l'annulation du courrier du 31 mai 2018 de la CNAM en tant qu'il lui demande de retirer de sa communication la mention relative au remboursement par l'assurance maladie obligatoire de son appareil commercialisé sous la marque " Audibest ".
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CNAM une somme de 2 000 euros à verser à la SAS Evolupharm au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font, en revanche, obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la CNAM présentées au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1802488 du 1er avril 2021 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.
Article 2 : Le courrier du 31 mai 2018 de la caisse nationale d'assurance maladie est annulé en tant qu'il demande le retrait de la communication par la SAS Evolupharm de la mention relative au remboursement par l'assurance maladie obligatoire de son appareil commercialisé sous la marque " Audibest ".
Article 3 : La caisse nationale d'assurance maladie versera une somme de 2 000 euros à la SAS Evolupharm au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la SAS Evolupharm et les conclusions de la caisse nationale d'assurance maladie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse nationale d'assurance maladie et à la SAS Evolupharm.
Copie sera adressée au ministre de la santé et de la prévention et au ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées.
Délibéré après l'audience publique du 11 avril 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mai 2023.
Le président-rapporteur,
Signé : M. B...La présidente de chambre,
Signé : A. Seulin
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Anne-Sophie Villette
2
N°21DA01222